Chapitre XVI. L’enseignement de l’espagnol : une langue prescriptive et normative ancrée dans l’actualité
p. 247-254
Texte intégral
1L’espagnol est enseigné uniquement pendant les trois années du lycée et se retrouve concurrencé par l’anglais puisque les élèves doivent choisir entre l’un et l’autre. Ils ont déjà commencé à étudier l’anglais pendant un an lors de leur dernière année collégiale et donc souvent ne veulent pas abandonner cette langue pour en commencer une nouvelle. De plus, l’anglais semble bien plus attractif pour la jeunesse marocaine que les autres langues étrangères, aux dires des enseignants, directions d’établissements, élèves et parents, ce qui se retrouve également dans les résultats de l’étude quantitative de Buckner (2011).
2Ainsi, il n’y a souvent qu’un seul enseignant d’espagnol par lycée et ses classes ont des effectifs plus réduits que celles qui étudient l’anglais. C’est le cas des trois lycées où j’ai mené mes observations où, selon les trois enseignantes d’espagnol rencontrées, il y avait autrefois aussi des cours d’allemand qui ont été supprimés, faute d’élèves inscrits. Pendant mes séjours dans ces trois lycées, j’ai assisté aux cours d’espagnol de six classes avec l’unique enseignante de chaque établissement. Les observations et les comparaisons possibles sont donc plus restreintes que pour les autres langues. Elles permettent néanmoins de présenter ici quelques analyses.
Propos d’enseignantes : une langue pragmatique et informative
3Comme les enseignants d’anglais, les trois enseignantes d’espagnol, Hanane du lycée A, Sanae du lycée B et Radia du lycée C, chacune la cinquantaine passée, se font un plaisir de ne me parler qu’en espagnol car elles n’ont que très rarement l’occasion de converser dans cette langue en dehors de leurs cours avec les élèves. Elles ont aussi un contact quasi quotidien avec elle qu’elles cultivent en regardant des films et des émissions sur les chaînes de télévision espagnoles accessibles au Maroc.
4Cependant, contrairement à leurs collègues d’anglais qui consultent uniquement des supports audiovisuels, la lecture est présente dans leurs pratiques de la langue puisqu’elles lisent les journaux espagnols en ligne. Hanane lit aussi de la littérature en espagnol sans se cantonner à la littérature d’Espagne puisqu’elle aime aussi bien la poésie de García Lorca que les romans de Vargas Llosa (Pérou) et de García Márquez (Colombie). L’Espagne n’est donc pas l’unique référent culturel dans leur conception de la langue et de son enseignement, même si elle est très présente dans leurs propos qui s’orientent souvent sur les relations entre le Maroc et l’Espagne.
5L’attachement à la langue espagnole chez ces trois femmes est vif, elles s’efforcent de développer leurs connaissances, leur accent et leur vocabulaire en autodidactes et s’intéressent à l’actualité en Espagne. Cependant, contrairement à beaucoup d’enseignants de français et d’anglais, elles n’investissent pas la langue comme une échappatoire culturelle, émotionnelle et imaginaire. Alors que les enseignants d’anglais ne peuvent pas voyager au Royaume-Uni ou aux États-Unis faute de pouvoir obtenir un visa, toutes les trois ont un rapport à l’Espagne plus ancré dans le réel puisqu’elles s’y rendent relativement fréquemment pour visiter des membres de leur famille et y voyager. Radia s’y rend souvent pour le plaisir du voyage et pour parler la langue, elle ramène des objets pour décorer sa salle de classe.
6Toutes les trois partagent la même inquiétude, celle de perdre leur travail du fait de la diminution des effectifs des élèves dans leurs cours, surtout Sanae et Radia qui ont chacune deux classes comprenant moins de dix élèves, tandis que Hanane a deux classes comptant une trentaine d’élèves chacune. Selon elles, les élèves se désintéressent de l’espagnol au profit de l’anglais de sorte qu’elles redoutent que le ministère ne ferme les classes peu à peu pour des raisons d’économie, comme leurs collègues d’allemand qui ont dû se reconvertir dans d’autres matières, notamment comme professeurs de français. Selon elles, la situation est différente dans les Académies du nord le long de la Méditerranée où, du fait de l’ancien protectorat espagnol, les Marocains y parlent espagnol plus que français et ont de nombreux mots d’origine espagnole dans leur darija.
