« Mondes infinis... »
p. 113-136
Texte intégral
1Si l’on pense à l’œuvre de Dallapiccola dans sa globalité, tous genres confondus, les notions d’équilibre, de richesse et de modération viennent à l’esprit rapidement. Le compositeur appartient à cette génération intermédiaire entre les grands musiciens du début du siècle (Bartok, Stravinski, Schœnberg, etc.) et le groupe de Boulez, Nono, Stockhausen. Ce décalage et l’imprégnation du néo-classicisme dans sa jeunesse expliquent d’une certaine façon – comme dans le cas de Bernd Alois Zimmermann – l’adaptation tardive et très particulière de Dallapiccola aux critères de l’après-Seconde Guerre mondiale. Il est donc vrai que Dallapiccola ne figure pas parmi les novateurs les plus radicaux de son époque : sa démarche artistique progresse lentement et prend appui sur une très grande ouverture quant au choix des moyens. Un certain équilibre est perceptible de ce point de vue dans son langage, et sa position souvent modérée – mais sans concessions – débouche sur une synthèse très personnelle de différents « vocabulaires ». Ainsi en va-t-il avec la mélodie, qui peut être considérée comme l’une des premières caractéristiques de sa musique. Bien que certaines dimensions de son écriture vocale puissent être comparées à celles des compositeurs de la Seconde École de Vienne, l’« empreinte » de Dallapiccola s’en distingue tout de même assez nettement par la singularité de son « lyrisme », dont l’origine ne se situe pas dans le postromantisme germanique. La phrase vocale peut avoir chez lui différentes ampleurs, mais elle reste toujours plus ou moins « chantante », ainsi que le considérait encore le compositeur en 1962 lors de ses entretiens avec Hans Nathan : « “Vos séries sont donc conçues dans un style cantabile ?” Luigi Dallapiccola : “Dans certaines œuvres sans doute. Je maintiens cela dans l’écriture chorale comme, par exemple, dans les Canti di liberazione ; on peut insister sur de nombreuses choses dans l’intonation à condition toutefois que la ligne mélodique ait un caractère cantabile, même s’il s’agit de groupes de deux ou trois sons.” »164
2Au cours des mêmes entretiens, Dallapiccola souligne la cœxistence non seulement possible, mais nécessaire pour lui, de la mélodie et de la série dodécaphonique : « ... la série a une fonction structurelle par dessus tout, mais tenter d’éliminer à tout prix l’élément mélodique de la série me semble un procédé antimusical, presque mécanique... »165
3Le compositeur a très vite manifesté aussi une sensibilité rythmique propre : son rythme « flottant » peut certes être mis en parallèle avec certains passages des œuvres de Webern, mais il ne constitue pas l’unique composante, et on est précisément frappé chez lui par les fines gradations employées entre les « pôles » opposés que représentent d’une part le rythme complètement « flottant » et l’homorythmie parfaite. Le domaine rythmique a une importance capitale chez Dallapiccola, il participe pleinement à la dialectique soutenue par les autres dimensions du langage et se charge souvent d’apporter une certaine tension. On peut légitimement se poser la question sur ce plan d’une éventuelle influence de Stravinski sur Dallapiccola, tant le rythme est important dans son écriture. Cette possibilité apparaît effectivement si l’on pense à quelques œuvres des débuts comme Inni, où l’idée d’utiliser trois pianos n’est peut-être pas sans rapports avec la nomenclature instrumentale des Noces de Stravinski (que Dallapiccola avait entendues dans sa jeunesse en concert). On y pense éventuellement aussi dans les Canti di prigionia, bien que cette fois la musique de Bartók ait pu également fournir une stimulation quant au choix des instruments (peut-être comme un écho de la Sonate pour deux pianos et percussions). Le rapport de Dallapiccola à Stravinski reste néanmoins d’une nature conflictuelle ; on sent à travers les écrits du compositeur italien qu’il admirait ce musicien d’une certaine façon : il a dit avoir été bouleversé par la retransmission de Perséphone par la BBC en novembre 1934166 et il a loué la diversité de l’articulation rythmique du compositeur167. Mais on sent aussi que le succès des œuvres dites « néo-classiques » de Stravinski l’avait irrité au moment précis où lui-même cherchait sa voie et s’orientait vers le dodécaphonisme. À l’égard du néo-classicisme et des musiciens qui lui étaient associés, il est même allé jusqu’à parler de sa haine...168 C’est sans doute dans le même esprit qu’il a toujours refusé l’idée d’une possible influence de Stravinski dans sa musique : « Mais je suis certain que vous ne trouverez, dans toute ma production, pas une mesure, pas une noire qui soit écrite sous l’influence d’un Stravinski169 ». L’étude approfondie de ses œuvres de la maturité ne dévoile du reste que peu de rapports directs avec les conceptions rythmiques de Stravinski ; il faudrait plutôt évoquer celles des dernières œuvres de Webern ou celles de Messiaen. Le sens rythmique de Dallapiccola demeure très étroitement lié à une conception contrapuntique de la musique ou – lorsque d’éventuelles comparaisons avec Stravinski seraient possibles – à l’expression moderne d’une certaine dramaturgie musicale.
4Par ailleurs, il est évident que les éléments développés précédemment sur le timbre ne suffisent pas pour établir une théorie solide dans ce domaine, théorie qui, d’ailleurs, n’a pas de véritable raison d’être dans l’œuvre de Dallapiccola. Une mise en relation des qualités de timbre avec d’autres données de l’écriture permet par contre de faire ressortir des caractères musicaux distincts, dont la succession plus ou moins contrastée fournit la véritable dialectique – le « carcan » dynamique – des pièces de Dallapiccola. Pour être plus précis, on peut dire que certains « gestes » musicaux sont reconnaissables par leurs composantes de timbre aussi, c’est-à-dire que la dimension des « couleurs » instrumentales-vocales les définit de façon importante. Il semble ainsi possible de dégager des « textures » musicales constituées par la conjonction du timbre et d’autres composantes170. Dallapiccola composait de façon concrète avec un « matériau » musical, avec des réalités audibles sur le plan du « son » (sous cet aspect, j’opterais pour un rapprochement entre son écriture et celle de Varèse : elles présentent quelques analogies malgré leurs résultats très différents).
5Le travail de Dallapiccola sur le timbre est d’un caractère « discret », voire « secret », même dans certaines œuvres purement instrumentales comme la Piccola musica notturna ou les passages orchestraux d’Ulisse. Un débat pourrait s’ouvrir en ce qui concerne le statut de ces particularités d’écriture et leur place dans le contexte de la création musicale au cours des années 1945-1970. À l’examen des partitions de Dallapiccola – surtout celles d’après 1950-, le rapprochement avec Webern vient immédiatement à l’esprit. Il est évident que le compositeur italien a subi son influence dans le domaine du timbre, comme nous l’avons vu à travers son Journal, mais il ne s’agit que d’une source d’inspiration parmi d’autres, car Dallapiccola a véritablement exploré la question du timbre à l’intérieur d’un système de pensée où les différents paramètres sont imbriqués selon une dialectique relativement traditionnelle (tensions, détentes, progressions diverses, etc.). De plus, il fait appel à une notion d’« espace musical » très diversifiée, tout en prenant appui sur un contrepoint strict ou sur l’ancien procédé de la « mélodie accompagnée » – au sens le plus large du terme, cela va de soi.
6Cette sensibilité très fine aux timbres et l’intérêt constant dont témoignent ses œuvres après 1940 méritent toutefois d’être considérés dans le cadre d’une approche plus large du langage. Au moment où certains compositeurs – Ligeti, Scelsi, Xenakis, Penderecki, Cerha – radicalisaient le traitement du (ou des) timbre(s) au point d’en faire parfois l’un des aspects dominants de la composition, Dallapiccola poursuivait ses recherches dans une autre voie, parallèle aux tentatives post-weberniennes d’organisation sérielle des timbres. Sans aller au-delà d’un certain stade dans l’exploration du matériau – car sa notation musicale ainsi que l’ensemble de ses techniques vocales et instrumentales demeurent assez conventionnelles-, son approche n’en est pas moins respectable, ni moins cohérente. Dallapiccola pourrait peut-être se situer à la limite de deux mondes musicaux : il n’a pas franchi le « grand pas » de l’avant-garde des années cinquante et soixante, mais il était très près, en définitive, de certaines voies des générations venues ensuite. La notion de « relais » instrumental déjà évoquée, dont j’emprunte le terme à Régis Authier171, et qui me semble particulièrement importante en tant que moyen expressif de la musique de Dallapiccola, recoupe quelques préoccupations très actuelles de certains jeunes compositeurs, depuis les œuvres dites « spectrales » des années soixante-dix jusqu’à de nombreuses pièces des cinq dernières années (voir par exemple le passage de Three Questions with Two Answers décrit [et reproduit] précédemment à propos des « attaques et résonances »). Dallapiccola a néanmoins souhaité rester maître d’une technique d’écriture qu’il a perfectionnée avec une rigueur de plus en plus grande – parfois excessive peut-être172.
