1 Hermann Grab von Hermannswörth (1903-1949), écrivain autrichien catholique né à Prague de parents d’ascendance juive. Ami d’Adorno, Grab mourut en exil à New York. Sa cousine Alice Grab von Hermannswörth (1904-1991) épousa Franz Strauss, fils unique de Richard Strauss et Pauline Strauss-de Ahna, à Vienne en 1924.
2 Conrad Ferdinand Meyer (1825-1891), poète réaliste suisse. Les vers cités ici sont la conclusion d’un poème de quatre strophes intitulé Sur le Canal Grande (Auf dem Canal Grande).
3 Allusion évidente au concept de « nouvelle musique » (Neue Musik) défini par le critique Paul Bekker dès le lendemain de la Première Guerre mondiale.
4 Outre les titres d’œuvres, nous avons choisi d’indiquer par l’italique les emprunts lexicaux aux langues étrangères qu’Adorno a choisi d’indiquer comme tels dans le texte original, c’est-à-dire sans la majuscule de rigueur en allemand s’agissant des substantifs. L’astérisque précise ce qui est en français dans le texte.
5 Le gestus est une notion brechtienne désignant un ensemble d’attitudes corporelles, gestuelles, par lequel un acteur incarne un personnage en représentant à la fois ses relations sociales et les causes de son comportement. Bertolt Brecht, Petit organon pour le théâtre, Paris, L’Arche Éditeur, 1978, p. 55 sq.
6 Max von Schillings, compositeur allemand né à Düren en 1868 et mort à Berlin en 1933, auteur d’opéras, mélodrames, œuvres symphoniques et musique vocale. Strauss et Schillings se rencontrèrent à Munich pendant leurs années d’études. Schillings fut chef d’orchestre à Munich, Stuttgart et Berlin (Generalintendant du Preußische Staatsoper, aujourd’hui Deutsche Staatsoper, à Berlin, à la suite de Richard Strauss).
7 W. Thomas, Richard Strauss und seine Zeitgenossen, Munich, Vienne, Langen, Müller, 1964, p. 88 sq. Note de l’auteur (NdA).
8 L’opposition introduite par Nietzsche dans Par-delà le bien et le mal d’une Herrenmoral (morale des seigneurs) et d’une Sklavenmoral (morale des serfs) est reprise par Adorno et Max Horkheimer dans Dialectique de la raison à propos de la Juliette de Sade : « En tant que protestation contre la civilisation, la morale des seigneurs représenta indirectement les opprimés : la haine à l’égard des instincts atrophiés dénonce objectivement la véritable nature des tyrans, qui ne se manifeste que dans leurs victimes. Mais en tant que grande puissance et religion d’État, la morale des seigneurs se vend définitivement aux puissances civilisatrices existantes, à la majorité compacte, au ressentiment et à tout ce contre quoi elle s’était opposée. » (Dialectique de la raison, trad. E. Kauf holz, Paris, Gallimard, 1974, p. 110).
9 Allusion à l’entrée en guerre de l’Allemagne en 1914, jeune nation qui fait alors figure de late comer en comparaison des autres puissances coloniales que sont la France et la Grande-Bretagne. Dans Imperial Germany and the Industrial Revolution (New York, N.Y. : The Macmillan Company, juin 1915, 343 p.), l’économiste et sociologue norvégien Thorstein Veblen (1857-1929) développe sa théorie des late comer advantages. Se reporter à Adorno, « L’attaque de Veblen contre la culture » [1941] in Prismes : Critique de la culture et société, trad. G. et R. Rochlitz, Paris, Éditions Payot, 1986, p. 85-114.
10 Emprunté au latin ductus, qui indique en calligraphie la direction que l’on donne au tracé des lettres, l’allemand Duktus reçoit une acception linguistique et artistique qui désigne les caractéristiques du langage parlé propre à un locuteur, ou bien la conduite du style d’un artiste tel qu’il se reflète dans les contours de son écriture, dans son geste de peintre, au sens « physiognomonique ».