7Selon Sanae, le désintérêt des élèves pour apprendre l’espagnol s’explique par la crise économique qui touche l’Espagne depuis 2008 : avant, dans la région de montagne où se trouve son lycée, beaucoup de jeunes émigraient en Espagne, soit comme saisonniers dans le domaine agricole, soit de manière plus durable en s’installant dans les campagnes ou en ville. Depuis la crise, selon elle, beaucoup sont rentrés parce qu’ils n’y gagnaient pas assez d’argent. C’est pourquoi elle pense que les lycéens s’intéressent davantage à l’anglais et cultivent le rêve de partir dans les pays anglophones.
8De plus, pour elle, l’Espagne ne fait pas rêver les élèves contrairement aux États-Unis, au Canada et à l’Angleterre. Ayant des membres de leur famille qui y ont voyagé et travaillé, ils en ont une conception surtout pragmatique comme d’un lieu de passage qui peut être intéressant économiquement, quoique de moins en moins. D’autre part, les contenus des manuels et les thématiques des programmes d’espagnol ont aussi une orientation pragmatique : il s’agit essentiellement de thèmes factuels, informatifs et normatifs qui s’adressent peu à l’imaginaire.
9Sanae et Hanane regrettent d’ailleurs de ne pas pouvoir étudier des textes littéraires à la place des textes des manuels qu’elles trouvent simples à comprendre mais « mal écrits ». À nouveau ici, comme pour l’arabe et le français, la complexité, voire la sophistication de la langue, sont valorisées comme des critères attestant de la qualité d’un texte de littérature, contrairement aux autres textes considérés comme inférieurs.
Orientations curriculaires : une langue prescriptive sur des aspects de la vie contemporaine
10Comme pour l’anglais, je n’ai pas pu me procurer les programmes officiels d’enseignement de l’espagnol. Nous nous appuierons donc ici sur une présentation du sommaire du manuel1 de deuxième année baccalauréat (équivalent de la terminale) pour donner une idée des orientations des programmes et de leurs contenus. En voici la traduction (pages 4 et 5).
Tableau 9. – Thématiques des cours d’espagnol, manuel de deuxième année baccalauréat.
Unité 1 | L’éducation |
Unité 2 | Les moyens de communication |
Unité 3 | Le monde d’aujourd’hui |
Unité 4 | L’environnement, il faut le connaître pour le protéger |
Unité 5 | Carrières et professions |
Unité 6 | Les choses de la vie |
Unité 7 | La jeunesse d’aujourd’hui |
Unité 8 | Voyages et tourisme |
11Ces thèmes sont clairement orientés sur une vision pragmatique du monde contemporain et la préparation à la vie adulte. Aucun contenu littéraire n’y figure. Les informations détaillées plus avant dans la suite du sommaire mettent en avant des contenus soit informatifs, soit normatifs et prescriptifs, avec souvent une intention moralisatrice. Cette moralisation des contenus fait écho à celle des cours d’arabe (voir le chapitre x), si ce n’est qu’ici la dimension morale normative porte sur les problématiques du monde contemporain, sans référence au religieux. Il s’agit plutôt d’une moralisation qu’on pourrait qualifier de laïque et pragmatique, qui s’adresse à la rationalisation plutôt qu’à l’émotionnel.
12Par exemple, l’unité 1 sur l’éducation est orientée de manière à apprendre à « respecter le droit à la différence et à la diversité » et à « défendre le droit de tous à l’éducation ». L’unité 3 sur « le monde contemporain » a pour objectifs multiples de « comprendre des textes sur la discrimination », « débattre de la problématique de l’émigration », « créer une affiche pour prévenir les addictions », etc. L’unité 5 vise à « comprendre et produire un dialogue sur des projets personnels », « comprendre des annonces d’offres d’emploi », « comprendre et rédiger une lettre de motivation » et « écrire un curriculum vitæ ». L’unité 6 au titre mystérieux, « Les choses de la vie », porte sur la compréhension de « documents sur le mariage », « sur le divorce et le troisième âge » ainsi que sur « la condition de la femme ». Enfin, les objectifs de l’unité 8 sont « écrire un courrier électronique pour inviter quelqu’un à visiter notre pays », « faire une réservation » et « comprendre, analyser et produire des brochures, des annonces et des programmes de voyages ».
