Fin ou tournant : où est l’avenir ?
Pourquoi et dans quelle intention j’écris de la musique engagée
p. 37-46
Texte intégral
« Alors tomba du ciel un grand astre, comme un globe de feu. Il tomba sur le tiers des fleuves et des sources ; l’astre se nomme “Absinthe” : le tiers des eaux se changea donc en absinthe, et bien des gens moururent, de ces eaux devenues amères.
[…] Alors j’aperçus un astre qui du ciel avait chu sur la terre. On lui remit la clef de l’Abîme. Lorsqu’il eut ouvert ce puits, il en monta une fumée […] le soleil et l’atmosphère en furent obscurcis.
[…] En ces jours-là, les hommes rechercheront la mort sans la trouver, ils souhaiteront mourir, et voilà que la mort les fuit ! »1.
Angoisse
1Même si cela ne me convient pas, si je suis trop indolent, trop fatigué, trop dispersé, beaucoup trop occupé – même si cela me prive de mon sommeil, je devrais, je dois écouter nos peurs les plus profondes, la peur apocalyptique de la destruction de la vie sur notre terre. Que personne n’affirme trop vite qu’un homme mûr, aujourd’hui – de quelque manière que ce soit – doit pouvoir maîtriser cette peur.
2Que personne ne dise : mais qui donc la ressent ?
3Refouler l’angoisse originelle et l’angoisse du temps, la chasser de notre conscience et surtout – tant que c’est possible – tenter sans relâche de l’expulser de nos sentiments ne nous apporte pas un véritable soulagement, et encore moins une libération.
4Cette peur, nous devrions l’accepter et vivre avec elle. Nous devrions ensuite prendre conscience de la double signification de l’avenir pour l’être humain : l’humanité a sans doute un avenir illimité devant elle, mais la possibilité de la fin existe dans le temps présent. Dans cette alternative, entre notre existence et notre mort, nous n’avons pas de temps à perdre : nous devons proclamer nos objectifs.
Fraternité
5Même si cela ne me convient pas, même si je suis introverti, personnellement heureux et rassasié, sans problème sérieux, même si je n’ai pas le temps, je dois écouter la misère, l’injustice, l’absence de liberté, la pauvreté, l’intolérance, la cruauté, la violence, le viol que l’on fait subir à ceux qui n’ont pas de pouvoir, en ce temps qui est le nôtre. Et je dois le faire pour agir, pour sortir de moi-même, par solidarité avec les autres…
6Ce sont donc les deux versants du même principe – je dirais plutôt : de la même totalité – qui peuvent pousser les hommes à modifier leur conscience, les mener à un mouvement de solidarisation mondiale avec les miséreux et les opprimés, et ainsi à une transformation de la vie personnelle et sociale : d’une part, il y a la prophétie de la fin des temps – même s’il s’agit d’une apocalypse – considérée comme but de l’Histoire ; dans la mesure où celle-ci trouble et inquiète les hommes, ils commencent à se rapprocher les uns des autres, ayant pris conscience du fait qu’il n’y a pas de temps à perdre… D’autre part, il y a l’amour du prochain, le charisme de l’« être-frères » ; la responsabilité de tous envers tous, une sensibilité éveillée de la majorité de tous les êtres humains – face à toutes les négligences, à toutes les violations des droits de l’homme, quels que soient le lieu et les circonstances où elles se produisent – en seraient les conséquences.
7Le temps approche où l’on devra essuyer les larmes de tous les yeux…
8Il ne s’agit pas ici de vagues utopies, mais de ce que le Nouveau Testament appelle tout simplement le « Royaume de Dieu » ; une promesse de fin des temps, donc, qui existe déjà, tout aussi sûrement, « parmi nous », et avec une actualité toujours plus importante. Je voudrais souligner qu’il ne s’agit pas ici de mysticisme, mais d’une conception de l’avenir qui a trouvé une confirmation surprenante dans la philosophie moderne et contemporaine. Si l’on continue à en croire le message chrétien, ce « Royaume de Dieu » doit en toute certitude être recherché parmi les pauvres, ceux qui n’ont ni pouvoir, ni puissance, ceux qui aiment la paix…
Responsabilité
9Si j’ai qualifié la responsabilité de tous envers tous de charisme de « l’être-frères », je dois inévitablement prolonger cette idée vers la responsabilité de l’artiste envers la société. Je considère que cette responsabilité est en tout premier lieu une fonction de la conscience morale.
