De l’actualité artistique de Luigi Nono
p. 23-33
Texte intégral
1Cette fois-ci, le Spiegel, magazine rôdé s’il en est, et qui n’est pas particulièrement connu pour user de tact avec les personnalités interviewées, a bien atteint les limites de la discourtoisie et de la crudité dans l’entretien avec Krzysztof Penderecki qu’il a publié début 1987. Les questions désagréables, souvent offensantes – bien ciblées, soit dit en passant – pleuvaient ; et des ripostes du compositeur polonais, dans toute leur agressivité et dans tout leur cynisme, s’est dégagée une image significative, une formulation quasi indépassable de l’échelle de valeurs des musiciens postmodernes. Le traître à l’avant-garde d’autrefois, selon le Spiegel, serait redevenu « l’avant-coureur dans le commerce avec les antiquités ». Le nouveau son Penderecki serait « douillet, inoffensif », comme s’il sortait du Biedermeier. Qui plus est, Penderecki saurait pertinemment ce qui est nécessaire pour s’établir sans heurt. Cela lui est ouvertement reproché : « Les harmonies traditionnelles sont bonnes, elles sont encore meilleures quand elles sont bénies par l’église. » Dans une contre-attaque militante, Penderecki formule le credo du néoromantisme : refus radical de la musique électronique, qui est une falsification et qui ne vaut rien, à bas la musique en conserve, à bas le bricolage technique, qui ne mène à rien, retour à l’expression ! Splendid isolation !
2Bien sûr, les sens du lecteur actuel se sont aussi émoussés. On pourrait aussi reposer le numéro du Spiegel sur la table de nuit avant de s’endormir, comme n’importe quelle lecture délassante – et toute l’affaire Penderecki n’aurait rien à voir dans un article qui se propose d’exposer au public quelques idées au sujet de l’actualité artistique de Luigi Nono, si la signification de l’œuvre de Penderecki dans la culture musicale contemporaine ne nous obligeait pas à accorder une grande importance à ses propos. Mais un argument plus déterminant encore consiste en ceci que ce déploiement programmatique bruyant et spectaculaire du néoromantisme contient, en tout cas sous une forme latente, toute une série de problèmes qui se lisent aussi en filigrane derrière la nouvelle image de Nono. Car il faudrait tout de même y réfléchir : Penderecki n’a-t-il pas raison, quand, refusant tout comportement avant-gardiste, il prétend qu’il faut, en tant qu’artiste, sortir de l’isolement, et qu’il s’agit de ne plus « errer comme un pur esprit dans toutes sortes de directions expérimentales, à travers un quelconque no man’s land », loin de tout public ?
3Mais c’est bien là le dilemme ! Car si l’on peut reprocher à quelqu’un d’avoir consacré jusqu’ici sa production artistique à une expérimentation élitiste, ce n’est précisément pas à Nono. De même, ses résultats, interrompus par le mouvement italien de la musica/realtà des années soixante-dix, étaient bien plus que des débuts prometteurs. Pourtant la marche du monde a pris un tournant. La récupération de l’art, la logique de violence qui régit le système institutionnel de la culture officielle s’instaurent dans le monde entier jusqu’à présent de façon si opiniâtre, tous deux apparaissent si irrévocablement comme un fait des sociétés technologiques modernes, que toute tentative allant à contre-courant, et celle de Nono en est une, semble être vouée à l’échec, ou du moins destinée à être exclue de l’industrie de la musique.
4Cela signifie-t-il que la seule échappatoire à l’isolement de la musique moderne soit le « baume de l’harmonie », une musique consommable comme un « tube » – le clin d’œil au public ?
5Le choix de Nono face à ce dilemme de l’art contemporain, qui est diamétralement opposé au programme de Penderecki, est certainement d’une importance non négligeable du point de vue de l’avenir de l’art. Nono ne prend pas le chemin néo-expressif de l’actualisation d’angoisses paralysantes, d’expression de la menace ; il ne donne pas non plus dans l’attitude néoromantique de l’accommodation, correspondant à l’idée hegélienne de « réconciliation avec la réalité ». Différence manifeste entre la responsabilité caractéristique de Nono et l’irresponsabilité incarnée par Penderecki : Nono est sans cesse aux aguets, il se démène pour que l’industrie établie de la culture – il gelido mostro dello Stato –, pour que les institutions fossilisées n’étouffent pas « le désir du divers », dans leur tendance à faire « immédiatement mainmise sur lui afin de le bloquer » (cf. le programme de la représentation milanaise de la nouvelle version du Prometeo).
6A l’opposé, la pensée pendereckienne culmine dans une connivence avec la dictature de Jaruzelski ; le sens concret de l’attitude du rejet équivaut chez lui à une valorisation de la Pologne d’aujourd’hui comme royaume de la pleine liberté créatrice, dans lequel il cultive – pas du tout à la manière d’un pseudo-Candide des temps modernes – son lopin de dix hectares. Mais revenons-en à la musique ! Il ne serait pas inutile, du moment qu’il s’agit d’engagement, de soumettre une fois de façon approfondie le Requiem polonais de Penderecki et Quando stanno morendo de Nono à une analyse musicale comparative.
