Introduction
p. 13-31
Texte intégral
Prologue ethnographique
1Entre 2013 et 2021, à travers Diotime, mon petit bureau d’études et de formations basé à Marrakech, j’ai été amenée à animer des formations pédagogiques et linguistiques auprès d’enseignants du primaire et du secondaire du ministère de l’Éducation nationale marocain, en tant que prestataire externe. Ce travail de formatrice me faisait voyager fréquemment à travers le royaume. J’arrivais dans des villes, grandes ou petites, où je restais plusieurs jours, le temps de faire une formation auprès d’un ou plusieurs groupes d’enseignants, généralement dans une école, un collège ou un lycée de leur secteur. Ces formations étaient majoritairement financées par les services de la coopération éducative française, surtout depuis la réforme des Sections internationales et du baccalauréat international option français (BIOF) de 2014 qui avait fait l’objet d’un accord bilatéral entre le Maroc et la France. L’objet de cette réforme était de réintroduire progressivement le français comme langue d’enseignement des matières scientifiques au lieu de l’arabe, langue officielle et principale langue de scolarisation du système éducatif marocain.
2Ce jour-là, une formation est organisée dans un lieu institutionnel, siège d’une Académie ou d’une délégation provinciale, ce qui rend toujours la prise de contact plus difficile que lorsqu’elle a lieu dans des établissements scolaires. Probablement parce que l’endroit est plus solennel, les enseignants arrivent encore plus sur la défensive que d’habitude. Le plus souvent, la plupart d’entre eux ne savent pas vraiment ce qu’ils viennent faire là – ils ont reçu un appel téléphonique la veille tard dans la soirée pour les prévenir qu’ils devaient se présenter pour une formation le lendemain matin. Ils ne savent ni de quoi il s’agit, ni pourquoi ils sont convoqués. Quand ils entrent dans l’immense salle de réunion tendue de rouge avec microphones et sièges d’apparat, le portrait immense du roi Mohammed VI surplombant l’espace, ils hésitent, se cherchent du regard, se regroupent, s’assoient côte à côte, mal à l’aise. Quand, en plus, ils découvrent qu’en face d’eux se tient une femme étrangère – probablement française – l’étonnement et l’incertitude grandissent, des regards se vissent sur les écrans de téléphone. Rares sont les personnes qui me regardent dans les yeux et me saluent. Certains se mettent à parler fort en arabe marocain et échangent des nouvelles, d’autres font mine de rebrousser chemin ou demandent les toilettes.
3Cette fois-ci, ce sont des enseignants de collèges en zones rurales qui ont été convoqués, ils sont une trentaine et arrivent au compte-goutte, ils ont fait de longs trajets entassés sur des mobylettes, dans des voitures, des grands taxis collectifs ou des bus pour venir jusqu’à la ville. Ils sont visiblement fatigués et tendus. Un groupe reste sur le seuil de la porte, indécis. Soudain, Mustapha1, le responsable administratif en charge des formations, qui a surveillé leur arrivée de loin, vient me chercher précipitamment : il a quelque chose d’important à me dire et veut que je sorte immédiatement de la salle avec lui. Il m’emmène dans son bureau, referme soigneusement la porte et me dit à la hâte : « attention avec ce groupe. ILS sont là. Les barbus. D’habitude ils ne viennent jamais aux formations mais ILS sont là. » Ce ton secret et cette emphase sur le « ils » me déroutent et m’inquiètent comme s’ils annonçaient le déferlement imminent d’un danger implacable. Le mot « barbus » est généralement utilisé comme synonyme d’islamistes pour désigner des hommes à partir de leur apparence physique et vestimentaire : une longue barbe et une djellaba. Il y a souvent de tels hommes lors des formations dans les établissements scolaires, moins souvent dans ce genre de lieux plus officiels. De retour à ma place dans la grande salle, je vois deux hommes qui ont effectivement une longue barbe et sont habillés de djellabas. Pourtant, « ils » ne sont pas une armée déferlante. Ce sont deux hommes de grande taille, un jeune qui a l’air tout aussi intimidé que les autres et est assis dans son coin, le dos arrondi comme s’il voulait se faire remarquer le moins possible, le regard baissé ; l’autre a une soixantaine d’années, une stature immense et carrée. J’apprendrai plus tard qu’on l’appelle le Doukkali2. Alors que les autres enseignants se sont installés le plus loin possible de mon siège, lui a choisi celui le plus près du mien. Très à l’aise, il occupe l’espace de toute sa prestance, regarde chacun droit dans les yeux. Les autres le regardent, certains avec admiration, d’autres avec méfiance, d’autres encore avec une certaine ironie plus ou moins craintive malgré tout, semble-t-il. Ce qui est sûr, c’est que cet homme est une figure décisive pour le déroulement de cette formation.
