Correspondance1
Schoenberg-Kandinsky
p. 9-73
Note de l’éditeur
Cette correspondance a été rééditée avec des modifications substantielles dans l’ouvrage « Schoenberg-Busoni, Schoenberg-Kandinsky, Correspondances, textes» (Contrechamps, 1995). C’est cette dernière version qui doit être utilisée comme référence.
Texte intégral
1W. Kandinsky
2Ainmillerstr. 36, I
3Munich
418.1.1911
5Cher Professeur !
6Pardonnez-moi, je vous prie, si je vous écris, sans avoir le plaisir de vous connaître personnellement. Je viens d’assister à votre concert ici, et j’ai eu une joie réelle à l’écouter. Vous ne me connaissez certainement pas, je veux dire mes travaux bien sûr, car j’expose très peu, et à Vienne je n’ai exposé qu’une seule fois brièvement il y a déjà quelques années (Sécession). Mais nos aspirations1 et notre façon de penser et de sentir ont tant en commun que je me permets de vous exprimer ma sympathie.
7Vous avez réalisé dans vos œuvres ce dont j’avais, dans une forme à vrai dire imprécise, un si grand désir en musique. Le destin spécifique, le cheminement autonome, la vie propre enfin des voix individuelles dans vos compositions sont justement ce que moi aussi je recherche sous une forme picturale. Actuellement, une des grandes tendances en peinture est de chercher la « nouvelle » harmonie, par des voies constructives, où le rythme [das Rhythmische] est à bâtir à partir d’une forme presque géométrique. Cette voie, je n’y aspire et ne sympathise avec elle qu’à demi. La construction, voilà ce qui manquait si désespérément à la peinture ces derniers temps. Et il est bon qu’on la recherche. Seulement, c’est la manière de construire que je conçois différemment.
8Je crois justement qu’on ne peut trouver notre harmonie d’aujourd’hui par des voies « géométriques », mais au contraire, par l’antigéométrique, l’antilogique le plus absolu. Et cette voie est celle des « dissonances dans l’art » — en peinture comme en musique. Et la dissonance picturale et musicale « d’aujourd’hui » n’est rien d’autre que la consonance de « demain ». (Il ne faut bien entendu pas exclure a priori par-là la soi-disant « harmonie » académique : on prend ce dont on a besoin sans se préoccuper de savoir où on le prend. Et « aujourd’hui » justement, au temps de l’avènement du « libéralisme », les possibilités sont si nombreuses !)
9J’ai été infiniment heureux de retrouver chez vous les mêmes pensées. Je ne regrette qu’une chose : je n’ai pas compris les 2 dernières phrases dans votre programme (affiche). Malgré des efforts répétés, je n’ai pu arriver à une explication tout à fait exacte.
10Je me permets de vous envoyer un dossier de mes travaux (les gravures sur bois ont presque 3 ans) et j’ajoute à cette lettre quelques photographies de tableaux assez récents. Je n’en ai pas encore des tout derniers. Je serais très heureux si cela pouvait vous intéresser.
11Avec toute ma sympathie et ma sincère considération.
12Kandinsky.
13Arnold Schoenberg
14Vienne XIII
15Hietzinger Hauptstrasse 113
1624.1.1911
17Cher Monsieur, je vous remercie très cordialement pour votre lettre. J’ai eu un énorme plaisir à la lire. Il est provisoirement refusé à mes œuvres de gagner la faveur des masses ; elles n’en atteindront que plus facilement les individus. Ces individus de grande valeur qui seuls comptent pour moi. C’est une très grande joie pour moi que ce soit un artiste pratiquant un art différent qui trouve des correspondance avec moi. Il y a sûrement, entre les meilleurs de ceux qui cherchent aujourd’hui, telle relation inconnue, tel point commun, qui ne sont certes pas le fait du hasard. Je suis fier de recevoir de tels témoignages de sympathie, et que ce soit souvent des meilleurs d’entre eux.
18Mais avant tout : mes plus sincères remerciements pour vos gravures. L’ensemble m’a énormément plu. Je comprends cela parfaitement et suis sûr que nous nous rencontrons sur les points les plus importants. Par exemple, ce que vous appelez l’« Illogique », et que j’appelle l’« Elimination de la volonté consciente dans l’art ». Egalement, je crois, ce que vous dites sur l’élément constructif. Toute recherche tendant à produire un effet traditionnel reste plus ou moins marqué par l’intervention de la conscience. Mais l’art appartient à l’inconscient ! C’est soi-même que l’on doit exprimer ! S’exprimer directement ! Non pas exprimer son goût, son éducation, son intelligence, ce que l’on sait, ou ce que l’on sait faire. Aucune de ces qualités acquises ; mais les qualités innées, instinctives. Tout travail — tout travail conscient sur la forme repose sur un principe mathématique, géométrique, sur la section d’or ou quoi que ce soit d’analogue. Seule l’élaboration inconsciente de la forme, qui se traduit par l’équation : « forme = manifestion de la forme », permet de créer de véritables formes ; elle seule engendre ces modèles dont les gens sans originalité font des « formules » en les imitant. Mais si l’on est capable de s’entendre soi-même, de reconnaître ses pulsions, d’engager tout son être, y compris son être pensant pour approfondir un problème, on n’a pas besoin de telles béquilles. Il n’est pas nécessaire d’être un pionnier si l’on veut travailler ainsi, seulement un homme qui se prend au sérieux. Et qui de ce fait prend au sérieux ce qui est la véritable tâche de l’humanité dans chaque domaine artistique : reconnaître, et exprimer ce que l’on a reconnu ! C’est ma conviction profonde !
19Je vous remercie encore une fois pour les gravures. Comme je vous l’ai dit : elles m’ont énormément plu. Je comprends pour l’instant moins bien les photographies. Il faudrait les voir en couleur. C’est pour cela que j’hésite à vous envoyer des photographies de mes peintures. Peut-être ne savez-vous pas que je peins aussi ? Tout dépend pour moi tellement de la couleur (pas de la « jolie » couleur, mais de la couleur expressive, expressive dans son rapport avec les autres), que je ne sais pas ce qu’on peut retirer d’une reproduction. Certains de mes amis croient que c’est utile, mais je n’en suis pas sûr. Toutefois, si cela vous intéresse, je vous en enverrai quelques unes. Bien que ma manière de peindre soit très différente de la vôtre, vous trouverez sûrement des points communs. J’en vois du moins quelques uns dans les photographies. Avant tout, le fait que vous soyez très peu figuratif. Je ne crois pas non plus que la peinture doive absolument être figurative. Je pense même exactement le contraire. Si, malgré cela, notre imagination nous suggère des objets alors je ne m’y oppose pas. Cela peut bien venir du fait que les yeux ne s’attachent qu’à ce qui est concret. C’est là que l’oreille est supérieure ! Mais si l’artiste parvient a n’exprimer, au moyen des rythmes et des valeurs sonores, que des processus intérieurs, des images intérieures, alors l’« objet de la peinture » cesse d’être la simple reproduction de ce que les yeux perçoivent. Je suis désolé de ne pas avoir été à Munich ; peut-être aurais-je pu y faire votre connaissance. Quoi qu’il en soit, cela arrivera bien une fois, soit que j’aille à Munich, soit que vous veniez à Vienne. Je pense que nous avons beaucoup à nous dire. Je me réjouis de vous rencontrer et espère avoir bientôt de vos nouvelles. D’ici-là, je vous envoie mes très cordiales salutations.
20Arnold Schoenberg
21Juste : je n’ai pas l’affiche sous la main, et je n’arrive pas à la trouver. C’est pourquoi je ne sais pas de quelle phrase il s’agit. — Ces phrases ont été placées par l’agence de concert Gutman sans que je le sache. Une telle publicité m’est désagréable, je ne la désire pas. Mais je ne pouvais plus rien faire là-contre, sinon des reproches à l’agence. Ce que je n’aurais même pas eu le droit de faire car cette soirée était entièrement organisée à ses frais (ce dont je lui suis par ailleurs très reconnaissant). Je n’avais donc aucune influence là-dessus.
22Les phrases sont extraites d’un article intitulé « Chapitre de mon traité d’harmonie » (paru dans le numéro d’octobre de la revue « Musik »)2.
23Sch.
24W. Kandinsky
25Murnau
26Haute-Bavière
2726.1.11
28Cher professeur !
29Votre lettre m’a fait grand plaisir. Je vous en remercie sincèrement et je me réjouis de vous connaître personnellement. J’ai souvent réfléchi à toutes sortes de problèmes en long et en large (par exemple le travail conscient-inconscient). Je suis au fond d’accord avec votre façon de voir, c’est-à-dire qu’une fois qu’on est au travail, aucune pensée ne devrait intervenir, mais seule la « voix » intérieure devrait parler et nous guider. Mais jusqu’à présent, le peintre n’a précisément que trop peu pensé. Son travail n’a été pour lui qu’une sorte d’exercice d’« équilibriste » des couleurs. Le peintre doit cependant se familiariser avec tous les éléments dont il dispose (justement pour pouvoir s’exprimer), et exercer sa sensibilité jusqu’à ce qu’il connaisse la différence qu’il y a entre = et λ, et que son âme frémisse !
30C’est là le savoir intérieur. On peut alors aussi bâtir, construire, et ce qui en résulte n’est pas de la géométrie —, mais de l’art. Je suis très heureux que vous parliez de « reconnaissance de soi ». Ce sont là les racines de l’art « nouveau », de l’art en général, qui n’est jamais nouveau, mais qui doit entrer seulement dans une nouvelle phase — « aujourd’hui » !
31Je serais très heureux, si vous m’envoyiez quelques photos. Et je suis sûr de m’y retrouver, même sans couleurs. Une telle photo est en quelque sorte comme une réduction pour piano. Je vous remercie par avance de cet envoi.
32Je veux encore vous parler d’une question qui me tient très à cœur. Bientôt commencera en Russie le 2e « salon » itinérant. Il s’agit d’une exposition internationale qui passera par les principales villes de Russie, et qui est consacrée à l’art « nouveau ». L’organisateur, M. Εv. v. Isdebsky, sculpteur, est un de mes bons amis3. Il m’a prié, comme d’habitude, de l’aider dans son entreprise, et aussi de lui recommander des articles sur l’art (de quelque nature qu’il soit, donc aussi la musique) qui soient particulièrement bons et intéressants, ou de lui indiquer des auteurs compétents. J’ai reçu hier sa lettre et je lui ai immédiatement écrit à votre propos. Le temps presse, c’est pourquoi je me suis permis de commander quelques exemplaires de la revue « Musik », afin d’en envoyer un directement à Isdebsky. Si, pour une raison ou une autre, vous désirez qu’il ne soit pas publié, je vous prie de m’écrire tout de suite, afin que je puisse encore empêcher sa traduction. Mais j’espère vivement que vous n’allez pas nous refuser votre autorisation. Le catalogue devrait devenir une sorte de revue d’art, et sera lu avec grand intérêt par de nombreuses personnes. L’entreprise est vraiment digne d’être soutenue. C’est toujours une très grande joie pour moi lorsque des artistes de différents pays travaillent à une réalisation commune. Un tel dédain des frontières politiques ne peut qu’avoir de bonnes conséquences, et portera encore de nombreux fruits.
33Avec toute ma sympathie et ma haute considération.
34Kandinsky.
35Je suis actuellement à la campagne, mais dans deux jours de retour à Munich.
36W. Kandinsky
37Ainmillerstr. 36,I
38Munich
396.2.11
40Cher Professeur !
41Tous mes remerciements pour votre envoi. Je regrette beaucoup de devoir vous rendre l’album. Mais vous me permettrez peut-être de le garder 10 à 15 jours chez moi ? Je suis vraiment enthousiasmé par vos peintures : elles trouvent leur source dans une nécessité naturelle et une sensibilité délicate. Je pressens depuis longtemps que notre époque, plus grande qu’on veut bien le dire, n’apportera pas qu’une mais de nombreuses possibilités. Dans un écrit — qui a suscité l’intérêt de plus d’une personne, mais dont aucun éditeur n’a encore voulu4 — je dis entre autre que les possibilités peuvent devenir si riches en peinture, que celle-ci touchera non seulement aux limites les plus extrêmes, mais qu’elle les dépassera presque. Et ces limites (ces 2 pôles) tellement éloignées l’une de l’autre sont : l’abstraction totale et le réalisme à l’état pur [reinste Realistik], Je tends, pour ma part, de plus en plus vers la première. La seconde est néanmoins également la bienvenue. Et j’attends avec impatience qu’elle se manifeste. Je pense que c’est imminent ! C’est précisément le réel que je ressens si fortement dans vos peintures. Ce réalisme [Realistik] ne ressemble naturellement en aucune façon à celui que nous avons désormais dépassé. Il lui est même opposé dans son essence : là nous avions res = but, ici res = moyen. Mais le moyen a-t-il une quelconque importance s’il ne fait que conduire au but ? Je pense de nouveau à vos octaves parallèles « interdites ». Pour nous les peintres, c’est justement la « res » qui est interdite, c’est pourquoi je me réjouis lorsqu’elle apparaît. Cette tendance humaine à la pétrification de la forme est effrayante et même tragique. Hier, on anéantissait ceux qui produisaient cette nouvelle forme. Aujourd’hui, cette forme = une loi inébranlable pour tous les temps. C’est tragique, car cela montre encore et toujours combien les hommes tiennent avant tout aux apparences. J’ai souvent réfléchi à cette question et j’y ai même trouvé du réconfort. Pourtant, parfois, ma patience est à bout.
42Est-ce que vous exposez vos tableaux ? Auriez-vous éventuellement quelque-chose pour le « salon » russe dont je vous avais parlé et pour lequel je vous avais demandé un article. Je l’ai traduit moi-même, car malgré le manque de temps, je voulais me familiariser avec son contenu. Il me plaît énormément. Et je suis très heureux d’avoir fait votre connaissance, même si ce n’est que par lettre. Ma femme, Gabriele Münter5, a également beaucoup de plaisir à voir vos tableaux et à lire vos lettres. Il y a incontestablement dans ses peintures des points communs avec vous. Un jour je vous en enverrai. Il y a également là quelque chose qui tient du réalisme [Realistik] bien compris, même si cela est très différent de ce que vous faites.
43Avec mes salutations les plus cordiales et ma vive sympathie.
44Kandinsky.
45Munich
469.4.11
47Cher Professeur !
48C’est avec un plaisir tout particulier que je vous envoie ma photo. Voudriez-vous me faire la joie de m’envoyer la vôtre ?
49Je vous envie beaucoup ! Votre Traité d’Harmonie est déjà sous presse. Les musiciens ont vraiment de la chance (toutes proportions gardées !) de pratiquer un art qui est parvenu si loin. Un art vraiment, qui peut déjà renoncer complètement à toute fonction purement pratique. Combien de temps la peinture devra-t-elle encore attendre ce moment ? Elle aussi a le droit (= le devoir) d’y arriver : la couleur, la ligne en soi et pour soi — quelle force et quelle beauté illimitées possèdent ces moyens picturaux. Et pourtant, on peut déjà clairement distinguer le début de ce chemin. Nous avons maintenant aussi le droit de rêver d’un « Traité d’Harmonie ». J’en rêve déjà et j’espère poser au moins les premiers principes de ce grand livre à venir. Peut-être un autre est-il en train de faire la même chose. Tant mieux ! Qu’il en fasse le plus possible. Je prends aussi le temps d’étudier un peu la théorie musicale (naturellement seulement de l’extérieur et superficiellement : pour un examen plus approfondi, mes forces ne suffiraient pas) afin de savoir à peu près comment elle est construite. Si l’on a à peu près compris comment est construite la cathédrale Saint-Etienne de Vienne, on est peut-être à même de bricoler maladroitement bout à bout les morceaux d’une petite cabane.
50Je vous souhaite de tout cœur beaucoup de succès dans votre travail et j’attendrai patiemment la longue réponse que vous me promettez.
51Avec mes très amicales salutations
52Votre dévoué Kandinsky.
53Comme le temps presse, je me suis permis de traduire et de donner à imprimer votre article de la revue « Musik » sans l’autorisation de « Uni[versal] Edition ». Sinon il aurait fallu reporter d’une année cette publication indispensable.
54Murnau
5525.8.11
56Cher Monsieur Schoenberg !
57Je me réjouis d’avoir enfin le plaisir de vous rencontrer. Je viens d’arriver de Munich et j’ai trouvé ici votre lettre. Pourriez-vous venir nous voir dimanche ? Vous partez de Berg — avec le bateau à vapeur — à 2 h 10 (en service les dimanches et les jours fériés), vous arrivez à Tutzing à 2 h 45, là vous montez dans le train direct (qui part de Tutzing à 3 h 00) et vous arrivez à 3 h 46 à la gare de Murnau où je viendrai vous chercher. Nous passons la journée ensemble, vous logez ici pour la nuit et le lendemain matin (naturellement !! si vous en avez envie) nous irons à pied jusqu’à Sindelsdorf dans la région du Kochelsee où vit mon cher ami Franz Marc (peintre) et sa femme. Ils témoignent de beaucoup d’intérêt pour vous et seraient très heureux de faire votre connaissance6. Si vous le désirez vous pourrez être de retour chez vous lundi soir. Sinon, nous passerons tous la nuit à Sindelsdorf. La semaine suivante je pourrais venir à mon tour chez vous ; j’aimerais bien que nous nous rencontrions au moins deux fois.
58Si mon plan vous convient, je viendrai alors vous chercher dimanche à la gare. Sinon, vous pourriez peut-être me télégraphier : il reste trop peu de temps pour une lettre. Si vous ne connaissez pas encore Murnau, vous aurez beaucoup de plaisir.
59Avec mes cordiales salutations, et aussi celles de Mlle Münter.
60Kandinsky.
61Berg am Starnberger See
62Chez Madame Widl
6326.8.1911
64Cher Monsieur Kandinsky, je vous remercie cordialement pour votre invitation. Mais je ne pourrai malheureusement pas venir chez vous ce dimanche, car il m’est en ce moment impossible de m’éloigner trop longtemps de mon travail. De plus, comme ma femme ne va pas très bien, je peux difficilement m’absenter. C’est pourquoi je serais heureux que vous nous rendiez visite la semaine prochaine comme vous l’annoncez. Dans une semaine, j’aurai terminé mon travail, et je trouverai alors certainement le temps de passer vous voir. Faites-moi savoir s’il vous plaît dès que possible la date de votre arrivée, afin que je puisse m’organiser. Je dois aussi aller à Munich cette semaine, et si je sais suffisamment tôt quand vous venez, je peux facilement m’arranger. Je me réjouis déjà beaucoup de faire votre connaissance et vous envoie mes cordiales salutations.
65Votre Arnold Schoenberg.
66Murnau
67Dimanche [environ le 29.8.1911]
68Cher Professeur !
69Hier j’ai reçu le télégramme et aujourd’hui la lettre. Merci beaucoup ! Après longue réflexion, je me suis tout de même décidé à venir chez vous après demain (mardi). Il m’est très difficile de choisir un autre jour cette semaine. Et je suis trop impatient pour attendre jusqu’à la semaine prochaine. Nous avions justement déjà convenu avec Marc d’aller chez lui lundi. Je peux donc partir mardi de là, et j’arriverai avec le bateau à 11 h 40 au château de Berg. J’aurai du temps jusqu’à 5 h 35.
70Si d’une manière ou d’une autre cela ne vous convenait pas, télégraphiez-moi s.v.p. Adresse : Marc, Sindelsdorf. Si demain je ne reçois aucun télégramme là-bas, je partirai sans autre après demain.
71Cordiales salutations,
72Votre Kandinsky.
73Murnau
747.9.11
75Cher Monsieur Schoenberg !
76Je vous remercie beaucoup pour la lettre. Hier j’en ai aussi justement reçu une de Marc. Il me demande quand est-ce que je vous attends et me prie, si possible, de repousser à la semaine prochaine notre rencontre commune, car il ne pourrait que très difficilement venir cette semaine. Pour la commodité de chacun, nous vous proposons de venir mercredi prochain (aussi tôt que possible !) et, si ce jour vous convient, les Marc viendront également chez nous. Dès que j’ai votre réponse, je la communique à Marc. — Les deux exemplaires du « Merker »7 viennent d’arriver. Merci beaucoup. Je vais maintenant les étudier.
77Mes hommages à Madame votre épouse et cordiales salutations.
78Votre Kandinsky
79Nous vous attendons bien sûr tous les deux !
80Départ de Berg à 7 h 50, arrivée à Tutzing à 8 h 10.
81Départ de Tutzing à 8 h 41, arrivée à Murnau à 10 h 00.
82Berg am Starnberger See
8310.9.1911
84Cher Monsieur Kandinsky, espèrons que rien n’arrivera entre-temps. Je viendrai chez vous mercredi, comme vous le proposez. En cas d’imprévu, je télégraphierai et viendrai alors jeudi. Mais je crois que cela va aller. Ma femme viendra probablement avec moi, et comme moi elle se réjouit de vous voir. D’ici-là, cordiales salutations.
85Votre Arnold Schoenberg
86Je pars de Leoni à 7 h 50
87arrivée à Tutzing 8 h 10
88départ à Tutzing 8 h 41
89arrivée à Murnau 10 h 00
90Cette fois-ci, je ne vais pas chez Strauss !8
91Berg am Starnberger See
9211.9.1911
93Cher Monsieur Kandinsky, je ne pourrai finalement pas venir mercredi. J’ai oublié quelque chose dont je vous parlerai de vive voix. — En revanche, je viendrai certainement le jeudi 14, sauf contre-ordre de votre part. Peut-être pourriez-vous de toute façon m’écrire. Je puis également venir vendredi ou samedi, éventuellement dimanche aussi.
94Il faut encore que je vous demande quelque chose. Pouvez-vous me recommander un médecin (éventuellement un spécialiste), pour l’affaire suivante. Ma fille a depuis quelques temps une maladie de la peau aux pieds ; plaies ouvertes et purulentes. Nous avons tout lieu de penser que c’est une question de constitution liée à la sous-alimentation et à l’anémie.
95A vrai dire, j’aimerais que ce soit un médecin expert qui n’exige pas des sommes colossales. Je ne suis pas un homme riche. Au contraire, — je suis un musicien, et de qualité ! C’est pourquoi je ne peux en aucun cas payer les honoraires que messieurs les « Professeurs » exigent des étrangers ou des riches du pays. Pour cette raison, si vous connaissez un médecin à Munich auquel vous pouvez dans la mesure du possible me recommander, j’aimerais qu’il me fasse un « prix d’artiste », pour ainsi dire.
96Je vous serais reconnaissant de bien vouloir m’écrire tout de suite à ce sujet.
97D’ici-là : au revoir ; avec toutes mes cordiales salutations.
98Votre Arnold Schoenberg
9918.9.11
100Cher Monsieur Schoenberg !
101Je dois être à Munich mercredi ou jeudi et j’y resterai sans doute 2 à 3 jours. Je vous téléphonerai mercredi à 11 h, afin que nous nous donnions rendez-vous. Votre visite nous a fait à tous une très grande joie. Recevez mes très cordiales salutations et veuillez présenter mes hommages à madame votre épouse.
102Votre Kandinsky
103[certainement le mardi 21 septembre 1911]
104Cher Monsieur Schoenberg !
105Notre adresse à Munich est la suivante : Ainmillerstr. 36.1. Gh [Gartenhaus = Pavillon]. Je vous avais promis de vous la communiquer, et cela m’est tout à coup revenu à l’esprit. Nous partons demain soir pour Munich et nous y restons jusqu’à lundi ou mardi peut-être.
106Je vous téléphonerai demain à 11 h.
107Cordiales salutations.
108Votre Kandinsky
109Murnau
110[probablement fin septembre 1911]
111Cher Monsieur Schoenberg,
112cela fait 3 jours que nous travaillons au « Cavalier Bleu », et nous pensons à nouveau combien il serait agréable, si nous pouvions nous retrouver tous ensemble — ne serait-ce que brièvement. Et nous vous saluons cordialement.
113Maria Marc Aug. Macke
114Elisabeth Macke9
115[écriture de Münter] : si seulement nous pouvions être ensemble — brièvement, ou mieux : longuement !
116Cordiales salutations, G. Münter
117Kandinsky
118[écriture de Münter]
119Munich le 27.9.11
120Cher Monsieur Schoenberg !