7Nono maintient souverainement les positions de l’avant-garde, tout en déplaçant les accents. Il les défend même dans des circonstances où l’on éprouve de façon croissante les possibilités allant s’amoindrissant qu’a l’artiste de s’opposer à la marche du monde (grimace grotesque de l’Histoire : juste au moment où les possibilités techniques se sont démultipliées dans une mesure jamais atteinte). L’activité de Nono se nourrit d’une éthique du refus : il n’est pas prêt à se laisser établir. A plus de soixante ans, il n’a pas perdu le courage de s’engager sur de nouvelles voies. Pourtant, il faut être circonspect : la promotion au rang de modèle de telle ou telle image de Nono, la séparation dichotomique entre une activité créatrice engagée, d’une part, et la qualité acoustique de sa musique, de l’autre, ou bien inversement la tentative d’interpréter ce qu’il y a de nouveau dans sa production des dix dernières années sans tenir compte de sa prise de position d’artiste, tout cela mène certainement à de fausses conclusions. Le trajet de Nono n’est pas un modèle ; sa production et ses œuvres sont des facteurs spirituels vivants, agissant sur les processus historiques contradictoires.
8La perplexité face à sa création, manifestée par un public musical toujours plus empreint de conservatisme, s’explique principalement par le fait que, aujourd’hui comme hier, le progrès artistique, l’utilisation pour Nono des techniques électroniques très avancées ne visent pas simplement l’enrichissement du son musical, ne servent pas la seule expérimentation, en tant que telle, d’un nouveau son, mais sont étroitement liés à la transformation intentionnelle de tout le système conventionnel des rapports entre musique et société. Si différemment qu’il faille placer aujourd’hui les accents ; en comparaison de la problématique du Nono des années soixante et soixante-dix, le progrès artistique, pour lui, est aussi peu séparable du progrès de la société aujourd’hui qu’autrefois. La valeur du politique a simplement quelque peu changé, la révolution des rapports humains reste désormais à l’Est comme à l’Ouest – en suspens.
9Le rappel constant du Nono de l’engagement peut paraître anachronique à une époque de fuite irréfléchie devant les idéologies, pourtant il n’est non seulement pas inutile, mais il se révèle réellement indispensable, si l’on veut éviter que la continuité essentielle de sa création soit dénaturée. Sans cela, il pourrait facilement sembler, comme on aime généralement à le proclamer, que Nono est revenu au « purement humain » ce distillat éthéré de l’époque bourgeoise –, qu’il a mis un terme à sa « coquetterie » avec ce qui n’est pas du domaine de la musique. On a à faire ici à une sorte de double vue de la critique musicale, que l’on peut tenir pour responsable de la propagation de l’idée selon laquelle Nono, après le théâtre total de Al gran sole carico d’amore, après les tentatives artistiques expansionnistes des années précédentes, se serait dérobé à la réalité qui aurait abouti pour lui à un naufrage, pour se réfugier dans un esthétisme acoustique hyper-sensible. Cette interprétation ne veut voir, dans toute la période qui débute avec... sofferte onde serene... et atteint son sommet avec Prometeo, aucun réel progrès, aucune approche nouvelle de la problématique du Nono d’autrefois, mais ne fait que célébrer son propre triomphe. Avec l’autosuffisance du « ne l’avais-je pas dit ? », on clame que Nono se serait enfin rallié à l’idée que les efforts des années consacrées à servir un idéal révolutionnaire à la fois politique et social n’ont strictement servi à rien.
10L’enrichissement de la musique par des références politiques ou idéologiques n’a jamais signifié pour Nono qu’on enchaîne l’art libre « par nature ». L’engagement de Nono n’a jamais été une variante ouest-européenne de salon de la folie de Jdanov (pas même dans le Musica-Manifesto brûlant de l’enthousiasme de 68, et surtout pas dans le Diario polacco 2°, dont la réflexivité est poussée à l’extrême). Il a essayé de dépister les fonctions idéologiques véritablement fructueuses, souvent latentes, de la musique, et de les développer : à partir du matériau acoustique lui-même et à l’intérieur de l’espace social et esthétique qui environne la musique. L’élément politique n’a par ailleurs jamais été interprété chez Nono dans un sens étroit, par exemple comme un « communisme pur et dur », promu dans les États socialistes de l’Europe de l’Est à une existence réelle, ou comme une forme bâtarde de la pensée communiste, mais comme responsabilité, comme exigence de transparence, inhérente à l’ordre de valeurs du développement humain. Voilà une des nombreuses raisons pour lesquelles Nono le communiste n’est que très modérément désiré dans les sphères du pouvoir à l’est de l’Elbe.