4Une fois la salle remplie, Mustapha entre et s’assoit à mes côtés pour inaugurer la formation comme il le fait pour chaque groupe. Pour cela, il lit à toute vitesse son discours officiel d’introduction en arabe écrit, un texte qui mêle salutations, remerciements et un argumentaire technicien sur l’enseignement et l’importance d’enseigner désormais les sciences en français plutôt qu’en arabe : il y est question de la « Vision stratégique 2015-20303 », de diagnostic-suivi-évaluation, d’axes et de leviers, de développement des compétences, de performances, de réussite scolaire, d’insertion professionnelle des élèves et de compétitivité du Maroc dans l’économie mondiale. Il justifie le choix de la langue française pour enseigner les sciences en la présentant comme une des langues de « la science moderne internationale » avec l’anglais. Il me donne la parole, je me présente en français, ainsi que le thème, les objectifs et le programme de la formation.
5À peine ai-je fini que le Doukkali se lève calmement, se dresse de toute sa hauteur et prend la parole, s’adressant à tous en arabe avec une voix grave et mélodieuse qui porte et impose. Il entonne des salutations, une forme de prière et des vœux de bienveillance pour toute l’assemblée en regardant chacun tour à tour, le responsable et moi compris. Il cite de longs passages du Coran ou de hadiths que je n’arrive pas bien à comprendre car, bien que je comprenne l’arabe marocain et l’arabe écrit des textes officiels et des journaux, j’ai très peu de notions d’arabe religieux. Son discours, presque incantatoire, dure longtemps. Les enseignants l’écoutent avec respect, une forme de ferveur silencieuse semble s’installer dans l’assemblée. Mustapha sourit, figé, visiblement démuni mais entraîné malgré tout. Je le suis aussi. Les citations coraniques s’insèrent dans une forme de prêche ou de sermon sur la grandeur de la mission de l’enseignant, de son rôle dans la société et dans l’Islam, le respect et la reconnaissance qui lui sont dus, les récompenses à venir d’Allah.
6Soudain, il s’arrête. Sans transition, il se tourne vers moi et s’exclame en français :
« Mes respects, madame. “Ah ! Gringoire, qu’elle était jolie, la petite chèvre de M. Séguin ! Qu’elle était jolie avec ses yeux doux, sa barbiche de sous-officier, ses sabots noirs et luisants, ses cornes zébrées et ses longs poils blancs qui lui faisaient une houppelande !” Mes respects, madame. Connaissez-vous monsieur Raymond ? ».
7Sa déception se lit sur son visage quand je réponds négativement. Il reprend longuement la parole en français et raconte que monsieur Raymond était son instituteur quand il était écolier au début des années 1960 dans une petite école de campagne. Son père, agriculteur, l’avait tiré au sort parmi ses huit frères pour envoyer « un fils » à l’école. C’est monsieur Raymond qui lui a appris à lire et écrire et lui a fait apprendre par cœur La chèvre de Monsieur Seguin d’Alphonse Daudet (1866) qu’il aime tant encore aujourd’hui, surtout dans la version enregistrée par Fernandel qu’il a toujours chez lui en disque vinyle. Désormais il est enseignant de sciences de la vie et de la terre (SVT) dans un collège proche de son village, il est aussi agriculteur et fait parfois office d’imam à la mosquée pour le prêche du vendredi.
8Dans les échanges que nous avons plus tard en compagnie de ses collègues lors des pauses ce jour-là et les suivants, le Doukkali déploie tout un argumentaire pour me convertir à l’Islam et est dépité que je n’y adhère pas immédiatement, que je reste dans l’erreur et l’ignorance. Dans le même temps, contrairement à un grand nombre de ses collègues, il n’est pas opposé au retour du français comme langue d’enseignement des matières scientifiques et attribue des rôles distincts aux deux langues : le français, la langue « de la France et de la science moderne », l’arabe « la langue de l’Islam et du monde arabe » (ses propos). Certains de ses collègues du même âge et plus jeunes, qui sont opposés à la réforme et affirment clairement qu’ils la refusent et continuent d’enseigner leur discipline en arabe malgré les instructions officielles, sont clairement déçus par ses propos, sans doute d’autant plus qu’ils l’ont investi très vite comme une figure charismatique d’autorité au sein du groupe. Ils s’efforcent d’ancrer leur contre-argumentation dans le domaine religieux en affirmant qu’enseigner dans la langue de l’ancien colonisateur est ḥarām (« illicite »). Le Doukkali leur rétorque avec autorité que, du moment qu’un savoir scientifique est présent dans le Coran et qu’on peut lui associer une sourate, ce n’est pas ḥarām. Au cours de la formation, il est fréquent d’ailleurs, quand un phénomène scientifique est décrit, qu’il se lève soudainement et prenne la parole pour l’illustrer d’une citation coranique qu’il me traduit ensuite en français, la majorité des autres enseignants acquiesçant avec admiration à ces liens qu’il noue entre science et Islam.
