Quand on commet une erreur, il n’y a rien de plus grave que de ne pas l’admettre
p. 344-346
Texte intégral
1Quand on commet une erreur, il n’y a rien de plus grave que de ne pas l’admettre, de ne pas la reconnaître et de ne rien en apprendre.
2Mon adhésion à la lettre écrite par un groupe d’intellectuels européens sur le « cas Padilla1 » a été une erreur – et j’espère que d’autres le reconnaissent ouvertement.
3En ma responsabilité consciente de camarade militant pour le communisme, je l’affirme. Cette erreur est due à une double condition qui, je l’espère, sera comprise, et pas simplement justifiée, par les camarades latino-américains de la lutte commune.
41. Un conditionnement, des préoccupations, des difficultés et des contradictions dans la volonté révolutionnaire affirmée, chez les intellectuels marxistes européens (au moins chez moi, et sûrement chez d’autres), dans la période de transition que nous vivons actuellement : notre période, et non après une révolution socialiste victorieuse – qui comporte également en soi des contradictions de lutte de classe –, mais en vue d’une révolution socialiste, avec toute la problématique ouverte et avec tout le schématisme négatif de modèles eurocentriques historiquement dépassés (y compris dans le camp marxiste), qu’il faut encore transformer objectivement et subjectivement par l’audace créatrice de la pratique révolutionnaire marxiste.
52. Le dépassement de tout cela n’est possible, à mon avis, que par la pratique militante de l’intellectuel marxiste, organique, au sein de la classe ouvrière, et par l’hégémonie culturelle de la lutte du prolétariat, selon les principes léninistes et les indications de Mao Zedong en 1942, dans ses interventions à Yenan2, sur la fonction nouvelle de la culture dans le processus révolutionnaire, et selon l’orientation d’Antonio Gramsci et la nécessaire transformation de l’homme nouveau dont témoigne pratiquement et théoriquement Ernesto Che Guevara.
6Autrement dit, par la nouvelle fonction de la culture dans la lutte des classes au niveau historique, dans le cadre des nouvelles caractéristiques socio-économiques de chaque pays, et contre la culture au service de la société bourgeoise, néo-capitaliste, impérialiste et répressive.
7Dans ce processus de lutte culturelle et politique, l’unité est plus que jamais nécessaire, dans la diversité des situations, dans leur dialectique vivante de retards, d’erreurs et de victoires, dans tout le camp socialiste historique ou en développement, après la révolution bolchevique, après la révolution chinoise, après le triomphe de la révolution cubaine et aujourd’hui, après la victoire électorale du camarade Allende, avec tout le mouvement de libération en Amérique latine, en Afrique, en Asie, voire aux États-Unis (les Black Panthers) et dans les pays au capitalisme avancé (luttes des ouvriers, des paysans et des étudiants en Europe occidentale).
8La nouvelle culture doit être l’objet et le sujet de cette unité d’action antiimpérialiste, anticolonialiste et anti-yankee, et se radicaliser sans cesse, dans chaque pays, dans la dynamique constructive de la solidarité pratique et militante de l’internationalisme ouvrier, pour la société socialiste de transition vers le communisme. Là aussi, la création artistique est et sera une œuvre non pour le peuple, mais du peuple.
9De cette détermination dans notre processus culturel et politique, je participe « en toute conscience », avec des contradictions toujours possibles au sein de notre conditionnement historique respectif et différencié à analyser, à dépasser et à transformer constamment.
10Mon adhésion à la lettre pour Padilla est en réalité l’une de ces contradictions-erreurs : l’intellectuel se sent obligé d’intervenir pour un autre intellectuel, comme s’il existait une « catégorie privilégiée », sous l’effet d’une impulsion « libertaire » pouvant se justifier rétrospectivement par le conditionnement de situations et d’erreurs européennes (rapports toujours difficiles entre la culture et la politique, même dans les pays socialistes européens). Ces rapports ne sont pas posés correctement depuis la mort de Lénine, et provoquent de fréquents préjugés quant aux conséquences politiques qui concernent non des cas individuels, mais la relation même entre culture, politique, peuple, organisations, gouvernements et lutte des classes.
11En réalité, il faut dépasser cette impulsion « libertaire » eurocentrique et retardataire, par une nouvelle réalité de la lutte aux perspectives historiques révolutionnaires nécessaires, avec tous les pays en lutte pour leur libération et avec les classes ouvrières et paysannes qui y contribuent.
12Une nouvelle responsabilité, une nouvelle participation pratique et créatrice, et une nouvelle fonction culturelle sont nécessaires à la lutte victorieuse contre l’impérialisme nord-américain, qui se radicalise. Si cette lutte commune nous unit, nous pouvons et nous devons contribuer ensemble à la transformation dialectique des erreurs possibles et reconnues à travers de nouvelles victoires de la conscience et de la pratique de l’unité révolutionnaire militante pour le communisme.
13Une nouvelle voie révolutionnaire s’ouvre à partir du discours que le commandant Fidel Castro a fait lors de la clôture du Congrès de l’éducation et de la culture qui s’est tenu à La Havane. Il faut aussi en tenir compte en Europe occidentale, dans notre situation historique3.
14Date : 4 mai 1971 (Santiago du Chili).
15Sources : « Quando si commete un errore, no c’è errore più grave che non ammetterlo », tapuscrit (ALN) ; « Cuando se comete un error, no hay más grave que el no admitirlo », in El Siglo, 9 mai 1971, p. 12 – autocritique après avoir signé un appel d’un groupe d’intellectuels européens à Castro sur le « cas Padilla ».
Notes de bas de page
1 [Journaliste, professeur, poète et traducteur cubain, Herberto Padilla (1932-2000) fut directeur de l’agence Prensa Latina à Londres, correspondant de presse à Moscou et directeur de l’entreprise d’État Cubartimpex, chargée d’échanges culturels, à Prague. Ses critiques contre les régimes communistes lui valurent l’hostilité des milieux officiels. En 1968, la publication de son recueil Fuera de juego (traduction française, sous le titre Hors jeu, Paris, Seuil, 1969) entraîna son arrestation, son autocritique et sa condamnation à une peine de prison pour propagande contrerévolutionnaire. Nono signa un appel d’intellectuels européens en faveur de Padilla, avant de s’en dissocier publiquement. Assigné à résidence, Padilla sera autorisé à s’exiler aux États-Unis en 1980.]
2 [Voir Mao (Zedong), Interventions aux causeries sur la littérature et l’art à Yenan, Pékin, Éditions en langues étrangères, 1967.]
3 [Le dernier paragraphe n’apparaît pas sur le tapuscrit.]
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