11Le « nouveau » Nono n’est pas non plus devenu un mystique. Qui plus est, la culture musicale est, selon son point de vue, partie prenante du « bloc historique », comme le dit Gramsci, c’est une « culture organique », dont les fondements doivent être jetés même dans des conditions historiques changées. Une culture organique qui présuppose et établit des conditions démocratiques accomplies. Une culture organique qui s’oppose à la « simple présence », qui remet en question et combat dans un même mouvement l’accommodation irréfléchie, l’identification passive, la conscience de consommateur purement réceptive, qu’il s’agisse de n’importe quelle puissance, institution, idéologie, façon de penser ou culture d’écoute. Poussé jusqu’aux limites de ce qui traditionnellement est encore perçu comme « musique », faisant sauter le cadre de ses modes d’existence sociaux, l’art acoustique de Nono – de manière à la fois proche et différente de celle d’hier – se présente à nous comme une construction mentale, qui exige maturité intellectuelle et absence de préjugés. Il n’en est pas moins un art libre de cette attitude – représentée par le pseudo-art stalinien, réprouvé comme « socialiste » – qui considère l’homme de toute la hauteur des perspectives qu’on croit avoir inventées, à la lorgnette d’idéologies élevées au rang de religions d’Etat, avec pédantisme et arrogance. Une pensée autre et la multiplicité des approches sont restées des exigences de première importance.
12En outre, une des lignes de continuité les plus importantes entre l’« ancien » et le « nouveau » Nono est la reconnaissance du fait que, sans l’intégration organique de cette alternative démocratique dans notre réflexion sur l’art contemporain, on en revient toujours aux « vieilles inepties » ; le système est court-circuité – comme si souvent déjà dans l’histoire de la Nouvelle Musique – et l’élite intellectuelle prend le dessus.
13Nous voilà apparemment revenus à la même question, déjà soulevée par Penderecki : est-ce que cela a un sens de faire du bricolage technique ? La musique a-t-elle tout simplement un sens, quand elle passe à côté des hommes sans même être perçue ? Avant de répondre par trop hâtivement, on devrait tenir compte de ceci : si attirante que soit cette alternative démocratique dans le domaine des arts, ce sont justement les hommes auxquels s’adresse le nouvel art acoustique de Nono qui désirent le plus y renoncer. De plus, cette période historique, pleine d’illusions de gauche, à laquelle l’« ancien » Nono a prêté la formulation acoustique la plus approfondie, la plus radicale et la plus tournée vers le futur, semble appartenir désormais définitivement au passé.
14Une formule paradoxale vient donc à l’esprit : la musique de Penderecki, élitiste par essence, arrive jusqu’au public, alors que l’art nouveau de Nono, qui se veut démocratique et tourné vers le futur, doit, lui, nécessairement rester élitiste. Ou bien en va-t-il tout autrement ?
II.
15Quoi qu’il en soit, la question reste ouverte : comment est-il possible d’atteindre l’autre ? Comment est-il spirituellement accessible sans qu’il lui soit fait violence, comme le faisait autrefois l’avant-garde ? Et sans se montrer familier avec lui, comme le fait couramment la musique de consommation ? Et quelles formes de communauté, d’association humaine sont-elles possibles, lorsqu’on constate que les formations macro-sociales se désagrègent sous nos yeux, que les fondements de légitimation de l’art, vieux de plusieurs siècles – y compris le concept de « peuple » – lui sont, avec les idéologies devenues caduques, progressivement retirés ? Nono, lui aussi, le souligne : le concept de « masse » est historiquement dépassé, un nouveau concept de « société » s’impose. Mais comment cela se vérifie-t-il dans la réalité empirique de la société ?
16La duplicité de l’art autonome et de la culture commerciale est devenue un processus uniforme et irrévocable de modernisation, qui a déjà trouvé, dans la théorie des actes communicatifs d’Habermas, sa formulation – la connotation négative propre jadis à la critique de la culture de l’École de Francfort en moins. Est-il par conséquent sensé de se faire du souci au sujet de la remédiation à la contradiction entre les possibilités démultipliées par les nouvelles technologies s’offrant à l’art avancé et la réceptivité, les facultés d’assimilation de ce nouvel art autonome par le grand public ?
17Le poète hongrois János Pilinszky, connu également dans les pays francophones, disait une fois que l’art n’est rien d’autre qu’un combat avec les faits pour la réalité, et que le seul et unique terrain authentique de cette lutte est la personnalité créatrice elle-même. Peut-être comprendra-t-on mieux aussi, dans cette perspective, l’obstination artistique avec laquelle Nono, dans sa nouvelle période créatrice, va à l’encontre de l’esprit du temps pour s’avancer vers l’esprit du futur ? En particulier, lorsque l’on songe à quel point les tendances les plus diverses de la postmodernité – sans même parler des mouvements « rétro » – sont peu à même d’offrir un véritable refuge à la personnalité de l’artiste. Même s’il s’agit d’artistes qui, comme Nono, s’attachent à la défense de la qualité de la vie. Pourtant ceux-ci sont-ils suffissamment à l’abri, si l’art ne peut rien faire d’autre que se camoufler, que veiller à ne pas se faire étiqueter, débusquer ? Est-ce que la protection de l’individualité face à la totalité établie peut être garantie sur le plan purement subjectif, si l’artiste est exclusivement dominé par une peur panique des idéologies compromises, du contrôle par l’establishment et des tutelles de tout bord ?