13Il s’agit donc d’un patchwork étonnant qui mêle des thèmes extrêmement divers, certains liés à l’adolescence avec l’opposition entre comportements dangereux et comportements vertueux ; d’autres en lien avec les positionnements internationaux des organismes onusiens tels que l’Unicef sur le droit à l’éducation ; d’autres en lien avec la préparation à l’entrée dans la vie adulte comme le mariage – et même le divorce. D’autres encore visent la préparation à l’entrée dans la vie active et professionnelle dans l’unité 5 ou l’initiation au travail de commercial dans l’unité 8. Il s’agit donc à la fois de donner des outils linguistiques aux élèves pour les aider (avec force injonctions prescriptives) à se positionner face aux problématiques du monde contemporain, mais aussi pour les préparer au monde de l’emploi en ciblant notamment le domaine du tourisme au Maroc comme s’il s’agissait de faire des élèves des lycées publics de futurs guides touristiques.
14Ces thématiques des programmes sont donc déconcertantes et posent question. Il semble par exemple assez paradoxal qu’on apprenne aux élèves à postuler à un emploi en espagnol alors que ces compétences ne figurent ni dans les programmes d’arabe ni dans ceux de français au lycée, qui sont les deux langues principales du marché de l’emploi marocain dans l’ensemble du royaume, sauf peut-être dans les régions méditerranéennes plus hispanophones. Aussi, ces programmes fonctionnent-ils étrangement, comme s’ils préparaient les élèves à une éventuelle future émigration de travail vers l’Espagne. Il est difficile d’imaginer que telle ait été l’intention des concepteurs de ces programmes. En même temps, on ne peut que s’interroger sur les objectifs de tels contenus.
Pratiques d’enseignement en classe : une langue où l’expression personnelle est fortement encadrée
15Six classes ont été observées, trois d’entre elles pendant au moins trois séances d’une heure chacune. Bien que les thématiques des cours ne soient pas orientées sur la littérature mais portent sur le monde contemporain, certaines des méthodes d’enseignement sont proches de celles analysées en arabe et en français. Voici de brèves descriptions d’activités de révision et d’évaluation en classe, avant d’analyser de façon plus approfondie le déroulement d’un cours d’espagnol spécifique.
16La majorité des séances observées sont centrées sur la lecture de textes informatifs issus ou imités (simplifiés) de la presse espagnole : des témoignages biographiques de personnes âgées en Espagne ; de femmes qui subissent des violences conjugales ou qui, célibataires, peinent à élever seules leurs enfants ; des récits sur les relations entre parents et adolescents.
17Comme l’épreuve du baccalauréat approche pour les classes de deuxième année, d’autres séances sont orientées sur des révisions. Les enseignantes distribuent des photocopies d’extraits de tous les textes étudiés pendant l’année : les élèves, répartis par petits groupes, lisent un de ces textes, doivent en identifier les idées principales, les écrire dans leur cahier avant de les présenter oralement à leurs camarades qui les écriront à leur tour, chaque texte étant ainsi traité et présenté par un groupe différent. Ce sont donc bien les élèves qui sont au travail de façon autonome par groupes, et non l’enseignante comme c’est le cas la majeure partie du temps dans les cours d’arabe et de français.
18En Tronc commun (équivalent de la seconde), Hanane organise un contrôle de lecture de textes étudiés pendant l’année pour évaluer les élèves et leur donner une note d’oral sur 20. Les 26 élèves présents devaient préparer la lecture des dix textes à la maison. Hanane les appelle un par un au tableau. Chacun tire au hasard un texte, s’assoit à un pupitre installé pour l’occasion sur l’estrade et doit commencer à lire aussitôt. Les élèves qui lisent à toute vitesse, sans reprendre leur souffle, sans buter sur un mot et sans s’arrêter sur aucun signe de ponctuation, sont félicités par l’enseignante et repartent à leur place avec une note au-delà de 16/20. Ceux qui font des erreurs de prononciation, butent sur un mot ou hésitent, perdent aussitôt un point, l’enseignante criant à la cantonade « menos uno » à chaque erreur. Certains repartent avec un 4/20. Une jeune fille, qui lit lentement en détachant les syllabes et les mots, reçoit un 6 et retourne à sa place en larmes. Sa voisine essayant de prendre sa défense, elle se fait vertement rabrouer et l’évaluation reprend en boucle jusqu’à la fin de la séance.