121Voici le souvenir. S’il vous plaît, seriez-vous assez aimable de faire en sorte que l’article de l’almanach musical en question arrive le plus tôt possible dans les mains de Kandinsky — et tout ce que vous avez d’autre part écrit de bon.10 Vous nous rendriez aussi un grand service si vous pouviez envoyer directement des reproductions (photos ou clichés) de Kokoschka11, lequel est aussi à Berlin. A défaut, son adresse, pour que nous puissions le joindre directement. La cavalerie bleue donne la charge. Une montagne de travail. On devrait bientôt commencer l’impression, aidez-nous ! Chargez avec nous, pour que nous atteignons notre but.
122Nous attendons impatiemment l’article et les illustrations.
123Et comment allez-vous, vous et les vôtres, à Berlin ? Vous pardonnerez j’espère si Kandinsky ne peut vous écrire aujourd’hui. Je dois moi aussi écrire maintenant à Monsieur Berg pour vos tableaux.
124Voilà — je dois me dépêcher. Amitiés à vous deux ainsi que des Marc.
125Votre dévouée
126Gabriele Münter
127Munich
1287.10.11
129Cher Monsieur Schoenberg !
130Avez-vous senti aujourd’hui (aujourd’hui particulièrement), qu’ici on a beaucoup parlé de vous et de votre musique ?
131Merci beaucoup pour l’almanach (aujourd’hui, j’ai reçu le deuxième exemplaire de la maison d’édition elle-même).
132Ferez-vous encore cadeau de quelque chose au « Cavalier Bleu » ? Le début de « Unterricht »2 est vraiment incroyable : chaque phrase est comme un coup de pistolet. Boum ! Boum ! Boum ! On en voudrait encore plus. Et la pièce pour piano ?? Monsieur Alban Berg12 m’a écrit pour me dire qu’il m’envoyait vos tableaux, ainsi qu’un petit morceau de musique de lui (je l’en ai prié moi-même), et qu’il prenait soin de votre déménagement. Déménagez-vous définitivement ? Y a-t-il déjà là-bas quelque chose de fixé ? Parlez-nous un peu de vous et de votre famille. Comment allez-vous ?
133Est-ce que vous voyez Kokoschka ? Fait-il de belles choses ? Pourrait-on obtenir des photos ?
134Ne soyez pas fâché. Vous savez bien combien il est important que le premier numéro du « Cavalier » soit réussi : varié, sérieux. Si d’une manière ou d’une autre cela vous est possible, donnez-nous encore un article (même si il est très court). Et même si ce n’est qu’en novembre !
135N’oubliez pas non plus que vous me devez encore votre portrait c’est-à-dire votre photographie. Je peux bien encore attendre, mais vous devez me l’envoyer !
136Tous deux nous vous saluons cordialement ainsi que votre femme.
137Votre Kandinsky
138Arnold Schoenberg
139Berlin-Zehlendorf, Wannseebahn
140Machnower Chausee, Villa Lepke
14111.11.1911
142Cher Monsieur Kandinsky, je suis très impatient de lire le « Cavalier Bleu ». Quand va-t-il enfin paraître ? Ou bien n’êtes-vous pas encore prêt ?
143Je n’ai toujours pas trouvé le temps d’écrire un article pour votre deuxième numéro. Mais je le trouverai peut-être bientôt. Pour l’instant, cela m’est difficile, car j’ai commencé le 20 novembre un cycle de 8 à 10 conférences sur le thème « Esthétique et enseignement de la composition ». Comme vous pouvez le penser, il s’agit là d’une remise en cause radicale. Je rédigerai peut-être une de ces conférences et la donnerai au « Cavalier Bleu ».
144Sinon, je n’ai pas grand’chose à vous dire de mon séjour ici. Il ne s’est trouvé encore aucun élève pour s’inscrire à mon cours. Cela va sûrement prendre quelque temps. Par contre, Rosé13 va jouer ici en décembre mon premier quatuor. D’autres concerts sont également prévus. A Paris, une soirée de musique de chambre et de Lieder.
145A Budapest, une soirée de musique de chambre et de Lieder avec, en plus, le sextuor. Ensuite, à Prague, mon deuxième quatuor et un concert que je dirige. A Munich, le sextuor. A Vienne un chœur. Cela sera bien utile.
146A Berlin, on doit d’abord me connaître, et c’est ce que j’attends de mes conférences. Je compte bien en faire voir de toutes les couleurs aux berlinois, et j’y parviendrai sûrement !
147Je dois vous dire que vos peintures m’ont fait une forte et durable impression. Je les ai encore devant les yeux. L’impression d’irréalité, le caractère sauvage et pourtant maîtrisé, et particulièrement l’incroyable effet des couleurs. J’aimerais les revoir. J’ai aussi souvent pensé aux peintures de Mlle Münter. La force singulière et néanmoins féminine de son œuvre m’a beaucoup touché.
148J’aimerais beaucoup vous revoir tous les deux. Vous vouliez pourtant venir à Berlin ; y a-t-il une chance que cela arrive ?
149J’habite ici dans un très bel endroit. En pleine forêt !! A vrai dire, en pleine campagne. A presque une heure de Berlin proprement dit. Cela aussi, j’aimerais que vous le voyiez. La campagne berlinoise a une beauté particulière qui est complètement différente de celle de la campagne viennoise. Les forêts notamment, et l’atmosphère. Cela me convient parfaitement — même si j’aime énormément la campagne viennoise. Peut-être justement à cause de cela.
150J’espère que vous m’écrirez bientôt. Je voudrais savoir ce que vous pensez de mes peintures, dont vous devez avoir les originaux maintenant.
151A propos, en aurez-vous encore longtemps besoin ? Les avez-vous déjà photographiées ?
152Très cordiales salutations, à vous ainsi qu’à votre femme.
153Votre
154Arnold Schoenberg
155Munich
15616.11.1911
157Cher Monsieur Schoenberg
158Votre lettre m’a fait grand plaisir. Formidable — tous ces concerts ! Quand aura lieu celui de Munich ? Je me réjouis énormément. Une soirée entière à Paris — fantastique. Je pourrais peut-être obtenir quelque chose dans la presse par Le Fauconnier14. Cela vous ferait-il plaisir ? Je suis également très content que vous soyez si bien logés. Peut-être viendrons-nous à Berlin en janvier.
159Venons-en au Cavalier Bleu ! Il ne paraîtra qu’à la mi-janvier, peut-être même à la fin janvier. Et il vous reste donc encore un bon mois pour votre article. Le premier numéro sans Schoenberg ! Il n’en est pas question. Nous aurons justement 3 ou 4 articles sur la musique — de France, de Russie. L’un deux, très long, s’intitule « musicologie » ; il vient de Moscou et met tout sens dessus dessous15. Donnez-nous 10 à 15 pages ! Encore une fois — sans Schoenberg, cela ne peut pas se faire.
160Il y a beaucoup à voir dans vos tableaux (je les ai seulement reçus hier : nous ne sommes de retour à Munich que depuis 2 jours) ; entre autre deux racines :
Le réalisme [Realistik] « pur »16, c’est-à-dire les choses telles qu’elles sont et comment en même temps elles résonnent intérieurement. C’est cela que j’avais prédit dans mon livre en parlant du « fantastique fait dans la matière la plus dure ». C’est à l’antipode de mon art et pourtant... cela se développe de l’intérieur à partir de la même racine : la chaise vit, la ligne vit — cela revient en fin de compte au même. J’aime de toute façon beaucoup ce fantastique et tout particulièrement dans vos tableaux. Selbstportrait [Autoportrait], Garten [Jardin] (ce n’est pas celui que je voulais, mais il est aussi très réussi).
La deuxième racine — j’aime déjà moins la dématérialisation17, la sonorité romantico-mystique (même si je l’emploie aussi) dans cette manière d’appliquer le principe. Cependant... ce sont aussi de bonnes choses, et elles m’intéressent beaucoup.
161Kokoschka possède aussi (je l’ai vu il y a 3 ans, par conséquent « possédait aussi ») cette seconde sonorité (= racine), + l’élément « étrange ! ». Cela m’intéresse18 (j’aime le voir), mais cela ne me fait pas profondément frémir. C’est pour moi trop restreignant, trop précis. Lorsqu’un tel sentiment s’éveille en moi, j’écris (jamais je ne le peindrais). Et simplement je dis : il avait un visage blanc et des lèvres noires. Cela me suffit, c’est-à-dire que cela signifie davantage pour moi. Voilà ce que je sens de plus en plus fort : dans chaque œuvre il faut laisser un espace vide, c’est-à-dire ne pas entraver ! Peut-être n’est-ce pas une loi « éternelle », mais une loi de « demain ». Je suis modeste et je me contente de « demain » ! Oui, vraiment !
162Ecrivez-moi donc aussi pour me dire quelle impression vous auront fait mes tableaux à la « Nouvelle Sécession »19. J’ai vraiment toujours été persuadé que vous comprendriez Münter, que vous seriez sensible à ses travaux. Les gens le sont en général très peu. Ces sacrées peaux d’éléphants ! Là, je me sens à l’aise : je flanque des coups sur la peau délicate de ces chers petits animaux. Les moyens que nous employons ici tous deux se rejoignent absolument. Alors, faites donc vivre aux Berlinois l’enfer brûlant à point ! Qu’ils suent et se tordent. Nous n’avons au fond pas besoin de nous soucier de le faire exprès. J’ai un ami qui, sans mauvaise intention, vous serre si fort la main en vous saluant, que chacun crie aïe ! Immédiatement après il demande pardon. Nous ne sommes pas aussi bien éduqués.
163J’ai beaucoup de travail. Et il y a beaucoup de choses que j’ai envie de peindre. Pourquoi y a-t-il si peu de temps ? En ce moment, je sens de manière particulièrement aiguë que tous, nous « vivrons » encore souvent. C’est-à-dire, physiquement. Et ce long, long chemin.
164Je vous serre cordialement la main et tous les deux, nous vous saluons ainsi que votre femme. Votre petite fille est-elle parfaitement rétablie ?
165Votre Kandinsky
166Munich
1676.12.1911
168Cher Monsieur Schoenberg !
169Nous avons tous les 3 lu un compte rendu sur votre sextuor en ré mineur dans les « M.N.N. » [Münchener Neuesten Nachrichten] et nous sommes très heureux pour vous et aussi pour notre cause commune.20
170Nous vous serrons chaleureusement la main et vous envoyons nos meilleures salutations ainsi qu’à votre femme.
171Kandinsky
172Ecrivez-nous donc à nouveau !!
173[écriture de Marc]
174Ma femme et moi venons à Berlin pour la nouvelle année, et je me réjouis beaucoup de vous revoir là-bas. Je vous écrirai naturellement avant.
175Cordiales salutations F. Marc
176[écriture de Münter]
177Je n’ajoute que mes cordiales salutations, car il n’y a plus de place, Münter
178Berlin-Zehlendorf
17914.12.1911
180Cher Monsieur Kandinsky, je n’ai pas encore lu votre livre en entier. Les deux tiers seulement. Malgré cela, je veux d’ores et déjà vous dire qu’il me plaît énormément. Il y a tellement de points sur lesquels vous avez absolument raison ! En particulier ce que vous dites de la couleur, comparée à la couleur musicale. Cela s’accorde parfaitement avec mon propre sentiment. Votre théorie de la forme est des plus intéressantes. Je suis très curieux de lire le chapitre « Théorie ». Je ne suis pas tout-à-fait d’accord sur quelques points. Avant tout sur le fait que, si je vous ai bien compris, ce que vous auriez préféré, c’est une théorie exacte. Je ne pense pas que cela soit actuellement nécessaire. Nous cherchons et cherchons encore avec l’intuition (comme vous le dites bien vous-même). Veillons cependant à ce que cette intuition ne se perde jamais dans une théorie !
181Laissez-moi vous dire un mot au sujet de vos peintures. C’est simple : elles m’ont énormément plu. J’étais là-bas le jour même où j’ai reçu votre lettre. « Romantische Landschaft » [Paysage Romantique] est celle qui me plaît le plus. Les autres peintures ne sont pas très bien accrochées. Quelque chose ne me satisfait pas vraiment : c’est le format, la dimension. J’ai là également une objection théorique : étant donné qu’il ne s’agit que de proportions, par exemple
Blanc 120 : Noir 24
par Rouge 12 : Jaune 84
182il n’est pas possible que cela dépende du format. Car je dois aussi absolument pouvoir dire, en le réduisant par exemple par 12 :
Noir 2 : Blanc 10
Rouge 1 : Jaune 7
183Je crois que l’on saisit cette équation plus facilement lorsqu’elle est « réduite ».
184Pratiquement : je ressens moins le poids des couleurs, parce qu’elles me semblent s’échapper beaucoup trop du champ visuel (quelques-unes en sortent même tout-à-fait). Je devrais me placer plus loin, mais alors le tableau devient vraiment plus petit, et l’équation « réduite ».
185Peut-être est-ce à cause de cela que les très grandes peintures m’ont fait une impression moins forte ; je ne pouvais les saisir comme un tout fermé.
186A propos des peintures de Mlle Münter : sans me les être rappelées immédiatement, elles m’ont beaucoup frappé dès que je suis entré dans la salle : elles sont vraiment des plus étranges, et de la plus agréable simplicité. Le naturel absolu. Un ton âpre, qui est sûrement une apparence derrière laquelle se cachent la bonté et l’amour. J’ai eu beaucoup de plaisir à les voir.
187Les peintures de M. Marc m’ont également beaucoup plu. Il y a chez ce « géant » une douceur particulière. Cela m’a surpris à vrai dire, mais l’impression que j’avais de lui s’est vite accordée avec celle que j’ai eue de sa peinture. Quoiqu’il en soit, très sympathique. Sinon, peu de choses m’ont plu dans l’exposition. Tout au plus un certain M. Nolde21 dont j’ai fait la connaissance après coup, mais qui personnellement m’attire peu. Et puis un praguois : Kubista22. Il est affecté, mais a du talent et du courage !! Les Berlinois sont habiles en toutes choses. Avant tout pour ce qui est exactement du « dernier cri ». J’ai tout de suite deviné qu’il devait y avoir un Français, celui qui a peint les « Femmes au bain ». Vous les trouverez cinq ou six fois dans la salle ; exactement comme Cézanne. Par contre, je voudrais bien savoir quel Français a été imité pour les nombreux « Gens de cirque » ? !23
188Je regrette beaucoup que mes peintures vous aient moins plu. On ne vous a d’ailleurs pas envoyé les plus importantes. Mais tout de même la plus grande partie.
189A propos du « Cavalier Bleu » : je devrais pouvoir vous donner un peu de ma musique à imprimer. Quelle longueur cela peut-il avoir ? 4 à 5 pages ? Ou plus court ? Faites-le moi savoir rapidement ! Par contre, je n’ai encore rien écrit pour vous. Mes conférences au conservatoire Stern requièrent toute mon attention. Cela viendra peut-être !
190Encore une chose :
191Je dois envoyer mes tableaux à Budapest pour une exposition. Je disposerai de toute une salle pour 24 tableaux.
192Je ne sais pas du tout lesquels vous avez. Pouvez-vous me le faire savoir ? Et puis, auriez-vous l’obligeance de les envoyer directement à Budapest (contre remboursement des frais). C’est-à-dire, ceux que je vous indiquerai. Les autres, à moi-même. Je n’expose en fait aucun portrait, ni rien de semblable, mais seulement les peintures que j’appelle « Eindrücke » [Impressions] et « Fantasien » [Fantaisies]. Je crois que vous avez 8 tableaux, là-bas. Mais ce sont entre autres des portraits « Fingerübungen, Skalen » [Exercices, Gammes]. Et surtout, ayez l’amabilité d’expédier les tableaux dès que vous aurez reçu ma lettre.
193J’ai recommandé au peintre Gütersloh24 d’entrer en contact avec vous.
194Adolf Loos25, le plus éminent architecte à l’heure actuelle, vous a écrit sur mon conseil. Et aussi sur celui de Kokoschka ! Qu’avez-vous convenu avec lui ?
195J’espère que vous pourrez lire ma lettre plus facilement que moi la vôtre.
196Je vous ai fait parvenir mon Traité d’Harmonie. Vous serez surpris de voir combien cela ressemble à ce que vous dites.
197Aujourd’hui, je vous envoie enfin ma photo.
198Saluez s’il vous plaît Mlle Münter de ma part. Je lui écrirai très prochainement. Et transmettez aussi mes salutations à M. Marc, ainsi qu’à ceux dont j’ai trouvé les noms sur votre carte.
199Avec mes très cordiales salutations, et en toute amitié.
200Votre Arnold Schoenberg
201Munich
20215.12.1911
203Cher Monsieur Schoenberg,
204Je vous remercie beaucoup pour votre photo, votre livre et votre lettre. Tout cela m’a fait très plaisir. Je tiens à vous le dire sans attendre. Je suis très fatigué et pourtant je ne peux repousser la lettre à demain. — Parmi vos tableaux, je voudrais exposer les suivants (l’exposition débute le mardi 19) : Selbstportrait [Autoportrait], Dame in Rosa [Dame en rose] (év[entuellement] Lanschaft) [paysage] et 2 ou 3 Visionen [Visions], qui laissent une forte impression à tout le monde, tout comme à moi (mais je préfère vos tableaux « réalistes »). Notre exposition sera très intéressante, différenciée dans les formes. En ce qui concerne Budapest, je vous aide naturellement très volontiers. — Et plus tard davantage ! Tous deux nous vous saluons cordialement ainsi que votre femme.
205Votre Kandinsky
206Munich
20716.12.1911
208Cher Monsieur Schoenberg, communiquez nous s’il vous plaît vite vos prix. Nous ne pourrons pas faire de catalogue à proprement parler : pas le temps. Simplement une liste tapée à la machine à écrire. Et encore une circulaire imprimée.
209Cord. sal. !
210Votre Kandinsky
211Munich
21220.12.1911
213Cher Monsieur Schoenberg,
214Merci beaucoup pour votre lettre, et tout particulièrement pour la partition. Ce serait mieux de ne pas dépasser 4 pages. Mais on ne peut naturellement pas fixer de limite précise. Je prends soin de vos peintures. 4 d’entre elles sont déjà suspendues à la première exposition du Cavalier Bleu : Selbstportrait [Autoportrait], Landschaft [Paysage] et 2 Visionen [Visions]. Si vous le voulez, j’enverrai aussi ceux-ci par la poste le 30 XII. Mais si c’est possible, laissez-les nous : nous allons probablement faire une tournée. Vous devriez absolument être des nôtres. L’exposition est ff ! et fait grande impression... en 2 jours 5 ventes. Je termine rapidement ! je vous salue cordialement ainsi que Mlle Münter.
215Votre Kandinsky
216P.S. j’ai toujours du travail par-dessus la tête.
217Berlin-Zehlendorf
21812.1.1912
219Cher Monsieur Kandinsky, cela fait longtemps que je n’ai eu de vos nouvelles. J’aimerais bien savoir si vous avez envoyé mes tableaux à Budapest à temps. Si c’est le cas, qu’en a-t-on dit ? Critiques, etc. ? Et que devient donc le « Cavalier Bleu » ? Quand dois-je vous envoyer mon supplément musical ? Et que dites-vous de mon Traité d’Harmonie ? Vous ne m’avez encore rien écrit à ce sujet ! Vous avez pourtant reçu le livre, j’espère ? Je vous l’ai envoyé dès qu’il m’est parvenu, juste au moment où j’attrapais la grippe.
220Transmettez mes meilleures salutations à Mlle Münter. Quand venez-vous à Berlin ? Le 28/1 au soir, il devrait (??) y avoir ici une soirée qui m’est consacrée (???)
221Toutes mes cordiales salutations.
222Votre Arnold Schoenberg
223Munich
22413.1.1912
225Cher Monsieur Schoenberg,
226vraiment, j’ai honte. Mais ce n’est pas de la négligence ! Je vais brièvement vous énumérer ce que je fais : 1) le Cavalier Bleu c’est-à-dire, écrire, lire, corriger des articles, etc. 2) diriger la 1re exposition du Cavalier Bleu., 3) préparer la 2e exposition du Cavalier Bleu, 4) inviter des Allemands, des Français, des Suisses pour l’exposition de Moscou (j’ai tous les pouvoirs et par conséquent tous les devoirs aussi)26, 5) aider à la vente et à l’achat de tableaux étrangers et par conséquent 6) je dois sans discontinuer lire et écrire des lettres urgentes, souvent compliquées et souvent désagréables (il y a des jours où je reçois des lettres à chacun des cinq courriers (il y a des jours où il en arrive vingt et il n’est pas de jour sans lettre), 7) j’ai du courrier en retard, 8) je ne peins pas, 9) je néglige mes propres affaires. J’ai écrit en quinze jours plus de 80 lettres. Mon seul espoir est que tout cela change lorsque le « Cavalier Bleu » sera enfin imprimé, et que les expositions seront organisées. 2 tableaux que je voulais peindre me tourmentent maintenant : l’un est déjà intérieurement achevé, quant à l’autre, il faudrait que j’essaie. — Alors, ne m’en veuillez pas ! Vous ne répondez pas non plus très précisément à mes lettres. Il y a déjà un certain temps que je vous ai demandé les prix de vos tableaux et si nous pouvions en garder quelques-uns pour notre exposition du Cavalier Bleu. J’ai depuis longtemps tout envoyé à Budapest à l’exception des suivants : 1) il reste chez nous : Selbstportrait [Autoportrait], « Landschaft » [Paysage], « 2 Visionen » [Visions], 2) vous ne vouliez pas que l’on envoie « Dame in Rosa » [Dame en rose] (il est encore chez moi). J’ai éliminé, conformément à votre désir, « Landschaft » [Paysage] du groupe 1 (il est chez Thannhauser)27. Les trois qui restent sont partis pour Cologne avec notre exposition et ont la ferme intention de voyager. Ces tableaux ont fait chez nous une très bonne impression. Qui donc a bien pu vous dire que je ne les aimais pas ? C’est seulement le principe des « Visionen » [Visions] qui ne m’est pas clair, et cela me ferait très plaisir si vous pouviez bientôt m’en parler. C’est très important pour mon article dans le « Cavalier Bleu » !!
227J’étais fermement convaincu de vous avoir remercié tout de suite pour votre livre qui m’a vraiment fait un très grand plaisir. Et la dédicace ! Mais à peine y avais-je mis le nez, que Hartmann28 est arrivé et me l’a arraché des mains. Il voulait absolument le lire immédiatement et ne l’avait pas encore trouvé ici en librairie. Il faut que je le récupère ces prochains jours. J’en voulais à Hartmann et en même temps, je lui étais reconnaissant car il m’a expliqué beaucoup de choses, que je n’aurais certainement pas comprises dans votre livre. Nous en avons parlé pendant des heures. Et ce que j’en ai déjà compris m’a beaucoup plu. Ne voudriez-vous pas envoyer votre livre au conservatoire de Moscou ? C’est dommage que Hartmann, qui initialement pensait aller de Prague à Pétersbourg en passant par Berlin (avant tout pour faire votre connaissance), ait dû cependant rentrer directement en Russie. La lettre concernant votre visite à la Nouvelle Sécession nous a fait grand plaisir, et tout particulièrement les remarques détaillées et intéressantes à propos de nos tableaux (ceux de Marc aussi). Mais bien évidemment, je ne puis m’empêcher de vous contredire ! En mathématique, 4 : 2 = 8 : 4, en art, — non. En mathématique 1 + 1 = 2, en art on peut aussi avoir 1 — 1 = 2. Deuxièmement : êtes-vous contre le redoublement de l’effectif de l’orchestre ? Cela revient à agrandir (et donc à rendre plus compliqués) les moyens. Troisièmement, par contre : mon but est justement (parfois) d’empêcher par la dimension la vue d’ensemble immédiate du tableau. Quatrièmement : la dimension est-elle une force, un moyen ainsi un bougeoir un autre deux choses totalement différentes !
228Vous aurez ces jours — ou vous avez déjà eu — la visite de Marc et de sa femme. Il est pratiquement devenu un enthousiaste convaincu de l’art berlinois. C’est effectivement beaucoup plus animé. Il y a de la vie là-bas ! Mais, entre nous soit-dit, je n’y vois encore aucune grande personnalité. J’irai peut-être en Russie au printemps, en passant par Berlin. Dans ce cas je vous verrai. On dit si peu de chose dans une lettre. Et puis certains font attendre les leurs. N’est-ce pas ? Et certains le pardonnent. N’est-ce pas ?
