Étudier le secret
Sur les traces de la police secrète allemande en Belgique et en France occupées
p. 223-242
Texte intégral
1Le point de départ de cet article est le suivant : la police secrète allemande en territoires occupés n’a laissé que peu de traces. Au sortir de la guerre, elle a peut-être veillé elle-même à détruire certains de ses dossiers tandis que, durant la Seconde Guerre mondiale, les bombardements alliés à Potsdam de bâtiments conservant les archives militaires ont achevé d’en effacer les traces. En Belgique comme en France, l’invasion de 1940 a également poussé les administrations et autres conservateurs d’archives à éliminer certains documents sensibles, comme les dossiers de procès de collaborateurs. L’historien qui étudie aujourd’hui le contre-espionnage allemand est donc confronté à une absence de sources produites par son acteur principal sur le terrain : la police secrète allemande. Mais la difficulté éprouvée par les historiens allemands à se pencher sur des problématiques militaires après le second conflit n’a pas non plus aidé à mettre en lumière même quelques bribes de l’histoire plus large du renseignement allemand durant la Grande Guerre. Ce n’est que dans les années 2000 que des historiens tels que Jürgen Schmidt, Florian Altenhöner ou Markus Pöhlmann ont commencé à s’intéresser au sujet1. Quelques acteurs avaient partagé leur expérience au lendemain du conflit, mais la valeur de leurs travaux est particulièrement discutable, tant ils sont empreints de représentations négatives vis-à-vis de leurs anciens ennemis2.
2À l’absence de documents s’ajoute donc un vide historiographique relatif à la fois au renseignement allemand, mais également aux structures et logiques d’occupation des territoires belges et français. Si quelques historiens comme Annette Becker, Philippe Nivet, James Connolly, Philippe Salson, Emmanuel Debruyne ou Sophie de Schaepdrijver3 se sont intéressés au vécu des occupés, l’étude des structures allemandes, des organes, des personnalités en charge de l’occupation des territoires à l’ouest a jusqu’à présent été délaissée par les chercheurs4. Or, notre problématique est justement d’aborder la police secrète à la fois comme force répressive mais également comme un organe d’occupation à part entière, et non pas tant comme un organe de renseignement. L’aspect répressif de cet organe est cependant abordé indirectement, dans le sens où il ne constitue pas l’objet principal des études, par les historiens qui se sont intéressés tout récemment aux premières formes de résistance nées durant le conflit. Ainsi, Emmanuel Debruyne ou Jan Van der Fraenen5 évoquent régulièrement la police secrète allemande qui a poursuivi les agents alliés qu’ils étudient. Cette police est donc essentiellement présentée comme une ombre menaçante qui plane au-dessus des résistants et plus largement des civils occupés, sans que ses contours ne soient définis. Ces études ont peu à peu conduit les historiens, en particulier Emmanuel Debruyne, à s’intéresser à cet appareil répressif et à la police secrète qui en est le bras. Notre recherche s’inscrit donc à la fois dans une histoire du renseignement militaire mais également dans une histoire des occupations. La police participe à une logique plus globale d’occupation mise en place par l’occupant allemand grâce à son action de contre-espionnage et de surveillance des populations.
3Et c’est justement parce qu’elle est présente, qu’elle fait acte de présence au sein de la population civile occupée, parce qu’elle agit à son encontre, qu’il est possible d’en prendre connaissance et d’en dessiner progressivement les contours. L’objectif de ce papier est donc de comprendre dans quelle mesure la police secrète peut être étudiée malgré l’absence relative des sources qu’elle a produites.
4Pour comprendre cette présence, il faut tout d’abord pouvoir la visualiser. Géographiquement, la police secrète tisse une toile à travers les territoires occupés. Elle est une réalité multiforme, puisque trois polices secrètes sont actives : une par zone d’occupation en Belgique et en France. Dans la zone du Gouvernement général – qui s’étend sur la plus grande partie de la Belgique à l’exception des deux Flandres et, au cours de la guerre, du sud de la province de Luxembourg et d’une partie du Hainaut – le Gouverneur général6 n’a de compte à rendre qu’à l’Empereur et peut compter sur une administration civile allemande efficace7. Dès la seconde moitié du mois de décembre 1914, la Zentralpolizeistelle (ZSt) y est installée. Celle-ci est progressivement organisée de manière hiérarchisée ; un bureau central à Bruxelles, des Abschnitte dans les provinces et des Polizeistellen dans les villes importantes du pays ou à des points stratégiques du territoire. C’est réellement au sein de ces Polizeistellen que les enquêtes de terrain sont menées8.
Figure 1 : Répartition de l’ensemble des bureaux de police identifiés en zones occupées (1914-1918)

Élise Rezsöhazy
5Dans la zone des Opérations et des Étapes, les armées allemandes en campagne se divisent un territoire qui longe le front, du nord de la Flandre jusqu’en Alsace-Lorraine. Dans ces territoires chaque armée possède, dès le début du conflit, une Geheime Feldpolizei (GFP), composée à la base d’un Feldpolizeikommissar et de six Feldpolizeibeamten. Chaque GFP possède un bureau central, en général auprès du quartier général de l’armée, et une série de Neben- et Zweigstellen, c’est-à-dire de bureaux secondaires. Ceux-ci sont compétents sur des portions de territoire très réduites, parfois limitées à une ou deux communes. Les plus gros bureaux peuvent posséder près d’une dizaine de policiers, tandis que les plus petits n’en comptent que trois. Ces GFP sont sous l’autorité du Feldpolizeidirektor Bauer à Charleville-Mézières, auprès du Grand Quartier général.
6Ces deux structures policières dépendent de la Sektion puis Abteilung IIIb, service de renseignement de l’État-Major allemand dirigé par Walter Nicolai. La ZSt constitue également le département Id du Gouvernement général, son chef, le Hauptmann Joël, remplacé ensuite par Imhoff, faisant par ailleurs partie de son État-major.
7Finalement, dans la zone occupée par le Marinekorps Flandern, territoire de 400 km² autour de Bruges, une autre police, qui dépend de la Nachrichtenabteilung puis de l’Abteilung G (pour Gegenspionage) de l’Admiralstab, existe sans doute également depuis la fin de l’année 1914. Cette Feldpolizei des Marinekorps est dirigée par le Feldpolizeikommissar Gropengießer. Nous pouvons supposer qu’elle possède quelques bureaux qui dépendent du bureau central à Bruges, dont l’existence est avérée à Ostende, et ne regroupe sans doute qu’une dizaine de policiers9.