19On retrouve ici plusieurs fonctionnements semblables à ceux des cours d’arabe et de français. L’enseignement est entièrement axé sur l’écrit bien qu’il ne s’agisse pas de textes littéraires. Les mêmes critères de performance de lecture sont valorisés : une lecture-récitation fluide, rapide, sans hésitations, sans arrêts aux signes de ponctuation, sans changement d’intonation, sans souci de mettre en valeur le sens, avec le même rythme, quel que soit le contenu du texte.
20De même, les analyses de textes portent souvent sur une compréhension basique des informations d’un texte, et surtout sur des points d’analyse grammaticale, notamment de conjugaison. Le fonctionnement par textes à trous où les élèves complètent la structure de phrase donnée par l’enseignante et ne parlent que par mots isolés est fréquent. Lorsque les élèves sont invités à prendre la parole oralement plus longuement – pour présenter un exposé, un avis ou les arguments d’un texte par exemple – ils sont d’abord amenés à écrire ce qu’ils vont dire pour ensuite le dire-lire à la classe.
21Cependant, d’autres aspects différencient le cours d’espagnol des cours d’arabe et de français. C’est le cas non seulement des thèmes et des supports comme vu plus haut, mais aussi de certaines activités qui mettent réellement les élèves en situation de s’exprimer, même si cela passe d’abord par l’écrit. C’est ainsi qu’ils sont amenés à créer des affiches sur des problèmes de société comme l’usage des drogues, les addictions ou les accidents de la route. Les élèves ont ainsi une marge de liberté et de créativité inexistante dans les cours d’arabe et de français observés puisque ce sont eux qui, pour créer leurs affiches, choisissent les illustrations, font les dessins eux-mêmes et sélectionnent les textes. De plus, il s’agit de sujets proches de leur quotidien, même si, la plupart du temps, ce sont des thèmes tragiques et lourds qui ont une dimension à la fois informative et moralisatrice. Il est rare que des aspects positifs de la vie soient traités.
22La description qui suit du cours non enregistré de Radia au lycée C et de sa fiche pédagogique permet de mettre en lumière d’autres aspects intéressants. Radia a entièrement fait repeindre sa salle de classe aux couleurs du drapeau espagnol à ses frais et la décore d’objets qu’elle ramène d’Espagne pour motiver ses élèves et les ouvrir sur le monde (« abrir los ojos de los alumnos al mundo ») tout en se prémunissant des casseurs à renfort de multiples cadenas sur sa porte. Sur un des murs est accrochée une carte d’Espagne, sur un autre elle a fixé elle-même des étagères dans lesquelles elle a rangé quelques romans, un portrait du roi Mohammed VI et des feuilles A4 où sont imprimés des proverbes ou dictons en espagnol. Son cours est très organisé, presque minuté ; elle me montre avec fierté ses fiches pédagogiques de préparation où le déroulement de chaque cours, entièrement rédigé en espagnol, répertorie minutieusement les objectifs et étapes du cours avec l’utilisation de plusieurs couleurs, les mots les plus importants étant soulignés et toutes les activités précisément planifiées.
23Prenons l’exemple d’une fiche2. Il s’agit de l’analyse d’un texte intitulé « Los niños y la publicidad » issu du manuel. Les quatre types d’objectifs, que Radia présente comme obligatoires pour toute séance d’espagnol, sont clairement énoncés : communicationnel, linguistique, culturel et lexical.
24Une visée normative ou moralisatrice est présente dans l’objectif culturel puisqu’il s’agit d’« aborder le thème de la publicité comme un média dont l’objectif est de changer et de manipuler la mentalité du consommateur (l’enfant) ».