229Tous deux, nous vous saluons cordialement ainsi que votre femme.
230Votre Kandinsky
231Envoyez-nous vite votre musique s’il-vous-plaît ? et l’article ? dois-je y renoncer ? écrivez vite quelque chose ! Comment la musique allemande pourrait-elle se passer d’un article ? Il en viendra 2 de Russie.
232Munich
23316.1.1912
234Cher Monsieur Schoenberg !
235Je regrette beaucoup de vous avoir contrarié. Je pensais seulement que vos tableaux contribueraient à l’image de marque de l’exposition et que, par la même occasion, ils seraient présentés dans différentes villes à un public de qualité, ce qui pourrait vous être utile. Peut-être en décembre vous ai-je écrit de manière équivoque ! Dans ce cas je vous prie de me pardonner cet acte péremptoire ! Voulez-vous ? — j’ai peine à croire qu’on attend encore ces tableaux à Budapest. Quoi qu’il en soit, je voudrais vous prier, au cas où vous auriez tout de même voulu les envoyer, d’écrire tout de suite à Mlle E. Worringer — Gereons club, Gereonshaus, Cologne sur le Rhin. Je lui écris par le même courrier en la priant de se conformer à vos désirs. J’envoie aussi le « Nachtstück » [Nocturne] (par la poste). A Moscou et à Pétersbourg, j’ai déjà entrepris différentes démarches en vue d’un concert de vos œuvres. Peut-être cela sera-t-il finalement utile. La nouvelle association « A.R.S. »29 de Pétersbourg désire aussi organiser des concerts. Je leur ai déjà parlé de votre musique au début de l’automne. Et ils m’ont semblé très intéressés. Mais ils (la société) ne sont pas encore parfaitement organisés. J’attends donc votre article et je m’en réjouis déjà ! J’ai donné aujourd’hui à l’imprimerie les derniers manuscrits. Envoyez-le donc très vite ! Et la musique ? Je viens de commander à Cologne les photos de votre « Selbstportrait » [Autoportrait]. C’est pour le « C[avalier] B[leu] » qui devrait être complètement terminé (imprimé etc.) dans 5 à 6 semaines. Si seulement vous saviez quel travail cela représente ! — Puis-je vous envoyez une épreuve ? Il s’agit d’un article sur Scriabine que j’ai dû traduire moi-même et j’ai une peur bleue d’avoir mal employé certains mots techniques ! Donnez-moi donc un coup de main ! L’article est vraiment court. D’accord ? — Je pars dès demain pour 2 à 3 jours, afin de remettre tant bien que mal ma tête à la bonne place. Elle se trouve pour le moment quelque part ailleurs ! Toutes nos salutations à votre famille et ne m’en voulez pas si j’agis parfois de manière un peu trop équivoque.
236Votre Kandinsky
237[écriture de Münter] [probablement entre le 17 et le 27.1.1912]
238Cher Monsieur Schoenberg !
239Je veux juste vous dire que votre article « Verhältnis zum Text » [la relation au texte] est arrivé et surtout que je me réjouis de votre contribution au Cavalier Bleu, de votre article (qui vient d’arriver, sur lequel j’ai à peine pu jeter un coup d’œil) et de tout ce qui vient de vous. Kandinsky est parti hier se reposer quelques jours, il en a vraiment besoin, ces derniers mois ont été fous ! Editeur, rédacteur, auteur d’articles, organisateur d’expositions, intermédiaire en œuvres d’art, — l’homme et le peintre n’y trouvent plus leur compte. Hier, « Nachtstück » [Nocturne] est parti à Budapest et « Rosa Dame » [La Dame en Rose] à votre adresse. Le premier assuré pour 300 Marks. Le second était déjà parti et j’espère vivement qu’il arrivera à bon port. Si je vous écris si rapidement, c’est que votre belle contribution m’a encore une fois donné un accès d’enthousiasme.
240J’espère que vous irez bientôt voir les Marc, ils attendent depuis longtemps et il y a toujours un empêchement. Meilleures salutations à vous et à votre épouse
241Votre G. Münter
242Lecture terminée : l’article est superbe ! Il n’y a qu’au sujet du « Portrait » que je ne sois pas de votre avis. Qui a raison ? (Bien sûr il ne s’agit que de mots).
243[écriture de Münter]
244Munich le 27.1.1912
245Très cher Monsieur Schoenberg !
246Mille mercis pour vos lignes aimables. Demain c’est le jour de votre concert ; quand vous recevrez ma lettre il aura déjà eu lieu, et j’espère ne pas trop vous déranger. [...]
247Kandinsky vous enverra ces jours-ci le petit article que vous aviez envie de lire. Il vous prie également de nous envoyer vos partitions le plus vite possible. Kandinsky ne connaît pas Kussiawitzki personnellement30. Mais il en a entendu parler et il l’a vu diriger un concert l’année passée à Moscou. C’est un des jeunes chefs russes les plus radicaux.
248Comment se passera votre concert ! Comme j’aimerais y être ! Que va-t-on y jouer ; rien que du Schoenberg ? Ce serait vraiment gentil si vous nous en parliez un peu. Comment est le public à Berlin ? Les Marc vont revenir ces jours. Sont-ils finalement venus chez vous ?
249Meilleures salutations.
250Votre Gabriele Münter
251[billet non daté, probablement début 1912]
252Cher Monsieur Kandinsky,
253Ne voudriez-vous pas également demander une contribution à Busoni31. Il est très proche de nous. Lisez « Pan » du 1er février ou sa « Nouvelle esthétique de la musique ».
254Munich
2556.2.1912
256Cher Monsieur Schoenberg,
257nous sommes très heureux que le concert se soit si bien passé. Nous vous félicitons de tout cœur et souhaitons que vous ayez à Prague BEAUCOUP de succès, intérieur comme extérieur. Pourriez-vous nous envoyer des critiques ? Vous les récupérerez en parfait état. Quand aura lieu votre concert ici ? Plusieurs de nos connaissances aimeraient bien le savoir. Et nous aussi.
258J’espère que les épreuves sur Scriabine ne vous surprendront pas trop. Vous étiez vraiment aimable de vous en charger après le concert. J’ai bien peur qu’en traduisant nous n’ayons commis toutes sortes d’absurdités musicales. Je vous suis très très reconnaissant.
259C’était une idée de Piper... de compléter notre titre32. Je lui ai aussi dit que j’étais curieux de savoir ce que vous en pensiez. Je peux moi même me charger des deuxièmes épreuves j’espère ?
260Vraiment je suis très heureux que vous ayez quand même envoyé la partition. Je commençais déjà à avoir des doutes. J’ai pu par bonheur la mentionner encore dans le prospectus de souscription, lequel a été renvoyé justement aujourd’hui à l’imprimerie, après la première épreuve. C’était parfait !
261J’espère que vous ne m’en voulez pas d’avoir chargé Piper de commander par télégramme, pour le « C.B. », une photo de votre « Dame in Rosa » [Dame en rose]. Il fallait que je les aie ! Et c’est TRES pressant.
262Et je suis aussi très pressé ! Tous deux nous vous saluons cordialement ainsi que votre femme.
263Votre Kandinsky
264(P.S.) J’espère que vous avez déjà envoyé les photos. Encore une fois, je dois les obtenir très vite.
265[Télégramme de Munich, adressé à Schoenberg chez Zemlinsky, Prague, Hawliczekgasse 9, probablement le 29.2.191233, alors que Schoenberg dirigait à Prague son « Pelléas et Mélisande », Mozart et Mahler :]
266Avec vous, de tout cœur Muenter Kandinsky
267Munich
2684.3.1912
269Cher Monsieur Schoenberg,
270Nous vous envoyons tous les deux, ainsi que Marc (il est justement à Munich), nos plus cordiaux vœux de bonheur pour votre formidable succès. Que même notre chère M.N.N. [= Münchener Neueste Nachrichten] se soit laissée aller à publier une notice enthousiaste sur votre concert, est tout aussi révélateur que fabuleux34 ! J’attends avec impatience la lettre que vous m’aviez promise dans laquelle vous nous parlerez sûrement en détails de votre concert. Certes, j’aurais eu un immense plaisir à me rendre à Prague pour le concert ; mais comment aurais-je pu le faire, — moi, pauvre esclave du « Cavalier Bleu ». Les jours s’écoulent l’un après l’autre, avec leur suite ininterrompue de soucis : livre, expositions, etc. etc. je n’arriverais pas autrement à réaliser quoi que ce soit. J’attends avec impatience la parution du livre. Si seulement vous saviez combien je désire ardemment travailler, combien j’aimerais dessiner, dessiner, peindre, peindre, peindre. Bon, assez de sentiments et passons aux choses sérieuses.
271La rédaction du « Sturn » prépare une exposition qui semble vraiment fantastique (des Français, Hodler, Munch, Kokoschka) et a aussi invité notre première exposition collective : frais de transport, salle particulière. Nous avons accepté. J’ai à vous faire maintenant une demande tout à fait sérieuse et qui me tient très à cœur : voudriez-vous, je vous prie, nous donner vos tableaux déjà mentionnés dans le catalogue et, ...en plus, le portrait de dame qui est suspendu dans votre salle-à-manger ! Je n’ai malheureusement pas des dons de voyant mais je vous demande tout particulièrement ce portrait, car Marc en parle sans cesse de façon très enthousiaste. Faites-nous cette faveur ! Les tableaux devront êtres livrés avec leur prix et leur titre à Monsieur Herwarth Walden35 (maintenant à Berlin W.9, Potsdamerstr. 18). Veuillez s’il vous plaît coller les étiquettes au dos et me communiquer aussi les prix ainsi que les titres. Seriez-vous vraiment assez aimable de vous occuper de tout cela — et avant tout de donner le portrait ?
272Nous vous saluons cordialement ainsi que Madame votre épouse.
273Votre Kandinsky
274Quand aura lieu votre concert ici ? Viendrez-vous en personne ?
275Munich
2764.3.1912
277P.S. de la lettre d’aujourd’hui !
278Cher Monsieur Schoenberg,
279Piper est un collectionneur de manuscrits. Son père l’était avant lui. Il possède des autographes de Beethoven, Liszt, etc. Il est très enthousiasmé par votre musique et m’a timidement demandé si vous ne voudriez pas lui envoyer le manuscrit du « C[avalier] B[leu] ». Il était emballé quand je lui ai dit que je vous poserai à l’occasion la question. Naturellement, j’ai précisé que je vous le demanderai volontiers mais que je ne savais absolument pas si vous l’accorderiez. S’il vous plaît, ayez la gentillesse de répondre aussi à cette question dans votre lettre, que j’attends impatiemment.
280Encore une fois cordiales salutations.
281Votre K.
282Berlin-Zehlendorf
2838.3.1912
284Cher Monsieur Kandinsky,
285Je voudrais tout d’abord vous dire que votre article sur mes peintures m’a procuré une joie immense. Avant tout, parce que vous estimez qu’elles en valent la peine. Mais aussi ce que vous en dites. Et ce que vous dites, en plus : vous êtes un homme tellement riche que le plus petit choc provoque en vous un débordement. C’est pourquoi vous prodiguez là les plus belles idées à profusion : — Je suis très fier d’avoir gagné votre estime, et me réjouis énormément de votre amitié.
286De mon concert à Prague, je n’ai pas grand’chose à dire. Car j’ai tout fait dans un état de semi-conscience, où se mêlaient la peur et la fatigue. J’avais peur de diriger et j’étais fatigué par les nombreuses nuits et soirées passées en société qui m’ont détourné de ma tranquillité habituelle. C’est pourquoi je n’en ai pas retiré de fortes impressions. Je crois que l’exécution était vraiment pas mal. L’accueil, lui, a été singulièrement agité. Plus de 20 minutes de sifflets et d’applaudissements intenses. C’était la même chose le 5 mars dernier à Berlin chez Rosé, qui exécutait mon premier quatuor. — Ici, j’ai des violents démêlés avec la critique berlinoise, provoqués par deux articles contre Leopold Schmidt que j’ai publiés dans [la revue] Pan (les 20 et 27 février). Le reste de la critique venge son pape sur moi ! Mais cela ira peut-être encore plus loin !36
287En ce qui concerne l’exposition, je vous remercie avant tout pour l’invitation qui m’honore, mais je ne sais pas encore si je pourrai y participer. Monsieur Walden a en son temps critiqué Pelléas et Mélisande d’une manière vraiment indécente (un acte de vengeance !), et c’est pourquoi je peux difficilement y prendre part sans qu’il me le demande directement37. Je crois que même dans ce cas, encore que je ne le prenne pas tant au sérieux, je n’y participerai pas. En outre, je ne pense pas qu’il soit bon d’exposer en compagnie de peintres professionnels. Je suis sans aucun doute un outsider, un amateur, un dilettante. Déjà, c’est un problème de savoir si je dois tout simplement exposer. Mais ce n’en est presque plus un de savoir si je dois exposer avec un groupe de peintres. Quoi qu’il en soit, je ne trouve pas opportun d’exposer d’autres peintures que celles auxquelles je crois. Et parmi celles-ci, il y en a au moins 10 ou 12 que je devrais montrer pour faire comprendre ce que je veux dire.
288Ne m’en veuillez donc pas, je vous en prie, si je ne me joins pas pour l’instant à l’exposition — vous savez combien je vous apprécie et quel déplaisir j’aurais à faire quelque chose qui vous fasse du tort.
289Avant que j’oublie : si c’est le manuscrit de mon article que désire Monsieur Piper, je le lui laisse avec plaisir. En échange, j’aimerais bien recevoir quelques tirés à part ou quelques épreuves (5 à 10). De même, je ne peux lui laisser le manuscrit des Lieder qu’à la condition d’obtenir des tirés à part (dont j’ai besoin pour des exécutions) — Je n’ai jusqu’à maintenant malheureusement pas encore pu répondre à la lettre de Mademoiselle Münter. J’ai tellement à faire, c’est effroyable. Mais dès que je trouverai le temps de le faire, je lui écrirai une longue lettre. Saluez-la cordialement de ma part.
290Il me faut maintenant préparer une conférence que je vais donner à Prague. Sur « Gustave Mahler »38. Je la donnerais volontiers aussi dans d’autres villes car c’est un sujet qui me tient très à cœur. Je considère comme mon devoir artistique de défendre son œuvre. Le Cavalier Bleu pourrait peut-être organiser quelque chose à Munich ? Mais je ne veux pas encore vous charger d’un surcroît de travail. Je le dis seulement parce que cela me vient maintenant à l’esprit, et je ne me formaliserais pas si vous l’oubliiez aussitôt.
291Je pensais vraiment que vous viendriez, avec mademoiselle Münter, nous rendre visite à Berlin ! Puis-je encore l’espérer ? Ou bien y avez-vous renoncé ? Ce serait très agréable ! J’aimerais de nouveau être avec vous !
292Quand paraît le « Cavalier Bleu » ? Je suis réellement très impatient de le lire.
293Avec les salutations les plus cordiales de votre
294Arnold Schoenberg
295[écriture de Münter]
296URGENT !
297Munich, 9.3.1912
298Cher Monsieur Schoenberg,
299Vite une lettre d’affaires. Kandinsky se félicite de votre conférence au Cavalier Bleu, il avait déjà dit qu’il voulait vous le demander. Le Dr Stadler, historien d’art, y a donné une petite conférence qui a été suivie de vives discussions — la conférence a été reprise et développée et il la répétera ce soir. Les M.N.N. [Münchner Neueste Nachrichten] ont refusé de faire passer l’annonce de celle-ci en prétextant l’avoir fait une fois et que c’est assez ainsi ! C’est pourquoi il n’y a que des affiches mais il y aura sûrement des gens qui viendront. Le Dr Stadler39 parle de l’exposition. J.A. Lux, un journaliste et écrivain que vous connaissez sûrement, a proposé à Kandinsky de venir parler de littérature40. Cela serait le 13. L’exposition se termine le 18 mars. Quand pourriez-vous donner votre conférence ? Bien sûr, il n’est pas indispensable que ce soit pendant l’exposition. Ce soir nous allons en parler à Goltz41 qui est un homme très capable et sympathique, et qui arrangera sûrement volontiers l’affaire — dans ses locaux ou ailleurs. On pourrait éventuellement déplacer Lux, si vous tenez à avoir ce jour-là. A vrai dire nous espérions que vous viendriez à Munich pour l’exécution de votre composition. Elle a bien lieu le 14 ? Kandinsky et moi avons beaucoup aimé votre charmante lettre. Je suis en train de lire le livre « Arnold Schoenberg »42.
300Ceci en hâte, dites-nous sans plus attendre votre avis — K. va peut-être encore ajouter quelques lumières à mes explications.
301Cordiales salutations.
302Votre G. Münter
303J’attends votre réponse avec impatience, donnez-la moi rapidement ! Kandinsky regrette beaucoup que vous ne vouliez pas que vos tableaux figurent à l’exposition du C.B. à Berlin, il les aime beaucoup, et défend précisément au C.B. le principe de la plus grande liberté et diversité. Mais il n’y a rien à faire ! Vos motifs sont clairs. Je suis très curieuse de savoir comment ça se passera là-bas. Walden paraît estimer beaucoup l’art de Kandinsky. Que va-t-il penser du C.B. ? S’il vous plaît répondez vite pour que K. sache à quoi s’en tenir pour votre conférence ! Il vous envoie lui aussi ses salutations.
304[écriture de Münter]
305Munich, 15.3.1912
306Très cher Monsieur Schoenberg !
307En relisant les toutes dernières épreuves, je suis frappée une fois encore par l’endroit qui m’a déjà paru étrange, et je crois que c’est seulement par inadvertance qu’il en est ainsi ; j’aimerais vous demander s’il vous convient que Kokoschka soit placé avant Kandinsky3. On m’a dit qu’il était encore très jeune, et pour autant que je sache, il n’a pas encore beaucoup créé, à part des tableaux qui manifeste beaucoup de talent et il n’a également pas eu le temps d’atteindre une réelle maturité. Si vous le voulez et si vous répondez tout de suite on peut encore éventuellement corriger cela, si bien sûr il s’agit à vos yeux d’une erreur. Vous savez que la place a une importance43. Je vous remercie mille fois, cher Monsieur Schoenberg, pour votre prompte réponse. K. vous écrira bientôt.
308Cordiales salutations, Votre dévouée Münter.
30928.3.1912
310Cher Monsieur Schoenberg,
311Je viens d’apprendre qu’on a joué vos « Klavierstücke » à l’association ARS (Pétersbourg) et que celles-ci y ont produit une grande et forte impression. Cela me fait très plaisir. Je venais justement de demander s’il était possible que l’ARS organise un concert de vos œuvres. — vous allez sans aucun doute recevoir les épreuves séparées de vos partitions et de votre article, et deux exemplaires du C.B., qui est maintenant sous presse.
312Cordiales poignées de main, votre Kandinsky
313Munich
31425.4.1912
315Cher Monsieur Schoenberg,
316Comment allez-vous ? Vous nous avez complètement oublié. Etiez-vous à Prague pour la conférence sur Mahler ? Goltz n’ose pas organiser la conférence en grand, et il ne peut momentanément pas disposer de sa grande salle (la salle d’exposition). Il pense que le mieux serait de passer par une agence de concerts. — Moi-même je ne vais pas très bien ces temps : j’ai eu de sérieuses douleurs rhumatismales et j’en ressens encore les suites. Je suis resté enfermé chez moi plus de quinze jours et pendant longtemps je ne pouvais pas tourner la tête, ni vers le haut, ni vers le bas, ni à droite ni à gauche, pas même d’un millimètre. Je devais rester entièrement au repos, et je n’ai repris mon travail que maintenant. Heureusement le C.B. était déjà terminé et sous presse. Il est maintenant au brochage, à la reliure, etc. Il doit enfin paraître dans quinze jours ! Je joins ici deux épreuves, qui ont été mal composées, car l’imprimeur croyait qu’elles appartenaient à votre livre. Peut-être en aurez-vous tout de même usage. Vous recevrez aussi deux exemplaires d’auteur et des tirés à part.
317Je joins par ailleurs le petit livre de Lux44. Peut-être que son contenu vous intéressera ou bien il vous sera utile pour votre musique. Vous n’êtes certes pas un futuriste et il ne vous est pas interdit d’utiliser des textes étrangers ! Que pensez-vous de l’exposition de ces Italiens « libérés » ? Ils disent dans leur programme beaucoup de choses justes et importantes. Mais il y a là aussi beaucoup d’idées qui viennent trop tôt ou trop tard, ou bien d’ailleurs, et à mon goût trop de... police : « Circulez à droite ! » (peut-être à gauche !), « ne restez pas là ! », etc. Et que pensez-vous (je voulais vous le demander depuis si longtemps) de Scriabine ?45 Connaissez-vous ses dernières grandes œuvres ?
318Une fois encore : comment allez-vous ? Et votre famille ? J’aimerais tellement vous rencontrer à nouveau. Nous nous sommes toujours vus fugitivement et les thèmes qui nous intéressent sont infiniment nombreux.
319Tous deux nous vous saluons cordialement ainsi que votre famille.
320Votre Kandinsky.
321Ecrivez donc !
322non daté [après le 25.4.1912]
323Cher Monsieur Kandinsky,
324J’avais déjà envoyé les épreuves au moment où ce programme et la musique sont arrivés. Je n’en ai pas besoin non plus. —
325Je vous en prie : pouvez-vous, s’il vous plaît, demander (encore une fois) si l’on a retiré mes tableaux de votre exposition itinérante pour les envoyer à Budapest. — Car l’exposition de Budapest (qui vient justement de se terminer) m’a envoyé mes tableaux et il en manque quatre. Faites en sorte qu’ils me soient renvoyés directement, s’il vous plaît (Landschaft [Paysage], Gehendes Selbst-portrait [Autoportrait en marchant], et deux Visionen [Visions]).
326Cordiales salutations, Votre Sch.
327Berlin-Zehlendorf,
32822.5.1912
329Très cher Monsieur Kandinsky, j’aimerais rapidement vous prier, vous et votre femme, de ne pas vous formaliser de mon long silence. J’ai énormément à faire, et je ne prendrai pas de repos avant d’avoir tout terminé. D’ici là, je vous envoie, ainsi qu’à Mlle Münter, mes très cordiales salutations.
330Arnold Schoenberg
331[Carte postale illustrée
332Strand Ostseebad Carlshagen
333Villa Concordia]
334Timbre postal 6.7.[1912]
335Cher Monsieur Kandinsky, chère Mademoiselle Münter...
336êtes-vous fâchés contre moi ? Pour ne m’avoir donné aucune nouvelle de vous depuis si longtemps ! ! J’ai moi-même énormément travaillé, et je vais probablement avoir encore plus à faire ; et puis, j’ai toutes sortes de soucis — c’est pourquoi je ne suis pas encore parvenu à vous écrire ! Comment allez-vous ? Travaillez-vous beaucoup tous les deux ? Et à quoi ? J’espère maintenant enfin pouvoir composer ma « Main Heureuse », si j’ai la main heureuse. Tous deux nous vous saluons cordialement.
337Votre Arnold Schoenberg
338Munich
3392.8.1912
340Cher Monsieur Schoenberg
341Vous ne devriez pas penser de telles choses ! Il est vrai qu’on vit de telles expériences que finalement tout paraît vraisemblable. Mais si j’avais quelque chose à vous reprocher, je vous aurais alors fait part de mes doutes, voire de mon irritation, de façon tout à fait claire. Et j’attends la même chose de vous.
342Vous m’aviez promis il y a quelques semaines une lettre plus longue. Je l’attendais et comptais d’ailleurs y répondre en détail. Je me suis en outre senti mal tout l’été et j’ai moi aussi remis à plus tard mon courrier. J’ai dû finalement me décider à me faire opérer, il y a de cela trois semaines (vous pouvez constater à mon style que je ne suis pas tout à fait rétabli). Je suis depuis huit jours de retour à la maison, la convalescence passe rapidement, mais je suis encore dans un état peu propice au travail. Dans quatre à cinq jours nous irons de nouveau à Murnau, où je voudrais retrouver les forces perdues. — Nous avons lu dans le « Vosstante »46, qu’on vous a proposé un poste de professeur à l’académie des arts. Pourquoi avez-vous refusé ? Vienne n’était-elle vraiment pas un terrain favorable ? D’un autre côté je comprends très bien que vous vous consacriez entièrement à la composition.