8Dans la zone des Étapes, le maillage tissé par les bureaux est beaucoup plus serré que celui de la ZSt, bureaux qui comptent toutefois en moyenne moins de policiers que dans le territoire du Gouvernement général. Ces bureaux sont composés à la fois de policiers allemands, de profession ou engagés pour l’occasion, mais également d’agents belges, français ou encore néerlandais employés comme auxiliaires, appelés Vertrauensleute. Par ailleurs, en particulier en zone des Étapes, les polices, comme les structures d’occupation, doivent s’adapter aux mouvements des armées. Si la zone du Gouvernement général, et donc de la ZSt, évolue peu durant le conflit, les modifications de ses contours sont également la conséquence de ces mouvements. Les bureaux des GFP déménagent donc constamment et leur zone de compétence évolue continuellement, en particulier entre le département du Pas-de-Calais et les Ardennes.
9Ces polices sont spécifiquement dévolues aux missions de contre-espionnage et à la protection de l’armée contre les tentatives alliées d’espionnage, de sabotage, de passage de la frontière, ou toute autre action identifiée comme menace pour la sécurité de l’armée10. À cette fin, elles pénètrent les sociétés occupées, les surveillent, poursuivent et arrêtent les suspects et agents alliés qui mettent en place, du nord de la France aux Pays-Bas, des réseaux – appelés à l’époque services – de renseignement et de passage d’hommes, de lettres ou de presse clandestine. Ces premières formes de résistances sont par contre très peu violentes et les actes de sabotage, comme les attentats, sont assez rares. Plus largement, toute action qui menace de près ou de loin l’armée allemande devra être réprimée par la police, amenant au fil du conflit à une extension du champ d’action des polices secrètes, qui devront, par exemple, à certains endroits, faire office de police des mœurs11. Les témoignages laissés après la guerre par les victimes de la police, c’est-à-dire les agents et les civils occupés, sont la première porte d’entrée d’une étude plus approfondie des structures de contre-espionnage allemand. Mais pour trouver d’autres pistes, il nous a fallu d’abord nous poser la question suivante : que laisse voir la police ? Comment la police se manifeste-t-elle aux occupés ? C’est seulement en connaissant ce que la police donne à voir que nous pourrons nous poser la question de qui parle de la police. C’est ici que commencent nos pérégrinations heuristiques.
Que laisse voir la police ?
10Si le qualificatif « secret » a été affublé à la police, ce n’est pas pour autant que celle-ci l’était effectivement durant la Première Guerre mondiale. Les populations occupées, au-delà des personnes qui auraient pu être directement menacées par son action répressive, en connaissent l’existence. Les affiches annonçant les condamnations pour espionnage font directement référence à son action, et bien plus directes, les affiches sur lesquelles la police est évoquée participent évidemment à dévoiler son existence puisque celles-ci sont affichées dans des lieux publics, sur des places fréquentées. La police d’une zone ne se limite pas non plus à n’afficher que ce qui la concerne, mais partage également les publications des zones mitoyennes. Ainsi, les réglementations, affiches annonçant les condamnations et autres communications de décisions prises en zone de Gouvernement général sont placardées dans la zone de la 4e armée12.
11Mais la présence de la police dans la rue ne se limite pas à ces bouts de papier, puisqu’elle est concrètement incarnée par les policiers eux-mêmes, qui investissent les rues, les habitations, les cafés, les hôtels, etc. À la fin de la guerre, dans la zone des étapes, 330 policiers environ sont présents13 tandis que dans la zone de Gouvernement général, les bureaux comptabilisent au moins 232 policiers14.
Tableau n° 1 : répartition des policiers entre les différents secteurs de la Zentralpolizeistelle en avril 1915 et juin 1916
Nombre de policiers par Abschnitt de la Zentralpolizeistelle | ||
Abschnitt | Nombre de policiers en avril 1915 | Nombre de policiers en juin 1916 |
Bureau central | 6 | 10 |
Anvers | 21 | 45 |
Liège | 22 | 44 |
Namur | 19 | 33 |
Hainaut | 17 | 34 |
Bruxelles | 30 | 66 |
Total | 115 | 232 |
Sources : BArch, Berlin-Lichterfelde, R119374 : répertoire des bureaux présents dans le secteur de la Zentralpolizeistelle du Gouvernement général en Belgique et des employés civils et militaires qui y sont employés, s.d. et AGR, CAP, 120 : rapport n° 5 du policier Fritz Ball, s.d.
12À la fin du conflit, 570 policiers allemands au moins vivent quotidiennement dans les territoires occupés, sans compter les policiers de la GFP de la Heeresgruppe Albrecht en Alsace-Lorraine, territoire qui n’est pas à proprement parler occupé, et qui possède sa propre police avec, à elle seule, 185 policiers. Dans la zone des Étapes, les bureaux les plus importants en mars 1918 sont ceux des 6e et 4e armées, avec respectivement 59 et 73 policiers. Au total, 130 policiers passent par la GFP de la 6e armée au cours de la guerre. Ces deux armées occupent les territoires les plus densément peuplés, et ceux dans lesquels les efforts des agents alliés sont les plus intenses. Plus on descend vers le sud-est le long de la ligne de front, moins la résistance alliée est développée et plus les tâches de la police secrète sont diversifiées. En zone de Gouvernement général, les bureaux les plus importants en termes d’affaires poursuivies et de policiers sont ceux de Liège avec 18 policiers, d’Anvers avec 24 hommes et de Bruxelles avec 54 policiers actifs, dont les enquêtes mènent à l’exécution de 35 résistants à Bruxelles et de 48 à Liège.
13Ces policiers sont évidemment logés, se nourrissent, participent quelque part à la vie de la localité dans laquelle ils se trouvent. En tout cas dans la GFP de la 6e armée, les policiers vivent en communauté dans des maisons réquisitionnées généralement proches les unes des autres, et mangent ensemble dans le même bâtiment. Dans la ville de Tournai, 22 policiers habitent dans la chaussée de Lille où sont établies également la centrale et la succursale, l’écurie et la maison destinée aux agents15. Difficile de rester discret dans un tel cas.
14Bien qu’ils ne portent pas d’uniforme particulier, contrairement aux Feldgendarmen, et qu’ils soient même amenés à s’habiller en civil dans le cadre de leurs activités, les policiers sont bien identifiés par les populations occupées. Les habitants les désignent d’ailleurs souvent comme « policiers en civil » à l’occasion des déclarations que certains font suite à leur évacuation, alors qu’ils sont interrogés à la frontière Suisse ou aux Pays-Bas par les services de renseignement alliés16. De tels témoignages montrent que les civils sont capables de reconnaître les policiers malgré leur accoutrement particulier ; ils font partie intégrante du paysage de l’occupation.