7Pour la postérité néanmoins, le compositeur italien restera sans doute associé à sa musique vocale et à ses opéras. De ce domaine ressortent des thématiques très diverses173, parfois mêlées les unes aux autres comme dans Il Prigioniero où sont confrontées les dimensions religieuses et politiques. Jurg Stenzl insiste à juste titre sur ce plan en disant que dans cet opéra Dallapiccola a su – « comme seul Berg l’avait fait avant lui et seul Zimmermann après » – « transformer complètement les contenus en musique, transformer et justement pas simplement mettre en musique »174. Sans contredire ce jugement, j’ajouterais un troisième compositeur très proche (dans l’esprit) des musiques vocales de Dallapiccola : Claudio Monteverdi. Plus que dans les influences secondaires sur certaines lignes vocales des œuvres des années quarante, ce rapprochement intervient au niveau de la compréhension et de l’interprétation des mots ou caractères175, ainsi que dans la dimension du timbre. La « transcription et adaptation pour la scène moderne » du Retour d’Ulysse dans sa patrie de Monteverdi intervient dans les années 1941-42, à une période-clé pour l’épanouissement de la personnalité créatrice de Dallapiccola, et les idées qu’il note dans un article relatant ce travail sont éloquentes quant à ses propres procédés musicaux : « Mon travail étant destiné au public, j’ai tenté, par la caractérisation instrumentale des personnages, de rendre plus évidentes et plus compréhensibles les différences entre les récitatifs des uns et des autres. D’ailleurs, au XVIIe siècle, avec les moyens de l’époque, chaque scène avait un timbre instrumental différent. »176
8Ramené à un plan symbolique – et non musicologique-, ce rapprochement avec Monteverdi peut aussi être ressenti dans un texte d’hommage à Schœnberg particulièrement fort où Dallapiccola conclut en disant : « Son concept de la Nouvelle logique sera un jour reconnu, comme le fut la Seconda Prattica de Monteverdi, présentée au monde voilà trois siècles. »177
9S’il fallait au passage brosser un « portrait de l’artiste » avec ses amis, je pense qu’il faudrait s’arrêter quelques instants sur certaines personnalités importantes. Le pianiste, compositeur et théoricien Ferruccio Busoni (1866-1924) a joué un rôle essentiel pour Dallapiccola. Fasciné par les idées sur la mélodie ou sur le « principe intemporel » que représente la polyphonie, le musicien florentin a également puisé chez son aîné le concept d’« idée préliminaire », c’est-à-dire d’autocitation. On sait en effet que Busoni a repris dans son opéra inachevé Doktor Faust la substance musicale de Sarabande et Cortège opus 51 (1918-19), en considérant après coup cette dernière pièce comme une sorte d’étude (il a par ailleurs également repris dans l’opéra des extraits du Nocturne symphonique et de la Sonatina secunda pour piano). Or, Luigi Dallapiccola a lui-même fait le rapprochement entre cette pratique de Busoni et le lien existant entre les Tre laudi et Vol de nuit, et l’on trouve encore plus tard dans sa production un autre exemple de ce genre entre Three Questions with Two Answers et Ulisse. Les autocitations sont très nombreuses dans l’œuvre de Dallapiccola en général. Au-delà des considérations musi-cales, Busoni représentait sans doute pour le compositeur un véritable modèle par son attitude générale. L’ouverture bien connue de ce musicien à toutes sortes de dimensions, parfois expérimentales, de même que sa non-appartenance à un courant dominant de l’époque, semblent avoir véritablement laissé des empreintes chez lui. On pourrait même expliquer, à travers cette identification de Dallapiccola à Busoni, une partie de la position singulière du premier dans son époque : il ne rejette pas le passé dans sa conception générale de l’écriture – une option qui était quasi inacceptable aux yeux des jeunes musiciens des années cinquante, ainsi que Bernd Alois Zimmermann a également pu s’en apercevoir... – et pratique même des « écarts » importants par rapport à sa « ligne directrice » (la voie vers le dodécaphonisme) pour s’adonner à un libre regard sur certains répertoires du passé (voir Tartiniana par exemple). Cette sorte de « différence » renvoie sur bien des plans au compositeur et théoricien Busoni.
10L’influence de Schœnberg est naturellement très grande, bien qu’elle soit plus limitée que celles de ses disciples Berg et Webern. Dallapiccola avait apprécié très tôt son Traité d’harmonie et la révélation du Pierrot Lunaire fut un facteur essentiel dans son orientation musicale vers l’abandon de la tonalité et le travail avec la voix et les ensembles instrumentaux (le double canon de la dix-huitième pièce de ce cycle, Der Mondfleck, fut vrai-semblablement un point de départ au même titre que certaines pièces de Webern pour l’élaboration d’un contrepoint strict). Dallapiccola avait un très grand respect pour Schœnberg qui s’est exprimé à différents moments de sa vie, notamment dans un texte de 1949 intitulé « Den 13. September », où il fait un parallèle entre le compositeur viennois et Christophe Colomb, et dans un petit essai de 1952 où l’on sent une certaine ironie visant sans doute Pierre Boulez et son article « Schœnberg est mort » : « Schœnberg laissa à la postérité un domaine prodigieusement riche d’utilisation ; un domaine si vaste que seules les générations futures pourront peut-être apprécier pleinement. Il n’a pas laissé passer un seul des problèmes qu’un musicien de l’avenir peut se poser et découvrir. Chaque œuvre du Maître a exprimé ce qu’elle devait exprimer, c’est ce qui a engendré ces signes d’authenticité qui font que chacune de ses créations se différencie des œuvres dépendantes de la mode. Le reproche fait à Schœnberg par certains critiques selon lequel il n’aurait pas perçu toutes les possibilités contenues dans le système dodécaphonique est un point de vue que je ne veux pas discuter le moins du monde, d’autant que mon article ne vise pas la polémique. Une telle idée se rapprocherait de la volonté d’amoindrir le génie de Christophe Colomb parce qu’il a découvert l’Amérique alors qu’il pensait découvrir les Indes, et parce qu’il ne nous a pas donné l’étendue exacte de l’Amérique en kilomètres-carrés. »178
11L’admiration pour Schœnberg était si grande chez Dallapiccola qu’il lui fallut vingt-cinq ans après le concert de Florence (Pierrot lunaire) pour oser lui écrire... et recevoir naturellement une réponse179.
12La proximité avec la musique d’Alban Berg est très nette dans la première phase (années trente-quarante) de l’œuvre de Dallapiccola. Cette affinité se traduit par l’emploi de formes « closes » dans les opéras (qui renvoient directement à Wozzeck, où Berg avait écrit des variations, une passacaille, une fugue, un choral, etc.) : Vol de nuit comprend un choral suivi de variations (dont certaines sont d’une écriture canonique) à la scène 5 et un Hymne à la scène 6 ; quant au Prigioniero, il révèle aussi une « Ballade » (dans le Prologue), la « Chanson des Gueux » (au centre de l’ouvrage)180 et trois « ricercare » dans la troisième scène.
13Les oppositions entre musique savante et musique populaire que Berg pratiquait dans Wozzeck (voir sa « Conférence sur Wozzeck ») se retrouvent également chez Dallapiccola : sa « Chanson des Gueux » est d’un style mélodique très diatonique, elle « a les accents d’un chant populaire et révolutionnaire »181 et se distingue des lignes vocales du Prigioniero en général. De même que Berg avait employé le ragtime et les instruments du jazz dans Lulu, de même on trouve un « Movimento di Blues » dans Vol de nuit qui fait appel à une formation instrumentale proche de certains ensembles de jazz (trois saxophones, deux clarinettes, trombone et trompette avec sourdines, piano, percussions, violons et contrebasses ; voir scène 1, page 18 de la partition). Le blues était également connu de Dallapiccola par le second mouvement de la Sonate pour violon et piano de Ravel qu’il jouait avec son ami Sandro Materassi.
14L’emploi (unique chez le compositeur italien) des micro-intervalles dans la troisième des Tre laudi (reprise dans Vol de nuit) doit être situé également par rapport à la scène de la taverne de Wozzeck (acte II, scène 4, mes. 654-655) où Berg avait exigé des quarts de tons.
15Le thématisme rythmique évoqué à propos de Vol de nuit et d’Ulisse renvoie aussi au modèle de Berg (Invention sur un rythme dans Wozzeck, « Monoritmica » dans Lulu), de même que certaines particularités de l’écriture du contrepoint182 et certaines techniques sérielles183.
16Il est enfin indispensable de souligner les rapports entre les deux compositeurs sur le plan harmonique, et notamment des réminiscences tonales, ainsi que dans le domaine des symétries formelles (l’écoute attentive de Der Wein a sans doute stimulé le compositeur italien dans sa jeunesse...).
17Le troisième représentant de la Seconde École de Vienne, Anton Webern, constitue la personnalité centrale de l’univers de Dallapiccola surtout à partir de 1950, donc quinze ans après la première révélation du Concerto opus 24. L’influence de ce compositeur se concrétise à travers la concentration des idées et l’unité dans la réalisation, dans l’écriture plus discontinue qu’auparavant, les intervalles mélodiques étant plus tendus, et dans les aspects purement « sonores » (timbres). Le détail des partitions fait aussi apparaître d’autres particularités communes : la subdivision des séries en petites cellules de quelques sons, la répartition symétrique de ces cellules les unes par rapport aux autres à l’intérieur de la série, le goût de plus en plus prononcé pour les structures contrapuntiques complexes (à base de canons très souvent) qui provient de l’esprit webernien (lui-même tourné vers l’art des Flamands). Une particularité d’écriture assez singulière relie d’ailleurs les deux compositeurs sur le plan du contrepoint : les partitions font parfois apparaître des mesures différentes simultanément entre les différentes parties en présence ; cette pratique, qui vise simplement à préserver dans chaque partie l’articulation métrique de base, peut être observée dans le dernier mouvement de la première Cantate (opus 29) de Webern, puis dans le dernier mouvement de sa seconde Cantate (opus 31). Dallapiccola l’utilise pour la première fois dans Vol de nuit (voir par exemple la scène 5, page 168 de la partition), donc un peu avant Webern (sa première cantate fut achevée en 1939, tandis que l’opéra de Dallapiccola était déjà entièrement écrit en 1938). Il semble donc que les deux compositeurs soient arrivés à la même solution indépendamment l’un de l’aube. L’évocation des cantates de Webern incite aussi à souligner au passage la proximité des deux compositeurs par leur sensibilité commune à la spiritualité et à la religion.
