1 « Philologie nämlich ist jene ehrwürdige Kunst, welche von ihrem Verehrer vor Allem Eins heischt, bei Seite gehn, sich Zeit lassen, still werden, langsam werden –, als eine Goldschmiedekunst und-kennerschaft des Wortes, die lauter feine vorsichtige Arbeit abzuthun hat und Nichts erreicht, wenn sie es nicht lento erreicht. Gerade damit aber ist sie heute nöthiger als je, gerade dadurch zieht sie und bezaubert sie uns am stärksten, mitten in einem Zeitalter der „ Arbeit “, will sagen : der Hast, der unanständigen und schwitzenden Eilfertigkeit, das mit Allem gleich „ fertig werden “will […]. » (Friedrich Nietzsche, Morgenröthe. Nachgelassene Fragmente. Anfang 1880 bis Frühjahr 1881, Nietzsche Werke. Kritische Gesamtausgabe, herausgegeben von Giorgio Colli und Mazzino Montinari, 5. Abteilung – 1. Band, Berlin, Walter de Gruyter & Co., 1971, p. 9 ; traduit ici par Jean-Louis Leleu).
2 Paris, Bibliothèque nationale de France, département de la Musique, Ms. 24375 (Acq. 2005-992).
3 Georges Andrieux, Catalogue de vente de livres précieux, anciens, romantiques, modernes, manuscrits, documents et lettres autographes. Collection Jules Huret [1 à 154] et Collection Claude Debussy [174-224] […], Abbeville, Imprimerie F. Paillart, 1933, p. 34-35. La collection de manuscrits de Debussy mis en vente le 1er décembre 1933 comprenait un second « carnet autographe » (lot 183). Selon la description qu’en donne Andrieux (ibid., p. 35), il s’agit de celui qui est aujourd’hui conservé dans la collection Robert Owen Lehman (en dépôt à la Pierpont Morgan Library de New York) sous la côte D289. S464, et qui contient, pour l’essentiel, des notes de travail relatives à Ibéria (voir, à ce sujet, Matthew Brown, Debussy’s ‘Ibéria’, New York, Oxford University Press, 2003, p. 23-26).
4 François Lesure, Catalogue de l’œuvre de Claude Debussy, Genève, Minkoff, 1977.
5 Ibid., p. 136. Lesure a, semble-t-il, confondu ici le carnet « passé en vente » à l’Hôtel Drouot en 1933 et l’un des « quatre carnets d’esquisses » de Debussy dont il disait connaître l’existence au moment où fut rédigé son catalogue (ibid., p. 13), et qui était alors en la possession de la fille d’Emma Debussy, Hélène – dite Dolly – Bardac (devenue en 1911 Mme Gaston de Tinan). Or, Mme de Tinan a, en 1978, fait don de ce document à la Bibliothèque nationale de France, où il est conservé depuis sous la cote Ms. 17726 (cf. infra note 14). Il est aisé de vérifier qu’il ne s’agit pas du « lot 182 » décrit par Andrieux et contenant, entre autres, les esquisses de Soupir. Les trois autres « carnets d’esquisses » recensés par Lesure dans son Catalogue de 1977 sont : 1) celui qui se trouvait déjà alors au département de la Musique de la Bibliothèque nationale de France sous la cote Ms. 10931 ; 2) un document appartenant à l’« ancienne collection de Lily Debussy, puis André Meyer » – consistant, en réalité, en deux carnets, également conservés aujourd’hui au département de la Musique de la Bibliothèque nationale de France sous la cote Ms. 20632 (1-2) ; 3) le carnet « ayant appartenu à G. Van Parys » et passé dans la collection Robert Lehman dont il a été question plus haut (cf. supra note 3). À propos du Ms. 20632 (2), voir Denis Herlin, « Les esquisses du Quatuor à cordes », Cahiers Debussy, nouvelle série, n° 14, 1990, p. 23-26.
6 Ibid., p. 55. Rappelons que le texte de la mélodie achevée par Debussy en février 1884, et restée inédite de son vivant, avait paru dans un supplément de La Revue musicale en 1926. James Briscoe, se référant sans doute au Catalogue de Lesure, fournit dans son Guide to Research la même indication erronée, qu’il juge bon de compléter comme suit (voir ci-dessus la note 5) : « ancienne coll. de Tinan, actuellement à la B. n. » (James R. Briscoe, Claude Debussy. A Guide to Research, New York, Garland, 1990, p. 48 et 65).
7 Margaret G. Cobb, « Preface », The Poetic Debussy. A Collection of His Song Texts and Selected Letters, collected and annotated by Margaret G. Cobb, translations by Richard Miller, Boston, Northeastern University Press, 1982 (second edition edited by Margaret G. Cobb, Rochester, University of Rochester Press, 1994), p. xvi.
8 Jean-Michel Nectoux, « Debussy et Mallarmé », Cahiers Debussy, nouvelle série, n° 12-13, 1988-1989, p. 62 (« À l’époque de Jeux, sommet dans l’élaboration de l’écriture et point extrême d’achèvement de ce que le musicien appelle sa “chimie personnelle”, Debussy se tourna de nouveau vers Mallarmé ; il songea publier Apparition en remaniant les pages de sa vingtième année, mais il abandonna ce projet pour mettre en musique trois nouveaux textes […] : Soupir, Placet futile et Éventail. »). Au vu des notes du carnet, le terme de « remaniement » employé par Nectoux se révèle inapproprié : nonobstant la citation du passage de la mélodie de 1884 où est chanté le vers « La cueillaison d’un Rêve au cœur qui l’a cueilli » (cf. infra note 38), l’intention de Debussy était manifestement d’écrire sur le poème de Mallarmé une musique entièrement nouvelle ; en témoigne, tout spécialement, la réalisation musicale des vers « [Vaporeuses,] tiraient de mourantes violes | De blancs sanglots glissant sur l’azur des corolles » – l’un des rares passages du projet de mélodie dont le texte soit noté, dans le carnet, de façon précise (f. 36r).
9 Marie Rolf, « Semantic and structural issues in Debussy’s Mallarmé songs », dans : Debussy Studies, edited by Richard Langham Smith, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, p. 191. Rolf fait elle aussi référence au carnet musical vendu à Drouot en 1933 : « Il est possible, écrit-elle, que Debussy ait tenté de mettre en musique Apparition une seconde fois en 1913 lorsqu’il composa ses Trois Poèmes de Mallarmé. Un carnet d’esquisses où figurent des notes pour Soupir contient apparemment aussi des esquisses pour une mise en musique d’Apparition. Il semble improbable qu’au moment où il composait Soupir vers 1913 Debussy ait simplement recopié sa mélodie de jeunesse de 1884, nous devons donc en conclure pour l’instant que ces esquisses correspondent bien à une mise en musique entièrement nouvelle d’Apparition. »
10 François Lesure, Claude Debussy. Biographie critique. Suivie du Catalogue de l’Œuvre, Paris, Fayard, 2003, p. 461-558.
11 Ibid., p. 494. Seule diffère la mention du lieu où est conservé le carnet : à l’indication problématique de 1977 (« collection de Mme de Tinan ») s’est substitué un simple « collection particulière ». La précision relative à La Boîte à joujoux est à présent, elle aussi, intégrée dans la notice de cette œuvre (ibid., p. 557).
12 Claude Debussy, Correspondance (1872-1918), édition établie par François Lesure et Denis Herlin, annotée par François Lesure, Denis Herlin et Georges Liébert, Paris, Gallimard, 2005, p. 1638 n. 2.
13 L’édition de 2003 du Catalogue signale déjà, dans la notice relative au Martyre de saint Sébastien, la présence d’esquisses de cette œuvre (dont ne faisait pas état Andrieux) dans le « carnet passé en vente à l’Hôtel Drouot, 1er décembre 1933, n° 182 » (Lesure, Claude Debussy, p. 550). Est ici indiquée avec précision, de surcroît, la localisation du document (« coll. Latécoère »).