11 L’auteur natif de Prusse orientale Hermann Sudermann (1857- 1928) publia en 1896 le drame naturaliste en trois actes Das Glück im Winkel [Le Bonheur dans le coin], dont la conclusion célèbre le bonheur conjugal. La littérature expressionniste voit naître en 1919 la nouvelle de Salomo Friedlaender (1871-1946) Das Unglück im Winkel (1919) [Le Malheur dans le coin], qui relève du « grotesque ». Défendant des idées libertaires, Friedlaender s’illustra dans le genre grotesque sous le pseudonyme de Mynona.
12 Compositeur allemand né en 1882 à Göttingen et mort en 1954 à Munich, Hermann Wolfgang Sartorius Freiherr von Waltershausen fit preuve d’un nationalisme conservateur dans ses écrits sur la musique, rejoignant entre autres Hans Pfitzner dans le rejet de la musique atonale. Admirateur de Wagner, il estimait beaucoup la musique de Strauss.
13 Cité par W. Thomas, op. cit. p. 201. (NdA)
14 Il faut citer ici les écrits de Richard Strauss : « Je retiens de ma propre expérience de l’activité créatrice qu’un motif ou une phrase mélodique de deux à quatre mesures me vient d’abord directement à l’esprit. Je la couche sur le papier et l’étends aussitôt en une phrase de 8, 16 ou 32 mesures, que je ne garde naturellement pas en l’état, mais développe peu à peu, après une “pause” plus ou moins longue, jusqu’à obtenir sa forme définitive qui doit ensuite affronter l’autocritique la plus sévère, la plus blasée. »« Vom musikalischen Einfall » [vers 1940, De l’inspiration musicale], Betrachtungen und Erinnerungen, Willi Schuh (éd.), Zurich, Atlantis, 2e éd. : 1957, p. 165.
15 « Strauss ist ein großes Genie / aber ganz ohne Melodie, / da seht den Lehár an, / das ist doch ein ganz andrer Mann. »
16 « Plus une œuvre instrumentale satisfait aux exigences spécifiques des instruments qu’elle utilise, et plus il est facile de la transcrire dans une tout autre sonorité instrumentale : de l’“arranger” ; par contre, moins elle est liée à son matériau de départ, et plus sa transcription devient problématique. On sait combien le caractère al fresco de la musique de Strauss se retrouve jusque dans ses réductions pour piano, tandis que Mahler, qui pour les besoins de la clarté thématique “instrumente” beaucoup plus que Strauss et s’intéresse moins à l’image sonore en tant que telle, paraît souvent défiguré au piano. » T.W. Adorno, Quasi una fantasia, trad. J.-L. Leleu, Paris, Gallimard, 1982, p. 23-24.
17 Richard Strauss a contribué à une édition allemande augmentée et révisée du Grand traité d’instrumentation et d’orchestration modernes de Berlioz (H. Berlioz, Instrumentationslehre, ergänzt und revidiert von Richard Strauss, Leipzig, Edition Peters, 1904).
18 Goethe introduit la notion des phénomènes primitifs ou primordiaux dans son Traité des couleurs : « C’est à partir de là que, peu à peu, tous les phénomènes apparaissent soumis à des règles et à des lois supérieures qui se révèlent non par des mots et des hypothèses à notre entendement, mais par des phénomènes à notre vue intuitive. Nous nommons ceux-ci des phénomènes primordiaux, car rien dans ce qui se manifeste visiblement n’est au-dessus d’eux. » Goethe, Zur Farbenlehre [Théorie des couleurs, 1810], Didaktischer Teil [partie didactique], §175, cité par Laurent Van Eynde, « Empirie et raison selon Goethe. D’une Naturphilosophie qui se voudrait science rigoureuse », in Philosophies de la nature, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2000, p. 247 sq.
19 Il est important de noter qu’Adorno n’a pas ici recours à l’idée d’Entwicklung [développement] ou Themenverarbeitung [travail des thèmes]. Suivant une tradition musicologique héritée de la fin du XIXe siècle, dans laquelle s’inscrit Schönberg lorsqu’il traite de la « variation développante » (entwickelnde Variation) chez Brahms, Adorno dissocie Liszt de la pratique brahmsienne et donc de l’héritage du travail cellulaire des motifs attribué au classicisme viennois de Haydn, Mozart, Beethoven. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le procédé dominant de travail des thèmes chez Liszt est encore défini comme Abwandlung, qui doit être interprété dans le sens d’une variation, d’une métamorphose, plus exactement une altération de l’identité du thème initial portant davantage sur le caractère du thème que sur des paramètres tels que la mélodie et le rythme. Le musicologue allemand Alfred Heuß (1877-1934) identifie cette spécificité de la transformation des thèmes dans les poèmes symphoniques (sinfonische Dichtungen) de Liszt (« Eine motivisch-thematische Studie über Liszts sinfonische Dichtung Ce qu’on entend sur la montagne », Zeitschrift der Internationalen Musik-Gesellschaft, vol. XIII, 1911-12, p. 10-21).
