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György Kurtág

Traduit par Katia Berger (trad.)

p. 195-197


Texte intégral

1Par quoi un compositeur est-il guidé dans le choix d’un texte poétique ? Les spécialistes spécifient toujours avec certitude si ce choix est conscient ou inconscient, s’il répond à l’esprit et aux modes du moment, s’il exprime l’orientation idéologique qui règne dans la société de l’époque durant laquelle ce compositeur vit et crée. On comprend très bien que Piotr Ilitch Tchaïkovski n’ait pu se passer d’Alexandre Pouchkine, sans détourner pour autant son attention des poètes en vogue à son époque, Polonski et Alexei Tolstoï. Schubert et Schumann auraient-ils pu, eux, se dispenser de Goethe, de Heine ou de Schiller ? Sans parler du rôle de la tradition. Il est difficile de trouver ne serait-ce qu’un compositeur contemporain hongrois qui ne se soit référé dans son œuvre à la poésie d’Attila József.

2Vient ensuite le problème de la langue. Il ne se pose pas quand le compositeur se tourne vers les écrits d’un poète de son propre pays. Tout se met alors bien en place : la sonorité comme la prosodie. Il en va autrement lorsque le compositeur prend pour base l’œuvre d’un poète écrivant dans une langue étrangère. Je ne pense pas que la démarche d’Alexandre Prokofiev ou de Dimitri Chostakovitch, qui se servaient de traductions pour leurs œuvres vocales, puisse contenter les connaisseurs. Les vers de Rilke, Apollinaire ou Byron y sonnent bizarrement.

3Dans notre cas, ce problème a été évité : la musique est basée sur des textes originaux en langue russe. Pour en arriver là, il a fallu la volonté et la fermeté de György Kurtág, qui a su apprendre le russe, et ceci non pas de façon simplement scolaire, mais en pénétrant également ses zones « transverbales », en faisant résonner le mot russe — fort heureusement sans accent hongrois.

4Qu’a donc, dans ce cas précis, attiré le compositeur ? Avant toute chose, un simple intérêt, un intérêt envers moi, ma personnalité, mon destin, ma mentalité et mes réactions vis-à-vis du monde ambiant, mes efforts pour me trouver une place dans la réalité hongroise, qui tranche tellement avec l’ordre à la russe que j’avais connu — l’« altérité » qui attire si souvent l’attention de Kurtág. Je rappelle que ses cycles vocaux sont écrits sur des poésies et des textes d’auteurs se tenant tous à part dans la littérature tant hongroise que mondiale : Bornemisza et Pilinski, Attila József et Franz Kafka. Parmi les œuvres de ces géants de la littérature, il restait une place pour mes propres vers qui relient en quelque sorte par de petits fils tout fins les révélations apportées par ces grands auteurs.

5Toujours, Kurtág choisit ce qui est minimaliste et romantique. La poétique des petites formes, le caractère aphoristique, l’apesanteur et en même temps un grand poids. Dire sans tout dire, effleurer mais ne pas rompre, pénétrer mais ne pas trahir. Chaque ligne est un jeu — un jeu qui ne s’achève pas. Chaque ligne est un soupir. Et dans ce soupir, il y a la vie. Et le romantisme. Pas un romantisme fier, élevé, mais le romantisme du lointain, de l’inaccessible. Le romantisme qui vient et qui repart, qui emporte et ne satisfait jamais. Le romantisme de Dom Juan.

6Le hasard. Par hasard, nous nous sommes rencontrés, mais ce n’est pas par hasard que j’ai écrit mes vers et que la musique a été créée. Chacun de nous, à sa façon, réagissait à son temps, et il se trouve que nos réactions ont coïncidé. Les miennes sont des réactions de femme, faibles, légèrement poudrées d’un pollen romantique. Celles de Kurtág sont viriles, franches ; en elles sont menées jusqu’à leur terme logique les pensées et les émotions qui ne font que percer dans mes vers, telles de faibles pousses.

7Nous ne travaillons pas ensemble. Pour moi, c’est peut-être le principal. Dans n’importe quelle situation, nous ne demeurons fidèles qu’à nous-mêmes, mais de chacune de nos rencontres naît quelque chose qui apporte, je l’espère, une grande joie à tous ceux qui aiment la musique et la poésie.

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