[Lettre à Der Spiegel1]
p. 292-293
Texte intégral
1[Dans votre article contre Hans Werner2] Henze, mon nom a été utilisé absolument hors de propos. Ce que je dis ne doit être considéré que comme une simple déclaration, parce que toute discussion ou toute précision avec vous est impossible, et parce que tout ce que vous pensez et tout ce que vous écrivez dans vos articles, c’est de la merde.
2Entre ceux qui sont contre l’Apo et le SDS, et se comportent en nazis et en néo-capitalistes, et ceux qui travaillent avec l’Apo et le SDS, ma solidarité totale va à l’Apo, au SDS et à ceux qui les soutiennent.
SALUT À HENZE
3La musique n’est pas une limitation technologique, purement esthétique ou joyeusement petite-bourgeoise. Elle témoigne aussi de notre participation à la vie d’aujourd’hui, autrement dit à la responsabilité sociale et révolutionnaire (et pas seulement « évolutionnaire ») dans l’humanité de notre temps. La musique n’est jamais « comme elle était », selon les termes d’un compositeur allemand3 dans le n° 50 de Der Spiegel.
4« On n’est pas communiste, on devient communiste », dit Brecht. De même, on « devient » compositeur. Surtout quand son développement croise des mouvements aussi fondamentaux que l’Apo et le SDS. Le rapport s’en trouve renouvelé, doit être renouvelé.
5Et « que cent fleurs s’épanouissent4 », pas seulement une, comme nombre de dictateurs musicaux passés de mode le voudraient.
6Certains optent pour les USA (avec tout le confort esthétique et économique), mais le musicien conscient opte, en Allemagne de l’Ouest, pour l’Apo et le SDS. Ce qui s’est passé à Hambourg, avec Le Radeau de la méduse5 de Hans Werner Henze – dédié, ce n’est pas un hasard, à Ernesto Che Guevara –, en est un exemple clair. D’un côté, bureaucrates et manipulateurs de la radio, qui se condamnent eux-mêmes en s’autorisant à déchirer un manifeste d’Ernesto Che Guevara, avec la même brutalité que la police. De l’autre, de nouvelles idées, de nouveaux hommes et une nouvelle musique, qui travaillent pour le changement (et non pour une évolution purement technique) de l’Europe de l’Ouest.
7J’appartiens à ces derniers, et je veux exprimer publiquement ma solidarité à mon ami Hans Werner Henze et aux étudiants de Hambourg (rudement violentés par la police).
8Date : 1968.
9Sources : 1. Der Spiegel, 15 décembre 1968, n° XXII/15 (en allemand) ; 2. « Gruss an Henze », in Frankfurter Rundschau, 19 décembre 1968, p. 7 – sur la polémique contre l’oratorio de Henze, Le Radeau de la méduse.
Notes de bas de page
1 [Cette lettre est la réponse de Nono à un article paru le 2 décembre 1968 dans Der Spiegel (n° XXII/49, p. 182). L’article, non signé, se livrait à une violente polémique contre Henze et entendait mettre en évidence une contradiction entre l’engagement politique du compositeur – « qui, par son argent et ses discours déterminés combat pour l’Apo [Ausserparlamentarische Opposition, Opposition extraparlementaire] et pour le SDS [Sozialistischer Deutscher Studentenbund, Union des étudiants socialistes allemands] » – et son langage musical, jugé réactionnaire. Les moyens musicaux de Henze étaient opposés, non sans ironie, à ceux de ses « collègues avantgardistes », Nono, Berio et Boulez. Contre la rédaction de l’hebdomadaire, des voix s’élevèrent et prirent la défense de Henze, parmi lesquelles Karlheinz Stockhausen, Heinz-Klaus Metzger et Rudi Dutschke.]
2 [Dans Der Spiegel, l’omission de l’incipit de la lettre de Nono est due à une erreur typographique.]
3 [Dans une note de la rédaction, il est précisé que le compositeur en question est Karlheinz Stockhausen.]
4 [Paraphrases de la célèbre phrase de Mao Zedong « Que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent », prononcée dans le discours « De la juste solution des contradictions au sein du peuple » (27 février 1957). Voir Mao (Zedong), Textes choisis, Pékin, Éditions en langues étrangères, 1972, p. 468-520.]
5 [Das Floss der Medusa, « oratorio volgare e militare », sorte de thrène à la mémoire d’Ernesto Che Guevara, a été créé à la NDR de Hambourg, le 9 novembre 1968, provoquant un scandale retentissant (cf. Melos, 1969, n° 36, p. 19-22 ; et Henze (Hans Werner), « Musik ist nolens volens politisch » (juin 1969), in Musik und Politik, Schriften und Gespräche 1955-1975, Munich, Deutscher Taschenbuch Verlag, 1976).]
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