20 Strauss composa une musique de scène pour Le Bourgeois gentilhomme de Molière dans le cadre d’un spectacle conçu avec Hofmannsthal et Max Reinhardt, qu’englobait la première version d’Ariane à Naxos, op. 60 (création à Stuttgart le 25 octobre 1912), à la manière des intermèdes dansés des représentations d’opéra du XVIIe siècle. La suite d’orchestre qui en a été extraite fut créée à Berlin le 9 avril 1918.
21 L’ontologie du non-encore-être fonde chez Ernst Bloch une utopie déclinée à travers l’idée de pré-apparaître de l’œuvre d’art dans un certain nombre d’écrits esthétiques, notamment dans le tome III de la somme philosophique intitulée Le Principe espérance (trad. F. Wuilmart, Paris, Gallimard, 1991). Cette inclination à la transcendance de Bloch, défendant une primauté de la musique comme « expression d’elle-même », est examinée par Ano Münster dans une comparaison avec la philosophie de la musique d’Adorno : « […] Il y a là bien deux approches philosophiques et deux théories de la musique a priori incompatibles, mais “complémentaires”, en un sens : celle d’Ernst Bloch, voulant sauvegarder, absolument, contre vents et marées, la subjectivité théurgique, romantique et utopique à l’œuvre, dans le processus de création des grandes œuvres musicales – et celle d’Adorno minimisant explicitement et volontairement le facteur subjectif, au nom précisément d’une théorie matérialiste, marxiste et sociologique objectivante de la musique qui s’efforce a priori de mettre en évidence la présence et la monstration du social dans les œuvres. » (Arno Münster, « Le pré-apparaître utopique dans la philosophie blochienne de la musique », Filigrane. Musique, esthétique, sciences, société. [En ligne], Musique et Utopie, mis à jour le 21/01/2014, URL : https://revues.mshparisnord.fr:443/filigrane/index.php?id=629.)
22 L’anglais plot renvoie à une notion issue de la théorie littéraire d’Edward Morgan Forster (Aspects of the Novel, Londres, Edward Arnold, 1927) qui distingue les concepts de story, récit relatant des événements dans l’ordre de leur succession temporelle, et de plot, récit relatant des événements en mettant l’accent sur la relation de cause à effet qui conduit successivement de l’un à l’autre.
23 Le moment historique de conquête de l’autonomie du sujet par la « loi de raison » est évoqué par Kant dans Fondements de la métaphysique des mœurs. Il précède l’étape historique de l’aliénation dans la pensée marxiste.
24 L’édition originale du roman d’Arthur Schnitzler (1862 – 1931) Der Weg ins Freie [Vienne au crépuscule], paraît en 1908. Il traduit entre autres les déceptions d’une société libérale éclairée dans un environnement imprégné par un antisémitisme et un conservatisme croissants. On peut imaginer aussi, à travers le destin du baron Georg, une évocation de l’aspiration de l’artiste à l’autonomie dans le sens économique et social.
25 La création de l’Überbrettl en 1901 à Berlin par Ernst von Wolzogen, le poète Julius Bierbaum et le dramaturge Frank Wedekind, est l’acte fondateur du cabaret littéraire allemand. Originaire de Breslau (aujourd’hui Wrocław) en Silésie, Ernst von Wolzogen (1855-1934) étudia la philosophie et l’histoire de l’art à Strasbourg et Leipzig. Il fut lecteur pour le grand-duc de Saxe-Weimar pendant deux ans, s’installa à Berlin en 1882 où il travailla comme correcteur pour les maisons d’édition et se fit connaître comme écrivain. Il s’établit à Munich en 1893, où il mit en scène des drames de Hauptmann et Ibsen. Dans l’Allemagne de Weimar, il côtoya les milieux de l’avant-garde et s’essaya à de nouvelles formes. L’Überbrettl suscita l’intérêt d’Arnold Schönberg dans ses Überbrettl-Lieder mais on peut affirmer que son Pierrot lunaire, créé en 1912 en est l’héritier direct. L’Überbrettl constitua le point de rencontre de Strauss avec le bouillonnement intellectuel des années 1900, puisque Wolzogen fut chargé d’écrire le livret de son second opéra Feuersnot, « Singgedicht » [poème chanté] créé au Hofoper de Dresde en novembre 1901. Wolzogen serait donc à la croisée des chemins entre art savant moderne et divertissement populaire.