15Mais d’autres acteurs du contre-espionnage sont présents dans la rue : les agents autochtones. Dès le début du conflit, la police secrète allemande recrute un nombre certain de Belges, Français et Néerlandais, dont environ 200 rien que pour la ZSt. Malgré la volonté des autorités allemandes de recruter des policiers capables de parler français, la réalité est toute autre et leur faible connaissance des langues et des sociétés qu’ils occupent les conduisent à se tourner vers les populations locales. Les agents belges et français deviennent les bras opérationnels des polices secrètes et sont chargés d’infiltrer les réseaux avant d’en dénoncer les protagonistes à la police, laquelle procède aux arrestations et interrogatoires qui mènent à l’exécution de près de 280 résistants en Belgique et en France. Mais ces agents, tout comme une partie des policiers, ne sont pas assez, voire pas du tout, formés aux missions qu’ils doivent accomplir, si bien que leur manque de discrétion permet aux civils de les identifier. Certains agents se montrent même de manière ostentatoire : « Pendant la nuit Dumonceau avait bu plus que de coutume. Il était ivre, il brandissait sa carte d’agent allemand, il arrêtait tous les passants sur la rue et les conduisait au poste allemand17. »
16Ces agents ne sont pas censés procéder aux arrestations, aux perquisitions ou aux interrogatoires afin de les préserver et éviter qu’ils soient repérés. Cependant, dans les faits, ceux-ci y assistent, ce qui permet d’autant plus facilement aux résistants, mais également aux occupés, de les identifier. Il faut néanmoins noter la différence de comportement et d’observation de cette règle entre la zone de Gouvernement général et celle des Étapes où l’identité des Vertrauensleute est davantage protégée. Par ailleurs, bien qu’il y ait une volonté des policiers de faire les arrestations tard le soir – après le couvre-feu – ou tôt le matin afin de rester discrets, dans les villages, les bruits circulent, ce qui participe encore à identifier les agents et les policiers. Cette circulation prend d’autant plus d’ampleur qu’elle est intensifiée par le contexte de guerre où tout comportement inhabituel devient suspect. Adresser la parole à un soldat allemand peut amener des voisins jaloux à vous dénoncer après la guerre, comme en témoigne les dossiers des procès pour intelligence avec l’ennemi dans le département du Nord, où certains individus sont arbitrairement et faussement désignés comme agents de l’espionnage allemand18. Cela témoigne donc à la fois de la connaissance de l’existence de cette police et du fait que des autochtones y travaillaient, mais également de la grande difficulté que nous pouvons éprouver à faire la part des choses : qui est réellement agent ? Quelle définition en faire et comment les différencier des indicateurs, dénonciateurs ou autres moutons19 ? C’est ici un autre problème méthodologique lié aux sources qui peut être souligné : comment dépasser les biais liés aux sources ?
17Si les policiers vivent dans les maisons de civils, les bureaux occupent eux aussi l’espace et font partie intégrante du paysage urbain. En territoire du Gouvernement général, les bureaux investissent des places centrales dans les villes, à l’image des autres organes d’occupation qui réquisitionnent des lieux symboliques, témoignant d’une logique d’occupation intéressante. Les procès de résistants, par exemple, sont tenus dans l’enceinte-même du Sénat, alors que la vie politique belge est réduite à néant durant quatre années, le gouvernement s’étant exilé en France. À Bruxelles, le siège central de la police n’est ni plus ni moins que rue de la Loi, rue abritant plusieurs institutions et administrations de l’État. À Liège, le bureau de l’Abschnitt se trouve place Saint-Lambert, soit une place centrale de la ville, dans le palais de Justice. À Mons, le bureau s’installe dans l’Hôtel de Ville20. Cette présence au cœur des villes frappe les civils, si bien qu’à Bruxelles, les Polizeistellen sont mêmes désignés par le nom de la rue dans laquelle elles ont installé leurs bureaux : la police de la rue de Berlaimont. En effet, dans cette rue, plusieurs bâtiments ont été réquisitionnés : le 16, le 18, le 22, le 24, le 26, le 30 et le 32 dans lesquels circulent quotidiennement en 1916 près de 75 policiers.
Figure n° 2 : groupe du bureau B de Bruxelles de la Zentralpolizeistelle

SHD, Vincennes, 7 NN 2564 : Photographie du bureau B de Bruxelles, Bruxelles, août 1918.
18Cette occupation de l’espace est cependant davantage caractéristique des bureaux de la ZSt, plus stables, que de ceux que la GFP qui doivent régulièrement bouger et qui empruntent parfois uniquement des maisons abandonnées et assez grandes pour pouvoir y installer les bureaux. Par exemple en avril 1917, le chef de la Nebenstelle de Roucourt décrit la maison dans laquelle ils ont installé le bureau, ce qui permet d’envisager également le fonctionnement même du bureau.
La maison a été investie et était sans aucun mobilier lors de l’emménagement. Avec l’aide de l’administration municipale de Roucourt, il était désormais possible d’aménager : 1 salle de travail, 1 salle à manger, 1 cuisine, 1 chambre pour chaque fonctionnaire21.
19Toutes les habitations requises par les GFP sont cependant bien situées en plein centre, toujours à moins de 15 minutes à pied de la place centrale de la localité22. En dehors des bureaux de police, les bars et hôtels deviennent les bureaux officieux des policiers et des agents, constituant d’autres lieux de socialisation. À Mons, par exemple, les policiers et les agents se retrouvent davantage dans le bar renommé « Deutsches Heim » que dans le bureau de la police23. Le fait que des espaces ouverts et publics participent à la construction de l’équipe secrète peut sembler paradoxal, d’autant que certains bars, étant de cette manière « étiquetés », participent à l'identification des agents qui y entrent ou en sortent soient facilement identifiés. Ils sont par ailleurs des lieux essentiels pour les missions du contre-espionnage, puisqu’ils permettent de se mêler à la clientèle, où l’on retrouve les résistants, et d’épier leurs conversations en passant inaperçu.
