1 Georg Lukács, « ‘Größe und Verfall’des Expressionismus », dans : Werke, vol. 4, Neuwied, Luchterhand Verlag, 1971, p. 144. C’est dans les poèmes et dans le théâtre d’August Stramm que cette réduction au mot isolé est poussée le plus loin ; voir par exemple le passage consacré à cet écrivain dans l’ouvrage de Helmut Motekat Experiment und Tradition. Vom Wesen der Dichtung im 20. Jahrhundert, Frankfurt am Main-Bonn, Athenäum Verlag, 1962, p. 90 sqq.
2 Adorno évoque pour caractériser la « situation expressionniste » la manière dont la musique « sent le sol se dérober sous ses pas » ; cf. « Mahler (Discours de Vienne) », dans : Theodor W. Adorno, Quasi una fantasia, trad. française, Paris, Gallimard, 1981, p. 100 sq. L’image du sismographe, chère à Adorno – voir par exemple Philosophie de la nouvelle musique, trad. française, Paris, Gallimard, 1962, p. 53 (Philosophie der neuen Musik [Gesammelte Schriften 12], Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1976, p. 47), ou encore Mahler. Une physionomie musicale, trad. française, Paris, Les Éditions de Minuit, 1976, p. 43 – apparaît dès 1911 dans le Traité d’harmonie de Schönberg, mais dans un tout autre contexte : le compositeur l’applique en effet à l’« oreille des impressionnistes », qu’il compare à un sismographe ultra-sensible (Harmonielehre, Wien, Universal Edition, 7/1966, p. 481).
3 Dans le cas de la peinture, ce sont les règles de la perspective que commence par rejeter l’artiste expressionniste, et avec elles l’« objectivité » que confère à l’image la reconstruction de l’espace réel à trois dimensions ; voir à ce sujet Erwin Panofsky, « Die Perspektive als ‘ symbolische Form’ », dans : Aufsätze zur Grundfragen der Kunstwissenschaft, Berlin, Wissenschaftsverlag Volker Spiess, 3/1985, p. 125 (trad. française, La perspective comme forme symbolique, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975, p. 180).
4 Arnold Schönberg, Préface aux Six Bagatelles pour quatuor à cordes op. 9 de Webern, Wien, Universal Edition (Philharmonia no 420), p. 2.
5 Anton von Webern, Der Weg zur neuen Musik, Willi Reich (éd.), Wien, Universal Edition, 1960, p. 57 sq. ; trad. française dans : Anton Webern, Le Chemin vers la nouvelle musique et autres écrits, Philippe Albèra et Georges Starobinski (éds.), Genève, Contrechamps, 2008, p. 47.
6 On lit par exemple dans l’ouvrage d’Henri-Louis Matter : « En 1912-1913, Webern, accaparé par ses besognes alimentaires de répétiteur, épuisé moralement plus encore que physiquement, sombre dans la dépression. Les opus 9, 10 et 11 qui verront le jour à l’issue de cette noire période témoignent cependant d’une volonté créatrice intacte. » (Anton Webern, Lausanne, L’Âge d’homme, 1981, p. 46).
7 Webern n’a rien composé dans l’intervalle ; il a seulement réalisé en mars-avril 1912 une transcription pour deux pianos à quatre mains des Cinq Pièces pour orchestre de Schönberg (cf. Hans et Rosaleen Moldenhauer, Anton von Webern. A Chronicle of His Life and Work, London, Victor Gollancz, 1978, p. 195). Voir déjà, sur tout cela, Jean-Louis Leleu, « L’Organisation du temps musical dans les Cinq Pièces op. 10 de Webern », L’Education musicale, avril 1983, p. 7 sq.
8 Cité dans Moldenhauer, p. 194 (original allemand dans : Moldenhauer, Anton von Webern. Chronik seines Lebens und Werkes, trad. allemande, Zürich, Atlantis, 1980, p. 175 : « Ich habe schon zwei Orchesterstücke geschrieben. Sie sind sehr kurz. Es fällt mir nichts langes ein. »).
9 Ibid., p. 192/p. 173 (« Ich habe das Gefühl, daß meine Orchesterstücke, die ich jetzt schreibe, viel besser sind. Ich hoffe, daß ich da vielmehr herausgebracht habe. Mich geniert auch schon diese Kürze meiner Quartettstücke. Meine Orchesterstücke sind viel länger. »).