10L’art est capable de refléter la conscience de soi des êtres humains avec une profondeur qui – même si elle est illimitée – laisse pressentir certaines frontières humaines. Il a une « fonction de miroir » au sens où il ne peut rien faire surgir qui ne sommeille déjà dans la pénombre. C’est précisément pour cette raison qu’il exerce depuis des temps immémoriaux un effet aussi bien critique – en reflétant la réalité – que moral – en élargissant la conscience.
11Mais la musique, considérée comme le plus fugitif de tous les arts, est aussi le moins lié aux réalités qui déterminent la vie quotidienne. Bien qu’elle-même dérive tout autant que les autres arts d’une réalité existentielle – quel compositeur le nierait sérieusement ? –, son domaine d’action immédiat est, dans un premier temps, celui de l’élargissement de la conscience, et son effet secondaire, pour autant qu’il se produise, est celui de la transformation de la réalité.
12Si, donc, la musique ne peut être solidaire avec les réalités de la vie quotidienne que d’une manière bien moins directe que la littérature ou les arts plastiques, elle n’y parvient, au sens strict, que par un médium : la parole, ou les qualités personnelles de l’interprète, sa gestuelle. Ce n’est donc pas un hasard si la musique – dès l’instant où la solidarisation de ses œuvres avec les réalités quotidiennes lui paraît importante, voire essentielle – ne peut absolument plus renoncer à un lien très profond avec divers médias extra-musicaux. À elle seule, l’actualité de la « musique de scène », de l’« action musicale », ou du « théâtre instrumental » devrait rendre cette pensée évidente…
13C’est pour cette raison que j’estime la musique – si l’on considère avec une lucidité suffisante ses possibilités immanentes – inutilisable comme vecteur d’une idéologie, quelle qu’elle soit.
14Si l’on veut transformer la vie quotidienne des hommes, il existe « mille chemins meilleurs » que celui de la composition musicale. On peut souligner ici, comme exemple historique, le faible effet révolutionnaire produit par les œuvres de Beethoven, pourtant exemplaires de ce point de vue, et ce, malgré leur diffusion mondiale. Elles ont été absorbées par la société – et pas seulement par la société bourgeoise. Devenues une pure jouissance esthétique (la plupart du temps très passive), elles ont perdu leur dimension idéologique. Cela dit, c’est par cette musique que Beethoven s’est accompli en tant qu’esprit véritablement révolutionnaire.
Quel est le pouvoir de la musique ?
15En simplifiant, on peut dire que la musique est bien plus occupée à déclencher ou à confirmer les émotions humaines qu’elle n’est capable de transmettre ou de transformer des opinions. Nous, compositeurs, ne pouvons que le regretter ; cela peut même nous inspirer du désespoir… Je dois cependant rester persuadé que l’essence de la musique ne peut être arbitrairement détournée de sa fonction. Il me semblerait donc approprié, pour un compositeur ayant envers lui-même un esprit critique, de tirer le bilan lucide de ses possibilités musicales, puis – à partir de là – de continuer à travailler à l’élargissement de notre conscience, plutôt à travers la persévérance et la compétence que dans l’esprit de la lutte des classes.
Mon œuvre
16Je ne peux pas m’exprimer ici en détail sur l’impossibilité d’un engagement idéologique dans mon travail de compositeur : c’est un postulat ; je veux simplement dire que pour toute musique liée au mot, une idéologisation reste tout de même possible. On pourrait ajouter que plus une musique est ouverte, c’est-à-dire non autonome, et aussi plus pauvre et dépourvue d’art, plus le message intellectuel du texte s’impose clairement à l’auditeur (c’est en fait une vérité de La Palice, mais elle peut être affirmée plus facilement aujourd’hui où nous cédons constamment à la simplification…).
