Voix décalées
p. 94-116
Texte intégral
Olevano (Italie), 20 mars 1968 (archives Mme Zimmermann)
1Pour juger un motif musical, la règle qui prévaut est que son emploi nous instruit de sa signification. C’est pourquoi, s’agissant de motifs qui s’inscrivent dans le contexte dramaturgique d’un opéra, il paraissait possible de les nommer en adoptant le principe de la proximité associative du motif avec ce qui était représenté sur la scène ; les appellations motiviques désignaient alors une personne, un objet symbolique ou des circonstances symboliques. De tels noms pouvaient aider à déterminer ce qui doit être évoqué dans tel ou tel passage, éventuellement même sans que la scène ne le montre, et chaque réapparition du motif valait comme redondance par rapport à la signification préalablement posée. Mais tel n’est pas le cas des Soldats de Bernd Alois Zimmermann : là, ce qui se signale comme motif, du fait de son emploi, est d’abord d’une qualité musicale si différente d’un cas à l’autre, que c’est à chaque fois la distance par rapport au contexte qui force l’attention – celle-là même que requiert habituellement le motif – plutôt que la capacité de donner forme à un contexte par son moyen. De plus, ce qui caractérise la signification d’un tel motif, c’est moins sa proximité associative aux éléments scéniques qu’un déplacement chaque fois spécifique par rapport au moment dramaturgique : la proximité devient ainsi le choc de deux voies indépendantes, leur collision. Grâce au mouvement du déplacement, le retour des motifs ne fonctionne finalement plus comme redondance ; le motif décale des accents dramatiques et s’impose lui-même comme ressort d’un contre-rythme, d’une syncope dramaturgique. Et de la même façon que, dans un morceau de musique, l’accumulation de syncopes de différentes espèces transforme le battement du mètre en un balancement, la syncope dramaturgique produit un état d’équidistance de l’opéra Les Soldats par rapport aux moments scéniques du drame ; or une configuration spatiale qui est partout équidistante d’un même point doit prendre la forme d’une sphère, et c’est pourquoi le temps dramatique des Soldats de Lenz, dans la mesure où l’opéra produit une équidistance, est entouré d’une sphère : tel est sans doute le sens des propos du compositeur évoquant « la forme sphérique du temps ».
2Il y a des éléments récurrents dans cette musique, qui ne sont ni des reprises, ni les réapparitions d’un leitmotiv, ni les effets de répétition d’un dispositif mécanique ; des événements distants, dont la distance est en elle-même un événement supplémentaire, et qui ne forment aucun pli (comme le signal, qui indique les nouvelles articulations d’une forme) et sont plutôt feuilletés. Ils ont si bien assimilé le déplacement qu’ils ne font plus que traverser le temps, et lorsqu’ils dominent dans un contexte, ils le font en quelque sorte tomber en morceaux. Et pourtant il y a une continuité des sonorités ; et il ne s’agit pas d’un planétarium sonore dont la régularité bon marché formerait comme une opposition d’airain aux aléas dramatiques ; jamais la musique ne se rapporte au drame comme le temps normal des horloges au temps de la névrose, transitivement. Par conséquent, chaque fois qu’un élément fait retour dans Les Soldats de B. A. Zimmermann, ce n’est ni pour mettre le présent en parallèle avec le passé, ni pour nous présenter une madeleine chargée de souvenirs, ni pour signifier (en faisant de l’actuel l’objet de cette désignation), mais pour être lui-même un événement irréductible : il ne s’agit pas d’une danse d’abeille indiquant le lieu d’une floraison, mais il s’agit tout à la fois de la danse et du lieu de la floraison1.
3Contrairement au Woyzeck, Les Soldats de Lenz sont une pièce sans colorations : l’enchâssement de la scène (le mur) limite un espace de la douleur dans lequel l’imagination n’est que plaie, et non folie. Comme, avec son développement qui aligne malheur après malheur en les frottant les uns contre les autres et ne laisse aux êtres que plaies béantes plutôt que piques, la pièce ne peut exposer des caractères tragiques, mais doit les montrer déportés (déporté – Desportes) à différents endroits à l’intérieur du mur, il y a les éléments étrangers qui portent à la scène ce qui vient de « derrière-le-mur ». Mystérieusement, et ne se prêtant qu’en apparence à une lecture immédiate, ces éléments sont dans Les Soldats les lettres et les vers. Dans la version des Soldats de Zimmermann, leur tangibilité sur la scène est aussi insistante que la présence de ces événements lointains, qui sont simultanément l’avènement des lointains. (En plus des deux poèmes qui sont dans le texte de Lenz, « O toi, suprême objet... » [I,5]2 et « Une jeune fille est un dé... » [II,2], Zimmermann a introduit des poèmes en quatre autres endroits ; on a pu établir jusqu’à présent que trois d’entre eux étaient de Lenz3).
4Comme nous l’apprend un coup d’œil sur le schéma des lettres, qui fut réalisé lors d’une première étape de notre travail, le motif qui a conduit Zimmermann à composer la scène dans laquelle Marie et Desportes posent leur crayon et commencent à flirter en simultanéité et en contiguïté avec la scène dans laquelle la mère de Stolzius essaie de détourner son fils de celle qu’on appelle déjà la « putain à soldats » se trouve probablement dans une dramaturgie de la lettre. Entre les deux scènes, il manque ce que la logique de la nouvelle4 propre à la pièce aurait pourtant dû rendre indispensable : une lettre. Car celle que Stolzius a justement dans les mains (« Voyez pourtant ce qu’elle m’écrivait jadis ») fait manifestement partie des lettres de Marie datant de l’époque où elle ne voulait pas encore le « détourner » d’elle. Mais alors comment Stolzius sait-il, pour Marie et Desportes, et comment se fait-il qu’aux yeux de sa mère Marie soit déjà à classer comme « putain à soldats », alors qu’elle aurait pu simplement se « choisir un autre homme » ? Ou pour poser la question au point de vue dramaturgique : comment savent-ils l’un et l’autre, sans lettre ? S’ils l’avaient appris par une lettre, cela aurait dû se produire dans une scène que nous aurions vue, et le drame aurait alors renoncé à la représentation de l’évolution intérieure qui conduit Stolzius à se venger. Il devrait donc y avoir un moment important à l’arrivée de la lettre, comme il aurait du y avoir un moment important lors de sa rédaction. Les deux choses sont exclues par la dramaturgie de la lettre : commençant par la demande d’aide ambiguë que Marie adresse à sa sœur : « Est-ce que tu sais comment on écrit... » au moment où elle cache le « compliment pour Monsieur Stolzius ». [I,1] celle-ci consiste justement dans l’élimination de ces deux moments. Ils sont littéralement rejetés au-delà du seuil des événements scéniques. Bientôt, ils sont tout à fait derrière le mur. Si Marie avait pu écrire et Stolzius recevoir la lettre manquante, ils seraient deux amants qui se séparent. Mais voilà, cette lettre n’ayant pas été écrite, la coupure entre Marie et Stolzius est si profonde qu’une étrangeté, une distance sont créées, qui chez elle conduit au rejet, et chez lui au projet d’une vengeance ; et qui conduit même au point que lorsque plus tard, et pour la seule fois dans le drame, ils peuvent se rencontrer sur la scène, c’est sans tomber ni dans les bras l’un de l’autre, ni l’un sur l’autre [III,3]. Le point de départ et l’arrivée d’une nouvelle sont donc déjà relégués derrière le mur. La lettre manquante doit être remplacée par une charnière qui fait circuler le savoir entre les deux scènes, le retirant à Marie pour le tourner vers Stolzius. Zimmermann met la charnière en musique lorsqu’il donne toute sa force à la chanson de la vieille mère de Wesener, où expérience et prophétie s’interpénétrent, la donnant à entendre simultanément et dans un même espace à Stolzius et à sa mère [II,2]. C’est là qu’apparaît un double déplacement : du fait d’entendre quelque chose vers le fait d’entendre avec quelqu’un, et du poème vers la rumeur. Il s’agit d’un savoir qui se transmet sans être spécifiquement transmis – définition simple de la rumeur, qui explique du même coup sa valeur dans le système des lettres de l’opéra, c’est-à-dire dans l’évolution qui élimine exactement le moment de l’écriture. Et à la place du tragique se manifeste, chez les destinataires de cette sorte de nouvelles, un transfert de sa nature cursive sur celui dont elles parlent. C’est donc l’imputation de la rumeur, inexprimable par lettre, qui fait de Marie une « putain à soldats » aux yeux de la mère de Stolzius. Dans le cours de la pièce, ce que les personnes savent les unes des autres se trouve éparpillé sur la scène, hors de portée de toute plume. Au pont dramaturgique poème-rumeur-auditeur, que Zimmermann jette par-dessus la faille dans la pièce de Lenz, correspond une catégorie musicale spécifique dont l’évocation nous rappelle que nous devons nous-mêmes être des auditeurs : nous ne pouvons faire autrement que d’extraire de la trame des voix le choral qui y est tissé. Stolzius est forcé d’entendre, comme nous sommes forcés d’entendre.
