Préface
p. 11-12
Texte intégral
1Les carences de l’enseignement public au Maroc ont été pointées depuis des décennies par d’innombrables rapports nationaux et internationaux (Banque mondiale, PNUD), expertises diverses de think-tank et ministères, conférences gouvernementales ou privées, discours royaux, etc. L’un des constats principaux de ces expertises étant de souligner un taux très préoccupant d’illettrisme chez les écoliers. Ainsi, selon le rapport de la Banque mondiale de 2020, « 66 % des enfants du royaume âgés de 10 ans n’étaient pas capables de lire et comprendre un texte simple ». Parmi les causes qui expliqueraient ces faibles performances, les questions linguistiques reviennent régulièrement à l’ordre du jour et alimentent des débats acharnés autour du statut et rôle que doivent occuper notamment l’arabe standard, le français, mais aussi l’amazigh et l’arabe marocain, l’anglais et l’espagnol, ainsi que les conditions de leur enseignement.
2En s’intéressant aux conditions d’enseignement des langues à l’école publique au Maroc et en les croisant avec la problématique de la construction des savoirs, des identités et de la citoyenneté, l’ouvrage de Chloé Pellegrini aborde une question sociétale majeure. Elle le fait en restituant les contextes historiques, les politiques linguistiques, les enjeux idéologiques, les données fournies par les différents rapports et expertises.
3Mais son apport majeur est d’avoir pu entrer dans les écoles et de nous fournir une peinture très fine des pratiques des différents acteurs impliqués dans l’enseignement des langues. Cette approche ethnographique lui a permis de décrire la façon dont les normes d’enseignement et les idéologies linguistiques sont mises en pratique et plus ou moins intériorisées par les enseignants, les familles et les élèves. Elle fournit ainsi de très belles pages sur les rapports qui s’instaurent entre les enseignants et les élèves dans le quotidien des classes. Elle nous montre l’imbrication complexe entre des pratiques associées à un enseignement traditionnel basé sur la mémorisation, la répétition et le respect du texte écrit et des pratiques pédagogiques qui se veulent plus modernes et plus proches des normes internationales. Et surtout, elle met en scène des portraits de personnes, avec des noms, des histoires singulières, des ambivalences, des combats du quotidien. Certains enseignants apparaissent comme de véritables « hussards du Royaume », se battant malgré les difficultés matérielles pour essayer de fournir un cadre un peu attirant dans leurs classes. Sa recherche nous livre un témoignage exemplaire de la politique « par le bas », entre relations hiérarchiques, tensions, contradictions des références et des représentations.
4On le sait, il n’est jamais facile de pouvoir entrer dans les écoles pour y faire de l’observation participante. Chloé Pellegrini a travaillé pendant des années comme formatrice externe pour l’enseignement du français auprès d’enseignants du primaire et du secondaire marocain. Cette fonction lui a permis de créer des liens avec les différents représentants du système éducatif marocain, mais elle pouvait s’avérer un obstacle pour se faire accepter dans les écoles vu le climat de polarisation idéologique qui sévit au Maroc, notamment vis-à-vis des représentants de la « francophonie ». Si elle a réussi à se faire si bien accepter, c’est qu’elle a toujours été animée par le respect vis-à-vis de ses interlocuteurs, par une très grande humanité et un désir de ne pas se laisser enfermer dans des cadres de pensée préétablis. Sa démarche est une vraie démarche de construction des savoirs : essayer de comprendre l’autre, ses représentations, ses pratiques, sans adopter une posture normative. Cela implique un cheminement personnel qui fait de la recherche une aventure humaine et qui peut parfois transformer nos propres représentations et comportements.
5Cet ouvrage est donc une très belle entrée sur les questions linguistiques et éducatives marocaines, sur les hommes et les femmes qui en sont les acteurs au quotidien et sur la pratique de la recherche.
Auteur
Directrice de recherche émérite, Aix Marseille Université, CNRS, IREMAM, Aix-en-Provence, France
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