343Alors ne m’en veuillez pas et écrivez-moi cette longue lettre que vous m’aviez promise.
344Tous les deux nous vous saluons cordialement ainsi que votre femme.
345Votre Kandinsky
346Berlin,
34719.8.1912
348Cher Monsieur Kandinsky, j’ai appris avec regrets que vous étiez malade et que vous avez dû être opéré. Qu’avez-vous eu exactement ? Vous n’en parlez pas du tout. Etait-ce dangereux ? Mais avant tout : Vous sentez-vous bien maintenant, à l’abri d’une éventuelle rechute ? L’appendicite je suppose ? J’espère que c’est cela. C’est au moins tout à fait inoffensif.
349Je n’ai pas grand’chose à vous dire de moi. Vous savez que je devais aller à Vienne en tant que professeur de l’académie. Et que j’y ai renoncé. Non pas, comme je l’aurais aimé, pour « me consacrer entièrement à la composition. Car je n’y suis pas encore parvenu. Mais parce que j’estime qu’il eut été inconvenant de devoir retourner à Vienne pour une bagatelle, alors que je l’avais quittée à cause de l’essentiel. Et ce qu’on me proposait n’était rien d’autre qu’une bagatelle. Bon pour une retraite. Un revenu sûr, sans doute, et de cela, j’aurais bien besoin. Mais une sphère d’activité limitée, du fait que Schreker47 était engagé en même temps que moi, et que Novak48 devait également venir. —J’ai passé tout l’été à Carlshagen, au bord de la Baltique. Très beau. Pour une fois, sans rien dans la tête ; un laisser-aller reposant. Pour tout dire, moins beau qu’agréable. Mais il semble que j’en avais bien besoin. J’étais devenu très irritable et fatigué ces derniers temps. — J’ai écrit un [...]49. Peut-être pour ce qui est de la substance, du contenu (« Pierrot Lunaire » de Giraud), aucune nécessité profonde. Mais certainement en ce qui concerne la forme. Quoiqu’il en soit, cela était important pour moi en tant qu’étude préliminaire à un autre travail que je veux entreprendre maintenant : « Séraphita » de Balzac. Connaissez-vous ce texte ? Ce qu’il y a de plus merveilleux peut-être. Je veux en faire une œuvre scénique. Pas vraiment théâtrale. Du moins pas dans le sens ancien. En tout cas pas « dramatique ». Mais plutôt : un oratorio à voir et à entendre. Philosophie, religion perçues à travers l’art. — Je travaille actuellement à ma « Main heureuse », sans aller réellement de l’avant. Je l’ai commencée il y a bientôt trois ans, et elle n’est toujours pas composée. C’est très rare chez moi. Je devrais peut-être à nouveau la mettre de côté, même si je suis très satisfait de ce qui est déjà terminé.
350J’aimerais vous faire quelques remarques au sujet de vos contributions au « Cavalier Bleu ». Votre composition scénique me plaît énormément. L’avant-propos également. Je suis parfaitement d’accord là-dessus. Mais quel rapport cela a-t-il avec la « construction » ? Il me semble que c’est le contraire. Je crois que celui qui construit doit peser, éprouver, évaluer la résistance, l’homogénéité, etc. Pourtant, la « Sonorité Jaune » n’est pas construction, mais simplement reproduction d’une vision intérieure. Je vois là la différence suivante :
La vision intérieure est un tout, qui a certes des parties, mais liées, déjà ordonnées.
La construction ce sont des parties qui veulent donner l’impression d’un tout. Mais rien ne garantit que les plus importantes ne manquent pas, ni que ce qui les relie soit : l’âme.
351Je suis conscient du fait que ceci n’est qu’une querelle de mot, et que sur l’essentiel nous pensons la même chose. « Construction » n’est certes qu’un mot, mais un mot sur le sens duquel je ne suis pas d’accord avec vous. Quand bien même il serait le seul.
352Comme je l’ai déjà dit : la « Sonorité Jaune » me plaît énormément. C’est vraiment exactement ce que j’ai cherché à réaliser dans ma « Main heureuse ». Seulement, vous allez encore plus loin que moi dans le renoncement à toute pensée consciente, à toute action conventionnelle. C’est évidemment une grande qualité. Nous devons prendre conscience du fait que nous sommes entourés d’énigmes. Et nous devons avoir le courage de les affronter, sans demander lâchement qu’on nous donne une « solution ». Il est important que nous employions notre faculté créatrice à imaginer des énigmes analogues à celles qui nous entourent. Afin que notre âme tente — non pas de les résoudre — mais de les déchiffrer. Nous ne devons pas en attendre la solution, mais une nouvelle méthode de chiffrage ou de déchiffrage. Méthode sans valeur intrinsèque, qui offre la matière permettant de créer de nouvelles énigmes. Car les mystères sont un reflet de l’Inconcevable [Unfassbare]. Un reflet imparfait, c’est-à-dire humain. Mais si à travers eux nous apprenons seulement à tenir l’Inconcevable pour possible, nous nous approchons de Dieu, parce que nous n’exigeons plus de le comprendre. Parce que nous ne voulons plus le mesurer avec notre entendement, le critiquer, le nier, puisque nous ne pouvons pas le réduire à cause de cette insuffisance humaine qui est notre clarté. —
353C’est pourquoi je me réjouis de voir la « sonorité dorée » [= jaune], dont j’imagine que l’exécution me fera une énorme impression.
354— J’aurais bien aimé savoir ce que vous pensez de mon Traité d’Harmonie. L’avez-vous lu ? Et aussi mon article dans le C[avalier] B[leu], Il s’y trouve beaucoup de choses qui sont très proches de ce que vous dites dans l’avant-propos de « Sonorité jaune ».
355J’espère que j’aurai bientôt de vos nouvelles. Comment va Mlle Münter ? Je dois à sa très gentille lettre une réponse qui devrait bientôt suivre. En fait, j’aurai dès les prochains jours des répétitions du « Pierrot Lunaire », que Mme Albertine Zehme50 exécutera plusieurs fois au cours d’une grande tournée. Mais je trouverai cependant le temps d’écrire. Avec, encore une fois, mes très cordiales salutations à tous les deux, de la part de ma femme aussi.
356Votre Arnold Schoenberg
357Qu’en est-il de votre visite à Berlin ? ? ?
358[écriture de Münter]
359Murnau, 20.8.1912
360Cher Monsieur Schoenberg !
361Voilà déjà plusieurs semaines que j’ai le désir de vous écrire. Mais il manquait toujours le petit quelque chose nécessaire à sa réalisation. Or donc : Je voudrais vous signaler un livre dont je pense qu’il devrait vous procurer beaucoup de joie et de plaisir. Et — vous signaler aussi son auteur, qui est sûrement un curieux et singulier personnage. Il s’appelle Volker et son livre s’intitule « Siderische Geburt » [Naissance Sidérale] Ed. Karl Schnabel, Berlin, 1910. Volker habite Nikolaussee près de Berlin, Luckoffstrasse 33. Je ne veux pas vous en dire beaucoup plus sur le livre. Je m’y fraie lentement un chemin, mais avec de nombreuses interruptions. Je n’en retiens que ce qui est à ma portée. Je ne peux pas tout suivre, particulièrement la fin, qui me dépasse. Mais cela me passe dans les mains comme une lourde chaîne d’or, maillon après maillon, phrase après phrase.
362Je pense que c’est quelque chose pour vous ! Comment allez-vous ? Nous devons retourner à Munich dimanche prochain, pour que la dernière publication de K., un album avec des bois et des textes, puisse bientôt paraître. Il se remet petit à petit et vous a sans doute écrit au sujet de sa maladie, le médecin est satisfait des progrès qu’il fait. Je vais bien, je ne travaille pas et je laisse passer le temps. Faites-nous donc parvenir une fois des nouvelles vraiment détaillées de vous-même.
363Nous vous saluons tous les deux cordialement.
364Votre Münter
365(P.S.) : Je me suis arrêté là hier soir sans finir ma lettre, et aujourd’hui arrive la vôtre, magnifique. Je suis tout à fait sûr maintenant que Volker est votre homme ! Au bas de la p. 31, il décrit les éléments des Compositions II, IV, V, etc de Kandinsky. Naturellement sans penser à Kandinsky qu’il ne connaissait à l’époque probablement pas plus qu’il ne connaissait son travail. Je trouve que de tels hommes doivent se connaître. (Tout comme j’ai trouvé votre adresse autrefois.)
366Pour répondre à votre question. Il s’agissait d’une double hernie, à laquelle s’est ajoutée l’opération d’une nouvelle varice. Le médecin avait parlé d’une chose sans importance, mais avec le recul, nous voyons tout ce que cela entraîne comme conséquence et le temps que cela va prendre jusqu’à ce que Kandinsky se retrouve dans le même état qu’avant. Il n’est malheureusement pas encore rentré à la maison, et veut partir dans un mois environ dans le sud de la Russie pour rendre visite à ses parents.
367[écriture de Kandinsky :] Votre lettre m’a fait énormément plaisir. Je vous écrirai bientôt longuement.
368Cordiales salutations,
369Votre Kandinsky
370Murnau 22.8.1912
371Cher Monsieur Schoenberg
372C’est vraiment stupide et cela me fait toujours enrager de ne pouvoir lire des ouvrages sur la musique ! J’ai éprouvé beaucoup de joie et de plaisir à saisir le sens commun de votre livre, comme c’est le cas d’ailleurs pour chacun de vos écrits. Pour autant que je comprenne, vous n’admettez pas un seul « principe », pas une seule « loi » de la théorie en place, sans les analyser minutieusement. Vous ébranlez tout, et démontrez (c’est cela l’essentiel) que tout doit l’être et que si on considère les choses abstraitement, tout est relatif et temporel. Que seule reste l’inébranlable et solide mesquinerie (respectivement bêtise) humaine. D’où l’éternel combat des dieux, etc ! — Mais ce qui m’irrite, comme je l’ai déjà dit, c’est de ne pas pouvoir comprendre les aspects positifs de votre livre. J’aimerais tellement en parler une fois avec vous ! Peut-être à la fin octobre ! Car nous serons alors peut-être à Berlin. A ce moment-là doit avoir lieu au Sturm l’exposition collective (assez importante) que je prépare. Je suis moi-même en Russie et ne peut qu’espérer rentrer via Berlin fin octobre. Münter sera vraisemblablement déjà là. — Le problème est que de nos jours les musiciens ont en tout premier lieu besoin de bouleverser « les lois éternelles de l’harmonie », ce qui pour les peintres ne vient qu’en second lieu. Le plus urgent pour nous c’est de montrer les possibilités de la composition (respectivement de la construction) et d’en exposer le principe général (très général). Tel est le travail que j’ai entrepris à grands traits dans mon livre. La « Nécessité Intérieure » n’est justement qu’un thermomètre (i.e. un instrument de mesure) qui cependant conduit à la plus grande liberté, et pose dans le même temps la capacité intérieure comme unique limitation de cette liberté. Dans la suite de mon travail qui mûrit en moi pas à pas maintenant (et depuis des années déjà) je touche en d’heureux instants la source universelle des formes de l’expression. Parfois les choses avancent si lentement que je m’en arracherais les cheveux de rage. — En ce qui concerne votre article dans le Cavalier Bleu, je l’ai savouré avec une joie constante. Arrivé à la conclusion, j’aurais voulu dire : ou inversement ! C’est-à-dire que lorsqu’on s’éloigne de la source, chaque possibilité de combinaison devient un « ou inversement ». Mais on est parfois contraint de n’éclairer violemment et avec insistance qu’une seule face et c’est ainsi que je comprends votre article. Mon avant-propos à la Sonorité Jaune est du reste aussi écrit de manière un peu semblable. Il n’y a malheureusement que très peu de gens qui peuvent saisir cet « ou inversement ». C’est aussi pourquoi les dix commandements ont été donnés sous cette forme unilatérale et « positive ». C’est pourquoi le Christ a dit : « Vous ne pouvez pas comprendre aujourd’hui ce qui est à venir ». Et nous sommes aujourd’hui au seuil de cet « à venir ». Ce qui est notre plus grande chance. Enfin, c’est également de cette manière que je comprends la construction qui, selon vous, n’est pas en relation harmonieuse avec « Sonorité jaune ». Vous me comprenez bien ! On a jusqu’ici considéré le mot construction sous un seul aspect. Mais tout a au moins deux faces — « ou inversement ». Dans ce cas : par construction on comprenait jusqu’à présent une géomètrie insistante (Hodler, les cubistes, etc.). Mais ce que je veux montrer, c’est que la construction peut aussi être atteinte par le principe de la dissonance (ou mieux), qu’elle offre là bien plus de possibilités et que ces possibilités, il faut à tout prix les exprimer dans cette nouvelle époque que nous abordons. C’est ainsi que « Sonorité jaune » est construite, c’est-à-dire comme mes tableaux. C’est ce qu’on appelle « anarchie », par quoi on comprend une absence de toute loi — (car on ne considère jamais qu’une seule face des dix commandements) alors qu’il faudrait ν voir un ordre (en art : construction), mais un ordre qui a ses racines dans une toute autre sphère : celle de la Nécessité Intérieure. En bref : il existe une loi à des milliers de kilomètres de nous, à laquelle nous aspirons depuis des millénaires, que nous pressentons, devinons, que nous croyons même voir distinctement, et à laquelle nous donnons, à cause de cela, diverses apparences. Ainsi l’évolution de « Dieu », de la religion, de la science, de l’art. Et toutes ces apparences sont justes, puisqu’elles ont toutes été vues. Seulement, elles sont fausses car elles sont vues sous un seul angle. Et l’évolution ne consiste en somme qu’à tout faire apparaître dans sa multiplicité, sa complexité. Et de plus en plus. C’est aussi le cas par exemple pour l’histoire de la musique : à une seule voix, mélodie etc.
373Et derrière cette dernière loi, il y en a, beaucoup plus loin, une autre ; car elle-même ne représente qu’un seul aspect. Il y a de quoi devenir fou et chanter Hosanna.
374Nous vous saluons cordialement vous et votre femme. Votre Kandinsky
375Odessa (sud de la Russie)
376Skobelewstr. 12
37723.10.1912
378Cher Monsieur Schoenberg
379Votre lettre m’a fait grand plaisir. C’est formidable d’avoir tant à faire et d’être autant joué. Mais de tels succès ont, d’un autre côté, les conséquences que l’on sait. Ils vous prennent tout votre temps et le dévorent. Je suis très heureux que vous vous rendiez vous-même à Pétersbourg. J’ai écrit à ce propos au Dr Kulbin51, cet énergique médecin aimable et sympathique, professeur à l’académie militaire, artiste, organisateur, etc. Il vous donnera les meilleurs conseils et vous aidera certainement en tout de bon cœur. Moi-même je connais très peu cette ville. J’ai logé il y a deux ans pendant quelques jours à l’hôtel d’Angleterre. Style vieux Pétersbourg, il n’y a pas deux mille liftboys et pas non plus de ces artifices hôteliers de grands styles si peu appétissants. Le genre en est simplement noble. Très apprécié par des Anglais sérieux, pas d’Américains bouffis d’orgueil ! Très bien situé et en même temps très calme. Je payais quatre roubles par jour pour une grande chambre avec deux fenêtres qui donnaient sur la place Isaac. Pétersbourg est une ville chère ! Quatre roubles font environ neuf marks. Si vous prévenez Kulbin de votre arrivée, il viendra certainement vous chercher à la gare et prendra soin de vous. Son adresse est la suivante : Saint-Pétersbourg, Glawny Stab, Dr N.J. Kulbin.
380K. connaît tout ; et donc aussi tous les artistes qui pourraient vous intéresser. Je suis moi-même en mauvaise relation avec les milieux libéraux (non radicaux) de Pétersbourg. Je crois que K. connaît aussi ce cercle. Il ne se passe pas beaucoup de choses, à notre sens, à Pétersbourg. Il faut dire que Moscou occupe ici la première place, ce que les habitants de Pétersbourg ne veulent à vrai dire pas reconnaître. Hartmann vit aussi à Moscou (il est en ce moment à Naples), mais sera peut-être en nov.-déc. à Pét.
381Je vais dans quinze jours à Moscou et compte y rester trois à quatre semaines. Puis peut-être quelques jours à Pétersbourg, et ensuite je retournerai — via Berlin ? — à Munich, où j’arriverai à la mi-déc. où dans la deuxième moitié du mois. Comment organisez-vous votre temps ? Ecrivez-moi s.v.p. à ce propos tout de suite, même si ce n’est que de façon très succincte !
382Mon exposition a lieu à cette adresse : Königin-Augustestr. 51 (« Der Sturm »), et reste jusqu’à fin octobre à Berlin. Puis ce sera la Hollande. En janvier Munich, etc.
383Je termine rapidement !
384Cordiales salutations à vous ainsi qu’à votre femme.
385Votre Kandinsky
386J’attends impatiemment votre réponse. J’ai aussi envoyé votre lettre à Münter.
387St-Pétersbourg
38818.12.1912
389Cher Monsieur Kandinsky, j’étais sûr de vous voir à Pétersbourg ou à Berlin. Je vous ai écrit à Odessa, mais vous ne m’avez pas répondu. Je suis aujourd’hui chez Monsieur Kulbin et suis très heureux de le trouver tel que vous me l’avez décrit. — Cordiales salutations à vous ainsi qu’à Mlle Münter (je lui écrirai dès mon arrivée à Berlin).
390Votre Arnold Schoenberg
391[en russe :]
392Vœux et meilleures salutations N. Kul’bin
393Bien que nous ne nous connaissions pas, j’ai beaucoup entendu parler de vous et vous ai même écrit, malheureusement sans recevoir de réponse. Je me permets de vous envoyer mes salutations.
394N. Dobycina52
395Arnold Schoenberg
396Berlin-Südende
397Berlinerstr. 17a
39828.9.1913
399Cher Monsieur Kandinsky, j’ai continuellement des choses désagréables à faire, et dois aussi combattre la fatigue qui en résulte. Il est triste de ne pas pouvoir reprendre son souffle. Et quand je suis fatigué, je n’ai plus du tout envie de travailler, ni d’écrire des lettres. Ne m’en veuillez pas !
400Merci pour votre si gentille lettre. Je vais demander aux éditions Universal d’envoyer les partitions. J’espère qu’ils le feront. Ils sont très mesquins pour ce genre de choses.
401Je donne volontiers mon article sur « Problèmes de pédagogie en art » à la revue « Die Kunst »53. Dois-je l’envoyer directement ? Je ne sais pas si j’en ai encore un exemplaire. — Justement, je viens d’en trouver un et l’envoie. Je me réfère à vous.
402Je ne serai malheureusement pas cette année à Saint-Pétersbourg, mais j’y serai l’année prochaine, j’espère. Par contre en février paraîtront à Munich mes « Gurrelieder », que je ne méprise pas du tout contrairement à ce que disent les journalistes. Car s’il est vrai que j’ai évolué depuis ce temps-là, je ne me suis pas amélioré ; c’est seulement mon style qui est devenu meilleur, de sorte que je peux exprimer plus profondément ce que j’avais déjà à dire autrefois, et que je suis malgré cela en mesure de le dire d’une manière à la fois plus succincte et plus détaillée. J’attache donc de l’importance à ce qu’on reconnaisse dans ces œuvres ce qui s’est confirmé plus tard. Fritz Soot54 chante le 18 novembre d’anciens Lieder de moi. Bien qu’ils ne soient pas aussi vieux que les « Gurrelieder » (postérieurs d’environ 4 à 6 ans), je les aime un peu moins. Toujours est-il qu’il y en a peu d’aussi bien écrits. Mais ils sont ce que j’ai produit de moins libre. A l’époque où je les composais, je croyais encore avoir à apprendre ce que je savais déjà faire depuis bien longtemps. Cela me procure moins de joie maintenant. Peut-être avez-vous le temps et l’envie d’écouter l’un ou l’autre !
403Le fait d’avoir du succès en Russie me fait très plaisir. On m’accorde bien plus d’intérêt à l’étranger qu’en Allemagne. On sera probablement aussi injuste envers mes œuvres de jeunesse qu’envers celles de Mahler. Ici, on a une idée tellement figée de la modernité, d’une modernité au goût du jour, qui oublie complètement la personnalité et fait valoir la seule technique à la mode, que j’ai peu de chance avec mes œuvres plus anciennes. Le classement (!!), soit dit en passant, est le suivant :
404Strauss, ou Debussy, ou Scriabine, et éventuellement mes dernières productions.
405Mais je crois que ce ne sont que des futilités. Le style n’a de l’importance que si tout le reste est là. Et alors, il n’entre plus en ligne de compte, car nous aimons Beethoven non parce que son style était nouveau pour l’époque, mais à cause du caractère toujours nouveau de son contenu. Naturellement, un style moderne est un moyen commode d’établir un rapport avec un auteur, pour celui qui sans cela ne comprend rien à rien. Mais cela ne m’intéresse pas. J’aimerais bien que l’on considère ce que je dis, et non comment je le dis. C’est seulement lorsqu’on l’aura perçu, qu’on verra que c’est inimitable.
406Je suis ridicule de parler de moi. Mais je voudrais que vous fassiez la même chose et que vous me parliez de vous ! Je ne sais plus ce que vous devenez ! Ni ce que devient Mlle Münter. Je regrette beaucoup de n’avoir pas encore répondu à sa lettre ! Il faut absolument que je le fasse prochainement. Priez votre chère femme d’éventuellement voir dans ma résolution le fait accompli. Toutes mes cordiales salutations à vous deux, votre
407Arnold Schoenberg
408[écriture de Münter]
4098.11.1913
410Cher Monsieur Schoenberg !
411En vitesse quelques mots : avez-vous déjà visité le premier Salon d’Automne allemand ? Ne le manquez pas. Il y a là beaucoup de choses qui vous intéresseront.
412Tous deux nous vous saluons cordialement. Votre G. Münter
413[écriture de Kandinsky]
414Mes meilleures salutations et remerciements pour la lettre à laquelle je répondrai quoi qu’il arrive ! J’ai eu énormément à faire.
415Votre Kandinsky
4165.2.1914
417Cher Monsieur Schoenberg
418J’ai souvent voulu vous écrire quelques mots et votre lettre m’a fait — il y a... des mois — très plaisir. On est vraiment pris de vertige à voir les couleurs des quatre saisons — blanc, rose, vert, orange —, défiler à toute allure devant les yeux. On s’imagine le cycle se répéter 20 fois et on se voit déjà un vieillard. Et le travail n’en est vraiment seulement qu’à son début. De nouvelles possibilités s’ouvrent continuellement, l’une après l’autre, par fragment, et n’apparaissent comme un tout qu’en de rares instants de bonheur. Peut-être devrait-on s’enfermer de temps en temps dans une tour pour se débarrasser de tous les soucis. Mais la « vie » grimpe aussi sur les tours et se faufile par le trou de la serrure. Le plus important est donc de pouvoir s’enfermer intérieurement, de se purifier intérieurement. Je pense, d’un autre côté, qu’il viendra désormais plus de tranquillité de l’extérieur. De toute façon, la période d’explosion en peinture est à peu près révolue. Le grand tamis apparaît sur la scène (de la vie), et tout ce qui est petit, mesquin passe à travers. Et les hommes se battront d’autant plus pour ce qui est resté dedans. Il suffit de regarder ce qui est maintenant publié en matière de « livres d’art » ! Les slogans sont devenus universellement connus ; on peut les trouver pour un sou dans le journal — et il n’est plus guère difficile d’écrire un livre. Le sabbat des sorcières de la rage d’écrire ! On se repasse une monnaie de plus en plus fine, poisseuse d’être passée entre tant de doigts sales. Malheur à celui qui emploie une forme « plus facile » et « plus compréhensible », plus explicite ! On fait de l’art une ménagerie : les plus beaux specimens sont assis dans des cages et un courageux dompteur explique, le fouet à la main, les qualités des artistes. Tout est incroyablement simplifié, le mystère devient une marchandise. Soyez content que personne ne veuille comprendre ce que vous faites. Laissez les doigts sales chercher à tâton votre forme ! Celui qui a vraiment besoin d’un contenu y arrivera avec le temps. On le reconnaîtra à ses mains propres. Vous voyez que je ne suis pas particulièrement bien disposé. C’est tout de même en partie la faute de la grippe qui a laissé son poison dans tous mes membres. Et ce mauvais poison m’empêche de travailler. Et ce n’est pas vraiment favorable à la bonne humeur.
