Glossaire
p. 299-305
Extrait
La liste suivante est une tentative de préciser les problèmes de terminologie liés à la traduction. On pourra s’y reporter lorsque j’ai mis le mot allemand entre parenthèse avec un astérisque à défaut d’une traduction pleinement satisfaisante. Les termes allemands présentés ici sont à la fois des mots courants du vocabulaire musical qui posent problème dans tous les textes sur la musique et des notions-clés employées ici pour la description de l’œuvre de Beat Furrer. Ce glossaire éclaire également les différences de mode de pensée liées directement à la langue et qu’aucune traduction ne peut vraiment sauver.
Ton/ Klang/Laut/Schall
A priori, ces quatre mots sont des synonymes ; tous peuvent être traduits en français par « son » ; pourtant, ils sont utilisés en connaissance de cause car on peut aussi les opposer. La clarification terminologique de ces termes fait l’objet du chapitre 1.1 de cet ouvrage et la note 2 est particulièrement éclairante à ce propos (voir p. 21-22).
Ton est le son « simple », la note isolée. Par sa qualité de son musical (avec une hauteur déterminée), il s’oppose à Geräusch, le bruit. Mais sa « simplicité » peut aller très loin. On dit ainsi « ein Sinuston », un son sinusoïdal ; on ne pourrait dire « ein Sinusklang ».
Klang est
1) le son « complexe » (par là il s’oppose à Ton), avec ses partiels, ses harmoniques, et donc sa dimension de timbre. Ainsi, on peut le traduire par sonorité ou timbre, mais il existe aussi un mot spécifique en allemand pour sonorité, Klanglichkeit, et pour timbre, Klangfarbe, littéralement couleur du son.
2) Klang a aussi une qualité de « composé » (vertical), ce qui le rapproche des traductions accord, agrégat, harmonie pour lesquels il existe aussi des équivalents allemands : Akkord, Zusammenklang (un composé de Klang : littéralement ce qui sonne ensemble), Harmonie.
3) Pour la musique contemporaine, le mot Klang est aussi beaucoup plus ouvert que Ton dans la mesure où il n’est pas forcément lié à une hauteur déterminée. Il permet donc de désigner tous les phénomènes sonores qui s’échelonnent entre le son (Ton) et le bruit (Geräusch).
En résumé le mot Klang règne sur un champ sémantique extrêmement large pour lequel il n’y a pas d’équivalent en français. Pour le traduire, il faut donc choisir un mot dont le champ sémantique est plus exigu et dont on pense qu’il est le plus approprié dans un contexte donné. Mais parfois le contexte n’est pas assez clair pour opérer cette réduction dans une direction ou une autre (son ou timbre ou accord) sans craindre de se tromper, surtout s’il s’agit justement d’englober tous les aspects à la fois.
Laut : son proféré par les humains (ou les animaux) ; il est donc réservé à une expression vocale. Le terme recouvre aussi bien les sons articulés de la langue, phonèmes, voyelles, consonnes, que les sons inarticulés de l’expression affective ou physique : rire, geignement, cri, toux, bruits de respiration, etc. En cela il s’oppose à Klang, qui renvoie à une source plus instrumentale, mais aussi à Ton, qui renvoie, dans le cas de la voix, à la voix chantée.
Schall : son en tant que phénomène physique. Lorsqu’on parle en allemand de longueur d’onde, de vitesse de propagation, etc., on utilise Schall. Ainsi les ultrasons sont-ils appelés par exemple Ultraschall.
Klangfarbe (timbre) : composé de Klang et de Farbe (son et couleur), le terme est beaucoup moins indépendant vis-à-vis de l’idée de couleur que ne l’est le timbre en français. Timbre est un terme spécifiquement musical, Klangfarbe sous-entend une dimension métaphorique avec un référent visuel.
Dans le chapitre 1.1, l’auteur esquisse une évolution de cette dimension musicale au cours de l’histoire de la musique. Il parle tout d’abord de coloration (Färbung) ou d’implications colorées (farbliche Implikationen) spécifiques aux instruments, plus tard de timbre (Klangfarbe) lorsque le traitement de cette qualité devient un facteur autonome dans la composition.
Geräuschklang : terme très employé. Il est composé de Geräusch, bruit et de Klang. Il désigne un son mixte unissant une part de hauteur déterminée et une part importante de bruit. Je l’ai traduit par son-bruit ou son bruité.
