III. Détour par l’atelier
p. 105-139
Texte intégral
1Si Carter n’a véritablement trouvé une voie personnelle qu’au début des années cinquante, c’est parce que la réalisation de ses conceptions musicales a nécessité une totale reconsidération du langage. Abandonner la tonalité tout en refusant l’alternative sérielle, libérer le rythme du carcan de la métrique sans le livrer aux jeux du hasard mais en gardant un contrôle total du déroulement des événements a demandé des années de recherche. L’apparente facilité, la stupéfiante rapidité avec laquelle Carter s’est mis à composer à partir des années quatre-vingt ne doit pas faire oublier l’immense travail accompli durant les décennies précédentes. Les œuvres composées entre le Premier et le Troisième Quatuor sont peu nombreuses, séparées parfois par plusieurs années d’intense réflexion. Le seul Second Quatuor a nécessité plusieurs milliers de feuillets d’esquisses ! Certes, la qualité d’une œuvre ne se mesure pas au labeur fourni, mais cet « artisanat furieux » mené discrètement à l’écart des dogmes et des écoles a donné naissance à des chefs-d’œuvre accomplissant à chaque fois une avancée fondamentale dans la réalisation de nouvelles conceptions narratives. Les stratifications de temps différentes portant des identités musicales hétérogènes en continuel devenir, sur lesquelles reposent ces conceptions, n’ont pu être élaborées que dans un espace sonore et temporel redéfini, bâti sur des organisations sous-jacentes d’une grande rigueur mais aussi d’une grande complexité. La compréhension des grands principes qui soutiennent le langage musical de Carter, loin de rebuter l’auditeur, doit être pour lui un moyen d’affiner son écoute, de lui permettre de ressentir peu à peu le désir de s’immerger plus profondément dans le flot musical pour en déceler les multiples et capricieux courants de sens. L’épanouissement du plaisir de l’écoute par l’intelligence révélée ! Avant de poursuivre le parcours à travers les œuvres, faisons un détour par l’atelier d’Elliott Carter et pénétrons l’intelligence de son langage musical.
RYTHME
2C’est vers 1944 que la pensée rythmique de Carter se lit plus précise. Il prit conscience que « l’aspect intéressant par excellence dans la musique était le temps – la façon dont il s’écoule »1. Pour lui, les éléments musicaux constituaient « les étapes transitoires d’une formation temporelle à une autre »2 et non des éléments statiques. Grâce à la modulation de tempo, qui devait assurer la continuité entre les formations temporelles, le flux musical pouvait se dérouler et évoluer sans cesse de façon apparemment naturelle. En fait, le principe de continuité, envisagé dans une organisation temporelle à grande échelle, s’était imposé à Carter dès lors qu’il s’était rendu compte « que l’un des grands problèmes dans la musique contemporaine résidait dans le fait que les mécanismes rythmiques irréguliers ou d’autres types de mécanismes rythmiques tendaient à avoir une organisation cyclique à très petite échelle – on entendait des schémas se produisant sur une mesure ou deux et pas au-delà »3. S’il sut prendre en compte les innovations de Stravinsky, Bartok, Varèse ou Ives, Carter ne put donc se satisfaire de leur action limitée généralement au niveau local ni de leur caractère trop souvent « statiquement répétitif ». Plutôt que de s’attacher à produire de nouvelles combinaisons rythmiques, il devait donner la priorité aux niveaux architectoniques supérieurs. Cette démarche devait l’amener dans les années soixante à concevoir des polyrythmes géants, sortes d’ossatures rythmiques d’une œuvre. Mais c’est avant tout l’idée d’une « perspective multiple »4 du temps, facteur fondamental de changement constant du discours musical, qui permit à Carter de développer une pensée rythmique éminemment originale. Il put ainsi réaliser des œuvres dans lesquelles les expressions temporelles les plus diverses, les comportements rythmiques les plus variés qui devaient animer les instruments/personnages à partir du Second Quatuor allaient être mis en jeu aussi bien successivement que simultanément.
Moduler le temps
3L’écriture rythmique d’Elliott Carter évolue de façon décisive avec la modulation de tempo, appelée généralement modulation métrique5, introduite pour la première fois dans la Sonate pour violoncelle et piano, et qui deviendra un élément structurel essentiel dans l’œuvre de Carter. Elle représente à la fois un facteur de changement et de continuité, puisqu’elle permet de passer progressivement d’un tempo à un autre par une succession d’indications métronomiques, ainsi que par la redivision de la pulsation. Dans le célèbre article « La Musique et l’écran du temps », Carter a illustré cette technique en s’appuyant sur un exemple tiré de « Canaries », une des Huit Pièces pour quatre timbales (1950-1966)6. « Pour l’auditeur, ce passage devrait sonner comme si la main gauche tenait une pulsation régulière constante, sans participer aux modulations, et jouant les notes graves si et mi à la vitesse lente de MM 64, tandis que la main droite, sur fa et dot, traversait une série de modulations, augmentant légèrement sa vitesse à chaque changement. En commençant à la même vitesse que la main gauche – MM 64 à la noire pointée-, la main droite passe à des noires régulières (MM 96) à la mesure suivante, et à la troisième mesure, ces noires sont accentuées par deux, puis sont remplacées par des triolets (MM 54). La notation est ensuite changée à la double barre, de sorte que le triolet de noires préalable équivaut à la nouvelle noire, laquelle est ensuite accentuée à son tour par paires, qui sont une fois de plus remplacées par des triolets (ces derniers sont maintenant à MM 216). L’ensemble du processus est ensuite répété à ce nouveau palier, portant la valeur des noires de la douzième mesure à MM 324, alors que la main gauche continue sa pulsation à MM 64, maintenant notée dans les durées de 81 quadruples croches »7 (Exemple 18, page suivante).
4La modulation de tempo peut graduellement permettre le passage d’une section à l’autre ou accompagner une évolution rapide du tempo, provoquant un changement intempestif du caractère musical. Elle peut opérer aussi bien à grande échelle que dans une séquence très limitée dans le temps.
5Dans le Troisième Quatuor (1971), la première apparition du mouvement « Scorrevole », joué par le Duo II, montre un exemple significatif de modulation de tempo en action pendant tout un mouvement (Tableau 2). Le violon 2 et l’alto entrent à la mesure 106, après neuf mesures d’interruption. Ils se superposent alors aux instruments du Duo I qui jouent le mouvement « Giocoso ». La vitesse du Duo II est, au départ, de MM 504 à la triple croche de septolet, pour le violon 2, et de MM 360 à la double croche de quintolet, pour l’alto, soit un rapport de 7 :5. À la mesure 110, la vitesse passe à MM 480 au violon 2, et MM 320 à alto (rapport de 6 :4) puis, mesure 112, à MM 400 au violon 2 et MM 560 à l’alto (rapport de 7 :5) et, mesures 115-116, MM 240 au violon 2 et MM 280 à l’alto (rapport de 9 :7). La décélération, conduite surtout par le violon 2, accompagne, en fait, la fin du mouvement « Giocoso » dont les derniers pizzicatos, plus raréfiés sur cette fin, s’arrêtent à la mesure 114. Le « Scorrevole », qui se poursuit alors seul, va se mettre à accélérer, faisant ressortir la nature fluide et souple de ce caractère musical. Dès la mesure 117, les vitesses sont de MM 360 et MM 270 dans un rapport de 4 :3, où le violon 2 alterne des doubles croches et des triolets. L’indication de tempo donnée par Carter est alors de 90 à la noire. Puis l’accélération poursuit sa progression de façon irrégulière avec des rapports de proportion constamment variés entre les deux instruments : mesure 120, violon 2 à MM 288 et alto à MM 360 (5 :4) ; mesure 123 violon 2 à MM 504 et alto à MM 336 (6 :4) ; mesure 127, violon 2 à MM 588 et alto à MM 448 (21 :16). Avec l’entrée du mouvement « Leggerissimo », au Duo I, la texture se densifie et accentue l’effet de l’accélération finale. La seule vitesse du violon passe de MM 540 mesure 134, à MM 600 mesure 143, pour culminer, à la mesure 146, à MM 630. Le rapport avec l’alto, dont la vitesse est de MM 450, est, à cet endroit, de 7 :5. Comme à la mesure 117, l’indication métronomique est de 90 à la noire, mais le second violon joue ici des septolets de triples croches et l’alto des quintolets de doubles croches. Le mouvement « Scorrevole » gardera ce rapport de vitesses jusqu’à ce que le mouvement « Giusto, meccanico » prenne le relais à la mesure 151.