419Cordiales salutations
420et n’oubliez pas tout à fait votre Kandinsky
42127.3.1914
422Cher Monsieur Schoenberg
423Le dossier est arrivé aujourd’hui avec votre lettre et celle de Monsieur Müller55.
424Je regrette beaucoup d’être dans l’impossibilité de vous rendre service. Croyez-le bien ! Mais je ne peux pas faire mentir ma conscience. Les gravures sur bois ne sont pas mauvaises, et non plus dénuées de talent56, mais elles sont passablement loin de ce que sont à mes yeux l’art graphique et la peinture. Les formes sont d’un moderne conventionnel, le tout est fait très vite, sans aucune sensibilité ou avec si peu de sensibilité, que je n’arrive pas à la discerner. Je ne comprends pas ce que cela veut dire. Croyez-moi ; votre musique ne s’en trouve pas honorée. Rien ne me semble inspirer ce travail si ce n’est quelque chose de tout à fait superficiel. Je n’appelle pas cela « créer ». Comment pourrais-je défendre une telle chose ? Je suis vraiment désolé de devoir formuler un jugement si sévère. Mais je ne peux pas faire autrement. Et la page de titre ! De telles choses doivent être faites. Elles ne devraient pas être peintes « joliment » au pinceau. Où donc est votre musique, si sentie, si pensée, et qui est avant tout une vraie réalisation. Il n’y a qu’un Schoenberg, et il y a des dizaines de milliers, et encore bien plus, de pages comme celle-ci.
425Ne m’en veuillez pas ! Tous deux nous vous saluons cordialement ainsi que votre femme.
426Votre Kandinsky.
427Je lis continuellement des articles à votre propos dans la revue « Musik » de Moscou : vos succès londoniens, etc. Et je m’en réjouis à chaque fois57.
428Munich
4295.5.1914
430Cher Monsieur Schoenberg
431Nous sommes très heureux que vous veniez cet été en Bavière avec votre famille. C’est vraiment bien ! Münter vous recommande Uffing4) — un endroit tranquille au bord du Staffelsee, (deux hôtels : « Seerose » — simple, charmant ; « Kurhaus Staffelsee » — cher, pas très bon) ou Seehausen, bien plus proche de chez nous. Aux deux endroits il y a de très jolies possibilités de baignade et de promenade en barque.
432De Uffing à Murnau — une heure en barque, pareil à pied. De Neuhausen [= Seehausen] — vingt minutes.
433Uffing est plus charmant. Mais vous pouvez tout aussi bien louer un logement à Murnau — simplement M. se trouve en altitude, et donc après la natation ou l’aviron on est obligé de grimper sur la colline. Le mieux serait vraiment de partir ensemble de Munich pour la région de Murnau et que là, vous examiniez tout vous-même. Voulez-vous un logement avec cuisine ? Ou peut-être n’avez-vous pas envie de vous occuper du ménage ?
434Il y a ici toutes sortes de projets théâtraux, dont Marc vous aura certainement déjà parlé. C’est pourquoi vous êtes attendu avec beaucoup d’impatience.
435Très cordiales salutations.
436Votre Kandinsky
437[écriture de Münter]
438[écriture de Münter]
439Murnau, dimanche le 7.5.1914
440Cher Monsieur Schoenberg — nous venons de voir une maisonnette isolée tout à fait ravissante. Adresse Jos. Staib, Murnau, Seidelstr. 6. Le propriétaire est absent toute la journée et ne vient que pour y dormir. Sa femme est ailleurs, vous auriez donc le royaume pour vous tout seul. L’homme est un type particulièrement symphatique, la maisonnette charmante, joli jardin avec grande cabane. Lampe à pétrole. W.-C. en haut et en bas — de plus, à l’ouest, une petite véranda — devant, à l’est, balcon couvert.
441[esquisse du logement dessinée de Münter]
442Monsieur Jos. Staib est très raisonnable — il demande 300 DM 4 chambres pendant 5 semaines. Il y a encore un réduit pour les valises. Il veut 250 DM pour 3 ch[ambres], dans ce cas il garderait la n° 1 pour lui. Mais alors, on pourrait placer 2 ou 3 lits dans une ch. p. ex. la ch. 4
443[petit croquis]
444de manière à ce que le sofa devant la fenêtre se trouve au milieu.
445Alors qu’en dites-vous ? S’il vous plait, répondez le plus vite possible, de préférence directement à Staib.
446Les petites maisonnettes « Seefried » sont quand même trop primitives et trop petites pour vous. La villa Wild est un vrai paradis — mais avec des hommes. Ou peut-être avez-vous déjà écrit à Monsieur Wild à propos d’« Achilles » ; éventuellement il la céderait meilleur marché pour cinq semaines. A présent, nous sommes curieux — et à table : le poisson arrive justement.
447[écriture de Kandinsky]
448Le poisson était délicieux ! Menu royal même !! et la bière !!! alors santé !
449La maisonnette de Staib est une simple maison rurale (pas une villa), mais très propre, sans odeurs, qui vient d’être peinte, arrangée, etc. Pas d’enfant ni de chien dans la maison. L’homme est jeune (et récemment marié), et vraiment très aimable. — Jusqu’au lac — env. 15 minutes. Très bien située, isolée. Le croquis est complètement disproportionné : la maison est éloignée de la route, le chemin de fer encore bien plus loin de la maison, et de même le lac, etc.
450Amitiés votre K.
451[P.S. de Kandinsky]
452Les maisons du lac sont beaucoup trop petites.
453[P.S. de Münter]
454Vue sur les montagnes.
455A environ 5 minutes de chez nous. Emplacement calme, un peu à l’écart, isolé.
456[écriture de Münter]
457[non datée, 7.5.1914 ?]
458Dimanche, 6 h. Cher Monsieur Schoenberg ! nous pensons que la maisonnette en bois près du lac est trop petite, trop sommairement aménagée — vous serez dévoré par les moustiques. Le confort et les armoires manquent considérablement — par mauvais temps, vous êtes complètement assis dans l’eau et vous attrapez le rhume. Ça ne va pas pour cinq personnes, dont une veut travailler. Nous vous prions en revanche de choisir, à l’aide de notre description, entre la maison de Staib Seidlstr. 6 et la villa Achilles au bord du lac. Demain par télégramme nous vous enverrons le prix d’Achilles, après l’avoir visitée — c’est également une villa indépendante — cf. liste de logement ! Tout confort — en bas, au bord du lac. Elle sera sans doute plus chère que celle de Staib, mais le bailleur va certainement baisser son prix en dessous 1 000 DM, puisque vous n’en avez besoin que pour cinq semaines. La maison de Staib a l’avantage de pouvoir être chauffée, d’être située en haut, au village, où il y a moins de moustiques, d’être très bon marché, et d’être déjà équipée de tout le nécessaire. La cuisine semble assez bien aménagée.
459Chez Staib les lits sont sûrement bons — chez Seefried, cela à l’air un peu provisoire. Je laisse à nouveau terminer Κ. — afin de ne rien oublier.
460[écriture de Kandinsky]
461Chez Staib on trouve de bons poëles de faïence. Reçu votre lettre par express à quatre heures. Mardi vous aurez la description de Staib et le prix d’Achilles. Communiquez-nous alors par télégramme s.v.p. ce que nous devons prendre. L’été bavarois peut être froid. Fourneau et bois peuvent être nécessaire.
462Votre K.
46312.5.1914
464Cher Monsieur Schoenberg, nous étions il y a quelques jours à Murnau. Là nous avons parlé (comme prévu) avec l’ancienne propriétaire de notre maisonnette, qui possède maintenant une autre maison plus grande, et qui loue des chambres. C’est une femme très honnête, consciencieuse et gentille, et que nous pouvons tous deux vous recommander très chaleureusement. Elle a différentes chambres disponibles qui sont libres jusqu’au 4 juillet (après, tout est loué). Les prix sont : 1er étage, 1 DM par lit, 2e étage — 80 Pf. Vous pouvez aussi avoir deux ou trois chambres, l’utilisation de la cuisine est inclue dans le prix. Seulement je ne sais malheureusement pas si un supplément vous sera facturé au cas où vous désireriez utiliser la cuisine seule, c’est-à-dire, en disposer exclusivement pour vous. J’imagine que non. Donc ! 80 Pf. par jour. Si cela vous intéresse, et pour en savoir plus, écrivez donc à Madame Xaver Streidl, Kohlgruberstrasse, Murnau, Staffelsee, Haute Bavière. Très joli coup d’œil sur Murnau, et vue sur le lac de plusieurs fenêtres. Joli balcon. Chambre à l’est (Murnau) — et façade au sud (montagne) ; c’est important, la Bavière est froide. Pour aller au lac on passe à travers de jolis jardins et bois. Beaucoup de petits lapins ! N.B. pour la jeune génération ! Prairies, collines isolées, forêts où apparaissent fréquemment des chevreuils qui chantent merveilleusement.
465[petite esquisse dessinée par Münter]
466C’est à 5-8 mn de chez nous ! Nous serions très heureux, si vous logiez chez Streidl. Mais j’ai oublié une chose ! Je ne sais pas au fait combien de temps vous comptez rester dans notre région ! Etant donné que les chambres ne sont libres que jusqu’au 4 juillet. Mais alors voulez-vous peut-être vous rendre dans la région de Kochel — à Kochel même ou au bord de l’agréable Walchensee. Mais Kochel est tout aussi agréable ! Nous trouvons simplement Murnau plus varié, plus libre.
467Je vais vite mettre la lettre dans la boîte. Ecrivez-nous donc, en quelques mots, ce que vous décidez ! D’accord ?
468Cordiales salutations, Votre Kandinsky
469Berlin,
47025.5.1914
471Cher Monsieur Kandinsky,
472Tous mes remerciements pour votre très gentille lettre. Mais vous m’avez mal compris : je compte passer les vacances en Bavière ; du 4 juillet aux 13/14 août environ. Et comme j’aimerais composer beaucoup je dois habiter un endroit très calme et tranquille. Au mieux, seul dans une petite maison.
473Il faut que cela soit un véritable logement, à l’abri de tout regard étranger. Complètement isolé, donc. Je ne sais pas si vous avez le temps de vous occuper de cela. A tout hasard, je vous envoie un « questionnaire » sur lequel tout ce que je désire est exactement indiqué. J’ai souligné d’un trait rouge ce à quoi je tiens particulièrement. Comme vous le voyez, je suis malheureusement très exigeant. Cela s’explique par le fait que je veux employer l’été à travailler, et donc que je voudrais avoir à portée de main tous les bienfaits de la campagne, car je n’aurai que peu de temps pour en profiter ; et puis : être bien logé. Je deviens vieux, vraisemblablement, pour avoir besoin d’autant de confort.
474Je serais très heureux s’il vous était possible de vous occuper un peu de cela. Mais si vous n’avez pas le temps de la faire, je m’en occuperai évidemment moi-même. J’aimerais beaucoup que nous puissions passer l’été ensemble.
475Très cordiales salutations à vous ainsi qu’à Mlle Münter.
476Votre Arnold Schoenberg
477[écriture de Münter]
4784.6.1914
479Cher Monsieur Schoenberg — en vitesse —
480I. Madame Anna Andre. Maison à 2-5 mn du lac, sur la « Promenade du Lac ». Joli jardin. A l’intérieur est attaché un joli petit chien brun qui aboie peut-être beaucoup. Le rez-de-chaussée est loué à une famille avec trois ou quatre enfants sages d’âge scolaire et une plus petite fille. A louer : 1er étage, 2 ch. avec 4 lits et une chambre avec 1 lit, dont on pourrait aussi faire, sans le lit, une salle de séjour. 2e étage : chambre de bonne — armoires en suffisance et même en bon état (il me semble). Cuisine aménagée. Cabinet de toilette à l’étage — mais pas de W.C. Prix 470 DM (compté pour 2 mois — elle ne voudrait pas la céder à d’autres conditions). Eau courante.
481II. Maisonnette de bois idyllique et intime, sur la pointe qui s’avance dans le lac — véritable habitation provisoire d’été. Tout à fait à l’écart, mais pas trop isolée. Bateau à disposition, possibilités de bain. Plan approximatif au verso.
482[plan du logement de la main de Münter]
483Maisonnette au centre d’une place avec des arbres — tout au bord du lac.
484La place où se trouve la maison n’est pas grande, et il y a en plus un étang. La maison a 8 lits — ce n’est pas extraordinairement comfortable. Toilettes sans eau. A une minute de la maison, bonne eau potable à une petite fontaine. Esquisse approximative du rez-de-chaussée. Le dessin est sûrement faux dans ses proportions. Tout est très petit. En haut, devant, il y a encore un balcon, 1 armoire et 1 vestiaire avec un rideau et une étagère. Prix pour la saison 400-500, mais on peut sûrement s’arranger pour 80 ou 70 par semaine. Des moustiquaires contre les moustiques du bord du lac seront probablement fournies. La jeune dame ne pouvait rien dire de précis, mais c’est cependant certain. Il n’y a que deux de ces toutes petites maisons, dont une sera habitée par les propriétaires et qui se trouve un peu plus loin du lac et un peu plus en altitude. Il fait probablement légèrement frais et humide si près du lac. Ils vous donneraient évent. l’autre maisonnette, où ils habitent eux-même maintenant. Elle est encore un peu plus petite, mais le jardin est plus grand avec une belle prairie et une cabane. Nous trouvons cette dernière ravissante, si elle n’est pas trop petite. Entièrement en bois sauf le côté exposé aux intempéries qui est garni de tôle et au 2e d’ardoise. 6 lits au 3e. Le plan est semblable à celui de l’autre. Adresse Madame Seefried, Murnau, Villa Seefried.
485IV. Sur cette même pointe, il y a une grande maison dans un jardin énorme qui ressemble à un parc. Là vit un gentil gaillard original qui reçoit d’habitude ses parents en visite ; le rez-de-chaussée sera aussi probablement loué. Il y a là-bas un piano qu’on vous donnera peut-être ! Ou alors, exceptionnellement, vous pourrez l’employez chez eux. C’est le1er étage qu’il vous faut considérer : 3 chambres, 5-6 lits, cuisine — tout confort. Le monsieur proposait 70-80 par semaine comme vous le demandiez. Le chien est toléré mais il faut faire attention, car il y a toutes sortes d’animaux domestiques et d’oiseaux qui les fait fuir facilement. Plage privée. Pêche, bateau, bateau à boile, court de tennis, etc. — tout est à disposition — stand de tir etc. C’est un endroit merveilleux ! Tout est très urgent et vous êtes prié de nous communiquer tout de suite ce qui vous intéresse.
486La villa Wild est très demandée. De toute façon c’est déjà un peu tard, la plus grande partie est louée. A Seidlstrasse il y a peut-être encore quelque chose — mais c’est loin du lac. Le parc mesure 5 ares. Bain de soleil. Ci-joint le prospectus.
487[en marge de la page 1]
488La villa Achilles appartient aussi à Monsieur Wild — pour le prix il ne s’est pas montré intransigeant — nous devons encore en parler. Ecrivez-lui si toutefois vous préférez Achilles à la villa Wild. Cf. villa Achilles dans la liste de logement.
489Berlin
4906.6.1914
491Cher Monsieur Kandinsky,
492ou, c’est ce que je déduis de l’écriture (malgré la signature), Chère Mlle Münter, mille fois merci. Votre réponse me fait très plaisir. D’autant plus qu’elle indique que nous allons passer l’été ensemble. Car je me suis déjà décidé.
493J’aimerais louer la plus grande des deux maisonnettes (celle qui est près du lac, recouverte d’ardoise, 8 lits, et l’étang) — est-ce vraiment prévu pour une seule personne ??!! Piano et chien autorisés, mon existence autorisée ?? — pour la période qui va du :
4944 juillet (jour d’arrivée, le matin) jusqu’au 9 août inclu (départ le 10 au matin), si la propriétaire le cède pour 400 DM au grand maximum. Je préfèrerais toutefois que vous la convainquiez, en lui faisant valoir la gloire qu’elle gagnerait par là dans l’histoire de la musique, de baisser son prix de 50 DM ou plus (j’espère que cette Madame Seefried est ambitieuse).
495Je vous enverrai éventuellement des précisions par télégramme (au cas où vous voudriez faire une avance) — câblez-moi s’il vous plaît quelle est la somme nécessaire.
496Je suppose que la cuisine est parfaitement équipée.
497A-t-on prévu une chambre pour la bonne ?
498Je vous serais reconnaissant de bien vouloir répondre à ces quelques questions :
Combien y a-t-il de pièces dans la maison ?
Croyez-vous que l’on peut mettre un piano droit dans la salle à manger ?
499C’est vrai : je relis la lettre encore un fois, et je m’aperçois que je ne me suis pas exprimé clairement.
500Je répète donc :
501Je vous prie instamment de louer la maisonnette en question si les conditions indiquées au verso, soulignées ou encadrées de bleu, sont remplies.
502Je vous saurais gré de me prévenir par télégramme dès que cela est fait.
503Vous trouverez ci-joint un télégramme affranchi.
504Je me réjouis beaucoup d’être avec vous et vous remercie encore pour tout. Très cordiales salutations.
505Votre Arnold Schoenberg
506Murnau
50710.6.1914
508Cher Monsieur Schoenberg
509Tout est donc pour le mieux. J’espère que vous êtes content. J’ai reçu les 50 DM et aujourd’hui le télégramme. Avant que nous nous soyons définitivement décidés à suivre vos dernières indications, nous avons dû non sans mal surmonter de nombreux doutes et hésitations. Wild (Achilles) est près du bord du lac et possède une maison de bain privée, un bon jardin, les pièces sont bien, sinon beaucoup plus grandes que chez Staib. Par contre : pas de poêle (on nous a promis que le pétrole, comme on le sait, affecte plus le nez que la température du corps — et le mois de juillet, ici, est aussi parfois froid), loin d’une localité (achats, médecin, pharmacie, ce qui pour les enfants peut être très important), de la maison et du jardin pas de vue très étendue et finalement c’est quand même 50-100 DM plus cher. Chez Staib : tout est fraîchement repeint et arrangé (Achilles est dans un état qui, en ce moment, laisse à désirer, des réparations sont prévues — mais quand seront-elles faites ?), dans chaque chambre, il y a un poêle, de bons lits, une cuisine parfaitement agencée (Achilles — insatisfaisant), vue panoramique, plus de possibilités de promenade, un propriétaire très gentil, pharmacie très proche, même des médecins, c’est presque dans le village mais quand même tout à fait à l’écart. Il n’y a qu’une chose que nous avons (j’ai ?) mal évaluée : 15 mn jusqu’au lac pour vous (évent. pour moi qui marche vite) — mais avec des enfants ça prendra bien 20-25 mn. Ce point m’ennuie beaucoup. Par contre (en dehors des questions d’argent), chez Staib vous êtes plus près des gens, mais quand même « plus seul » : votre entourage est composé de vrais habitants de Murnau, qui sont, en règle générale, gentils et discrets. En revanche, Achilles se trouve sur une pointe qui ressemble à une petite ville de province : rien que des voisins cultivés qui étant coupés du « monde » mettent en règle générale volontiers le nez dans les affaires des autres. Là-bas, par mauvais temps, ce serait trop lugubre et peut-être trop humide et... les moustiques. Nous avons ainsi encore réfléchi et nous sommes donc restés chez Staib. Je vais maintenant bientôt chez lui (il ne rentre qu’à 6 h), je paie les 50 DM et mets la lettre dans la boîte.
510Tous deux nous vous saluons cordialement ainsi que votre famille.
511Votre Kandinsky
512[écriture de Münter]
513non daté [entre le 10 et 25.6.1914]
514Cher Monsieur Schoenberg !
515Votre bailleur Monsieur Staib vous prie de bien vouloir lui indiquer à temps quand vous arriverez ; il veut se libérer de son travail ce jour-là et venir vous chercher à la gare ; d’après lui : « il y a toujours des femmes qui n’arrivent pas à se débrouiller avec leurs bagages ». Il vous aidera donc volontiers. Si vous arrivez tôt dans la journée, nous pouvons faire selon vos indications les évent. transformations nécessaires. — Si toutefois vous arrivez le soir il faudrait savoir à temps quelle chambre vous voulez donner à la bonne. Pour ma part je dirais celle en haut au Nord, car pour vous-mêmes et les enfants vous voulez sûrement avoir du soleil ; donc la chambre au Nord a une fenêtre au N. à l’E. et à l’O. et il y a là deux lits, celle au Sud (construite exactement comme celle au Nord, cf. fig. [suit ici une petite esquisse de Münter]) a un lit et un divan. Celle d’en bas a deux lits. Le mieux serait de voir et de décider vous-mêmes, mais au cas où vous arriveriez tard, donnez-nous les ordres par écrit, nous arrangerons tout.
516Nous devons vous renvoyer vos 50 DM ; on ne les veut pas ici.
517A très bientôt.
518Cordiales salutations.
519Votre dévouée Gabriele Münter
520Weimar
521Staat. Bauhaus58
5223.7.22
523Mon cher Schoenberg,
524J’ai été très déçu quand je suis arrivé à Berlin d’apprendre que vous n’y étiez plus. Je m’étais réjouis, lors de nos projets de voyages, de vous y retrouver. Mais on m’a dit : Schoenberg est parti et ne veut plus revenir. Et une lettre est un succédané si maladroit. J’espérais que nous nous verrions très souvent, et que nous parlerions de tant de choses. Tout a vraiment changé depuis le temps où nous étions ensemble en Bavière. Ce qui semblait à cette époque un rêve audacieux appartient désormais au passé. Nous avons vécu des siècles. Je m’étonne parfois qu’on puisse voir encore aujourd’hui certaines choses de « l’ancien » temps. Ici, en Allemagne, j’ai été submergé d’impressions nouvelles. Vous savez bien qu’en Russie, nous avons vécu pendant quatre ans — en tout sept — coupés du reste du monde et que nous n’avions aucune idée de ce qui se passait à l’Ouest. Je suis arrivé la bouche grande ouverte et j’ai avalé, avalé jusqu’à me sentir tout autre. Moi-même, je n’ai pas du tout travaillé et je me trouve maintenant enseveli sous une montagne de travaux divers que je dois terminer rapidement. J’ai tant à faire, que je ne sais plus par quel bout commencer. C’est une sensation merveilleuse d’avoir devant soi tant de travail à faire pour soi-même. En Russie, j’ai beaucoup travaillé, mais pour le « bien de la communauté »59 — et j’ai dû voler du temps pour mes travaux personnels, qui sont toujours restés à l’arrière-plan. Je suis arrivé dans un tel état de fatigue et d’épuisement, que j’ai été malade pendant tout un mois — je ne pouvais que rester couché et lire des livres stupides.
525Ecrivez-moi pour me dire ce que vous faites. A Berlin, j’ai essayé de faire envoyer votre « Traité d’Harmonie » à l’Académie russe des Sciences de l’Art par la commission russe. Mais jusqu’à présent, je n’ai pas réussi — la commission manque d’argent. Les musiciens russes ont soif de votre livre. Nous avons beaucoup parlé de vous lors de différentes séances. Un bon ami à moi, le jeune compositeur A. Schenschin60, qui est également un fin théoricien, vous apprécie tout particulièrement. Peut-être viendra-t-il en Allemagne.
526Je vous serre cordialement la main et j’espère bientôt avoir de vos nouvelles. Cordiales salutations à votre famille et à votre entourage. Ma femme vous salue beaucoup.
527Votre Kandinsky
528Traukirchen
529le 20.7.1922
530Cher ami Kandinsky,
531Je suis très heureux d’avoir enfin de vos nouvelles. Comme j’ai souvent pensé à vous au cours de ces huit dernières années, et non sans inquiétude ! J’ai aussi interrogé beaucoup de gens, mais sans jamais obtenir de réponse claire et fiable. Vous avez dû traverser beaucoup d’épreuves !