5L’action dramatique comporte deux lignes de force, chacune étant déterminée par un lieu géographique (Armentières - Lille) et par un lieu social (les soldats - la famille). Entre ces deux lignes de force circule une « information » dramatique : quelque chose de mobile, qui change de place entre deux extrêmes. Au point de vue métonymique ce sont dans Les Soldats les lettres, au point de vue symbolique, ce sont deux personnes : Stolzius, qui doit devenir soldat, pour se venger sur la personne de Desportes ; Desportes, qui doit aller à Lille, pour pouvoir voir Marie. Stolzius, qui s’inscrit dans la ligne de la politique familiale, vit à Armentières, dans la ville des soldats. Et déjà il ne peut pas répondre à la première lettre de Marie, parce que « le colonel veut qu’on lui mesure le drap ». Moqué par les soldats au café, il ne peut finalement pas aller à Lille, seuls les soldats ont dans la pièce ( !) la liberté d’aller à Lille, et c’est ainsi que la seule rencontre, sur scène, de Marie et de Stolzius se situe après l’entrée de celui-ci dans l’armée, c’est-à-dire après qu’il a pris la décision de se tuer lui-même en même temps que Desportes. Et comme inversement Marie ne peut pas se déplacer non plus, il en découle la règle : celui qui est en famille peut au mieux écrire, jamais voyager. Celui qui est à l’armée a le droit de voyager et d’écrire. Comme il y a des familles à Lille et à Armentières, mais qu’il n’y a de soldats qu’à Armentières, il s’ensuit qu’en dehors du retour des soldats il ne peut pas y avoir de mouvements des corps depuis Lille vers Armentières. Et c’est alors qu’apparaît, en termes anciens et simples, la symbolique sexuelle des chemins de l’information : Armentières, « armes entières », représenterait la dimension phallique, et Lille, où l’on peut se rendre, mais d’où personne ne vient, représente d’après le même lexique familier la dimension féminine. Dès lors Desportes incarne une sexualité qui se retire dans l’espace masculin ; Stolzius est l’homme qui n’aime que pour autant qu’il est exclu de l’ordre phallique (une femme a dit que l’empoisonnement était une manière typiquement féminine de tuer)... L’ordre des chemins ferait de plus apparaître une double transgression de Marie. La balafre qu’elle dessine sur la joue du baron avec la plume correspondrait au cours ultérieur, comme chemin que l’ordonnancement des chemins ne lui attribue pas à elle : graphisme double, qui ne parvient pas jusqu’à l’écriture.
6Si j’y voyais le redoublement d’une transgression, je comprendrais la scène simultanée au début du quatrième acte à la fois comme catastrophe et comme répétition. Dans la première scène du deuxième acte, il s’agissait également de la transgression de l’ordre : « vous me pardonnerez d’avoir l’audace de me présenter dans votre café », dit Stolzius. A la fin du deuxième acte se produit la reconduction de Stolzius, à la fin du quatrième acte celle de Marie dans le lieu de la famille. Ainsi commencerait à prendre forme l’idée d’une répétition, comme principe de la disposition des scènes et des actes que Zimmermann a choisie en divisant la pièce de Lenz en quinze scènes, comme Berg le fit de Woyzeck : le premier et le troisième acte ont chacun cinq scènes : les deux secondes scènes nous montrent Stolzius s’apprêtant à accomplir un engagement ; les troisièmes scènes nous montrent Marie face à un membre de la famille et face à un admirateur. Les quatrièmes scènes introduisent une instance extérieure à la famille, les cinquièmes scènes représentent un revirement pour Marie, par l’action des autres instances (I,4 : « Pensez-vous, Monsieur, que nous cessons d’être des honnêtes gens dès que nous revêtons l’uniforme ? » ; I,5 : « Je vois qu’il a des intentions honnêtes » ; III,4 : « Tu lui as laissé en moi la plus tendre des amies » ; III,5 : « Devenez ma demoiselle de compagnie »). Dans les deux actes, des chances sont donc distribuées à Marie comme à Stolzius. Le deuxième acte et le quatrième, toujours considérés sous l’aspect de la mise en ordre, traitent de la perte des chances, ni par le hasard ni par la faute des sujets, mais parce qu’on ne peut pas jouer par-dessus un mur. Stolzius, dont le commerce de tissus était florissant depuis ses fiançailles avec Marie, ridiculisé et condamné à être le bourreau d’une vengeance dont il sera lui-même la victime ; Marie, aimée traîtreusement, puis tyranniquement, fuyant le sacrifice de la vie à l’honneur.
7Mais ce qui rend l’idée de la répétition éloquente, c’est l’axe de ce qui peut être écrit, qui sépare le premier et le deuxième parcours. Un axe qui se met en place avec cette charnière sur laquelle s’use ce qui peut être écrit. Et on en vient ainsi à l’opposition fondamentale entre la scène d’écriture des sœurs au début de l’opéra et la scène de discussion entre les hommes au début du troisième acte. La tentative d’écrire juste et la vérité du poème se faisaient face ici, et là ce sont la persévérance silencieuse dans une pensée juste (Pirzel) et le bavardage en quête d’aveux d’Eisenhardt qui se rencontrent. Symboliquement, la scène masculine établit la disparition de l’écrit au moyen de la question herméneutique : Marie demande comment on écrit..., les hommes se demandent ce que cela peut signifier. Sans aucunement suivre ces messieurs, les quelques analyses de scènes qui suivent vont essayer de dire quelle perte représente la disparition de la lettre.
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8Dans la deuxième scène du premier acte, c’est une lettre qui arrive à Armentières, tandis qu’un homme arrive à Lille dans la scène correspondante du troisième acte. Les deux arrivées sont rendues possible par un contrat (la mère de Stolzius ne remet à son fils la lettre qui lui est adressée qu’à une condition : « si tu me promets d’être raisonnable » ; il ne doit pas lire, mais mesurer le drap ; le départ de Stolzius pour Lille est rendu possible par un contrat de travail avec le colonel). Comme la mère a proposé la lettre au fils en guise de monnaie d’échange, il restait encore à celui-ci de protester et de dire qu’il voulait répondre à la lettre, tandis qu’au troisième acte, Stolzius, « puisqu’il a fait bon marché de sa peau, n’a finalement plus rien d’autre à attendre que la tannerie », en l’occurrence sous la forme d’un monologue tonitruant du lieutenant. L’opposition entre la possibilité d’une réponse, que l’objet d’échange signifiant laissait ouverte, et le rappel à l’ordre irréversible que Stolzius subit maintenant, dans la poursuite de son plan de vengeance, est également pertinente pour un troisième participant au dialogue qui s’est immiscé dans les scènes : la thématique musicale.
9Une flûte entonne la figure de quintolet qui sera aisément perçue comme un motif [I,2] puisqu’elle est déjà connue par l’introduzione de la première scène, où elle résonne aux cors à la manière d’une fanfare. Rétrospectivement, l’imagination associe à cette fanfare le manuscrit du « compliment pour Monsieur Stolzius », que Marie ne lira pas à sa sœur. Inversement elle en associe le retour avec le sentiment de peine pour sa lointaine amie qu’éprouve Stolzius. Entre la première phrase de Stolzius et la réponse de sa mère nous entendons, sous une forme accentuée, les notes do dièse4, fa5, mi, correspond dans la partition de Zimmermann une observation de fa dièse4, auxquelles mise en scène suivant laquelle la mère doit regarder son fils à ce moment précis. Tentons au moins, pour plus de sécurité, de donner une appellation associative et disons que cette figure accentuée, préfigurant le diagnostic maternel (« tu n’as que cette maudite fille en tête »), est la figure du regard diagnostic. Il y a finalement dans le discours de la mère des accords à plusieurs voix significatifs qui s’opposent parfois à ses paroles, telle une ponctuation forte. Ces trois moments, le rythme de la souffrance des lointains, la figure du regard diagnostic et la ponctuation du discours stratégique, sont utilisés durant toute une scène comme motifs musicaux du fait du voisinage associatif avec les motifs des figures dramatiques, et cela en totale indépendance par rapport aux parties de chant. Mais le retour obstiné des motifs, généralement sans transposition et toujours sans élaboration, commence à vider ce voisinage de sa substance. Certes, au moment où Stolzius « dévore » la lettre, le rythme de la souffrance des lointains est démultiplié sur plusieurs hauteurs et sur plusieurs mesures, comme évoqué par la lecture ; certes l’axe au milieu de la scène, sur lequel se reflète la suite des mesures de la première moitié de la scène, est-il marqué par la ponctuation du discours stratégique ; certes le geste de tirer la lettre du corsage est-il accompagné par cette même ponctuation qui fait irruption dans le rythme des lointains, symbolisant l’équivoque qui enveloppe la remise de la lettre. Mais l’insistance du retour a commencé depuis longtemps à renverser la scène : comme si ce n’était pas la souffrance qui trouvait un écho dans le rythme, mais le rythme et son retour qui déterminaient la pulsation de cette souffrance ; comme si ce n’était pas le discours stratégique qui était musicalement ponctué, la ponctuation des sons déterminant au contraire ce discours ; comme si ce n’était pas le diagnostic du regard maternel, dont les étincelles sont réfléchies par la musique, mais au contraire le retour d’une figure musicale qui éveillait pour la première fois ce regard et le guidait ; bref, comme si la musique n’était pas l’image du fait que les personnages de la scène se conforment à leurs mobiles, et que ces personnages au contraire n’étaient que les lieux d’une observance des motifs musicaux (« les lieux d’un retour »).
10Le fait que les motifs conservent une forme stable lorsqu’ils font retour dans cette scène correspond, au point de vue dramatique, à l’éventualité de la réponse à une lettre. Une telle éventualité a disparu dans la scène entre Stolzius et Mary [III,2], Les motifs de cette scène sont tirés du rythme des mots : Stol-zi-us () et « Ja Herr [Oui, Monsieur] » (). Lorsqu’ils font retour dans le monologué tonitruant de Mary, les motifs se transforment par assimilation, alignement et raccourcissement en une marcia volgare, par laquelle l’orchestre conclut les propos du lieutenant. Si les motifs, au commencement, exprimaient en quelque sorte la configuration dramatique de la scène par la parole, ils sont à la fin insérés dans le mécanisme sans paroles de la marche.
