1 Voir surtout à ce sujet les études de David Lewin, qui insiste notamment sur la présence au sein du mouvement d’une « structure quasi isorythmique » (David Lewin, « A Metrical Problem in Webern’s Op. 27 », Music Analysis, 12/3, 1993, p. 345-348), et de Andrew Mead, qui s’efforce de construire un « schéma compositionnel » (compositional design ) propre à rendre compte de la reprise da capo des deux sections (Andrew Mead, « Webern, Tradition, and “Composing with Twelve Tones...” », Music Theory Spectrum, 15/2, 1993, p. 179-187). Cf. également la manière dont Peter Westergaard décrit l’agencement formel de la composition sur la base de sa « structure d’intervalles à grande échelle » (large scale intervallic structure) (Peter Westergaard, « Webern and “Total Organization” : An Analysis of the Second Movement of the Piano Variations, Op. 27 », Perspectives of New Music, 1/2, 1963, p. 118-120).
2 Westergaard (p. 112) souligne l’« organisation serrée » (tightly knit organization) qui caractérise le mouvement (tightly knit est l’équivalent anglais du festgefügt allemand – cf. supra, p. 528 [note 58] et p. 553 [note 54]).
3 Cf. Tiina Koivisto, « The Defining Moment : The Thema as Relational Nexus in Webern’s op. 27 », In Theory Only, 13/1-4, 1997, p. 29.
4 Voir à ce sujet Hans and Rosaleen Moldenhauer, Anton von Webern. A Chronicle of His Life and Work, London, Gollancz, 1978, p. 482 sq.
5 Sur le mode de désignation des formes sérielles adopté ici, voir supra, p. 25. Les couples de formes R/RI choisis dans le deuxième mouvement de l’opus 27 étant toujours symétriques par rapport à mi♭/ la♮ (= 3/9), la somme des chiffres reste, pour chaque dyade, égale à 6 (= 18) – cf. à ce propos George Perle, Twelve-Tone Tonality, Berkeley-Los Angeles, University of California Press, 2e édition, augmentée, 1996 [1re éd., 1977]), p. 8, ainsi que Milton Babbitt, « Twelve-Tone Invariants as Compositional Determinants », dans : The Collected Essays of Milton Babbitt, Stephen Peles (éd.), Princeton-Oxford, Princeton University Press, 2003, p. 63 (1re publication en 1960). La Reihentabelle utilisée par Webern pour l’opus 27 est reproduite dans Kathryn Bailey, « Webern’s row tables », dans : Kathryn Bailey (éd), Webern Studies, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, p. 203-205. Il est intéressant de noter que mi♭ et la♮ sont les notes mêmes autour desquelles Webern dispose dans son tableau les formes 1-4 et 5-8, puis – par 8 – les formes 9-16, 17-24, etc. Ces notes, souvent investies chez Webern d’une fonction particulière (cf. notamment le premier mouvement de la Symphonie op. 21), renvoient très probablement aux initiales de Schönberg : la♮ = A, mi♭ = S (Es).
6 Cf. Koivisto, p. 50 sq.
7 Milton Babbitt, « Some Aspects of Twelve-Tone Composition », dans : The Collected Essays of Milton Babbitt, p. 42 (1re publication en 1955). Sur les « ensembles sources » dits « all-combinatorial », voir supra, p. 561 (note 12).
8 Koivisto, p. 30.
9 Ibid., p. 33-35.
10 Ibid., p. 52.
11 Voir à ce sujet George Perle, « Webern’s Twelve-Tone Sketches », dans : The Right Notes, Stuyvesant, NY, Pendragon Press, 1995 (1re publication en 1971), p. 130 sq. La même remarque s’applique, en vérité, aux séries de l’op. 24, de l’op. 28 et de l’op. 30.
12 On pourrait bien sûr, de façon analogue, structurer la série en fonction d’un tétracorde de type [0,3,6,9], en cessant de donner la priorité aux secondes mineures. Il ne semble pas que cette possibilité soit exploitée de façon significative dans le deuxième mouvement de l’op. 27.
13 Je nomme à partir d’ici ε0 le tétracorde [0,1,6,7], ε1 le tétracorde [1,2,7,8], etc. ; ε2,3 signifie, plus loin : combinaison (autour du la♮ comme note pivot) de ε2 et de ε3, ε1,4 : combinaison (idem) de ε1 et de ε4, etc.