17Venons-en maintenant à la « prophétie apocalyptique ». Certains se demanderont peut-être ce que vient faire cette question dans un contexte marqué par la pensée rationnelle, où l’on devrait enfin « en venir au fait » lorsque l’on parle de la musique dite d’avant-garde. Je peux garantir que je m’exprime d’une manière plus essentielle par mon œuvre que si j’essayais d’expliquer cette musique d’avant-garde. Il s’agit d’une profession de foi. Ma musique voudrait, précisément par ce biais, toucher et ébranler l’auditeur. Mais cela, justement, dépend de la capacité intérieure de chacun…
18Je tente d’exprimer, dans mon œuvre, par les moyens de la musique, la peur primitive qu’éprouve l’humanité à l’idée d’une fin du monde. Il s’agit donc d’une musique d’expression, dans un sens à la fois très extrême et très général.
19Je suis persuadé que mon engagement, sur ce point, est possible et nécessaire. Si j’écris une musique extrêmement engagée, ce n’est pas avec l’intention de l’utiliser pour changer les structures sociales. Je crée cette musique engagée pour ébranler – et, de cette manière, transformer – le vécu sensible, et ainsi la conscience de celui qui la perçoit, en utilisant le choc et la turbulence produits par le message.
20Je ne doute pas que la musique ait toujours la possibilité, mais aussi la force d’élargir la conscience ou – pour s’exprimer plus modestement – d’exercer une influence sur le vécu spirituel de l’individu…
21J’ai donc toujours cru, et je crois encore aujourd’hui, que la musique devrait agir au niveau des contenus de la religion et de la foi, à supposer que ces contenus restent très généraux. Cela signifie : tant qu’ils ne sont pas, justement, des idéologies.
22Dès lors, la musique est une musique de credo.
23Ce message, si on le comprenait dans toute son ampleur, devrait nous rapprocher d’un nouvel humanisme qui ne serait plus, sur un plan purement rationnel, centré sur lui-même, c’est-à-dire limité au seul niveau de conscience minimal.
Disparition
24Depuis des millénaires, des êtres issus des cultures les plus diverses ont craint une soudaine disparition apocalyptique de la vie sur terre.
25Certains visionnaires ont tenté d’exprimer cette crainte sous forme de mots. On trouve chez les Perses, les Grecs, dans le judaïsme – voir le Livre de Daniel –, mais aussi chez les peuples nordiques ou en Inde des visions d’une ressemblance effrayante sur une fin des mondes. Je suis bouleversé par le fait que la plupart de ces prophéties prévoient la fin des temps dans l’incendie du monde, dans une destruction de la vie par le feu.
26Les livres de L’Apocalypse écrits par saint Jean à Patmos, auxquels j’ai emprunté la plus grande partie des textes pour …Inwendig voller Figur… doivent être considérés dans la droite ligne des prophéties sibyllines sur la fin du monde, avec lesquelles elles concordent d’ailleurs au mot près dans certains passages.
27L’Apocalypse de saint Jean a exercé pendant tout le Moyen Âge une influence intellectuelle considérable sur le christianisme – notamment en Europe de l’Ouest. Qu’on pense seulement aux Croisades, à la force symbolique de la ville de Jérusalem, à l’attente de la fin du monde en l’An Mil, et, encore une fois, tout aussi clairement, vers 1500, attente à laquelle le judaïsme se rattacha lui aussi – selon le calcul cabalistique de la fin du monde autour de 1534.
28Les récits qui, à l’époque, faisaient état des signes apparus dans le ciel – surgissement de croix cosmiques, plongées dans la pénombre, naissances de monstres, pluies de feu, de sang et de pierres, etc. – ont eu un effet si puissant sur Albrecht Dürer que son Traumgesicht (« Vision rêvée ») de 1525 – la deuxième composante essentielle de mes textes dans …Inwendig voller Figur… – doit être placé au cœur de ce vaste ensemble.
29On comprendra donc parfaitement que je mette en rapport dans mon œuvre la vision de Dürer avec des textes de L’Apocalypse de saint Jean.