11Jusqu’à présent, les relations entre les personnages et la musique ont été définies par des positions qui se font face ; dans la troisième scène du premier acte apparaît une économie des relations qui est différée à travers des querelles particulières. Et la musique va elle-même occuper une place dans le système de cette différance5. L’action, qui se déroule de manière apparemment linéaire dans cette scène (intervention du père au moment où le baron vient de réciter son beau poème à la fille, celle-ci étant alors remise à sa place), révèle un caractère symétrique au point de vue économique : le baron et le père veulent l’un et l’autre faire croire quelque chose à Marie. Marie est sommée de faire crédit, un crédit grâce auquel les deux hommes veulent acquérir un droit sur son corps. Mais Marie n’abandonnera que beaucoup plus tard la retenue de son corps. La mise en réserve de la confiance, la mise en réserve du corps, comme présupposition d’un échange de paroles, devraient conduire au silence, si un véhicule particulier n’était pas introduit pour le mot, qui doit servir de marchandise dans de telles circonstances.
12La musique de cette scène commence par une phrase rythmique qui comporte quatre amorces de mouvements, de vitesses différentes, aboutissant chacun à un point d’arrêt. Une telle pulsation de mouvements et d’arrêts décrit un rythme qui fait succéder au mouvement calme le mouvement le plus rapide, puis, comme decrescendo et par paliers, les mouvements moins rapides. La phrase précède toutes les répliques de Marie et de Desportes, qui viennent s’inscrire, se parler en elle. Simultanément, les instruments renvoient leur reflet en miroir aux paroles chantées. S’interpénétrant, se complétant, mouvements chantés et mouvements instrumentaux se mêlent. C’est ainsi que la phrase musicale du fait de la suite des paroles qui s’y rapportent, devient elle-même une partie de l’échange entre les personnages de la scène.
13L’image en miroir au point de vue rythmique, dans laquelle « l’argent lit les prix à l’envers », réalise mise après mise le prix de la phrase : Marie et Desportes ne disent rien sur quoi la musique n’ait d’abord donné une avance, ou dont elle n’offre au moins le remboursement, au moment de sa déclaration, par une modification de sa forme. Chaque parole change de place de manière immédiate, adopte la forme de la phrase rythmique, disons la forme de l’argent. Inversement celui-ci participe au changement de position lorsqu’il est échangé contre une parole nouvelle. Le paradoxe d’un marché à deux semble fonctionner. La musique y remplace un tiers condamné à rester muet, le corps qu’il s’agit ouvertement d’échanger. Les événements s’enchaînent à partir de la présupposition du silence du corps dans la double réserve, qui garantit simultanément quelque chose comme un accord secret, d’après lequel des paroles doivent circuler. Marie va bientôt rompre cet accord en disant : « Voyez comme vous êtes perfide ! ». Là-dessus Desportes, qui n’a pas de crédit, doit dire quelque chose que la musique ne lui a pas avancé et qui ferait de lui le souverain du marché, si cela était accepté. Tel un marchand de pétrole dont personne ne veut les dollars et qui essaie avec des deutschmark, Desportes tente en quelque sorte d’abord sa chance avec de la monnaie, en disant : « est-ce de la perfidie si... », à travers toute une cascade de mots, puis avec des billets et des actions, à travers un « poème d’amour ». Marie reste indécise, indécise devant une telle mentalité d’investisseur. C’est alors qu’entre son père, jetant des formules de salutation dans le retour musical du schéma de circulation (ici nous entendons à nouveau distinctement une deuxième phrase, qui consiste en une pulsation ininterrompue et en traits rapides : les deux éléments offrent à l’intérieur de cette deuxième phrase le double moment du prix affiché ; l’économie décrite est déjà inscrite dans cette phrase. Les deux hommes s’expliquent mutuellement la raison de leur présence/absence lors de la première phrase, qui pour une unique fois est à présent chantée en simultanéité avec son image en miroir, comme si deux marchandises concurrentes, qui ne sont pas transformées en argent, arrivaient sur le marché. De fait, la réponse que Wesener va faire à Desportes, qui lui demande s’il peut emmener Marie au théâtre, va introduire une telle concurrence, que la circulation, qui pourrait pourtant fonctionner même à trois sans paradoxe, devient totalement impossible. Une déchirure se produit dans la musique (d’une manière insistante dans la configuration : «wips» [Wesener] «boum» [timbales]) à l’instant où Wesener exprime son refus, lequel crée un fossé entre l’oscillation de la musique qui va et vient d’une marchandise à l’autre et ce qui suit, à l’instant précis où Wesener exprime ses craintes quant aux ragots des voisins : le père rappelle ici la figure du « thésauriseur qui veut sauver l’argent de la circulation » (musicalement et symboliquement : les commérages des voisins seraient précisément cette circulation appréhendée), tandis que Desportes, « le thésauriseur rationnel », s’efforce tel le « capitaliste plus intelligent d’augmenter la valeur en abandonnant constamment l’argent à la circulation ». Il est remarquable que Wesener ne puisse exprimer son appréhension qu’en supposant que la circulation du discours est réelle. Il ne peut faire concurrence à Desportes que dans la mesure où il lui a déjà acheté la menace que contiennent ses paroles : de cette façon, l’hésitation de la maison Wesener face à l’argent frais du sieur Desportes est écartée à l’insu des intéressés. En prenant Desportes à la lettre, Wesener a fait de cette parole la condition de ce qu’il peut dire. De fait, sa description des jeunes miliciens et de leurs bavardages va évoquer le modèle rythmique du poème de Desportes. Et le retour de ce modèle va d’abord s’effectuer de manière purement instrumentale, lors d’un court interlude qui suit la justification de Wesener vis-à-vis de sa fille, après le départ de Desportes. Si Desportes, par son poème, a essayé de faire un investissement dans la maison Wesener, cela lui a très exactement réussi, comme dans la pensée la plus simple : l’argent « travaille », après que celui qui l’a investi a quitté la scène ; (si Zimmermann avait rendu le modèle rythmique plus prégnant, il se produirait un battement démoniaque dans la maison Wesener). L’avertissement impuissant de Wesener est donc simultanément un appel. C’est ainsi que cette scène est suivie comme en rêve de la première scène de soldats.
Rome, 1957 – Georg Michalke (archives Mme Zimmermann)
14A la troisième scène du premier acte correspond celle du troisième acte. On entend Marie et Charlotte se disputer au sujet de l’attitude de la première à l’égard du lieutenant Mary, qui a « commandé des chevaux et un cabriolet » pour une promenade avec Marie. Il manque à cette scène ce qui était doublement représenté dans la scène du début du premier acte et qui apparaissait dans la scène précédemment analysée sous la forme d’un poème : l’objet qui désigne. Or, la querelle des deux sœurs concerne aussi une absence : Desportes a disparu, et on reste sans nouvelles de lui. Charlotte reproche à sa sœur, dans ses relations avec Mary, de vouloir en quelque sorte recueillir sous forme de petite monnaie l’équivalent des billets perdus ; Marie, qui ne peut rattraper la disparition (elle doit rester sur place), essaie de jouer au plus fin en utilisant tout ce qui est présent. En se procurant des nouvelles par Mary, elle croit qu’elle a cessé d’être exposée à la disparition. La promenade en cabriolet est précédée par la course du char, et de même que celui-ci ne peut « être renvoyé », la scène est sous-tendue par une suite dodécaphonique, qui de symétrique est devenue asymétrique du fait du déplacement de quatre notes, si bien qu’on ne peut la parcourir à l’envers sans parcourir de nouvelles figures mélodiques6. Dans sa forme symétrique, elle accompagnait la scène d’écriture des sœurs dans le premier acte [I,1], L’absence de ce qui désigne perturbe la symétrie.
15La deuxième partie de la scène, après l’entrée de Mary, reproduit la phrase rythmique de la scène précédemment discutée, mais transcrite ici presque sans aucune référence à l’argent. Bien que Marie se qualifie elle-même « votre servante. Monsieur de Mary » et qu’elle ait déjà regardé un feu d’artifice en sa compagnie (en opposition à la sortie secrète au théâtre7, l’information suivant laquelle « cela a déjà eu lieu » y est insérée), elle flirte souverainement avec la répétition, et Mary ne fait que quelques interventions stupides qui se veulent l’expression de sa sensibilité masculine : « J’ai revu en rêve tout le feu d’artifice d’hier soir. Il ne peut qu’avoir été beau, puisqu’il a votre approbation. » Ce qui circule, ici, c’est de l’argent pour jouer, et ce n’est pas la valeur d’un sentiment qui est en cause : cette répétition est plutôt « pâle, maigre », comme il a été dit de Stolzius [III, 2], A la fin de la scène se produit alors la catastrophe de la présence : dès leur dispute, Marie avait proposé à sa sœur de se joindre à eux pour la promenade. Mais la présupposition qu’il reste une place vide dans le cabriolet se heurte au fait que celle-ci est déjà secrètement occupée. Depuis la scène correspondante entre Marie et Desportes, nous savons que la place vide dans le cabriolet est la place muette du corps à échanger. Et les protagonistes paraissent libres d’y faire asseoir Charlotte. Mais l’occupation de cette place à la fois produite et vidée par un refoulement provoque le retour du refoulé sous la forme soudainement visible de Stolzius puisque celui-ci, qui se tient silencieusement à sa place, est entré en scène avec Mary.