18Autant d’angoisses et de questions – autant de défis lancés par notre époque – qui travaillent Nono et mettent en évidence un rapport profond et substantiel entre la sensibilité postmoderne et l’attitude exprimée dans la musique de Nono. Une sensibilité nouvelle, accrue, semblable à celle de la postmodernité : voilà le terrain de la lutte avec les faits, le contexte où l’ancien et le conventionnel, le traditionnel et l’inventé, sont réévalués. Néanmoins, on se tromperait lourdement si l’on voulait purement et simplement rattacher Nono au mouvement de la new sensibility. Ce sont précisément là les deux axiomes de l’art postmoderne que Nono n’accepte pas – même quand il n’y a apparemment pas d’autre issue : le repli définitif de l’art sur lui-même – malgré son flirt occasionnel avec le marché – ainsi que le comportement défensif de la personnalité créatrice, la mythologie privée.
19Nono aspire de nouveau à une manière de voir historique, exactement comme pendant sa période de Darmstadt, quand il s’agissait de se libérer du sérialisme orthodoxe et d’opposer à l’interprétation techniciste de la musique une interprétation historique. Dans le contexte actuel, la tâche consiste à aller dans le sens d’un rétablissement de la médiation subjective en lieu et place de la totalité figée du monde (de la société, des institutions) et de l’instauration d’un contrôle personnel en lieu et place de la logique d’institutionnalisation qui aspire sans cesse au totalitaire.
20Dans la thèse habermasienne des actes communicatifs, il s’agit de la préservation du « recommencement », qui n’est pas garantie dans la société, que ce soit dans la pratique politique, dans le domaine de la culture musicale ou dans l’articulation des problèmes artistiques. Ainsi la libération des chaînes de l’esprit, la rébellion contre la pensée dogmatique, l’hostilité à l’orthodoxie acquièrent une importance primordiale dans la pensée de Nono (elles y ont toujours été présentes de façon latente, notamment si l’on pense à son rapport critique et créateur avec le marxisme dogmatique, devenu, sous tant de cieux, doctrine de salut).
21De quoi d’autre traite en effet Prometeo, si ce n’est de l’impossibilité de penser la totalité comme totalité, si ce n’est de l’hérésie, de la perception de la fausse totalisation comme danger suprême ?
22Le programme de renversement des fausses totalités et de rétablissement des totalités subjectives, sous le contrôle absolu de la personne, reçoit chez Nono une signification ontologique. Dans le système de valeurs, à ce niveau ontologique, c’est la recherche elle-même qui représente une des valeurs principales. Comme on peut le lire dans le célèbre texte d’introduction à la représentation genevoise de Das atmende Klarsein, une œuvre qui a d’ailleurs abouti au Prometeo : « Le travail de recherche est infini, en effet. La finalité, la réalisation, c’est une autre mentalité. Peut-être l’idée de Schœnberg* n’est-elle pas une folie, mais contient-elle une grande vérité. Souvent, dans le travail de recherche, ou durant les répétitions, éclatent des conflits. Mais ce sont des moments très émouvants. Après, il y a la ritualité du concert. Peut-être est-il possible de réveiller l’oreille. »
23Un autre élément qui est en rapport étroit avec le travail de recherche, c’est l’erreur, élevée également au niveau ontologique : « l’erreur comme nécessité ». Ou le « doute non mis en doute », la « certezza nell’incertezza », l’« inquiétude désespérée » – comme il est dit ailleurs. Une attitude face au monde, en somme, qui suscite l’inquiétude dans la conscience, qui incite à dire non, qui donne le courage de résister à ce qui est établi et de refuser la logique bien installée de consommation et d’accommodation. Le fondement de l’individualité étant précisément la diversité et la non-répétitivité, sa sauvegarde n’est possible que grâce à de tels présupposés idéels : « Cela permet une grande diversité. Dans l’esprit de Musil, s’il y a le sens de la réalité, il doit y avoir aussi le sens des probabilités. »
24Ontologiquement, l’erreur et le sens des probabilités sont deux dimensions étroitement liées appartenant à la même attitude. Cela, non seulement sur le plan de la macrostructure sociale, comme volonté subjective s’opposant à une fausse totalisation politique (c’est la raison pour laquelle les dernières œuvres de Nono, notamment Prometeo, sont énigmatiques et difficiles à interpréter du point de vue de la période engagée « politiquement »), mais avant tout sur le plan de la microstructure de la pensée et de la vie, englobant également les relations humaines. Ainsi le « refus d’obéir », la « transgression », devient le seul moyen de rendre transparentes les relations humaines pétrifiées. « Car l’erreur est ce qui vient casser les règles. »
25C’est également l’erreur qui constitue la seule voie par laquelle la culture actuelle des décombres peut être réorganisée autour de références cohérentes et communes en cultures organiques diverses chargées de nouvelles significations. C’est la seule manière de rétablir une communication humaine pleine de sens, qui serait une alternative au bouclier de l’abrutissement dressé devant nous. La pensée par modèles – avec toutes ses variations telles que la pensée en termes de blocs politiques, etc. –, qui est l’incarnation même des certitudes dogmatiques, doit être relayée par une pensée autre donnant la préférence à l’individu, à la personne ; la pensée totalisante doit faire place à une pensée fragmentaire discontinue qui ne se réclame pas d’une totalité voulant « expliquer le monde ».