14 Le Ms. 24375 comporte 50 feuillets (numerotés au crayon, à la main, de 1 à 50) précédés et suivis de 2 feuillets de garde. Au recto et au verso de ces 50 feuillets sont imprimées 5 portées, de même qu’au verso du deuxième feuillet de garde (où Debussy n’a rien noté) et au recto de l’avant dernier (qu’il a, à l’inverse, utilisé, et qui, pour cette raison, est numéroté ‘51’). Il est intéressant de noter que le support du document est identique à celui du Ms. 17726, où est documentée une phase ultérieure du travail du compositeur. C’est cet autre carnet, offert par Debussy à son épouse Emma le jour de Pâques 1917, qui fut ensuite détenu par Mme de Tinan (voir supra note 5), avant qu’elle en fît don à la Bibliothèque nationale de France (cf. Bulletin de la Bibliothèque Nationale 1, mars 1978, p. 14). Denis-François Rauss le soumit l’année même à un examen attentif – cf. « “Ce terrible finale”. Les sources manuscrites de la sonate pour violon et piano de Claude Debussy et la genèse du troisième mouvement », Cahiers Debussy, nouvelle série, n° 2, 1978, p. 30-62, notamment p. 41 : « Le format, note-t-il, est oblong : 180 × 110 mm. La couverture de crêpe rouge (en lettres dorées : “Musical notes”) est encadrée d’un filet doré également ». Cette description concorde avec celle qu’Andrieux donnait du lot 182 de la vente de 1933. Comme l’atteste la marque imprimée au verso du premier feuillet de garde, il s’agit dans les deux cas d’un article de papeterie importé par Brentano’s, la librairie américaine fondée à Paris en 1895. S’agissant de la manière dont Debussy utilise le support, ce que Rauss observe à propos du Ms. 17726 vaut également pour le Ms. 24375, à savoir que le compositeur inscrit son texte, tantôt dans la page simple du carnet, tantôt dans la double page formée par le verso d’un feuillet et le recto qui suit : sont exploités de cette manière les ff. 39v-40r (Soupir, vers 5 et 6) ainsi que les ff. 40v-41r, 41v-42r, 42v-43r, et 43v-44r (Éventail, vers 1 à 4, 7-8, 10 à 12, et 18-19). Chaque page ne comportant que cinq portées, la musique est notée à l’intérieur de systèmes constitués, selon les cas, de trois ou de deux portées – la ligne vocale étant, au besoin, insérée dans la portée supérieure de la partie de piano.
15 Debussy, Correspondance (1872-1918), p. 1573. Notons, à ce propos, que l’information donnée dans la note 3 concerne les « deux derniers » préludes « terribles à écrire », et non les « deux nouveaux » que Debussy vient d’envoyer à son éditeur (l’appel de note est donc mal placé).
16 Dans sa lettre à Durand du 7 janvier 1913, Debussy écrit : « Vous auriez déjà les deux préludes manquants, si je n’étais accroché par To[o] mai des Éléphants sur lequel je me suis obstiné et qui est impossible en tant que prélude ! J’ai déjà cherché son remplaçant, et vous aurez le tout vers la fin de cette semaine. » (ibid., p. 1574-1575). Une semaine plus tard, il semble déjà être question de la gravure du recueil dans les échanges épistolaires entre le compositeur et l’éditeur (ibid., p. 1576). À propos des « deux préludes manquants » et du « remplaçant » de Toomai des Éléphants, voir le commentaire de Roy Howat dans Claude Debussy, Préludes, Livres I et II, édition de Roy Howat avec la collaboration de Claude Helffer, Œuvres complètes de Claude Debussy, Série I, vol. 5, Paris, Durand-Costallat, 1985, p. xi.
17 Stéphane Mallarmé, Poésies. Édition complète contenant plusieurs poèmes inédits et un portrait, Paris, Éditions de la Nouvelle Revue Française, 1913.
18 André Schaeffner, « Variations Schoenberg », Contrepoint, 7, 1951, p. 126 n. 6. (cf. la réédition du texte dans Essais de musicologie et autres fantaisies, Paris, Le Sycomore, 1980, p. 368 n. 31 – où le passage cité ici demeure inchangé –, ainsi que celle, conforme à la version originale, qui se trouve dans Pierre Boulez – André Schaeffner, Correspondance 1954-1970, présentée et annotée par Rosângela Pereira de Tugny, Paris, Fayard, 1998, p. 191 n. 31). On lit également sous la plume de Lesure : « C’était plutôt la réapparition en librairie des Poésies complètes de Mallarmé qui avait provoqué chez les deux musiciens ce “retour à”. » (Claude Debussy, p. 368). La même thèse est formulée en des termes plus nuancés par Edward Lockspeiser dans sa dernière monographie sur Debussy : mentionnant la publication en 1913 de la première édition complète des poèmes de Mallarmé, le critique anglais note que Debussy a pu mettre en musique trois de ces poèmes « pour marquer l’occasion » (Debussy : His Life and Mind, Volume I, 1862-1902, London, Cassell & Co., 1962, p. 158).
19 L’achevé d’imprimer des deux exemplaires des Poésies (1913) conservés à la Bibliothèque nationale de France sous les cotes 8-YE-8717 et 16-YE-4726 porte la date du 24 janvier 1913, celui de l’exemplaire Rés-Z Le Masle-273 (le n° 36 des cinquante-cinq exemplaires réimposés et tirés à part sur papier vergé d’Arches au format in-4°) la date du 28 janvier. D’autres tirages furent réalisés peu de temps après, comme le confirme la suite des propos de Schaeffner cités plus haut : « La décision de Ravel doit être prompte, et même résulter de singulières accointances avec les Éditions de la N. R. F., car l’achevé d’imprimer de l’exemplaire que je possède date du 22 avril 1913. » (loc. cit.).
20 La composition de ce volume fit l’objet de vives critiques auxquelles les exécuteurs testamentaires de Mallarmé (la fille du poète, Geneviève, et son mari, le docteur Edmond Bonniot) répondirent dans une lettre adressée à Gaston Gallimard le 18 mai 1913 – lettre qui fut aussitôt publiée dans La Nouvelle Revue Française (n° LIV, juin 1913, p. 1044). On pouvait y lire : « On reproche à cette édition l’ordre des pièces, le choix des inédits, l’absence d’appareil critique, de variantes, etc. Veuillez faire savoir à vos lecteurs que les indications laissées par Mallarmé sur tous ces points étaient précises, et que nous vous avons su le plus grand gré du dévouement avec lequel vous nous avez aidés à les observer. ». Le docteur Bonniot eut à revenir sur le sujet dans une seconde lettre, datée du 2 octobre 1913, qui fut également publiée dans la NRF – cette fois dans le n° LIX de novembre 1913 (p. 823) ; y était invoquée, de nouveau, la volonté même du poète : « Mallarmé préparait au moment de sa mort une édition courante de ses poésies, et c’est d’après les indications laissées par lui, et des précédents établis par lui également […], que nous avons pu mener à bien l’édition que vous avez si heureusement réalisée. » [c’est l’auteur de la lettre qui souligne].
21 Dans son article « Des Proses lyriques aux Nuits blanches ou Debussy et la tentation poétique » (La note bleue. Mélanges offerts au Professeur Jean-Jacques Eigeldinger, Jacqueline Waeber (éd.), Bern, Peter Lang, 2006, p. 321), Denis Herlin renvoie à un intéressant propos de Debussy exprimant la volonté « de ne plus écrire de mélodies » – propos dont on n’a connaissance, malheureusement, que de façon indirecte. Le catalogue du libraire genevois Nicolas Rauch en date du 23 novembre 1955 mentionne en effet un lot de trois lettres du compositeur « datées entre le 29 novembre 1903 et le 12 novembre 1907 » dans lesquelles celui-ci – indique la notice – « décline l’offre d’écrire la musique pour une tragédie et refuse également de mettre des poèmes en musique car, déclare-t-il, il s’est imposé de ne plus écrire de mélodies. » (cf. Debussy, Correspondance (1872-1918), p. 804 n. 3) ; seule a été retrouvée la lettre du 12 novembre 1908 (et non 1907), où l’on peut lire : « Votre tragédie contient de fort belles choses ; partant la musique m’en paraît difficile à réaliser… » (ibid., p. 1130).
22 En témoigne tout spécialement, comme le note à juste titre J. -M. Nectoux (« Debussy et Mallarmé », p. 62), le message de condoléances adressé par Debussy à Marie Mallarmé quelques jours après la mort du poète (cf. Debussy, Correspondance (1872-1918), p. 418). D. Herlin, dans l’article déjà mentionné, souligne la prédilection de Debussy pour « des textes du passé (Charles d’Orléans, François Villon, Tristan L’Hermite) » – de préférence à « ceux des poètes contemporains » – dans ses cycles de mélodies composés à partir de 1904 (« Des Proses lyriques aux Nuits blanches ou Debussy et la tentation poétique », loc. cit.).