6La modulation de tempo peut être considérée comme l’un des aboutissements de la réflexion de Carter pour résoudre les problèmes posés par la succession des événements musicaux. Mais c’est aussi par ce raffinement des mécanismes de la succession rythmique que Carter a pu apporter une réponse aux problèmes de la simultanéité. Comme le montre l’exemple tiré du Troisième Quatuor, cette modulation métrique trouve pleinement son sens dans l’écriture contrapuntique. Elle permet d’échapper au caractère mécanique et répétitif généré par les cycles, même complexes, des pulsations entrecroisées. Elle crée, dans les différentes trames de la texture, des fluctuations de tempo où les éléments musicaux se dilatent dans les ralentissements ou se compriment dans les accélérations, tandis que d’autres restent stables.
Le temps pluriel
7À la fin des années quarante, la musique de Carter manifeste une nette propension pour un « contrepoint de temps » où des identités instrumentales aux comportements rythmiques distincts évoluent simultanément, chacune à sa propre vitesse. Les rapports de proportion entre les pulsations sont conçus pour éviter le plus possible les points de rencontre entre les voix. Pour cela, Carter délaisse les rap ports numériques simples de 2 :1 ou 3 :1 au profit de rapports plus complexes (de 21 :16, par exemple). Ce type de contrepoint rythmique crée des enchevêtrements de pulsations libérées du joug de la métrique régulière. Les éléments musicaux acquièrent alors une réelle indépendance qui permet aux futurs caractères musicaux, mis en œuvre à partir du Second Quatuor, d’avoir une véritable dimension dramatique. Désormais, l’écoute ne peut plus compter sur un cadre rigide et sécurisant déterminé par la perception d’une unique pulsation dominante : l’auditeur est pris dans un réseau de forces cinétiques, apparemment antagonistes, qu’il peut facilement identifier et suivre, sans pour autant avoir le sentiment d’en contrôler le flux. Au contraire, la multiplicité des temps, se déroulant de façon simultanée ou continue, constitue un élément déstabilisant pour l’écoute, mais également particulièrement stimulant, car « les innovations rythmiques de Carter, qui sont maintenant fameuses, peuvent être perçues comme affectant notre conception de la nature de la musique elle-même»8.
Vitesse référentielle
8Cependant, si cette conception rythmique traduit une grande diversité et un renouvellement temporel constant, elle repose toujours sur une organisation sous-jacente unificatrice. L’ensemble des vitesses qui circulent dans les multiples trames de la texture contrapuntique sont toutes déduites de durées de base prédéfinies. Dans le Premier Quatuor, le souci d’établir des rapports de proportions entre les vitesses apparaît manifeste. Les huit thèmes du premier mouvement de l’œuvre, « Fantasia », ont tous une vitesse de base qui leur est propre mais qui, par division ou par multiplication, se trouve apparentée aux autres vitesses. Ainsi, à partir de la vitesse de référence du premier thème MM 96, il est possible d’obtenir celle des sept autres thèmes :
9Premier Quatuor, I. « Fantasia » :
Thème 1 : MM 96
Thème 4 : MM 48 (96 :2)
Thème 7 : MM 120 (48 x 2,5)
Thème 5 : MM 300 (120 x 2,5)
Thème 3 : MM 180 (120 x 1,5)
Thème 6 : MM 540 (180 x 3)
Thème 8 : MM 135 (540 : 4)
Thème 2 : MM 36 (540 : 15 ou 180 : 5))
10Dans le Second Quatuor, toutes les vitesses jouées par les quatre instruments sont déduites d’une seule pulsation : MM 70, confiée, sur une grande partie de l’œuvre, au second violon.
11Même si la symbolique des nombres n’apparaît qu’assez rarement dans la musique de Carter, il n’en reste pas moins que dans toute sa musique l’organisation rythmique est toujours entièrement contrôlée à partir d’un minimum de valeurs numériques.
Polyrythmes géants
12Un dispositif rythmique à grande échelle émerge peu à peu à partir des années soixante. Il fait son apparition dans le Double Concerto, où il affecte l'« Introduction » et la « Coda ». Dans le Concerto pour piano, il entre en jeu seulement dans le second mouvement. Mais c’est avec le Concerto pour orchestre qu’il s’étire pour la première fois sur la durée totale de l’œuvre, avec des rapports de 7 :8 :9 :10 entre les quatre trames orchestrales. Au cours des années soixante-dix, les œuvres de musique de chambre, qui constituent l’essentiel de la production, montrent un abandon (provisoire) des très grands polyrythmes, au profit de polyrythmes d’étendue plus limitée. Si les pièces « Anaphora », « Insomnia » et « Ο Breath » du cycle A Mirror on Which to Dwell (1974) marquent un nouvel intérêt du compositeur pour les très grands polyrythmes, c’est avec les Night Fantasies (1980) qu’ils prendront une importance considérable.
13Les polyrythmes géants répondent à la nécessité d’établir un lien structurel étroit entre tous les niveaux d’organisation rythmique. « L’une des façons de procéder consistait à disposer des schémas rythmiques à grande échelle avant d’écrire la musique, schémas qui deviendraient ensuite les points forts de la pièce, ou d’une section de la pièce. Puis ces schémas ou cycles étaient subdivisés en plusieurs degrés jusqu’au plus petit niveau de la structure, en mettant le détail en rapport avec le tout. »9
14La gestion mathématiquement rigoureuse des rapports de durées entre les pulsations assure le contrôle des mécanismes rythmiques irréguliers, afin d’éviter de courir le risque de l’incohérence. Carter a d’ailleurs analysé lui-même en détail l’organisation de ses premiers polyrythmes, et en particulier celui qui soutient 1’« Introduction » du Double Concerto. Cette dernière superpose progressivement dix vitesses différentes, auxquelles sont assignés dix intervalles. Comme le montre le tableau établi par le compositeur, il existe une certaine symétrie dans les rapports de durées. Les deux vitesses extrêmes : 35 pour la plus rapide, et 171/2 pour la plus lente, entretiennent un rapport de 2 :1. Un point central est constitué par deux vitesses voisines, 25 et 241/2, qui sont dans un rapport de 50 :49. De part et d’autre de ce point central, les six autres vitesses s’éloignent progressivement vers les limites extrêmes : 217/8 et 28 (rapport de 25 :32), 21 et 291/6 (rapport de 18 :25), 194/9 et 311/2 (rapport de 50 :81) (Tableau 3, page suivante).