Fast tonloser Klang – tonloser Klang : ces termes qui reviennent à maintes reprises dans ce livre renvoient à la troisième définition de Klang ; ils désignent un phénomène sonore (Klang) presque sans son (fast tonlos) ou sans son (tonlos), c’est-à-dire dé-sonorisé, sourd, assourdi, étouffé. Il ne reste donc presque plus que la composante bruit et pratiquement plus de son au sens traditionnel du terme de vibration avec une hauteur déterminée (comme le murmure – dévoisé – par rapport à la voix normale, ou la consonne par rapport à la voyelle). Le mot « sourd » employé en linguistique comme opposé à sonore me semble rendre assez bien cette suppression de la vibration harmonique dans la manifestation sonore. C’est dans ce sens que je l’emploie en particulier dans le chapitre 4.4.
Verstummen : ce mot est un verbe substantivé construit à partir de l’adjectif stumm : muet. Le verbe verstummen signifie devenir muet ; il y a donc une dynamique allant vers le mutisme et même sous sa forme substantivée, il ne s’agit pas d’un état, ce que l’on ne peut pas vraiment rendre en français. Cela concerne tout particulièrement le chapitre 4.
leise vs laut : ces deux adjectifs correspondent aux indications italiennes de nuances piano vs forte et désignent donc des degrés d’intensité (le mot intensité, qu’emploie par exemple Messiaen dans Modes de valeurs et d’intensités, étant déjà un terme peu clair en soi). Si on n’éprouve guère de difficulté à traduire laut par fort, leise est beaucoup plus problématique : fort s’oppose à faible, mais quand on ne joue, parle ou chante pas fort, on joue, parle et chante plutôt doucement. Le problème est donc double. En français, nous avons un adverbe mais pas vraiment d’adjectif adapté ; de plus, il est toujours tendancieux et non neutre comme le leise allemand. Dans ce livre, le problème se pose de manière virulente au chapitre 2.2 où Furrer est qualifié de « Komponist des Leisen » ; l’adjectif leise est ici substantivé : compositeur de la faiblesse ? de la douceur ? de la musique faible ? de la musique douce ? de la faible intensité ? Rien n’est vraiment satisfaisant… Je me suis rabattue à défaut sur pianissimo ou retenue, beaucoup utilisé aussi en allemand, ainsi que sur demi-teinte, qui est une métaphore.
still : cet adjectif possède également un champ sémantique plus vaste que ses éventuelles traductions. Il signifie à la fois calme et paisible, mais peut aussi vouloir dire silencieux, sans que ce soit forcément le cas ; il est typiquement employé pour décrire une atmosphère nocturne. Appliqué à une personne, il désigne quelqu’un de calme, discret, pas très bavard et plutôt introverti. Le mot revient régulièrement, tant pour qualifier le compositeur que certains passages de sa musique, et il a aussi été choisi par Furrer comme titre de l’une de ses œuvres (voir en particulier p. 194-195). Le dernier paragraphe du chapitre 5.2.3 donne plusieurs interprétations de ce titre.
Klangereignis : Ereignis signifie événement au sens très neutre de quelque chose qui arrive, qui se produit (première acception du mot), et non d’un fait exceptionnel ou marquant (deuxième acception). Dans cet ouvrage, le terme d’événement sonore (Klangereignis) est employé pour désigner essentiellement des faits musicaux ponctuels par opposition à d’autres structures s’inscrivant davantage dans la durée. Il m’est aussi arrivé de le traduire par phénomène, par motif, ou par figure, ces termes étant parfois utilisés pour désigner les mêmes objets musicaux.
Prozess/prozesshaft/Prozesshaftigkeit/Prozessualität : à partir du mot Prozess, processus, l’allemand construit un adjectif, prozesshaft, à la manière d’un processus, et deux substantifs, Prozesshaftigkeit/Prozessualität (ce dernier étant d’ailleurs un néologisme) signifiant la qualité d’avoir la nature d’un processus. Tous ces dérivés n’existant pas en français, alors qu’ils sont essentiels dans la démarche de l’auteur, j’ai pris le parti des néologismes : processus, processuel, processualité.
Übermalung : littéralement, ce substantif signifie peindre par dessus, mais il va bien plus loin que la retouche, c’est un repeint en superposition globale. J’ai décidé de le traduire par recouvrement en perdant la métaphore de la peinture. Il se rapproche aussi de cette autre métaphore qu’aurait été palimpseste, un terme que Daniel Ender utilise d’ailleurs une fois pour décrire le même phénomène. Übermalung fait partie du titre d’une œuvre (voir chapitre 4.4.1) et c’est une notion-clé dans le chapitre 5.5, p. 219. Dans la note 70, le compositeur parle aussi de lasure, qui garde comme palimpseste l’idée de transparence.
verdichten vs ausdünnen ; Verdichtung vs Ausdünnung (substantifs correspondants) :
Dicht signifie dense, verdichten signifie donc densifier et Verdichtung, densification. Ces mots sont utilisés pour l’écriture dans le sens vertical (augmentation du nombre de voix) et horizontal (augmentation du nombre de sons dans un temps donné, ou utilisation de valeurs de notes plus courtes).
