Introduction
p. 9-11
Texte intégral
1Les chapitres qui composent cet ouvrage sont issus des discussions menées par des jeunes chercheurs lors de deux journées d’études organisées à l’Université Paris Nanterre, les 31 janvier et 1er février 2019. La problématique qui réunissait les participant·e·s portait sur l’utilisation des sources historiques par les spécialistes de la Première Guerre mondiale en début de carrière. La démarche principale fut de mettre en évidence des nouvelles façons de travailler les sources, ainsi que les nouvelles sources issues des grandes opérations de collecte et d’histoire publique ayant vu le jour lors des commémorations du Centenaire. Cette rencontre et les actes qui en découlent n’auraient pas été envisageables sans le soutien de nos financeurs : Écoles Doctorales Espaces, Temps, Cultures et Lettres, Langues, Spectacles (Université Paris Nanterre), notamment leurs composantes Histoire des Arts et des Représentations et le Centre des Sciences des Littératures en Langue Française, ainsi que le projet Poésie Grande Guerre 1914-2018. Ce livre est le fruit d’un désir partagé par le réseau Une Plus Grande Guerre et par les participants de fixer ces échanges pour les rendre accessibles à un public plus large. Les textes qui suivent sont restitués en prenant en compte non seulement les communications originelles mais également les débats qu’elles ont suscités.
2Il ne s’agit ainsi pas de proposer un catalogue de sources et de leurs usages, comme cela peut exister par ailleurs1. L’entreprise serait d’ailleurs rapidement dépassée par son ambition, la masse documentaire connue ne cessant de croître alors que les inventaires se font plus accessibles par la grâce du moyen numérique. Plutôt que de survoler les sources, nous proposons en fait de revenir aux démarches mêmes de leur traitement : des historien·ne·s entreprenant pour leur début de carrière d’étudier la Grande Guerre en en offrant une lecture nouvelle, un regard neuf sur au moins une de ses facettes, et mobilisant des sources – nouvelles ou non – pour le faire.
3Nains sur des épaules de géants, les nouveaux chercheurs pourraient par crainte de paraître orgueilleux ou de reproduire le travail d’un aîné, renoncer à s’affronter aux sources dites « classiques » ou « traditionnelles » du fait militaire, alors même que l’histoire-bataille a longtemps fait loi. La première section de ces actes démontre qu’il s’agit pourtant d’un travail salutaire pour peu qu’il soit accompagné de méthodes et questionnements nouveaux, permettant de reconsidérer la richesse de documents éculés. En se plongeant dans les sources habituellement travaillées par les historiens militaires de la tactique, Jean-Philippe Miller-Tremblay observe ainsi, dans la persistance de techniques du corps devenues progressivement obsolètes au combat, les importantes pertes engendrées dans les premiers mois de la Grande Guerre. Ces mêmes pertes qu’Erwan Le Gall reconsidère par un traitement statistique des fiches matricules dans le cadre régimentaire – et non plus départemental, comme cela a pu être le cas. Dès lors émerge une complexité nouvelle que ne laissait augurer la narration canonique des évènements, à l’image du désarmement de la place forte de Verdun décryptée par Mathieu Panoryia à l’appui notamment des archives sénatoriales.
4Les dernières décennies ont consacré une compréhension toujours plus large de la guerre et de ses impacts sociétaux. Les traces laissées par des acteurs plus ou moins distants du conflit, permettent aussi d’en mesurer l’extension hors du seul temps de guerre. Les sources institutionnelles, autorisant les études de cas, permettent dès lors d’étendre ces perspectives du conflit. En se penchant sur les documents des philanthropes américains installés en Haute-Loire, Chloé Pastourel en esquisse la diversité et l’enracinement plus ou moins durable dans le paysage local. Romain Pécout construit une mosaïque de sources et extrait l’armée des seuls champs de bataille pour mesurer l’action des gendarmes, ces « soldats de la paix » contemplateurs d’une société peinant pourtant à sortir de la guerre. Interface entre un conflit achevé de façon dramatique et des jours promettant d’être meilleurs, les archives de l’école de rééducation professionnelle étudiée par Clément Collard donnent à voir ses acteurs comme autant d’expressions des transformations sociales à l’œuvre entre-deux-guerres.