20Nous ne sommes donc pas ici confrontée à une police secrète au premier sens du terme, puisqu’elle est connue des civils qui, d’autant que leur vie se limite à leur commune, ont connaissance de la présence de cette police et de leurs agents. Le fait que les résistants connaissent parfois les visages des agents ne participe évidemment pas à la réussite des missions de ces derniers. Peut-être d’ailleurs, cette publicité faite de la police secrète a-t-elle également une visée dissuasive, bien qu’elle ne soit pas contrôlée dans tous les cas et qu’elle lui soit parfois dommageable. La police laisse donc des traces, traces dont les occupés vont parler. Cette police n’est pas non plus isolée et, si elle entretient des liens très forts avec certains occupés – qu’il s’agisse des agents ou des résistants tombés entre ses mains, mais également de relations amoureuses que les policiers peuvent nouer avec les Belges et les Françaises –, elle est également en relation avec les structures d’occupation et celles dont elle dépend dans l’Empire. Il s’agit, maintenant que nous avons identifiés les traces laissées par la police, de nous intéresser à ceux qui ont compilé par écrit ces traces, afin de contourner les destructions des sources et les relativiser.
21Les résistants évoquent leur expérience dans les livres qu’ils publient après la guerre, mais également dans les récits qu’ils font pour la Commission des Archives des Services Patriotiques établie en Territoire occupé au Front de l’Ouest et qui rassemble après la guerre leurs témoignages à des fins, entre autres, de reconnaissance de leurs actions24. Pour chaque service, la commission crée un dossier composé, entre autres, de fiches consacrées à ses agents dans lesquelles ils racontent, de manière parfois très vague, leur confrontation avec la police secrète, de l’arrestation au passage devant les tribunaux, en passant par l’incarcération et les interrogatoires. Même s’ils ne citent que rarement le nom des policiers auxquels ils ont eu affaire, leur récit en dit beaucoup sur les méthodes de la police. Ils citent également dans ces récits les noms de ceux qui les auraient dénoncés. Les traces que ces résistants gardent dans leur chair sont également des témoignages de la présence de la police et de l’occupation des corps. Certaines expertises sont d’ailleurs menées après la guerre, soit dans le cadre de procès, soit dans le but d’obtenir des dédommagements pour déterminer les préjudices reçus comme victime de cette police durant ces quatre années de conflit25.
22Cette documentation est d’autant plus intéressante que la commission réunit parallèlement une importante documentation contextuelle. Dans ces dossiers, nous retrouvons certains documents de la ZSt, sans doute laissés dans les tiroirs des bureaux lors du départ allemand qu’on imagine précipité. Ils ne concernent toutefois pas de grosses affaires, mais de nombreuses pièces de forme, telles que des formulaires à remplir au moment d’un interrogatoire, de mandats d’amener ou encore d’autorisation de perquisition, s’y trouvent, permettant une approche par l’intérieur de la police allemande. Ces documents sont d’autant plus intéressants qu’ils n’existent nulle part ailleurs. Il n’y a cependant que très peu de cohérence entre les différents documents conservés. Il n’est dès lors pas aisé de construire un récit historique complet à partir de ces bribes d’archives. D’autres dossiers consacrés aux traces des agents belges de la police sont constitués, rassemblant à la fois documentation belge (articles de journaux, copies de témoignages fournis lors de procès) et allemande26.
23Mais ces agents quant à eux ne parlent que très peu sans doute pour la raison assez évidente qu’ils n’ont pas intérêt à dévoiler les actions qu’ils ont menées durant le conflit. Toutefois, quatre témoignages spontanés ont pu être retrouvés, dont le plus important est celui de Léopold Wartel, sous le pseudonyme de Antar Cénobio27. Ceux-ci sont toutefois réalisés à des fins justificatrices, puisque la date de rédaction des mémoires de Léopold Wartel correspond par exemple à la date de son procès, et qu’un récit réalisé par l’agent de Liège François Caberg l’a été dans le but de pouvoir revenir en Belgique28.
24Leurs procès, qui se tiennent pour la plupart entre 1919 et 1925, offrent également une tribune à ces agents, qui adoptent alors un discours tout à fait orienté visant à leur défense. Ils peuvent par exemple y arguer que, sous la contrainte, ils n’eurent pas le choix de collaborer, ou qu’ils ont proposé leurs services aux policiers afin de pourvoir aux besoins de leur famille, ou encore qu’ils pensaient rendre ainsi service aux Alliés, en informant les agents de renseignement des risques encourus. L’expérience concrète de ces agents ainsi que leurs motivations, et peut-être même davantage, sont donc difficilement appréhendables par ce canal. Nous avons pu retrouver environ 150 dossiers29 d’agents belges et français, soit devant des juridictions militaires avant septembre 1919, soit devant des juridictions civiles, cours d’Assises essentiellement, en France et en Belgique. Ces dossiers ne m’intéressent pas tant pour l’aspect juridique et l’étude de la répression d’après-guerre qu’ils permettent que pour les témoignages et les récits qu’ils contiennent. Lettres, listes d’agents, adresses sont autant d’éléments qui permettent de tracer plus précisément les contours de certains bureaux, d’identifier des acteurs et leurs relations, de recomposer des cercles et des milieux. Ils offrent ponctuellement des informations factuelles sur les agents qui permettent ensuite d’en dresser un portrait, pour en faire une analyse sérielle. Ici de nouveau, il faut passer outre le biais des sources puisque la définition que propose la justice de l’agent allemand n’est pas la nôtre, en prise directe avec le terrain. En fait, ni en France, ni en Belgique, le code pénal n’était adapté à cette répression, ce qui a débouché en particulier en Belgique, sur un bricolage législatif qui permette de condamner les « traîtres à la Patrie » comme il se devait, en ce lendemain difficile de guerre30.
25Les policiers eux-mêmes ne sont pas beaucoup plus loquaces que les agents. Cependant, l’un d’entre eux, Fritz Ball, actif à Bruxelles, a fourni le récit le plus important pour comprendre l’action de la ZSt en Belgique, compilé en 5 volumes qui abordent ses structures, ses acteurs et les affaires qu’elle a dû traiter. Ayant grandi en Belgique, il s’est exilé aux Pays-Bas après le conflit mais désire réintégrer le pays et s’assurer de sa nationalité belge, raison pour laquelle il rédige ce document précieux. Le Feldpolizeikommissar alsacien Wagele, – dont l’orthographe du nom reste incertaine – qui semble avoir joué un double jeu, a également fait un rapport important relatif à l’action de la police secrète du Grand Quartier Général31. Finalement, le policier Carl Hermann de la GFP de la 6e armée livre, en 1930, à la fois son activité et son expérience, et fournit des considérations plus générales sur le combat mené par les Allemands contre l’espionnage allié32. Une critique sérieuse doit évidemment être appliquée à ces récits, non seulement parce qu’ils ont été rédigés parfois plusieurs années après le conflit, mais aussi parce que tous sont orientés. À l’échelon supérieur, le Major Gempp livre un récit chronologique en 10 volumes des activités de renseignement allemand durant la guerre, consacrant également un volume aux cinquante années qui la précèdent33. Si une telle approche macro est essentielle, la police secrète à l’ouest est cependant l’enfant pauvre de ses rapports, sans doute parce que Gempp lui-même était chargé de coordonner l’espionnage à l’est, et se préoccupait peu du contre-espionnage sur l’autre front. Les cartes et schémas qu’il joint sont cependant précieux, très peu d’organigrammes ayant pu être recueillis par ailleurs. Pour une vue plus globale encore, le Major Walter Nicolai, chef des services de renseignement allemand au sein de l’État-major, a quant à lui publié deux livres34, de nouveau très larges, et n’offrant pas réellement de vision diachronique des structures. Il permet cependant d’évaluer la place qu’il accorde à chacune des missions gérées par l’Abteilung IIIb et de replacer le contre-espionnage opéré par la police secrète dans un ensemble plus large.