18Outre les propos relatés par Dallapiccola dans son Journal, les deux lettres que Webern lui envoya montrent bien la très grande sympathie qui se développait entre eux. La première fut envoyée de Vienne le 3 juin 1942, c’est à dire quelques mois après leur rencontre du 9 mars :
Cher Monsieur Dallapiccola,
Votre aimable courrier m’a fait grand plaisir ! J’aurais aimé vous répondre sans tarder, mais j’ai voulu attendre la réception de vos partitions. Elles sont arrivées entretemps et je les ai étudiées immédiatement.
À présent j’aimerais donc vous dire ceci : soyez assuré qu’au premier instant de notre rencontre, il m’est apparu clairement que le monde allait s’ouvrir à moi ici. Bien que votre représentation soit très différente de la mienne, nos conceptions, je le sens, sont très proches l’une de l’autre.
En ce sens nous avons sans doute une voie commune. Je suis heureux de pouvoir vous dire cela.
Je vous remercie de tout cœur d’avoir cité notre première rencontre dans votre dédicace et j’espère que l’occasion se présentera bientôt à moi de vous rendre votre si grande gentillesse.
Ce serait bien si nous pouvions nous revoir à Venise. Jusqu’à aujourd’hui je n’ai pas de nouvelles de là-bas.
Mais, même si votre beau projet ne devait pas se réaliser, votre initiative que j’admire m’a déjà procuré beaucoup de joie.
Je vous avertirai tout de suite s’il devait y avoir des nouvelles de Venise et je reste votre dévoué Anton Webern, avec mes salutations les plus cordiales184.
19La seconde, envoyée de Vienne également, est datée du 15 avril 1944. La dédicace dont il est question est celle des Sex carmina Alcaei que Dallapiccola pensait présenter au Maître viennois à la fin de la guerre « avec l’anxiété que connaît bien celui qui soumet une de ses œuvres au jugement d’un être infiniment supérieur185. »
Mon cher Dallapiccola,
Quelle grande joie vous m’avez procurée par votre dédicace !
Que j’en suis fier !
Mais avant tout, elle m’est d’un profond réconfort, d’un grand apaisement : comment une telle chaleur, une telle amitié sont-elles possibles aujourd’hui !
Soyez remercié de tout cœur.
Je me réjouis énormément à l’idée de prendre connaissance de votre œuvre qui m’est dédiée. J’espère que ça ne prendra plus trop de temps !
J’ai l’intention depuis assez longtemps de vous envoyer quelques-uns de mes cycles de lieder que vous ne connaissez sans doute pas encore. Si les relations postales le permettent, vous recevrez bientôt les partitions.
Je travaille sans arrêt. Un opus d’une certaine ampleur pour solistes, chœur et orchestre vient d’être achevé.
Je vous prie de me donner bientôt de vos nouvelles. Je me fais du souci.
J’aurais écris depuis longtemps si je n’avais déjà épuisé la quantité permise de lettres pour l’étranger du mois de mars. J’ai donc dû attendre le mois d’avril.
Avec mes salutations les plus chaleureuses et mes souhaits les meilleurs, je reste
votre Anton Webern186.
20Tous ces développements sur les rapports avec la Seconde École de Vienne ne doivent pas réduire la personnalité de Dallapiccola, car s’il rejoint sur certains points les langages et expressions des Viennois, sa façon de traiter les éléments musicaux est tout à fait particulière. En relation directe avec les formes, son dosage des types d’écriture (harmonique ou contrapuntique) et des caractères (tension, détente, etc.) entraîne à la fois une grande intelligibilité de l’œuvre et une dimension dynamique incontestable.
21Au second rang de ce « portrait de l’artiste » avec ses amis (j’entends : ceux qui étaient très proches de sa musique), on pourrait faire apparaître des musiciens comme Bartók (pour les débuts surtout), Varèse (qu’il avait fréquenté aux États-Unis)187 et Messiaen, qu’il connaissait également et qu’il avait invité en Italie (la cinquième partie des Sex carmina Alcaei est étrangement proche musicalement du début de la première des Trois petites Liturgies de la Présence Divine – ces deux œuvres sont contemporaines l’une de l’autre).
22Outre ces personnalités qui ont un rapport direct avec la musique de Dallapiccola, certains de ses amis ont joué un rôle important dans sa carrière et dans sa vie. Des compositeurs italiens de la génération précédente, il est évident que Gian Francesco Malipiero fut un repère sur bien des plans pour Dallapiccola ; il lui a d’ailleurs consacré un bel hommage où ressortent nettement les qualités de l’homme (et notamment la jeunesse d’esprit)188. Alfredo Casella compta également pour lui, mais les relations ne furent apparemment pas toujours très sereines entre eux, surtout pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est ce que suggèrent du moins les correspondances de mai 1946 :
28 mai 1946,
Très cher Gigi,
Ce n’est pas sans émotion que je réponds à ta chère lettre reçue hier matin, lettre qui met fin à un long et pénible moment d’incertitude. (...)... je te dirai que mon attitude à ton égard – dans toute l’affaire de la SIMC – a toujours été guidée par la très grande admiration que j’ai pour toi et la grande affection que je te porte. C’est pourquoi j’étais fermement décidé à faire l’impossible, au-delà de toutes limites, pour que rien ne se produise entre nous qui ne soit irréparable. À présent, je vois que tout s’est résolu avec bonheur grâce aussi à nos bons amis et je ne peux pas dire à quel point j’en suis heureux. (...)
Alfredo Casella189
31 mai 1946,
Très cher Alfredo,
Je ne saurais te dire avec des mots la joie que m’a conférée ta lettre que je viens juste de recevoir. Si j’étais près de toi, une embrassade pourrait peut-être dire ce que les mots ne peuvent pas communiquer. Je te remercie de m’écrire comme tu l’as fait.
Ne crois pas que ce silence aussi long n’ait pas représenté un poids très lourd pour moi également ; et je ne tente pas non plus de le justifier. Il n’y a en effet pas besoin de justifications à l’égard des esprits supérieurs qui savent tout comprendre. Je voudrais que tu penses un moment, en admettant que mon caractère est « malheureux » déjà au départ, à l’enfer qu’a été ma vie depuis 1938. Que pouvais-je faire ?Je voyais qu’autour de moi tout se fermait peu à peu mais de manière inexorable. Et alors je me suis renfermé plus que jamais en moi-même, cherchant seulement dans le travail et dans la famille ce qui me semblait ne pas pouvoir se trouver ailleurs. La seule conclusion fut : on sait que les hommes contraints de vivre dans la solitude deviennent à long terme, et sans qu’eux-mêmes ne s’en rendent compte, un peu autodestructeurs. Et cette confession t’expliquera comment parfois, même en étant parti du côté de la raison (d’un point de vue moral), je me suis retrouvé à un certain moment du côté de ceux qui ont tort.
Je suis heureux que tu aies consacré un mot à nos amis communs qui ont su intervenir au bon moment pour éviter un éloignement que toi et moi aurions toujours regardé avec horreur ; mais que nous n’aurions peut-être jamais comblé. (...)
Luigi Dallapiccola190
23Une lettre beaucoup plus tardive (1er juillet 1962) de Dallapiccola à Bruno Maderna donne d’autres indications sur le même Casella Cet homme est trop lié à son époque, et par conséquent caduc. Mais selon moi il n’est pas aussi méprisable que vous le pensez. (...) Personne d’autre que moi ne s’est plus opposé à lui depuis 1938, et je suis peut-être le seul qui lui a dit et écrit la vérité. »191
24Parmi les compositeurs italiens, la relation avec Pizzetti peut étonner par le caractère relativement amical émanant de cette lettre adressée à Dallapiccola le 7 avril 1946 :
Cher Maître,
J’ai tant tardé à vous écrire parce que, en plus de vous remercier pour l’envoi des Sex carmina Alcaei, j’aimerais pouvoir vous dire, après les avoir lus et relus, mon plein accord. Je les ai lus et relus en admirant la magistrale texture contrapuntique et la cohérence stylistique, et en relevant, ici et là, certains détails très précieux d’expression mélodique et de sonorité instrumentale : mais si je vous disais que je les ai compris, et que je suis donc d’accord avec vous, je mentirais. Un jour, quand nous nous rencontrerons, je vous demanderai de me les faire entendre au piano, et nous pourrons alors aussi aborder tant de questions suscitées justement par ceux-ci, dont il serait trop long de discuter par écrit. (...) Merci encore pour ce cadeau, et tous mes vœux pour votre travail.
P. S. : J’ai lu dans cette misérable Anthologie du piano publiée par Suvini Zerboni votre transcription (qui une véritable re-création) du Capriccio de Paganini : magnifique, superbe192.
25Le critique Guido M. Gatti, à qui il avait dédié son œuvre Job, fut également un proche de Dallapiccola. Leurs correspondances au moment de la création de cette pièce montrent bien les sentiments d’amitié et de connivence partagés :
Rome, le 16 novembre 1950,
Très cher Dallapiccola,
(...) Alors que je tiens à te reconfirmer le grand plaisir que j’ai eu à promouvoir ton œuvre, je désire te communiquer mon jugement très favorable, jugement que je sais partagé par de nombreux autres et qui sera sûrement ratifié par le public de la seconde représentation.