23 Debussy, Correspondance (1872-1918), p. 167-168. Arthur B. Wenk, citant cette lettre, commet une erreur manifeste en comprenant que Debussy y loue précisément « l’aptitude de Mallarmé à tirer une œuvre d’art d’une idée unique » (Mallarmé’s ability to draw a work of art from a single idea) (Claude Debussy and the Poets, Berkeley-Los Angeles-London, University of California Press, 1976, p. 245). Selon J. -M. Nectoux, le propos critique relatif au dernier Mallarmé pourrait être une réaction à « la publication [en 1893] du recueil Vers et prose qui contenait en particulier l’un des textes les plus complexes [du poète], la “Prose pour des Esseintes” » (« Debussy et Mallarmé », p. 62). Le commentaire des éditeurs de la Correspondance va dans le même sens, mais se fait plus précis au sujet des « derniers sonnets » : « Peut-être Debussy pense-t-il à Tout Orgueil fume-t-il du soir, à Surgi de la croupe et du bond, ou encore à Une dentelle s’abolit. » (Debussy, Correspondance (1872-1918), p. 167 n. 1). Le deuxième de ces trois poèmes (parus dès janvier 1887 dans La Revue indépendante) fut justement choisi, on le sait, par Ravel, qui le caractérisa lui-même comme « le plus étrange, sinon le plus hermétique » des sonnets de Mallarmé (cf. Roland-Manuel, « Une esquisse autobiographique de Maurice Ravel » [1938], Maurice Ravel, Lettres. Écrits, entretiens, réunis, présentés et annotés par Arbie Orenstein, Paris, Flammarion, 1989, p. 46). Les quatre textes mis en musique par Debussy appartiennent à une phase antérieure de la production de Mallarmé : trois d’entre eux parurent pour la première fois entre novembre 1883 et mai 1884 ; quant au dernier (le sonnet Placet futile), si le poète le reprit et le modifia en 1887, sa publication initiale remontait à février 1862 ; tous sont très éloignés du maniérisme de « Surgi de la croupe et du bond ». Dès son premier ouvrage sur Ravel, paru en 1914, Roland-Manuel a relevé la différence d’optique que l’on voyait se marquer entre les deux compositeurs dans le choix du dernier poème : « Une heureuse coïncidence voulut que l’auteur de Pelléas et l’auteur de Daphnis se rencontrassent pour glorifier ensemble Soupir et Placet futile. Mais, tandis que Debussy terminait son triptyque avec la nonchalance amène d’ Éventail, Ravel n’hésitait pas, pour compléter le sien, à s’aventurer dans les sentes arides et superbes du domaine mallarméen et mettait en musique le fameux sonnet Surgi de la croupe et du bond… » (Maurice Ravel et son œuvre, Paris, A. Durand et Fils, 1914, p. 30). En ce qui concerne l’image que l’on pouvait avoir de Mallarmé dans le contexte culturel ambiant, on notera avec intérêt qu’était sorti en 1912, aux mêmes Éditions de la Nouvelle Revue Française, l’essai d’Albert Thibaudet intitulé La Poésie de Stéphane Mallarmé – « à coup sûr l’œuvre la plus importante et la plus complète qui ait paru sur Stéphane Mallarmé », écrira Jean Royère dans La Phalange du 20 février 1913 (« Le mois du poète », p. 116) – l’enjeu principal de cette étude consistant, selon Royère, à démontrer qu’à l’encontre d’une opinion très répandue, Mallarmé était un auteur difficile mais non obscur, et que ses poèmes étaient susceptibles d’une « interprétation unilinéaire » (p. 116 et 118). Prose (pour des Esseintes), que met en avant Nectoux (voir ci-dessus), est l’un des quatre textes de Mallarmé choisis par Thibaudet pour caractériser les « quatre types de sa poésie » ; le chapitre qu’il lui consacre commence ainsi : « La Prose passe pour la quintessence de l’inintelligible. » (Albert Thibaudet, La Poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire, Paris, Éditions de la Nouvelle Revue Française, 1912, p. 326 [cf. la réédition de l’« édition nouvelle » de 1926 : La poésie de Stéphane Mallarmé, avec un avant-propos de Jean-Yves Tadié et, en guise d’épilogue, deux textes de Paul Valéry, Paris, Gallimard, 2006, p. 371]). S’agissant des sonnets, Thibaudet s’intéresse tout spécialement à « deux des sonnets jugés les plus obscurs, l’Anniversaire de Verlaine, et le Tombeau de Baudelaire » – écrits, respectivement, en 1897 et en 1893 (ibid., p. 245-250 [p. 283-289]).
24 On trouve un compte rendu détaillé de l’événement, avec la liste des présents, dans le Mercure de France du 16 juin 1912 (p. 888-894). La littérature a maintes fois insisté sur la concomitance des Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé de Debussy et de Ravel, et sur la manière dont le premier, découvrant au début du mois d’août 1913 que le second avait lui aussi mis en musique Soupir et Placet futile, avait évoqué « un phénomène d’auto-suggestion digne d’une communication à l’Académie de Médecine » (cf. Debussy, Correspondance (1872-1918), p. 1651). Rappelons, à ce propos, que le projet ravélien de composer deux mélodies d’après Mallarmé était connu à la Société Musicale Indépendante depuis début avril 1913 (voir la lettre de Ravel à Mme Alfredo Casella datée du 2 avril, publiée dans Ravel, Lettres. Écrits, entretiens, p. 126-128). Et dans une autre lettre, adressée dix jours plus tard à Roland-Manuel (qui rédigeait alors, pour le compte de Durand, la monographie déjà mentionnée – cf. note 23), Ravel communiquait à son biographe les titres de ces deux mélodies : Soupir et Placet futile (ibid., p. 129). Sur la genèse de l’œuvre de Ravel, voir notamment Michel Delahaye, « La gestation des Trois Mallarmé (printemps-été 1913) », Cahiers Maurice Ravel, 6, 1998, p. 67-80. La mise au net du premier des Trois poèmes (Soupir ), achevée à Clarens, porte la date du 2 avril 1913. Delahaye a probablement raison de croire – nonobstant l’absence de preuves documentaires – que Ravel « [arriva] à Clarens [à la fin du mois de mars] non seulement muni d’un recueil de Poésies du poète – ou, à défaut, avec les textes soigneusement copiés –, mais avec en tête depuis deux mois l’ébauche formelle et musicale de son premier poème ».
25 Les Poésies de S. Mallarmé, frontispice de F. Rops, Bruxelles, Edmond Deman, 1899. On notera que le titre même – retenu par Debussy – d’« Éventail », qui était celui du poème lors de sa première parution en 1884 dans La Revue critique, avait fait place, dès l’édition Deman, à celui d’« Autre Éventail (de Mademoiselle Mallarmé) » ; c’est du reste sous ce second titre que le compositeur le mentionne lui-même dans le courrier qu’il adresse le 7 août 1913 à Edmond Bonniot (le gendre de Mallarmé) pour lui demander l’autorisation de mettre en musique les trois poèmes (Debussy, Correspondance (1872-1918), p. 1650). La modification s’explique sans doute par la publication, dans le numéro du 1er juin 1891 de l’« anthologie des plus jeunes poëtes » La Conque, d’un nouveau poème intitulé Éventail (de Madame Mallarmé).
26 Voir à ce sujet Claude Debussy, Jeux. Poème dansé, édition de Pierre Boulez et Myriam Chimènes, Œuvres complètes de Claude Debussy, série V, vol. 8, Paris, Durand-Costallat, 1988, p. xiii-xiv, 132 sq., ainsi que Myriam Chimènes, « The definition of timbre in the process of composition of Jeux », dans : Debussy Studies, op. cit., p. 6-7. Signalons, cependant, qu’un vers de l’Hommage à Wagner de Mallarmé (« Trompettes tout haut d’or pâmé sur les vélins ») est cité par Debussy au début de l’article qu’il rédigea pour le numéro de la revue S. I. M. en date du 15 mai (Claude Debussy, Monsieur Croche et autres écrits, introduction et notes de François Lesure, édition revue et augmentée, Paris, Gallimard, 1987, p. 240) ; voir également, à ce sujet, la lettre qu’il écrivit au directeur de la revue, Émile Vuillermoz, quelques jours avant la parution dudit numéro (Debussy, Correspondance (1872-1918), p. 1603).
27 Pour le programme et les préparatifs du concert voir Debussy, Correspondance (1872-1918), p. 1624.
28 Lettre de Debussy à Caplet du 23 juin 1913 (ibid., p. 1630). L’admiration de Debussy pour Ninon Vallin est tout aussi manifeste dans le court message qu’il lui adressa deux jours avant le concert : « Ai-je besoin, lui écrivait-il, de vous dire mon plaisir de vous faire travailler ? » (ibid., p. 1624).
29 Robert de Fragny, Ninon Vallin, princesse du chant, Lyon, Éd. et Impr. du Sud-Est, 1963, p. 41.
30 Ibid., p. 44. C’est Debussy lui-même qui, une nouvelle fois, accompagna au piano Ninon Vallin lors de cette création. Dans un texte publié en russe en 1936, la cantatrice a livré un intéressant témoignage sur la manière dont Debussy l’avait fait travailler, et sur ses exigences en matière d’interprétation – sans toutefois insister particulièrement sur les Poèmes de Mallarmé ; voir « O Klode Debjussi », Sovetskaja Muzyka 4/1, janvier 1936, p. 61-63 (une traduction anglaise fragmentaire de ce texte a paru dans Roger Nichols [éd.], Debussy Remembered, London-Boston, Faber & Faber, 1992, p. 182).
31 Voir le message du 17 juin mentionné ci-dessus (note 28).
32 Debussy, Correspondance (1872-1918), p. 1638.
33 Ibid., p. 1642 sq.
34 Ibid., p. 1646.
35 Voir à ce sujet Edmond Lemaître, « Les cotages des œuvres de Debussy aux Éditions Durand du vivant du compositeur », Cahiers Debussy, nouvelle série, n° 29, 2005, p. 101.