26De nos jours, le caractère général de la communication est de plus en plus déterminé par le « bavardage de la surface ». L’engourdissement de notre culture des décombres et l’échec de la communication humaine au sens profond ont leur contrepartie dans des phénomènes acoustiques précis. De même que l’homme regarde le monde sans voir (comportement typique : le regard fixé sur la télévision), de même il perçoit l’environnement acoustique sans entendre (phénomène typique : le murmure permanent des mass-média). L’homme a complètement perdu la capacité d’« écouter la musique». Les schémas et les crispations de la perception canalisent l’ouïe au même titre que les crispations émotionnelles la pensée. Les possibilités de changer sont bloquées, l’imagination créatrice est attachée à la glèbe. « Autres pensées, autres bruits, autres sonorités, autre idées. Lorsqu’on vient écouter, on essaie souvent de se retrouver soi-même dans les autres. Retrouver ses propres mécanismes, système, rationalisme, dans l’autre. Et cela, c’est une violence tout à fait conservatrice. »
27Avec Fragmente-Stille, An Diotima, le silence devient un problème clé chez Nono, mais pas seulement au sens acoustique et encore moins au sens de sa simple définition négative d’absence de son. En tant que partie intégrante d’un continuum communicatif, le sens ontologique du silence est de créer une possibilité d’approfondissement, de réflexion. Le silence n’a rien à voir avec le mutisme, ni avec une justification de la solitude – à l’allure foncièrement originelle – de l’homme moderne ; dans cette interprétation, il est au contraire une reformulation de la silencieuse communauté détruite en l’homme, une recherche de nouvelles dimensions de la communication, un point de départ pour vaincre l’abrutissement. Bref, une correction du seuil d’excitation poussé jusqu’à l’insensibilité par le boom de la civilisation. « Au lieu d’écouter le silence, au lieu d’écouter les autres, on espère écouter encore une fois soi-même. C’est une répétition qui devient académique, conservatrice, réactionnaire. C’est un mur contre les pensées, contre ce qu’il n’est pas possible, aujourd’hui encore, d’expliquer. C’est le fait d’une mentalité systématique, basée sur les a priori (intérieurs ou extérieurs, sociaux ou esthétiques). On aime le confort, la répétition, les mythes ; on aime écouter toujours la même chose, avec ces petites différences qui permettent de démontrer son intelligence. »
28Finalement, c’est ici que se cache le problème des langages communs manquants, de la koïnè manquante, qui fait que les problèmes ne peuvent même pas être articulés dans leur essence acoustique et musicale propre. Dans le système tonal traditionnel, toutes les possibilités ont déjà été essayées ; impossible d’écrire de nos jours une seule note tonale sans tomber en discrédit. Nono a sans doute raison lorsqu’au lieu de se servir du sérialisme ou même des amalgames de langages éclectiques de la modernité contemporaine, il creuse jusque dans les couches les plus profondes des phénomènes acoustiques. Cependant à cet égard aussi, les difficultés auxquelles Nono doit faire face sont énormes, puisque toute la culture européenne est fondée sur la priorité de l’ideïn, spécialement à notre époque où la culture non organique est basée sur la prédominance de l’image (cf. l’envahissement par la vidéo). Avec la meilleure volonté du monde on s’obstine à chercher des symboles ou des métaphores dans les manifestations sonores, et l’on n’est plus capable de voir l’évidence (comme ce fut le cas dans les cultures organiques où ce problème était inexistant) : la pensée en musique représente une dimension des possibilités de communication humaines tout à fait équivalente à la pensée en concepts.
29Ainsi le programme consistant à « réveiller l’oreille, les yeux, la pensée humaine, l’intelligence, le maximum d’intériorisation extériorisée » part de l’analyse des manifestations sonores pour aboutir à un sens nouveau de l’œuvre ouverte. L’ouïe nouvelle, qui doit être éveillée, suscite une relation analytique intérieure avec les microstructures du monde sonore, et la manifestation sonore se transforme elle-même au moyen de la live electronics : ainsi elle devient suono mobile dont les caractéristiques sont l’inquiétude, une forme sans cesse transformée et intégrée dans un continuum dynamique entre son et silence. La technique n’est donc pas un fétiche pour Nono, et la nouveauté en tant que telle n’est pas une fin en soi. Les deux sont des moyens pour découvrir de nouvelles formes d’expérience. C’est là précisément le sens concret du « bricolage technique » rejeté par Penderecki.