Guido M. Gatti193
26La réponse de Dallapiccola souligne encore davantage la proximité des deux hommes : « Que ton jugement soit très favorable à mon travail récent me fait grand plaisir. De mon côté, je te dirai que je suis heureux que notre conversation du 18 novembre 1949 nous ait amené à ce résultat. Sans elle peut-être Job ne serait-il jamais sorti des “limbes”, et je suis heureux de pouvoir te confirmer dans une dédicace ma gratitude. »194
27Il serait injuste ici de ne pas mentionner, parmi les amis du compositeur, le chef d’orchestre Hermann Scherchen, qui dirigea souvent les œuvres de Dallapiccola (il réalisa les premières mondiales du Prigioniero et des Conti di liberazione). Ce musicien a profondément marqué la vie musicale de son temps, et la carrière du compositeur coïncide presque avec celle du chef, celui-ci ayant disparu en 1966. L’engagement de Scherchen pour la musique contemporaine ainsi que son talent ont fasciné précisément le jeune compositeur à travers l’interprétation des œuvres déterminantes pour ses propres choix, comme ce fut le cas avec Das Augenlicht de Webern, donné par Scherchen à Londres : « En 1938, Scherchen dirigea la création de la cantate Das Augenlicht de Webern dans le cadre du Festival de l’IGNM à Londres. (Où ma génération aurait-elle pu s’informer et se former pendant ces années-là, alors que l’“autarcie” était revendiquée de plus en plus énergiquement, si ce n’était à l’IGNM, fondée et dirigée par Edward J. Dent ?). Cette œuvre, qui était encore une “lettre close” pour moi à la lecture de la réduction pour piano, devint soudain vivante et claire ici grâce à sa grandiose restitution. Ce qui m’était apparu sur le papier comme des syllabes séparées, Scherchen l’avait transformé en mots, et ceux-ci ensuite en périodes ; car lui, l’illuminé, il avait, par rapport à beaucoup d’autres, le don très rare d’unir l’unité au discursif dans l’interprétation. Une capacité qui ne doit pas être confondue avec ce “perfectionnisme” où les mesures sont assemblées par paires (...) »195
28D’autres amis devraient encore être cités : Karl Amadeus Hartmann (qui programma plusieurs fois des œuvres de Dallapiccola dans le cadre de ses concerts intitulés « Musica Viva » à Munich, et dont j’ai déjà évoqué les correspondances), Bruno Maderna. Une lettre de ce dernier montre bien la très haute estime dans laquelle il tenait Dallapiccola :
Le 22 juillet 1948
Cher Maître,
Permettez-moi de vous remercier de tout cœur pour la bienveillance que vous avez bien voulu me manifester. J’ai reçu en effet une lettre de Monsieur Κ. A. Hartmann qui m’apprend que je suis invité à envoyer mon Concerto pour deux pianos au Bayerische Staatsoper pour qu’il y soit exécuté en octobre prochain.
C’est magnifique de pouvoir compter sur la compréhension et l’amitié de ses aînés. On a ainsi la consolation de poursuivre un chemin qui, déjà difficile en soi, est rendu encore plus dur par la méfiance et l’hostilité de plus en plus grande des soi-disant « musiciens sains et bien-pensants ». (...)
Il y a maintenant pratiquement trente ans que Schœnberg a effectué sa revalorisation des moyens expressifs et qu’il a ouvert de merveilleux et infinis horizons, et il y a encore des gens qui ne veulent pas se résigner à mourir, qui ne veulent pas admettre la validité de son œuvre.
Mon ami Nono et moi-même, nous pensions qu’il n’aurait pas été possible de ne pas reconnaître dans vos dernières œuvres, et spécialement dans les Sex carmina Alcaei, la précieuse contribution à l’évolution de ces principes et leur beauté indiscutable. Nous étions naïfs. (...)196
29D’un point de vue très général, l’attitude du compositeur italien face aux grands courants de ce siècle apparaît assez modérée : rejetant très vite le néo-classicisme, il n’a pourtant pas opté pour la remise en cause radicale du langage musical ou de sa notation effectuée par d’autres après 1945. Il prend en compte certains développements récents, les apprécie même, comme le montrent ses échanges avec les artistes de son âge et les jeunes générations de compositeurs. Cette ouverture à d’autres courants se manifeste en premier lieu face à l’Italie ; dans une lettre du 20 juillet 1961 au chef d’orchestre Sergiu Celibidache qui lui avait demandé des œuvres italiennes contemporaines suffisamment représentatives selon lui, il manifeste à la fois sa générosité face aux jeunes et sa finesse de jugement :
Je connais différentes compositions contemporaines italiennes, mais je suis bien loin de les connaître toutes... Je vous dis cela pour justifier certaines omissions. Il y a ensuite une autre chose qui me paralyse un peu : c’est la signification du mot « contemporain ». J’interpréterai de toute manière ce mot comme si vous m’aviez écrit « de compositeurs vivants ».
Je pense que le premier nom à prendre en considération est naturellement celui de G. F. Malipiero. J’ai écouté récemment les Pause del Silenzio (1917) et c’est avec joie que je vous dis que cette œuvre reste magnifiquement valable – malgré les changements du temps.
À Berlin, il y a quelques mois, j’ai suivi les répétitions des Forme sovrapposte de M. Peragallo (pour orchestre, 1959). C’est une œuvre que je prendrais en considération également. Malgré son titre abstrait, elle n’est pas vraiment difficile de compréhension, c’est-à-dire d’écoute. Petrassi est un autre nom qu’il ne faut pas oublier. Parmi ses différents Concerti pour orchestre, je choisirais le quatrième (pour cordes seules, 1954) ou le troisième (Récréation concertante, 1952-53). Pour les compositeurs qui ont à peine plus de trente-cinq ans, le premier nom qui me vienne à l’esprit est celui de Luigi Nono. Que diriez-vous de la Composition pour orchestre n° 1 (1951) ?
Vous me parlez de compositions orchestrales sans chœur, mais vous ne me dites pas si vous acceptez ou non les solistes. Riccardo Malipiero (Concerto pour violon, 1952) ou bien quelque chose de Luciano Berio ? Parmi les très jeunes, Castiglioni se fraie rapidement un chemin (Disegni, pour orchestre, 1960)197.
30Quelques propos de Laura Dallapiccola éclairent aussi l’univers de ces relations « italiennes » du compositeur :
Pierre Michel : Bussotti était-il très proche de votre mari ?
Laura Dallapiccola : Oui, il était proche de mon mari lorsqu’il était enfant. Ensuite, il est parti, il est allé étudier en Allemagne... Il n’avait plus de rapports avec mon mari, c’est toujours la même histoire du jeune qui s’éloigne de son père, n’est-ce pas... Maintenant, tous ses souvenirs reviennent, il vient me chercher, et il est plein d’intentions, il a une grande reconnaissance pour mon mari.
P. M. : Et Nono ?
L. D. : Nono était très ami avec mon mari. Il appréciait beaucoup Nono, vraiment beaucoup... C’est celui qu’il appréciait le plus parmi les jeunes compositeurs italiens.
P. M. : Et Maderna ?
L. D. : Mon mari disait que Maderna n’était pas toujours sérieux lorsqu’il dirigeait. Celui-ci l’appréciait, mais pas autant que Nono. Il parlait plus de Maderna comme chef d’orchestre, il disait qu’il aurait pu faire beaucoup mieux s’il avait fait son métier plus consciencieusement. Mon mari aimait aussi beaucoup Camillo Togni, un très bon compositeur dodécaphonique198.
31Peu d’indices permettent de connaître la réelle position de Dallapiccola sur le plan global et international de la musique contemporaine. On peut glaner ici et là quelques renseignements : notamment sa position plutôt favorable à l’égard d’Elliott Carter, perceptible dans l’article « Pagine di diaro », où il relate l’audition du Premier Quatuor à cordes de celui-ci au printemps de l’année 1954 à Rome. Son souvenir évoque un problème de concentration pendant l’exécution, mais il précise bien que cela ne provenait pas de l’intérêt de l’œuvre... Dans une lettre (inédite) du 5 décembre 1959 de Luciano Berio à Dallapiccola, on apprend que les concerts « Incontri Musicali » ont programmé la Sonate pour flûte, hautbois, violoncelle et clavecin du même Elliott Carter sur la suggestion du compositeur florentin...
32Des correspondances permettent par ailleurs de savoir que Luigi Dallapiccola et Bernd Alois Zimmermann étaient très amis, et qu’ils avaient l’un pour l’autre un grand respect (ce qui ne surprend pas). Des quatre lettres de Zimmermann conservées à l’Archivio de Florence, l’une, datée du 17 septembre 1960, montre particulièrement l’admiration du compositeur allemand pour les Dialoghi : « Vos Dialoghi m’ont fait une forte impression et m’ont procuré une grande joie. Je vous félicite de tout cœur pour cette œuvre qui donne à réfléchir, sérieuse (...). Je me réjouis de ce que mes Dialoge – comme c’est beau et remarquable qu’ils portent le même titre ! – seront entendus au même concert que les vôtres, si Dieu le veut ainsi, le 5 décembre. »
33Les lettres indiquent que Zimmermann connaissait aussi le Concerto per la notte... Quelques années plus tard, Dallapiccola assista à une représentation des Soldats à Florence : Martine Cadieu dit qu’il se leva à la fin pour « crier haut son enthousiasme ».