5Mettant aux prises des millions d’individus qui devinrent autant de scripteurs potentiels, la Grande Guerre a depuis longtemps vu son histoire racontée à partir des témoignages écrits. Si certains des plus littéraires ont rapidement connu la renommée, les plus ordinaires sont restés peu lus avant les années 1990. Aussi étaient privilégiés dans la narration canonique les récits les plus accessibles, constitués par des acteurs issus de l’élite des principaux pays belligérants. Exhumer d’autres textes et les analyser à nouveau frais permet d’étendre les horizons d’une guerre au spectre ainsi étendu. Sílvia Correia, rapportant le processus de normalisation de la violence dans les récits des combattants portugais, décentre en partie notre regard pour proposer une nouvelle compréhension géospatiale du conflit. C’est cette même préoccupation qui guide Claudio Staiti, traquant la guerre vécue par les Siciliens ordinaires dans des sources textuelles dispersées de l’île sicilienne à la péninsule italienne jusqu’à Manhattan. S’intéresser aux textes de scripteurs peu lettrés permet à Beatrice Dal Bo d’étendre non seulement les horizons historiques de la Grande Guerre mais aussi ceux de la linguistique, notamment par le traitement lexicométrique de sources numérisées.
6En marge de cet ordinaire de la guerre qui nous devient mieux connu, d’autres objets conservent un caractère exceptionnel par leur faible étude. Cela est parfois dû à l’absence de fonds d’archives homogène et identifié, résultant de la dispersion ou de la destruction des sources autorisant à percevoir les contours d’une étude. Aussi Élise Rezsöhazy est-elle contrainte à des miracles d’inventivité pour dénicher quelques fragments permettant de reconstituer l’organisation de la police secrète allemande sur le front ouest occupé. Le sujet a lui-même pu paraître singulier avant que le chercheur en souligne l’intérêt en mobilisant des documents a priori difficilement exploitables pour les élever au statut de sources. En mobilisant les rapports médicaux et correspondances de médecins japonais observateurs de la « plus Grande Guerre », Ken Daimaru met ainsi en lumière l’émergence d’une génération de médecins japonais dans un cadre technique qu’internationalisent toujours davantage les conflits modernes.
7L’homogénéité de format d’un ensemble de sources ne préjuge cependant jamais de celle de ses motifs. Les photographies professionnelles et albums personnels étudiés par Maria Xypolopoulou la confrontent à l’atonie polysémique des images. L’abondance de ces sources, produites et reproduites à l’envi par la force de la technique en guerre, se fait paradoxale d’une extrême singularité des sujets, des supports et des usages. Que dire dès lors du si symbolique pain quotidien, denrée essentielle et pourtant raréfiée en contexte de guerre ? Leur caractère périssable fait de chaque miette une source précieuse à Nina Régis pour confronter les multiples productions administratives sur cette question centrale de l’arrière en guerre.
8Au cœur du travail historique sur lequel conclut Aude-Marie Lalanne Berdouticq, ce cheminement dans les sources de la Grande Guerre unit ces chapitres dans leur diversité. Ils offrent un échantillon des nouveaux fronts de la recherche et invitent à une investigation renouvelée des sources pour écrire une histoire plus globale de ce conflit à bien des titres fondateur du XXe siècle.
Notes de bas de page
1 Citons par exemple pour le cas français : Nivet Philippe, Coutant-Daydé Coraline, Stoll Mathieu (dir.), Archives de la Grande Guerre. Des sources pour l’histoire, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2014.
Auteurs
ATER agrégé d’histoire, préparant une thèse aux universités de Paris Nanterre et de Brunswick (TU Braunschweig) sur les As de l’aviation européens de 1914 à 1939.
ATER doctorante au Centre des Sciences des Littératures en Langue Française – Université Paris Nanterre et au Centre de Recherches Historiques – École des Hautes Études en Sciences Sociales. Elle travaille sur la construction d’un corpus de poésie en langue française de la Première Guerre mondiale et sur son utilisation comme source pour l’anthropologie historique de l’expérience du combat.
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