10 Elle se manifeste de nouveau clairement dans l’opus 12 – de nouveau, plutôt que « pour la première fois », comme l’écrit Adorno : « Les lieder op. 12, dans lesquels Webern, après une phase d’extrême condensation aphoristique, est pour la première fois sorti des limites de la pure expression (erstmals den Punkt des reinen Ausdrucks verließ) et, fût-ce dans un espace encore réduit, a recommencé de s’étendre […]. » (Der getreue Korrepetitor [Gesammelte Schriften, vol. 15], Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1976, p. 265) ; la tendance, notée par Adorno (id.), à recourir à certains « types formels » du passé s’annonce elle aussi dans les compositions de 1913 (cf. par exemple la troisième des Pièces pour orchestre op. 10).
11 Moldenhauer, p. 267/p. 241 (« Jetzt trauere ich um den Sommer, d. h. um die Zeit, wo ich arbeiten konnte. Ich bin auf gute Wege gekommen. Schönberg bestätigte mir das. Jetzt schreibe ich schon ganz anders. Vier Orchesterlieder habe ich komponiert. Geschlossener Klang, lange Themen zum Teil, überhaupt ganz was anderes als vor dem Krieg. Ich spürte das schon lange. Jetzt wäre ich so gut im Komponieren. Da muss ich im Theater sein... »).
12 12. Le principe est ici de faire réaliser simultanément par différentes voix, sous des formes différentes, un même schéma rythmique ; ainsi, la « cadence » qui se produit sur le premier temps de la mes. 2, et qui est matérialisée par la figure mélodique de la clarinette – avec le do♮ (croche) comme levée –, se trouve soulignée par la figure de quatre notes de la trompette (avec l’accent sur ré♮), tandis que l’anacrouse elle-même prend, dans la partie de violon, la forme d’un triolet de croches. Webern généralisera l’usage de cette technique d’écriture dans les œuvres ultérieures (jusqu’à l’opus 19).
13 La « douzième » note est en fait le ré♯ du hautbois. Le sol♭ de la clarinette répond au fa♯ par lequel la mélodie, dans un brusque élan, s’était d’emblée haussée dans l’extrême aigu, et marque quant à lui, deux octaves plus bas, le point extrême de la chute qui suit cet essor ; la ligne mélodique aboutit ainsi un demi-ton au-dessous de sa note initiale.
14 Cf. Moldenhauer, p. 198/p. 178. Les titres donnés par le compositeur aux cinq pièces à l’occasion de ce concert – sur le modèle sans doute de l’opus 16 de Schönberg – n’ont pas été conservés dans la partition imprimée.
15 Sur l’importance de ce schéma de construction syntaxique, hérité de la tradition classique, chez les musiciens de l’École de Vienne, voir notamment Arnold Schoenberg, Fundamentals of Musical Composition, Gerald Strang et Leonard Stein (éds.), London, Faber & Faber, 1967, p. 20-57, et Webern, Der Weg zur neuen Musik, p. 27-33 (Le Chemin vers la nouvelle musique, p. 70-75). Webern présente lui-même comme ayant la structure d’une période (periodisch gebaut) les « thèmes » des premier et troisième mouvements de son Quatuor op. 28 (cf. Moldenhauer, p. 751 sqq. /p. 669 sqq.), du premier mouvement de la Première Cantate op. 29, des Variations pour orchestre op. 30 et du deuxième mouvement de la Deuxième Cantate op. 31 (cf. Der Weg zur neuen Musik, p. 66, p. 68 et p. 70 [Le Chemin vers la nouvelle musique, p. 92, p. 94 et p. 97]).
16 Voir à ce propos Anne C. Shreffler, « ‘ Mein Weg geht jetzt vorüber’ : The Vocal Origins of Webern’s Twelve-Tone Composition », Journal of the American Musicological Society, 47/2, 1994, p. 281 sqq.
17 Il s’agit principalement du Kinderstück pour piano écrit durant l’automne 1924 (et publié par Carl Fischer en 1967), qui est probablement la première partition dodécaphonique de Webern, et de deux compositions datant de l’été 1925 : un Klavierstück et un Mouvement pour trio à cordes, publiés tous deux par Universal en 1966. D’autres pièces purement instrumentales mises en chantier à la même époque sont demeurées à l’état d’ébauche. Voir sur tout cela Moldenhauer, p. 310‑315/p. 280-284, et Shreffler, p. 309 sqq.
18 Cf. Shreffler, p. 288-301.
19 Heinz-Klaus Metzger, « Analyse des Geistlichen Liedes op. 15 no 4 », Die Reihe 2, Wien, Universal Edition, 1955, p. 80.