34Un accord s’était fait entre les deux artistes quant au choix de Nono comme candidat à l’Akademie der Künste et, dans sa lettre du 8 novembre 1966, Zimmermann exprime sa grande satisfaction de voir que Dallapiccola, « le plus grand compositeur italien vivant », « avait su honorer Luigi Nono », qui lui apparaissait personnellement comme le plus important des jeunes créateurs italiens.
35D’une façon plus générale, on devine par ailleurs, à travers certaines phrases de ses écrits, quelques réserves de Dallapiccola face à certaines tendances de l’époque : « En matière de composition, la musique doit toujours passer par l’oreille afin d’être contrôlée. Sur ce point, tous ne sont pas d’accord avec moi, spécialement les musiciens de l’extrême avant-garde qui osent dire que ce qui compte par-dessus tout, c’est la page écrite... »199
36Les propres conceptions du compositeur permettent aussi d’en déduire quelques refus : « ... on se sera aperçu que mon état d’esprit n’est pas et ne peut être celui d’un théoricien ; que c’est le besoin de m’exprimer qui m’a fait parvenir au dodécaphonisme, à une époque où aucun livre n’expliquait la découverte de Schœnberg et où ses œuvres étaient introuvables ; et que j’ai volontiers reconnu mes nombreuses erreurs. »200
37« Je n’écris pas de la musique abstraite. Dans tout ce que je compose – même dans un canon apparemment impersonnel -, j’essaie d’exprimer quelque chose que j’ai à dire. En premier lieu, j’écris pour moi-même, mais j’ai cherché à être compris. J’espère que le public trouvera dans mes œuvres quelque chose qui l’intéresse. »201
38Enfin, une lettre à Bruno Maderna révèle des points de vue plus précis sur le Docteur Strobel et Pierre Boulez notamment, teintés d’une certaine ironie :
Florence, le 20 mars 1952
Mon cher ami,
Il y a quelques jours, vous m’avez laissé le numéro de Melos de janvier dernier, et vous avez eu la gentillesse de recourir à mes « lumières » sur une éventuelle réponse au Dr Strobel. La différence d’âge rend parfois difficile, voire impossible, la compréhension mutuelle : dans notre cas, je pense devoir vous dire franchement que ce que Strobel écrit ne me semble pas digne d’une réponse.
En effet :
1. Strobel se contredit copieusement dans le même numéro de cette revue. En effet, en rendant compte de l’ouvrage de Stuckenschmidt sur Schœnberg, il semble regretter le bon vieux temps passé aux côtés de ce dernier il y a tant d’années (nostalgie de sa jeunesse ?).
2. Le même Strobel, tout en voulant dire le plus grand bien possible de l’œuvre de Stravinski, finit par en dire le plus grand mal, et de manière « fondamentale ». Que peut-on dire de pire que la seule scène convenant à Stravinski est celle du « ballet » ?
Je ne sais pas s’il faut accorder la moindre importance à la « boutade » très malheureuse sur les jeunes. À mon avis, non. En effet, une protestation, dans un cas isolé comme celui-ci, aurait certainement un effet contraire au but recherché.
Que dire alors de l’article malhonnête de Francfort paru dans La Rassegna musicale, signé par Aloys A. Mooser, où celui-ci affirme que le dodécaphonisme « ouvre instantanément et automatiquement les portes de toutes les manifestations musicales des deux mondes » ? Vous savez comme moi par expérience que la dodécaphonie a justement le pouvoir de fermer « instantanément et automatiquement » de nombreuses portes... mais, si M. Mooser le dit, restons calmes !
Sans compter que, quelles que soient les réserves que Strobel puisse faire sur Schœnberg, par exemple, elles sont empreintes de davantage de respect que celles exprimées par ce petit présomptueux de Boulez dans le numéro 6 de Contrepoints. Dans ce numéro, Boulez, dans la critique d’un concert où furent donnés Le Tombeau de Couperin, la Suite opus 25 de Schœnberg et l’Octuor de Stravinski, les met toutes dans le même sac pour leur trouver un trait commun : l’ennui (le plaisir, c’est bien sûr dans sa Sonate n° 2 qu’on le trouve...).
Vous m’avez demandé mon avis ; je vous l’ai donné. Je reconnais que nos points de vue peuvent être diamétralement opposés : veuillez m’en excuser. Mais, si vous voulez protester, je me permets de vous conseiller une grande prudence dans le choix des... protestataires !202
39Pour appréhender objectivement la démarche du compositeur, il faut admettre qu’il ne souhaitait pas spécialement se couper du passé : l’histoire et le présent coexistaient dans sa pensée musicale sans problème stylistique ni concessions aux néo-classiques qu’il haïssait : « Je crois fermement au renouvellement perpétuel de l’art. Mais je suis aussi convaincu qu’il est insensé de tourner le dos à la tradition et de chercher ce qui est neuf uniquement pour la nouveauté (...) D’autre part, je considère qu’il est illusoire pour les artistes de se retrancher dans leur tour d’ivoire. Même s’il se retire sur lui-même, le véritable artiste restera toujours conscient de ce qui se passe autour de lui. Le traditionalisme – l’attachement tenace à un passé périmé – ne mène nulle part. Mais même lorsque nous la nions, la tradition s’infiltre partout, malgré tous les efforts pour l’exclure. Dans ce sens, j’espère que ma musique est libre de tout traditionalisme. Mais j’espère aussi qu’elle repose sur la tradition. »203
40Ainsi, par exemple, les formes en arche trouvent-elles leur justification chez lui dans le recours à une certaine tradition (voir à ce propos les remarques sur Don Giovanni et Le Bal Masqué dans ses écrits). Cette position peut être mise en rapport avec son refus d’un langage musical situé d’un côté ou de l’autre de sa « ligne directrice » : il rejette le néo-classicisme mais travaille tout de même avec l’histoire de différentes façons, il n’adhère pas au sérialisme de l’avant-garde de Darmstadt204, mais s’en approche sur bien des plans. La notion d’« engagement » de l’artiste transcende chez lui l’idée de rupture historique souvent associée à la Seconde École de Vienne ou à l’avant-garde des années cinquante. Cette sorte de modération va de pair avec sa volonté de ne pas rechercher la nouveauté pour elle-même et de ne pas exagérer le commentaire sur la musique ; sur ces deux plans il semble prophétique : en disant « Chopin ne s’expliquait pas » ou « Je crois que le public qui entend une œuvre pour la première fois n’est pas intéressé par son mécanisme »205, ne prédisait-il pas la tendance actuelle de certains compositeurs de la génération de 1925 comme Ligeti, qui souhaitent atténuer les notices et autres explications préalables ?206
41Sa production globale ne fait pas apparaître non plus de rupture spectaculaire, on sent un style personnel dès les Tre laudi de 1936-37, et ce caractère très typé se retrouve encore, malgré toutes les différences de langage, dans les dernières œuvres. Sa démarche procède ainsi par enrichissements successifs, et sur ce plan, le jugement de Luigi Rognoni est tout à fait pertinent : « Le langage musical de Dallapiccola concrétise sa continuation avec celui de Webern de manière beaucoup plus progressive et significative que ce dont se vantent aujourd’hui certains des “prétendus héritiers” de Webern qui ont fini par fétichiser les moyens sonores weberniens en les isolant de leur causalité historique pour les formaliser dans des opérations préconstituées. C’est justement sur l’exemple constructiviste du Webem des dernières années (les Variations opus 30, mais surtout les deux Cantates opus 29 et 31) que l’on peut mieux comprendre aujourd’hui peut-être le sens et la valeur de la grande médiation de Dallapiccola comme la continuité la plus directe et la plus pure de l’idéal “humaniste” du grand et solitaire Maître autrichien. »207
42S’il est difficile aujourd’hui pour le mélomane et même pour le musicien d’avoir un point de vue sur l’importance et la position de Luigi Dallapiccola dans la musique du XXe siècle en raison du peu de diffusion et d’information autour de son œuvre, les témoignages de diverses personnalités peuvent au moins servir de « jalons » pour une réflexion à son sujet en attendant une reconnaissance encore à venir. L’homme et sa position face à l’Italie qu’il dénonçait souvent comme « provinciale » – son pays ne lui a d’ailleurs pas fait beaucoup de cadeaux ni de son vivant, ni après sa mort... – étaient un exemple pour de nombreux musiciens : Luciano Berio a parlé de « rencontre fondamentale » pour « toute la musique italienne » à son sujet208 et Luigi Nono a évoqué « une admiration qui regarde aussi les aspects moraux et humains de ce personnage, que je considère comme fondamental pour la culture italienne et face auquel je me retrouve comme face aux grands maîtres de la Renaissance209. » Cette forte personnalité de Dallapiccola a été souvent remarquée par son extrême probité intellectuelle et son désir d’honnêteté – Martine Cadieu nous dit : « Je fus frappé par son regard : quelqu’un à qui l’on n’aurait jamais pu parler autrement que dans la vérité »210-, son intégrité, sa continuité211. Les témoignages de Martine Cadieu et du chef d’orchestre Charles Bruck convergent pour décrire l’homme comme un véritable humaniste. Celui qui s’éleva contre les dictatures et les injustices, spécialement au moment où cela n’était pas facile, connut la censure des autorités allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale ainsi que d’autres réactions vives, de provenances diverses, comme le relatent ses propos sur la création à Florence en 1950 d’Il Prigioniero : « ... outre des raisons soi-disant musicales, les protestations avaient aussi des raisons politiques. Les communistes, qui cachaient mal leur jeu, craignaient que toute dénonciation de la tyrannie pût être rapportée à l’URSS, dominée alors par Staline ; les crypto-fascistes – parce que personne n’osait s’avouer tel — savaient qu’en écrivant mon opéra, j’étais poussé par la haine de la dictature fasciste ; les catholiques – ou prétendus tels – y voyaient uniquement une attaque contre l’Église à travers l’Inquisition d’Espagne. (...) J’appris par exemple que le Ministère du Spectacle avait reçu des lettres – signées ou anonymes – protestant contre l’exécution de mon œuvre qui dépeignait en couleurs sombres la Sainte Inquisition espagnole et ceci, précisément, au cours de l’Année Sainte 1950. »212