15La plupart des œuvres composées à partir du début des années quatre-vingt sont construites sur un unique cycle de polyrythme qui couvre toute la durée de la pièce. Les pulsations des différentes couches instrumentales sont donc en phase seulement au début et à la fin de l’œuvre10. Il en résulte que l’ensemble des proportions qui compose l’organisation des durées est issu de ce cycle unique. La vitesse de pulsation des courants d’un polyrythme est généralement très lente, variant, suivant les œuvres, de 5 à 30 secondes. Dans Triple Duo (1982), par exemple, qui possède, comme son nom le laisse deviner, une division en trois duos, chaque duo prend en charge un courant de pulsations du polyrythme qui se déroule à des vitesses constantes de : 36,3 secondes pour les bois, 18,46 secondes pour le piano et la percussion et 21,42 pour les cordes, soit des vitesses métronomiques de 1,65 ; 3,2 ; 2,8. Mesurées en nombre de pulsations par minute, on obtient un rapport de 113/20 : 31/4 : 24/5. Sur la durée totale du polyrythme, qui s’étire sur les vingt minutes de l’œuvre, le rapport du nombre total de pulsations dans les trois courants sera : 33 :65 :56.
16Mais l’organisation mathématique des polyrythmes répond également à des préoccupations expressives fondamentales, et leur fonction organique sous-jacente est donc en corrélation directe avec une fonction dramatique. Ils agissent, en effet, en faveur d’une forte caractérisation des différents courants contrapuntiques. Dans 1’« Introduction » du Double Concerto, les intervalles à hauteurs déterminées qui émergent peu à peu du magma sonore des percussions, à partir de la mesure 7, sont assignés respectivement à une des dix vitesses qui se déroule dans chacun des courants. L’indépendance des lignes est d’autant plus perceptible qu’elles évoluent dans deux dimensions à la fois : la durée et la hauteur (Exemple 19, page suivante).
17Dans les œuvres écrites dans les années quatre-vingt, Carter utilise le polyrythme géant pour renforcer cette nécessaire discrimination des couches instrumentales en agissant à deux niveaux.
18Premièrement, il contrôle les rapports de division des pulsations entre les courants du polyrythme, afin d’éviter les points de rencontres simultanés. Lorsqu’une œuvre ne possède que deux couches contrapuntiques, les pulsations évoluant dans chaque couche ne seront en phase, comme le veut le cycle unique de polyrythme, qu’au début et à la fin. Les risques de rencontres sont alors nuls. C’est le cas pour les Night Fantasies pour piano et Changes (1983) pour guitare, dont la nature polyphonique des instruments permet une organisation en deux couches, ainsi que les duos instrumentaux tels Esprit Rude/Esprit Doux (1984) pour clarinette et flûte, ou Enchanted Preludes (1988), pour violoncelle et flûte. L’absence de points de rencontre entre les deux courants de pulsations d’un cycle unique de polyrythme ne signifie pas pour autant l’absence d’une structure interne. Il existe, en effet, des points de « quasi-convergence » qui peuvent intervenir à intervalles réguliers et donc créer des formes de périodicité.
19Cependant, dans les œuvres construites sur un unique cycle de polyrythme géant, mais utilisant plus de deux courants de pulsations, donc plus de deux couches contrapuntiques, il peut se produire des coïncidences partielles entre les pulsations d’au moins deux couches qui peuvent, à ces points de rencontre, altérer la fonction de différenciation. Pour éviter ces points de coïncidence partielle au cours de la pièce, Carter utilise des polyrythmes dans lesquels, entre les courants, le rapport du nombre de pulsations par cycle ne possède pas de facteur commun11. Tel est le cas du polyrythme de Triple Duo, par exemple, dont le rapport entre les trois duos est de 33 :65 :56. Il n’y aura donc pas de risque possible de rencontre entre deux duos quelconques au cours de la pièce.
20En revanche, Carter utilise également des polyrythmes dont le rapport du nombre de pulsations par cycle possède des facteurs communs, lorsqu’il veut atténuer la différenciation entre les couches instrumentales. Ainsi, dans le Quatrième Quatuor, où Carter a voulu établir des rapports plus consensuels entre les instruments, il existe de nombreuses coïncidences entre les pulsations de deux ou même trois courants12.
21Deuxièmement, il associe, à partir de Triple Duo, une unique division du temps avec chaque couche, cette division étant maintenue à travers toute l’œuvre, en dépit des changements de tempo et de mètre, ce qui renforce l’identité de chacun des trois groupes instrumentaux. Carter prend soin d’éviter que les divisions du temps de deux couches ou plus, ne soient des multiples de nombres entiers d’une autre couche, ce qui atténuerait la différenciation par un effet d’« alignement ». Ainsi, dans Triple Duo, les deux bois jouent des divisions du temps en 3, le piano et la percussion en 5, et les deux cordes en 4 (Exemple 20, mes. 4-6, page suivante). Pour éviter que deux pulsations différentes coïncident, Carter adopte des rapports de durées qui, lorsqu’ils sont mis sous forme d’équation, ne possèdent pas, là non plus, de facteur commun. En effet, si les différents rapports de pulsations partagent un facteur « n », alors les pulsations coïncideront « n » fois. On peut constater ici que dans les trois duos, le nombre de divisions de temps par pulsation ne partage pas de dénominateur commun. A une vitesse métronomique de 100, la pulsation des bois se répétera toutes les 182 croches de triolet, soit 602/3 temps, le piano et la percussion toutes les 154 croches de quintolet, soit 304/5 temps et les cordes toutes les 142 croches, soit 353/4 temps.
Comportements rythmiques
22Le contrepoint de temps, qui caractérise la musique de Carter, ne superpose pas simplement des vitesses différentes, savamment contrôlées, évoluant sous la poussée des modulations de tempo, mais des comportements rythmiques variés contribuant à définir, avec les autres composantes sonores, timbre, registre, intervalle, des caractères musicaux indépendants dans chaque couche contrapuntique. Le souci constant du compositeur d’éviter scrupuleusement les risques de la redite implique que la signification et la fonction de ces comportements rythmiques peuvent varier sensiblement d’une œuvre à l’autre et suivant le contexte dans lequel ils se déroulent. Cependant, on peut dégager quelques comportements types, quelques constantes, comme les pulsations métronomiques, les rythmes libres ou les accelerandos et les ritardandos qui contribuent à définir un style rythmique propre à Carter.
Pulsations métronomiques
23La musique de Carter ne cherche pas à faire oublier que le temps se mesure. Des pulsations métronomiques émergent souvent de la texture, laissant entendre leurs battements accentués plus ou moins régulièrement, avant de s’effacer. Ces pulsations peuvent apparaître à des tempi différents au cours d’une même œuvre, dans une présentation successive ou simultanée. Elles entretiennent alors toutes des relations numériques puisqu’elles émanent soit d’une pulsation de base, ordonnatrice de tous les tempos de l’œuvre, soit de la pulsation d’un courant de polyrythme géant. La fonction de ces pulsations perceptibles n’est pas d’assujettir les flux rythmiques. Elles ne cherchent pas non plus à faciliter l’exécution rythmique, même si Carter n’a jamais négligé cet aspect. Elles sont avant tout la conscience temporelle de l’œuvre. Une conscience éphémère mais objective du déroulement du temps. Projetées au sein de la texture contrapuntique, parmi les autres comportements rythmiques, elles strient d’un marquage équidistant le jeu entrecroisé de leurs flux mouvants, instables. Elles agissent comme des poteaux le long d’une voie de circulation : pour l’observateur se déplaçant à grande vitesse, ils défilent régulièrement devant ses yeux, mettant en valeur l’irrégularité riche et complexe, constamment variée, du paysage accidenté qui se déroule à l’arrière-plan. Les pulsations métronomiques ne restreignent donc pas le champ de la perception temporelle, mais au contraire, elles l’élargissent en faisant ressortir la multiplicité des expériences instrumentales. En fait, la présence de ces pulsations permet un va-et-vient entre une « conscience » objective et une illusion subjective du temps qui s’écoule.