25La suite de la fiche détaille par le menu l’ensemble des futurs échanges de questions-réponses qui seront abordés dans la leçon, en consignant les phrases de l’enseignante et les réponses attendues de la part des élèves. Par exemple, la phrase d’introduction du thème du texte est : « Que vous suggère le titre du texte ? » et les réponses acceptables à cette question : « La relation entre les enfants et la publicité » ; « La publicité qui s’adresse aux enfants » ; « L’influence de la publicité commerciale sur les enfants ». Or, comme dans les autres cours, les élèves ont dû préparer la lecture du texte à la maison et sont donc censés déjà connaître la réponse à cette première question introductive. La fiche présente ensuite les activités et les questions-réponses suivantes : « Lecture de la prof. Qu’avez-vous compris ? » ; « Lecture des élèves (en silence). Que pouvez-vous ajouter ? » et ainsi de suite.
26Cette fiche est donc le pendant du livre du professeur utilisé par les enseignants d’arabe et de français, si ce n’est qu’elle est créée par l’enseignante elle-même et ne lui est pas dictée par une source livresque, même si elle s’inspire vraisemblablement des questions figurant dans le manuel.
27D’autre part, la visée moralisatrice prescriptive est très prégnante dès la première question de compréhension puisque Radia a déjà écrit sur sa fiche la réponse qu’elle va leur dicter pendant le cours, à savoir : « La majorité des élèves passe leur samedi soir à regarder la télévision car [c’est] le moment préféré pour les programmes pour les jeunes. Ainsi les enfants deviennent télé-addicts et télé-dépendants de sorte que la télé se transforme en vice3. » Ce lexique extrêmement fort, voire hyperbolique, est imposé aux élèves sans possibilité d’ouvrir le débat puisque le dialogue des questions-réponses est déjà entièrement fixé par écrit sur la fiche au préalable, en contradiction d’ailleurs avec l’objectif communicationnel annoncé en haut de la fiche qui stipule que l’élève doit « apprendre à converser et exprimer son opinion ».
28Le déroulement de ce cours auquel j’ai assisté correspond en grande partie à la planification de la fiche. Il a lieu en présence d’un enseignant-stagiaire dont Radia est la tutrice et dont elle a été auparavant l’enseignante. Assis à côté de moi, il observe le cours en suivant sur la photocopie de la fiche pédagogique qu’elle nous a confiée, tandis qu’elle a gardé l’original avec elle sur son bureau. Huit élèves sont présents et participent avec enthousiasme. Elle commence différemment de la fiche en écrivant au tableau :
¿Te gusta ver la tele?
Sí, a mí me gusta…
No, a mí, no me gusta…
¿Cuál es el programa que te gusta?
29Radia joue ce dialogue avec chaque élève un par un. Bien qu’il soit écrit préalablement, les élèves ont, malgré tout, une marge de manœuvre plus grande qu’en arabe ou en français puisqu’ils peuvent choisir leur réponse et donner des noms de programmes télévisés qu’ils aiment. Radia les encourage avec bienveillance à exprimer leur opinion personnelle.
30Cependant, ces moments d’expression de soi sont très vite interrompus lorsque certains élèves expriment un goût qui ne correspond pas aux attentes de l’enseignante. C’est ainsi qu’un des élèves, lorsque c’est son tour, avance : « A mí me gusta la publicidad », ce qui lui vaut aussitôt d’être repris par l’enseignante : « No, la publicidad es muy mala, te molesta la publicidad » puis d’une longue explication à toute vitesse en espagnol. À l’issue de cette explication, l’enseignante fait répéter cette phrase aux élèves en chœur, puis à chacun individuellement. Il s’agit donc à nouveau d’un fonctionnement où l’enseignante impose son argumentation et son autorité, en censurant la parole des élèves et en affirmant la sienne comme une vérité qui s’apprend par cœur, se récite et ne souffre aucune contestation ni discussion.