43Dallapiccola précise dans le même article que les protestations émanaient aussi des milieux musicaux locaux, lesquels s’opposaient au dodécaphonisme dont ils « ne connaissaient que le nom ». Au-delà de certains aspects apparemment tendus des représentations de certaines œuvres (pour la première du Prigioniero, les forces de police avaient été renforcées...), la perception de sa musique fut néanmoins souvent favorable aussi en Italie. En parcourant les extraits de presse sélectionnés par Massimo Venuti dans son livre sur les opéras de Dallapiccola, on remarque le fréquent succès de ses pièces auprès du public, les problèmes et polémiques provenant le plus souvent des milieux musicaux et des critiques. Massimo Venuti confirme cela à propos du Prigioniero et cite un article de Massimo Mila qui prend la défense de l’œuvre en soulevant quelques problèmes cruciaux : « Maintenant, le fait que cette structure thématique de l’opéra (probablement l’une des raisons déterminantes de son succès auprès du public) ait échappé à quelques critiques qui ne sont pas à l’aise avec les partitions, n’a rien d’étonnant. Mais quand les vrais musiciens ont nié cette structure en voyant dans la musique du Prigioniero un enchevêtrement de sons qu’une oreille même exercée n’est pas capable d’analyser, alors franchement, ce n’est pas de l’oreille ni de l’intelligence, mais de la bonne foi des soi-disant213 critiques qu’on est obligé de douter. »214
44Massimo Venuti ajoute dans le même chapitre que, malgré des centaines de représentations de cet opéra dans le monde, le Prigioniero demeure aujourd’hui un opéra rarement monté en Italie ; il souligne par ailleurs la situation encore problématique de la musique de Dallapiccola actuellement dans son pays : « Une rapide analyse de cette petite histoire de la critique nous permet de souligner deux choses. La première : en dépit des difficultés initiales, les spécialistes et les historiens considèrent enfin les opéras de Dallapiccola comme les mieux conçus et les plus réussis artistiquement – mais en plus comme les plus élaborés conceptuellement – de notre siècle. La deuxième : à part l’intérêt croissant du public, il y a de moins en moins d’exécutants – même en matière de musique de chambre – depuis la mort du Maître. C’est l’aspect le plus inquiétant de cette histoire. Dallapiccola n’appartient à aucun monde politique ni aucun parti... »215
45Personnage libre, il fut aussi un musicien très indépendant sur lequel les jugements les plus contradictoires ont été portés. Pierre Boulez, qui a parfois dirigé les Cinque canti, n’avait pas beaucoup d’estime (en tout cas jusqu’aux années soixante-dix) pour la musique de Dallapiccola. Plusieurs de ses remarques donnent le ton : « Dallapiccola, je trouvais ça du sous-Webern, un peu sirupeux. C’est honnête, bien écrit, mais je ne peux pas dire que je lui trouve un intérêt capital. »216 Dans une lettre à John Cage, il dit aussi : « J’ai entendu quelques œuvres de Dallapiccola ; dodécaphoniste ou pas, dans les deux cas c’était très mauvais ! Ah ! le lyrisme italien !... »217 Naturellement il serait trop simple de prendre ces propos au premier degré et d’en tirer une conclusion hâtive sur le peu d’intérêt que manifesta la vie musicale française pour l’œuvre de Dallapiccola. Mais si l’on en reste au stade du jugement de compositeurs, des pensées opposées se trouvent chez Luigi Nono : « Quelle banalité d’affirmer que Luigi Dallapiccola a été le premier en Italie à appliquer le “système dodécaphonique” de façon non orthodoxe !
46Et quels schématismes sectaires non cognitifs ceux qui se sont ainsi exprimés dénoncent-ils ? Montrer chez Luigi Dallapiccola une cantabilità italienne ne revient-il pas à indiquer une banalité évidente, incapable de pénétrer au plus profond de la structuration articulée de Luigi Dallapiccola ? »218
47Le compositeur vénitien, « cruellement touché par ce silence soudain et sans pitié qui était tombé sur sa musique » après sa mort, décida de lui « offrir un témoignage du dévouement et de la présence continuelle » en lui de ce « grand homme »219 : le résultat fut Con Luigi Dallapiccola (1979, pour 6 percussionnistes, 3 modulateurs en anneau et 3 générateurs de fréquence, 4 pick-up). Presque toute la génération italienne de 1925 a salué l’exemple humain et musical de Dallapiccola ; outre Maderna, admiratif lui aussi, il peut être utile de rappeler que le compositeur Sylvano Bussotti – étudiant autrefois chez Dallapiccola – a mis en scène les opéras du compositeur avec beaucoup de respect et de passion : il est l’un des défenseurs ardents d’Ulisse, ainsi que cela transparaît dans un entretien avec Martine Cadieu : « ... vous savez à quel niveau Dallapiccola a élevé cette technique extraordinaire de la vague qui revient, de la citation perpétuelle de lui-même, avec le courage – et les épaules – de pouvoir supporter cela sur un texte venu d’Homère, donc en vers extraordinaires... Eh bien ! tout cela m’était facile, parce que j’ai toujours connu ce qui a été ma nourriture d’enfance – oserais-je presque dire-, d’adolescence et de ma toute première jeunesse musicale ; et je l’ai reconnu dans un contexte général d’une construction extraordinaire. Néanmoins, on prétend que cet opéra n’aurait pas eu le succès des autres opéras, plus courts, de Dallapiccola (Vol de nuit, Le Prisonnier, Job), à cause d’une prétendue abstraction qui en ferait une sorte d’oratorio. On ne doit pas fermer les yeux et les oreilles aux critiques, que l’on peut trouver justes si l’on voit comment le spectacle d’aujourd’hui donne l’impression que le cinéma est déjà démodé... La règle, c’est donc le clip télévisé : quelque chose d’instantané et de construit sur des contrastes très primaires et très rapides... Et cette sorte de réflexion monumentale sur la dramaturgie musicale au sens profond, au sens intérieur, n’est certainement pas de cette époque-là, de son époque, mais pas non plus de la nôtre. »220
48D’autres témoignages soulignent la valeur incontestable de l’œuvre de Dallapiccola : le compositeur Klaus Huber a dédié à la mémoire du musicien italien l’une de ses œuvres célèbres, Senfkorn (1975, texte de Ernesto Cardenal et Isaïe), devenue par la suite le centre d’un gigantesque oratorio, intitulé Erniedrigt – Geknechtet – Verlassen – Verachtet (Humiliés – Asservis – Abandonnés — Méprisés), dont le message profond n’est pas sans rapports avec l’esthétique de Dallapiccola...
49Les musicologues et critiques ont aussi pris position en faveur de ce musicien. Antoine Goléa, dans un texte d’hommage à Dallapiccola, s’est souvenu de l’homme – qu’il connaissait bien – et de sa musique : « Je me sentais en profond accord avec l’homme et sa musique, avec l’homme à travers sa musique : une des figures les plus émouvantes du monde musical du XXe siècle. Il y avait sa sincérité, son souci de vérité humaine, et aussi son respect pour le “métier”, tellement galvaudé aujourd’hui. Venu de la Renaissance, de ses modes, de sa polyphonie, il a débouché presque directement sur l’écriture dodécaphonique, dont il a su manier les lois et les possibilités avec une souveraine liberté, soucieux avant tout d’évidence lyrique et dramatique. Amoureux de la voix humaine, Italien de la souche la plus noble, la plus antique, il est l’héritier direct de Monteverdi, dont il a su faire la surprenante synthèse avec le chant profond d’un Webern. »221
50Sur un plan plus technique, un article de René Leibowitz est intéressant – de même que les échanges de lettres entre les deux hommes222 – pour situer certaines « différences » de la musique de Dallapiccola par rapport à la Seconde École de Vienne que Leibowitz connaissait évidemment très bien. Parlant particulièrement des Sex carmina Alcaei, le musicologue dit : « Je constate par endroits des préoccupations hédonistes qui font que Dallapiccola sacrifie à un effet de sonorité pure, à cet “élément décoratif”, au lieu de se borner à l’expression purement architectonique du discours musical. C’est à cela, je crois, qu’est dû l’emploi fréquent d’octaves qui ne s’expliquent que par un désir (presque inconscient peut-être) d’“embellir” une partie qui pourrait paraître trop “nue” ou trop “pauvre” sans le redoublement. »223
51La réponse du compositeur à ces critiques soulèvent d’importants problèmes de perception relatifs à la musique dodécaphonique et montrent bien sa méthode de travail à la fois rigoureuse et soucieuse des questions de perception : « ...le problème des octaves (et celui des doubles notes aussi) m’intéresse énormément. À mon avis (et je dois mes observations à ce sujet surtout à l’écoute très attentive de certains disques de Busoni), l’octave n’est plus l’addition de deux sons, mais un timbre seul, surtout au piano. Depuis plusieurs années, je pense à ce problème et j’ai voulu faire des expériences avec mon grand ami et grand pianiste Pietro Scarpini. (...) Ainsi j’explique par exemple le commencement du n° 5 des Sex carmina Alcaei. Me tromperais-je ? ou bien est-ce une chose absolument “subjective”, c’est-à-dire qui dépend de l’oreille de chaque individu ? »224
52Les réserves que Leibowitz maintient néanmoins dans sa réponse pourraient aujourd’hui apparaître comme des qualités (d’autant que ce chef d’orchestre a souvent donné avec un visible plaisir les Sex carmina Alcaei en concert) : « ...votre tendance à vous, mon cher ami, me paraît déjà fortement “engagée” sur la voie de cette extrême pureté et je crois simplement que la seule chose qui vous “retient” encore c’est un certain désir de rechercher la sonorité pour elle-même. »225
53Au-delà de la « réception » de l’œuvre, il faut donner un aperçu du rayonnement – tant il est peu connu en France – sur d’autres artistes, italiens pour la plupart, bien que certains compositeurs d’autres nationalités (comme Hans Werner Henze) aient pu se référer d’une certaine façon à Dallapiccola. L’effet des Liriche greche fut considérable en Italie à la fin de la Seconde Guerre mondiale et dans les années qui ont suivi : comme le dit Jurg Stenzl, ces pièces de Dallapiccola étaient pour certains compositeurs (Nono par exemple) les premières œuvres dodécaphoniques « qu’ils avaient entre les mains ». Dès lors, un mouvement important en faveur de cette orientation se dégagea chez les jeunes musiciens : Tre liriche greche (1946) de Luciano Berio, Tre liriche greche (1948) de Bruno Maderna, etc. Toute une série de jeunes musiciens composèrent alors des chants antiques d’après les traductions de Quasimodo pour voix et instruments, ou alors des pièces inspirées par la thématique de la résistance. Jurg Stenzl conclut en disant que les « dallapiccolismes » étaient quasi inévitables dans les œuvres de ce genre226.