16Et les protagonistes de la scène appliquent à Stolzius ce qu’on appelle aujourd’hui la méthode de résolution des problèmes, et dont l’astuce n’est rien d’autre que la ruse de la présence fabriquée : Stolzius n’a qu’à suivre à pied. Quelqu’un qui suit derrière n’est pas présent ; et quelqu’un qui n’est pas présent ne peut donc pas laisser une place vide derrière lui. Un simple transfert des personnages semble faire contrepoids à la catastrophe. Trompeusement réconciliées avec sa présence, quatre personnes quittent ensemble la scène. Un ensemble grotesque formé d’une flûte, d’un violon, d’un saxophone, d’un tuba, qui accompagne leur départ, frappe par les trous qui se creusent dans la masse sonore. Mais peut-être la catastrophe réside-t-elle dans l’absence même de « catastrophe ». Peut-être est-ce la scène qui devrait exploser, et peut-être est-ce cette explosion que Lenz conjure lorsque dans sa scène finale8, d’une manière qui s’oppose significativement à toute composition, le colonel et la comtesse dissertent comme après l’étude d’un dossier sur la calamité que représentent les pulsions des soldats et sur la manière d’y faire face dans l’intérêt de l’État. Il y a un inachèvement essentiel dans Les Soldats : Marie s’est instruite, mais elle ne deviendra pas une Marie Duplessis. Et de même qu’elle n’est pas devenue courtisane, Stolzius ne deviendra pas le vengeur implacable, ni la comtesse un ange bienfaiteur, ni même Desportes un déserteur. A cet inachèvement dramaturgique correspond réciproquement l’espoir de son auteur, tel le collaborateur qui fait des propositions d’amélioration, d’arriver à une conclusion grâce à la transformation du drame en un dossier. Et c’est la douleur de cet espoir, tremblant dans chacun de ces petits paroxysmes qui se fondent en scènes, qui seule élève Les Soldats au-dessus de la complainte. Il n’y a donc pas lieu d’épingler en Lenz l’auteur d’une pièce à thèse. (Et on pourrait d’ailleurs dire ceci aux épingleurs : que vaut aujourd’hui un drame face à un dossier, que vaut l’irruption dans la réalité face à la mise en place d’une administration ?) Tout comme la raison de la dispute entre les sœurs en était aussi l’objet, l’argument du drame en est également le thème esthétique ; c’est peut-être dans sa participation à celui-ci que Zimmermann a trouvé l’énergie nécessaire pour composer son opéra : il s’agit du motif du signifiant manquant. Après la disparition du signifiant de la surface dramatique, que Zimmermann a interprétée comme structure en introduisant des poèmes dans la pièce, le discours des puissants en conjure le retour spatial dans le texte de Lenz. A l’espoir d’un retour du signifiant, dans un espace qui ne serait plus celui du drame, correspond l’obsession de la première scène du quatrième acte qui cherche, par l’accumulation d’images qui sont autant de moments filmiques, lueurs vives des cris sur la scène, mouvement apparemment erratique des voix instrumentales, cruellement rappelé par l’intangibilité de la pulsation temporelle des rails et des timbales frappés... qui cherche donc, par une accumulation, à marquer le signifiant sous la forme réduite et parfaitement simple de « l’image pour... » (le viol).
17Écrire sur Les Soldats de Zimmermann, c’est donc écrire sur une absence. Dès le prélude de l’œuvre apparaît une structure du départ, du détachement par rapport à une position, qui ne connaît jamais le terme qui la prolongerait, en tant qu’elle est au début de quelque chose. Si nous écoutons ce prélude en le lisant, nous découvrons que l’enlisement qui affecte la fin de la pièce n’est pas une conclusion, mais la trace dessinée d’une disparition (dont l’écriture a été notée par la grande perte de mémoire à la fin du Rituel de Boulez), que cet enlisement de la pièce redécouvre l’enlisement de ses moments singuliers dans le domaine de la forme : le prélude se compose de plusieurs sections, à chaque fois installées en tant qu’« accord » au moyen d’un cluster à répétition structuré par des suites d’intervalles, accord qui se disperse à travers une confusion de sonorités partielles qui procèdent de lui. Et dénuées de la possibilité d’aboutir, les voies de la dispersion (fixées par l’action d’une sonorité partielle sous la forme d’un mixte ou par un canon en miroir) restent pure différance. Celle-ci exclut le retour à l’unité et produit un écart infranchissable. Il manque principiellement à l’aliénation la possibilité de la remémoration intériorisante : il manque ce mouvement circulaire de la réflexion, qui garantit habituellement le sens thématique de la musique, le prélude ne devient pas sujet. Et cela dans un sens foncièrement logique : on ne saurait en parler comme d’un objet d’expérience. Avant le commencement du drame, le prélude désigne la dispersion du sens comme la catastrophe vers laquelle il court. Soit dit en passant : il n’est pas pertinent de dire par exemple que le prélude « est » un catalogue de la composition : il est tout d’abord impossible de dégager une telle conclusion de l’étude de la partition, et de plus cela présuppose justement la relation « subjective » à la dispersion comme simple diversité toujours susceptible d’être liée par le téléscope du sens ; et c’est pourquoi aussi il s’agit ici de détacher par l’écriture l’œuvre de Zimmermann de l’idéologie de la composition pluraliste et par strates à laquelle l’auteur adhérait sans doute lui-même ; de voir que le pertuis lacanien de la parole, disons de ce qui est à dire, par lequel la simultanéité de la langue passe dans l’ordre de succession du discours est manifestement devenu irréversible dans la musique de Zimmermann. L’œuvre ne fait pas retour à un sens qui pourrait être affirmé, qui serait fixe. Et c’est la figure de la différance n’autorisant plus aucun rapprochement, qui devient de manière en quelque sorte corpusculaire le personnage dramatique principal des scènes. Chacun de ces petits tableaux ciselés ne nous montre-t-il pas la production d’un déplacement entre les protagonistes, qui semblaient encore se répondre au départ les uns aux autres ? Et ce que Zimmermann a imaginé en guise de simultanéité, « tout devant tous »9, n’est-il pas la tentative d’une fantasmagorie précisément de la distance ?
18La trace du poème de Desportes dans le refus de Wesener de faire crédit à sa fille, une trace qui pénètre dans le sujet par en bas. par le corps, et le pousse à dire ce qu’il dit, inscrit dans sa dissimulation un retour de l’opéra qui n’en sera jamais l’affirmation manifeste. Elle n’est pas au service d’une équivalence de ce qui est dramatiquement éloigné. La mise à niveau par laquelle la forme musicale devient la forme valorisée du texte, faisant tinter l’équivalence entre les passages comme des pièces de monnaie, a au contraire elle-même été le motif musical de la troisième scène du premier acte. En revanche, si dans la scène de café du deuxième acte, la succession de mesures au moyen de laquelle Eisenhardt représente la manière dont les gens se comportent à l’égard de Stolzius revient ultérieurement comme succession de mesures (non comme rythme) de ce que Stolzius lui-même dit, et si la succession de mesures du partenaire d’Eisenhardt, le chétif scoliaste Pirzel, est attribuée aux paroles brutales de l’intrigant Haudy, cela n’est pas simplement une traduction dont le but serait de créer une équivalence de sens entre le rapport du soin des âmes et de l’enseignement d’une part, et le rapport entre l’âme affligée et l’intrigue insouciante d’autre part. Pas plus que les lettres arrivées ne sont les mêmes que celles qui ont été écrites. C’est sur le chemin entre Lille et Armentières et dans la traversée de ce chemin comme trace que se cache la loi topologique de la répétition dans Les Soldats. Il appartient à l’axe de ce chemin que celui qui se propose de le parcourir s’y perde (les lettres de Stolzius, qui devient finalement soldat ; Marie, qui s’enfuit) et que ce qui semble transmis par lui n’atteigne pas sa destination et ne fasse que toucher : le post-scriptum ne fait pas suite à un écrit préalable, n’est pas le supplément à un texte présent à la mémoire.
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19C’est pourquoi il faut à présent prendre en compte le caractère provisoire de la conception simple des Soldats comme ordre d’un réseau téléphonique incomplet. La négation du chemin, qui se cachait dans l’hypothèse d’après laquelle celui-ci n’opposait pas de résistance à ce qui voudrait le mesurer, doit être niée à son tour. Mais par là-même se modifie aussi la possibilité de percer à jour ce qui était qualifié de répétition dans ce texte : celle-ci fut décrite jusqu’à présent comme un rapport stable entre des moments séparés par un intervalle de temps, comme si le franchissement de cette distance était la simple liberté de mon écriture. Une telle liberté de mouvement laissait dans l’ombre la manière dont la différance temporelle se manifeste et se produit dans les scènes et entre elles, elle occulte la façon dont s’écrit la trace des scènes.
20Or la manière dont la trace s’écrit est le texte même de l’opéra Les Soldats : et c’est ainsi que la trace passe par le chanteur, la chanteuse, le chef d’orchestre, les musiciens et les auditeurs attentifs. Mais l’auto-écriture de la trace ne peut devenir immédiatement mon écriture, je ne peux que l’y découvrir. Et à la lumière d’un autre texte, le lied de Charlotte scintille dans l’obscurité de mon penchant, semblable à ces « pierres rondes sous l’herbe, étroitement serrées, comme des pavés. Elles sont multicolores, et les mousses ont gravé dans chacune d’elles une nette écriture d’images, totalement différente de l’une à l’autre », dont il est question dans La Leçon de la Sainte-Victoire10.