Qui parle de la police ? Les institutions
26Ce serait mentir que de dire que toutes les archives des polices secrètes ont disparu. En fait, ce sont les archives de la ZSt qui sont premièrement concernées par ces destructions et pertes, mais pour les GFP, il faut se pencher sur leur fonctionnement pour savoir où chercher. En termes d’armée, il n’y a pas stricto sensu d’armée impériale fédérale, vu que les royaumes de Bavière, de Saxe et de Wurtemberg disposent d’une certaine autonomie par rapport à la Prusse. Ces royaumes possèdent leur propre armée, subordonnées en définitive à celle de Prusse, lorsqu’est formée la Deutsches Heer. Ils gèrent également leur propre ministère de la Guerre tandis qu’il n’existe pas de ministère de la Guerre impérial, celui de Prusse jouant le rôle de coordinateur en temps de conflit35. Dans le territoire des étapes, chaque police dépend d’un Armeeoberkommando (AOK), constitué de corps d’armée eux-mêmes composés selon des principes régionaux de nationalités, à partir des 24 États qui constituent l’Empire allemand à la veille de la guerre. Ces corps d’armée sont subordonnés aux Armee-Inspektionen qui, au moment de la mobilisation composent chacune une armée. Ainsi, la 3e armée, créée à partir de la 2e Armee-Inspektion est située à Dresde et composée essentiellement de corps issus du royaume de Saxe (et donc de l’armée de Saxe). La 6e armée est quant à elle composée d’éléments issus de l’armée de Bavière.
27Au vu de cette modalité de composition, les archives des armées et des ministères de la guerre, qui préservent une relative autonomie vis-à-vis de la Prusse sont normalement conservées dans les archives des États dont l’armée dépend. Malheureusement, seule la Bavière a pu préserver les dossiers relatifs à la police secrète attachée à son armée, la 6e armée36. Ces dossiers sont très diversifiés et permettent de retracer finement les évolutions de la police, jusqu’au moindre mouvement de policiers. Par ailleurs, les dossiers individuels des policiers sont conservés, bien que parfois très maigres. Ils permettent néanmoins d’identifier précisément l’équipe de cette GFP, ce qui n’est possible également qu’avec la GFP de la 7e armée, dont une liste se trouve à Karlsruhe 37. Pour toutes les autres GFP, il n’est possible de reconstituer partiellement les équipes qu’au travers des quelques lettres de recrutement ou de transfert retrouvées. Ces documents sont les seuls qui nous permettent d’approcher par le bas la police secrète, d’en apprécier la réalité du terrain, la quotidienneté, l’humanité. Les archives de GFP de la 6e armée sont d’autant plus riches qu’elles conservent également des documents officiels de la police, comme des directives et descriptions officielles des compétences de la police.
28Comme il est d’ailleurs clairement demandé dans certaines prescriptions, la police collabore avec les autres structures d’occupation, étant elle-même un organe d’occupation à part entière. Ces organes, dans la zone des Étapes, font partie intégrante de l’armée. Archives d’Inspektionen38, de Kommandanturen39, de la Feldgendarmerie, ou d’unités diverses ont également fourni plusieurs documents essentiels pour comprendre la place que prend cette police secrète en zone occupée, auprès des populations mais également auprès, et au sein, des structures d’occupation. Et c’est d’ailleurs en nous penchant sur les archives de l’Etappen-Inspektion de la 6e armée40 que nous avons pu mettre la main sur la comptabilité de bureaux de la GFP, qui avaient été spécialement détachés auprès de l’inspection d’étape. C’est également parce que la police prend place parmi ces structures que nous nous sommes tournée vers les quelques dossiers privés laissés par les responsables de l’occupation, comme les documents de von Hurt, gouverneur militaire de la province de Hainaut et puis de Brabant, en Belgique, concerné directement par les questions de sécurité, celles-ci faisant partie de ses compétences41.
29Mais l’armée n’est pas le seul biais par lequel approcher la police. En effet, comme évoqué, les policiers sont d’abord recrutés au sein des organes de police dans l’Empire. Ce recrutement se fait auprès des différentes préfectures de police dans les États, la police n’étant pas alors une compétence fédérale mais dépendant des ministères de l’Intérieur ou autres administrations compétentes. Ceux-ci sont sommés de composer les équipes destinées aux territoires occupés avec des éléments issus de ces préfectures de police, idéalement de la police des étrangers, et maîtrisant soit le français pour l’ouest, soit le russe ou le polonais pour l’est. Les appels sont donc relayés par les ministères de l’Intérieur auprès des différents Polizeipräsidien. Pendant la guerre, ces recrutements continuent mais dès février 1915, ces exigences relèvent déjà de l’utopie. Face aux demandes, non seulement des polices secrètes à l’ouest mais également à l’est, ainsi que des autres corps de police actifs en territoires occupés, les Polizeipräsidien se plaignent de ne plus pouvoir effectuer de service efficace dans l’Empire. Ce sont les ministères prussiens de l’Intérieur et de la Guerre, ainsi que le Reichsamt des Innern (Secrétariat d’État impérial de l’Intérieur) qui coordonnent ce recrutement pour tout l’Empire, comme en témoignent les documents conservés aux Bundesarchiv de Berlin-Lichterfelde42. À Berlin, aux Geheimes Staatsarchiv Preußischer Kulturbesitz – les archives de l’ancien royaume de Prusse –, 12 volumes du ministère de l’Intérieur concernent directement la GFP Feldpolizei, dont quatre les années 1914 à 191643, les archives du ministère de la Guerre ayant toutefois disparu. La Bavière et le Wurtemberg conservent également des dossiers de ces deux ministères dans lesquels les questions relatives à la police sont évoquées, sans qu’il s’agisse ici de recrutement. Par le biais des archives du ministère de l’Intérieur de Prusse et du Reichsamt des Innern nous avons pu recomposer toute l’équipe, et les mouvements opérés entre 1914 et 1916, de la ZSt en Belgique ainsi que l’effectif de base de la GFP d’octobre 1914. De nombreux échanges ont en effet eu lieu entre le Secrétariat et les administrations des États allemands compétents pour les affaires de police concernant la mise en place de cette structure. Y sont abordées essentiellement les questions liées au personnel, à son recrutement, à ses congés, à ses transferts et à ses formations.