24Par définition, les pulsations métronomiques perceptibles ne contiennent pas des vertus rythmiques intéressantes. Aussi ne constituent-elles pas un type de comportement fréquemment utilisé pour être associé à un caractère musical. Une exception de taille figure toutefois dans le Second Quatuor. Le second violon joue souvent une pulsation métronomique de 70 qui est, nous le savons, la pulsation de base de l’œuvre. Il incarne la rigueur, la rigidité du temps mécanique, en opposition à la fantaisie des comportements rythmiques des trois autres. Il est l’élément objectif du groupe qui régente organiquement le rythme de tous les comportements individuels, mais, non sans ironie de la part de Carter, il fait ressortir, par comparaison, la nature libre et imaginative du premier violon, de l’alto et du violoncelle.
Rythmes libres, rubato
25L’écriture instrumentale de Carter ouvre souvent la voie à l’expression de comportements rythmiques libres, atypiques, donnant avant tout une impression d’improvisation qui semble les tenir à l’écart du contrôle d’une pulsation. Ils sont la manifestation d’une pensée individuelle émancipée qui trouve souvent sa raison d’être par exemple dans les mouvements ou les passages indiqués « Fantastico » ou encore « Capriccioso » ainsi que dans les Cadences instrumentales, comme celle du premier violon, dans le troisième mouvement « Andante » du Second Quatuor où le rythme s’approprie le style rubato de l’alto et les accélérations propres au violoncelle (voir Exemple 22).
26Le style rubato contribue également à donner une impression d’improvisation. Dans le Troisième Quatuor, il est une caractéristique du Duo I (violon 1-violoncelle) et s’oppose, durant toute l’œuvre, au jeu strictement rythmique du Duo II (violon 2-alto). Il donne donc une certaine unité de comportement entre les quatre « caractères/mouvements», par ailleurs rythmiquement très différents les uns des autres, qui apparaissent tout au long de ce Duo I.
Accélération, ralentissement
27Si par leur immuable régularité les pulsations métronomiques tracent un trait horizontal et rectiligne sur une surface plane de l’écran du temps, alors les rythmes évoluant par accélération ou par ralentissement continus le traversent en diagonale et l’incurvent au gré de leurs modulations de tempo.
28Lorsque ces comportements rythmiques appartiennent spécifiquement à un instrument ou à un groupe d’instruments, et sont indissociables de leur caractère musical propre, leur fonction s’avère être avant tout expressive. Tel est le cas du violoncelle dans le Second Quatuor. Il joue le rôle d’un personnage impétueux qui est traduit par une écriture instrumentale virtuose où les phrases musicales subissent la poussée d’une accélération non calculée métronomiquement, mais simplement suggérée à l’interprète par un phrasé délimité par des pointillés terminés par une flèche. Ce type de comportement rythmique lui est spécifique et a une fonction structurelle plus limitée (Exemple 22, page suivante).
29Bien qu’il les ait utilisés avec beaucoup d’efficacité notamment dans le Concerto pour orchestre, Carter a évité dans la grande majorité de ses compositions les ralentis ou les accélérations de masse qui peuvent certes fournir un effet dramatique impressionnant, bien que plus conventionnel, mais annulent l’énergie des actions individuelles.
30Accélération ou ralentissement peuvent être confrontés à d’autres comportements rythmiques, comme, par exemple, à des pulsations régulières. Pendant la Cadence du violoncelle (mes. 243-285), dans le deuxième mouvement du Second Quatuor, le premier violon adopte momentanément le comportement rythmique du second violon. Les deux instruments se mettent donc à « égrener » simultanément des pulsations régulières. Le premier violon à la vitesse métronomique de 93,3 et le second violon à la vitesse de 140, c’est-à-dire le double de sa vitesse de base. La connivence des deux violons produit un contrepoint rigide d’accents croisés à l’effet mécanique qui met en valeur les libres accélérations du discours véhément du violoncelle (Exemple 22, page suivante).
31La combinaison simultanée de l’accélération et du ralentissement est également un moyen très efficace pour mettre en valeur ces deux comportements rythmiques. Vers la fin de l’« Adagio » du Double Concerto, à partir de la mesure 453, le piano accélère progressivement tandis que le clavecin évolue de plus en plus lentement. Plus les tempi s’éloignent, plus l’auditeur prend conscience de l’évolution individuelle des deux solistes. Cependant, la superposition de ces deux processus est aussi efficace que son action est limitée. Leur nature évolutive n’est pas extensible à l’infini, et la dichotomie progressive des univers temporels s’éloignant peu à peu ne peut perdurer, même si la lenteur de la modulation de tempo en retarde la fin. En effet, le ralentissement conduit irrémédiablement à la cessation de tout mouvement, tandis que l’accélération finit par se trouver « bloquée » dans sa course par les limites techniques des instrumentistes. Dans ce passage du Double Concerto, qui offre une transition avant le « Presto », Carter exploite et détourne habilement cette inévitable rupture à des fins à la fois dramatiques et structurelles lui permettant d’assurer une impression de continuité de cette double progression. Arrivés au maximum de vitesse et de lenteur, les deux solistes laissent la place au vide. Mais au lieu de paraître s’annuler – les deux extrêmes se rejoignant finalement par une dissolution commune dans un temps étale et lisse habité du seul timbre du crotale13-ces vitesses, comme nous le verrons, semblent s’être immergées dans le silence pour y poursuivre virtuellement une progression infinie.
ESPACE SONORE
Abandon du système tonal
32La réflexion sur le temps musical, qui était pour Carter une priorité essentielle, freina quelque peu l’évolution de son langage harmonique. La redéfinition de l’espace sonore fut donc plus lente et plus tardive. Non pas que le compositeur n’ait pas eu conscience de son absolue nécessité, mais plutôt parce que l’énergie créatrice, l’investissement intellectuel que lui demandait le travail sur le rythme l’empêchait de mener de front cette réforme de l’espace sonore. Ainsi, les œuvres qui précèdent le Premier Quatuor traduisent un progressif détachement du langage tonal, ou, dans le cas de la Sonate pour piano, sa « réinvention » par le biais de l’acoustique propre à l’instrument.
33Mais si le langage tonal devint de moins en moins opérant, au point d’être complètement évacué dans le Premier Quatuor, Carter comprit également que le système sériel ne pouvait lui offrir une solution alternative satisfaisante. Pour lui, l’apport de ce système, comme bien d’autres, « demeure essentiellement inutile : en développant le dodécaphonisme, les Viennois faisaient un pas en arrière par rapport à leurs œuvres “atonales” antérieures, qui sont beaucoup plus riches de pensée, tandis que les routines mécaniques et arbitraires de la musique sérielle, comme les opérations de la musique aléatoire, son antithèse, sont en fait conservatrices, et souvent trop simplistes quant à la pensée et à l’expression musicales »14. Mais surtout, ce système qui avait permis de libérer les douze sons de la gamme chromatique des fonctions tonales était trop dépendant d’une conception linéaire pour pouvoir véritablement développer une sensibilité harmonique. De plus, il n’était pas parvenu à se libérer des formes traditionnelles. L’usage particulièrement développé du canon, traité dans tous les types traditionnels d’écriture (augmentation, diminution, renversement, rétrograde, etc.), comme dans la musique de Webern, par exemple, ne permet pas d’envisager des schémas formels radicalement nouveaux.
34Mais la critique de la tonalité autant que du système sériel, de la part de Carter, montre surtout un désir de ne pas être dépendant de toute règle préétablie. Il s’agissait donc pour lui de trouver un système à la fois ouvert et complet dans lequel les douze sons de la gamme chromatique n’auraient aucune règle hiérarchique, ni aucune ordonnance prédéfinie. Mais il fallait que ce système puisse organiser le discours musical aussi bien dans sa dimension harmonique que contrapuntique, tout en intégrant la profonde reconsidération du temps musical.