30A cela s’ajoute le fait que, dans ce système, la linéarité du temps perd son sens : pas de temps sans espace ; le temps en vertu de son principe même devient l’espace d’une nouvelle pensée basée sur la simultanéité de ce qui est divers. L’idéal qu’a Nono de l’œuvre ouverte est l’opposé de celui dont Umberto Eco avait fait la théorie. L’ouverture de l’art avant-gardiste a été historiquement dépassée, sa base étant en réalité la négation de cette totalité compacte de la forme que Georg Lukács a appelée le « monde fermé » de l’œuvre d’art et l’« individualité de l’œuvre ». Le sens de l’ouverture chez Nono est en revanche la recherche de la koïnè, d’une pratique humaine universelle que le sujet réussit de nouveau à maîtriser. Une prise de position face au monde – non moins prononcée que dans les œuvres politiquement engagées – qui n’est pas « réaliste » au sens dogmatique du terme mais devenue elle-même conscience, composante ontologique de l’être. Fragmente-Stille, Das atmende Klarsein, Quando stanno morendo, Guai ai gelidi mostri, Risonanze erranti et surtout Prometeo n’exposent plus les « contradictions du monde ». C’est leur existence même dans le monde actuel qui est devenue une contradiction. Dans la totalité compacte de la forme, le monstre de la manipulation idéologique possible se tient sans cesse à l’affût. N’empêche que le flottement, la négation des certitudes acoustiques, et le rétablissement des microstructures contrôlées subjectivement offrent au moins une chance d’échapper à ce monstre.
III.
31En créant, avec Prometeo, un produit intense de conscience, replié sur lui-même et dépourvu de tout aspect dramatique et scénique, qui renonce même à toute iconographie traditionnelle de Prométhée, Nono s’est éloigné des conceptions initiales de façon d’autant plus exemplaire que l’œuvre était conçue comme une troisième azione scenica. L’action, réduite à des mouvements intérieurs, coïncide parfaitement avec la subjectivité. D’où l’impression, si l’on aborde l’œuvre par le biais des conventions d’écoute, que le temps semble s’arrêter. Il se transforme en un humus de micromouvements à peine perceptibles à l’oreille « nue ». Comparé à l’image du célèbre roman de Clarke, le Prometeo de Nono est comme une « odyssée acoustique dans l’espace ». A l’instar de l’homme qui, chez Clarke, franchit la porte des étoiles et découvre une existence jusque-là insaisissable dans la dimension espace-temps, l’auditeur-spectateur de Prometeo assiste lui aussi à un tournant vers une sphère d’écoute jusque-là inconnue, vers des dimensions encore inexplorées de l’existence humaine.
32En même temps, on est surpris par la continuité qui relie Prometeo à Al gran sole carico d’amore, qui d’ailleurs fait apparaître une autre caractéristique de l’œuvre précédente. A l’époque, au milieu des années soixante-dix, la nouveauté dramaturgique de l’action scénique était que Nono y faisait fonctionner un système de miroirs lyrique produisant un effet dramatique. Les conflits n’étaient pas résolus sur le plan de l’action symbolique, mais ils s’extériorisaient – au moyen d’une polyphonie multimédia, c’est-à-dire du contrepoint de différents média – sous forme d’une tension extrême entre les pôles qui se déchargeait dans la conscience du spectateur comme bouleversement émotionnel et illumination intellectuelle orientée sur l’agir : un événement intense qui relève de la conscience, strictement extérieur à l’œuvre.
33Dans Al gran sole, l’emploi du chœur, que Nono avait entièrement repensé depuis le Canto sospeso, est pleinement developpé. C’est notamment le rapport entre chant solo et son choral qui fut soumis à des transformations. Grâce au passage continuel d’une voix à l’autre naissait un espace d’articulations qui permettait l’actualisation simultanée d’éléments réflexifs aussi bien qu’actifs ; en outre, chant solo et chœur ne s’opposaient plus forcément comme des entités étrangères, le solo incarnant par exemple l’individualité et le chœur la collectivité. En tant que constituants d’un son complexe, chant solo et chœur sont devenus un moyen de mettre en évidence une image dynamique de l’homme. Par là même, Nono a réussi à dépasser la conception bornée (d’un point de vue avancé) du chant solo romantique centré sur l’individu, et la conception tout aussi bornée (de ce même point de vue) du son choral massif d’antan représentant la collectivité et s’exprimant entre autres dans la chanson de masse.
34Sur une telle base, ce qui était inconcevable dans une dramaturgie traditionnelle devenait possible sur le plan de l’action scénique : l’élargissement de la personnalité quotidienne à la collectivité concrètement et sensuellement perceptible, d’une part, et le processus dans lequel les individus se confondent, d’autre part. Une mise en rapport continuelle entre individualité et collectivité au cours de laquelle le rôle historique de la personnalité, du facteur subjectif dans l’histoire, est rendu perceptible aux sens. Cette collectivité ne s’opposait plus de l’extérieur à l’individu, comme les collectivités forcées du socialisme d’Etat « pur et dur ». Elle a perdu son caractère borné, apparaissant désormais dans l’œuvre de Nono comme une « association d’individus de l’histoire du monde ». C’est la conception de l’homme d’Antonio Gramsci qui transparaît chez Nono : l’homme devenu « maître de son propre destin », qui « peut maîtriser, organiser sa propre vie », et qui est le «processus de ses propres actes ». Dans cette conception, individualité et collectivité sont les dimensions interdépendantes d’une personnalité historique épanouie, en pleine maturité.