14 Roy Travis reconnaît à ces deux dyades, respectivement, le statut de « Tonic Dyad » et de « Polar Dyad » (Roy Travis, « Directed Motion in Schoenberg and Webern », Perspectives of New Music, 4/2, 1966, p. 89 et exemple 10) ; sur le rôle des hauteurs qui les composent dans l’organisation interne du mouvement, voir également Westergaard, p. 120, Lewin, p. 348 sqq., ainsi que, supra, p. 205 sq. et 208, « Le choix des registres dans le 2e mouvement des Variations pour piano op. 27 de Webern : ce que disent les esquisses ».
15 Sur l’usage des chevrons et des accolades pour noter les collections de hauteurs ou de classes de hauteurs, voir supra, p. 25.
16 Cf. Mead, p. 185 ; la même dyade (inversée), appartenant au premier versant de la structure, est jouée les deux fois (mes. 4 et mes. 15) – elle aussi sur le deuxième temps du 2/4 – sous la forme d’une figure de croches liées, p, juste après les accords (ce sont ces accords qui, mes. 15, déterminent le changement de registre des deux notes : ‹mi♮5 ré♮4›).
17 Le statut particulier des figures « aux petites notes » des mes. 2-3 et 8 est justement souligné par Westergaard (p. 110 et p. 116).– Les figures que dessinent deux à deux, dans a, les dyades de z sont identiques quant au rythme, au mode de jeu et à la dynamique, et bien sûr les notes successives au sein de chaque « voix » sont toujours séparées par un intervalle de la même classe (= ic 1) ; mais les intervalles qui se forment de part et d’autre du la♮ axial sont, quant à eux, variables : par exemple, a) mes. 5-6, ‹sol♯3 si♭5› = deux neuvièmes mineures et ‹sol♮6 si♮2› = deux septièmes mineures redoublées + transversalement ‹sol♯3 si♮2› et ‹si♭5 sol♮6› = deux sixtes majeures ; b) mes. 10-11, ‹do♯4 fa♮5› = deux sixtes mineures et ‹do♮5 fa♯4› = deux tierces mineures + transversalement ‹do♯4 fa♯4› et ‹fa♮5 do♮5› = deux quartes justes.
18 Aux mes. 12-13, la première dyade de z est accolée à la deuxième dyade de y ; à la mes. 18, sib5 et sol♯3 sont à leur tour « petites notes ».
19 Cf. Koivisto, p. 36-41 et p. 51, et Mead, p. 184.
20 La combinaison des formes R/RI engendre d’un bout à l’autre du mouvement, du fait du choix de l’« inversional value » 6 – cf. ci-dessus la note 5 –, les sept dyades la♮/ la♮, si♭/ sol♯, si♮/ sol♮, do♮/ fa♯, do♯/ fa♮, ré♮/ mi♮ et mi♭/ mi♭ ; dans chaque couple de formes, deux de ces dyades (la♮/ la♮ et mi♭/ mi♭) sont présentes une fois, les cinq autres deux fois.
21 Mead, p. 184 ; de même Koivisto, p. 51 : « Le début et la conclusion présentent le même rythme de changement [des dyades au sein des hexacordes] : le plus rapide, tandis que la troisième paire de formes sérielles présente un rythme de changement opposé : le plus lent. »
22 Koivisto, p. 50 (cf. l’exemple 18b).
23 Les esquisses du mouvement montrent que Webern a un moment songé, dans b, à poursuivre avec R0/RI6 (= 30/28 dans la numérotation du compositeur lui-même) la série des transpositions à la quarte (Skizzenbuch 4 [Bâle, Fondation Paul Sacher, Collection Anton Webern], p. 55) – voir à ce sujet infra, p. 229.
24 La version définitive du passage, dans le cahier d’esquisses (p. 55), porte à côté de la dernière dyade si♭5/ sol♯3 l’indication « 16 und 4 »/« 10 und 2 » (= RI10 et RI3/R8 et R3) qui ne peut renvoyer qu’au tout début du mouvement, et non au début de b, où c’est avec 34 et 40 (= R5 et RI1) que se fait la reprise da capo.