30Mais ces polices dépendent toutes deux du département IIIb de l’État-major allemand, dont certains dossiers sont encore conservés aux archives militaires de Fribourg, dont ceux relatifs aux Nachrichtenoffiziere, officiers de renseignement en contact permanent et responsable des GFP, attachés également aux différentes armées. S’y trouvent également les archives du renseignement du Marinekorps qui a occupé le Marinegebiet qui permettent de toucher du bout du doigt ce que fut la police très peu connue, active sur cette petite portion de territoire. Les fonds des institutions militaires centrales offrent des documents très variés mais permettent de resituer la police au sein de l’organisation globale de l’armée et du renseignement, grâce aux échanges qu’elle a eus avec ses responsables.
31Outre la police elle-même, les organes d’occupation, les administrations dans l’Empire et les responsables du renseignement sont donc autant d’institutions qui, parce qu’elles ont été en contact avec la police secrète, sont susceptibles de nous en apprendre sur son fonctionnement. D’autres institutions, sans avoir été en contact avec elle, peuvent également nous en apprendre parce qu’elles ont elles-mêmes cherché à comprendre comment elle fonctionnait. En France, par exemple, le 2e bureau de l’État-major de l’armée a pris soin pendant la guerre, et même après, de récolter des informations sur les polices actives en territoires occupés, nous laissant, au Service historique de la Défense à Vincennes, de beaux dossiers relatifs essentiellement aux acteurs du contre-espionnage. S’il est certain que la sûreté belge a également procédé à ce genre d’enquêtes, ses archives demeurent toutefois introuvables.
Conclusion
32Afin de pallier le manque de sources, le mode opératoire adopté dans notre recherche a été de suivre les traces laissées par la structure auprès des institutions et des acteurs dont elle a croisé le chemin. En fait ce n’est pas tant le caractère secret de la police qui a mené à ce vide heuristique, qui résulterait d’une destruction systématique des dossiers par la police, que les pertes occasionnées par les incendies de la Seconde Guerre mondiale. Bien au contraire, il semble que la police ait été une bonne élève en produisant de nombreuses pièces de forme, se pliant aux formalités et procédures, réalisant des rapports pour ses supérieurs, devant régulièrement se référer à eux pour prendre des décisions. Si elle disposait bien d’une relative autonomie, ce n’est pas pour autant qu’elle n’était pas tenue de respecter certaines procédures administratives. De plus, son équipe n’était pas secrète en Allemagne où elle a pu laisser des traces également. Toutefois, la nature confidentielle des activités conduit parfois à un manque de transparence, ou en tout cas à un manque d’explicitation des processus et procédures, comme cela peut être le cas dans d’autres recherches qui se penchent sur le renseignement ou toute opération clandestine. Par ailleurs, le caractère sensible des informations relatives aux collaborateurs belges et français a bien mené à une élimination partielle de dossiers de procès en Assises par les autorités belges et françaises lors de l’invasion allemande de 1940. Il n’est par contre avéré nulle part que la police secrète ait procédé elle-même à une destruction de ses papiers à la fin de la guerre. À l’instar d’autres archives relatives à l’histoire militaire de l’Allemagne, il semble plus probable qu’elles aient disparu lors des incendies provoqués par les bombardements alliés à Potsdam en 1944.
33L’uniformité du corpus composé au cours de ces pérégrinations heuristiques est donc très faible ; chaque aspect de notre recherche est illustré par un fonds différent, relatif à des armées différentes, à des zones différentes, à des temporalités différentes. Cela pose un nouveau problème méthodologique ; puisque nous n’avons pu trouver pour toutes les polices des ensembles cohérents de sources, comment envisager une extrapolation des constats réalisés pour l’une à une autre, sachant que les échelles géographique et chronologique sont larges et les réalités évidemment nuancées ? Comment procéder à la composition, voire à la recomposition du propos ? Notons par ailleurs qu’aucun corpus cohérent retrouvé ne couvre toute la guerre. Comment appréhender donc la diversité et la faire ressortir ? Un tel type de recherche est chronophage, parce qu’il faut prendre le temps de récolter l’information d’abord, puis de l’analyser en relation avec les autres qui ne seront récoltées que plusieurs mois après, et demande toujours de renouveler son questionnement, de faire preuve d’inventivité pour continuer son parcours. Il est important également ici de pouvoir lire entre les lignes des documents éparses disponibles et de saisir les indices qui permettent de relier une information isolée à un ensemble plus large et pour lequel nous avons une information complète, tout en gardant la critique nécessaire.
34Par ailleurs, face à cet éparpillement et à ce manque de cohérence, certains aspects de la réalité ne pourront être couverts, amenant également à devoir remodeler la problématique de départ. Par exemple, nous n’avons que très peu de dossiers relatifs aux affaires que les GFP ont eues à traiter. Si nous savons en théorie quelles sont leurs compétences, il nous est difficile de vérifier, sur le terrain, si elles respectent ces cadres ou si elles en sortent. Le contexte plus global d’occupation est également très peu couvert par l’historiographie, ce qui nous demande un travail heuristique préalable important pour comprendre le cadre dans lequel la police s’inscrit. Mais ces dossiers permettent néanmoins des approches diversifiées, à la fois par le haut en m’offrant une bonne compréhension des structures et par le bas. Cette approche présente toutefois davantage de limites dans l’interprétation des données, en particulier pour ce qui concerne les motivations des acteurs. Nous sommes donc loin d’être frustrée face à nos sources, dont la récolte relève parfois du défi alors que le temps qu’elle nécessite nous apprend sans aucun doute à être… patiente. L’image de la composition d’un puzzle dont nous ne disposerions que des pièces périphériques illustre sans doute le mieux la tentative de retracer l’histoire de ces polices secrètes en territoires occupés du front ouest.