21Après la scansion temporelle du prélude, qui était totalement perméable aux voies de la dispersion, j’entends la pulsation du chant dans le vers « Sise au creux de la poitrine » qui vient se heurter aux limites de deux mesures alternées, et la résistance de la mesure, produisant simultanément une accumulation de notes dans les instruments, qui se décharge dans un tempo plus rapide et une intensité plus grande du chant dans les deux vers suivants : « Qui saurait ce qu’il en coûte /Aimerait mieux n’en pas avoir ». Et comme si cette privation était encore possible, comme si la rétention pouvait se faire au-delà des limites, le lied reprend : « Tes battements, c’est trop rarement », attrapant au passage la note du premier vers de la strophe précédente, une note qui passe littéralement par-dessus la mesure (et bien des choses qui sont devenues quotidiennes pour le musicien, deviennent ici tout à coup lisibles, éloquentes) ; « Qu’il s’y mêle du bonheur », répondant à la nouvelle intérieure du texte, à la rime intérieure Brust-Lust [poitrine-bonheur], cette pulsation est transférée aux instruments, et le chant, qui ne peut accumuler, danse entre les limites et ce qui se heurte contre elles. Le poème de Lenz se poursuit ici : « Et comme chaque instant de bonheur/Se paye aussitôt de sa rançon de douleur »11. La pulsation, comme violence de l’instant, se transforme en blessure primaire et fatale. L’auteur de l’opéra Les Soldats modifie le texte : « Et combien vite vient la douleur, / Rançonner chaque instant de bonheur » et compose en regard la musique de l’accumulation, oscillant dans les instruments, qui dramatise cette fois la fin de la strophe que la voix a d’abord chantée seule. Simultanément, la fin du chant est occupée par l’accumulation. Ce n’est donc plus la violence d’un bonheur qui se transforme en douleur au moment où les yeux s’ouvrent, mais l’occupation par le battement rapide, qui se fraie un chemin en l’homme. Et ce battement est le mètre musical dans le lied de Charlotte. Dans ces vers intérieurs, ce sont vraiment la barre de la mesure et les variations de celle-ci qui deviennent imperméables au chant et ne le laissent passer qu’au prix d’une modification : qu’il soit intériorisable. Chaque moment de la musique des Soldats est pris dans cette logique purement temporelle : disparaître dans la perméabilité ou laisser des traces dans l’imperméabilité, ces mêmes frayages que, dans un texte du jeune Freud, Derrida a détachés de la neurologie où ils se tenaient cachés pour les rendre à nouveau lisibles12. Une nouvelle modification du texte de Lenz souligne encore davantage la force du frayage. Les vers : « Insensible et froid ! O rayons, / Fondez-moi plutôt en une pierre de verre » sont devenus : « Cœur, mieux vaut encore qu’en une pierre de verre/Te fondent les ardents rayons de mon destin ». Quand bien même le mot « destin » pourrait ici choquer l’oreille, il essaie pourtant secrètement de renforcer le caractère déterminant du rayon qui touche l’âme. Et le cœur est fondu en verre, contraint dans la double figure de la fragilité et de la transparence, comme si l’instant sombre se voyait opposer la clarté intemporelle d’une mémoire parfaite : fondu comme par le choc soudain des sonorités aiguës de cuivres bouchés, par l’intermédiaire d’une étroite strate sonore aux cordes, en une harmonie des bois qui est douce même lorsqu’elle est forte : fondu en un verre dont la sonorité éclate dans la musique avec l’introduction du vibraphone, du xylophone, du clavecin et de la harpe.
22Mais le rayon fondant, c’est la voix elle-même, qui chante sans interruption, du mot « fondre » jusqu’à la fin de la strophe, « avec une émotion plus grande » (partition), sans absence intermittente au moment de l’attaque, dont le caractère subjectif ne s’affirme que lors de sa réitération. A la non-respiration des chanteurs (que j’imagine, car en réalité la phrase est trop longue pour être chantée d’un seul souffle) correspond le tracé sans souffle d’une trace qui se détache précisément en tant qu’elle est parcourue. Dans un autre passage de l’opéra, dans le poème d’amour que Desportes chante à Marie [I,3], le texte parle d’essoufflement « le souffle ravi, là, devant toi », mais il s’agit alors de l’essoufflement du sujet qui agit dans la précipitation de sa volonté de présence, et l’auteur de l’opéra y répond par des pauses qui sont intercalées dans le chant, dans la tradition de la symbolique des soupirs des madrigaux, comme pour donner à celui qui est trop pressé une occasion de retrouver son souffle.
23Le flux du chant devient lui-même le rayon brillant, auquel est exposé et auquel s’expose le moi du poème. Il ne reflète pas le rayon, mais il y ouvre un chemin : la danse de la voix au-dessus des barres de la mesure, dans le chant du dernier vers de la strophe, se transforme en marche sur son chemin. Et la dernière strophe du poème s’inscrira presque sans retenue dans cette piste. La voix se place dans la mesure, généralement au moyen de deux notes, et pour souligner le travail de frayage, elle parcourt précipitamment la chaîne des mesures.
24C’est que la voix de plus en plus fluctuante du rayon se trouvait dans la même scène que le rythme quadrillé d’une lettre lue, qui se déposait dans les lignes vides du poème ; parcourant toujours à nouveau une phrase fixe, il suggère la césure arbitraire de la suite de mots par la longueur de la ligne, opposant au poème, en tant que topographie du mot, le réseau par lignes de la lettre en tant que « délocalisation » de celle-ci (Bœckelmann). Simultanément, la lecture se ralentit à l’intérieur de chacune des lignes tracées à l’avance par le rythme ; un ralentissement qui aboutit finalement à faire silence sur une partie de la lettre et au départ de ses lecteurs avant la dernière strophe du poème. Ainsi la scène se révèle-telle maintenant à moi comme disparition de la voix du réseau avant la voix du flux. Les deux voix se couvraient, sans se répondre lorsqu’elles se relayaient. Toutes deux se rapportaient à l’écriture-flux de l’écriture et au quadrillage de l’écriture. Et quelques scènes plus loin j’entends la voix d’un quadrillage sans écriture aussi bien que celle d’un flux perdu, qui est exposée à un rayon aliéné : la voix des militaires en train de discuter dans la quatrième scène et celle de Marie à la fin de la cinquième scène du premier acte. La voix en tant que trace particulière d’une écriture musicale ne fait donc pas corps avec les caractères dramatiques : un caractère peut être manifesté par plusieurs voix, et inversement plusieurs caractères par une seule. Et ce qui vaut pour les caractères vaut encore davantage pour les personnages. Les protagonistes du débat de la quatrième scène expriment leurs conceptions opposées d’une seule voix : elle se meut avec des quantités fixes (1, 2, 3 doubles croches) sur les deux lignes rythmiques fondamentales de la scène (d’une part l’alternance répétée d’une mesure à 3/8 et d’une mesure à 3/16, d’autre part une suite de mesures à 4/8) ; et pour plusieurs expressions les articulations rythmiques de la première partie de la première ligne sont identiques dans leur succession, mais à chaque fois variables dans les deuxièmes parties. Mais les quantités 2 et 3 ne sont pas disponibles comme des valeurs libres ; au contraire, comme si cette voix était une machine parlante crachant toutes les syllabes avec la quantité 1 et marquant une pause sensible pour des quantités plus élevées, ces quantités 2 et 3 sont comptées avec un écart de 1 par l’entrée de la percussion ou de l’orchestre. La combinaison de cette règle avec les fluctuations métriques, et un ostinato aux cordes et au piano qui est superposé aux phrases avec une tout autre périodicité – comme le clignotement d’une réclame au néon contrecarre le rythme d’un juke-box dans un bistrot – cette combinaison transforme la scène en un champ de manœuvres pour une prosodie devenue folle : la rhétorique comme continuation de la guerre par d’autres moyens. Sans prétendre qu’il s’agit d’une interprétation de l’opéra, ce qui serait réducteur, je voudrais faire état d’une association que cette scène évoque en moi, avec ce que la critique de Barthes dit de ce qu’on a appelé le marxisme des séminaires : ce qui compte dans la doctrine, ce sont autant les formes discursives de son énonciation que son contenu. L’opéra dénonce au moyen des rythmes la complicité de la formule d’Eisenhardt : « une putain ne sera jamais une putain si on n’en fait pas une putain », à laquelle on a associé une image pieuse de Lenz, critique de la société, avec la répression, car cette formule présuppose que les hommes ont une fois pour toutes un pouvoir déterminant sur la vie des femmes. C’est pourquoi il ne faut pas tenter l’essai de projeter sur Marie le syndrome du soin des âmes, pressenti par Lenz à travers la figure d’Eisenhardt (Botho Strauß parle de « compréhension sans limites »), comme c’est monnaie courante dans la tentative pour réduire la déstabilisation du pouvoir. N’écoutons donc pas avec pitié mais avec sympathie cette voix qui m’apparaît comme celle du flux perdu : comme s’il reprenait le lied de sa sœur « Cœur, petite chose... », son chant commence par les mots : « J’ai le cœur si lourd », après des sonorités qui dans un souffle évoquent le poids d’une nuit lourde et la densité des objets que l’obscurité rapproche [I,5]. Deux figures passent silencieusement dans cette densité, l’une glissant, l’autre frappant, qui après les mots « Je crois qu’il y aura de l’orage, cette nuit. Si la foudre tombait... » semblent avec une soudaine puissance se révéler comme l’éclair et le tonnerre, et libèrent le cri de Marie « Dieu » en même temps que l’éclat de l’orchestre. Pour l’ensemble du monologue de Marie, le texte de Lenz ne donne aucune indication relative à la présence de l’orage que Marie appréhende. Zimmermann fait déboucher le chant de Marie sur trois explosions croissantes, dont la deuxième est commentée dans la partition par les mots : « l’orage s’approche » et la troisième par les mots : « l’orage reprend ». Mises en scène musicales de l’orage, seule irruption de la nature dans le monde de l’opéra, ces explosions entretiennent néanmoins une relation manifeste avec le cœur de Marie, car la première est commentée par cette remarque de Lenz : « Elle lève les yeux vers le ciel et frappe de ses mains sa poitrine découverte » : les mains frappant la poitrine essaient de conjurer la chute de la foudre.