30Les siècles de la pensée rationnelle – surtout le XIXe et le début du XXe siècle – se sont crus suffisamment supérieurs pour écarter, dans un état euphorique, les visions de l’horreur et du déclin comme une magie mise au rebut depuis longtemps, comme les avortons produits par des esprits en pleine confusion…
Autodestruction
31Depuis la Seconde Guerre mondiale et au plus tard depuis l’année 1945 (dont Dürer, dans son aquarelle, avait formellement dépeint le champignon atomique avec 420 années d’avance), notre conscience rationaliste est de plus en plus pénétrée par l’idée qu’il n’a encore jamais existé aucune époque où la peur originelle de la destruction de la vie sur notre terre ait été plus justifiée qu’aujourd’hui… Elle apparaît toutefois sous une forme profondément modifiée et soudain toute proche de nous : la peur de l’autodestruction.
32Il ne faut rien voir d’autre ici que le commencement d’une décomposition radicale des mythes de ces grandes prophéties de fin du monde – c’est en tout cas l’impression que j’en retire. Et la démythologisation est d’une urgente nécessité. Avec cette idée, les deux versants de la même totalité se rapprochent de nouveau l’un de l’autre.
33Nous ne devons pas oublier, en effet, quels risques presque illimités d’irrationalisme, de démonisation sont nés, pour la conscience de l’individu comme pour celle de l’humanité, des prophéties apocalyptiques. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à porter son regard sur les horribles dégénérescences des Croisades, et de manière beaucoup plus extrême, sur la folie des anabaptistes dans la ville de Münster, en Westphalie, où Jan Bokelson sema une misère et un effroi inconcevables : on observe un enfer qui n’a peut-être pas d’égal dans l’histoire de l’humanité. (J’ai traité plus en détail, juste avant de commencer …Inwendig voller Figur…, Münster et son horreur.) Le parallèle avec l’enfer de l’Allemagne nazie est trop évident pour qu’il me soit nécessaire de l’expliciter : rappelons simplement la funeste notion du « Reich millénaire »… On devrait sans doute, dans un cas comme dans l’autre, parler d’un processus d’hystérie collective : quelque chose comme une peur refoulée, ultime racine d’une prétention infernale, ne pointe-t-elle pas ici ?
34La conséquence directe en est une démythologisation aussi complète que possible de toute prophétie apocalyptique ; elle constitue donc l’exigence urgente adressée à notre époque. Et cette décomposition décisive des mythes a, pour l’essentiel, déjà commencé : sciences nouvellement créées, la futurologie et la recherche sur la paix se sont mises de plus en plus au service de l’humanité depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Divers philosophes notables de notre temps se fondent depuis lors sur les résultats de ces travaux.
La recherche sur l’avenir
35La futurologie n’est rien d’autre qu’une forme adaptée à son époque des anciennes prophéties, dans la mesure où elle prolonge dans les décennies qui nous attendent les évolutions et les processus déjà engagés – elle le fait toutefois, conformément à l’esprit de notre temps, en empruntant des voies rigoureusement rationnelles.
36La recherche sur la paix, pour sa part, a déjà permis aujourd’hui de comprendre que celui qui veut réellement la paix doit préparer la paix… et non par la guerre, comme le croient ceux qui sont au pouvoir, depuis l’époque romaine jusqu’à nos jours. Le fait que la futurologie ait mis en lumière des perspectives d’avenir pessimistes, et même catastrophiques, constitue précisément son point commun avec la plupart des prophéties dans les temps anciens. Et tout comme elles, la futurologie lance cet appel, ou même ce cri : « Malheur à vous tous si vous ne changez pas dans vos actes… si vous ne transformez pas le temps présent ! ».
37Ces recherches vont, dans le domaine intellectuel, vers un ébranlement de la conscience humaine qui finit aussi par provoquer, grâce aux actions que suscite cette conscience, les transformations nécessaires de la réalité. La boucle est ainsi bouclée. Nous en revenons au charisme de l’« être-frères ».