36 Si rien ne permet d’établir que Debussy envisagea dès le départ la composition d’un recueil incluant la nouvelle mouture d’Apparition, ni même qu’il eut autre chose à l’esprit, initialement, que la composition de cette unique mélodie, le contenu du carnet semble du moins prouver que Soupir et Éventail d’une part, et Placet futile d’autre part, furent composés à deux moments différents. Cette hypothèse est corroborée par les différences qui existent dans A2 entre les supports et les encres dont s’est servi Debussy pour la mise au net des trois mélodies : les ff. 5-7 (Placet futile) se distinguent en effet des ff. 1-4 et 8-12 (Soupir et Éventail) par le fait qu’ils comportent 30 portées au lieu de 24, et qu’ils sont écrits à l’encre bleu foncé (que le temps a noircie à certains endroits), alors que l’encre bleue qui est utilisée pour les autres feuillets (si on laisse de côté quelques ajouts en noir, ainsi que de rares corrections au crayon) est tantôt claire et brillante (Éventail), tantôt varie d’un ton clair à un ton plus foncé (Soupir ) ; par ailleurs, la mise au net de Placet futile présente un nombre de grattages nettement supérieur à celui que l’on observe dans le cas des deux autres mélodies.
37 Manquent par exemple, dans A1, le texte des mes. 1 à 4 et – au f. 43v – celui des mes. 48-49 de la mélodie, ce dernier pouvant être sousentendu (à moins de supposer que Debussy n’ait d’abord songé à faire déboucher le trait de la mes. 47 sur l’accord de la mes. 50 – ce qui serait possible harmoniquement, mais difficilement réalisable avec précision sur le plan pianistique) ; dans la rédaction définitive, l’un et l’autre passages reprennent le matériau des trois mesures jouées par le piano à la jonction des deux premières strophes (mes. 12-14), que le compositeur n’aura finalement notées elles-mêmes que de façon incomplète au f. 41r (fin du premier et début du second système). De la mes. 23 n’apparaît, dans la partie de chant, que la première note, correspondant à la syllabe « [déli]-ca-[tement] », et c’est un fa♯ au lieu de la♯ (f. 42r, dernière mesure du premier système) ; ce que joue le piano à cet endroit est déjà, par ailleurs, le texte de la mes. 24 – celui de la mes. 23 étant indiqué par un simple signe de répétition ajouté sous la mesure précédente (l’avant-dernière du système). Les mes. 28 à 33 restent, dans A1 – f. 42r (dernière mesure) et 42v –, très incomplètes : n’y est notée que la partie de piano, elle-même réduite, dès la mes. 29, à sa ligne principale (sans les dessins de triples croches). Aux mes. 44-45, enfin, manque, une fois encore, la partie vocale (f. 43v, début du premier système).
38 Le texte de la mélodie sur Apparition est bien plus lacunaire encore que celui de Soupir, très éloigné de la mise au point d’un texte définitif. Plusieurs indices témoignent de l’état d’inachèvement dans lequel est restée ici la pièce : les deux pages laissées en blanc qui précédent celles où commence la rédaction de Soupir ; l’agencement même du texte dans l’espace de la page ; l’hétérogénéité du tracé, où alternent le crayon et l’encre bleue ou noire ; la présence des signes renvoyant, selon toute vraisemblance, de la troisième portée du f. 37r à la première portée du f. 35v – à quoi s’ajoute, en haut du f. 36v, la mystérieuse citation, notée à l’encre noire, des quatre mesures de la mélodie de 1884 où est chanté le vers « La cueillaison d’un Rêve au cœur qui l’a cueilli » (ici réduites à la partie vocale – avec le texte du poème – et à la ligne de basse du piano, et transposées un ton plus bas).
39 Sauf indication contraire, les leçons de A2 mentionnées dans les paragraphes qui suivent sont également celles que donne E. Ces deux sources ne présentent, nous le verrons, que quelques divergences notables, la plus frappante étant celle qui a trait aux mesures d’introduction de Soupir (partie de piano). En attendant la publication du volume de la collection des Œuvres complètes de Claude Debussy, préparé par Denis Herlin, qui contiendra l’édition critique des Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé, on peut consulter les courtes listes de variantes (l’une et l’autre incomplètes) dressées par Reiner Zimmermann et par James Briscoe dans leurs éditions respectives du recueil (Claude Debussy. Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé, nach den Quellen hrsg. von Reiner Zimmermann, Leipzig, Peters, 1971, p. 13, et Songs of Claude Debussy, A Critical Edition by James R. Briscoe, based on primary sources, with commentary and translations, Volume II : Medium voice, Milwaukee, Hal Leonard Corporation, 1993, p. 28-29). Comme le signale Zimmermann, manquent en outre dans le texte de A2 – ce qui est souvent le cas, du reste, dans les manuscrits de Debussy remis au graveur pour l’édition –, de nombreux signes de nuance, ainsi que diverses indications relatives au mode de jeu, au tempo et au caractère.
40 Dans les exemples relatifs au texte de A1, on distinguera aisément – sans que la légende ait à le préciser – reproduction photographique et transcription(s). Sauf indication contraire, ces dernières présentent l’état ultime du texte noté par Debussy dans le carnet, les leçons antérieures pouvant néanmoins figurer au-dessus de la portée principale, comme le montre le graphique suivant :
On obtiendra ici le premier jet du texte des mesures b à d (ou, à défaut, l’état le plus ancien qu’il a été possible de déchiffrer) en lisant, à la suite de c, la leçon « d1 ». Ce type de transcription, qui a été récemment adopté par divers philologues (voir par exemple Giuseppe Verdi, La Traviata. Schizzi e abbozzi autografi, a cura di Fabrizio Della Seta, Parma, Istituto Nazionale di Studi Verdiani, 2000), engage à un travail critique d’interprétation du document – de reconstruction des différents états du texte qui y sont notés – dont dispense, par nature, la transcription diplomatique. Dans notre cas, celle-ci eût souvent entraîné, de surcroît, de sérieuses difficultés de réalisation. Quant aux ajouts éditoriaux, ils apparaissent, dans nos transcriptions, soit entre crochets (altérations, tête de notes, signes de triolets, etc.), soit pourvus d’un petit trait diagonal (liaisons, hampes de notes, ligatures), les astérisques signalant, eux, les rares corrections que nous avons été amenés à faire en transcrivant A2 et E.
41 Sur l’usage des chevrons et des accolades pour noter les collections de hauteurs ou de classes de hauteurs, voir supra, p. 25. Les combinaisons verticales présentes au sein même de la composition (dyades, triades, accords divers) sont considérées comme des collections de hauteurs ordonnées, et décrites en conséquence, en partant, en principe, de la note la plus grave ; il arrive cependant que la logique du discours musical, lorsque les accords s’inscrivent dans des unités plus vastes, conduise à inverser (voire à permuter) l’ordre dans lequel les notes sont nommées (voir infra, p. 306).
42 Dans A2, rien n’indique plus l’articulation de la seconde syllabe de « rê-ve » – qui dans le poème est, il est vrai, élidée. À la mes. 22, Debussy notera le e de « [infi]ni-e » (qui est également une voyelle muette) sous la forme d’une croche placée entre parenthèses à l’intérieur de la noire (symbole que J. Briscoe, dans son édition, supprime sans explication, et remplace par une simple virgule). C’est peut-être ce type de notation que le compositeur avait à l’esprit pour « rê-ve », dans la leçon de A1, en redoublant à l’intérieur de la blanche le si (♭), la parenthèse étant alors sous-entendue. Mais il est également possible que ce second si (♭) ait été pensé comme ayant la valeur réelle d’une noire de triolet ou d’une croche. Dans son article « “Chanter comme des personnes naturelles”. Apocope de l’ e caduc et synérèse chez Debussy et quelques-uns de ses contemporains » (Cahiers Debussy, n° 31, 2007, p. 5-57), Michel Gribenski relève plusieurs cas de « réalisations d’ e élidable (devant voyelle) » dans lesquels une même note est réarticulée de cette manière (p. 55) : « Ma songerie] aimant à me martyriser » (Apparition), « L’enfant tout rouge] et la mère blanche » (Chevaux de bois), « Sois sage], ô ma douleur » (Recueillement ), etc. (on aurait donc ici, dans Soupir : « où rêve], ô calme sœur ») ; dans les exemples que donne Gribenski, cependant, la durée de la note répétée est généralement une valeur écourtée, complétée par un silence. Signalons encore, à propos d’« infinie », que dans A1 – où le brouillon de Soupir s’interrompt précisément à l’endroit où est chanté ce mot – [f. 40r, piv, dernière mesure], la dernière syllabe (avec la réalisation du e muet), se déploie, vocalement, avec une emphase dont rien ne subsiste dans la version finale : nettement isolée par un silence du vers qui doit suivre, elle occupe toute la première moitié de la mesure (blanche + noire de triolet), l’articulation « ni-e », étant soulignée, mélodiquement, par l’intervalle de quarte ‹mi5 si4› (dans le texte définitif, c’est, dès la deuxième noire de la mesure, le début du vers suivant, « Et lais[se] », qui est chanté sur le si4).