532Vous savez sans doute que, nous aussi, nous en avons connu quelques-unes : la famine ! C’était absolument horrible ! Mais peut-être — car nous autres Viennois semblons avoir beaucoup de patience — peut-être que le plus horrible était cependant le renversement de tout ce à quoi on croyait auparavant. C’était sans doute le plus douloureux. Lorsqu’on a été habitué, pour son travail, à balayer toutes les difficultés au moyen d’un gigantesque effort intellectuel et qu’on se retrouve pendant ces huit années constamment confronté à de nouvelles difficultés contre lesquelles toute pensée, toute invention, toute énergie, toute idée est impuissante, cela signifie, pour celui qui tenait toute chose pour idée, l’effondrement, dans la mesure où il ne s’est pas appuyé, de plus en plus, sur d’autres croyances plus hautes. Ce que je pense, c’est mon poème l’Echelle de Jacob5 (un oratorio), qui vous le dirait le mieux : je veux dire — même si c’est sans contrainte d’organisation — la religion. C’était dans ces années mon seul soutien — je le dis pour la première fois.
533Je comprends que vous soyez étonné par la situation artistique à Berlin. Etes-vous également satisfait ? Je n’ai pas beaucoup de sympathie pour tous ces mouvements, mais sans craindre qu’ils m’importunent longtemps. Rien ne s’immobilise plus vite que ces mouvements que tant de gens font naître.
534Du reste tous ces gens vendent tout simplement notre peau — la vôtre et la mienne. Je trouve cela abominable, du moins en musique : ces atonalistes ! Oui, au diable : j’ai composé sans en appeler à un quelconque « isme ». Qu’en ai-je à faire ?
535J’espère que vous pourrez bientôt vous mettre au travail. Je crois que c’est précisément ce qu’il faudrait à ces mouvements, que vous leur mettiez quelque obstacle sur la route. — Quels sont vos projets ? — Que devient votre livre Du spirituel dans l’art ? J’y pense parce qu’il a paru en même temps que mon Traité d’Harmonie, dont j’envoie précisément une édition passablement revue à l’imprimeur. Si cela vous intéresse : je travaille pour l’instant à l’Echelle de Jacob. Je l’ai commencé il y a plusieurs années, mais j’ai dû interrompre ce travail (à un des endroits les plus captivants) pour partir à l’armée. Depuis, je n’ai pas eu l’envie de m’y remettre. Mais il me semble que cette année je vais progresser. Ce sera une grande œuvre : chœur, solistes et orchestre. J’ai aussi un projet, un petit ouvrage théorique : Traité de la cohérence musicale, qui m’occupe également depuis plusieurs années et qui a toujours été repoussé — sans doute n’est-il pas encore mûr. Pour le reste : musique de chambre et choses de ce genre. Je songe en outre à un traité de composition, pour lequel je fais également des travaux préliminaires depuis des années.
536Voilà, j’ai bavardé comme un petit enfant, que je ne suis vraiment plus depuis plusieurs dizaines d’années. Mais il en est ainsi lorsqu’on écrit des lettres : on s’est enfin échauffé que l’on est déjà fatigué.
537Vous sera-t-il possible de venir un jour en Autriche ? J’aimerais tant vous voir.
538J’espère en tout cas avoir plus souvent de vos nouvelles, qui me font beaucoup de bien...
539[...]
540Je vous salue très cordialement [...] ainsi que votre femme. De même, salutations de ma femme et de ma fille, maintenant Madame Gertrud Greissle (née Schoenberg). Mon garçon est devenu un joueur de football passionné qui fait connaître mon nom dans des cercles plus larges — je suis le père du joueur de football renommé Georg Sch.
541Toutes mes cordiales salutations.
542Arn. Schoenberg
543N.B. Mon traité d’harmonie est épuisé depuis trois ans (je travaille depuis presque aussi longtemps à la nouvelle édition, avec des pauses), c’est pourquoi vous ne pourrez l’acheter nulle part. Dès qu’il paraîtra, je vous l’enverrai.
544Weimar
545Bauhaus
54615.4.23
547Cher ami,
548Votre lettre m’a fait grand plaisir, et seul le rythme insensé de la vie actuelle peut expliquer mon long silence. C’est vraiment comme dans un mauvais rêve — vous voulez sauter dans le train qui part, courir de toutes vos forces, mais les jambes ne suivent pas. J’ai d’abord pensé que c’était une façon de vivre typiquement russe et j’espérais trouver ici d’autres conditions plus favorables à la concentration. A Berlin la vie était particulièrement agitée, mais je pensais que cela ne durerait pas, j’espérais trouver dans « la tranquille Weimar » suffisamment de calme. Mais ce n’était qu’illusion. Je n’arrive jamais à faire la moitié de ce que je voudrais et malgré tout, la vie est agréable : il y a beaucoup de possibilités et par-dessus tout celle de créer un centre, dont le rayonnement pourra par la suite se propager. Mais pour cela, notre petit cercle ne suffit pas, nous avons besoin de forces élevées. Combien de fois me suis-je dit : « Si seulement Schoenberg était là ! » Et imaginez-vous, il pourrait peut-être venir maintenant, car il s’est formé ici un milieu qui exerce une influence certaine là où c’est nécessaire. La décision ne dépend peut-être que de vous. Confidentiellement : l’école de musique cherche un nouveau directeur, et nous avons immédiatement pensé à vous. Ecrivez-moi donc aussi vite que possible pour me dire si en principe, vous seriez d’accord. Si oui, nous nous mettrons tout de suite à l’œuvre.
549Cordiales salutations à vous et à votre famille, de la part de ma femme aussi.
550Je reste votre Kandinsky
551La nouvelle édition de votre « Traité d’Harmonie » est-elle parue ? Les musiciens russes l’attendent impatiemment.
552Mödling,
553le 19.4.1923
554Cher Monsieur Kandinsky,
555Si j’avais reçu votre lettre un an plus tôt, j’aurais laissé tomber tous mes principes, j’aurais renoncé à la perspective de pouvoir enfin composer et j’aurais plongé, la tête la première, dans l’aventure. Oui, je l’avoue : même aujourd’hui, j’ai hésité un instant, tant j’ai de plaisir à enseigner, tant je suis encore facile à enflammer. Mais cela ne pourra pas être.
556Car ce qu’on m’a forcé à apprendre durant cette dernière année, je l’ai enfin compris et ne l’oublierai pas. C’est que je ne suis pas allemand, pas européen, peut-être à peine un être humain (du moins, les Européens préfèrent à moi les plus mauvais de leur race), mais que je suis juif.
557Et j’en suis content ! Aujourd’hui je ne souhaite absolument plus faire exception ; je ne suis absolument pas hostile à ce que l’on me mette dans le même sac que tous les autres. Car j’ai vu que de l’autre côté (qui sinon n’est nullement pour moi un modèle) tout est également mis dans le même sac. J’ai vu qu’un homme, avec qui je croyais être au même niveau, a cherché à tout mettre dans ce même sac ; j’ai entendu dire que même un Kandinsky ne voit que mal dans les actes des Juifs et dans leurs mauvaises actions que le fait qu’ils soient Juifs, et alors je renonce à tout espoir d’entente. C’était un rêve. Nous sommes des hommes de deux espèces. Définitivement !
558C’est pourquoi vous comprendrez que je ne fasse que ce qui est indispensable à la sauvegarde de la vie. Peut-être qu’une génération future sera en mesure de rêver. Mais je ne le souhaite ni à elle ni à moi. Au contraire, je donnerais beaucoup s’il m’était accordé de susciter un éveil.
559Que le Kandinsky d’autrefois et celui d’aujourd’hui se partagent en toute équité mes salutations cordiales et respectueuses.
560Weimar
561Bauhaus
56224.4.23
563Cher Monsieur Schoenberg,
564Hier j’ai reçu votre lettre qui m’a énormément bouleversé et blessé. Jamais auparavant, je n’aurais pu croire que nous, nous moins que quiconque, pourrions nous écrire un jour ainsi. Je ne sais pas qui a intérêt, et pourquoi, à ébranler une relation solide, purement humaine comme j’en étais convaincu, et à la détruire peut-être définitivement. Vous écrivez « définitivement ! » A qui cela peut-il profiter ?
565Je vous aime en tant qu’artiste et en tant qu’homme ou peut-être en tant qu’homme et en tant qu’artiste. Dans de tels cas, la nationalité est ce à quoi je pense le moins — elle m’est complètement indifférente. Parmi mes amis fidèles après tant d’années, il y a bien plus de Juifs que de Russes et d’Allemands (le mot « ami » a pour moi une grande importance, je m’en sers rarement). Avec l’un d’eux j’entretiens une amitié solide qui date de mes années de gymnase, et qui dure depuis 40 ans. De tels amitiés vous suivent jusque dans la « tombe ».
566J’étais très affligé à mon retour en Allemagne de ne pas vous retrouver à Berlin, parce que je m’étais réjouis pendant des années de nos retrouvailles. Si je vous y avais rencontré, nous aurions certainement parlé, entre autres sujets brûlants, du « problème juif ». J’aimerais tant savoir ce que vous en pensez. Il y a des périodes où le « Diable » refait surface et choisit pour sa besogne les têtes et les bouches qui lui conviennent. Comme chaque nation a ses caractères propres, qui peuvent évoluer dans un cadre précis, il peut quelquefois y avoir, non seulement des hommes mais des nations « possédées ». C’est une maladie, qui peut elle aussi être soignée. Mais elle révèle deux effroyables caractères : la force négative (destructrice) et le mensonge, qui agit lui aussi de façon destructrice. Vous me comprenez bien ? Ce n’est que dans cette mesure que l’on peut parler de « sac ». Nous deux ne nous trouvons pas dans des « sacs » et l’image la plus triste serait que justement chacun de nous fourre l’autre dans un sac. Si on ne sent pas fait pour vivre dans un sac, on peut alors de sang-froid, ou douloureusement — mais toujours objectivement — réfléchir sur sa nation et éprouver ses caractères innés et ses transformations actuelles.
567Seuls les hommes libres ont le droit de débattre de telles questions. Ceux qui ne sont pas libres ne les comprennent pas, et il n’en résulte que des ragots.
568Pourquoi ne m’avez-vous pas écrit tout de suite quand vous avez entendu parler de mes propos ? Vous auriez pu m’écrire que vous les désapprouviez.
569Vous avez une image effroyable du Kandinsky « d’aujourd’hui » : je vous rejette en tant que Juif, mais malgré cela je vous écris une bonne lettre et vous assure que j’aimerais tellement vous avoir ici afin que nous travaillions ensemble ! Cher Monsieur Schoenberg, avant de dire « définitivement ! », réfléchissez donc s’il est possible d’envoyer des salutations respectueuses à ce personnage « d’aujourd’hui ». C’est votre mépris que vous vouliez dire.
570Nous, qui sommes si peu nombreux à pouvoir être, dans une certaine mesure, intérieurement libres, ne devrions pas permettre que l’on jette la discorde entre nous. Ce travail est aussi un travail « noir ». On doit faire face à cela. Je ne sais pas si j’ai pu suffisamment clairement vous exposer mes sentiments. Ce n’est pas une grande chance d’être Juif, Russe, Allemand, Européen. Mieux vaut être homme. Mais nous devons plutôt aspirer à être des « surhommes ». C’est le devoir de quelques-uns.
571Même si vous me déchirez, je vous envoie mes cordiales salutations et l’expression de ma haute considération.
572Kandinsky
573[écrit sans brouillon]
574Mödling,
575le 4.5.1923
576Cher Kandinsky,
577Je vous écris donc parce que vous me dites que ma lettre vous a bouleversé. Je n’en espérais pas moins de Kandinsky, encore que je n’aie pas dit le centième de ce que l’imagination d’un Kandinsky devrait se mettre devant les yeux, s’il doit être mon Kandinsky ! Parce que je n’ai pas encore dit que, par exemple, lorsque je marche dans la rue et que chacun me regarde pour voir si je suis Juif ou Chrétien, je ne peux pas dire à chacun d’eux que je suis celui qui pour Kandinsky et quelques autres fait exception, alors que le dénommé Hitler n’est évidemment pas de cet avis. Car cette bienveillance elle-même ne me servirait pas beaucoup, même si, comme les mendiants aveugles, je voulais l’inscrire sur un panneau et la porter sur la poitrine, afin que chacun puisse la lire. Un Kandinsky n’a-t-il pas à y songer ? Un Kandinsky n’a-t-il pas la moindre idée de ce qui s’est vraiment passé lorsque j’ai dû interrompre mon premier été de travail depuis cinq ans et quitter l’endroit dans lequel j’avais cherché le calme qui me permît de travailler, sans jamais pouvoir retrouver ce calme ?61 Parce que les Allemands ne supportent aucun Juif ! Un Kandinsky peut-il être du même avis que d’autres gens que moi ? Mais peut-il avoir la moindre pensée en commun avec des HOMMES qui sont à même de déranger le calme de mon travail ? Est-ce une pensée que l’on peut avoir en commun avec de telles gens ? Et : est-ce que cela peut être juste ? Je veux dire : Kandinsky ne peut même pas avoir la géométrie en commun avec eux ! Ce n’est pas son point de vue, ou alors il n’a rien en commun avec moi.
578Je demande : pourquoi dit-on que les Juifs sont comme leurs trafiquants ?
579Dit-on également que les Aryens sont comme leurs plus mauvais éléments ? Pourquoi juge-t-on un Aryen d’après Goethe ou Schopenhauer ? Pourquoi ne dit-on pas que les Juifs sont comme Malher, Altenberg, Schönberg et beaucoup d’autres ?
580Pourquoi, si vous avez quelque sentiment pour les hommes, vous mêlez-vous de politique ?
581Alors que celle-ci ne peut tenir aucun compte des hommes et ne peut voir que l’objectif de son parti ?
582Tout Juif révèle par son nez crochu, non seulement sa propre culpabilité, mais aussi celle de tous les autres hommes qui ont le nez crochu et qui sont absents. Alors que, si on rassemble cent criminels aryens, on ne pourra déceler à leur nez que leur penchant pour l’alcool, tout en les tenant par ailleurs pour des hommes respectables.
583Et alors vous y participez et « me rejetez en tant que Juif ». Mais vous l’ai-je jamais permis ? Croyez-vous que quelqu’un comme moi se laisse rejeter ! Pensez-vous qu’un homme conscient de sa valeur concède à quiconque le droit de critiquer, fût-ce ses qualités les moins importantes ? En quoi serait-il meilleur ? Oui, chacun peut me critiquer derrière le dos, où il y a beaucoup de place. Mais, si je l’apprends, il s’expose alors à une réaction sans pitié ni merci.
584Comment un Kandinsky peut-il approuver qu’on m’insulte ? Comment peut-il prendre part à une politique qui veut créer la possibilité de m’exclure de ma sphère d’action naturelle ? Comment peut-il renoncer à combattre une conception du monde qui a pour objectif des nuits de la Saint-Barthélemy, dans l’obscurité desquelles on ne pourra pas lire la pancarte disant que je fais exception ?
585Moi-même, si j’avais quelque chose à dire dans un tel cas, je me reconnaîtrais dans une conception du monde qui assure la sécurité d’un Kandinsky, sans aucun égard pour sa valeur politique ou économique. Car mon opinion serait alors que seule une attitude qui entretienne pour le monde les justes conceptions des deux ou trois Kandinsky qu’il produit par siècle — seule une telle conception du monde pourrait me convenir. Et les pogroms, je les laisserais aux autres. Si je ne pouvais en fait rien faire pour les empêcher !
586Vous considérerez comme un cas particulier regrettable que je doive également subir les conséquences du mouvement antisémite. Mais pourquoi ne voit-on pas dans le mauvais Juif un cas particulier regrettable, plutôt qu’un exemple typique ? Dans le cercle étroit de mes propres élèves, tout de suite après la guerre, presque aucun des Aryens n’était allé au combat, et chacun avait trouvé un emploi confortable. En revanche, presque tous les Juifs étaient allés au front et avaient été blessés. Qu’en est-il là des cas particuliers ?
587Mais ce n’est pas un cas particulier, c’est-à-dire que cela n’a rien d’un hasard. Tout cela fait au contraire partie d’un plan d’ensemble : moi-même, après n’avoir pas été respecté sur la voie la plus commune, je dois encore faire un détour par la politique. Evidemment : les gens qui n’aimaient pas ma musique ni ma pensée ne pouvaient que se réjouir d’avoir maintenant encore une possibilité de se débarrasser de moi. Mon succès artistique m’est indifférent, vous le savez. Mais je ne me laisserai pas insulter !
588Qu’ai-je à faire du communisme ? Je n’en suis pas et n’en ai jamais été. Qu’ai-je à faire des Sages de Sion ? C’est pour moi un titre de conte des Mille et Une Nuits, mais rien qui soit le moins du monde digne de foi.
589Ne devrais-je pas aussi savoir quelque chose des Sages de Sion ? Ou pensez-vous que je doive mes découvertes, mon savoir, mes capacités à la protection juive ? Ou bien Einstein doit-il les siens à une commission des Sages de Sion ?
590Je ne comprends pas. Tout cela ne résisterait pourtant pas à un examen sérieux. Et n’avez-vous pas eu pendant la guerre l’occasion de remarquer que l’on ment officiellement, que l’on ne fait que mentir, que notre cerveau, en quête d’objectivité, renonce pour toujours à une perspective de vérité ? Ne le saviez-vous pas ou l’avez-vous oublié ?
591Avez-vous également oublié ce qu’une certaine sorte de sentiments peut provoquer comme blessures ? Ne savez-vous pas qu’en temps de paix tout le monde était effrayé par un accident de chemin de fer qui tuait quatre personnes, alors que pendant la guerre on entend parler de 100 000 morts sans même essayer de se représenter la misère, la douleur, l’angoisse et les conséquences ? Oui, qu’il y a des gens qui se réjouissaient du plus grand nombre de morts ennemis possible ; plus il y en avait, plus ils étaient contents ! Je ne suis pas pacifiste ; être contre la guerre, c’est aussi absurde qu’être contre la mort. Les deux sont inévitables et ne dépendent de nous que pour une part infime ; tous deux font partie des méthodes de renouvellement de la race humaine qui n’ont pas été découvertes par nous mais par des puissances supérieures. De même, le bouleversement de la structure sociale qui s’effectue actuellement n’est pas à mettre au compte d’un quelconque coupable isolé. C’est écrit dans les étoiles et c’est une nécessité. La bourgeoisie était devenue trop idéaliste, n’était plus assez combative, et c’est pourquoi les éléments misérables mais robustes de l’humanité ont surgi des profondeurs pour constituer une nouvelle classe moyenne qui soit viable. C’est elle qui achète un beau livre sur du mauvais papier et qui a faim. C’est ainsi qu’il doit en être et non autrement — peut-on ne pas le voir ?
592Et c’est cela que vous voulez empêcher. Vous voulez en rendre les juifs responsables ? Je ne comprends pas !
593Tous les Juifs sont-ils communistes ? Vous savez aussi bien que moi que ce n’est pas le cas. Moi-même je ne le suis pas, parce que je sais qu’il n’y a pas assez de choses dont on souhaiterait la répartition pour tous les hommes, mais à peine pour un sur dix. Ce dont il y a assez (malheur, maladie, vulgarité, incapacité, etc.), on ne le partage pas de toute façon. Mais aussi parce que je sais que le sentiment subjectif de bonheur ne dépend pas de la possession, mais que c’est un penchant mystérieux que l’on a ou que l’on n’a pas. Et troisièmement parce que la terre est une vallée de larmes et non un lieu de divertissement, d’une part parce qu’il n’entre pas dans l’intention du Créateur qu’il en aille également bien pour tous, d’autre part parce que cela n’a peut-être pas de signification profonde.
594Aujourd’hui il suffit de dire quelque non-sens dans le jargon scienfico-journalistique et les gens les plus avisés prennent cela pour une révélation. Les Sages de Sion — évidemment, il en est ainsi des films d’aujourd’hui, des travaux scientifiques, des opérettes, des cabarets, bref, tout ce qui anime aujourd’hui l’esprit de la terre.
595Les Juifs font des affaires en tant que commerçants. Mais, s’ils gênent les concurrents, on les attaque ; non en tant que commerçants, mais en tant que juifs. En tant que quoi doivent-ils se défendre ? Mais je suis convaincu qu’ils se défendent uniquement en tant que commerçants, et que la défense en tant que juifs n’est qu’apparente. C’est-à-dire que leurs agresseurs aryens se défendent de la même manière lorsqu’ils sont attaqués, même si c’est avec d’autres mots et en adoptant d’autres formes (plus sympathiques ?) d’hypocrisie ; et que les Juifs ne cherchent nullement à l’emporter sur la concurrence chrétienne, mais sur toute concurrence ! et que l’Aryen cherche à en faire de même ; et que toute association entre eux est pensable, si elle conduit au but, et toute autre est une contradiction. Aujourd’hui c’est la race ; une autre fois ce sera je ne sais quoi. Et un Kandinsky accepte cela ?
596Les grandes banques américaines ont donné de l’argent pour le communisme et ne nient pas le fait. Savez-vous pourquoi ? M. Ford sait qu’elles ne sont pas en position de démentir : peut-être cachent-elles ainsi une chose beaucoup plus désagréable. Car, si c’était vrai, on aurait depuis longtemps déjà démontré que c’était faux.
597ET POURTANT NOUS LE SAVONS ! POURTANT C’EST NOTRE EXPERIENCE ! Trotski et Lénine ont fait couler des flots de sang (ce qui du reste n’a jamais pu être évité dans aucune révolution de l’histoire mondiale) pour transformer une théorie, évidemment fausse (mais qui, comme celles de la plupart des philanthropes des révolutions précédentes, était bien pensée) en réalité. Cela, il faut le maudire et le punir, car celui qui touche à ce genre de choses n’a pas le droit de se tromper ! Mais les hommes seront-ils meilleurs et plus heureux si maintenant, avec le même fanatisme et les mêmes flots de sang, d’autres théories, qui, quoique de nature opposée, ne sont pas plus justes (car elles sont toutes fausses, et seule notre croyance leur prête de temps en temps cette lueur de vérité qui suffit à nous tromper) se transforment en réalité ?
598Mais à quoi l’antisémitisme doit-il conduire, si ce n’est à la violence ? Est-ce difficile de se l’imaginer ? Il vous suffit peut-être de priver les Juifs de leurs droits. Il faudra sûrement alors supprimer Einstein, Mahler, moi-même et beaucoup d’autres. Mais une chose est sûre : ces éléments beaucoup plus solides, grâce à la résistance desquels le judaïsme s’est préservé, sans protection, contre l’humanité pendant vingt siècles ne pourront être éliminés. Car ils sont manifestement organisés de manière à pouvoir remplir le devoir que leur Dieu leur a imposé : survivre en exil, sans se mêler et sans se briser, jusqu’à ce que vienne l’heure du salut !
599Les antisémites sont en fin de compte des gens qui voudraient améliorer le monde mais qui n’ont pas plus de perspicacité que les communistes et qui ont aussi peu de discernement qu’eux. Les utopistes sont les bons et les hommes d’affaires les mauvais.
600Il me faut conclure, car à force de taper à la machine j’ai mal aux yeux. J’ai dû m’interrompre pendant quelques jours et m’aperçois maintenant que moralement et tactiquement j’ai commis une très grosse faute :
601J’ai argumenté ! J’ai défendu des idées !
602J’ai oublié qu’il ne s’agit pas d’avoir raison ou tort, de vérité et de mensonge, de compréhension et de cécité, mais de pouvoir ; et dans ce domaine tout le monde semble être aveugle, aveugle en haine comme en amour.
603J’ai oublié qu’il ne sert à rien de polémiquer, car il n’y a personne qui écoute ; il n’y a aucune volonté de comprendre, mais seule celle de ne pas entendre ce que dit l’autre.
604Si vous le voulez, lisez ce que j’ai écrit ; mais je vous demande instamment de ne pas m’envoyer de réponse polémique. Ne faites pas la même faute que moi. J’essaie de vous en empêcher en vous disant :
605Je ne vous comprendrai pas ; je ne peux pas vous comprendre. Peut-être, il y a quelques jours, espérais-je encore faire sur vous quelque impression avec mes arguments. Aujourd’hui je n’y crois plus et il me paraît presque indigne de m’être défendu.
606Je voulais vous répondre, car je voulais vous montrer que même dans son nouvel habit Kandinsky est là pour moi ; et que je n’ai pas perdu le respect que j’avais autrefois pour lui. Et, si vous acceptiez de transmettre mes salutations au Kandinsky qui fut jadis mon ami, je vous confierais volontiers mes sentiments les plus chaleureux, mais sans pouvoir m’empêcher d’ajouter ce message :
607Nous ne nous sommes pas vus depuis longtemps, qui sait si nous nous reverrons ; si ce devait être le cas, il serait triste d’être l’un pour l’autre aveugle. Transmettez donc mes plus cordiales salutations.