26 « Und doch dein Wesen : wandernd, reisehaft, / Schlank, rein, walddunkel, aber o wie süß ! » [Et pourtant ton essence : errante, voyageuse, / Élancée, pure, sombre comme l’est la forêt, mais ô si douce !] Extrait de Stapfen [empreinte] de Conrad Ferdinand Meyer, poème rédigé avant 1865, paru en 1869. C. F. Meyer, Sämtliche Werke, éd. Hans Zeller et Alfred Zäch, Historisch-kritische Ausgabe, Bd. 1. Benteli-Verlag : 1963, p. 210-211.
27 Pour Walter Benjamin, dans L’Œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique, la valeur d’exposition (Ausstellungswert) se substitue à la valeur cultuelle (Kultwert) (ou rituelle) et consacre ainsi le déclin de l’aura.
28 On rencontre chez le jeune Strauss, à l’image de la Symphonie fantastique, ce qu’on pourrait appeler littéralement des chocs rythmiques, des accents irréguliers et abrupts ; ainsi, pour la première réitération du thème de Don Juan (partition de poche, Eulenburg, p. 49 sq.). Strauss puisa probablement un modèle direct dans certains passages de Roméo et Juliette de Tchaïkovski. (NdA)
29 Cette expression anglaise profite au XXIe siècle de la vogue de la littérature de développement personnel. Le go-getter est le battant, le fonceur, la figure individuelle qui cumule les succès professionnels et financiers.
30 « Rationnelle en finalité », dans Économie et société de Max Weber (trad. J. Freund, P. Kamnitzer, P. Bertrand [et al.], Paris, Plon, 1971), désigne la soumission des moyens aux fins selon des critères d’efficacité rationnellement déterminés.
31 Lösung, dans le texte allemand, évoque la résolution de la dissonance par la consonance, en particulier dans les cadences, mais aussi la résolution d’une tension à grande échelle, par le retour au ton principal et au matériel thématique initial, notamment dans la forme-sonate.
32 Selon la Philosophie de la nouvelle musique d’Adorno (trad. H. Hildenbrand et A. Lindenberg, Paris, Gallimard, 1962), la libération de la dissonance voulue par Schönberg se renverse, dans la composition de douze notes, en un contrôle absolu exercé par la composition sur le matériau.
33 À l’exemple d’Isaac Newton, on voudrait par une Weltformel ou Theorie von Allem, « Théorie du tout » expliquer le monde en décelant une cohérence universelle et unificatrice de l’univers dans l’observation d’interactions fondamentales.
34 Les rapports de tierce entre la basse fondamentale de deux accords ne sont pas habituels dans l’harmonie classique, laquelle progresse par quintes ascendantes et surtout descendantes. L’usage de la tierce connaît un premier essor chez Schubert et se généralise chez Liszt. La parenté des tierces permet la suspension des rapports habituels de tonalité, ou bien est employée de telle sorte que l’éloignement d’une tierce soit perçu comme un rapport de tonique à dominante. L’allusion d’Adorno aux cadences renvoie au traité d’harmonie de Rudolf Louis (1870-1914) et Ludwig Thuille (1861-1907), rédigé au début du siècle et sans cesse réédité jusqu’à l’avènement du nazisme. Établi à Munich, Thuille est un ami de jeunesse de Strauss. Synthèse entre les conceptions viennoises (privilégiant la lecture du contrepoint et de la progression des basses fondamentales) et les conceptions saxonnes et riemanniennes de l’harmonie (conception dualiste du rapport entre les fonctions des accords), le traité constitue un premier pas vers une théorie de l’harmonie fondée sur la perception (Harmonielehre, Stuttgart, Griüninger/Klett, s.d. [1907]).