54Si l’on observe plus précisément les « retombées » de l’œuvre de Dallapiccola sur la génération qui l’a suivi, le cas de Luciano Berio s’impose tout d’abord. Ses œuvres de la fin des années quarante et du début des années cinquante comme les Due pezzi pour violon et piano, Cinque Variazioni pour piano (dédiées à Luigi Dallapiccola et qui font apparaître le motif « Fratello » du Prisonnier dans la cinquième Variation) ou Chamber Music pour voix et trois instruments reflètent une proximité directe du point de vue de l’écriture en général (contrepoint, écriture sérielle) et de la mélodie en particulier : « Avec ces travaux, je suis entré dans le monde “mélodique” de Dallapiccola, mais ils m’ont aussi permis d’en sortir. »227 Les lettres de Berio à Dallapiccola laissent du reste transparaître une très grande admiration : « La musique vous doit beaucoup ; c’est à vous que tous les jeunes musiciens véritables doivent leurs meilleures leçons. »228
55« Je me souviens de l’émotion que j’éprouvai, en septembre 1952 à New York, lorsque vous m’avez demandé de réviser les épreuves de Tartiniana I. Autre souvenir émouvant : avoir écouté, chez vous, la cantate An Mathilde... Le professeur Ruziaska m’en a prêté la partition ; je m’y consacrerai les jours prochains. Sans rechercher les “séries” ; on n’en a absolument pas besoin quand la “musique” est là. Et c’est justement le cas. »229
56« Dans ce sens, la mort du pauvre Cantarelli prend une signification symbolique pathétique : l’époque des virtuoses et des “génies” officiels est terminée, et non seulement pour des raisons musicales. Ils n’ont plus leur place dans un monde reconstruit par les artisans du temps (le temps est mouvement), par des “horlogers suisses” comme Ravel, Debussy, Busoni, Stravinski, Webern et vous-même. Merveilleux assassins ! ! ! Si ce matin-là quelqu’un a évité la place du Dôme comble, en pensant, aux obsèques de Mozart et de Webern, ce fut un peu à cause de vous. »230
57Luigi Nono est à sa façon très proche aussi du compositeur florentin. Sans reprendre vraiment les procédés d’écriture, et donc sans être à aucun moment un épigone de Dallapiccola, Nono partagea un certain esprit musical et philosophique avec lui. La proximité de l’écriture est néanmoins réelle à plusieurs niveaux : il souligne lui-même dans ses écrits son admiration pour l’écriture souvent canonique de Dallapiccola (entre autres) et dit que « ce n’est pas un hasard » si sa première pièce s’intitule Variazioni canoniche sulla serie dell’op. 41 di Schœnberg231 ; il utilise dans la première pièce chantée de Il Canto sospeso des techniques d’écriture rythmico-polyphoniques qui sont très proches de celles de Dallapiccola dans les Canti di liber azione, et il réalise dans cette même œuvre en général des « mixtures » de timbres vocaux et instrumentaux qui pourraient être comparées à ce qui a été indiqué au chapitre précédent. L’esprit me semble toutefois le lien le plus fort avec Dallapiccola : on peut le remarquer en étudiant en profondeur les deux musiques, et notamment à certains indices comme les choix de textes pour les œuvres : « ... on s’écrivait des lettres et j’allais à Florence pour le rencontrer, pour parler avec lui, et surtout pour l’écouter dans ses divagations érudites dans lesquelles il passait d’une pensée à l’autre, en me révélant chaque fois des choses inouïes. C’est de lui, des Canti di prigionia, du Prigioniero, que vient mon grand amour pour les hérétiques et pour les persécutés. À travers ses paroles, je découvrais un témoignage vivant de cette civilisation de la Mitteleuropa pour laquelle je nourrissais une passion sans fin. »232
58L’attitude de Dallapiccola à l’égard de Nono ne fait pas l’ombre d’un doute, car il a lui-même proposé, en accord avec Bernd Alois Zimmermann, une perspective somptueuse : « Je voudrais maintenant vous exposer une autre affaire sur laquelle je vous prie de méditer et de me donner une réponse, pas forcément immédiate. Bernd Alois Zimmermann et moi-même voudrions proposer votre nom comme membre de l’Akademie der Künste de Berlin. Il va de soi qu’une proposition n’implique pas une garantie. Mais, heureusement, vous avez prouvé que vous ne croyiez pas aux garanties. Vous avez laissé ce soin aux autres, à ceux qui ont cru, par exemple, que la série dodécaphonique “garantissait” l’unité d’une composition musicale... Je peux vous dire que l’Akademie der Künste est, dans sa très grande majorité, propre et qu’on y raisonne avec liberté. D’ailleurs, Dessau, que j’ai rencontré pour la première fois, pourra vous le confirmer. En cas de nomination, seriez-vous prêt à accepter ? »233
59Pourquoi défendre la musique de Luigi Dallapiccola ? Évidemment pour sa richesse, sa qualité. Mais aussi pour sa « force », pour le sens du tragique : ses grandes œuvres, lorsqu’elles sont bien jouées, ressemblent à un coup de poing, elles ont du moins, comme le dit Luigi Rognoni, une « énorme charge émotive »234 et une certaine urgence dans l’expression. Il faut la défendre aussi pour une autre raison : elle déploie une spiritualité très élevée, une foi dans l’engagement, dans la lutte contre la superficialité, la passivité, l’indifférence. Forte d’elle-même, mais jamais hautaine, cette musique est enfin d’une profondeur exceptionnelle, ainsi que l’a suggéré avec beaucoup d’intelligence Luigi Nono en citant intentionnellement l’hérétique Giordano Bruno : « Espace immense et mondes infinis »235.
Notes de bas de page
164 Luigi Dallapiccola, « Fragments from... », op. cit., p. 298.
165 Ibid., p. 297.
166 Luigi Dallapiccola, dans : « Pour la première représentation de Vol de nuit », dans : Paroles et Musique, p. 167.
167 Luigi Dallapiccola, dans : « Témoignage sur le dodécaphonisme », ibid, p. 210.
168 Luigi Dallapiccola, dans : Ursula Stürzbecher : Werkstattgespräche mit Komponisten, Cologne, 1971, p. 223.
169 Ibid, p. 223.
170 J’ai développé cette idée dans mon article « Timbro, ricerca sonora e scrittura nelle ultime opere di Dallapiccola », déjà cité, où je donne trois exemples de textures différentes avec leurs caractéristiques grossières, et où je tente de montrer finalement comment cette démarche peut rendre relativement accessible la compréhension de certaines articulations formelles et musicales sur une plus grande échelle (dans les Dialoghi pour violoncelle et orchestre).
171 Régis Authier, Thèse sur Edgar Varèse, École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris, janvier 1995.
172 J’ai soulevé dans ma thèse un certain nombre de « problèmes » de cet ordre, et notamment la question de la notation rythmique qui, dans certaines œuvres, préserve l’aspect visuel des proportions au détriment d’une notation « pratique » pour les interprètes. Ces tendances du dernier Dallapiccola à une rigueur accrue lui ont parfois valu des reproches de formalisme ; j’espère que mes conclusions en ce qui concerne le timbre notamment contrediront ces jugements souvent hâtifs.
173 Le thème de la mort figure parmi les plus importants avec celui de la solitude ; pour le premier voir l’article de Luigi Dallapiccola : « What is the answer to The Prisoner ? », dans : San Francisco Sunday Chronicle, 2 décembre 1962, p. 27.
174 Jurg Stenzl, Von Giacomo Puccini zu..., op. cit., p. 190.
175 Dans son article « Per una rappresentazione... », Dallapiccola écrit que l’on doit à Monteverdi « l’interprétation musicale de la parole la plus complète et la plus parfaite jamais atteinte » et donne des exemples pour illustrer son propos ; voir pp. 426-428.