Ces termes sont moins difficiles à traduire que leurs contraires, les dérivés de dünn, qui veut dire mince, maigre. Ausdünnen signifie donc dans le contexte de l’écriture amincir, éclaircir, élaguer, peu satisfaisants ; rendre plus transparent en enlevant de la matière pourrait être une périphrase qui rend compte véritablement du sens de ce mot. Je l’ai généralement traduit par (se) raréfier (chapitre 3.2.4 en particulier).
Seufzerfiguren/Seufzermotive : figures ou motifs de soupirs. Ce terme, employé à plusieurs reprises pour décrire certains petits éléments caractéristiques de la musique de Furrer, fait référence à une figure de la rhétorique musicale baroque qui était aussi connue sous son nom latin de suspiratio. Il désigne des mouvements mélodiques au demi-ton (surtout descendants) sur deux notes liées généralement en decrescendo.
fremd / Fremdheit / Entfremdung
L’adjectif fremd couvre en allemand deux significations réparties en français sur deux mots : étrange et étranger. Le substantif dérivé, Fremdheit, ne signifie donc pas seulement étrangeté, mais aussi manque de familiarité, de points communs, distance, différence, dissemblance, altérité, incompatibilité. Quant à Entfremdung, c’est un terme complexe qui peut relever de la sociologie, de la psychologie, de la pensée politique, etc., et qui signifie éloignement par rapport aux autres et à soi-même, une désaffection qui contient des traits d’aliénation, un désinvestissement affectif, le détachement, l’aliénation (voir en particulier p. 201 et 269).
Raum : le terme est particulièrement important pour la description des dispositions spatiales caractéristiques de la pièce Fama (voir surtout p. 251-252 et de manière générale les chapitres 6.3.2 et 6.3.4 p. 260-261). Raum signifie à la fois espace, pièce, chambre, salle, local et je ne l’ai donc pas toujours traduit par le même mot. Il se décline en une série de dérivés et synonymes tels que Box (boîte), Echokammer (chambre d’écho), Hallraum (espace de résonance), Hörraum (espace d’écoute), Klangraum (espace sonore), Raumklang (sonorité de l’espace ou acoustique de la salle), Außenraum vs Innenraum (espace extérieur ≠ intérieur).
Fortschreibungen, Fortschreitungen
Il y a un jeu d’assonances dans ce titre qu’on ne peut rendre en français ; mais même au-delà de ce problème, les mots sont difficiles à traduire (du moins le premier). Schreiben signifie écrire, le préfixe fort transportant l’idée de prolongation. Fortschreiben signifie continuer à écrire ou écrire une suite ; Fortschreibung est le substantif correspondant, ici au plurie : prolongations de l’écriture.
Schreiten signifie marcher, avancer ; fortschreiten continuer à avancer ou à marcher, progresser. Fortschreitungen : progressions. Il existe aussi Fortschritt, le progrès.
Satz : ce substantif correspond au verbe setzen (poser) et a au moins deux significations en musique. Premièrement, il signifie composition dans un sens dynamique, avec toutes les implications verticales et horizontales de l’agencement du matériau musical ; je l’ai souvent traduit par écriture. Satz est aussi le résultat de la composition ou de l’écriture. Deuxièmement, Satz signifie un mouvement en tant que grande partie indépendante au sein d’une œuvre qui en comporte plusieurs.
Musiktheater : voir note 69 p. 144. Très employé en allemand par les compositeurs contemporains pour désigner leurs œuvres scéniques, le terme est une manifestation extérieure de la distance esthétique vis-à-vis des concepts traditionnels d’opéra qu’ils veulent souligner. Il n’est pas difficile de le traduire par œuvre ou pièce de théâtre musical ; mais le fait d’utiliser quatre mots au lieu d’un seul est lourd, si bien qu’il est souvent rendu par œuvre, pièce ou, malgré tout… opéra.
Hörtheater : le terme est employé en guise de classification de genre par le compositeur pour sa pièce Fama, qui n’est donc ni un opéra ni même un Musiktheater. Hörtheater met en valeur la focalisation sur l’écoute (Hören). Deux remarques encore : Hörspiel est littéralement un « jeu de l’écoute » qu’on appelle en français pièce radiophonique ; Hörtheater s’en distingue par sa dimension scénique ; Daniel Ender souligne en outre dans la note 37 (voir p. 253) le lien avec le Prometeo de Luigi Nono, qualifié de « tragedia dell’ascolto », ce qui m’a amenée à traduire Hörtheater par « théâtre de l’écoute ».
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