25L’orage manifeste une double symbolique : décharge, évacuation des investissements énergétiques, et menace de mort impliquée par cette évacuation (mythe de Sémélé). Les éclairs se transforment en chauds rayons qui fondent le cœur en verre. Mais les rayons ne sont plus ni écriture ni voix, ils ne sont plus frayage, mais l’Autre du sujet, tout à la fois conjuré et redouté. L’Autre, car de l’autre, Stolzius, auquel elle avoue maintenant seule son amour, Marie est séparée par une distance infranchissable pour elle. Et à la place de l’Autre se glisse, avec une énergie qui croît à chaque explosion, l’orchestre dont les sonorités, au cours du chant, sont devenues voix. Cela est particulièrement marquant dans la transformation du passage des bois après la déclaration d’amour et avant le « mais », jusqu’au passage qui introduit le retour de l’orage : les instruments tournent à présent les uns autour des autres, comme si on tendait un ressort qui donnerait de l’énergie à la polyphonie fortement expressive des cordes. Cette polyphonie apparaît ensuite comme la présence de la voix de l’Autre. Le premier des passages avec les bois contient déjà un peu de cette torsion qui est dans les paroles du chant lui-même, comme une sorte de boucle qui a reconduit Marie, de la déclaration d’amour en passant par le discours paternel, jusqu’à l’affirmation que rien ne saurait soulager son cœur. La réitération du propos voit apparaître, à la place de la déclaration d’amour, le renforcement de la disposition à mourir, finalement soulignée d’une manière affichée par le même pizzicato babillant qui accompagnait les promesses paternelles d’ascension : le conseil paternel est comme une roue à laquelle Marie est enchaînée et à la rotation de laquelle elle paraît livrée. Mais avant ce renforcement, sa phrase : « qu’elle me frappe, qu’elle me frappe », équilibrée sur une note, était entourée par les entrées symétriques des cloches, du marimba, de la harpe, du clavecin, comme par autant de points libres dans l’espace, qui écartent également de la figure frappante la menace d’une transformation en tonnerre ; bref moment d’un jeu suggéré avant le début du chant de Marie, le jeu de hasard auquel la comtesse accusera ultérieurement Marie de s’être livrée ; jeu nécessaire, car, à la voix du flux perdu et des rayons aliénés, il n’arrive rien que par hasard, par rencontre. Ce moment parle donc du jeu avec ce qui est conjuré et craint, du Jeu de Madeleine qu’explicite la traduction que Rilke a faite d’un sermon13.
26Dans sa symbolisation musicale au moyen de l’entrée des instruments, symétriquement rythmée (autour d’un axe), le jeu de Madeleine est déjà présent à intervalles espacés, lors de la conversation de Marie avec son père. Il va se mêler, dans les brefs intervalles à l’intérieur d’une mesure, à la dispute entre Marie et Charlotte dans la troisième scène du troisième acte : Marie va constater qu’on ne peut ni « jeter à la figure » des présents, ni « renvoyer le cabriolet ». Et cette lisibilité à l’envers du rythme, comme illisibilité dans le temps irréversible, est précisément le jeu du symbole musical. D’autant que les brefs intervalles de son retour disséminent l’axe dans la dispute. Le jeu comme moment et comme facteur jette a posteriori une première lueur sur les vers de la vieille mère de Wesener, qui se trouvent sur le grand axe ! Car elle dit : « Une jeune fille est un dé/Qu’on a jeté sur la table » [II,2]. Et la musique articule la première strophe de son poème à travers un rythme tout à fait régulier suggérant celui du choral, qui coule sans retenue et sans dépense, comme au-delà de l’économie. Le chant de la mère de Wesener, avec son écoulement uniforme, tout en étant rythmiquement du côté des mères, car rythmos veut dire fleuve, anticipe dès le début sur le choral, qui sera peu après la scène d’une présence simultanée des trois fils de l’action noués dans cette deuxième scène du deuxième acte, lorsque le chant de Stolzius, dodécaphonique comme celui de sa mère, imitera le contrepoint de sa souffrance, accompagnant les mots : « Et quand je vois les mille larmes », en disant lui-même : « ne l’injuriez pas », et que Marie et Desportes couvriront à la fin le choral... Scène et torsion de la disparition : Stolzius et sa mère demeurent seuls présents dans la musique après la fin du choral.
27Le choral, dont Zimmermann a emprunté la musique à la Passion selon saint Matthieu14, y était la voix de la trahison (« Est-ce moi ? », demandent les disciples ; « C’est moi, c’est moi qui devais expier », répond le chœur), et le sera aussi dans Les Soldats. Car le gauchissement du poème en rumeur, qui provoqua la fantasmagorie de la scène de Zimmermann, ne peut être considéré au point de vue dramatique que comme la trahison de Desportes à l’égard de Marie. Les traces que nous en trouvons dans le drame, par exemple dans la troisième scène du troisième acte de Lenz, n’apparaissent plus dans le texte de Zimmermann. Marie y apprend que Desportes a pris la fuite en laissant une dette de sept cents thalers auprès des aubergistes, traite que Wesener veut immédiatement « faire légaliser ». L’échange des corps n’appartient pas à la sphère de la circulation ; pure trace du corps, son équivalent n’est établi que dans la variation de l’autre, que la mère de Stolzius impute à Marie (« putain à soldats »). De même, comme l’a exposé Jean-Joseph Goux, et contrairement au détour que le travail établit entre l’objet et la jouissance, est-il un raccourci ; dans Les Soldats, précisément le raccourci qui contourne un écrit : Marie et Desportes flirtent au lieu d’écrire, et de la même façon exactement la musique contourne-t-elle dans le chant de ce raccourci le chemin du détour qui caractérise de manière essentielle la technique dodécaphonique. Dans le système dodécaphonique, l’œuvre sonore tire sa tension temporelle de la loi d’après laquelle une note ne doit pas réapparaître avant qu’au moins toutes celles qui la suivent dans la série à laquelle elle appartient n’aient été énoncées. Marie et Desportes chantent leur raccourci à l’octave, ce qui est la négation simple de ce chemin. La trahison de Desportes va tuer les lettres existantes de Marie (lettre morte = lettre devenue sans objet [au point de vue juridique]) et ainsi empêcher, dans la scène de Lenz que j’évoque [III.3], que Marie écrive encore une fois. Elle embauche d’abord sa sœur en échange de quelques perles, mais n’est pas en mesure de lui dicter la description de l’état de ce cœur sur lequel Stolzius est prié de jeter un regard. Marie déchire le papier, Charlotte la menace avec l’encrier : la créance, au moyen de laquelle Wesener, qui craignait la circulation du verbe, veut à présent fixer la faute comme une charge sur son foyer, va conduire au quatrième acte à l’apposition des scellés sur la maison Wesener [scène IV,10 de la pièce de Lenz], Voilà pour la forme scénique de l’écrit perdu. Mais à cette forme scénique aucune forme musicale ne peut plus correspondre, après que la musique a nié son propre chemin de l’écriture, après que la voix de la trahison est devenue sa voix sous la forme du choral. Comme pour Marie, l’attachement à ce qui est occupé par un autre est impossible pour la musique. Cela reviendrait à apposer les scellés sur la personne et sur l’œuvre. D’où la tentative, dans le troisième acte, de répandre une fraîcheur de new deal, d’où également la mise à l’écart d’une scène qui thématise le moment éminent d’un manque. Car celui-ci est le seuil que l’opéra doit avoir franchi pour pouvoir atteindre le troisième acte.
28Il s’avère que l’absence d’écriture ne peut pas être mise en musique dans la mesure où la composition, au moment de la trahison, est déjà effleurée par elle, se trahit en elle. Tout comme Stolzius (voir plus loin), la composition fantasme l’inexistence de son écriture au moment de la trahison. Avec les filles du souvenir, qui viennent l’aider à se plaindre, elle invoque la perte de ce qui l’habilite à se plaindre, la perte du travail de différance de l’écriture devant l’autorité de la lettre, le « cela s’appelle » : formule de la citation qui signifie en droit la convocation ; s’imposant. « Quand on dira que la rose du Hainaut/A maintenant pris un mari », s’imposant comme choral, s’imposant à Stolzius et s’insinuant en lui par les mots : « comment dit-on dans la chanson, mère » [II,2]. Le travail de l’écriture est restitué sous forme de citation.
29Lors de sa première tentative pour exprimer son intention de venger la trahison de Desportes, « il retombe sans force sur le banc, les deux mains levées vers le ciel » (Lenz), comme s’il saisissait quelque chose en l’air, sans pouvoir l’atteindre – Lenz connaissait le langage du corps. Et note après note, pendant qu’il prononce les mots « les jours se ressemblent », la sonorité dodécaphonique de l’orchestre baisse silencieusement, alors que les sonorités retentissantes de l’orgue et des cuivres étaient si présentes dans la deuxième section de l’introduzione à ce deuxième acte et dans la première section de l’intermezzo. Et la ligne descendante de son mouvement d’insinuation à cet endroit est identique à la linéarité de la série dodécaphonique de la première scène de l’opéra : paradoxe d’un souvenir, dont le contenu est l’extérieur, qui n’appartient pas au sujet, mais ne s’inscrit pas non plus comme transposition dramatique ou comme découverte du symbole dans le héros. A l’inverse, c’est le geste dramatique pour saisir la sonorité qui développe et dévoile simultanément sa capacité à être intériorisé et sa nature de signe. Si Stolzius chantait quelques notes de cette sonorité, il l’occuperait simplement, sans que celle-ci fût un signe. C’est pourquoi Stolzius ne s’étire pas vers ce qu’il fait le geste de saisir. Il le laisse venir, cachant ses paroles avant le battement de mesure de cette venue par des syncopes à l’intérieur de la mesure. Stolzius cite une sonorité, se révélant par là lui-même en même temps qu’il révèle un signe musical : les sonorités qu’il appelle ne deviennent que par cet appel les filles du souvenir qui l’aident à le dire. Le moment musical de cette évocation éveille l’écriture des sonorités et tire la citation du rêve dans lequel elle était enveloppée.