176 Luigi Dallapiccola, « Per una rappresentazione... », op. cit., pp. 433-434.
177 Luigi Dallapiccola, « Den 13. September », dans : Stimmen, 16,1949, p. 455, traduction de Lucienne Thalmann.
178 Luigi Dallapiccola, dans : Josef Rufer : Die Komposition mit zwölf Tönen, Berlin, Max Hesse, 1952. J’attire l’attention sur le fait que le passage de cet extrait d’article commençant par « Le reproche fait à Schœnberg... » et se terminant par « ...en kilomètres-carrés. » ne figure ni dans l’édition italienne, ni dans la traduction française de ce texte, comme si la polémique avait voulu être effacée plus tard...
179 Voir la lettre de Schœnberg dans la Correspondance 1910-1951, Paris, Lattès, 1983, p. 286.
180 Un rapprochement peut être assez révélateur entre la « Chanson des Gueux » du Prigioniero (intitulée « Aria in tre strofe ») et le Lied d’Andrès (en trois strophes...) dans le premier acte de Wozzeck ou l’Aria en cinq strophes du second acte de Lulu.
181 Luigi Dallapiccola, « Notes sur mon Prigioniero », dans : notice de l’enregistrement DECCA de cet opéra.
182 À partir des Tre laudi, Dallapiccola a pris l’habitude d’indiquer précisément dans ses partitions la conduite des voix dans les sections contrapuntiques. Ainsi, lorsqu’une partie passe d’un instrument à un autre, ou d’un pupitre vocal à un autre, le compositeur annonce ce changement par une ligne pointillée ou une flèche. Cette façon de faire renvoie sans aucun doute à la Suite Lyrique de Berg où l’on trouve un graphisme analogue (voir par exemple le premier mouvement, mes. 23-24).
183 Comme Berg dans sa Suite lyrique, Dallapiccola a utilisé à plusieurs reprises (au début des années cinquante) une série dodécaphonique présentant tous les intervalles compris à l’intérieur de l’octave. Comme le musicien viennois, il a également créé des séries dérivées selon des procédés très proches de ce que Berg avait fait dans Lulu.
184 Lettre conservée à Florence (Archivio Contemporaneo A. Bonsanti/Gabinetto G. P. Vieusseux), traduction de l’allemand par Lucienne Thalmann. Les mots soulignés le sont dans l’original manuscrit.
185 Luigi Dallapiccola, « Rencontre avec Anton Webern (pages de journal) », dans : Paroles et musique, op. cit., p. 134.
186 Lettre conservée à Florence (voir note 20).
187 Voir l’article « Rencontres avec Edgar Varèse », dans : Paroles et Musique, op. cit.
188 Voir Luigi Dallapiccola, « À la mémoire de Gian Francesco Malipiero », ibid.
189 Lettre reproduite dans : Fiamma Nicolodi, Luigi Dallapiccola – saggi, testimonianze..., op. cit., p. 71 (traduction de l’italien par Claire Pedotti).
190 Ibid., pp. 71-72.
191 Lettre conservée à l’Archivio Contemporaneo, traduction de Claire Pedotti.
192 Lettre reproduite dans Fiamma Nicolodi, Luigi Dallapiccola – saggi, testimonianze..., op. cit., p. 70.
193 Lettre reproduite dans Fiamma Nicolodi, Luigi Dallapiccola – saggi, testimonianze..., op. cit., p. 83.
194 Ibid, p. 84 (lettre du 29 novembre 1950).
195 Luigi Dallapiccola, « Erinnerungen an Hermann Scherchen », op. cit., p. 203.
196 Lettre reproduite dans : Fiamma Nicolodi, Luigi Dallapiccola – saggi, testimonianze..., op. cit., pp. 74-75.
197 Lettre à Sergiu Celibidache, reproduite dans : Fiamma Nicolodi, Luigi Dallapiccola – saggi, testimonianze..., op. cit., p. 95.
198 Entretiens avec Laura Dallapiccola, op. cit.
199 Luigi Dallapiccola, dans : « Fragments from Conversations », op. cit., p. 299.
200 Luigi Dallapiccola, « Témoignage sur le dodécaphonisme », dans : Paroles et musique, op. cit., p. 209.
201 Luigi Dallapiccola, dans : Helm Everett, « Luigi Dallapiccola in einem unveröffentlichen Gespräch », op. cit., p. 469.
202 Lettre conservée à l’Archivio Contemporaneo A. Bonsanti à Florence.
203 Ibid., p. 471.
204 Sur le plan des rapports de Dallapiccola avec Darmstadt, le musicologue allemand Dietrich Kämper m’a indiqué que le compositeur italien était en rapports avec Wolfgang Steinecke (fondateur des Ferienkurse) depuis 1949 ; celui-ci l’avait invité chaque année à diriger un cours de composition, mais Dallapiccola avait refusé cette invitation, tout d’abord en raison de ses activités à Tanglewood et du long processus de composition de ses Canti di liberazione, plus tard « en raison de divergences esthétiques croissantes face à l’évolution de Darmstadt », comme me l’écrivait Dietrich Kämper en spécifiant que « Dallapiccola n’avait jamais exprimé ces divergences », mais que Laura Dallapiccola les lui avait confirmées indirectement.
205 Luigi Dallapiccola, dans : Martine Cadieu, « Duo avec Luigi Dallapiccola », dans : Les Nouvelles Littéraires, 1er mars 1962, p. 9.
206 Voir notamment les entretiens de Ligeti avec Ulrich Dibelius dans : Ulrich Dibelius : Ligeti – Eine Monographie in Essays, Mayence, Schott, 1994, pp. 253-254.
207 Luigi Rognoni, « Dallapiccola e Volo di notte, Oggi », dans : Fiamma Nicolodi, Luigi Dallapiccola – Saggi, testimonialize..., op. cit., p. 5.
208 Luciano Berio, Entretiens avec Rossana Dalmonte, traduits et présentés par Martin Kaltenecker, Paris, Lattes, 1983, pp. 73-74.
209 Luigi Nono, Écrits, Paris, Bourgois, 1993, p. 105.
210 Martine Cadieu, « Luigi Dallapiccola », dans : In Ricordo..., op. cit., pp. 7-8.
211 Je citerai encore Nono à ce sujet. Dans une lettre du 14 janvier 1971, particulièrement émouvante, le compositeur vénitien présente ses vœux à Dallapiccola pour la nouvelle année : « L’unique souhait, c’est la continuité dans le travail de la conscience de la lutte difficile, nécessaire aussi quand on se "replie" apparemment dans la composition – et ce souhait plus que jamais aussi pour vous, pour les vôtres. – Malipiero me dit qu’Annalibera a passé sa licence, qu’elle est mariée, qu’elle est partie pour l’Inde ; puissent ses nouveaux débuts, très beaux, être pour vous tous la véritable continuité de votre exemplaire continuité ! » Voir Fiamma Nicolodi : Luigi Dallapiccola : saggi, testimonianze…, op. cit. pp. 105-106, traduction de Claire Pedotti.
212 Luigi Dallapiccola, cité dans : Bronislaw Horowicz, Musiques et paroles, Paris, France-Empire, 1979, pp. 147-148.
213 Expression en français dans le texte italien.
214 Massimo Mila, dans : « Omnibus », 4 juin 1950.
215 Massimo Venuti, Il teatro di Dallapiccola, Milan, Suvini Zerboni, 1985, pp. 128-129.
216 Pierre Boulez, cité dans : Jésus Aguila, Le Domaine Musical Paris, Fayard, 1992, p. 216.
217 Pierre Boulez, dans : Pierre Boulez/John Cage – Correspondance, Paris, Bourgois, 1991, p. 86.
218 Luigi Nono, Écrits, op. cit., p. 323.
219 Ibid., p. 106.
220 Entretiens diffusés dans le cadre de l’émission « Musique-mode d’emploi », réalisée par Martine Cadieu (semaine du 13 novembre 1989 sur France Culture).
221 Antoine Goléa, dans : In Ricordo..., op. cit., pp. 15-16.
222 Ces correspondances se trouvent à la « Paul Sacher Stiftung » de Bâle.
223 René Leibowitz, « Luigi Dallapiccola », dans : L’Archen° 3, Paris, 1947, pp. 123-124.
224 Luigi Dallapiccola, lettre du 18 mars 1947 à René Leibowitz (Paul Sacher Stiftung).
225 Lettre de René Leibowitz à Luigi Dallapiccola du 26 mars 1947 (Paul Sacher Stiftung).
226 Jurg Stenzl, Von G. Puccini zu Luigi Nono, op. cit., p. 186.
227 Luciano Berio, Entretiens avec Rossana Dalmonte, op. cit., pp. 73-74.
228 Lettre du 1er janvier 1956.
229 Lettre du 11 mai 1956.
230 Lettre du 24 février 1957.
231 Luigi Nono, dans : Écrits, op. cit., p. 105. À ce sujet, voir aussi : Philippe Albèra, « Entretien avec Luigi Nono », dans : Luigi Nono, Paris, Contrechamps/Festival d’Automne à Paris, 1987, p. 18.
232 Ibid.
233 Lettre de Luigi Dallapiccola à Luigi Nono du 30 novembre 1966.
234 Luigi Rognoni, « Dallapiccola e Volo di notte, oggi », dans : Fiamma Nicolodi, Luigi Dallapiccola : saggi, testimonianze..., op. cit., p. 5.
235 Cité dans : Luigi Nono, « Con Luigi Dallapiccola », dans : Écrits, op. cit., p. 322.
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