1 À la revue hollandaise Die Muziek qui lui demande en 1930 une contribution à un numéro spécial sur Wozzeck, il répond : « Combien j’aurais aimé honorer votre invitation si flatteuse à écrire un article sur Alban Berg. Mais malheureusement, je ne suis pas en mesure de le faire. Je suis incapable d’écrire ». Cette lettre datée du 17 septembre 1930 a été publiée par Willi Reich sous le titre « Anton Webern über Alban Berg », Neue Zeitschrift für Musik, 124/4 (1963), p. 143. Dans la suite de sa lettre, Webern exprime en quelques lignes sa conviction que Wozzeck, « qui l’émeut toujours davantage », est une œuvre née « comme toutes les autres compositions de Berg, de la plus sainte inspiration » et qu’elle perdurera éternellement.
2 L’éditeur munichois Piper, qui publia cette première monographie sur Schönberg, éditait la même année L’Almanach du Blaue Reiter.
3 Sur la question des polémiques qui ont entouré Schönberg, voir Esteban Buch, Le cas Schönberg. Naissance de l’avant-garde musicale, Paris, Gallimard, 2006.
4 C’est surtout le cas chez Berg que liait à son maître une relation complexe dans laquelle se mêlaient vénération, crainte et sentiments de culpabilité. Ces considérations psychologiques, largement documentées par les lettres de Berg, expliquent également le temps et l’énergie considérables qu’il a consacrés à la défense de Schönberg.
5 Anton Webern, « La musique de Schönberg », voir infra.
6 Cette préoccupation concernant le sens et les limites de la théorie apparaît clairement chez Berg dans un article polémique de 1920 intitulé « L’impuissance musicale de la “nouvelle esthétique” de Hans Pfitzner » dans : Berg, Écrits, Paris, Christian Bourgois, 1985, p. 79-92.
7 Arnold Schönberg, « Comment j’ai évolué » (1949), dans : Le Style et l’Idée, Paris, Buchet-Chastel, 1977, p. 72.
8 Webern n’a pas manqué de citer le passage du Traité d’harmonie dans lequel Schönberg justifiait la priorité qu’il accordait à son « sens de la forme » en expliquant que ses tentatives d’améliorer ultérieurement ce qu’il avait composé dans l’élan premier de l’inspiration (Einfall) n’avait jamais donné de résultats satisfaisants. Notons que le Traité d’harmonie a par ailleurs fait l’objet d’une étude de Heinrich Jalowetz dans le même recueil de 1912.
9 Berg apparaît à cet égard comme son exact complémentaire. Son approche de l’œuvre Schönberguienne se fondait toujours sur un examen précis, parfois même trop détaillé, des parutions. Il faudrait idéalement lire en parallèle ses analyses et les écrits de Webern.
10 Lettre à Webern du 22 janvier 1931, dans : Arnold Schönberg, Briefe, Erwin Stein (éd.), Mayence, Schott, 1958, p. 158.
11 « [...] selbst die genaueste wörtliche Wiedergabe nicht imstande gewesen wäre, den wundervoll erregten, unerhört eindringlichen Vortragston Dr. Weberns auch nur annähernd wiederzugeben ». Willi Reich, « Grenzgebiete des neuen Tons », Die Musik, 25, n° 2 (novembre 1932), p. 120. Cité dans : Anton Webern, Über musikalische Formen. Aus den Vortragsmitschriften von Ludwig Zenk, Siegfried Oehlgiesser, Rudolf Schopf und Erna Apostel, hsg. von Neil Boynton, Mayence [etc.], Schott, 2002, p. 45. Reich a également publié un résumé du second cycle, « Der Weg zur Neuen Musik » (1933) en 1934.
12 Anton Webern, Über musikalische Formen, op. cit., p. 45. Notons que l’ouvrage de Reich a curieusement paru la même année et chez le même éditeur sous deux titres différents, l’un au pluriel (Wege zur Neuen Musik) et l’autre au singulier (Der Weg zur Neuen Musik).
13 La situation a quelque peu changé depuis l’édition récente du texte correspondant aux cours que Webern a donnés par la suite, entre 1934 et 1945, sous le titre Über musikalische Formen (Formenlehre erläutert durch Analyser) [Des formes musicales (La théorie de la forme expliquée par des analyses)]. Si ces cours n’ont pas donné lieu à une publication immédiate, même partielle, c’est d’une part en raison de leur sujet, moins directement lié à l’École de Vienne (il s’agissait surtout des formes beethovéniennes), et aussi, dès 1938, au contrôle exercé par les nazis au lendemain de l’Anschluss sur tous les domaines de la culture autrichienne. Le volume qui en a été récemment tiré se présente comme une édition scientifique des notes lapidaires de quatre auditeurs, qui respecte leur caractère fragmentaire, tout en proposant d’en dégager une lecture dans le cadre d’une vaste introduction. Rappelons que Webern a été contraint de développer ses activités pédagogiques en 1934 car il n’avait plus la possibilité de diriger des concerts dans l’Allemagne nazie. Il a cependant trouvé de grandes satisfactions dans son enseignement, comme en témoignent ses lettres à Adorno et à Schönberg.