Ensembles de hauteurs relatives
35Carter commence alors à organiser l’espace sonore en ensembles de hauteurs relatives, d’abord de trois ou quatre notes, c’est-à-dire en collections de groupes de hauteurs qui peuvent être transposés sans perdre leur identité. Dans ces ensembles, à la différence de la musique sérielle, aucun ordre de succession n’est imposé. Carter connaissait depuis longtemps l’existence de telles classifications. Durant les années trente, il avait étudié les théories de Hauer dans Vom Melos zum Pauke, et également celles d’Aloïs Haba dans Neue Harmonielehre, qui, avant de se tourner vers la microtonalité, avait commencé d’établir des listes d’ensembles de hauteurs.
36L’intérêt de Carter pour une organisation de l’espace sonore à partir de tels groupes de hauteurs se manifeste déjà dans la Symphony n° 1 de 1942, mais devient de plus en plus important et systématique au fur et à mesure qu’il se détache de la tonalité. La Sonate pour violoncelle et piano et le Premier Quatuor marquent, en ce sens, une étape décisive. Dès lors, Carter exploitera cette gestion de l’espace sonore d’une façon tout à fait personnelle, qui se caractérise par une conception globale. En effet, l’analyse harmonique de la musique de Carter révèle l’exploitation systématique de plusieurs répertoires d’ensembles qui, loin de se limiter à quelques formes, cherche au contraire à les épuiser, si ce n’est toutes, du moins un très grand nombre. D’autre part, les dimensions des ensembles retenus évoluent d’œuvre en œuvre, le choix étant déterminé par la nature du projet. Si dans le Second Quatuor Carter répartit les onze intervalles entre les quatre instruments, il fait appel, dans le premier mouvement du Concerto pour piano, aux douze accords de trois sons qui sont répartis équitablement entre les deux groupes instrumentaux. Six tricordes sont attribués au piano et à son concertino, six autres à l’orchestre. Dans le Concerto pour orchestre, il exploite les trente-huit pentacordes répartis entre les quatre orchestres de chambre. Cependant, par le jeu des extractions ou des ajouts de notes ou d’intervalles, leur matériau harmonique respectif fournit un éventail d’ensembles beaucoup plus large, utilisant les intervalles, les tricordes, les tétracordes, et même les heptacordes qui sont les ensembles complémentaires des pentacordes. Dans les Night Fantasies, Carter emploie un très grand nombre d’ensembles de hauteurs, puisque l’œuvre est basée sur quatre-vingt-huit « accords tous intervalles » de douze notes divisibles en deux hexacordes et qui fonctionnent à la fois comme harmonie et comme une composition particulière de l’espace sonore du piano. Ces « accords », qui sont connectés entre eux par des notes-pivots, partagent aussi une même propriété fondamentale de construction : chaque intervalle du premier hexacorde est couplé avec son rétrograde situé dans le second hexacorde autour d’un triton central. Ce dernier, soigneusement évité dans la première partie de l’œuvre, est « révélé » lors du « Recitativo colerico » (mes. 235-246), moment dramatiquement essentiel de l’œuvre15.
Théorie des « accords » de Carter
37La théorie harmonique de Carter est d’abord un système de classification16 permettant de répertorier tous les ensembles, qu’il préfère appeler des « accords », provenant des douze demi-tons, et contenant n’importe quelle quantité de notes, à partir de deux. Le terme « accord » ne signifie pas ici un ensemble de notes jouées simultanément, mais jouées aussi successivement. D’autre part, l’accord tel que le conçoit Carter n’a pas une fonction spécifique, comme il peut en avoir une dans la musique tonale. La théorie des « accords » est en fait très similaire à la théorie des ensembles de hauteur, adoptée, par exemple, par Milton Babbitt ou encore Allen Forte17.
Hauteurs et intervalles relatifs
38Les hauteurs relatives sont codifiées suivant une numérotation allant de 0 à 11, mais le 10 et le 11 sont remplacés respectivement par les lettres « t » pour « ten » (10), et « e » pour « eleven » (11). Si l’on prend arbitrairement la note do comme référence, on obtiendra la classification suivante :
do | do♯ | ré | ré♯ | mi | fa | fa♯ | sol | sol♯ | la | la♯ | si |
0 | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | t | e |
39Le code chiffré des hauteurs n’est guère employé par Carter, qui, si l’on en juge par ses esquisses, est toujours resté fidèle à la notation traditionnelle. Ce code cependant se justifie pleinement pour l’analyse de ce genre de musique atonale.
40À partir de la classification des hauteurs relatives, on peut obtenir une classification des intervalles relatifs, en comptabilisant le nombre de demi-tons. En prenant toujours la note do comme référence, on obtiendra par exemple pour l’intervalle domi le chiffre 4, qui correspond à son nombre total de demi-tons ; le chiffre 7 correspondra à l’intervalle contenant 7 demi-tons, c’est-à-dire do-sol.
Ensembles d’intervalles
41Dans l’harmonie tonale, chaque intervalle est en rapport avec un autre qui est son complément à l’intérieur de l’octave (par exemple : sixte majeure et tierce mineure). Ils sont classés distinctement à l’intérieur (de cette octave) en douze intervalles, de la seconde mineure à l’octave.
42Dans la théorie des accords adoptée par Carter, un intervalle et son complément appartiennent à la même classification. Il y a donc un répertoire de seulement six ensembles d’intervalles (ou dyades).
- (0,1) = Seconde mineure - Septième majeure
- (0,2) = Seconde majeure - Septième mineure
- (0,3) = Tierce mineure - Sixte majeure
- (0,4) = Tierce majeure - Sixte mineure
- (0,5) = Quarte juste - Quinte juste
- (0,6) = Triton - Triton
43Dans ce type de classification, les intervalles ne sont pris en compte que jusqu’à 6, c’est-à-dire jusqu’au triton (six demi-tons). Cela ne signifie pas pour autant que ces six intervalles aient une fonction hiérarchique supérieure ou distincte de celle des intervalles supérieurs au triton. Au contraire, dans la musique de Carter, chaque intervalle a une fonction distincte, différente de la fonction de son complément dans l’octave. (On remarquera que le triton est le seul ensemble qui soit son propre renversement). D’autre part, l’unisson n’entre pas dans la classification des ensembles qui ne connaît pas non plus l’enharmonique (do♯ = réb = si♯♯).
Tricordes, tétracordes
44En ajoutant une note à un ensemble d’intervalles (dyade), on obtient un nouvel ensemble de trois notes, ou tricorde, qui va générer deux autres intervalles. Par exemple : do-ré (0,2) + mib (3) = do-ré-mib (0,2,3) soit (0,1,3)18. On remarquera que, dans la numérotation de Carter, les quatre premiers tricordes ne sont pas renversables. Si l’on prend do comme référence on obtient :
- (0,4,8) = do-mi-sol♯
- (0,3,6) = do-mib-fa♯
- (0,2,4) = do-ré-mi
- (0,1,2) = do-do♯-ré
45Dans la musique tonale, la position des notes à l’intérieur de l’accord est essentielle. Si l’on compare, par exemple, l’accord parfait majeur et l’accord parfait mineur, leur contenu intervallique est le même puisque, dans les deux cas, on a une tierce majeure, une tierce mineure et une quinte juste. Mais c’est la position des tierces majeures et mineures qui change complètement le sens de l’accord.
46Dans le système cartérien, cette distinction n’existe pas. Ainsi, l’accord do-mi-sol et l’accord do-mib-sol sont identiques, et sont représentés par le seul tricorde (0,3,7), c’est-à-dire le n° 6 dans la classification de Carter.
47Les tétracordes peuvent être obtenus en ajoutant simplement une note à un tricorde. Par exemple : do-do♯-mi (0,1,4) + fa♯ (6) = do-do♯-mi-fa♯ (0,1,4,6).
