[Réponse à Andreï Volkonski1]
p. 437-439
Texte intégral
1La lettre du musicien russe Volkonski, interne à la Biennale, publiée dans La stampa et Il gazzettino du lundi 12, et qui m’est adressée, est une nouvelle secousse, peut-être programmée, et fortement imprégnée d’antisoviétisme et d’antisocialisme. La manière dont Volkonski s’exprime, trivialement, n’atteint même pas les limites d’une position dogmatique, qui pourrait en alimenter une autre opposée, voire négative. Cette secousse, qui prend certes vie à l’intérieur de la Biennale de la « dissidence », se fait au détriment ou sur la dépouille d’une conscience critique et de la rigueur informative et analytique du débat, que réclamait le thème de l’engagement, mais pris sous un angle déterminé de volonté politique partiale. Des tentatives et des propositions en ce sens se sont heurtées à la lenteur des décisions et des choix de personnes.
2Dans cette lettre, l’antisoviétisme et l’antisocialisme, triviaux, s’éclairent aussi bien par les éléments démonstratifs choisis que par leur corollaire. Mais il y a aussi l’arrogance autocratique du boyard et du prince tsariste, même si cette arrogance est légèrement empreinte de tolstoïsme, dans sa prétention, par un chantage sentimental ou piétiste, à baiser le pied des individus, des masses et des partis politiques. En ignorant, par sottise, la continuité historique du processus théorique et pratique, de sorte que certains se voient responsables, sujets, actifs, du dépassement critique des drames et des graves erreurs du passé. Peut-être aurais-tu dû rendre un hommage, même sentimental ou piétiste, à celui qui est imprégné de tout ce qui est exprimé dans la lettre ? Et qui prétend acheminer les autres vers des considérations et des condamnations absolues ?
3La désillusion que Volkonski exprime sur mon absence est une conséquence de la vacuité de son illusion.
4Mais dans cette arrogance, Volkonski se nourrit viscéralement de mensonges. En 1964, le camarade Pestalozza et moi fûmes invités à Moscou, Leningrad et Tallinn par ces « rhinocéros » (expression de Volkonski) de l’Union des compositeurs soviétiques qui, selon lui, ne nous auraient pas reçus. Il y avait bien sûr des différences d’appréciation, de jugement et de pratique. Mais nous obtînmes de l’Union des musiciens de nous faire inviter à l’audition d’œuvres de jeunes moscovites que nous avions rencontrés, à notre initiative, et qui connaissaient des difficultés absurdes avec l’Union. À la rencontre finale étaient présents Chostakovitch, Pestalozza et moi, qui répondions franchement, sans mentir, à ceux qui nous accusèrent d’avoir voulu rencontrer de jeunes compositeurs (dont Volkonski) non programmés par l’Union.
5Depuis notre première rencontre à Moscou, nous agissons de manière responsable, avec fermeté et, je le répète, sans mentir. Une connaissance critique continuelle et nouvelle pour élargir la participation, la discussion, la confrontation et l’intervention responsable et active, fait partie de ce que j’ai appris du PCI, et que je continue à pratiquer dans le Parti et en dehors de lui.
6Date : 1977.
7Source : Rogger (Piero), « Si chiude tra le polemiche la Biennale del dissenso », in Il gazzettino, 15 décembre 1977 – lettre ouverte publiée le lendemain, 16 décembre 1977, dans Stampa sera et dans L’unità.
Notes de bas de page
1 [Ce texte se situe dans le violent débat qui anima la Biennale de Venise en 1977, une biennale consacrée aux dissidents culturels en Urss et dans les pays du bloc soviétique (Tchécoslovaquie, Pologne, Hongrie…), et à la situation politique italienne, caractérisée par les victoires du PCI aux élections. Des intellectuels russes déclenchèrent une polémique contre la politique culturelle du PCI, qui aboutit à une violente opposition entre le Parti, les intellectuels qui en étaient membres et la Biennale de Venise. Dans la lettre publiée le 12 décembre 1977 dans Il gazzettino, Volkonski se posait en amoureux de la liberté et demandait des comptes à Nono sur son silence et sur son absence aux concerts et aux débats de la Biennale : « Personnellement, j’ai fait 3000 kilomètres pour venir te voir. Aujourd’hui, tu n’as que le canal de la Giudecca à traverser, et tu ne l’as pas fait. Pourquoi ? ». Il lui rappelait en outre que, à l’occasion de sa visite à Moscou, en 1964, Nono n’avait pas été reçu par les représentants de l’Union des compositeurs (d’obédience gouvernementale) parce qu’il représentait « l’art bourgeois décadent », mais qu’il s’était entretenu avec un groupe de jeunes compositeurs non alignés – parmi lesquels Volkonski, qui avait émigré en 1974 en Suisse. Volkonski regrettait que le PCI ait exercé des pressions contre la Biennale et qu’il ait perdu l’occasion de prouver au monde que ce ne sont pas « des staliniens ». « Si l’Union soviétique est socialiste, que faire de ses soixante millions de victimes, de son prolétariat exploité, de ses paysans réduits à l’esclavage, de sa culture détruite, de son empire colonial et de son appareil policier, le plus formidable de toute l’histoire de l’humanité ? Si c’est le socialisme, il n’y a pas d’autre réponse qu’un “merde !” », écrivait Volkonski, qui reprochait enfin à Nono de rester dans le confort intellectuel de la rhétorique manichéenne du marxisme, et concluait : « Gigi, tu m’as déçu, tu n’aimes pas les hommes ! ». Le texte de Nono est précédé d’une introduction de la rédaction : « L’embarras des communistes à l’égard de la Biennale de la dissidence grandit : en témoignent les continuelles polémiques qui s’enflamment et les contre-attaques de différents représentants du PCI aux accusations qui leur étaient lancées, surtout par les dissidents russes. À la dure lettre ouverte d’Andreï Volkonski à son collègue musicien Luigi Nono, que nous avons publiée lundi dernier, le compositeur vénitien répond en termes qui révèlent l’âpreté de la polémique. Malgré un ton exagérément de propagande – qui, du reste, se commente lui-même –, nous publions intégralement la lettre de Nono ».]
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