43 Les lettres p et s, dans les légendes des exemples, valent, respectivement, pour portée et pour système ; le numéro de la portée ou du système est, dans chaque cas, indiqué au moyen de chiffres romains en petites majuscules (si = premier système, piii = troisième portée, etc.).
44 On observera, toutefois, que, dans le carnet lui-même, le texte de cette mesure a été rédigé en deux temps au moins, seul ayant été noté initialement à la voix (sous la forme d’une blanche) le mi♭5 sur lequel allait être chanté le mot « sœur » : le tracé de la ligne de chant, en effet, présente, pour le premier et le deuxième vers, des propriétés graphiques sensiblement différentes.
45 Dans A1 apparaît nettement sur le premier temps de la mesure (main gauche) un soupir, et le si♭6 (main droite) est lui-même noté sous la forme d’une noire.
Bien que le tracé n’aide guère ici à distinguer des strates successives, il est vraisemblable que le dessin de croches de triolet ait été ajouté dans un deuxième temps, et conservé uniquement, en définitive, pour le la♭. Nous avons considéré, dans notre transcription (ex. 2.1b), qu’une fois établi le texte de la seconde moitié de la mesure, le si♭6 prenait implicitement, comme le la♭6, la valeur d’une croche.
46 Sur la dernière croche de la mesure, Debussy a d’abord noté un si♭, qu’il a aussitôt, semble-t-il, remplacé par un do. Étant donné l’harmonie au sein de laquelle s’insère cette note, il ne peut s’agir que d’un do♭ (si♭4 et do♭5 sonnent ici dans l’accord). Les deux portées du piano, dans A1, restant vides à la mesure suivante, on pourrait imaginer que la voix poursuivait seule, inscrivant à l’intérieur de l’octave ‹fa4 fa5› la quinte diminuée ‹fa do♭› d’abord, puis le segment de tons entiers ‹do♭ ré♭ mi♭ fa›. Il est plus probable, toutefois, que soit sous-entendu, mes. 10, le même enchaînement d’accords qu’à la mes. 9, et que la voix, sur le premier temps, énonce mélodiquement la seconde mineure ‹do♭5 ré♭5› présente, cette fois, dans l’accord, même si l’on peut s’étonner que Debussy n’ait pas expressément noté un bécarre devant le second do. Voir également, à propos de ce passage, nos remarques infra, p. 294.
47 Dans la version de A1, la ligne de chant est en outre, à cet endroit, doublée à l’octave inférieure par le piano.
48 Il est possible, sinon probable, que manque dans A1, à la mes. 19, le signe de répétition indiquant que doit y être rejoué le même accord qu’au début de la mesure précédente, et donc aussi le motif ‹mi♭2 la♭1›. Cette supposition n’invalide en rien nos remarques concernant le motif en question et ses occurrences.
49 Nous rétablissons, dans cette transcription de A2, le ♮ au lieu du ♭ que Debussy a noté par erreur, à la mes. 10, devant le mi4 du premier accord (correction signalée par un astérisque). De même, nous avons suppléé, dans la même mesure, les parenthèses devant entourer le ♭ du mi6 – qui manquent dans le manuscrit –, ainsi que le ♭ entre parenthèses également omis par le compositeur devant le ré6 du second accord. Cf. déjà, à ce propos, les remarques de J. Briscoe (Songs of Claude Debussy, p. 28).
50 De tels repentirs (sur le statut desquels les propriétés du tracé ne laissent planer aucun doute) ne sont pas absents du texte d’Éventail initialement noté dans A1, mais ils y sont peu nombreux. Le plus notable d’entre eux est la refonte complète des mes. 19 sq. dont il sera question plus loin.
51 On peut avoir l’impression, à la lecture du texte de A1, que le compositeur a voulu varier aux mes. 21-22 la présentation des mes. 19-20. Cependant, il est vraisemblable que la leçon des mes. 21-22 soit une reformulation de ce qui était conçu, dès le départ, comme devant être un texte identique dans les deux cas – reformulation que le compositeur a encore retouchée ensuite en réécrivant la fin de la mes. 19. Si cette hypothèse est juste, on doit donc considérer que la variante de la mes. 22 vaut rétroactivement pour la mes. 20, et qu’inversement la variante de la mes. 19 devient elle-même, de façon tacite, le texte de la mes. 21.
52 J. Briscoe, dans son édition, donne également au la ici la valeur d’une triple croche, sans que l’apparat critique mentionne l’existence des leçons de A2 et de E (cf. Songs of Claude Debussy, p. 29 et 169). Ce passage de la mélodie est reproduit avec la même leçon dans David Michael Hertz, The Tuning of the World. The Musico-Literary Poetics of the Symbolist Movement, Carbondale, Southern Illinois University Press, 1987, p. 129 (ex. 4-30). Nous ignorons à quelle source – s’il ne s’agit pas d’une erreur, voire d’une correction arbitraire – ont pu se référer les deux auteurs.
53 La question se pose ici de savoir si le sol 4 est dièse ou bécarre. La gamme des mesures précédentes comporte un sol♯ : il s’agit d’une réalisation du set class 7-34 (selon la nomenclature d’Allen Forte) dans laquelle est entretenue une certaine équivoque quant à la tonique : ce peut être mi (auquel cas on a le mode acoustique), mais également fa♯. Le mode des mes. 25-26 est, lui, clairement établi sur fa♯, et si l’on optait, dans la partie vocale, pour sol♯4, cette note s’inscrirait dans la continuité du mouvement mélodique qui, au piano, conduit du do♯5 au fa♯4 : ‹do♯5 do♮5 si4 la♯4 (sol♯4) fa♯4› (avec do♮5 comme note de passage) – la quatrième croche se trouvant décomposée. Debussy a toutefois écrit ici, non la♯, mais si♭, soulignant les relations chromatiques (‹do♯ do♮ si si♭›). Or, il serait surprenant que la cassure qui se produit dans le discours musical à la mes. 25 (et qui marque le passage de la deuxième à la troisième strophe) ne se traduise pas par un changement harmonique. Le choix du sol♮ apparaît, à cet égard, plus vraisemblable : l’inflexion sol♯ → sol♮, à la faveur de laquelle s’établit, sur fa♯, le mode dit « andalou » (ou « phrygien majeur »), entraîne en effet, avec l’apparition du « triton » (ic6) {sol do♯}, une recomposition de la gamme faisant ressortir, dès la mes. 25, deux nouvelles structures d’intervalles (imbriquées) : la structure de tons entiers ‹do♯5 si4 sol♮4› (C21) – alors que régnait précédemment C20 – et la structure de tierces mineures ‹do♯5 si♭4 sol♮4› complétée ensuite par le mi 4 (C31) – produisant, avec fa♯, une sonorité d’accord de neuvième mineure –, qui se substitue au segment de C32 présent dans l’accord de la mes. 24 ; la relation ‹mi4 sol♮4 do♯4› est particulièrement prégnante au sein de la mes. 26 (le sol, dans la ligne de chant, a ici la valeur d’une noire). Une autre raison, touchant à l’articulation formelle de la mélodie, incite à pencher pour le sol♮ : avec cette note s’opère, en effet, le retour littéral de la configuration d’intervalles présente au début de la mélodie (mes. 5 sq.), et déjà réapparue fugitivement – un demi-ton plus bas et selon une disposition différente – à la mes. 17. Dans A2, rien n’est plus aussi explicite ; la couleur modale elle-même reste ouverte, le deuxième degré n’étant pas exprimé.
54 L’écriture de la partie de piano (main gauche) est également, dans ces deux mesures, légèrement modifiée : les doubles croches de triolet piquées sont, dans A1, notées sous la forme d’une succession de croches.
55 La valeur du ré♯5 qui marque l’aboutissement de la ligne de chant (sur la dernière syllabe du vers : « [s’apai]-ser ») est elle-même, dans A2, augmentée d’une croche.
56 La liaison, ajoutée dans E, qui unit le fa3 et le sol2 puis le si♭3 et le do3 au début des deux mesures confère à l’intervalle de septième, à cet endroit, une valeur mélodique qu’il était difficile d’imaginer dans les versions antérieures du texte. C’est ce même intervalle de septième – entre fa et sol précisément, en l’occurrence : ‹fa5 sol4› – que chantera la voix, juste après, sur « Sens-tu ».
57 C’est sans doute par inadvertance que le compositeur a noté ici des triples croches. En effet, il est difficile d’imaginer que le piano doive jouer, contre le triolet de croches de la ligne de chant, une figure décomposant ce premier temps en deux croches (= deux triolets de triples + une croche :). Plusieurs cas de figure semblables se rencontrent dans les manuscrits de travail des Études (cf. la reproduction de ces derniers dans Claude Debussy, Etudes pour le piano. Fac-similé des esquisses autographes (1915), introduction de Roy Howat, Genève, Minkoff, 1989). Dans le brouillon de l’étude pour les huit doigts, par exemple, Debussy écrit aux mes. 36 et sq. des doubles croches au lieu de triples ; ou encore : à la mes. 37 de l’étude pour les agréments, la seconde figure de la main gauche est, jusque dans le manuscrit ayant servi à la gravure, notée au lieu de (cf. Claude Debussy, Etudes, Livre I. Livre II, p. 98).