20 Schoenberg, Fundamentals of Musical Composition, p. 27.
21 Cette opposition correspond à la teneur même du texte, dans lequel s’expriment successivement le détachement du monde (« o Welt, was acht’ich dein ») et le bonheur d’aller « au ciel », c’est-à-dire l’acceptation de la mort.
22 Sur l’usage des chevrons et des accolades pour noter les collections de hauteurs ou de classes de hauteurs, voir supra, p. 25.
23 D’autres sonorités de quartes se constituent verticalement ou « transversalement » dans a1, annonçant ainsi la seconde partie du lied ; la plus remarquable est celle qui illumine la première syllabe du mot « vorüber » : l’accord ‹mi♮5 la♮5 ré♮6› (respectivement à la voix, à la clarinette et à la flûte), à la suite duquel réapparaît mélodiquement l’intervalle ‹sol♮4 do♮5› (voix + flûte).
24 Les relations « transversales » dont Metzger souligne à ce propos l’importance (op. cit., p. 82 sq.) s’établissent parfois entre des notes non contiguës ; cf. par exemple, mes. 12, la succession ‹mi♮5 la♮5 ré♮6› (respectivement à la voix, à la flûte et à la clarinette), qui renvoie à l’accord de la mes. 2 sur « vor (über) ».
25 Les mots « wegfertig » et « Freud’ » sont mis en valeur par le rythme même des vers : « weil ich wegfertig bin », « fahr’ich mit Freud’dahin » ; l’accent placé ici sur la première syllabe (« weil », « fahr ») imprime au vers un élan particulier.
26 Voir la dédicace à Arsène Houssaye placée en tête des Petits poèmes en prose (« le Spleen de Paris ») : « Quel est celui de nous qui n’a pas, dans ses jours d’ambition, rêvé le miracle d’une prose poétique, musicale, sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ? ».
27 Metzger, p. 80.
28 Dans les premières esquisses de la pièce, le rythme de « vorüber » est conforme à la prosodie (cf. l’esquisse reproduite dans Shreffler, p. 296).
29 « Motif mélodique » est l’expression employée par Erwin Stein pour désigner toute série de notes jouant, en tant que suite ordonnée (on dirait en anglais : en tant qu’ordered set), le rôle de Grundgestalt dans une composition donnée ; cf. « Neue Formprinzipien », dans : Von neuer Musik (ouvrage collectif), Köln, Marcan Verlag, 1925, p. 66 et passim.
30 Notons que les deux tétracordes extrêmes de la série sont la transposition au triton l’un de l’autre.
31 Dans son commentaire de la mes. 8, la clarinette, en un geste pathétique, enchaîne les trois notes sous la forme d’une cascade de neuvièmes mineures, dont le la♮ marque ici l’aboutissement dans le grave.
32 Dans son travail sur la musique vocale de Webern – qui a pour sous-titre : « La Construction de l’expression » –, Dorothea Beckmann fait bien observer que la succession des notes ‹si♮ si♭ la♮› se retrouve plusieurs fois à des moments importants de la partition, sans toutefois analyser les implications formelles de cette récurrence du motif (Sprache und Musik im Vokalwerk Anton Weberns. Die Konstruktion des Ausdrucks, Regensburg, Gustav Bosse Verlag, 1970, p. 71).
33 La voix marque sur la syllabe accentuée de ce mot (« -lo- ») un net arrêt, avant de monter de nouveau – avec un crescendo appuyé – au do♯, où elle pose la dernière syllabe (« -ren »), et directement l’auxiliaire « sein ».
34 Un troisième segment chromatique – ‹do♮ do ré♮› – se forme, dans la série, à la jonction des deuxième et troisième tétracordes. Le relief donné à γ fait qu’il joue, dans le lied, un rôle secondaire, mais en deux endroits il opère avec force, au sein de la partie vocale, la connexion entre γ et β : à la mes. 3, et plus nettement encore à la mes. 12.
35 C’est en ce sens que Webern parle dans ses cours de la « présentation des idées musicales » (Darstellung der musikalischen Gedanken) ; cf. Der Weg zur neuen Musik, p. 21-24, p. 27 sq. et p. 31-33 (Le Chemin vers la nouvelle musique, p. 63-66, p. 69 sq. et p. 73-76).
* Texte paru dans Les Cahiers du CIREM (Publications de l’Université de Tours), 42-43, mars 1998, p. 93-106.