35L’homme animé par la volonté d’interpréter et de façonner le monde à sa guise est présent dans toute la structure temporelle de Al gran sole, qui converge idéellement dans l’anticipation de la « collectivité communiste » de Marx – non pas comme « perspective » inculquée didactiquement ni surtout comme « optimisme » historique superficiel. Mais malgré l’insistance avec laquelle on cherchait à réaliser un nouveau système de relations humaines dont le moteur était précisément la volonté de dépasser à chaque fois l’état actuel, ces idées se sont révélées être utopiques à la fin des années soixante-dix. Ce ne sont donc pas seulement les sources d’énergie intérieures d’une œuvre musicale, marquée par sa conception débordante et sa logique expansive, qui se sont épuisées, mais c’est l’histoire mondiale qui a pris d’autres chemins. Tout en conservant les aspirations antérieures par rapport à l’épanouissement de la personnalité mûre, la logique expansive se retire dans le sujet. Elle prend la forme d’une matière intelligible hypersensible où les rapports immédiats au monde et à l’histoire semblent disparaître pour faire place à des ruminations ésotériques. Ce qui reste cependant, c’est la conscience compositionnelle – autrefois interprète immédiate du monde – qui ne cesse d’affirmer sa présence à travers la maîtrise souveraine du son en y intégrant acoustiquement le matériau philosophique et poétique extrêmement hétéronome, non autonome sous cette forme.
36En ce sens, la masse de conscience intelligible de Prometeo n’est guère autre chose que la conscience historique de Al gran sole, dépouillée de ses ambitions de façonner le monde, privée de la possibilité d’agir historiquement.
37Une conscience malheureuse†, pourrait-on dire avec Hegel. Une conscience qui, ayant déjà atteint les sommets du savoir sur elle-même et sur le monde, est contrainte à se replier sur elle-même : « Nous voyons donc ici la conscience de soi qui s’est retirée dans son intimité la plus profonde – toute extériorité comme telle disparaît pour elle – elle est retournée dans l’intuition du Moi-Moi dans laquelle ce Moi est toute essentialité et être-là » (Hegel, Phénoménologie de l’esprit).
38C’est le reflet d’une lourde déception historique : disparition de l’esprit de soixante-huit, discrédit de la politique institutionnelle à l’Est et à l’Ouest, désagrégation irrémédiable des valeurs communautaires, sans parler des catastrophes qui nous menacent. Ce qui reste, c’est uniquement la personnalité en tant que certitude cartésienne absolue. Cependant, pour la conscience malheureuse, le monde reste « une réalité effective brisée en deux fragments, qui sous un aspect seulement est en soi néant, mais sous l’autre, est un monde consacré » auquel on n’échappe pas. Un monde aliéné de bout en bout qui résiste à la volonté éveillée à la conscience de soi.
39Le renoncement sceptique de Nono ne peut toutefois pas être assimilé à de la résignation. Son scepticisme est un scepticisme actif. L’autonomie de la conscience de soi du compositeur conserve aussi dans le détachement de la sprezzatura – concept qui remonte dans la tradition italienne jusqu’à Castiglione et qui, ayant fortement changé de sens depuis, désigne désormais la distance créatrice par l’indépendance spirituelle – la contrainte intérieure de se montrer au monde et de lui faire face. Malgré la place absolue accordée à l’incertitude, il en résulte – pour réutiliser l’expression de Hegel – « la certitude immuable et authentique de soi-même ». Au contentement de soi et au cynisme de Penderecki s’oppose « l’absolue inquiétude dialectique ». C’est pourquoi la nécessité de la sprezzatura ne renvoie tout de même pas à une conscience élitiste hermétique ; l’inquiétude mentionnée implique au contraire une recherche constante d’« éléments d’ouverture ». Prometeo est comme un être vivant dont les antennes sont sans cesse en éveil – pour nous souvent imperceptiblement – afin de capter de nouvelles impulsions de vie : contre la vie de confort, contre les schématismes de la pensée et du sentir, contre la « sclérose par l’habitude ».