Geheimes Staatsarchiv Preußischer Kulturbesitz (Berlin-Dahlem) | Ministerium des Innern : I. HA, Rep. 77, Tit. 1206, Nr. 6 I. HA, Rep. 77, Tit. 872, Nr. 14 |
Bayerisches Hauptstaatsarchiv (Munich) | Kriegsministerium : Nr. 1629 « Geheime Feldpolizei im Kriege Bund I » Armeeoberkommando 6 : 843-972 « Geheime Feldpolizei » Etappeninspektion 6 : 134-139 « Geheime Feldpolizei u. Verwendung der Feldgendarmerie » Nachlass : HS 2259-2262 « Nachlass von Hurt » HS 3039 « Spionage, Sabotage, Abwehr » |
Landesarchiv Baden-Württemberg (Hauptstaatsarchiv, Stuttgart et Generallandesarchiv, Karlsruhe) | 456/F1 Armeeoberkommando 7, Akten der Abteilung I e : Spionageabwehr Gefangene, Zivilbevölkerung Postverkehr und Überwachung Etappen-Formationen Kriegsstammrollen 1914-1918 M30/1 Heeresgruppe Herzog Albrecht M1/4 Kriegsministerium |
Bundesarchiv (Berlin-Lichterfelde et Fribourg-en-Brisgau) | R 1501 Reichsministerium des Innern : 112034-35 : Schaffung einer einheitlichen Organisation für die Spionageabwehr 119374-76 : Polizeiwesen in besetzten Gebieten Belgiens 119597 : Fürsorge für belgische Beamte R 901 Auswärtiges Amt : 11.52 Spionage – Gegenmassnahmen und Interventionen Reichswehr und Wehrmacht 1919 bis 1945/1946 RW5 OKW « Gempp Bericht » PH 5-II Armeeoberkommandos des Deutschen Heeres RM120 Kommando des Marineskorps |
Archives générales du Royaume (Bruxelles) | Archives de la Commission des Archives des Services patriotiques établis en Territoire occupé au Front de l’Ouest (1914-1930) Archives de la Cour d’assises du Brabant. Dossiers d’inciviques de la Première Guerre mondiale Cour militaire |
Archives départementales du Nord (Lille) | 3 U 281 : Tribunal correctionnel de Lille de la Cour d’Appel de Douai 2 U 1 : Arrêts des minutes de la Cour d’Assises du Nord 9 R : Préfecture du Nord |
Service historique de la Défense (Vincennes) | 7 NN : « Fonds Moscou » |
Notes de bas de page
1 Schmidt Jürgen W., Gegen Russland und Frankreich. Der deutsche militärische Geheimdienst. 1890-1914, Ludwigsfelde, Ludwigsfelder Verlagshaus, 2015 ; Altenhöner Florian, Kommunikation und Kontrolle. Gerüchte und städtische Öffentlichkeiten in Berlin und London 1914/1918, Munich, Oldenburg, 2008 ; Epkenhans Michael et al., Geheimedienst und Propaganda im Ersten Weltkrieg. Die Aufzeichnungen von Oberst Walter Nicolai 1914 bis 1918, Oldenbourg, De Gruyter, 2019 ; Pöhlmann Markus, « Towards a New History of German Military Intelligence in the Era of the Great War: Approaches and Sources », Journal of Intelligence History, n°5/2, 2005, pp. i-viii ; Altenhöner Florian, « Total War – Total Control? German Military Intelligence on the Home Front, 1914-1918 », Journal of Intelligence History, n°5/2, 2005, pp. 55-72 ; Pöhlmann Markus, « German Intelligence at War, 1914-1918 », Journal of Intelligence History, n°5/2, 2005, pp. 25-54.
2 À titre d’exemple, citons Monka Friedrich, Spionage an der Westfront, Berlin, Scherl, 1930 ; Felger Friedrich, Was wir vom Weltkrieg nicht wissen, 2 vol., Leipzig, H. Fikentscher, 1938 ; Foerster Wolfgang, Kämpfer an vergessenen Fronten. Feldzugsbriefe, Kriegstagebücher und Berichte. Kolonialkrieg, Seekrieg, Luftkrieg & Spionage, Berlin, Deutsche Buchvertriebsstelle, 1931.
3 Becker Annette, Les cicatrices rouges. 14-18, France et Belgique occupées, Paris, Fayard, 2010 ; Nivet Philippe, La France occupée. 1914-1918, Paris, Armand Colin, 2011 ; Connolly James, The experience of occupation in the Nord, 1914-18. Living with the enemy in First World War France, Manchester, Manchester University Press, 2018 [https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.7765/9781526117816] ; Salson Philippe, L’Aisne occupée. Les civils dans la Grande Guerre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015 ; Debruyne Emmanuel, Le réseau Edith Cavell. Des femmes et des hommes en résistance, Bruxelles, Racine, 2015 ; de Schaepdrijver Sophie, La Belgique et la Première Guerre mondiale, Bruxelles, Peter Lang, 2004.
4 Seul l’ouvrage suivant approche l’administration allemande : Amara Michaël, Roland Hubert, Gouverner en Belgique occupée. Oscar von der Lancken-Wakenitz. Rapports d’activité 1915-1918, Bruxelles, Peter Lang, 2004.
5 Van der Fraenen Jan, Voor den kop geschoten. Executies van Belgische spionnen door de Duitse bezetter (1914-1918), Roeselare, Roularta Books, 2009.
6 Du 26 août 1914 au mois de novembre 1914, Colmar von der Goltz occupe le poste. Moritz von Bissing lui succède jusqu’à sa mort en avril 1917, suivi par Ludwig von Falkenhausen.
7 La gestion quotidienne du territoire est confiée à la Zivilverwaltung, administration civile, dont le chef (Zivilverwaltungschef) jusqu’en 1917 est le Regierungspräsident d’Aix-la-Chapelle, Maximilian von Sandt.
8 Archives générales du Royaume (AGR), Bruxelles, CAP, 120 : rapport n° 1 du policier Fritz Ball, 1919.
9 Voir les dossiers Bundesarchiv (BArch), Fribourg-en-Brisgau, RM 120/160 et RM 120/161.
10 Bayerisches Hauptstaatsarchiv (BayHStA), Munich, AOK 6, 848 : instructions de service de la Geheime Feldpolizei, 12 février 1915.
11 BayHStA, Munich, AOK 6, 847 : rapport de la réunion des hauts fonctionnaires de la police à l’Ouest du 18 août 1917 à Mézières par le Feldpolizeidirektor Bauer.