35 Allusion au titre de l’ouvrage théorique d’Arnold Schönberg Structural functions of harmony [Les Fonctions structurelles de l’harmonie] (1re éd. : Londres, Williams and Norgate, 1954).
36 Compositeur et pédagogue autrichien (1868-1935) originaire de Galicie, Henrich Schenker prôna l’analyse et l’évaluation des œuvres musicales par réduction de la trame contrapuntique de l’œuvre entière à une « structure fondamentale » [Ursatz, d’après la traduction proposée par Nicolas Meeùs (Heinrich Schenker : Une introduction. Liège, Mardaga, 1993, 131 p.)].
37 Dans la théorie schenkérienne, la « ligne fondamentale », Urlinie dans la traduction de Nicolas Meeùs, est le pendant mélodique de la « structure fondamentale », à laquelle la conduite des voix de tout un morceau peut être ramenée.
38 Außermusikalisch désigne, depuis l’essai du critique viennois Eduard Hanslick Du beau dans la musique paru pour la première fois en 1854, ce qui n’a pas trait à la seule forme musicale (les « formes sonores en mouvement » dont est fait l’art musical selon Hanslick), mais mêle à la musique des considérations descriptives ou littéraires (Du beau dans la musique : essai de réforme de l’esthétique musicale, trad. C. Bannelier, Paris, Christian Bourgois, 1986).
39 Don Juan, op. cit., p. 112. (NdA)
40 Bernhard Sekles (1872-1934), compositeur, pédagogue et théoricien de la musique, fondateur de la première classe de jazz en Allemagne (1928), a eu pour élève, outre Adorno, entre autres Paul Hindemith. Il fut démis de ses fonctions en 1933 en raison de ses origines juives.
41 Feuersnot, op. 50, littéralement « la détresse du feu », est le deuxième opéra de Richard Strauss. Il fut créé à Dresde en 1901.
42 « Was willst du ? Seht doch, dort ! so seht doch das ! Wie es sich auf bäumt mit geblähtem Hals und nach mir züngelt ! – Qu’est-ce que tu veux ? Regardez donc là-bas ! mais regardez-moi ça ! Comme elle se redresse, allongeant le cou et dardant sa langue contre moi ! » H.v. Hofmannsthal, Électre, Le Chevalier à la rose, Ariane à Naxos, trad. P.-A. Huré et L. Muhleisen, Paris, Garnier-Flammarion, 2002, p. 108-109.
43 Le bref poème de Christian Morgenstern, auteur né à Munich en 1871, mort à Meran (aujourd’hui Merano) en 1914, Philanthropisch : Ein nervöser Mensch auf einer Wiese [Philanthropique : un homme nerveux sur une colline] a été mis en musique par Hanns Eisler en 1917 dans ses Galgenlieder pour voix et piano.
44 C’est manquer grossièrement de style et ignorer l’esprit straussien que montrer d’abord craintivement la scène, sans musique, comme le font nombre de chefs d’orchestre et metteurs en scène dans Salomé, et faire ensuite jouer son trait à la clarinette, un trait qui évoque non seulement le glissement reptilien de la princesse, mais aussi celui du rideau, qui doit être synchrone, tout en restant parfaitement audible (NdA).
45 « Stravinsky et son école préparent la fin du bergsonisme musical en jouant le temps-espace contre le temps-durée. » (Philosophie de la nouvelle musique, p. 197) Le temps-espace est ainsi celui d’un temps mécanique, réifié, le temps-durée, celui d’une « expérience vivante de la musique », en particulier au contact de la forme épique des symphonies de Mahler (Anne Boissière, La Pensée musicale de Theodor W. Adorno. L’Épique et le Temps, Paris, Beauchesne, 2010, p. 127-132).
46 Comme Morgenstern, le metteur en scène Max Reinhardt (1873- 1943) fut aussi une figure de premier plan du cabaret littéraire et satirique allemand au début du XXe siècle.