30Toute la scène entre Stolzius et sa mère, comme celle qui lui correspond dans le premier acte, est à la fois traversée et accentuée par ce rythme de l’amour lointain dont les quintolets trouvent maintenant des contours mélodiques dans les cordes. Introduit par la sonorité d’une fanfare avant la première scène du premier acte, le rythme est de fait présence du lointain, figure de l’Autre. Dans le deuxième tableau du quatrième acte, tableau de l’assassinat de Desportes et du suicide de Stolzius, Desportes et Mary vont chanter sur ce rythme : incorporation, investissement. Desportes dévore une soupe comme il dévore le rythme pendant que Mary dit qu’il n’a plus d’appétit pour Marie. Il y a du poison dans la soupe, et au moment où Desportes a fini de manger, la scène « se fige » (partition) : quadruplement superposé, le rythme revient à la percussion en enflant de manière menaçante, jusqu’à ce que Stolzius hurle par trois fois le nom de la bien-aimée dans l’oreille de Desportes. La rigidité de la mort retire l’investissement du corps de Desportes : le rythme de l’amour lointain est sauvé du lointain. Le raccourci de Desportes, la consommation de l’écriture est vengée. Et la sonorité que Stolzius convoquait à l’appui du signe, par une inversion qui s’épaissit sous la forme d’une ligne ascendante de l’orgue, convoque à son tour Stolzius, comme le Commandeur convoque Don Juan. Le misterioso qui est donné comme indication d’expression pour l’explication de Stolzius, déclamée avec beaucoup d’agitation, caractérise le retour du signe sonore dans sa forme et sa transposition fondamentales, qui se pose comme un linceul sur le chant de Stolzius. pour l’accompagner dans la mort. La double manifestation du caractère et du signe se conclut par une double disparition. Ainsi la vengeance de Stolzius n’est-elle pas l’accomplissement actuel du signe, mais, en sauvant son lointain, son écriture indéfiniment continuée. Elle est déjà mise en musique dans le prélude de l’opéra, comme disparition, dans l’obscurité d’une trace indiscernable. Elle est contenue dans le rêve de citation (1er tableau du 4e acte), qui commence par le signe sonore de Stolzius et se termine par l’accord dont le double retour, au tableau suivant, acclame sa mort, dans les blancs entre ses signes sténographiques. Contenue enfin dans les intervalles, à la fois ombres lorsque s’y lèvent lourdement, dans les régions profondes, comme d’incroyables oiseaux de mort, et éblouissements par le caractère strident et perçant du cri dans lequel s’aliènent les voix chantées.
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31Si Stolzius a caché le chant à l’intérieur de la mesure à cause du signe, la contrepartie de l’espoir en revanche, sous la forme du chant de la comtesse au troisième acte [scène 4], va réunir en elle toute l’énergie de la trace dans les multiples divisions de la mesure et en débordant les limites de celle-ci grâce à l’intangibilité du ton de la respiration. Voix sans saut, l’étanchéité de la mesure n’est pas pour elle le lieu d’une victoire dont la récompense serait le frayage, mais simplement une matière faite de secondes (dans l’arioso de la comtesse le tempo est effectivement de 60 à la noire), à partir de laquelle la voix tisse un « temps du cœur ». Et dans son cours, elle ne connaît pas seulement un simple accroissement de son flux, chaque note est une pièce mobile sur la scène de la présence/distance, les crescendo la mettent à l’avant-plan, les diminuendo la relèguent à l’arrière-plan : le trait du son se mêle à la couleur vocale dans un partage de la surface jusqu’au tissage sans hiatus d’un temps qui ne connaît plus de presse. Un temps caractérisé par « l’instant d’éternité » (ainsi l’appelle La Leçon de la Sainte-Victoire15). Mais ce temps est atteint, et non simplement proche, quand bien même il est encore caché dans une des courbures de ce qui est actuellement présent : dans la courbe qui caresse d’un souffle la partition démultipliée de la surface, telle qu’elle a été laissée derrière elle par la romanza, l’intermède consécutif à la troisième scène du troisième acte. Si les saccades et la régularité naïve du kaléidoscope, dont je me plais à imaginer le jeune comte muni, convenaient à la surface aux multiples divisions, le souffle du chant de la comtesse en revanche sublime le modèle de celle-ci en tableau (il n’y a qu’un pas du sublime au ridicule : c’est ce qui paraît confirmé par ce qui se trouve en jeu dans la scène entre la comtesse et son fils. Mais la musique de Zimmermann, dans ce passage, donne une longueur de sept lieues à ce pas).
32Le tuyau sonore et les maracas sont les instruments de percussion prédominants au début de la cinquième scène du troisième acte qui va réunir Marie, Charlotte et la comtesse. Le caractère divisé de la romanza s’est également maintenu dans le rythme du chant des deux sœurs : d’une façon générale, avec des atténuations qui servent le phrasé, les sœurs chantent en doubles croches pointées (parfois décomposées, sous forme de vocalises, en triples croches continues), dont quatre coïncident à chaque fois avec trois temps de la mesure. Le chant du partage demeure ici sous la mesure, qui ne lui sert pas de matière, mais d’obstacle. Opposé au transfert syncopé de son rythme sur des cordes de violoncelle pincées, le chant des deux sœurs devient complètement boiteux, cahotant. A la voix sans saut, qui s’élevait à la fin de la scène précédente, par un agrandissement rythmique, jusqu’à la souveraineté d’une haute école en quelque sorte, s’oppose de manière grotesque la course à travers champs des filles de Wesener qui ne savent pas comment répondre à l’annonce d’une visite de marque qui leur est faite par le messager de la comtesse : les rythmes et les intervalles s’embrouillent artistiquement. Ligure ironique de la forme de cette scène : les « tropi », c’est-à-dire des enrichissements, des tournures nouvelles obtenues au moyen d’insertions, d’ajouts, de circonvolutions (forme fondamentale de l’interpénétration des textes et des mélodies d’origine profane dans l’art grégorien au Moyen Age).
33L’entrée en scène de la comtesse oppose à l’entrelacement touffu des voix le faisceau de lumière limpide mais non clair d’un cluster de six sons sur lequel vont dorénavant reposer et se déplacer toutes les phrases qu’elle introduit dans le dialogue. Au point de vue rythmique, ses premières paroles imitent celles de Charlotte lors de son entrée. Puis, lorsque commence son explication (« Considérez-moi comme votre meilleure amie »), elle utilise un modèle rythmique emprunté à la scène précédente, et comme dans cette scène, après les mots « Tu lui as laissé en moi la plus tendre des amies... », commence ici le chant de trois hautbois d’amour. Les interventions de Marie sont accompagnées par un cluster chromatiquement complémentaire de celui du faisceau de lumière, que j’entends comme le sentier de la persévérance. Ses réponses sont courtes autant que le sentier est étroit, elles commencent trois fois par « je sais » et persévèrent dans la division sous la mesure, tantôt environnées de croissances harmoniques des cordes, tantôt dérangées par des notes pincées.
34Par l’antiphonie et – avec le signal du cluster de six notes – par l’anaphore, la comtesse et Marie restent fidèles à leurs modèles rythmiques ; et la seule phrase de Marie dans laquelle elle abandonne la protection du « je sais » est parlée (« mais il m’aimait ») et résonne en ruisseaux de larmes dans la musique. Pendant ce temps le mouvement du trope l’élève jusqu’à des condensations spécifiques : des ajouts (commençant avec « savez-vous donc aussi que l’on parle beaucoup, beaucoup de vous dans la ville ») d’une suite de quatre notes à la harpe, d’une seconde mineure plaintive – ici simultanément un intervalle et une durée courte – qui apparaît à divers instruments ; les deux figures étant répétées et échangeant leur accent, s’accordant à partir de différentes directions de l’espace ; tombant comme des feuilles à partir d’une totalité sonore invisible, au-delà de la scène musicale (les notes éparses s’accrochant dans l’épais taillis) s’ajoutant, s’insérant sans présence pleine : « Croissance/Epaisseur après épaisseur/Comme des feuilles » (Celan)16.
35Insertions – traits rapides dans les cordes, qui font des passages que l’on mesure les débuts des traits suivants, parcourant rapidement, à la fois pas à pas et d’un seul trait le chemin : emboîté en lui-même, ce mouvement, comparable à celui d’une machine à copier : cliché-empreinte-avance-impression-retour-cliché, reste un déplacement ; de fait, il produit sa propre copie.
36La copie déplacée comme principe de la multiplication d’une figure détermine également les circonvolutions : au fondement de la composition de la scène des trois femmes se trouve une série dodécaphonique qui est une succession de six tritons. La particularité du triton est d’être son propre intervalle complémentaire : si je joue à partir d’une note celle qui, au-dessus, en est éloignée par l’intervalle du triton, j’obtiens, à l’octave, le même son qu’en mesurant cette distance vers le bas. Si je refais la même chose avec la deuxième note ainsi obtenue, les intervalles du triton me ramènent à la première note : je le tourne et le retourne comme je veux, le triton reste le même. Comme le système tonal tempéré à douze degrés donnera le même résultat pour la même expérience, quelle que soit la hauteur de la note, je remarque que le triton lie à chaque fois deux notes solidement l’une à l’autre, mais s’en tient à deux (contrairement à d’autres intervalles, dont le passage dans des directions opposées ou à la note atteinte par le premier passage absorbe d’autres notes). Si je prends donc six notes, entre lesquelles il n’y a pas de relation de triton, j’obtiens avec les six autres notes qui s’ajoutent à elles par cette relation six couples que je peux sans hésiter envoyer danser sur la surface de la série. Car quelle que soit la manière dont ils se tournent et retournent, ils resteront exactement les mêmes couples. Aucune note dans aucun couple ne pourra faire les yeux doux du triton à la note d’un autre couple. Et comme nous tous, chaque côté d’une alliance est tantôt homme et tantôt femme... se tournant, tourbillonnant, chancelant (pour les maîtres à danser : pour une série dodécaphonique de l’espèce décrite, les variations complètes du tour (do-fa dièse, fa dièse-do) et de la volte (do1 – fa dièse1, do1– fa dièse) conduisent à un total de 49 152 formes sérielles, sans parler des pas arrières). Vertige des notes, vertige d’une machine prodigieuse qui produit une langue de notes couplées qui se multiplient sans cesse et tournent les unes autour des autres. Une machine, mais non un moteur : la musique n’est pas le défilement mécanique des possibilités offertes au moyen d’une règle fixe. Il ne s’agit pas de la mécanique présente de l’exercice, mais d’un mécanisme latent.