25 Peut-être est-ce là une façon de rendre compte de la « fausse simplicité » qu’Adorno, par ailleurs très critique à l’égard de ce qu’il juge être chez Webern – à partir de la Symphonie op. 21 – un « fétichisme du matériau », soupçonne néanmoins dans des œuvres comme le Quatuor op. 28, ou justement les Variations op. 27 : « Face à Webern, il convient d’être patient. Il serait téméraire de vouloir, sûr de soi, porter un jugement sur le Quatuor ou les très voisines Variations pour piano. Rien de plus difficile en musique qu’une telle simplicité : que de savoir si elle est le but ultime auquel on peut atteindre, ou le retour fatal d’un état préartistique. Il se peut que Webern ait, malgré tout, eu raison, que la compréhension soit à la traîne derrière lui. » (Webern gegenüber ziemt Geduld. Vermessen wäre es, über das Quartett und die nächstverwandten Klaviervariationen selbstgewiß zu urteilen. Nichts schwieriger in Musik als solche Simplizität : das Urteil darüber, ob sie das letzte Erreichbare sei oder die fatale Wiederkehr eines Vorkünstlerischen. Webern kann trotz allem Recht gehabt haben, das Verständnis kann hinter ihm herhinken.) (Theodor W. Adorno, « Anton von Webern », dans : Klangfiguren [Gesammelte Schriften, vol. 16], Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1978, p. 122 sq. [1re publication en 1959] ; trad. française : Figures sonores, Genève, Contrechamps, 2006, p. 100 [traduction modifiée]) ; voir également, à ce sujet, « Énoncé musical et mode (s) de structuration de l’espace sonore, ou : de la relation composition/cognition dans un fragment de l’opus 28, I de Webern », supra, p. 203.
26 C’est là la thèse que défend Lewin, qui décrit – à la suite de Catherine Nolan (Hierarchic Linear Structures in Webern’s Twelve-Tone Music. Ph. D. diss., Yale University) – la structure d’intervalles sur laquelle repose selon lui le mouvement comme formée de deux cycles continus d’intervalles 5 + 6 (= quarte + triton) : ‹ré♮3 la♭3 do♯4 sol♮4 do♮ 4›/‹fa♯4 si♮4 fa♮5 si♭5 mi♮6› ; cette analyse conduit Lewin à considérer les deux premiers accords comme une « harmonie de substitution » (avec do♮ et fa♯ au lieu de si♮ et sol♮), et les deux derniers comme une « appoggiature » de la structure jouée aux mes. 17-18 (« A Metrical Problem in Webern’s Op. 27 », p. 350-353).
27 Les esquisses du mouvement s’étendent sur trois pages du Skizzenbuch 4 : dans l’ordre les pages 53, 56 et 55 (Webern, on le sait, avait pour habitude dans ses cahiers d’esquisses d’écrire d’abord sur la page de droite, puis de continuer sur la page de gauche). La première esquisse est datée du 25 août (1936), la dernière du 5 septembre.
28 Cf. supra la note 20.
29 On obtient, en superposant les deux enchaînements présentés ici à la suite l’un de l’autre, un agencement très proche de celui de la section b du deuxième mouvement.
30 L’image est celle d’une distribution aléatoire, « toujours différente », – comme lorsqu’on jette les dés – de groupes de deux notes « dont chacun garde son caractère » : « “durcheinanderwürfeln, immer anders” von Zweiergruppen, deren jede ihren eigenen Charakter behält. » (Anton Webern, Variationen für Klavier, Op. 27, Peter Stadlen [éd.], Wien, Universal Edition [n° 16845], 1979, p. 6a).
31 Voir en annexe le tableau de l’ensemble des formes utilisées par Webern pour le mouvement (esquisses et version finale).
32 En demandant avec insistance, au nom du « caractère » recherché, que le pianiste, malgré le tempo extrêmement rapide, joue les deux motifs en croisant les mains (cf., dans la partition éditée par Stadlen, la remarque relative aux mes. 12-13), Webern poursuit en fait un double but. Le geste n’a pas seulement, en effet, une fonction expressive (jouée confortablement, la figure – si distendu que soit l’intervalle – serait dépourvue de toute tension) : il est également fonctionnel, en ce qu’il réalise – la rendant visible, et du même coup audible – la symétrie par rapport à l’axe horizontal que constitue le la♮4 (les quatre notes formeraient autrement un simple palindrome).
33 Sur le rôle de second pôle d’inversion que joue dans cette version le mi♭ 4, voir « Le choix des registres », supra, p. 206.