14 Je me réfère pour cette histoire terminologique à Andreas Jacob, Grundbegriffe der Musiktheorie Arnold Schönbergs, Hildesheim [etc.], Georg Olms, 2005, 2 vol. Voir aussi l’ouvrage bilingue allemand-anglais : Arnold Schönberg, The Musical Idea and the logic, technique, and art of its presentation, edited, translated, and with a commentary by Patricia Carpenter and Severine Neff, New York, Columbia University Press, 1995.
15 En témoigne un entretien de 1909, cité dans : Jacob, op. cit., p. 149.
16 Johann Adolph Scheibe, Critischer Musikus, 5. Stück (30. 7.1737). Les modèles rhétoriques de l’inventio et de la dispositio étaient encore très présents pour Scheibe.
17 Le concept d’idée fondamentale de l’œuvre (Grundidee des Werkes) apparaît dans un texte de 1917 sur le concept de cohérence (Zusammenhang). Voir à ce propos : Jacob, op. cit., p. 154. La nuance terminologique entre Idee et Gedanke est évidemment difficile à rendre en français : Gedanke signifie littéralement « pensée », mais dans le contexte esthétique, c’est bien par « idée » qu’il faut le traduire. Les deux termes allemands sont par conséquent traduits le plus souvent de la même manière.
18 Arnold Schönberg, Traité d’harmonie, traduit et présenté par Gérard Gubisch, Paris, J.-C. Lattès, 1983, p. 366.
19 Arnold Schönberg, « Zusammenhang » (1917), cité dans : Jacob, op. cit., p. 224.
20 Alban Berg, « Pourquoi la musique de Schönberg est-elle si difficile à comprendre ? », dans : Écrits, op. cit., p. 25.
21 Voir à ce propos Albrecht Riethmüller, « Hermetik, Schock, Fasslichkeit. Zum Verhältnis von Musikwerk und Publikum in der ersten Hälfte des 20. Jahrhunderts », dans : Archiv für Musikwissenschaft 37, 1 (1980), p. 55.
22 Theodor Wiesengrund Adorno, « Zur gesellschaftlichen Lage der Musik », dans : Zeitschrift für Sozialforschung I, 1932, p. 114 sq.
23 Voir à ce propos Jameux, ibid., p. 14, ainsi que Susanne Rode-Breymann, Alban Berg und Karl Kraus. Zur geistigen Biographie des Komponisten der Lulu, Francfort, [etc.], Peter Lang, 1988.
24 Die Fackel signifie « La Torche ». Schönberg y publia en 1909 une réponse aux attaques d’un critique musical. Voir à ce propos : Werner Grünzweig, Ahnung und Wissen, Geist und Form. Alban Berg als Musikschriftsteller und Analytiker der Musik Arnold Schonbergs, Vienne, Universal Edition, 2000 (= Alban Berg Studien, hsg. von Rudolf Stephan, vol. 5), p. 32-33.
25 Webern reviendra à l’analogie entre musique et langage au début de ses conférences sur les formes musicales. Voir Webern, Über musikalische Formen, op. cit., p. 157.
26 La trace la plus évidente de l’influence théorique de Goethe sur Schönberg se trouve dans le manuscrit de 1934-1936 intitulé « Der musikalische Gedanke und die Logik, Technik, und Kunst seiner Darstellung ». Voir à ce propos Severine Neff, « Schönberg and Goethe : Organicism and Analysis » dans : Music Theory and the Exploration of the Past, ed. by Christopher Hatch and David W. Bernstein, Chicago [etc.], The University of Chicago Press, 1993, p. 409-433. L’auteur montre que des concepts tels que Monotonalität, Bildung/Umbildung ou encore Grundgestalt sont directement inspirés de l’épistémologie goethéenne. Voir aussi Jacob, Grundbegriffe der Musiktheorie Arnold Schönbergs, op. cit., vol. 1, p. 94
27 « Ich glaube, Goethe müsste ganz zuffieden mit mir sein ». Voir Leonard Stein, « The Journal and the Institute », Journal of the Arnold Schönberg Institute 1, n° 1 (1976), p. 5.