37A la machine du triton correspond une topographie musicale, dans laquelle tous les passages sont certes étroitement noués les uns aux autres, mais qui ne comprend que peu de passages différents. La coupure qui sépare chaque copie d’une autre se dépose dans la finesse du déplacement. A travers les innombrables passages qui correspondent à la dissémination de ces copies, la machine reproduit néanmoins toujours le même passage, sans toutefois que la structure puisse être focalisée sur celui-ci à la manière d’un téléscope.
38Après les dernières paroles d’exhortation de la comtesse sur l’honneur qu’il s’agit de restaurer, la superposition des deux clusters anaphoriques jette un faisceau de lumière crue sur Marie. La musique rappelle alors cette sonorité torsadée des cuivres et cette polyphonie expressive des cordes qui, comme un retour de l’orage, semble être la présence de la voix de l’Autre. Au point de vue rythmique l’évocation est fidèle, au point de vue des hauteurs en revanche elle est tordue par la machine du triton. Et ce dé-tour dénoue les nombreux fils de la torsade (on entend simplement : triton, triton...) et prive de son objet la force avec laquelle jouent les cordes : il soustrait sa charge à l’orage, il le représente avec des moyens qui lui ôtent toute possibilité de présence. L’orage est en quelque sorte perlaboré, la puissance de son retour est brisée. Place est ainsi faite à un trio infiniment doux et tendre sur un poème tiré d’un fragment de Lenz et inséré dans le contexte du drame. L’idée que le monde du malheureux est autre que celui de l’homme heureux est uniquement exprimée, dans le chant du poème, par le fait que l’intrication des registres les plus aigus nécessite à la représentation, pour que les différentes voix ne soient pas étouffées, une mise à distance des chanteuses (au minimum elles chanteront dans des directions différentes) : l’intrication produit une distance. Cependant le chant de chacune des voix va lier l’arc de la respiration avec les points considérés comme des obstacles sur la route, lier la langue du temps du cœur avec celle du malheur. Et l’orchestre, rappelant le rythme atmosphérique de la scène d’orage dans la musique de scène, le déplace au cours du trio vers les timbales, puis progressivement vers les pizzicati des cordes basses : la proximité et la distance s’interpénétrent.
39A la fin du trio, les sonorités anaphoriques s’intercalent entre les voix du chant et les unes dans les autres. Ce faisant, leur mouvement suggère un rythme, mais sans vraiment suivre une règle. Et j’y entends une figure, impossible à résumer ou même seulement à subdiviser, qui est appuyée sur un temps articulé, mais sans jamais y être à demeure. J’entends que quelque chose se trouve en des endroits qu’il faut tenir séparés, et qu’il n’y a pourtant qu’un endroit. Logiquement, ce quelque chose devrait donner la possibilité de séparer. Ce serait simplement la période, la mesure de temps. Mais l’intrication des sonorités anaphoriques est comme un filtre imaginaire, qui garde le temps mais perd la mesure ; qui conserve dans la période ce qui tourne et déserte le lieu du retour, si bien qu’une pure figure de la différance reste accrochée en elle. Il est tôt apparu à l’analyse que les figures du drame, dans la dramaturgie de l’opéra, n’étaient que les lieux actuels d’un retour. Le retour se révéla ensuite comme n’étant que la partie manifeste d’un processus qui comprend aussi des éléments latents, processus de l’auto-écriture d’une trace. Mais la trace n’écrivait pas le signe fixe et sûr, elle en marquait plutôt la dispersion. La révélation du signe convoquait bientôt la continuation infinie de son écriture, qui le dérobait à toute espèce d’équilibre économique.
40Mais lorsqu’il manque le plateau de la balance dans lequel on peut jeter un retour, le lieu de celui-ci se perd : et comme le retour, fût-il celui des voix du réseau et du flux, était requis pour qu’il y eût présence, la perte de son lieu est perte du lieu de la présence. Et c’est là que la dernière omission de Zimmermann devient significative : dans le drame de Lenz, Marie devient dame de compagnie de la comtesse, et non dans l’opéra (la commodité qu’il y a à lire cela chez Lenz ou à l’imaginer de soi-même est frappante) : à la fin du trio, la comtesse doit partir, Marie veut réfléchir et Charlotte, par les mots « Ah, Madame ! », s’est déjà éteinte en tant que caractère ; de quoi d’autre s’agit-il si ce n’est d’un abandon du lieu dramatique des figures ? Le cri « Marie, partie ! » immédiatement au début de la scène suivante, transpose exactement sur la personne de Marie le renvoi qui est advenu au lieu de la présence, grâce au succès de la pure figure de la différance, sous la forme de l’essence tritonale d’une alchimie musicale. La catastrophe de l’actualité, qui a mis l’analyse sur la trace du signifiant manquant, paraît sublimée dans une écriture du frayage : celle-ci, Marie et Charlotte en une seule figure, doit abandonner toute présence pour tracer sur ses routes les voies de la dé-présentation.
41Paru pour la première fois sous le titre « Verlegte Stimmen » in Programme pour les représentations des Soldats, Francfort, 18.6.1981.
Notes de bas de page
1 Allusion à l’ouvrage de Gilles Deleuze et Félix Guattari : Mille Plateaux, Paris, Les Editions de Minuit, 1980. Cf. notamment le premier chapitre : Rhizome, p. 17 (N.D.L.R.).
2 Les numérotations des scènes entre crochets sont ajoutées par la rédaction.
3 Klaus Ebbeke a identifié le quatrième poème, qui est bien de Lenz. Cf. son article La Genèse des « Soldats », publié dans ce recueil (N. D. L. R.).
4 Cf. Mille Plateaux, op. cit. Deleuze et Guattari analysent la dramaturgie de la nouvelle dans le chapitre 8 : 1874 - Trois nouvelles, ou « qu’est-ce-qui s’est passé ? » (N. D. L. R.).
5 Le mot allemand Aufschub, tel qu’il est utilisé ici par l’auteur, nous paraît recouvrir le concept de différance (Derrida), c’est-à-dire « l’action séparatrice qui crée l’écart, la différence produite » (Grand dictionnaire Robert). Les lecteurs pourront utilement se reporter à l’article de Derrida : Freud et la scène de l’écriture, in L’Ecriture et la différence, Paris, Les Editions du Seuil, 1967 (N. D. T.).
6 Le renversement, rétrogradé et transposé à la seconde mineure inférieure, de la série de base de la scène 111,3 dont il est question, reproduit la série – symétrique – sur laquelle est fondée la scène I,1, en commençant par la neuvième note, donc en la décalant de quatre notes, détruisant ainsi la symétrie (N.D.L.R.).
7 Dans la pièce de Lenz, on apprend que Marie est allée au théâtre avec Desportes (scène 1,5). Zimmermann a coupé cette scène (N.D.L.R.).
8 Zimmermann a coupé cette scène (N.D.L.R.).
9 Indication de régie. IV. 1 (N.D.L.R.).
10 Handke, Peter : La Leçon de la Sainte-Victoire, Paris, Gallimard, 1980, p. 110 (N.D.L.R.).
11 Trois versions de ce poème figurent dans l’édition Blei des œuvres de Lenz (Gesammelte Schriften, hrsg. von Franz Blei, Munich, 1909-1913, p. 98) que Zimmermann a utilisée pour choisir les quatre poèmes qu’il a insérés dans son opéra. L’auteur se réfère ici à une de ces trois versions, celle qui figure dans une autre édition des œuvres de Lenz : Werke und Schriften, I, hrsg. von Britta Tittel und Helmut Haug, Stuttgart, Henry Goverts, 1966, p. 110. Nous remercions Klaus Ebbeke qui nous a fourni cette précision (N.D.L.R.).
12 Derrida, Jacques : Freud et la scène de l’écriture, op. cit. (N. D. T.).
13 L’Amour de Madeleine, sonnet de l’abbé Bonnet que Rilke a traduit. Cf. la préface de J. -F. Dargelloz aux Elégies de Duino, Paris, Aubier, 1934, p. 9 (N.D.L.R.).
14 Il s’agit du choral Ich bin’s, ich sollte büssen (N.D.L.R.).
15 Op. cit., p. 12.
16 Celan, Paul : Blume, in Ausgewählte Gedichte, SuhrkampVerlag, 1970 (N. D. T.).
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Regards croisés sur Bernd Alois Zimmermann
Actes du colloque de Strasbourg 2010
Philippe Albèra, Pierre Michel et Heribert Henrich (dir.)
2012
Pierre Boulez, Techniques d'écriture et enjeux esthétiques
Jean-Louis Leleu et Pascal Decroupet (dir.)
2006
Karlheinz Stockhausen. Montag aus Licht
Revue Contrechamps / numéro spécial
Philippe Albèra (dir.)
1988