Ages
Invention radiophonique pour voix, chœur et orchestre Bande magnétique
p. 84-85
Texte intégral
1Maderna aborda plusieurs fois les réalisations radiophoniques ; il était vraisemblablement attiré par les nombreuses possibilités qu’offre l’utilisation d’un tel média, qui lui permettait, avec ses expérimentations électroniques sagement élaborées, de créer des formes libres et polyvalentes et d’évoquer les situations d’un théâtre imaginaire. Maderna aimait partir à la rencontre d’un texte – cette prédisposition est d’ailleurs une des données constantes de son œuvre. La situation de départ de son écriture n’est donc pas sémantiquement neutre, le musicien n’hésitant pas à se compromettre dans des genres extra-musicaux.
2Ages, en comparaison d’autres créations radiophoniques, est de caractère plus nettement expérimental, puisqu’elle se présente comme une « invention », réalisée en collaboration avec Giorgio Pressburger sur un texte tiré de Shakespeare (Comme il vous plaira, le monologue de Jacques, acte II, scène 7). Cette œuvre propose un paradigme d’une inépuisable richesse, celui de la vie comme théâtre ; grâce à quoi, affirme Pressburger, « contemplée de l’extérieur, la vie de l’homme, avec ses intrigues et tout ce qui se trame autour d’elle, apparaît comme la réalisation de modèles déjà établis et qui varient dans le temps malgré leur rigidité… sauf que le point de vue extérieur n’est pas donné, on se trouve toujours au milieu des intrigues et de tout ce qui se trame autour d’elles ».
3Selon les indications de Maderna lui-même, Ages comporte une introduction suivie de quatre épisodes placés à côté les uns des autres et impliquant des effets de contraste, comme c’est le cas dans une forme musicale traditionnelle où les tempos alternent. L’introduction présente, dans un crescendo graduel des événements, des mots et des fragments de phrases – parmi lesquels le début du monologue, « All the world’s a stage… » – prononcés par des voix d’enfants superposées et traitées avec des filtres et des échos. La voix humaine apparaît immédiatement comme la protagoniste et l’interprète du parcours symbolique de l’œuvre, à travers les variations phoniques auxquelles elle est soumise dans les différents âges de la vie. Le crescendo des voix est interrompu par une structure formée de sons électroniques (ondes carrées), suivie d’une brève intervention instrumentale ; en fond sonore, les voix se dissolvent peu à peu, et la flûte propose ensuite une longue arabesque mélodique sur laquelle se greffe l’annonce des titres.
4Dans cette première partie, Maderna affirme avoir voulu simuler une forme à caractère dialogué, jouant sur l’alternance entre matériel vocal, instrumental et réverbération : la possibilité d’une amplification par l’électronique offre donc l’occasion rêvée pour expérimenter cette même recherche stéréophonique qui est au cœur du travail sur la musique expérimentale de la période de maturité de l’auteur.
5La deuxième partie remplit la fonction d’un adagio et comporte un monologue entièrement dit par une voix féminine, entourée d’échos d’intensités diverses et soutenue au loin par quatre flûtes, suspendues dans un melos aux contours sinueux et flous.
6Dans la troisième partie apparaissent des voix de stentor (voix d’hommes) qui prononcent des fragments de texte mêlés à de brusques interventions instrumentales de cuivres et de percussions ; comme matériel expressif faisant violemment contraste, Maderna insère une « basse continue » de soupirs, de petits rires et de murmures féminins (qui font peut-être allusion aux soupirs enflammés de l’amante, dont parle le texte), afin de créer « une amusante chaconne d’amour ».
7La dernière partie, peut-être la plus intéressante de l’œuvre, est caractérisée par un statisme qui dilate le temps en une dimension vaguement hallucinatoire, celle du « pur oubli » dont parlent d’une manière obsessionnelle les voix, devenues vieilles et fatiguées. Des processus répétitifs sont ici articulés sur les pédales harmoniques des cordes, tandis qu’apparaît un ultime plan sonore, dans une superposition de perspectives spatio-temporelles diverses, un chœur de voix féminines dans le style des madrigaux, qui entonne la première phrase du texte à la façon d’une devise (ce chœur a ensuite été publié par l’auteur en forme de double chœur à quatre voix mixtes). Il y a bien contamination stylistique, comme souvent chez Maderna, mais celle-ci est soumise à des contraintes de distanciation (voix provenant d’un extrême lointain, répétitions, manipulations électroniques) et permet d’évoquer des mondes linguistiques « autres », d’autant plus convoités qu’ils sont impossibles à atteindre.
8Ages a obtenu le Prix Italia 1972.
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