Avant-propos
p. 7-9
Texte intégral
1La musique de Varèse a traversé les années d’entre-deux-guerres comme un météore : loin de l’esthétique néo-classique dominante, elle s’est voulue radicalement novatrice. À l’écart des résurgences nationalistes qui alimentèrent deux guerres mondiales, elle s’est enracinée dans le sol de l’exil américain où Varèse apparut rapidement comme un chef de file du mouvement ultramoderne. L’importance historique de son œuvre est sans rapport avec l’étendue d’un catalogue qui n’est composé que d’une douzaine d’opus, face visible d’une pensée et d’une imagination sonores en avance sur des moyens nouveaux dont l’approche concrète a hanté le compositeur toute sa vie. L’homme fut également actif sur la scène musicale : il créa en Amérique différentes associations pour la défense des compositeurs et de la musique nouvelle ; il côtoya les artistes les plus éminents de son temps, avec lesquels il maintint des liens d’amitié, et qu’il tenta au début des années trente de regrouper dans une IVe Internationale des Arts (voir l’introduction et la correspondance ci-après).
2La puissance du refus, chez Varèse, est liée à sa vision d’un monde sonore totalement neuf, dont les œuvres accomplies sont tout à la fois l’incarnation et la préfiguration. Elle s’enracine psychologiquement dans le rapport conflictuel avec son père, dont l’intensité semble n’avoir pas faibli jusqu’à la fin ; musicalement, elle provient d’une force de conviction et d’une pureté qui n’autorisaient aucun compromis. Sa haine du parisianisme, affirmée plus d’une fois dans les lettres, provient sans doute des années de guerre où les revendications nationalistes, adossées à un anti-germanisme viscéral, accompagnaient la volonté de liquidation de la modernité artistique. Varèse, qui était à l’époque très lié à des personnalités de la scène germanique comme Busoni, Hofmannsthal, Reinhardt, Strauss ou Schoenberg, fait assez exceptionnel pour un compositeur français, a fui l’Europe en 1916 dans l’espoir de trouver en Amérique un terreau plus favorable à ses idées. La correspondance montre sa lucidité quant aux limites de son pays d’adoption. Elle révèle aussi la force de caractère, l’exigence artistique, cette éthique de la composition dont les œuvres témoignent par une puissance expressive demeurée intacte.
3Le continent varésien paraît sans attache : ses œuvres de jeunesse nous sont inconnues, comme si le compositeur s’était lui-même donné naissance avec la formidable déflagration sonore d’Amériques. Les œuvres envisagées, les projets inaboutis, les sons qu’il rêvait de tirer d’hypothétiques machines représentent par ailleurs un monde sonore imaginaire à tout jamais virtuel. Plusieurs générations de compositeurs après lui ont tenté d’en cerner les contours et de le faire advenir à la réalité.
4Il existe bien des zones floues dans la biographie de Varèse, jusqu’à sa date exacte de naissance. Il faut dire que son héritage a été en partie occulté et déformé, victime de captations douteuses. Combien de documents ont été soustraits à la connaissance posthume, par négligence ou par un intérêt malsain ? L’édition des Écrits ne constitue pas elle-même un document fiable : c’est un montage dans lequel les textes sont tronqués, et les propos authentiques de Varèse mêlés à ceux qu’on lui a prêtés. Faut-il s’étonner que le premier volume des mémoires de sa compagne, Louise Varèse, traductrice des grands auteurs français de la modernité, n’ait jamais été traduit en français ? Où donc se trouve le manuscrit du second volume, dont on sait qu’il fut rédigé, mais qui a disparu ?
5Dans un tel contexte, la correspondance avec celui qui fut l’un de ses seuls élèves, et qui devint très vite son ami, André Jolivet, constitue un document inestimable : cet échange qui couvre la période 1931-1965 est un document authentique, le premier, s’agissant de Varèse, publié en français. Il révèle l’homme tel qu’il fut, nous plaçant directement face à ses idées dans la forme souvent abrupte qu’adoptait le compositeur pour s’exprimer. Cette correspondance est malheureusement tronquée puisque la plupart des lettres de Jolivet n’ont pas été retrouvées.
6Nous devons au travail opiniâtre et consciencieux de sa fille, Christine Jolivet-Erlih, la connaissance de ces lettres. Elle a travaillé directement à partir des manuscrits qui appartiennent au fonds Jolivet dont elle a la responsabilité. Elle s’est chargée du travail souvent difficile de retranscription des lettres, de l’établissement d’un riche appareil de notes, d’une introduction situant le contexte de la correspondance, et de la publication de quelques textes inédits qui l’éclairent.
7Qu’il nous soit permis de remercier ici Madame Marylin Vespier, Monsieur Chou Wen-Chung, la médiathèque musicale mahler et Christine Jolivet-Erlih, pour les autorisations de publier qu’ils nous ont données.
8Nous remercions également la SACEM pour son soutien, ainsi que Dieter Nanz pour sa précieuse collaboration.
Auteur
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