48Pour tous les tétracordes, il y aura six intervalles, mais seuls les tétracordes n° 18 (0,1,4,6) et n° 23 (0,1,3,7) contiennent les six intervalles relatifs. On les appelle les tétracordes « tous intervalles ». Par analyse du contenu intervallique, on obtiendra pour ces deux tétracordes :
49n° 18 (0,1,4,6) = 1 4 3 6 5 2
50n° 23 (0,1,3,7) = 1 3 5 2 6 4
Pentacordes, hexacordes et grands ensembles
51Carter distingue également 38 accords de cinq notes, ou pentacordes, et 50 accords de six notes, ou hexacordes, dont le n° 35, dans la classification de Carter, est un accord contenant tous les tricordes. Il a également eu recours à des ensembles plus grands tels que les heptacordes de sept notes, qu’il a utilisés comme compléments des pentacordes, des accords de douze notes, et même, dans le Concerto pour piano, un accord qu’il a appelé (non sans malice) un « duokaïoktoékontacord », c’est-à-dire un accord de 82 notes.
« Harmony Book »
52Les nombreuses esquisses accumulées durant la composition du Concerto pour piano conduisirent Carter à établir peu à peu (de 1963 à 1967) un catalogue où sont répertoriés, transcrits entièrement en notation musicale, tous les accords de 3 à 7 notes afin d’en exploiter plus rationnellement toutes les possibilités. Carter s’est toujours opposé à la publication de ce livre qui correspond, selon lui, à des besoins musicaux personnels19.
53L’avantage de ce répertoire était de pouvoir « chercher rapidement quel intervalle était commun à deux accords de trois notes, quels accords de trois notes s’excluaient mutuellement, et quels groupes d’accords de quatre notes épuisaient les douze notes »20. Par la suite, le répertoire fut organisé en deux parties. « La première, "synthèse", montre ce qui résulte lorsque l’on additionne une, deux notes ou plus à un accord de trois notes et plus. La seconde section, "analyse", présente chaque accord de trois, quatre notes et plus et montre quels accords et quels intervalles sont contenus à l’intérieur»21.
54Pour résoudre les problèmes complexes que posaient l’analyse et la gestion des plus grands ensembles, Carter a eu recours, par la suite, aux travaux réalisés sur ordinateur par Stefan Bauer-Mengelberg et Melvin Ferentz.
Tétracordes « tous intervalles » et hexacorde « tous tricordes »
55Très tôt cependant, Carter comprend qu’une très grande quantité d’informations fait courir le risque d’une saturation de la perception quant aux propriétés de ces ensembles, et peut priver la musique d’un élément harmonique ordonnateur indispensable. Les deux tétracordes « tous intervalles » (0, 1, 4, 6) et (0,1,3,7) vont lui permettre, grâce à leur potentiel intervallique, de contenir et de circonscrire tout le vocabulaire harmonique d’une même œuvre, et de la doter, en totalité, d’une sonorité propre, référentielle, tout en assurant un lien cohérent avec les autres ensembles de hauteurs, par le jeu des notes et des intervalles communs. Ainsi, dans le Double Concerto, chacun des deux orchestres possède, outre ses propres timbres instrumentaux, sa propre couleur harmonique émanant de l’attribution spécifique d’un de ces deux tétracordes. L’orchestre du clavecin diffuse à travers sa texture le tétracorde (0,1,3,7), tandis que l’orchestre du piano diffuse le tétracorde (0,1,4,6). Cependant, la fonction structurelle, discriminatoire, des deux tétracordes a ses limites. Lorsque ceux-ci opèrent dans le cadre d’une œuvre de grande envergure, mettant en jeu un réseau important de relations entre les différents éléments musicaux, leur potentiel harmonique court le risque d’être insuffisant, et leur utilisation inutilement complexe. Cette limite semble justement avoir été atteinte dans le Double Concerto. Carter y combine chacun des tétracordes à lui-même pour obtenir des accords de huit notes. Si, en théorie, la couleur harmonique de ces grands accords reste identique au tétracorde original, le risque de redondance menace l’usage de ce tétracorde. Mais ces accords de huit notes se trouvent confrontés à d’autres accords de huit sons qui, quant à eux, sont obtenus par le couplage des deux tétracordes « tous intervalles ». Leur existence, qui peut paraître en contradiction avec le premier type d’accords de huit notes, est justifiée par la nécessité d’un niveau supérieur d’organisation unificatrice entre les matériaux harmoniques des deux orchestres, transcendant les différences en combinant les deux tétracordes. La complexité des relations de parenté ou, au contraire, d’opposition entre les différentes combinaisons des deux tétracordes « tous intervalles », fait que le matériau harmonique court alors le danger de la confusion, et de la perte des identités harmoniques (Exemple 23, page suivante).
56Pour y remédier, Carter utilisera plus tard un ensemble plus vaste, l’hexacorde n° 35 (0,1,2,4,7,8) qui a la particularité de contenir l’ensemble des douze tricordes. Dans la pièce « Anaphora », extraite du recueil A Mirror on Which to Dwell, l’utilisation de cet hexacorde est en corrélation totale avec le sens du titre, puisqu’il est traité de façon anaphorique. Il se répète sous diverses transpositions, dans différentes positions, et en changeant le couplage des triades. Il s’impose comme élément structurel unificateur, tout en ayant une présentation constamment changeante. Sans pour autant renoncer à l’utilisation des tétracordes « tous intervalles », Carter fera de plus en plus appel à cet hexacorde. Il utilise même souvent un second hexacorde qui est dérivé du premier. Dans les Night Fantasies, ce second tétracorde est le rétrograde du premier transposé au triton, alors que dans le Quatrième Quatuor, il est un renversement du premier.
«Accords-maîtres»
57À partir du Double Concerto, Carter aura recours, plus particulièrement pour les œuvres à grand effectif, à un ensemble de douze sons, à transposition fixe, et dont toutes les hauteurs sont figées dans des registres déterminés. Ordonné verticalement, il se présente comme un ensemble référentiel, ou un accord-maître contenant des composantes harmoniques plus petites qui constituent tout le vocabulaire de l’œuvre. Cet « accord-maître » cristallise une sonorité originelle qui se répétera à travers l’œuvre, partiellement ou intégralement, aux passages structurellement cruciaux. Toutes ces positions fixes, que déterminent les accords-maîtres, agissent comme des moments d’aboutissement ou de « résolution » de la syntaxe sous-jacente lors des articulations formelles essentielles de l’œuvre.
58Dans le Double Concerto, cet accord qui, ici, contient seize sons, accentue les éléments intervalliques mis à jour dans l’« Introduction ». On le retrouve, avec quelques modifications, aux principales articulations de l’œuvre. Par exemple, à la mesure 39, où il amorce le crescendo conduisant au climax de 1’« Introduction » mesure 46, entre la Cadence du clavecin et l’« Allegro scherzando » aux mesures 147-149, ou encore à la mesure 615, juste avant la grande pause qui précède la « Coda ». Dans le Concerto pour piano, l’orchestre d’une part, et le piano et son concertino d’autre part, possèdent chacun son accord-maître de douze sons. Ces deux accords ne contiennent pas ici tous les intervalles puisque certains sont doublés alors que d’autres sont omis. En revanche, ils ont été conçus pour contenir la totalité des tricordes que se partagent les deux ensembles instrumentaux. Ces tricordes sont présentés au sein de leur accord-maître dans des espacements déterminés qu’ils garderont à travers l’œuvre (Exemple 25, page suivante).
59Dans le Concerto pour orchestre, l’accord-maître de douze sons contient quatre tricordes qui génèrent les harmonies des quatre mouvements et qui sont fixés dans les zones registrales propres à chaque orchestre. Avec le Troisième Quatuor et A Symphony of Three Orchestras, l’accord-maître devient, plus précisément encore, un « accord-réservoir » qui détient le matériau spécifique de chaque mouvement.