28 Anton Webern, Le chemin vers la composition en douze sons, huitième conférence, voir infra.
29 « Muster in dieser Sache ist uns die Natur. Wie sich in ihr aus der Urzelle das ganze All entwickelt hat, fiber die Pflanzen, Thiere und Menschen hinaus bis zu Gott, dem höchsten Wesen, so sollte sich auch [in] der Musik, aus einem einzigen Motiv, ein grösseres Tongebäude entwickeln, aus einem einzigen Motiv, in dem der Keim zu allem, was einst wird, enthalten ist ». Ces remarques datées du 3 mars 1905 sont reproduites dans : Hans Moldenhauer, Anton Webern. A Chronicle of his Life and Work, Londres, Victor Gollancz Ltd, 1978, p. 75.
30 Cette idée est exprimée par Busoni dans son Entwurf einer neuen Ästhetik der Tonkunst dont Schönberg possédait un exemplaire de la seconde édition (1916). Elle sera au cœur de la démarche de l’analyse motivique de Rudolf Réti (The Thematic Process in Music, New York, Macmillan, 1951), qui était pourtant issu de l’École de Vienne.
31 Arnold Schönberg, « Zur Kompositionslehre », texte non daté (T.53.10 aux archives du Arnold Schönberg Center), cité dans : Jacob, op. cit., p. 263.
32 Anton Webern, Le chemin vers la nouvelle musique, deuxième conférence.
33 On trouvera un exemple des notices programmatiques du Quatuor opus 28 dans : Eissl, Das Synthese-Denken bei Anton Webern, op. cit., p. 99. Voir à ce propos également Alain Galliari, op. cit.
34 Webern a confié à Berg en 1912 que pratiquement toutes ses compositions depuis la Passacaille opus 1 étaient associées au décès de sa mère.
35 Lettre à Schönberg du 8 octobre 1925, citée dans : Galliari, Anton Webern, op. cit., p. 900.
36 Anton Webern, Le chemin vers la nouvelle musique, huitième conférence, voir infra.
37 Cité dans la postface de Willi Reich, voir infra.
38 Anton Webern, Le chemin vers la composition en douze sons, huitième conférence, voir infra.
39 Anton Webern, Le chemin vers la composition en douze sons, septième conférence, voir infra.
40 Le tricorde 014, ou pitch-class set 3-3 selon la terminologie d’Allan Forte. Voir Allan Forte, The Structure of atonal Music, New Haven [etc.], Yale University Press, 1973.
41 Lettre à Hildegard Jone du 11 mars 1931, dans : Anton Webern, Journal à une amie. Lettres à Hildegard Jone et Josef Humplik. Paris, J.-C. Lattès, 1975, p. 42-43.
42 Voir Kathryn Bailey, The twelve-note music of Anton Webern. Old forms in a new language, Cambridge [etc.], Cambridge University Press, 1991, p. 19 sq.
43 Anton Webern, Le chemin vers la composition en douze sons, septième conférence, voir infra.
44 György Ligeti, « Aspects du langage de Webern » (1963-1964/1984), dans : Neuf essais sur la musique, Genève, Contrechamps, 2001, p. 46-47. Selon un imaginaire très personnel qui rappelle ses propres compositions micropolyphoniques, Ligeti comparait ces structures à des toiles d’araignées soumises à une force d’extension.
45 Voir Jonathan Dunsby et Arnold Whittall, Music analysis in Theory and Practice, Londres [etc.], Faber & Faber, 1988, p. 123-124.
46 Webern, Le chemin vers la composition en douze sons, première conférence, voir infra.
47 Lorsque la revue Die Musik demanda à Berg en 1930 une contribution à un numéro spécial sur Bach, il fit un montage où l’on pouvait lire côte à côte l’article de Riemann sur le cantor de Leipzig et une parodie de cet article, où le nom de Schönberg était substitué à celui de Bach, et les termes tels « modalité » et « tonalité » remplacés par ceux d’« atonalité » et « écriture avec douze sons ». Voir Alban Berg, « Credo », dans : Écrits, op. cit., p. 64-65.
48 Voir August Halm, Von Zwei Kulturen der Musik, Munich, Georg Müller, 1913. Sur la notion d’espace chez Webern, voir Regina Busch, « Über die horizontale und vertikale Darstellung musikalischer Gedanken und den musikalischen Raum », Musik-Konzepte, Sonderband Anton Webern I, hsg. von Heinz-Klaus Metzger und Reiner Riehn, Munich, Text+Kritik, novembre 1983, p. 225-250.