58 La graphie de A2 est ici beaucoup plus explicite que celle de E, où sont omis, de surcroît, les signes de prolongation de la portée inférieure (comme le signale déjà R. Zimmermann dans le Revisionsbericht de son édition, op. cit., p. 13).
59 On voit se manifester ici le penchant pour une raréfaction de la texture sonore qui ne cessa de s’accuser, au fil des années, dans le travail de Debussy. Le cas le plus frappant est sans doute celui des révisions successives de Sirènes, le troisième des Nocturnes (cf. à ce propos Denis Herlin, « Sirens in the Labyrinth : amendments in the Nocturnes of Debussy », dans : Debussy Studies, op. cit., p. 61 sq.). Le sujet est évoqué en des termes particulièrement suggestifs par Jean Roger-Ducasse dans une lettre à Ernest Ansermet datée du 2 juin 1949 : « Je possède les Nocturnes et la Mer, les deux partitions appartenant à Debussy et revues, corrigées de sa propre main, chaque fois qu’il les réentendait. “Mon cher Maître, lui disais-je, si vous vivez encore 20 ans, il ne restera plus de ces deux œuvres que les portées !” » (Claude Tappolet [éd.], Lettres de Compositeurs Français à Ernest Ansermet (1911-1960), Genève, Georg, 1988, p. 141).
60 Nous respectons, dans notre transcription de A2, l’usage de Debussy consistant à simplifier la notation de la partie de piano en sousentendant les ‘3’des triolets – voir, à ce sujet, les remarques de Claude Helffer dans son édition des Études : Claude Debussy, Études, Livre I. Livre II, édition de Claude Helffer, Œuvres complètes de Claude Debussy, Série I, vol. 6, Paris, Durand-Costallat, 1991, p. 93. Dans E, les ‘3’ont été ici rétablis. On notera que dans Soupir, E se conforme à A2 en explicitant les ‘ 3 ’aux mes. 13-14 et en les omettant dans les trois mesures suivantes, ainsi que dans tout le passage des mes. 23 sq.
61 Bien que les trois premières notes de la mesure soient, à la différence des trois suivantes, notées comme des noires, il est peu probable que Debussy ait songé à faire précéder le triolet de croches, à cet endroit, d’un triolet de noires (une irrégularité du débit sur les syllabes « de ton œil an-gé-[lique] » n’est guère concevable musicalement). Le 5/4 du texte final de la mes. 12 découle, quant à lui, d’une série de transformations dont rien n’indique qu’elle puisse être préfigurée dès cette étape de la rédaction.
62 En d’autres termes : les deux collections correspondent à deux segments continus du cycle des quintes symétriques autour de la♭/ ré : ‹ré♭ la♭ mi♭ si♭ fa do sol› (ligne de chant des mes. 6-10) se renverse en ‹mi♭ la♭ ré♭ sol♭ do♭ fa♭ si♭♭› – réécrit ‹ré♯ sol♯ do♯ fa♯ si mi la› – (mes. 11-12). L’intérêt porté par Debussy aux structures symétriques dans les œuvres de sa dernière période est attesté de façon éclatante par plusieurs passages de La Chute de la Maison Usher (la fin de la deuxième et dernière scène possède, à cet égard, une valeur quasi testamentaire). En deux endroits au moins, le compositeur en arrive à noter explicitement des séries de P/I dyads conformes aux deux modes d’engendrement décrits par George Perle : cf. Claude Debussy, Le Roi Lear. Le Diable dans le beffroi. La Chute de la Maison Usher, édition de Robert Orledge, Œuvres complètes de Claude Debussy, Série VI, vol. 3, Paris, Durand, 2006, p. 58 et 68 (mes. 244 sq. et 362 sq.), ainsi que p. 148 (« Planche 4a : esquisse autographe de La Chute de la Maison Usher avec inscription astrologique », figurant au f. 22 du Ms. 17726 déjà mentionné – cf. supra, note 14). Dans l’article déjà mentionné où elle traite des mélodies de Debussy d’après Mallarmé (cf. note 9), Marie Rolf signale à juste titre le rôle de « centre tonal » que joue dans Soupir, à grande et à petite échelle, le la♭ (art. cit., p. 198) ; l’exemple de « construction mélodique symétrique » qu’elle relève dans les mes. 7-10 est, toutefois, mal choisi : les suites de notes ‹do4 mi♭4 fa4› et ‹fa5 mi♭5 ré♭5 do5› ne sont pas, à la différence des configurations de tierces majeures (mes. 15) ou de quartes (mes. 27-29) également signalées par l’auteur, l’« exacte inversion » l’une de l’autre autour de la♭ (à supposer que M. Rolf ait ici à l’esprit une symétrie faussée par la structure de la gamme, comme dans le cas des inversions du sujet de L’Art de la fugue, il convient d’opposer à cela que l’originalité de la technique de composition de Debussy, dans ses dernières œuvres, est justement d’opérer avec des structures régies de façon stricte par le principe de symétrie).
63 Sur la désignation des cycles d’intervalles et des collections de classes de hauteurs correspondantes, voir supra, p. 25.
64 Cette formulation fait ressortir plus nettement encore la relation de symétrie relevée plus haut. Dans le texte définitif, la ligne mélodique partira, en levée, du dernier temps de la mesure précédente, et sa première note sera le fa5 auquel avait abouti l’ascension menant de « jonché » à « rousseur » (voir infra l’exemple 13). Le dessin ‹fa5 mi♮5 ré♯5 do♯5 si♮4› serait l’exacte image en miroir de celui qui, nous l’avons vu, constitue la leçon établie dans A1 pour « de taches de rousseur », ‹do♭5 do♮5 ré♭5 mi♭5 fa5› (cf. supra, p. 282). Or, c’est précisément cette leçon qui est modifiée dans A2 : tout se passe comme si le second chromatisme, ‹fa5 mi♮5 ré♭5›, avait été là substitué au premier, ‹do♭5 do♮5 ré♭5›, de façon à ce que se détache clairement, à la jonction des mes. 9-10, l’intervalle ‹la♭4 do5›. La décision de ne laisser subsister dans la partie de piano, à cet endroit, que les trois la♭ égrenés par la main droite s’explique sans doute, de façon analogue, par le souci d’éliminer du texte musical un élément susceptible de faire de l’ombre à cette note même (voir supra l’exemple 2).
65 Notons que sous le premier do♯ se devine un mi, voire un mélisme ‹mi do♯› (préfigurant celui du texte final, sur « le » ?), que Debussy a sans doute corrigé aussitôt, avant de noter le reste de la mesure.
66 Ce sur quoi Brăiloiu mettait l’accent à propos du système pentatonique vaut également ici : l’échelle hexatonique (sans triton) utilisée par Debussy demande à être considérée pour elle-même, et non comme une forme défective de l’échelle heptatonique. On a affaire là à autant de set classes spécifiques (5-35, 6-32, 7-35), obtenus à partir de segments continus du cycle des quintes dont l’extension varie.
67 Dans le texte final, le même enchaînement est réitéré à la mes. 10. Dans le carnet, on l’a vu, cette mesure (partie de piano) reste vide (cf. supra la note 46).
68 Ce parallèle tend à renforcer do♯ dans sa fonction de tonique, sans que l’ambiguïté qui vient d’être signalée soit pour autant entièrement levée.
69 « Monte » était réalisé de cette manière dès la première version (♩. ♪ en début de mesure) – cf. supra l’exemple 12.1.
70 Le ‘3’du triolet n’étant pas noté dans l’esquisse, d’autres lectures sont évidemment possibles ; le triolet pourrait ainsi être sous-entendu dès p5a (annonçant le 5/4 de la version finale), ou encore se placer sur les deux premières noires de p5b. On pourrait être tenté, par ailleurs, d’interpréter la note centrale de p5b comme un fa précédé d’un double dièse – mais que faire, dans ce cas, du signe noté devant ce double dièse, qui, à l’évidence, n’est pas une tête de note avec sa hampe ? Y voir une barre de mesure écrite d’un seul geste avec l’altération qui suit donnerait une leçon peu satisfaisante rythmiquement. Aussi nous en tenons-nous, dans notre commentaire, à la lecture que nous jugeons la plus plausible. Quant à l’insistance de Debussy à noter un dièse devant sol (alors que nulle part fa n’en est pourvu), elle peut s’expliquer par le rôle particulier que joue cette note dans le passage, à moins que le compositeur n’ait voulu signifier par là qu’il écartait une autre option possible, avec sol♮ (voire fa♮ ), qui eût privilégié les structures de tons entiers, et mis fortement en relief l’intervalle de triton – justement évité avec soin dans le passage –, tout en inscrivant la ligne de chant, à partir du do♯, dans la gamme C31,2.