47 Auflösungsfeld est un terme qui apparaît dans Philosophie de la nouvelle musique (p. 199), dans le sens où, selon Adorno, sont abolies chez Stravinsky les différences entre « champ de tension » [Spannungsfeld] et « champ de détente ». Il nous a semblé préférable ici de traduire Auflösungsfeld par « champ de résolution », qui implique le lien indéfectible à l’harmonie tonale chez Strauss, plutôt que par « champ de détente ».
48 Partition d’étude (Fürstner), p. 339, à partir du chiffre 348. Les partitions d’étude des quatre opéras les plus joués de Strauss, dont il faut noter l’exceptionnelle qualité de la reliure, sont trop peu connues. Tout musicien peut en effet y découvrir l’orchestre de la maturité de Strauss. Les éditions Fürstner en retirent un mérite d’autant plus grand que la révision par Strauss du Traité de l’instrumentation de Berlioz n’ajoute que des remarques éparses à la connaissance de l’art de l’instrumentation proprement dit : elle s’en tient avant tout à la science des instruments. Strauss protégeait ses secrets de production dans un esprit industriel. (NdA)
49 L’influence de Strauss sur la génération de compositeurs qui l’a suivi fut universelle. Elle est aussi sensible chez Stravinsky que chez Berg. À l’instar des cors d’Hérode, qui s’époumonent dans l’aigu (deux mesures après le chiffre 300 de Salome, loc. cit.), certaines octaves inexpressives des bois se révèlent capables d’expression dans un sens négatif, comme si la musique, renonçant devant Hérode, se trouvait paralysée par sa démesure (petite flûte et premier hautbois avant et après le chiffre 355) – cela se retrouve dans le Sacre, malgré une disposition d’ensemble modifiée en profondeur (NdA).
50 Hugo von Hofmannsthal, op. cit., p. 115.
51 Das Marienleben, op. 27 (1922-1923) est un cycle de lieder avec piano de Paul Hindemith, dont il existe une version avec orchestre.
52 Adorno se réfère probablement à une idée, émise notamment par le biographe autorisé de Strauss, le Suisse Willi Schuh (« Zum Tanz der Salome », Straussiana aus vier Jahreszeiten, Tutzing, Schneider, 1981, p. 93), selon laquelle la Danse des sept voiles a été composée après coup : « Strauss avait besoin de forger de nouveaux motifs, des motifs évoquant la danse susceptibles de se mêler aux motifs qu’il possédait déjà. » [Strauss needed to invent new, dance-like motives that would combine effectively with the motives he already had] (Derrick Puffett, Salome, Cambridge University Press, 1989, p. 167)
53 La partition de Salomé porte la date du 20 juin 1905, mais la Danse des sept voiles n’était pas écrite avant le mois d’août. Adorno se réfère peut-être de manière erronée aux souvenirs d’Alma Mahler, qui en général n’apprécie pas beaucoup la personne de Strauss. « Mahler remarque : “n’est-ce pas dangereux de laisser de côté la danse pour l’écrire plus tard, quand on n’est plus dans l’atmosphère de l’œuvre ?” Mais Strauss éclata de rire, insouciant : “Ne vous inquiétez pas ! J’y arriverai !” Mais il n’y est pas arrivé – car la danse est le point faible de la partition, une simple compilation du reste. Mahler fut totalement convaincu. » A. Mahler, Gustav Mahler. Erinnerungen und Briefe, Amsterdam, 1924, p. 111, cité in G. Mahler, R. Strauss, Correspondance 1888-1911, éd. H. Blaukopf, trad. M. Kaltenecker, Arles, B. Coutaz, 1989, p. 180.
54 W. Schuh, Über Opern von Richard Strauss, Zurich, p. 89. (NdA)
55 Hans Makart (1840 – 1884) fut un peintre autrichien, connu comme décorateur d’intérieur, peintre académique et peintre d’histoire. Le nom de Makart est associé à un style de décoration d’intérieur particulièrement chargé, en vogue auprès de la grande bourgeoisie viennoise du Gründerzeit dans les années 1870-1880. La composition de fleurs séchées, de feuilles de palmier et joncs appelée « bouquet Makart » y tient une place particulière. L’atelier de Makart, meublé et décoré selon ce principe, à grand renfort d’antiquités et objets exotiques, fut à partir de 1872 un lieu de festivités où défilaient les personnalités en vue de l’époque (on y vit l’impératrice Élisabeth, Richard et Cosima Wagner, Arnold Böcklin ou encore Franz Liszt). L’influence de Makart sur les artistes de la génération suivante (parmi lesquels Gustav Klimt) n’est en rien négligeable. Le critique Robert Stiassny (1862-1917) parla d’« exaltation de l’objet » (Erhebung des Gegenständlichen) à propos du style de décoration Makart. L’influence du style Makart est identifiable dans l’aménagement de la Villa Wahnfried et l’autonomie de la couleur dans les peintures historiques de Makart suggère un rapprochement avec l’art de Wagner. Nous reportons à l’article de Thomas Grey, « Wagner and the “Makart style” », Cambridge Opera Journal, vol. 25 no 3, novembre 2013, p. 225-260.