60Dans le Troisième Quatuor, l’accord de douze sons cristallise les onze intervalles dans des registres fixes (voir Exemple 28). Chaque mouvement étant représenté par un de ces intervalles, l’accord-maître contient virtuellement tous les mouvements. Outre les quelques endroits structurellement importants où il apparaît intégralement, chaque mouvement fait « ressortir » de la texture son intervalle constitutif, c’est-à-dire celui qui le caractérise, joué aux hauteurs de registre fixées dans l’accord-maître. Il y a donc une sorte de fonction d’« accord-tonique »22 de l’accord-maître articulant les grandes sections de l’œuvre lorsqu’il fait entendre la totalité de la sonorité originelle, et des fonctions d’« intervalles-toniques » lorsqu’il fait entendre un de ses composants intervalliques lié à un mouvement spécifique. Cette fonction d’intervalle tonique apparaît, par exemple, avec la septième mineure dot-si, jouée à l’alto, au début du « Grazioso », mesures 39-40 (voir Exemple 2 7, page précédente).
Fonctions organiques de l’intervalle
61Si la musique de Carter utilise une très grande quantité d’ensembles de hauteurs relatives, dont la densité peut varier considérablement au sein d’un même morceau, l’intervalle demeure un élément fondamental dans l’organisation de l’espace sonore. Incontestablement, « les harmonies de Carter commencent par l’intervalle »23.
62Il constitue, tout d’abord, le chaînon indispensable à partir duquel vont pouvoir se former les ensembles de plus grandes dimensions. Pour se limiter à un type d’ensemble de hauteurs, les tétracordes se composent, la plupart du temps, de l’association de deux intervalles (dyades). Un exemple, parmi d’innombrables, peut être pris dans les neuf « tétracordes constitutifs » du Troisième Quatuor, c’est-à-dire ceux qui font partie de l’accord-maître. Ils sont tous formés en accouplant deux dyades de l’accord-maître. En lisant l’accord de haut en bas, on obtient :
63(0,1,4,7), (0,1,3,6), (0,2,3,6), (0,1,5,7), (0,1,2,5), (0,1,2,6), (0,1,3,7), (0,2,5,8), (0,2,3,5).
64À la mesure 39, dans le Duo II, on peut ainsi voir deux de ces tétracordes constitutifs (0,1,3,7) et (0,1,2,5) formés de l’association des intervalles de quinte juste et de septième mineure. Ils sont les intervalles représentatifs du mouvement « Maestoso » qui prend fin, et du « Grazioso » qui le relaye. La combinaison de ces deux intervalles pour former des tétracordes, à ce moment précis de jonction de deux mouvements, répond, il va sans dire, à une nécessité structurelle.
65En fait, l’intervalle peut jouer, à tous les niveaux, un rôle articulatoire et connectif. Dans le Second Quatuor, le lien entre les différents autres intervalles est établi par la seconde mineure et la seconde majeure, seuls intervalles à ne pas être attribués à un instrument précis. Dans le Concerto pour piano, la parenté entre deux tricordes, ou plus, se fait par le biais d’un intervalle commun qui assure un même nombre de demi-tons entre deux notes de chacun des tricordes, et établit une cohérence dans l’univers musical où ils évoluent, tout en renforçant l’identité harmonique de chaque groupe instrumental. Les tricordes n° 7 (0,1,6) et n° 10 (0,2,5) qui appartiennent au piano et à son concertino possèdent en commun l’intervalle de quarte. La distinction entre les deux tricordes tend à se brouiller, d’autant qu’ils se déplacent à des vitesses qui possèdent des multiples communs. L’intervalle sert également d’élément de connexion pour essayer d’établir des relations entre des univers harmoniques différents. Dans ce même Concerto pour piano, le premier mouvement montre que soliste et orchestre essayent d’établir des relations de complémentarité, qui sont d’ailleurs traditionnelles dans un concerto. Ainsi, entre les mesures 18 et 22, l’intervalle fa-si, qui est présenté dans une disposition spatiale fixe, relie les tricordes n° 8 (0,2,6) et n° 9 (0,1,5) de l’orchestre avec le tricorde n° 7 (0,1,6) du piano et du concertino. Ici, les appartenances des tricordes aux deux groupes instrumentaux ne sont pas vraiment respectées puisque le piano joue aussi bien le tricorde n° 7 que le n° 9 (Exemple 29, page suivante).
Identité intervallique
66Si l’intervalle remplit une fonction sous-jacente, organique, il agit également à la surface de la musique où il exerce un rôle expressif spécifique, tout à fait perceptible. Déjà, dans le Premier Quatuor, l’identité intervallique apparaît clairement. Chacun des huit thèmes de la « Fantasia » possède un intervalle caractéristique. Mais c’est surtout à partir du Second Quatuor qu’un ou plusieurs intervalles sont associés à un instrument, ou à un groupe instrumental. En créant une couleur harmonique particulière s’épanouissant dans les timbres instrumentaux, l’intervalle devient alors un composant essentiel dans la constitution des caractères musicaux.
Second Quatuor
Violon 1 : | 3ce mineure | 5te juste | 9e majeure | 10e majeure |
Violon 2 : | 3ce majeure | 6te majeure | 7e majeure | |
Alto : | 4te augmentée | 7e mineure | 9e mineure | |
Violoncelle : | 4te juste | 6te mineure | 10e mineure |
67Dans le cas du Concerto pour piano – et il en sera de même pour le Concerto pour orchestre – Carter a considéré que les intervalles étaient des unités harmoniques de base trop limitées pour une œuvre d’une telle densité de texture. Aussi les remplaça-t-il par les douze tricordes. Cependant, chaque tricorde se distingue des autres par un intervalle qui lui est propre. Comme, pour chacun de ces accords, il y a un passage de l’œuvre où il devient l’accord dominant, cet intervalle propre s’impose alors naturellement dans ce passage, comme un élément essentiel dans la perception du caractère musical qui est développé.
68A l’analyse œuvre par œuvre de ces identités intervalliques, on constate qu’elles sont généralement réparties équitablement entre les individualités instrumentales. De plus, Carter épuise très souvent le répertoire des onze intervalles. Cependant, lorsqu’un intervalle n’est pas pris en compte dans la répartition entre les instruments, cela ne signifie pas pour autant qu’il est évacué de l’œuvre, mais que sa fonction est essentiellement organique, et donc sous-jacente. Dans le Second Quatuor, le demi-ton est très présent en tant qu’élément articulatoire, mais n’est la propriété exclusive d’aucun instrument. Il en est de même pour la seconde majeure, évacuée de cette répartition, tout comme de celle des deux Duos du Troisième Quatuor.
69Dans les œuvres où Carter a cherché à établir un certain rapprochement entre les groupes instrumentaux, les identités intervalliques peuvent alors être partagées. Par exemple, dans le Concerto pour piano, comme dans le Duo pour violon et piano, c’est l’identité intervallique de triton qui agit comme élément « conciliateur ». Mais un des cas les plus avancés de ce type de démarche se trouve dans le Quintette pour piano et vents (1991), où chaque intervalle (hormis le triton) appartient à deux instruments.
70Concerto pour piano
Concertino : triton ; 4te juste ; 6te min. ; 3ce min. ; 7e min. ; 2de min.
Orchestre : triton ; 5e juste ; 3te maj. ; 6te maj. ; 2de maj. ; 7e maj.
71Duo pour violon et piano
Violon : triton ; 2de min. ; 7e min. ; 6te maj. ; 3ce maj. ;5te juste
Piano : triton ; 7e maj. ;2de maj.; 3ce min. ; 6te min. ; 4te juste
72Quintette pour piano et vents
Hautbois : 2de min. 3ce maj. 4te juste 7e min.
