Concerto n° 1 pour hautbois, orchestre de chambre et bande
p. 78-79
Texte intégral
1Entre 1962 et 1967, Maderna écrivit, entre autres, deux des trois Concertos de hautbois et le Concerto de violon : ces trois œuvres sont d’une même conception formelle. Massimo Mila les définit comme des « concertos de cadences », car ils comportent une structure particulière : en effet, le soliste se manifeste par de larges séquences comprenant des cadences, qui constituent une sorte d’espace privé en rapport dialectique avec l’orchestre. Au sujet du Concerto de violon, Maderna avait donné une clé d’interprétation de la relation problématique solo/tutti, en le reliant à la thématique d’Hyperion et à la difficulté d’intégration de l’individu dans la collectivité ; ces considérations peuvent aussi avoir été inspirées à l’auteur par les deux premiers concertos de hautbois, même si, contrairement à ce qui se passe dans le concerto de violon, l’orchestre ne se comporte pas d’une manière ouvertement hostile et agressive, mais se situe plutôt sur un plan d’extériorité par rapport au soliste.
2L’introduction du Concerto pour hautbois et orchestre de chambre constitue un des rares cas où le hautbois, légèrement employé au-delà de son utilisation traditionnelle, est inséré – davantage en tant que « couleur » qu’en tant que solo – dans le contexte instrumental, lequel tisse une trame subtile de timbres, alliant la harpe au célesta et au piano, sollicitant les chevilles et les harmoniques des cordes. A partir d’un contexte de musique de chambre, le discours s’élargit à l’ensemble de l’orchestre (d’où le hautbois est absent) et atteint une dimension plus profonde que dans la composition précédente, Klangfarbe.
3La première des six cadences (toutes dans le même esprit) exploite le timbre mélancolique du hautbois d’amour en le soumettant toutefois à des humeurs capricieuses et extravagantes : les acrobaties, les sons gribouillés ou tremblés, un peu disgracieux, qui se heurtent dans des configurations anguleuses, évoquent les manières d’un Pierrot, tour à tour mélancolique ou moqueur, inspiré par une muse facétieuse et un peu anarchique. En cela le melos de Maderna s’apparente au monde expressif de Malipiero, qui a remis au goût du jour la musique de la Renaissance.
4Si, dans le Concerto de violon, le soliste est agressé par les vents et, dans le Concerto de hautbois n° 2, la musette implore désespérément de l’aide, nous ne sommes pas du tout sûrs que le hautbois du concerto en question veuille s’intégrer à l’ensemble, sortir de son propre isolement et communiquer quelque chose d’autre que sa propre différence. Un exploit aléatoire des percussions qui, dans l’œuvre, se présentent comme un tout organique très varié, suivant une habitude chère à Maderna, prélude à la deuxième cadence, beaucoup plus ample et articulée, dans laquelle s’insèrent de sporadiques interventions (toujours aléatoires) de l’orchestre. Dans le bref épisode suivant, on note une participation du hautbois auprès de tous les instruments : il abandonne sa propre attitude lyrique ; l’instrument s’insère d’après des figures géométriques et selon une construction toujours plus rigide, jusqu’à ce que le parcours sonore se fige en des mouvements rythmiques, un peu mécaniques, style marionnettes, qui font penser à Stravinsky. Les troisième et quatrième courtes cadences suscitent dans l’orchestre des réactions perçues comme des moments de consensus ou, au contraire, de rupture avec le soliste ; un nouvel interlude, d’une exubérante invention phonique, d’où le hautbois est absent, suit la cinquième cadence ; le compositeur recherche là des effets inédits, en rapprochant les timbres semblables de différents instruments.
5Le final est peut-être le moment où se manifeste plus clairement l’appartenance du concerto à la dramaturgie d’Hyperion : le cor anglais délaisse un style aux inventions miroitantes pour adopter un registre résolument expressif ; soutenu par l’accord prolongé des cordes, il ne craint plus désormais les attaques des cuivres, ni celles de la clarinette basse, qui s’ingénient à le faire taire, ni même le déchaînement des percussions (timbales, tam-tam et grosse caisse). Le hautbois élabore son propre chant, replié sur lui-même, et le vit comme une expérience de solitude.
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