12 BArch, Fribourg-en-Brisgau, RM 120/161 : lettre de l’officier de renseignement Sydow de l’AOK 4 aux différents corps, 1er novembre 1915.
13 Landesarchiv Baden-Württemberg (LABW), Hauptstaatsarchiv, Stuttgart, M1/4 Bü 1208 : aperçu des forces de la Geheime Feldpolizei à l’Ouest par Walter Nicolai, Berlin, 29 mars 1918.
14 BArch, Berlin-Lichterfelde, R1501/119374 : répertoire des bureaux présents dans le secteur de la Zentralpolizeistelle du Gouvernement général en Belgique et des employés civils et militaires qui y sont employés, s.d.
15 BayHStA, Munich, AOK 6, 846 : liste des domiciles des policiers de la Zentrale de la GFP, QG, 15 mars 1917.
16 Voir par exemple : SHD, Vincennes, 19 N 550. De nombreux interrogatoires sont conservés par les archives départementales de Haute-Savoie à Annecy que nous n’avons toutefois pas consultés. Ceux-ci ont été exploité par James Connolly dans le cadre de sa thèse de doctorat.
17 AGR, Bruxelles, CAP, 120 : rapport n° 2 du policier Fritz Ball, 1919, p. 64.
18 Voir par exemple Archives départementales du Nord, Lille, 3 U 281 pour les exemples les plus édifiants.
19 Les moutons sont les agents de la police placés dans les cellules de prison des personnes suspectes et chargées de leur soutirer des informations utiles aux enquêtes.
20 AGR, Bruxelles, CAP, 120 : rapport n° 1 du policier Fritz Ball, 1919.
21 « Das Haus ist veranlassen und war beim Beziehen ohne jegliche Einrichtungsgegenstände. Mit Hilfe der Gemeindeverwlatung Roucourt konnte nunmehr eingerichtet werden: 1 Geschaftzimmer, 1 Esszimmer, 1 Küche, je 1 Schlafzimmer für die Beamten ».
BayHStA, Abt. IV, AOK 6, 845 : Lettre du chef de service Horländer de la succursale Roucourt, Roucourt, 18 avril 1917.
22 Voir par exemple le BayHStA, Abt. IV, AOK 6, 846 : liste des adresses de la GFP de la 6e armée, QG, 20 octobre 1917.
23 AGR, Bruxelles, CAP, 3011 : Cénobio Antar [Léopold Wartel], La Guerre secrète. Mémoires d’un policier de la rue de Berlaimont, 1920, p. 29.
24 Lannoye Anne, Inventaire des archives de la commission des archives des services patriotiques établis en territoire occupé au front de l’ouest, Bruxelles, AGR, 2015.
25 Nous pouvons renvoyer à ce sujet à l’article Debruyne Emmanuel, van Ypersele Laurence, Rezsöhazy Élise, « Dans les mains de la police allemande. Les violences carcérales et policières comme expérience d’occupation en Belgique, 1914-1918 », Guerres mondiales et conflits contemporains, 2018/4, pp. 65-90. Pour la question de l’occupation des corps féminins, voir Debruyne Emmanuel, « Femmes à Boches ». Occupation du corps féminin, dans la France et la Belgique de la Grande Guerre, Paris, Les Belles Lettres, 2018.
26 Voir les dossiers AGR, Bruxelles, CAP, 121 à 139.
27 AGR, Bruxelles, CAP, 3011 : Cénobio Antar [Léopold Wartel], La Guerre secrète…, op. cit.
28 Archives du Ministère des Affaires étrangères belge (AEB), classement des 10 000, 10.944 et 10.193.
29 Au vu des difficultés à établir, sur base de parfois de simples minutes de procès, si un individu était effectivement agent ou non, nous ne sommes pas en mesure de présenter un chiffre arrêté.
30 Voir à ce sujet : Bost Mélanie, Rousseaux Xavier et Horvat Stanislas, « Les espions civils au service de l’ennemi, au prisme de la justice militaire belge », Revue Belge d’Histoire Contemporaine, n°44, 2014/2-3, pp. 36-75.
31 AGR, Bruxelles, CAP, 121 : la police secrète de campagne du Grand Quartier Général (par Wagele), s.d.
32 Herrmann Carl, Geheimkrieg. Dokumente und Untersuchungen eines Polizeichefs an der Westfront, Hambourg, 1930.
33 BArch, Fribourg-en-Brisgau, RW 5/40-50, 70, 654, 657 et 660 : rapports du Major Gempp.
34 Nicolai Walter, Geheime Mächte: Internationale Spionage und ihre Bekämpfung im Weltkrieg und heute, Leipzig, Köhler, 1923 ; Id., Nachrichtendienst, Presse, Volksstimmung im Weltkrieg, Berlin, Mittler, 1920.
35 Stone David, The Kaiser’s Army. The German Army in World War One, Londres, Bloomsbury, 2015 ; Stachelbeck Christian, Deutschlands Heer und Marine im Ersten Weltkrieg, Munich, Oldenbourg, 2013.
36 BayHStA, Munich, AOK 6, 850 à 972.
37 LABW, Generallandesarchiv (GLA), Karlsruhe, 456 D 6 : Kriegsrangliste de la Geheime Feldpolizei de l’Armeeoberkommando de la 7e armée ; 456 C 7 : Kriegsstammrolle de la Geheime Feldpolizei, octobre 1916 à octobre 1918 ; 456 C 8 : Kriegsstammrolle de la Geheime Feldpolizei de l’AOK 7.
38 LABW, GLA, Karlsruhe, 456 F 146 Nr. 14-15 et 295 ; 456 F 148 Nr. 258.
39 LABW, GLA, Karlsruhe, 456 F 109 Nr. 133-135, 236, 322-325 et 444.
40 BayHStA, Munich, Etappeninspektion 6, 134-139 et 1049.
41 BayHStA, Munich, HS 2259-2262.
42 BArch, Berlin-Lichterfelde, R 1501/119374.
43 GStAPK, Berlin-Dahlem, I. HA Rep. 77, Tit. 1206 Nr. 6 Bd. 9-12.
Auteur
Docteure en histoire de l’Université catholique de Louvain. En tant qu’aspirante du FRS/FNRS, elle a réalisé une thèse sur les polices secrètes allemandes en zones occupées du front Ouest pendant la Première Guerre mondiale. Elle est actuellement employée au CEGESOMA sur un projet consacré aux collaborateurs belges exécutés après la Seconde Guerre mondiale.
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