56 La revue hebdomadaire illustrée Die Jugend, fondée à Munich par le publiciste et éditeur Georg Hirth (1841 – 1916), lui-même lié à la Sécession munichoise, parut de 1896 à 1940. Cette revue fut conçue selon son fondateur comme le « terrain d’expérimentation de l’art et de la littérature moderne ».
57 L’hebdomadaire satirique Simplicissimus parut de 1896 à 1944. Le siège de la rédaction se trouva à Munich puis à Prague. Klaus Mann critiqua vigoureusement la neutralité politique affichée par ses rédacteurs à l’égard du national-socialisme.
58 Le Heimatkunst, qui aurait pu être traduit ici par « art patriotique » ou « célébration du terroir », correspond pour les intellectuels allemands en exil durant le Troisième Reich à un courant littéraire engagé contre la social-démocratie, le capitalisme, l’industrialisation et les Juifs (Ernst Waldinger, « Von der Heimatkunst und Bodendichtung », The German Quarterly, vol. 13 no 2, mars 1940, p. 83-87).
59 Cette devise est une référence explicite au platonisme et à l’idéalisme. On la trouve au début du premier tome du Cours d’esthétique de Hegel. Dem Wahren, Schönen, Guten est également la devise inscrite sur le fronton de l’Alte Oper de Francfort, ville natale de Theodor W. Adorno.
60 Richard Strauss, Betrachtungen und Erinnerungen, p. 230. (NdA)
61 « Freundliche Vision », d’après un poème d’Otto Julius Bierbaum (1865-1910), est le premier des Cinq lieder op. 48 composés par Richard Strauss en 1900. Une orchestration en a été réalisée en 1918.
62 L’obligation [Verbindlichkeit] est une notion tirée de la philosophie morale de Kant, présentée dans Fondements de la métaphysique des mœurs comme « la nécessité d’une action libre soumise à un impératif catégorique de la raison » (cité par R. Eisler, Kant-Lexikon, trad. fr. A.-D. Balmès et P. Olmo, Paris, Gallimard, 1994, t. 2, p. 763). « Est obligatoire <verbindlich, doté du pouvoir de lier [binden, verbinden]> ce qui est “moralement nécessaire”. » (Ibid., p. 762)
63 « Pose sur la table les résédas parfumés » est l’incise d’un poème de Hermann von Gilm zu Rosenegg (1812-1864) portant le titre d’Allerseelen [Jour des morts], qui fut mis en musique par Strauss en tant qu’opus 10 no 8 de son catalogue entre 1882 et 1883. Une orchestration en a été réalisée en 1940.
64 Ces « nouvelles aspirations à la beauté » sont une citation directe du « programme » esthétique de Stefan George. Walther Müller-Jentsch, dans Die Kunst in der Gesellschaft (Wiesbaden, Springer, 2012, p. 171), cite la préface de la 2e édition de Hymnen – Pilgerfahrt – Algabal (1899) : « Aujourd’hui, puisqu’avec l’essor enthousiaste de la peinture et de l’ornementation chez nous en de nombreux lieux, une nouvelle aspiration à la beauté s’éveille, l’auteur entend répondre à ces désirs grandissants et pouvoir renoncer à la protection que lui offrait son herméticité. Presque entièrement dans la forme où on l’a conquise autrefois – avec de petits aménagements (modifications et compléments) et avec les marque-pages parfois demandés mais dont on peut souvent aussi se passer. »
65 Citation du début du premier acte de l’opéra La Femme sans ombre.
66 La « robe de style » de Jeanne Lanvin voulait renouer avec l’esprit des robes à panier du XVIIIe siècle, par opposition à la verticalité en vogue dans les années 1920.