71 Sur la transcription de la première mesure de cet exemple, cf. supra, note 48.
72 Ce crescendo n’est pas, dans E, noté de façon exacte (il n’a pas à être maintenu pendant la durée du mi♮).
73 Il est fort possible qu’aient été gommées ici, non pas une, mais plusieurs leçons, que le document ne permet, ni d’identifier avec précision, ni même de distinguer.
74 Cf. la manière dont est tracé, bien au centre des trois portées, le premier signe (impliquant que soient également répétées les deux noires de triolet de la troisième portée). Le compositeur a pu noter ces deux mesures sans rien inscrire encore dans la partie vocale, tout en ayant déjà une idée de ce que serait l’extension, et même le contour mélodique de la ligne de chant correspondant à l’alexandrin tout entier.
75 La mesure barrée présuppose celle qui précède (cf. la ligne ‹sol4 la♮4 do5›), qui à son tour présuppose la réécriture de la mesure initiale, avec sol4 puis sol♭4 au sommet des accords. Dans la leçon antérieure, que l’on distingue assez aisément, le premier accord ne comportait pas de sol4, et le second (qui a été gommé) était, lui, un accord de trois notes, ‹sol♭3 si♭3 do4›, formant, avec les mi♮ arpégés de la main droite, une structure de deux tritons à distance de tierce majeure. Ces mi♮ arpégés étaient, quant à eux, notés sous la forme, non d’un mouvement continu de croches de triolet, mais d’une succession de noires de triolet dont les deux premières étaient subdivisées en croches : ce rythme apparaît tel quel à l’intérieur de la seconde blanche (où il n’a pas été corrigé) ; dans la première moitié de la mesure, sont encore bien visibles les liaisons unissant les croches deux par deux (le tracé des ligatures laisse au demeurant supposer que la troisième noire ait pu, elle aussi, être ici, à un certain moment, subdivisée en deux croches).
76 Plus précisément, c’est d’abord le changement de tonique (mi♭ → do ) qui fait que mi♮ acquiert, au début de la mesure, un nouveau statut : il y devient la tierce d’un accord parfait majeur qui, en soi, peut encore être rattaché à C30,1. L’appartenance de mi♮ à C40 ne devient patente que lorsqu’à cette triade majeure de do s’enchaîne la triade majeure de la♭, et que se forme ainsi, dans la mesure, une collection pentatonique (5-21) dont C40 est un sous-ensemble remarquable. Dans la version alternative de p5, dont Debussy n’a pas réécrit la partie de piano, l’accord de la♭ n’aurait pu se placer, à deux reprises, que sur la seconde blanche, comme dans les enchaînements des mes. 9-10 et 13.
77 Il est peu probable que le mélisme de trois notes se place sur « vers ». Debussy n’ayant noté aucun mot du poème, notre proposition reste, toutefois, conjecturale.
78 Que cette variante ait été notée dans un dernier temps, l’indique la présence du bécarre devant le premier mi de p5 (qui eût été superflu si ce mi♮ était venu juste à la suite de l’autre). Debussy y avait d’abord écrit, pour « Fi-[dèl’] », un sol4, qu’il a aussitôt remplacé par ré♭4. Outre que l’intervalle ‹ré♭4 sol4›, du fait de sa tension particulière, donne plus de relief au premier mot du vers, se trouve non seulement conservée, mais rendue plus prégnante encore, grâce à lui, la structure de tierces mineures qui va, aussitôt après, s’ouvrir et s’éclairer avec le déploiement vers l’aigu de Φ. Le si♭ chanté une octave au-dessus de celui du piano compromettait l’effet de contraste, souligné par le registre, entre les deux cycles présentés en position serrée : C31 (dans le médium grave) et C40.
79 Nous reproduisons dans cette transcription les traits verticaux (« pointes » de staccatissimo) dont Debussy a, dans A2, pourvu sans équivoque les mi♭3 joués sur le deuxième temps des mes. 13 et 14. Ce signe disparaît dans E, où il est remplacé, à la mes. 14, par un simple point de staccato, le mi♭3 de la mes. 13 restant, quant à lui, vierge de toute indication. Consulté à ce sujet (entretien téléphonique du 10 novembre 2010), Jean-Efflam Bavouzet juge douteux qu’il faille ici suppléer (comme le fait R. Zimmermann qui, sans le préciser dans son apparat critique mais de façon tout à fait logique, conserve également à la mes. 14 la leçon de A2 ) cette « pointe » de staccatissimo que Debussy n’utilise que très rarement dans ses pièces pour piano, et qui, dans le contexte particulier du passage concerné, induit une attaque sèche peu compatible avec la nuance pp et l’utilisation de la pédale ; que manque dans E le point de staccato du premier mi♭3 paraît, en revanche, probable.
80 La blanche réalisant l’e caduc de « Fidèle » sera, elle aussi, réduite à la valeur d’une noire (suivie d’un soupir).
81 Il est particulièrement intéressant de comparer avec ce que fait ici Debussy – dans l’une et l’autre version – la manière dont Ravel met en musique le même alexandrin dans ses propres Poèmes de Mallarmé (Soupir, chiffre 2 = mes. 12-16).
82 Il est fort possible que la rédaction de cette partie de chant ait précédé la réécriture de celle de la mes. 15 (voir supra, p. 285 et l’exemple 4).
83 La collection tout entière se déploie au sein de la figure syncopée de quatre accords, répartie sur deux mesures, que joue le piano, et dont la crête reproduit en écho la ligne de chant. Dans un premier temps, Debussy avait pensé inscrire cette figure – écrite – à l’intérieur même de la mesure. Il s’est aussitôt ravisé, biffant le trait qui reliait les quatre hampes, sans toutefois corriger le quart de soupir noté au début de la portée (main gauche), ni pourvoir la hampe du deuxième accord d’un crochet (comme dans le cas du quatrième).
84 À la fin du « Nocturne » de Daphnis et Chloé (chiffre 81), Ravel recourt à la même échelle en exploitant l’autre possibilité, c’est-à-dire en interprétant modalement le set class de telle sorte que la note étrangère à la collection de tons entiers constitue, non le 1er, mais le 5e degré du mode, ici établi sur do : {do ré mi fa♯ sol la♭ si♭}.
85 À la troisième mesure, ont été également gommés, dans le grave, un sol♯ suivi d’un fa♯, qu’il est difficile d’interpréter. S’ils appartiennent bien, comme on est tenté de le penser, à la première strate, et viennent, dans ce cas, faire écho au la♭ et au sol♭ entendus à la crête des accords, soulignant le mouvement qui va ici aboutir au mi, se pose la question de savoir comment les deux notes se placent rythmiquement. Si le sol♯ semble tomber sur le second temps de la mesure, qu’en est-il du fa♯, noté quasiment sous la barre de mesure ? S’agissait-il d’une double croche, ou d’une petite note précédant le mi4 ?
86 Sont en effet tracées à l’encre bleue, sur la page tout entière, toutes les notes de la partie de chant (au demeurant incomplète, on va le voir), à l’exception du ‹mi4 mi♭4› de la troisième mesure (= mes. 21) et du ré4 qui suit. Il est vraisemblable que la nouvelle réalisation de « coup prisonnier recule » soit le premier segment de texte que Debussy ait noté sur la page. Qu’il ait commencé par écrire un triolet de croches peut donner à penser qu’il n’a pas songé d’emblée à modifier le rythme de la version antérieure (la présence, au début de la portée, d’une croche tracée au crayon mine qui semble devoir être un la (♭ ?) – mais la tête de la note manque – pourrait même indiquer que dans un tout premier temps le texte à élaborer repartait de cette note même). L’espacement des deux noires notées dans la deuxième mesure (mes. 20) incite cependant à penser que la transformation du triolet de croches en triolet de noires fut opérée dès le premier jet. La partie de piano des deux premières mesures a, en tout cas, été rédigée une fois effectuée cette correction. Notons encore que la suite de la ligne de chant présuppose, à son tour, ces deux mesures initiales de la partie de piano, étant donné l’absence de dièses devant sol et fa.
87 Dans le texte final, Debussy retouchera la ligne de chant de la fin de la mes. 18, la faisant s’infléchir vers le grave par la substitution, au dernier la♭4, d’un sol♭4 – d’où il résulte que se forme, mélodiquement, le même tétracorde {0 2 6 8} qui retentit aussitôt après, sous forme d’accord, dans la partie de piano (mes. 19). La disposition est, dans les deux cas, symétrique : ‹do5 la♭4 sol♭4 ré4› à la voix, ‹fa♯3 do4 ré4 sol♯4› au piano.
88 Hormis ce do♯, seuls, dans la ligne de chant, sont étrangers à C20, depuis le début du quatrain, le fa et le la de la mes. 17.