Questions – Réponses
38Si l’on me demandait pourquoi j’emploie non pas des textes issus de la futurologie ou de la recherche sur la paix, mais des textes aussi anciens que la prophétie de saint Jean et le Traumgesicht de Dürer ; pourquoi j’utilise non seulement l’anglais et le vieil allemand, mais aussi des langues mortes comme le grec ancien et le latin (que faites-vous de l’intelligibilité du texte ?), je devrais commencer par dire que, pour m’exprimer musicalement, j’ai besoin d’une poésie suffisamment large et générale ; elle seule me permet de transmettre mon message. Et c’est précisément – après une décomposition accomplie des mythes, rendue possible par un choix, un regroupement et une mise en ordre appropriés – ce que je considère comme une caractéristique tout à fait essentielle des deux textes que j’ai cités : ils servent, d’une manière à la fois pluraliste et concentrique, l’« intention » de cette musique, dans la mesure où ils s’interpénètrent et se renforcent mutuellement.
39J’ai d’ailleurs ajouté, dans un passage décisif, quelques bribes des conversations de l’équipage qui bombarda Hiroshima, ce qui crée un lien évident avec le temps présent. Mais je suis convaincu que toute intelligibilité manifeste du texte mène à une nouvelle mythologisation.
40Ma musique ne veut cependant ni philosopher, ni produire de l’idéologie ; je m’efforce au contraire de m’exprimer par les sentiments, de créer une musique expressive et de crier de toutes mes forces. Car je suis incapable de réprimer la peur de la mort nucléaire au fond de moi… Quand j’écris de la musique, et tout particulièrement quand je tente de me concentrer sur l’essentiel, alors cette peur traverse mon existence de part en part.
41Quand je compose cette musique, qui exprime une peur originelle, je n’ai d’autre but que de faire sortir l’individu – c’est-à-dire chacun de nous – de ce naturel presque schizophrénique qui nous fait accepter l’idée d’une autodestruction du genre humain et de la vie sur notre terre. Cette musique est le résultat de mon combat contre une peur que nous ressentons tous. « …God should destroy them, that destroy the earth… » [… Dieu devrait détruire ceux qui détruisent la terre…].
42Je crois que la jeune génération tente de vivre émotionnellement avec cette menace extrême. Son aspiration très directe à la paix, qui ne prend pas de détours, son hostilité envers tout ce que représente la guerre et tout ce qui sent l’industrie guerrière, sa méfiance viscérale envers ce qui est établi, ce qui est immobile depuis trop longtemps pour prétendre accomplir de manière crédible les transformations nécessaires ; son rejet de toutes les concentrations répressives du pouvoir, son refus catégorique de reconnaître des différences humaines fondées sur la race, la naissance ou le rang – exprimé positivement : son sentiment quotidien de fraternité ; et même son inclination pour la pauvreté, dans le sens d’un nouveau mouvement de pauvreté comparable avec ceux qui, au XIIe siècle, partirent d’Italie et ébranlèrent le féodalisme médiéval, tout cela est étroitement lié au fait que les jeunes tentent de vivre affectivement avec cette menace…
43Qu’on n’interprète pas mon attitude comme de la présomption – c’est simplement un credo personnel envers une foi parente si je me permets de citer ici les mots d’un poète d’Amérique latine, Ernesto Cardenal, révolutionnaire du début des années cinquante, qui fut à l’époque pris l’arme à la main et torturé, auteur de Psaumes sud-américains connus dans le monde entier et qui, plus tard – en tant que pacifiste –, se consacra exclusivement à des tâches sociales et caritatives2 :
« La politique me concerne toujours. Mais je la vois avec d’autres yeux qu’autrefois. […] L’artiste a toujours été parfaitement intégré dans la société. Mais pas dans la société de son temps : dans celle de l’avenir. L’artiste, le poète, l’érudit et le saint sont les membres de la société de l’avenir, qui existe déjà en germe sur la planète, même si elle est éparpillée – indépendamment des séparations imposées par la géographie politique – en petits groupes, en individus, à travers le monde. En tant que poète – dans la mesure où je suis un poète –, en tant que prêtre – ce que je tente d’être –, et en tant que pacifiste, je suis un anarchiste et un gandhiste chrétien ; en politique, je me sens bien intégré dans cette société qui rapproche de nous l’avenir et qui veut accomplir aussi rapidement que possible le processus du progrès – contre les forces réactionnaires. ».