608[Carte postale de Juan-les-Pins, « La Girelle », adressée à Schoenberg, Roquebrune, Cap Marta, Pavillon Sévigné]
60918.[5. ?] 1928
610C’est vraiment le « hasard » qui chaque fois nous ramène dans la même région. Nous voulions continuer jusqu’à l’océan, mais la chaleur et la beauté du pays nous ont retenus ici. Ce serait merveilleux si vous et votre chère épouse nous rendiez visite ! Cordiales salutations.
611Votre Kandinsky
612Connaissez-vous Juan-les-Pins ? Si ce n’est pas le cas, vous devriez connaître cette région. Ce serait bien si vous nous rendiez visite. Ecrivez-nous avant.
613Votre Nina Kandinsky
614Neuilly-sur-Seine (Seine)
615135, Bd de la Seine.
616France.
6171.7.1936
618Cher Monsieur Schoenberg,
619Cela m’a fait très plaisir de recevoir quelques lignes de vous par l’entremise de Monsieur Danz62. Il était ici il y a quelques jours et m’a paru très intéressant. Il m’a aussi donné son livre « Zarathustra », dont j’ai déjà lu une partie (ce n’est pas si facile pour moi de lire beaucoup d’anglais) et j’ai rencontré à plusieurs reprises votre nom, accompagné d’observations à mon avis très pertinentes.
620Plusieurs fois je me suis renseigné et j’ai demandé de vos nouvelles auprès de Mme Scheyer63, et je sais que vous êtes parfaitement à l’aise avec l’anglais, ce qui m’a fait grand plaisir. Monsieur Danz a confirmé les nouvelles que j’avais déjà, et a dit que vous étiez maintenant un (et mieux « le ») dictateur de la musique en Californie. Merveilleux ! J’espère que vous-même êtes content de cette nomination ainsi que votre chère épouse.
621Vous et moi — tous les deux — avons mené depuis bien des années une vie vraiment « active » — errant de-ci, de-là, souvent mis à la porte. Nous aurions au fond bien droit à un peu de tranquillité. Disons modestement à une tranquillité « relative ». Nous sommes ma femme et moi depuis 3 années à Paris, où justement nous espérions trouver cette « relative » tranquillité. En fait nous l’avons, bien qu’elle soit peut-être un peu trop relative. Il y a eu des moments où l’on s’est demandé « faut-il de nouveau boucler les valises ? » En ce qui me concerne, je les ai déjà bouclées 3 fois et je me dis « toutes les bonnes choses vont par 3 » — alors... malheureusement les Russes disent « il faut 4 murs pour construire une maison (de campagne) ». Alors ?
622Après mon arrivée ici, j’ai eu une merveilleuse sensation de liberté. Liberté double — extérieure comme intérieure — ne serait-ce que parce qu’après 14 années d’enseignement je n’avais subitement plus vraiment d’obligations. Mon désir serait de garder cette liberté, de la conserver et de ne plus la perdre. Mais malheureusement cela dépend aussi du portemonnaie. Pendant la bonne période d’avant la crise, j’ai mis un peu d’argent de côté — dont nous vivons maintenant en grande partie — car nous n’aurions pas eu assez pour les dépenses futures. Ainsi, on « grignotte » son « capital ». Mais j’espère que « la justice » se souviendra aussi une fois des artistes. Des artistes sans défense, qui ne peuvent pas faire la grève. A Paris spécialement, il y a encore d’autres mauvais côtés qu’on ne peut pas toujours éviter. Nous vivons ici passablement retirés, c’est-à-dire que moi particulièrement je cherche à me tenir le plus à l’écart possible de la « politique artistique », ainsi que des relations trop étroites avec les collègues. La politique culturelle est semblable à un moustique, car s’il n’est pas effectivement minuscule, il est du moins assez misérable pour avoir la pire des facultés, celle de se faufiler par les plus petits trous de serrures. Et les relations avec les collègues... je n’ai pas besoin de vous les décrire. Nous avons toutefois un cercle restreint qui est très sympathique et très international. A part cela, il y a aussi la possibilité de voir beaucoup d’étrangers qui viennent pendant la saison touristique (précisément maintenant en été), et qui sont parfois intéressants et agréables.
623Le bon côté de Paris c’est qu’on y travaille bien. Les deux genres de couleur — celle des choses et celle de l’esprit — sont ici très stimulants. Par couleur de l’esprit je n’entends pas directement ce qui se fait ici en peinture, mais bien plutôt l’atmosphère intellectuelle de Paris, dont Dieu seul sait en quoi elle consiste, et de quoi elle est faite.
624Indéfinissable. A « l’âme slave » correspondent ici le tout-à-la-fois et le côte-à-côte. Nulle part ailleurs on n’entendrait expliquer un règlement de police comme l’a fait devant moi un « agent » français : « Monsieur, c’est idiot, mais c’est comme ça. » Ici tout est vivant en même temps — la tradition la plus ancienne et l’avant-garde se côtoient. Le Français veut en même temps « qu’on lui fiche la paix » et faire la révolution. Il peut devenir fou de colère et tout de suite après être profondément aimable. Et cela se retrouve partout — tout-à-la fois, tout côte-à-côte. Vous connaissez Paris n’est-ce pas ? Son cœur se reflète clairement dans son apparence — il suffit par exemple d’observer les contrastes incroyables entre les maisons (qu’on ne peut pas toujours appeler « maisons », je ne sais quel nom il faudrait leur donner) dans les rues dites « chic » — un palais, et juste à côté « une cabane de sorcière » qui tombe lentement mais sûrement en ruine depuis des années. Ou bien alors : on trouve ici superflu d’enlever les vieilles affiches — la pluie s’en chargera bien — et ainsi vous pouvez voir une affiche qui vous paraît fraîchement posée, et qui annonce un concert qui a eu lieu il y a une année. Vous questionnez un contrôleur de bus sur l’horaire de sa ligne et on vous répond « oh, vous savez, ça change ». Mais comment ça « change » personne ne vous le dira. On s’énerve, on rit, et on est content. Pour un vrai allemand ce serait la mort.
625Vous souvenez-vous encore, cher Monsieur Schoenberg, quand nous nous sommes connus au bord du Starnberger See — je suis arrivé avec le bateau à vapeur et je portais une culotte de cuir et j’ai aperçu une estampe en noir et blanc — vous étiez habillé tout de blanc et seul votre visage était tout noir. Et plus tard l’été à Murnau ? Tous ceux que nous avons connus alors soupirent lorsqu’ils se rappellent cette époque révolue et disent : « C’était une belle époque. » Oui, c’était vraiment une belle époque, une époque plus que belle. Comme tout débordait merveilleusement de vie, combien de victoires de l’esprit n’attendions-nous pas qui étaient pour le lendemain. J’attends encore aujourd’hui, plein de confiance. Mais je sais que cela prendra beaucoup, beaucoup de temps.
626Vous vouliez que je vous raconte comment les choses vont — j’ai été bien long et je vous ai donné tous les détails. J’attendrai maintenant « la revanche ». D’ici là, je vous envoie mes cordiales salutations ainsi qu’à votre femme, et ma femme se joint à moi.
627Votre Kandinsky
628Oui ! ce serait merveilleux d’aller vous retrouver en Amérique — ne serait-ce que pour une visite. J’y pense depuis des années, mais même sans parler du prix—ce qui n’est pas rien—il y a eu jusqu’à maintenant toutes sortes d’empêchements. Les premières années après le déménagement, je ne voulais de toute façon pas quitter Paris, pour pouvoir — si possible de manière illimitée — profiter et jouir de la liberté enfin accordée pour mon travail. Mais le rêve persiste toujours de voir une fois l’Amérique.
Notes de bas de page
1 Dans une publication partielle de cette lettre, E. Hilmar a lu le mot « Betrachtungen » (considérations) au lieu de « Bestrebungen » (tentatives). (Exposition commémorative A. Schoenberg, 1974, Vienne, p. 217, n° 173.)
2 Il s’agit de la pré-publication, « Oktaven-und Quintenparrallelen » (Octaves et Quintes parallèles), tirée de « Harmonielehre » (Traité d’harmonie) de Schoenberg dans la revue « Musik », 1910, deuxième cahier d’octobre, p. 97-105. Voir note 3 et commentaires de Kandinsky p. 93 du présent numéro.
3 Vladimir Alekseevic Izdebskij (1882 Kiev-1965 New York), sculpteur russe et organisateur d’importantes expositions. Il étudia la sculpture tout d’abord à Odessa, et dès 1903 chez Wilhelm von Rümann à la Kunstakademie de Munich. Il y fit la connaissance de Kandinsky ; il est possible qu’ils se soient connus à Odessa déjà, où Kandinsky habita jusqu’en 1885 auprès de sa famille et où il revint souvent en visite plus tard, mais cela n’est pas certain. En 1905 Izdebskij combattit contre les pogroms juifs et fut pour cela expulsé en 1907 du pays après un séjour en prison. Il se rendit ensuite à Paris, et étudia à l’école des Beaux-Arts. En 1909 il revint à Odessa et organisa en décembre une exposition internationale réunissant presque 800 œuvres de peintres russes, y compris de ceux vivant à Munich, comme Kandinsky, Jawlensky, Werefkin ; il y en avait également de Balla, Gleizes, Matisse, Rousseau, Kubin, Münter et de nombreux autres peintres d’Europe occidentale. Après Odessa, l’exposition eut lieu également à Kiev et à Saint-Petersbourg. Dans sa seconde exposition (1910-1911), comprenant 440 tableaux, il présenta 53 œuvres de Kandinsky, à nouveau avec d’autres œuvres de ses collègues de la « Neue Künstlervereinigung München » ainsi que de la nouvelle avant-garde russe, des frères D. et V. Burljuk, M. Larionov, N. Gonĉarova, V. Tatlin, A. Ekster, etc. Aussitôt après avoir reçu un album avec des photos de tableaux de Schoenberg, Kandinsky lui demanda s’il ne voulait pas aussi y envoyer quelques tableaux. (Voir lettre du 6-2-1911.) Cela ne put avoir lieu. Mais la pré-publication de Schoenberg, « Oktaven und Quintenparallelen », tiré de « Harmonielehre », fut imprimée sur le désir de Kandinsky dans le catalogue de l’exposition (voir p. du présent numéro). Comme Kandinsky l’écrit plus loin dans sa lettre à Schoenberg, le catalogue contient de nombreux articles intéressants : « Contenu et Forme » de Kandinsky, « La Ville du Futur » de V. Izdebskij, des propos sur l’art de Nikolaj Kul’bin, une étude comparative très approfondie : « Harmonie dans la Peinture et dans la Musique » de Henri Rovel, « Pour une Philosophie de L’Art Contemporain » de A. Grinbaum, un poème de Leonid Grossman, etc. Avec son intention de dépasser les problèmes spécifiques aux arts visuels, ce catalogue a pu inspirer Kandinsky pour son almanach « Der Blaue Reiter » (Le Cavalier Bleu). De même que Schoenberg et Kandinsky, Izdebskij fut aussi intéressé par les problèmes du théâtre ; il se produisit même comme acteur, de 1911 à 1913. Dès 1913 il vécut à nouveau à Paris, dès 1918 à Pétersbourg, dès 1920 à Paris, et, de 1941 à sa mort en 1945, à New York où il travailla la Sculpture.
4 Il s’agit ici de « Über das Geistige in der Kunst » (Du Spirituel dans l’Art), qui parut fin 1911 (avec la date 1912) aux Editions Piper, Munich.
5 Gabriele Münter (1877 Berlin — 1962 Murnau), peintre allemande, élève dès 1902 à l’école de peinture de Kandinsky « Phalanx » à Munich, membre de la « Neue Künstlervereinigung München », expositions au « Blaue Reiter », au « Sturm » de Herwarth Walden à Berlin, etc. De 1904 à 1914, compagne de Kandinsky. Ils voyagèrent beaucoup dans les premières années.
En 1909, en sus de l’habitation qu’ils avaient en commun à Munich, ils achetèrent une maison à Murnau où ils vécurent généralement l’été. Après leur séparation en 1914, Münter séjourna en Suède et au Danemark. De 1932 à sa mort (1962) elle vécut à nouveau dans la maison de Murnau.
6 Franz Marc (1880 Munich — 1916, mort au champ de bataille de Verdun), peintre et graphiste allemand. Après des études de philosophie et de théologie il fréquenta la Kunstakademie de Munich et devint peintre. Après avoir vu en 1910 la deuxième exposition de la « Neue Künstlervereinigung München », il devint membre du groupe le 6-2-1911 et se lia bientôt d’amitié avec Kandinsky. Fin 1911, il transmit l’ouvrage théorique de celui-ci « Über das Geistige in der Kunst » à l’éditeur Reinhard Piper. Marc se sépara du groupe « Neue Küntslervereinigung » par solidarité avec Kandinsky et organisa avec lui l’exposition du « Blaue Reiter » et l’almanach du même nom, publié en 1912 (également chez Piper).
7 Schoenberg a très probablement envoyé à Kandinsky deux exemplaires du numéro de la revue viennoise « Der Merker », qui lui est presque entièrement consacré (« Österreichische Zeitschrift fur Musik une Theater », éd. R. Batka et R. Specht, 2e année, cahier 17, juin 1911). Il contient, outre deux partitions, des reproductions de 7 de ses tableaux (deux portraits, un paysage, l’autoportrait de derrière et trois « Phantasien und Visionen », le premier tirage du drame avec musique « Die glückliche Hand », une pré-publication tirée de l’« Harmonielehre », « Ästhetische Bewertung sechs — und mehrtöniger Klänge » (Appréciation esthétique d’agrégats sonores de six sons et plus), ainsi que des essais sur Schoenberg par Karl Linke, Paul Stephan, l’éditeur de la revue Richard Specht, et par Rudolf Réti.
8 Avec cette remarque du 10-9-1911, « cette fois, je n’irai pas chez Strauss ! », la question — posée dans la dernière biographie importante de Schoenberg (FI. Stuckenschmidt, « Schoenberg. Leben, Umwelt, Werk », Zurich/Fribourg, 1974, p. 67) — de savoir si Schoenberg a répondu à l’invitation de Strauss de lui rendre visite entre le 2 et le 6 septembre à Garmisch, est résolue. Richard Strauss (1864 Munich — 1949 Garmisch) compositeur résolument « progressiste » de symphonies et d’opéras, dont « Salome » et « Elektra », fit la connaissance du jeune Schoenberg en 1901 lors de son premier séjour à Berlin et lui procura une bourse et une place d’enseignement au Conservatoire Stern. Schoenberg lui doit aussi l’inspiration pour son poème symphonique opus 5 « Pelleas und Melisande » (1902) d’après le drame de Maurice Maeterlinck. Dans son « Harmonielehre » encore, Schoenberg désigne le plus souvent, à côté de Mahler, Strauss comme « le plus grand Maître de notre temps » ; mais, de la part de Strauss surtout, la relation commença à se détériorer nettement dès 1909 (parallèlement à l’éloignement de Schoenberg de la tonalité). Il refusa de diriger les Pièces pour Orchestre opus 16 (1909), les trouvant trop osées et ne voulut pas accepter les explications de Schoenberg selon lesquelles il ne s’agissait que de sonorité et d’atmosphère, sans rien de symphonique, mais tout le contraire, aucune architecture, aucune construction, rien qu’une suite ininterrompue, éternellement changeante de couleurs, de rythmes et d’atmosphère ; sa musique s’approcherait toujours plus des principes de la nouvelle peinture ! Strauss aurait dit plus tard de Schoenberg que seule la psychiatrie pourrait lui venir en aide et qu’il ferait mieux de pelleter la neige plutôt que de gribouiller du papier à musique. Alma Mahler rapporta ces propos à Schoenberg et acheva ainsi de détruire la relation entre les deux compositeurs.
9 Maria Marc, femme de Franz Marc (voir note 6). August Macke (1887 Meschede/Ruhr — tombé en 1914), peintre ami de Marc et Kandinsky, collaborateur au « Blaue Reiter ». Elisabeth Macke, sa femme.
10 Dans le calendrier il s’agit vraisemblablement de « Probleme des Kunstunterrichts (Problèmes de l’enseignement artistique), et « Musikalisches-Taschenburch », année II, Vienne 1911.
11 Oskar Kokoschka (1886 Pöchlarn — 1980 Villeneuve), l’un des fondateurs de l’expressionnisme dans la peinture et dans l’art dramatique. Il vécut tout d’abord à Vienne où ses peintures et la représentation de deux de ses drames en 1907 firent scandale. Schoenberg l’appréciait beaucoup (voir la note dans son journal berlinois du 2-2-1912 « Kokoschka ist echt » (Kokoschka est authentique), A. Sch., Berliner Tagebüscher, ed. Josef Rufer, Berlin 1974, p. 15).
12 Alban Berg (1885 Vienne — 1935 Vienne), compositeur autrichien, élève de Schoenberg de 1904 à 1911, et l’un de ses plus fidèles amis. Il organisa et édita la publication commémorative « Arnold Schoenberg », Munich 1912. Il est avec Schoenberg l’un des représentants les plus importants de la musique atonale et dodécaphonique. Ses œuvres les plus célèbres sont les opéras « Wozzeck », 1926, et « Lulu », 1937, dédié à Schoenberg. Voir aussi W. Reich, « A. Berg », Vienne 1957.
13 Arnold Rosé (1863 Jassy/Roumanie — 1946 Londres) fut dès 1881 et pendant 57 ans, premier violon de la Philharmonie de Vienne ; fonda en 1883 le quatuor portant son nom et défendit toujours la cause de la musique contemporaine, en particulier d’Arnold Schoenberg. Celui-ci travailla volontiers avec lui ; c’est ainsi qu’à l’occasion de la première exposition de tableaux de Schoenberg qui eut lieu le 12 octobre 1910 au salon d’art Heller, à Vienne, Rosé interpréta ses Quatuors à cordes (voir P. Stephan, Soirée Schoenberg, in « Des Merker », cahier II, 2e année, Vienne 1910, p. 79) ; il réalisa la première exécution du 2e Quatuor à cordes opus 10 à Vienne et joua également lors du concert Schoenberg de janvier 1911 à Munich, auquel assista Kandinsky. On peut lire dans ses lettres combien Schoenberg prisait les interprétations très fidèles et parfaites de Rosé (Pierpont Morgan Library, New York).
14 Cette lettre a déjà été publiée par J. Rufer dans « Das Werk A. Schönbergs », Kassel 1959, p. 179 : Rufer n’a pas pu déchiffrer le nom « Le Fauconnier » et a écrit « Le Fanesmil (?) ». Le peintre français LE FAUCONNIER (1181-1946) avait exposé avec Kandinsky en 1910 chez Izdebskij à Odessa (voir note 3). Depuis lors, Kandinsky était resté en termes amicaux avec lui, l’invitant par exemple à la deuxième exposition de la « Neue Künstlervereinigung München » et lui demandant d’écrire une introduction dans le catalogue d’exposition ; à l’occasion de la préparation de l’Almanach (Der Blaue Reiter », il en fit le représentant pour la France, comme il ressort de leur correspondance (voir fonds Kandinsky, Fondation G. Münter et J. Eichner, Munich). Bibliographie : J. Romains, Le Fauconnier, Paris 1927, catalogue de l’exposition Le Fauconnier, Amsterdam 1959.
15 L’article prévu de la musicologue russe Nadeẑda Brjusova (Brüssova), « La Musicologie, son cheminement historique et son état actuel », n’a finalement pas été retenu pour le « Blaue Reiter ». La première épreuve et la traduction en allemand de Thomas von Hartmann (voir note 28) se trouvent dans le fonds Kandinsky (Fondation G. Münter et J. Eichner).
16 J. Rufer (voir note 14) a lu « meine » au lieu de « reine » (pure).
17 J. Rufer (voir note 14) a lu « Den materialisierten » au lieu de « Dematerialisieren ». — Deux phrases avant, il a placé une virgule avant « überhaupt » au lieu de la placer après. On lit donc la phrase de Rufer : « Diese « Phantastik » liebe ich sehr, überhaupt nach Ihren Bildern ganz besonders » au lieu de la phrase juste : « Diese “Phantastik” liebe ich sehr überhaupt [,] und in Ihren Bildern besonders. »
18 J. Rufer (voir note 14) a lu le mot « interpretiert », (interprété) au lieu de « interessiert ».
19 Le « Katalog der Neuen Secession Berlin e.V. 4. Ausstellung. Gemälde. 17-11-1911-31-1-1912 », désigne 4 toiles de Kandinsky : « Komposition 4 ». « Akt », « Romantische Landschaft » et « Improvisation n° 18 ».
20 Dans le quotidien « Münchener Neueste Nachrichten » paru le 6-12-1911, à la p. 3, une courte note (sans signature) sur un concert comprenant des œuvres de Schoenberg, Mandl et Sekles : « Une soirée de musique nouvelle donnée par l’excellent quatuor Rebner permit aux Leipzigois d’entendre le Quatuor opus 4 en ré mineur du jeune viennois Arnold Schoenberg (il s’agit ici de l’opus 7, l’opus 4 étant en fait le sextuor « Verklärte Nacht »). Par ses harmonies extrêmement hardies et son contrepoint audacieux, liés à la beauté du son, l’œuvre de Schoenberg suscita le plus grand intérêt, même si l’imagination s’épanche au long d’un seul mouvement qui dure plus d’une demie-heure. »
21 Emil Nolde (de son vrai nom E. Hansen, 1867-1956) peintre expressionniste allemand connu par ses aquarelles et ses peintures à l’huile richement colorées. Il étudia en 1899 auprès de A. Hölzel à Dachau près de Munich ; de 1906 à 1907 il fut membre du groupe « Brüke », fondateur en 1910 de la « Neuen Secession Berlin ». Après 1918, il vécut alternativement à Berlin et à Seebüll. A partir de 1933, il fut interdit de peindre. Bibliographie : E.N., « Das eigene Leben » 1931 ; « Jahre der Kämpfe », 1934 ; « Briefe », éd. M. Sauerland, 1927.
22 Bohumil Kubišta (1884 Vilĉkovice — 1918 Prague), peintre et graphiste tchèque, tout d’abord influencé par l’impressionnisme, il s’intéressa à Munch et à Cézanne, et travailla dans le style cubiste et futuriste. Il joua également un rôle en tant que théoricien et animateur des artistes pragois. Bibliographie : F. Kubišta : « B.K. », Brunn 1940 ; Hlaváĉek, « Źivotni Drama B.K. » Prague 1968.
23 Sans doute Picasso, qui produisit en 1905 toute une série d’images de cirque, par exemple « Les Saltimbanques », « Arlequin et sa famille ». Plus tard il utilisera encore volontiers ces thèmes.
24 Albert Paris von Gütersloh (de son vrai nom Albert Konrad Kiehtreiber, 1887 Vienne — 1973 Bad Ischl), écrivain et peintre autrichien, tout d’abord acteur, entre autre chez Reinhardt à Berlin. En juin 1912 il transmit 23 tableaux de Schoenberg à une exposition à Budapest, dans laquelle étaient également exposées des toiles de Schiele, Kolig et Faistauer. Gütersloh écrivit un essai sur la peinture de Schoenberg pour le recueil « A. Schoenberg » édité par A. Berg, Kandinsky et d’autres, Munich 1912. Bibliographie : « A.P. von Gütersloh zum 75. Geburtstag. Autor und Werk. » Munich 1962. Catalogue de l’Albertina : « A.P. Gütersloh, éd. H. Hutter, Vienne 1970 (contient une bibliographie détaillée).
25 Adolf Loos (1870 Brün-1933 Vienne), architecte autrichien marquant, dans le courant du Jugendstil et du Style International ; il participa à l’avant-garde viennoise, fut l’ami de Karl Kraus et Oskar Kokoschka. Dans son refus de l’ornement accessoire, masquant la construction (article « Ornament und Verbrechen » [ornement et crime], 1908), il se tint proche des idées de Kandinsky et de Schoenberg. Celui-ci fit sa connaissance en 1895 et fut lié d’amitié avec lui de 1905 environ jusqu’à sa mort en 1933. Schoenberg écrivit un article pour la publication commémorative à l’occasion du soixantième anniversaire de Loos. Bibliographie : Franz Glück, « Briefe von A. Schoenberg an A. Loos », in : « Österreichische Musikzeitschrift, Cahier 1, 10e année, p. 8-20. A. Loos, « Schriften » ed. F. Gluck, Vienne/Munich, 1. Vol. 1962.