40La citation : « Hölderlin dans sa tour. Gramsci dans sa cellule » où Nono fait mention de deux sources importantes de sa pensée, illustre de façon métaphorique la situation de l’intellectuel moderne à la recherche de nouvelles formes d’expérience. Par ailleurs, le déchirement douloureux de la conscience malheureuse naît aussi du fait que les hommes sont inaccessibles les uns pour les autres, que les mondes nouveaux péniblement conquis sont – dans le meilleur des cas – enfermés dans la conscience et ne parviennent pas à une véritable objectivation. Chez Hegel, ce déchirement apparaît de façon très claire : « Mais la conscience malheureuse ne se trouve elle-même que comme désirant et travaillant. » Elle ne saurait se retrouver que dans des formes d’action qui signifient tout pour elle – opposées à celles existant actuellement –, pouvant ainsi atteindre également la certitude pour elle-même de sa conscience de soi : « Puisque pour soi-même elle n’a pas cette certitude, son intérieur reste encore plutôt la certitude brisée qu’elle a de soi-même. »
41C’est précisément par ce déchirement que s’explique le caractère spécifique des produits de conscience qui acquièrent chez Nono une qualité objective : caractère qui s’exprime dans les œuvres par une inquiétude chargée de tension, souvent même pas perceptible à la première écoute et perçue par l’ouïe conventionnelle comme quelque chose de lisse. Même si la « clarté respirante » de la musique de Nono peut paraître détachée de la société, c’est précisément son ambivalence (entre le repli sur soi créateur et salvateur de valeurs, d’une part, et l’abandon par contrainte intérieure, d’autre part) qui permet d’éviter les pièges. Que ce soient ceux dressés par le monde établi ou ceux que Hegel a identifiés comme étant une loi intérieure de la conscience malheureuse : « Cette conscience est donc ce radotage inconscient oscillant perpétuellement d’un extrême, la conscience de soi égale à soi-même, à un autre extrême, la conscience contingente, confuse et engendrant la confusion. »
42C’est pourquoi le cours du monde défavorable constitue un obstacle à l’objectivation réelle de la « clarté respirante » et de l’agitation intérieure inhérentes à la masse sonore intelligible de Prometeo. Le repli sur soi ne reste pas pour autant le déchirement privé d’un centre mais conduit à un dernier effort de volonté. C’est la raison pour laquelle le matériau acoustique intelligible de Nono ne devient pas une « malheureuse belle âme » dont la « lumière s’éteint peu à peu en elle-même, et [qui] s’évanouit comme une vapeur sans forme qui se dissout dans l’air ». Nono ne vit pas, comme beaucoup de beaux esprits de la culture musicale contemporaine, dans l’angoisse « de souiller la splendeur de son intériorité par l’action et l’être-là », ne fuit pas « le contact de l’effectivité ». L’orientation latente de Prometeo vers une pratique humaine s’exprime à travers la tentative de « transformer sa pensée en être » – aussi peu possible que paraisse une telle transformation.
43Ce n’est pas par hasard que nous avons pris appui sur de longs passages de Hegel pour décrire le mode d’existence du matériau acoustique intelligible chez Nono. Hegel reconnut en l’époque bourgeoise de l’histoire de l’humanité un déchirement déterminant auquel il conféra – plus clairement dans l’œuvre du début que dans l’œuvre tardive des systèmes totalisants – une expression limpide, à un niveau élevé d’abstraction philosophique, avec la théorie de la conscience malheureuse comme étape dans l’évolution de l’esprit. Ce déchirement résidait dans le fait que, d’une part, l’épanouissement de l’être humain universel – également le présupposé de l’image de l’homme chez Nono – n’était devenu possible, sur le plan de l’histoire mondiale, qu’à l’époque hegélienne, et que, d’autre part, ce fut précisément cette même époque qui mit des obstacles infranchissables à cet épanouissement. En attendant, la moitié du monde dite communiste ne fut pas en mesure d’offrir une vraie alternative à l’époque bourgeoise. Un fait qui ne peut pas être sans importance pour Nono. En même temps toutefois, la forme de nouvelle sensibilité pratiquée par Nono est aussi une mise en question conséquente de l’idéologie apparemment non idéologique du désespoir radical propre au sentiment de vie postmoderne.
44Mais comment trouver un chemin nouveau ?
45« Caminantes. No hay caminos, hay que caminar »‡ dit Nono en faisant sienne l’inscription murale de Toledo des années 1300. Mais que pouvons-nous faire avec notre personnalité en pleine maturité et devenue autonome dans un monde plein de catastrophes dont l’homme est lui-même l’auteur, dans un monde menacé par le chantage nucléaire, où la crise écologique devient de plus en plus inquiétante et où les rapports humains sont détériorés – un monde où tout contribue à maintenir l’establishment, tantôt par des moyens agréables, tantôt par la violence ? Un monde où tout est désiré, sauf l’autonomie de l’homme ?
46Y a-t-il une grâce venant de l’extérieur qui nous est simplement donnée ? Vers où devons-nous tourner nos yeux attentifs ?
47Vers l’Est ?
48Vers l’Ouest ?
49Vers l’intérieur ?
50Prometeo incite à poser des questions, il ne nous livre pas de pensées standard qui pourraient servir notre sentiment de confort.
51Is this all we can do ?
Notes de fin
* Dans sa conférence, Luigi Nono rappelait que Schœnberg avait supprimé un concert bien qu’ayant fait de très nombreuses répétitions avec les musiciens. NDT.
† En français dans le texte, comme toutes les citations de Hegel qui vont suivre. NDT.
‡ Marcheurs. Il n’y a pas de chemin, il n’y a qu’à marcher.
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