Clarinette : 2de maj. 6te min. 6te maj.
Basson : 3ce min. 5te juste 7e maj.
Cor : 2de min. 2de maj. 3ce min. 4te juste 6te min.
Piano : 3ce maj. 5te juste 6te maj. 7e min. 7e maj.
73Pour Carter, l’identité d’un intervalle tient dans le nombre de ses demi-tons. Ainsi, un intervalle et son redoublement n’ont pas de parenté directe. Une tierce mineure et une dixième mineure ne peuvent être considérées comme équivalentes, et ne peuvent partager un même caractère musical, ou un même groupe instrumental. Dans le Second Quatuor, la tierce mineure appartient au personnage du premier violon, alors que la dixième mineure est la propriété du violoncelle. Une des rares exceptions à cette règle figure dans le Quintette pour cuivres, où la seconde mineure et la neuvième mineure sont mises sur le même plan d’identité. Ce cas ne se produit explicitement que dans une seule section de l’œuvre, celle du trio pour cor et deux trombones (« Angry »), mesures 284-316. Et s’il existe bien, dans d’autres sections, quelques équivalences d’octave, elles n’apparaissent que sporadiquement et n’ont aucune incidence dramatique ou structurelle.
74Tout intervalle non redoublé possède un intervalle complémentaire dans l’octave qui est son renversement. Si ces deux dimensions intervalliques sont contenues dans un même ensemble de hauteurs relatives comme un tricorde, un tétracorde ou tout autre ensemble, leur utilisation dramatique sera rigoureusement distincte. La grande majorité des œuvres écrites après le Second Quatuor montre que Carter évite soigneusement de disposer un intervalle et son renversement dans le même groupe instrumental.
Vitesses métronomiques et ensembles de hauteurs
75Les ensembles de hauteurs relatives et les identités intervalliques ne sont jamais des constellations se déplaçant librement dans l’espace sonore. Elles sont toujours fortement reliées à des vitesses métronomiques prédéfinies : espace musical et temps musical sont en interaction. Chacun des huit thèmes de la « Fantasia » du Premier Quatuor a déjà non seulement son identité intervallique, mais aussi une vitesse métronomique propre. Dans l’« Introduction » du Double Concerto, à chaque intervalle, présenté par un instrument différent, est assignée une vitesse métronomique d’un courant du polyrythme. Dans le Duo pour violon et piano, le polyrythme joué par le piano, au début de l’œuvre, présente lui aussi une relation entre des intervalles ou des accords et des vitesses. Avec la double croche comme unité de base, on obtient pour une vitesse métronomique de MM 84 à la noire :
3ce mineure = 72
triton (0, 4, 6) = 73
6te mineure = 69
accords de 5 notes = 56
76Dans le Concerto pour piano, ce sont les douze tricordes qui sont chacun reliés à une jusqu’à trois vitesses, donnant, dans le premier mouvement, un ensemble de vingt vitesses de base d’une étendue métronomique de 126 à 42. Comme dans toutes les œuvres de Carter, composées à partir du Second Quatuor, ces vitesses entretiennent entre elles des rapports de proportion24.
Notes de bas de page
1 Allen Edwards, op. cit., p. 53.
2 Ibid.
3 Ibid, pp. 70-71.
4 Elliott Carter, « La Musique et l’écran du temps », dans : La Dimension du temps, op. cit., p. 177.
5 Le terme « modulation métrique » fut employé pour la première fois par Richard Goldman qui décrivit cette technique dans l’article « The Music of Elliott Carter ». Carter devait reprendre ce terme à son compte dans l’article « La Musique et l’écran du temps ». Par la suite, il a adopté le terme « modulation de tempo », qui est d’ailleurs plus juste, puisque c’est bien la vitesse qui change, les différents mètres n’étant que des agents de changement et non des buts en soi.
6 Au cours des années 1949 et 1950, Carter écrit six études pour quatre timbales principalement axées sur la modulation de tempo. Les pièces sont révisées en 1966 et deux nouvelles compositions viennent s’ajouter. L’ensemble des Huit pièces pour quatre timbales est édité en 1968. Le recueil se compose de « Saëta », « Molto Perpetuo », « Adagio », « Recitative », « Improvisation », « Canto », « Canaries » et « March ».
7 Elliott Carter, « La Dimension du temps », dans : La Dimension du temps, op. cit., pp. 171-172.
8 Charles Rosen, « One Easy Piece », dans : The Musical Languages of Elliott Carter, Washington, D. C., Library of Congress, 1984, p. 25-29.
9 Allen Edwards, op. cit., p. 71.
10 Le polyrythme de Penthode est un cas exceptionnel dans toute l’œuvre de Carter, puisqu’il n’utilise qu’un très court fragment (vingt minutes tout de même...) d’un seul gigantesque cycle. En effet, si les cinq courants du polyrythme commençaient ensemble, ce cycle se déroulerait pendant 453 786,6 minutes, c’est-à-dire pendant 315 jours !
11 En effet, si les nombres totaux de pulsations « P » de chaque courant d’un polyrythme partagent un factuer « n », alors les pulsations coïncideront « n » fois. Pour les trois totaux de pulsations Triple Duo on obtient par la factorisation :
P = 33 = 3 x 11
Ρ = 65 = 5 x 13
Ρ = 56 = 2’ x 7
On peut constater que les trois totaux ne partagent pas de facteur commun.
12 La factorisation des totaux de pulsations du Quatrième Quatuor (120 :126 :175 :98) donne les résultats suivants :
violon I : Ρ = 120 =23 x 3 x 5
violon II : Ρ = 126 = 2 x32 x 7
alto : Ρ = 175 =52 x 7
violoncelle : P= 98 = 2 x72
Les plus grands facteurs communs sont : 6 ; 2 ; 14 ; 5 ; 7.
13 Voir chapitre IV ; Double Concerto.
14 Elliott Carter, « Le produit authentique d’aujourd’hui est l’œuvre expérimentale », dans : La Dimension du temps, op. cit., p. 141.
15 Voir chapitre IV, exemple 41.
16 Voir liste des « accords » de Carter en annexe.
17 La théorie des ensembles développée par Allen Forte propose une classification proche de celle de Carter, mais avec une numérotation différente. Allen Forte, The Structure of Atonal Music, New Haven and London, Yale University Press, 1973, pp. 1-21.
18 Pour repérer un ensemble, il faut d’abord placer le groupe de notes isolées de façon diatonique, par ordre croissant, c’est-à-dire en concentrant les plus petits intervalles vers la gauche. Les intervalles supérieurs au triton devront être remplacés par le renversement. Les notes seront ensuite converties en chiffres. Par exemple, l’ensemble do-ré-mib (tricorde n°12) se chiffre (0,1,3) et non (0,2,3). Dans le système cartérien, les ensembles do-do♯-ré♯ et do-ré-mib correspondent donc à ce même tricorde.
19 Il existe une copie manuscrite du « Harmony Book » dans la Collection Carter à la Fondation Paul Sacher à Bâle.
20 Jonathan Bernard, « An Interview with Elliott Carter », op. cit., p. 201.
21 Ibid.
22 Bien entendu, cette notion de « tonique », à laquelle Carter a souvent fait allusion, a un sens beaucoup plus large que dans la musique tonale, qui fonctionne sur une hiérarchisation des accords totalement étrangère à la musique de Carter composée à partir du Premier Quatuor.
23 David Schiff, The Music of Elliott Carter, op. cit., p. 63.
24 Voir exemple 25.
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Pierre Boulez, Techniques d'écriture et enjeux esthétiques
Jean-Louis Leleu et Pascal Decroupet (dir.)
2006
Karlheinz Stockhausen. Montag aus Licht
Revue Contrechamps / numéro spécial
Philippe Albèra (dir.)
1988