67 La notion leibnizienne d’harmonie « préétablie » [prästabilierte Harmonie] désigne le principe qui régit, selon une métaphore, l’univers composé par deux horloges apparaissant comme des monades sans fenêtres incapables de communiquer entre elles, mais réglées par Dieu sur la même pulsation, en harmonie l’une avec l’autre.
68 L’esquisse « psychologique » publiée en 1910 sous le nom de Lucidor et soumise par Hofmannsthal à Strauss à la fin des années 1920 entretient un lien très étroit avec Arabella, opéra né de la toute dernière collaboration entre le compositeur et son librettiste, créé le 1er juillet 1933 à Dresde.
69 La « philosophie du comme-si » du néo-kantien Hans Vaihinger (1852-1933) veut fonder un positivisme idéaliste et résulte d’une critique de Kant dans laquelle l’accès au réel n’est possible qu’à partir de constructions fictionnelles. Dans l’ouvrage Philosophie des Als Ob (1911, repr. : Leipzig, Felix Meiner, 1922, p. 14), Vaihinger affirme que « le système de représentation du monde chez l’homme est un tissu monstrueux de fictions, plein de contradictions logiques, c’est-à-dire de fictions scientifiques élaborées à des fins pratiques, voire d’images inadéquates, subjectives, dont la correspondance avec la réalité est exclue d’avance ».
70 L’Allée de la Victoire, ou Siegesallee, traversait le Großer Tiergarten de Berlin dans l’axe Nord-Sud et était longue de 750 mètres. Bordée de 32 sculptures de marbre, elle avait été commandée par l’empereur Guillaume II en 1895 et achevée en 1901. Elle disparut peu après la Seconde Guerre mondiale, suite au déplacement de la Siegessäule, colonne de la Victoire, à l’endommagement des sculptures et à l’érection du mémorial soviétique.
71 Citons-en un seul exemple à la page 65 de la partition de poche. Le thème d’épisode, joué d’abord par le ha-utbois, passe à la clarinette. Ce thème est accompagné, dans un pianissimo aux sonorités d’orgue, par deux flûtes et un basson. La harpe double les sixtes en faux-bourdon dans le registre médium. Elle modifie complétement leur couleur, leur enlève leur raideur sans les épaissir, mais n’attire pas l’attention et évite l’aspect sirupeux, si souvent gênant, des solos de harpe. Les œuvres de Strauss sont un compendium de tels artifices, que chacun doit s’approprier s’il veut composer en le prenant pour modèle. (NdA)
72 Dans l’appendice intitulé « Critique de la philosophie kantienne » du Monde comme volonté et représentation (Folio essais, I, p. 910-913 ; et Insel Verlag, I, p. 680-683), Schopenhauer désigne par ens realissimum – en latin, littéralement, l’« étant le plus réel » – la quintessence, dans la pensée kantienne, de toutes les réalités possibles au sein d’un concept général contenant la réalité en soi. Kant considère ainsi l’antériorité des concepts par rapport aux choses, lesquelles ne seraient que des concepts concrets. Pour Schopenhauer, ce n’est là que Hanswurstiade, « arlequinade philosophique ».
73 Hugo v. Hofmannsthal, op. cit., p. 303.
74 Ibid., p. 301.
75 Friedrich Hölderlin, Sämtliche Werke, vol. III : Hyperion, Stuttgart, Kleine Stuttgarter Ausgabe, éd. F. Beißner, 1958, p. 431 (« Friedensfeier », p. 133 sq.). (NdA)
76 Goethe se réfère à la catégorie de l’absurde dans plusieurs de ses écrits. Parmi les sources les plus éloquentes, citons les Maximes et Réflexions : « L’absurde, présenté avec goût, suscite rejet et admiration. » – « Tout le monde accepte l’absurde et le faux, car il se faufile, mais pas la vérité crue, car elle exclut. » Maximen und Réflexionen §322 et §869, éd. Helmut Koopmann, Munich, C.H. Beck, 2006.
77 L’autoconservation (Selbsterhaltung) se rapporte à un phénomène biologique, en même temps qu’au vocabulaire de la psychanalyse freudienne.