31Radia passe ensuite sans transition à la question d’introduction sur le texte, en suivant cette fois la première étape indiquée sur sa fiche pédagogique, puis la seconde et ainsi de suite. Lorsqu’elle pose une question de compréhension, les élèves répondent en lisant des citations du texte qui correspondent à la réponse, comme dans les cours d’arabe et de français. Elle reprend ensuite ces réponses et les reformule autrement avant d’écrire la phrase correspondante au tableau. Si, à l’oral, elle ne formule pas les questions et réponses exactement telles qu’elles sont écrites dans sa fiche, elles les écrit mot pour mot au tableau. Une fois que les élèves en ont recopié une dans leur cahier, elle passe à la question suivante. De temps en temps, si un élève fait une erreur de grammaire ou de conjugaison, elle rajoute une courte révision qui n’est pas dans la fiche. Elle improvise aussi parfois d’autres contenus, notamment en demandant aux élèves des exemples de publicités ou d’émissions marocaines.
32Le tableau se couvre peu à peu de phrases que les élèves doivent recopier au fur et à mesure. À la fin de son cours, Radia recopie intégralement sur le tableau la synthèse qu’elle avait écrite sur sa fiche. Elle écrit également la traduction en arabe du dernier mot de cette trace écrite : « creatividad (الإبداع)» alors que jusqu’à présent elle n’avait pas employé d’autre langue que l’espagnol pendant son cours. Les élèves recopient alors la trace écrite sur leur cahier et sont invités à l’apprendre pour la séance suivante.
33Ainsi, l’espagnol, comme l’anglais, est enseigné comme une langue étrangère ancrée dans la réalité quotidienne ici et maintenant et dans les grands enjeux sociétaux et économiques mondialisés. Pour autant, l’anglais est surtout construit comme une langue essentiellement orale, que l’on peut s’approprier et faire sienne pour s’exprimer et être auteur, dans laquelle on peut réfléchir sur soi, sa culture, l’autre, et s’évader dans un monde d’actions et de liberté « virtuel ». De manière différente, l’enseignement de l’espagnol suit en partie des méthodes d’enseignement de langue étrangère qui incitent les élèves à l’expression et la communication, mais on y retrouve aussi des méthodes plus proches de l’enseignement de l’arabe et du français. De plus, il est construit comme une langue qui impose des positions normatives et prescriptives faisant autorité, tout en étant mis en avant comme une langue pratique, voire pragmatique, d’ouverture sur la vie adulte, le monde de l’emploi et le secteur du tourisme.
Notes de bas de page
1MENFPESRS (homologué par), Español para profundizar, El Manual de Segundo Bac, année inconnue (les passages cités ensuite sont des traductions personnelles).
2Les citations entre guillemets qui suivent sont des traductions personnelles d’extraits de cette fiche rédigée en espagnol par l’enseignante.
3Termes soulignés par l’enseignante dans la fiche.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Fils de saints contre fils d’esclaves
Les pèlerinages de la Zawya d’Imi n’Tatelt (Anti-Atlas et Maroc présaharien)
Salima Naji
2011
La bienvenue et l’adieu | 1
Migrants juifs et musulmans au Maghreb (XVe-XXe siècle)
Frédéric Abécassis, Karima Dirèche et Rita Aouad (dir.)
2012
La bienvenue et l’adieu | 2
Migrants juifs et musulmans au Maghreb (XVe-XXe siècle)
Frédéric Abécassis, Karima Dirèche et Rita Aouad (dir.)
2012
La bienvenue et l’adieu | 3
Migrants juifs et musulmans au Maghreb (XVe-XXe siècle)
Frédéric Abécassis, Karima Dirèche et Rita Aouad (dir.)
2012
Médinas immuables ?
Gentrification et changement dans les villes historiques marocaines (1996-2010)
Elsa Coslado, Justin McGuinness et Catherine Miller (dir.)
2013
Surnaturel et société
L'explication magique de la maladie et du malheur à Khénifra, Maroc
Saâdia Radi
2013
Fès et sainteté, de la fondation à l’avènement du Protectorat (808-1912)
Hagiographie, tradition spirituelle et héritage prophétique dans la ville de Mawlāy Idrīs
Ruggero Vimercati Sanseverino
2014
Les ambitions d’une capitale
Les projets d’aménagement des fronts d’eau de Rabat
Hicham Mouloudi
2015
Pratiquer les sciences sociales au Maghreb
Textes pour Driss Mansouri avec un choix de ses articles
Mohamed Almoubaker et François Pouillon (dir.)
2014