34 Le texte (toujours en C barré) est ici noté en noires, et non plus en croches ; la mesure contenant la dyade initiale si♭5/ sol♮3 étant numérotée 1, la première partie reprise da capo compte douze mesures (et non onze comme dans la partition imprimée).
35 Voir dans « Le choix des registres », supra, p. 207 sqq., la transcription et l’étude détaillée des mes. 9-11 de l’esquisse.
36 Les indications « und 34 » et « 40 » qui apparaissent également à la mes. 12 (p. 56, dernière mesure du 2e système) ont été, selon toute vraisemblance, ajoutées après coup par le compositeur, lorsqu’il a conçu la nouvelle version des mes. 13 sqq. qui est notée à la p. 55 (voir plus loin).
37 Ibid, p. 207.
38 Le texte de cette esquisse correspond à une version retouchée des mes. 9-11, qui n’est pas encore la version définitive (ibid., p. 208 sq.) ; cf. aux mes. 9-10 = 20-21 le jeu sur la répétition de la dyade sol♮6/ si♮2, qui conditionne ici la position des deux accords centraux.
39 Moldenhauer, de façon surprenante, présente cette esquisse datée du 2 septembre comme constituant déjà le texte de la section b, que Webern ne fera plus ensuite que « réviser » : « Quand Webern entreprit la rédaction de la version définitive le 1er septembre […], il l’avait si bien mise au point mentalement qu’elle fut achevée le jour suivant. Y réfléchissant après coup (by way of an afterthought), il révisa les fins des deux sections du mouvement (dont chacune est répétée). Le texte porte la date finale du 5 septembre 1936. » (Anton von Webern, p. 483). L’erreur d’interprétation est ici manifeste.
40 Si l’on excepte la dernière dyade, le texte des deux esquisses est rythmiquement identique (les deux voix du canon sont simplement inversées) ; en ce qui concerne les hauteurs, un écart apparaît aux mes. 15-16 (= 4-5) de la nouvelle esquisse, du fait que tous les motifs s’ordonnent désormais autour du la♮4. L’esquisse du haut de la p. 55, jusqu’au premier temps de la mes. 18 (= 7), est également très proche, par ailleurs, de la version définitive, où tout le début – jusqu’aux accords – est simplement décalé d’une noire. Ce décalage, il est vrai, suffit à rapprocher l’une de l’autre les figures aux notes répétées (si♮2/ sol♮6, puis ré♮4/ mi♮5 – cf. la manière dont Webern entoure ces deux notes à l’intérieur des accords, tout comme plus loin de nouveau le si♮4 et le sol♮4, dans la partition éditée par Stadlen), en même temps que s’estompe, de son fait, la similitude rythmique – encore soulignée dans un premier temps (comme dans l’esquisse de la p. 56) – entre le début de b et celui de a. Notons, en outre, le deuxième accord écrit p dans l’esquisse du 1er système.
41 La réécriture de la mes. 11, à cet endroit de l’esquisse, a précisément pour but de faire en sorte que la position des mains sur le clavier, au moment de jouer le sol♯3/ si♭5, soit celle que prévoit la suite du texte (c’est-à-dire la version des mes. 13-23 notée p. 56).
42 Dans la « Badinerie » de la Suite en si mineur de Bach, que Webern dit à Peter Stadlen avoir eu sans cesse à l’esprit en composant le deuxième mouvement de l’opus 27 (Variationen für Klavier, p. III), la partie B a, de fait, une extension plus grande que la partie A.
43 L’inversion des deux voix du canon, de la mes. 17 à la mes. 20, semble bien avoir pour fonction, non seulement de préserver l’identité de la figure ‹ré♮3 mi♮6› (avec les petites notes), qui ponctue à diverses reprises le déroulement de la composition (= y délimite des unités : cf. ici encore les annotations portées par Webern sur la partition de Stadlen), mais également de faire sonner comme au début du mouvement le ‹si♭5 sol♯3› qui précède les deux la♮ (mes. 18), et surtout les deux accords joués ff (mes. 19-20).
44 En plaçant les deux accords dans le médium, à la mes. 10 de l’esquisse, Webern évite de rendre mobile à son tour le la♮, mais non le sol♯ et le si♭.
45 Voir à ce sujet « Désintégration et reconstruction de la phrase musicale chez Webern », supra, p. 176 sqq.
* Texte paru dans : Revue Belge de Musicologie, LII, 1998, p. 101-123.