26 Kandinsky pensait à la deuxième exposition (1912) du « Bubnovyj Valet » (Karo Bube) à Moscou, l’une des expositions internationales les plus importantes de l’avant-garde russe.
27 Heinrich Thannhaüser, marchand d’art et propriétaire d’une galerie münichois. Dans sa « Moderne Galerie » de Theatiner Strasse eut lieu en décembre 1909 la première et en septembre 1910 la deuxième exposition de la « Neue Künstlervereinigung München », puis en décembre 1911-janvier 1912, la première exposition du « Blaue Reiter ».
28 Thomas von Hartmann (1885 Choruẑevka/Ukraine-1956 Princeton), compositeur russe ; il étudia chez Taneev et Arenskij, acheva ses études au conservatoire de Moscou et acquit une gloire précoce comme compositeur du ballet « Die Pupurblume » au Théâtre de la Cour de Saint-Petersbourg. Dès 1908 il étudia chez Felix Mottl à Munich. Il y connut Kandinsky, se lia d’amitié avec lui, expérimenta avec lui de 1908 jusqu’en 1911-1912 le « Bühnengesamtkunstwerk » (œuvre d’art total pour la scène). Il composa la musique de la composition scénique de Kandinsky « Der gelbe Klang ». Sa parenté spirituelle avec Kandinsky, parfois même sa dépendance à l’égard de celui-ci, ressort très clairement de son article sur l’anarchie en musique dans le « Blaue Reiter ». Ils partagèrent en particulier le même intérêt pour les questions mystiques et théosophiques ; Hartmann s’engagea cependant beaucoup plus et fut affilié toute sa vie à l’austère secte Soufi de l’arménien Gurdijeff. Ce fait entrava peut-être sa carrière de compositeur ; en effet, dans la communauté d’habitation et de travail (établie dès 1922 à Fontainebleau près de Paris), on s’adonnait avant tout à des exercices de gymnastique et de concentration, à l’artisanat, et au jardinage ; de plus, il écrivit de la musique de film sous un pseudonyme pour les besoins de la communauté. Voir Th. von Hartmann, « Our Life with Mr. Gurdijeff », New York, 1964). En 1919, Hartmann devint directeur du conservatoire de Tiflis ; dès 1922, il vécut près de Paris et fut étroitement lié à Kandinsky jusqu’à la mort de celui-ci en 1944. En 1950 il s’installa à New York et mourut en 1956 à Princeton. Sa musique de chambre, ses symphonies, ses opéras et ses ballets (édités chez Boosey & Hawks, New York et Paris) sont demeurés peu connus.
29 ARS : mouvement artistique progressiste fondé au début de l’année 1911 à Saint-Petersbourg, composé de huit sections indépendantes (musique, dirigée par A. Drozdof, peinture et sculture par N. Kul’bin, théâtre par Evreinov, chorégraphie par Fokin, etc.) ; son dessein était de réaliser le rapprochement et finalement la synthèse des arts. Du fait que ce mouvement ne dépassa jamais le stade du début, il n’est mentionné nulle part dans la littérature. Son existence est connue par des écrits non publiés du Kul’bin. Le 10-10-1911, Kul’bin écrivit à Kandinsky que les musiciens qu’il avait proposés (en premier lieu Schoenberg) étaient invités en tant que membres au ARS et qu’il en avait informé Drozdof et Karatygin.
30 Sergej Aleksandroviĉ Kussewitzky (1874 Tver-1951 Boston), chef d’orchestre, éditeur de musique et compositeur russe. Il s’établit en 1905 à Berlin où il fonda en 1909 une maison d’édition musicale russe. Il obtint les droits pour Scriabine, puis pour Stravinsky, Prokoviev et Rachmaninov. En 1909 il revint à Moscou où il fonda l’orchestre portant son nom, avec lequel il réalisa entre autre la première du « Prométhéus » de Scriabine. Il quitta la Russie en 1921 et vécut ensuite à Boston.
31 Ferrucio Busoni (1866 Empoli/Florence — 1924 Berlin), compositeur et pianiste italien ; 1907-1908, titulaire de la classe de virtuosité de piano au Conservatoire de Vienne. De 1920 à 1922, titulaire de l’une des trois classes de composition de l’Académie des Arts de Berlin, classe qui fut reprise en 1925 par Schoenberg. L’œuvre de Busoni citée par Schoenberg est le livre paru en 1907 « Entwurf einer neuen Ästhetik des Tonkunst » (Projet pour une nouvelle Esthétique de la musique), (réimpression avec des annotations de Schoenberg, Francfort, 1974). « Selbstrezension » (Compte rendu de Moi-même) paru dans la revue « Pan », Berlin, 2e année, 1-2-1912, p. 327 sq. Bibliographie : Jutta Theurich, « Der Briefwechsel zwischen A. Schoenberg und F. Busoni ». In : Arbeitsheft 24. Forum : Musik in der DDR. A. Schoenberg 1874 bis 1951. Ed. M. Hansen et C. Müller, Berlin 1976, p. 55.
32 Reinhard Piper, (1879 Penzlin-1953 Munich), fondateur des éditions Piper and Co., Munich. Il imprima fin 1911 « Über das Geistige in der Kunst » de Kandinsky, en 1912 l’almanach « Der Blaue Reiter », la publication commémorative « Arnold Schoenberg » et en 1913, le recueil de poèmes en prose de Kandinsky « Klänge ».
33 La date est illisible, mais le télégramme fut probablement envoyé le 29-2-1912 à Prague, où Schoenberg dirigeait, outre la Symphonie en sol mineur de Mozart et une œuvre de Mahler, son « Pelleas und Melisande ». Alban Berg écrit le 19-2-1912 à Kandinsky qu’on devrait faire à Schoenberg, à cette occasion, la surprise de cette publication commémorative (« Arnold Schoenberg », éd. A. Berg, Münich, 1912(, et lui demande s’il pourrait venir aussi. « Je sais que Schoenberg serait extrêmement heureux si vous veniez » (lettre appartenant à la fondation G. Münter et J. Eichner). Le 25 février, Kandinsky répond qu’il voudrait envoyer un télégramme de félicitations et demande à Berg l’adresse de Schoenberg à Prague (lettre provenant du Fonds Alban Berg, Collection musicale de la Bibliothèque Nationale, Vienne).
34 Le samedi 2-3-1912 parut dans la « Münchener Neusten Nachrichten », sous la rubrique « Theater und Musik », p. 3, l’entrefilet : « Le poème symphonique “Pellas et Melisande” de Schoenberg a eu un succès extraordinaire à Prague, d’après le télégramme de notre correspondant. Le compositeur a été rappelé de nombreuses fois. Quelques rares sifflets ont été noyés dans un tonnerre d’applaudissements. »
35 Herwarth Walden (de son vrai nom Georg Lewin, 1878 Berlin-1941, mort dans une prison de Stalin), musicien, écrivain, mais avant tout promoteur génial et courageux des tendances nouvelles et inofficielles de l’art, de la littérature et du théâtre. En 1910, il créa, avec son journal « Der Sturm » (dès 1912 également une galerie d’art) un forum pour les nouveaux mouvements artistiques, en l’occurrence les expressionnistes, les futuristes russes et italiens, etc. Quelques lettres non datées de Schoenberg à Walden se trouvent à la Preussische Staatsbibliothek à Berlin, de même que de nombreuses lettres de Kandinsky, dont les peintures furent exposées dès 1912 à la galerie « Sturm », et dont l’album « Kandinsky 1901-1913 » fut édité avec les « Rückblicken » en 1913 aux éditions « Sturm ».
36 Le critique et journaliste berlinois renommé d’alors, Leopold Schmidt (1860-1927), publia le 6-2-1912 dans le « Berliner Tagblatt » (année 1941, n° 67, édition du soir, p. 1) sous le titre « Der Wert des Unmodernen... (La valeur du Démodé) une critique du concert de Schoenberg du 4 février. Il parle tout d’abord de la nouvelle musique, maintenant presque toujours surestimée, et déclare qu’il devrait aussi y avoir des concerts, sur lesquels on ne doive pas seulement porter un jugement, mais que l’on puisse simplement apprécier, comme, par exemple, l’exécution récente de musique romantique. « Seul celui qui ne manque pas de s’informer des dernières nouveautés et de s’y intéresser autant que faire se peut, était en mesure d’apprécier l’atmosphère bienfaisante de ce concert, réactionnaire si l’on veut. Bien sûr, il se heurte parfois à des manifestations qui décourageraient le plus patient et le plus bienveillant. Arnold Schoenberg nous a déjà prouvé qu’il est un musicien doué, très doué ; mais il se plaît de plus en plus à suivre des chemins étranges. Il existe une originalité qui s’en tire à très bon compte. Dimanche après-midi, il y avait à l’Harmoniumsaal une petite société, qui souriait béatement ici et là en écoutant Egon Petri tapoter sur son piano et Mme Winterniz-Dorda psalmodier rêveusement des soi-disant Lieder (sur des textes de Stefan Georg, Maeterlinck, etc.). Et le reste à l’avenant. Nous ne voulons pas parler ici de la hardiesse impitoyable des combinaisons sonores. L’harmonie la plus audacieuse ne me gênerait pas si elle servait à l’expression. Mais je n’ai encore jamais rencontré quelque chose d’aussi ennuyeux et dépourvu de toute invention. Il n’est pas besoin de combattre cette musique, elle se détruit elle-même. » Le 22-2-1912, Schoenberg répondit par une contre-critique aussi cinglante, « Schlafwandler » (Somnanbule), dans la revue berlinoise « Pan » (Ed. P. Cassirer, 2e année, n° 14, p. 432) et dans la même revue, n° 15, le 29-2-1912, p. 460 « Der Musikkritiker » (Le Critique Musical). Pour de plus amples détails sur cette querelle, voir in « Pan » du 9-3-1912, 2e année, n° 16, p. 489, et in A. Schoenberg, « Berliner Tagebüscher », Berlin 1974, p. 21.
37 L’adaptation musicale du drame « Pelleas und Melisande » de Maurice Maeterlinck par Schoenberg fut exécutée en octobre 1910 à la « Geselleschaft für Musikfreunde » à Berlin. A cette occasion, Herwarth Walden (voir note 35) publia, sous le pseudonyme « Trust », le commentaire suivant dans sa revue « Der Sturm », n° 37 du 10-10-1910, que Schoenberg estime ici « insultant » : « Arnold Schoenberg. — De Vienne il ne vient pas que des « génies ». Là-bas Arnold Schoenberg est surestimé à outrance. C’est un bon musicien, pas un artiste. (Il lui manque la capacité de donner forme ; il n’est pas une personnalité, mais plutôt un homoncule, bâtard de Wagner, Mahler et Debussy. On peut prouver chacune des paternités. Sa symphonie n’a rien à voir avec « Pellas und Mélisande ». Musique sans structure, bricolage de baroque mahlérien). La presse était perplexe. Quelques-uns jubilaient. Ceux qui ne voulaient pas « se tromper ». D’autres fulminaient contre les « Disharmonies ». C’est-à-dire contre le musical PUR, qui chez Schoenberg est au-dessus de la moyenne. Profanes et « critiques professionnels » confondent constamment artisanat et art. (Ils créèrent même le terme « Art en artisanat »). Clairement dit : le parfait artisan ne devient jamais un artiste. Chez lui le manuel est une condition, même dans le spirituel. L’art ne peut pas être « compris » et expliqué. Celui qui ne le porte pas en lui ne pourra jamais le concevoir. Donc : qu’on n’y touche pas ! » (Je remercie Eva Ziesche de la Staatsbibliothek Preussischer Kulturbesitz, Berlin, pour ce renseignement).
38 Gustav Mahler (1860 Kaliŝt, Tchécoslovaquie — 1911 Vienne), compositeur et chef d’orchestre autrichien. Schoenberg fit sa connaissance par Arnold Rosé (voir note 13) qui avait épousé la sœur de Mahler. Dans le discours de Prague mentionné (voir le recueil « G. Mahler », Tübingen 1966) il le désigne comme l’un des plus grands hommes et artistes. Mahler appréciait également Schoenberg, voir la lettre de recommandation non datée (1910), exposition commémorative A. Schoenberg, Vienne, 1974, n° 185, p. 224.
39 A. Franz Stadler (1877-1959), historien d’art, a enseigné de nombreuses années à l’Université de Zurich.
40 Joseph August Lux, (1871-1947), né à Vienne, écrivain et journaliste ayant vécu ensuite à Munich ; il écrivit des romans, des guides de voyage, des livres sur l’art, puis dès les années vingt, des livres sur la musique aussi. Kandinsky fut par la suite déçu par Lux ; le 3-2-1914, il écrivit à Walden qu’il ne voulait plus rien avoir à faire avec Lux (Staatsbibliothek Preussischer Kulturbesitz).
41 Hans Goltz, propriétaire d’une galerie d’art munichoise comprenant un espace d’exposition et une édition ; il organisa en mars 1912 la deuxième exposition du « Blaue Reiter ».
42 Recueil « A. Schoenberg », édité par A. Berg, Kandinsky, Munich 1912.
43 Schoenberg a finalement interverti l’ordre des noms.
44 J.A. Lux (voir note 39). On ne peut que supposer quel livre de Lux Kandinsky envoya à Schoenberg ; parmi les livres parus avant 1912, il y aurait : « Volkswirtschaft des Talents. Grundsätze einer Volkswirtschaft der Kunst », 1906 ; « Der Geschmack im Alltag », 1908 ; « Das neue Kunstgewerbe », 1908 ; moins vraisemblablement : « Die Kunst der Amateurphotographie », 1910, ou le livre édifiant « Der Wille zum Glück », 1909.
45 Alexandre Scriabine (1872 Moscou-1915 Moscou), pianiste virtuose et compositeur russe. En même temps que Kandinsky et Schoenberg, il conçut le projet d’une œuvre d’art total ; une symphonie « Prométhée » avec chœurs et clavier de couleurs (1909-1910) en formait le début. Ses « Mystères » dont il eut plus tard le projet devaient intégrer, outre la musique et les autres arts, le bruissement des arbres, le lever et le coucher de soleil, des parfums, etc., et durer plusieurs jours. Rien de cela ne fut réalisé. Kandinsky s’intéressa à Scriabine et imprima un article de son biographe Leonid Sabaneev dans le « Blaue Reiter ».
46 « Vosstante » (Tante Voss) était un sobriquet couramment utilisé pour la « Vossische Zeitung » « Königlisch privilegierte Berlinische Zeitung von Staats-und gelehrten Sachen ».
47 Franz Schreker (1878 Monaco-1934 Berlin), compositeur autrichien ; en 1912, professeur de composition à l’Akademie der Tonkunst à Vienne où il exécuta avec un grand succès les « Gurrelieder » de Schoenberg. La même année il écrivit son opéra sur son propre livret « Der ferne Klang ». Dès 1920 il fut directeur de la Hochschule für Musik de Berlin où il enseigna la composition. Au sujet des rapports avec Schoenberg, voir la correspondance A. Schoenberg-F. Schreker, éditeur F.C. Heller, Tutzing 1974.
48 Vitezslav Novàk (1870 Kamenice-1949 Skutêc), compositeur tchèque ; en 1920 recteur du Conservatoire de Prague.
49 Il manque ici une demi-phrase car le bord inférieur de la lettre est déchiré.
50 Albertine Zehme (1857-1946), actrice viennoise, cantatrice dès 1893 après avoir été formée à Bayreuth par Cosima Wagner, et théoricienne (« Grunlagen des künstlerischen Sprechens und Singens », Leipzig 1920). Schoenberg fit sa connaissance lorsqu’elle lui commanda le « Pierrot Lunaire ». Elle fut non seulement une merveilleuse interprète de ses œuvres mais aussi, en quelque sorte une mécène pour lui. Pour plus de détails, voir H.H. Stuckenschmidt, « Schoenberg. Umwelt, Leben, Werk » Zurich 1974.
51 Nicolaj Kul’Bin (1868 Saint-Pétersbourg-1941 Saint-Pétersbourg), médecin militaire et personnalité importante de la vie artistique russe vers 1910, moins comme peintre de tableaux symboliques et impressionnistes et de portraits que comme théoricien de l’art et de la musique (travaux sur la synthèse des arts, et en 1909 déjà sur les demi et les quarts de tons, sur l’effet immédiat, non enregistré par le cerveau, des dissonances sur l’inconscient). Mais le mérite principal de Kul’bin fut de promouvoir, grâce à ses liens d’amitié et à sa position sociale, les « Wilden Russlands » (voir l’article de D. Burljuk dans le « Blaue Reiter ») et les cubo-futuristes ; notamment par le recueil « Studio Impressionistov » (1909), par des expositions, des conférences, etc. Par cette activité il fit la connaissance de Kandinsky et trouva de nombreux points commums avec ses théories artistiques. Kandinsky imprima un résumé de l’article de Kul’bin « Freie Musik » et attacha beaucoup d’importance à ce que Kul’bin et Schoenberg fassent connaissance, comme il en ressort de ses lettres à Kul’bin. Ainsi, le voyage de Schoenberg à Saint-Petersbourg où il dirigea le 21 décembre 1912 « Pelléas und Melisande » ne fut pas seulement dû à l’initiative d’Alexandre Siloti (voir H.H. Stuckenschmidt, op. cit., p. 164 et sq.) mais aussi à celle de Kandinsky.
52 N. Dobyčina, propriétaire d’une galerie et éditrice progressiste à Saint-Pétersbourg. En 1913 elle avait prévu une grande exposition d’œuvres de Kandinsky et la publication de ses « Rückblicke » ; mais cela n’eut pas lieu ; ce n’est qu’en 1917 qu’elle exposa les tableaux de Kandinsky.
53 L’article de Schoenberg « Probleme des Kunstunterrichts » était déjà paru dans « Musikalische Taschenbuch, illustrierter Kalender für Musikstudierende », année II, Vienne 1911, p. 22-27.
54 Fritz Soot (1878 Wellersweiler/Saar-1965 Berlin), chanteur (musique de chambre et « Heldentenor »), professeur de scène. Dès 1908, à la Sächsische Staatsoper à Dresde ; après la guerre à Stuttgart et de 1921 à 1944 à la Staatsoper Unter der Linden à Berlin. Cité dans le Deutsche Bühnenjahrbuch dès 1931, et de façon détaillée en 1964, p. 81, et en 1966, p. 122.
55 Il pense à Félix Müller, plus connu sous son nom d’artiste Conrad Felix-Muller (1897 Dresde-1967 Berlin). Graphiste et peintre étonnemment précoce (formation musicale dès 1909 et artistique dès 1911), assista en 1912 à Dresde à une représentation du « Pierrot Lunaire » de Schoenberg, qui lui inspira dix gravures sur bois expressives (Schoenberg-Insitute, Los Angeles, où se trouve également une lettre manuscrite d’accompagnement dans laquelle il mentionne la guerre et demande d’envoyer ses gravures sur bois à Else Lasker-Schüler ; par conséquent la lettre n’a pu être écrite avant l’automne 1914). Les gravures sur bois d’après le « Pierrot Lunaire » de 1913 et le portrait de Schoenberg de 1914 (catalogue d’exposition Felixmüller, Museum am Ostwall, Dortmund, 1978, p. 52), faites à l’âge de 16-17 ans révèlent sa connaissance des peintres du groupe « Die Brücke » et laissent deviner son cheminement ultérieur vers les 8 gravures sur bois d’après les poèmes de E. Lasker-Schüler « Hebraïsche Balladen » de 1914, pour aboutir à l’expressionnisme. A 18 ans déjà, il termine la Kunstakademie de Dresde, devient la même année collaborateur du groupe « Sturm », dès 1916 du groupe « Aktion » puis en 1917 de l’« Expressionistische Arbeitsgemeinschaft Dreden ». En 1919 il fonde la Dresdner Sezession et adhère au K.P.D. (Parti communiste allemand), en 1933 ses tableaux sont mis à l’index en tant qu’art dégénéré. En 1949 il reçoit un chaire de professeur à Halle, en 1961 il déménage à Berlin où il meurt en 1967.
56 Cette phrase, ainsi que quelques-unes des suivantes de la même lettre ont déjà été citées par E. Hilmar (Catalogue de l’exposition commémorative A. Schoenberg, Vienne 1974, p. 237, n° 217). Hilmar a lu le mot « tolleranter » (plus tolérant) au lieu de « talentlos » (sans talent) ; dans le phrase suivante, « zudem conventionell » (d’ailleurs conventionnel) au lieu de « modern conventionell » (moderne conventionnel) ; dans la phrase suivante « Musikalische Kunst » (art musical) au lieu de « Musik » (musique) et « zehntausendmal » (dix mille fois) au lieu de « zehntausend » (dix mille).
57 Kandinsky était un lecteur régulier du grand hebdomadaire musical de Moscou, éd. V.V. Deržanovskij. En 1913, il y fit publier une note.
58 Bauhaus, école d’architecture fondée en 1919 par Walter Gropius à Weimar ; son but était de « réunir toutes les disciplines d’art appliqué en un nouvel art architectural » ; à tous égards elle fut plus qu’une école spécialisée d’architecture et devint un centre spirituel et intellectuel de haut rang. L’enseignement comprenant aussi la peinture (Kandinsky y fut professeur dès 1922), les arts de la scène (avec O. Schlemmer), le tissage (par G. Muche), etc.
59 Kandinsky collabora activement à la politique culturelle russe après la Révolution d’Octobre ; jusqu’en 1921 il fut fondateur de musée, enseignant et théoricien, organisateur, en ces premières années riches en nouvelles expériences. (Voir J. Hahl-Koch « Kandinsky’s role in the Russian Avantgarde ». Catalogue d’exposition « The Russian Avantgarde 1910-1925 », Los Angeles County Museum 1980).
60 Alexander Šenšin (1890 Moscou-1944 Moscou), compositeur, chef d’orchestre et pédagogue russe. Il étudia tout d’abord la philosophie puis la musique chez Grečaninov et Glière et enseigna de 1919 à 1922 la théorie musicale à l’Ecole de musique du peuple, par conséquent à la même époque où Kandinsky travaillait à Moscou. Bibliographie : V. Beljaev, « A. Šenšin », Moscou 1929 (en russe et en allemand).
61 Lors d’un séjour estival au Mattsee (région de Salzbourg), Schoenberg fut averti que les juifs y étaient indésirables. Pour plus de détails voir le catalogue de l’exposition commémorative, Vienne 1974, p. 291, n° 336, et voir J. Rufer « Hommage à Schoenberg » in : A. Schoenberg « Berliner Tagebuch », Berlin 1974, p. 54 et sq.
62 Probablement Louis Danz, qui écrivit l’article « Schoenberg the inévitable » dans le recueil « A. Schoenberg » éd. M. Armitage, New York 1937.
63 Galka (en fait Emmy) Scheyer (1889 Braunschveig-1941 Los Angeles), mécène et amateur d’art. Elle fit la connaissance de Jawlensky en 1916 et fut si influencée par son art qu’elle abandonna ses propres essais, devint son modèle, et se consacra à la promotion de ses œuvres. Dès 1924 elle organisa aux Etats-Unis des expositions-vente pour les « Blaue Vier » (Les 4 Bleus) (Jawlensky, Klee, Kandinsky, Feininger) ; elle tint des conférences et les fit connaître avec quelque succès. Pour plus de détails, voir le catalogue d’exposition « The Blue Four », Galka Scheyer Collection, Norton Simon Museum of art, Passadena 1976.
Notes de fin
1 Pas de signature sur la copie de Schoenberg
2 « Problèmes de pédagogie », voir note 80.
3 Dans votre article « Text... » [La relation avec le texte].
4 Uffing m’a plu tout particulièrement en 1908 à cause de la proximité du lac et l’année suivante j’ai souhaité me rendre là-bas plutôt qu’à Murnau. Les possibilités de baignade m’ont semblées bonnes — mais c’est sans garantie.
5 Dois-je vous envoyer le livre ? J’aimerais connaître votre avis.
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