44« Ende oder Wende : Wo ist Zukunft ? Warum und in welcher Absicht ich engagierte Musik schreibe », dans National-Zeitung, Basel, 30.3.1972. Retranscription d’une conférence prononcée à la radio lors de la première diffusion d’…Inwendig voller Figur… à Radio Bâle, le 20.12.1971. Le texte original était suivi d’une présentation d’…Inwendig voller Figur… dont on trouvera la traduction dans les Notices en fin de volume.
45Traumgesicht d’Albrecht Dürer date de l’année 1525. Cette aquarelle joue un rôle central dans …Inwendig voller Figur… et dans l’article reproduit ici. Le texte de Dürer placé sous le tableau dit : « En 1525, après la Pentecôte, dans la nuit de mercredi à jeudi, j’ai vu pendant mon sommeil ce phénomène, cette multitude d’eaux qui tombaient du ciel, et la première atteignait la terre environ à quatre lieues de moi, avec un caractère terrifiant et un bruit démesuré, et elle aspergeait et noyait toute la terre. Cela m’effraya tant que je m’en suis réveillé. Puis les autres eaux tombèrent, et celles qui tombèrent là étaient très puissantes, et il y en avait beaucoup, certaines plus au loin, certaines plus proches, et elles descendaient de si haut qu’elles paraissaient s’abattre relativement lentement. Mais lorsque la première eau qui tombait sur la terre fut pratiquement arrivée, elle tomba avec une telle vitesse, avec du vent et des grondements, et je pris tellement peur qu’au moment où je m’éveillai, tout mon corps tremblait et je ne pus, pendant longtemps, revenir pleinement à moi. Quand je me levai, au matin, je peignis le dessin ci-dessus, tel que je l’avais vu. Dieu fasse que tout aille pour le mieux ! ».
Notes de bas de page
1 Apocalypse, 8 et 9, traduction de l’École biblique de Jérusalem. (N.D.T.)
2 Ernesto Cardenal : prêtre nicaraguayen, poète et homme politique né en 1925. Études de lettres et de philosophie à Mexico puis à l’Université Columbia à New York. Publie de nombreux poèmes. Voyage en Europe en 1950. Participant en 1954 au soulèvement contre Somoza, il est contraint à la clandestinité. En 1957, il entre au monastère de Notre-Dame de Gethsemani dans le Kentucky, puis, pour des raisons de santé, va en 1959 dans un monastère bénédictin au Mexique, et en 1961 termine ses études sacerdotales à Medellin en Colombie. Il sera ordonné prêtre à Managua en 1965. En 1966, il fonde une communauté à Solentiname sur le Grand Lac du Nicaragua, qui devient un important lieu de rencontres. Lors du soulèvement d’octobre 1977 contre Somoza, Solentiname est détruit par l’armée. Cardenal s’exile puis devient membre du Front Sandiniste de Libération. Dès la prise de pouvoir par celui-ci, Cardenal est nommé Président du Conseil National de la Culture. Il a publié de nombreux recueils poétiques : Oración por Marilyn Monroe y otros poemas, Salmos, Homenaje a los Indios Americanos, Oráculo sobre Managua, etc. On trouve une traduction française de certains de ses textes sous le titre Hommage aux Indiens d’Amérique, trad. Jay, Jacques : Paris, La Différence, 1989. Voir ci-après d’autres références à Cardenal dans les textes de Klaus Huber. (N.D.É.)
Auteur
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Essais avant une sonate
et autres textes
Charles E. Ives Carlo Russi, Vincent Barras, Viviana Aliberti et al. (trad.)
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L'Atelier du compositeur
Écrits autobiographiques, commentaires sur ses œuvres
György Ligeti Catherine Fourcassié, Philippe Albèra et Pierre Michel (éd.)
2013
Fixer la liberté ?
Écrits sur la musique
Wolfgang Rihm Pierre Michel (éd.) Martin Kaltenecker (trad.)
2013