49 « Polyphonie und Kontrapunkte in den Formen der Homophonie ». Voir Lettre de Schönberg à Webern du 8 juillet 1939, citée dans : Anton Webern, Über musikalische Formen, op. cit., p. 190. Rédigés aux USA entre 1937 et 1948, les Fundamentals n’ont été publiés qu’en 1967 par Leonard Stein.
50 Anton Webern, Le chemin vers la composition en douze sons, première et sixième conférences, voir infra.
51 Webern a finalement interverti les deux premiers mouvements.
52 « Der erste Satz nun ist ein Miniatur-Rondo, oder eben auch ein Scherzo mit Trio ! Das erste Thema ein unendlicher vierstimmiger Kanon, aber trotzdem in seiner Form ein « Satz » (streng nach klassichem Prinzip) von 18 Takten ; also Verbindung der beiden Darstellungs-Arten auch hier, wie sonst überall in dem Quartett ; aber ein Kanon, in dem sich alles spiegelt obendrein, in kleineren Räumen ; was hin geht, geht im nächsten Augenblick anderswo zurück u.s.w. aber alles im Einklang mit dem Bau eines « Satzes » (Konstruktive, rein konstruktive Verwendung der « Reihen » ; das ist der Schlüssel zu Allem ! ! !) Nun kommt das zweite Thema des Satzes, gewissermassen das Trio. (Ein 3/8 gegenüber einem 2/4 — wie ein langsamer Walzer zu einer ganz bedächtigen Polka ; das Tempo dieser Polka ist sehr heiklig, muss ganz, ganz « gemächlich », so meine Tempo-Vorschrift, sein). Also dieses 2. Thema : es ist periodisch geformt, aber auch hier alles, sich spielgelnd, u.s.w. » Lettre de Webern à Rudolph Kolisch du 19.4.1938, dans : Rauchhaupt (éd.), Die Streichquartette der Wiener Schule. Schönberg Berg Webern : Eine Dokumentation, Hambourg, Polydor International, 1987 (Munich, 1971), p. 183.
53 Lettre du 13 septembre 1941 adressée au chef d’orchestre Erich Schmid, intégralement reproduite en traduction française dans l’article de Christoph Keller, « Une oasis pour l’École de Vienne. Les chefs d’orchestre Hermann Scherchen et Erich Schmid à Winthertour et Zurich », dans : « Entre Denges et Denezy... ». La musique du XXe siècle en Suisse, manuscrits et documents, éd. par Ulrich Mosch, Bâle, Fondation Paul Sacher, et Genève, Contrechamps, 2001, p. 82-83.
54 Voir les œuvres suivantes : Symphonie opus 21 (2e mouvement), Concerto opus 24 (3e mouvement), Variations pour piano opus 27 (1er mouvement), Quatuor opus 28 (1er mouvement), et Variations pour orchestre opus 30.
55 Voir infra : Note sur la Passacaille opus 1. Webern a également suivi la forme-sonate ou des principes qui s’en inspiraient dans plusieurs de ses œuvres dodécaphoniques.
56 Charles Rosen a montré que la synthèse entre sonate et variation se trouvait déjà dans un trio avec piano de Haydn. Voir Le Style classique, Paris, Gallimard, 1978, p. 103-108.
57 Postface de Willi Reich (voir infra). Voir également Webern, Über musikalische Formen, op. cit., p. 158. Sur l’idée de différenciation fonctionnelle, voir Dahlhaus, Analyse und Werturteil, op. cit., p. 52-54.
58 Postface de Willi Reich (voir infra), ainsi que Neyl Boynton, « And two times two equals four in every climate », Musiktheoretisches Denken und kultureller Kontext, hsg. von Dörte Schmidt, Stuttgart, Argus, 2005, p. 211-214.
59 Anton Webern, Le chemin vers la nouvelle musique, Xe conférence, voir infra. À propos de la série du Quintette pour instruments à vent opus 26 de Schönberg, bâtie de deux hexacordes parallèles à distance de quinte, Webern proposait même de voir la seconde partie de la série « dans une certaine mesure » comme « la dominante de la première » (ibid., voir infra.).
60 Voir à ce propos Kathryn Bailey, The twelve-note music of Anton Webern, op. cit., en particulier p. 12.
61 Philippe Albèra, « Entretien avec Pierre Boulez », in Pli selon Pli de Boulez. Entretien et études, Genève, Contrechamps, 2003, p. 10-11.
62 Cette introduction reprend sous une forme modifiée une partie d’une contribution destinée à l’ouvrage collectif Composition et théorie au XXe siècle, sous la direction de Nicolas Donin et Laurent Feneyrou, Lyon, Symétrie, à paraître en 2009.