89 Voir déjà, à ce propos, le début de la note 53 (supra, p. 604). L’« incertitude de la tonique » – pour reprendre l’expression de Brăiloiu – réside dans le fait que le glissement de mi à fa♯ ne sonne pas de façon univoque comme une « modulation » – la première gamme {mi fa♯ sol♯ do ré}, qu’il serait plus pertinent d’écrire {do ré mi fa♯ sol♯}, étant, dans ce cas, transposée et augmentée de la quinte {fa♯ sol♯ la♯ do♯ ré mi } –, mais peut s’entendre, tout aussi bien, comme un mouvement s’accomplissant au sein de la perspective de mi, et s’accompagnant d’une inflexion modale – do devient do♯ – à la faveur de laquelle s’établit le mode acoustique (le 5e degré si n’apparaît, lui, qu’à la mes. 24, où ressort clairement, sur les parties faibles de temps, la sonorité de la triade majeure de mi : ‹sol♯3 mi4 si4›, puis ‹mi2 sol♯5›).
90 Cf. supra, p. 285.
91 Il semblerait qu’au début de la rédaction d’Éventail, dans A1, Debussy ait hésité entre la mesure à 2/4 finalement adoptée et une mesure à 4/4 (voire une alternance de mesures à 4/4 et à 2/4) : les mes. 5-6 du texte final constituent ainsi, dans la partie de piano (f. 40v), une seule et unique mesure, et cela vaut aussi, pour les trois portées cette fois, des mes. 8-9 (f. 41r, début du premier système). Dans la suite du texte, plusieurs repentirs concernent également les barres de mesure : certaines d’entre elles ont été gommées ou biffées, d’autres ont visiblement été ajoutées par la suite (comme le prouve l’inégalité du tracé). S’agissant de l’élaboration des mes. 12 sq., notamment, il est difficile de savoir si telle ou telle leçon ne s’inscrivait pas, à l’origine, dans une mesure à 4/4 (cf. f. 41r, charnière des premier et second systèmes).
92 Ce caractère furtif est souligné, dans A2, par la dynamique (pp ˃) et l’attaque (staccato).
93 Il est probable que le si 4 noté dans un premier temps par Debussy à la fin de la deuxième mesure, à l’intérieur de ce qui devait être un triolet de croches – avec un mélisme sur « plon-[ge] » –, n’ait été biffé que lors du passage de A1 à A2 (ou d’un manuscrit intermédiaire), sans que soit explicité plus avant, dans le carnet, le remaniement. Dans ce premier texte, le si♯4 et le do5 doivent être compris comme notes de passage : si♯ entre si et do♯, do♮ entre do♯ et si. Que lors de la révision Debussy ait conservé le do♮ s’explique sans doute par le fait que l’intervalle qui se forme entre cette note et le fa♯ 3 est implicitement ici une quinte diminuée, fa♯ la do♮, et non une quarte augmentée, fa♯ si♯. À la mesure suivante (où, notons-le, manque dans la ligne de chant de A1, au sein du premier temps, une double croche), le la♮4, au lieu de sol* (en levée du la♯), est lui-même, graphiquement, ambigu : il revient à suggérer la présence d’un segment de gamme octotonique, fa♯ sol la la♯ do♮ do♯, ce qui, compte tenu du rôle que joue dans l’introduction du piano (mes. 2-4) la gamme en question, n’a rien de surprenant. Si l’on interprète le la (= sol* ) comme « note étrangère », la structure de la gamme (avec si et ré) est celle du mode andalou (cf. supra la note 53). L’intention manifeste du compositeur est, dans tout le recueil, de cultiver l’équivoque.
94 La partie vocale de la mes. 9 a été, dans A1, beaucoup retouchée. S’il est très difficile de lire les leçons (deux, apparemment) antérieures au texte finalement établi, il semble bien, cependant, que l’idée première du compositeur ait été d’amener le do de « [men]-son-[ge] » par un mouvement chromatique descendant, ‹ré♭5 do5›. On notera, par ailleurs, que la durée des deux sol♯ a été, dans A2, écourtée, à l’évidence pour des raisons d’ordre prosodique : dans A1, le sol♯ de la mes. 8 est une noire, et celui de la mes. 10 se prolonge par une liaison sur la première double croche de la mesure suivante. Il est intéressant d’observer que, dans tous les cas de figure, la mise en musique du vers de Mallarmé confère plus de poids, paradoxalement, à la dernière syllabe de « [menson]ge » – qui est, en position finale, une syllabe muette – qu’à celle de « [Sa]che », qui, bien qu’atone, est articulée en tant que telle au sein de l’octosyllabe.
95 Debussy, en vérité, ne note les dièses dans aucun des deux passages. Seul le sens musical conduit à les suppléer, plutôt que d’imaginer que l’on puisse avoir affaire, là aussi, au système de fa♮.
96 Sur la relation qui s’établit très tôt, chez Debussy, entre l’accord de 9e majeure et le mode de sol, voir « Structures d’intervalles et organisation formelle chez Debussy : une lecture de Sirènes », supra, p. 249 et passim.
97 La présence affirmée de la quinte ‹mi♭ si♭› dans le grave, ne laisse pas de conférer à l’enchaînement, dans le même temps, un caractère plagal. On notera qu’une leçon antérieure comportait, sur le premier temps de la mes. 44, un mi♭2 blanche, qui a été biffé.
98 Le crescendo amenant le la est lui-même ajouté dans E à la mes. 59.
99 Dans les dernières mesures de la mélodie (telles qu’elles seront finalement mises au point), le complexe sonore des mes. 59-60 se modifie légèrement (do♯ devient do♮ à la mes. 61), et surtout se raréfie progressivement (disparition du la à la mes. 61, puis du do♮ à la mes. 63), tandis que se déploie dans l’aigu, au-dessus du mi4, C43. L’effet est celui d’une suspension, sans repère tonal bien défini, et à la limite de l’audible – cf. l’indication à peine et le decrescendo ajoutés dans E, respectivement au début de la mes. 63 et à la mes. 64 (sur la réécriture, dans A2 déjà, de la partie de piano des mes. 61-62, voir supra p. 289 et l’exemple 10).
100 Debussy a, pour ces notations, utilisé l’encre bleue.
101 Lors de ce remaniement (sans doute contemporain de la rédaction du texte attesté dans A2), Debussy a simplement transformé le fa5 du premier accord en blanche, ajouté sur ce qui devenait le troisième temps de la mesure (en omettant la liaison) un nouveau fa5 croche (valant pour tout l’accord), qu’il a relié, par une ligature notée au dessus de la portée, aux notes supérieures des trois accords suivants, pourvues de nouvelles hampes. Les leçons de t1 et de t2 diffèrent en outre, sur le plan rythmique, par le fait que dans t1 l’accord initial est joué dès le début de la mesure, et non sur le 2e temps, ce qui implique une respiration plus ample (la grappe de mi – sans doute six croches de triolet –, du mi4 au mi7, a, selon toute vraisemblance, été notée dans un second temps, en même temps que se trouvait allongée – et inscrite, dès lors, dans un 3/4 ? – la valeur de la blanche initiale).
102 Notons que rien, a priori, n’interdirait de lire ici cette ligne de chant elle-même ‹mi♮ fa♯ etc.› (en supposant une armure de quatre ♯ au lieu de quatre ♭). Nous n’avons pas envisagé cette possibilité au début de l’article, où le point de vue adopté était tout à fait différent (cf. supra, p. 281 sq.).
103 Ce type d’écriture caractérisé par une succession d’accords ne se retrouve, à l’intérieur de la mélodie, que dans la partie « un peu plus animée » (mes. 18-22) où sont mis en musique les vers « Vers l’Azur attendri d’Octobre pâle et pur | Qui mire aux grands bassins sa langueur infinie ». Encore la complexion des accords est-elle ici sensiblement plus riche et plus différenciée que ce n’est le cas dans les trois mesures d’introduction.
104 On notera que, dans E, le double mi♭ n’est pas réattaqué sur le premier temps de la mes. 5 : seul le la♭1 retentit une nouvelle fois. S’agissant, cette fois, du texte même de E, signalons qu’y sont notées de façon peu claire les liaisons prolongeant la durée de ce même double mi♭ (celle du mi♭2 en particulier) de la mes. 5 à la première noire de la mes. 6. Notre transcription améliore le texte à cet endroit (indiqué par un astérisque), en se conformant néanmoins à la graphie de la partition éditée, et non pas à celle, plus explicite, de A2.
105 Nous sommes reconnaissants à Denis Herlin (CNRS-IRPMF, Paris) de nous avoir permis de mener à bien la présente étude, en mettant à notre disposition les documents nécessaires et en nous fournissant diverses informations utiles. Nous remercions également François-Pierre Goy et Gabriela Elgarrista (Bibliothèque nationale de France, Paris), Denis Vermaelen (Université François-Rabelais, Tours), ainsi que Jean-Efflam Bavouzet, de nous avoir aidés à préciser tel ou tel point de détail.
1 Texte paru dans : Cahiers Debussy, 35, 2011, p. 9-82.