Institution scolaire, acteurs et interactions : interprétations et transformations des directives officielles
9Ce court récit ethnographique, qui peut sembler anecdotique et singulier, nous permet néanmoins d’entrer de plain-pied dans le monde de l’Éducation nationale marocaine. Il met brièvement en scène des enseignants regroupés dans un lieu officiel de leur hiérarchie administrative et donne un instantané de la complexité des relations et des interactions entre l’administration scolaire et « ses profs », de leurs points de divergence, d’incompréhension, de rencontre. On aperçoit ici combien une institution scolaire n’est pas une organisation qui fonctionne de manière unifiée et uniforme mais est constituée, modelée, construite par les interactions entre ses différents acteurs, leurs interprétations et appropriations des normes et directives institutionnelles4, les mondes distincts de références dans lesquels et entre lesquels ces acteurs évoluent et auxquels ils se sentent appartenir tour à tour, simultanément ou exclusivement. Comme nous le verrons tout au long de cet ouvrage, ces différences d’interprétation et d’appropriation se retrouvent à tous les niveaux de l’institution scolaire, aussi bien celui du ministère, des Académies, des directions provinciales et locales, que celui des établissements scolaires, dans les bâtiments administratifs, les salles des professeurs, les cours de récréation, les couloirs, les salles de classe, et dans les actes mêmes d’enseigner, de transmettre, d’interpréter et de donner corps au savoir scolaire pour les enseignants ; dans les actes mêmes de recevoir ce savoir scolaire, se l’approprier, le transformer pour les élèves.
10Le responsable administratif ci-dessus redoute les « barbus » mais se laisse emporter par le « prêche ». Le « barbu » semble incarner un danger, pour le moins une remise en question de la conception technicienne du savoir scolaire que l’administration s’efforce d’inculquer à ses agents-fonctionnaires. Il impose une tournure religieuse et de ferveur spirituelle et émotionnelle à une formation pédagogique qui a priori en est dénuée. Dans le même temps, il rend aussi hommage à la culture française et à son ancien instituteur français dont il a été l’écolier peu après la fin de la période coloniale du protectorat (1956). Il n’adhère pas aux discours de ses collègues contre la langue de l’ancien colonisateur du moment que le savoir énoncé dans cette langue ne va pas à l’encontre de la parole du texte sacré. Il navigue entre les deux langues avec fluidité, passe de citations coraniques à une citation de conte laïc et au souvenir d’un instituteur qui, pour lui, représentent le summum de la culture française. Il parvient en très peu de temps à incarner auprès d’une majorité de ses collègues une forme d’aura et d’autorité religieuse et morale bien plus puissante que celle du responsable administratif. De plus, en ne reconnaissant la valeur du savoir scientifique que s’il est présent dans le Coran, il incarne aussi auprès d’eux une autorité de validation/invalidation du savoir de l’école au nom de l’Islam, donc une conception religieuse du savoir scolaire qui est a priori à l’opposé de celle de l’institution scolaire et des curricula officiels. Sont donc ici à l’œuvre des conceptions du savoir scolaire fondées sur des registres opposés et, à première vue, difficilement conciliables.
Langues, conceptions du savoir et identité nationale
11On voit également dans ce récit comment des relations complexes sont nouées entre les langues et les conceptions du savoir qu’elles véhiculent. Les langues arabe et française sont utilisées et investies différemment par les acteurs en présence selon les mondes de références entre lesquels ils évoluent et qu’ils choisissent de convoquer à différents moments, selon le type d’énoncés et de contenus, le type d’interactions et d’interlocuteurs. Différents registres des langues sont ainsi mobilisés. Le texte lu par le responsable est écrit dans un arabe contemporain technique et administratif dont le pendant est le français des sciences de la réforme. Tous deux relèvent du monde du savoir scolaire technique et pédagogique officiel.
12De leur côté, les citations coraniques et les validations religieuses convoquées par l’enseignant déplacent ce savoir scolaire dans une tout autre dimension qui échappe au contrôle de l’administration, un autre monde de références, à travers un autre registre de la langue arabe qui ne relève plus de la technicité mais du religieux, de la référence culturelle et de l’appartenance identitaire arabo-islamiques. Dans la suite de ce travail, on appellera ce registre de la langue arabe « l’arabe fuṣḥâ5 » afin de mettre en avant la connotation d’héritage, de haute culture, d’érudition et de tradition arabo-islamique véhiculée dans ce terme (Larcher 2008).
13De son côté, la citation française d’Alphonse Daudet constitue une incursion dans un autre monde de références à la fois étranger et familier pour les acteurs présents, une culture littéraire française scolaire que les enseignants les plus anciens ont approchée par l’intermédiaire de leurs instituteurs français à l’issue du protectorat (1912-1956) et que les plus jeunes ont découverte à l’école avec leurs enseignants marocains de français, le plus souvent sans qu’aucun d’entre eux ne soit jamais allé en France. Il s’agit donc d’un monde de références, d’une langue et d’un savoir scolaire livresques, en grande partie désincarnés, qui peuvent susciter une forme de révérence comme chez le Doukkali et/ou de rejet en tant que langue et culture de l’ancien colonisateur comme chez nombre de ses collègues, voire une forte ambivalence, comme nous le verrons souvent tout au long de ce travail.
14Enfin, les interactions orales spontanées se font en arabe marocain qu’on nommera par la suite « la dārija6 » selon le nom usuel féminin donné aux registres dialectaux marocains (et maghrébins) de la langue arabe. Il s’agit là d’un monde de références du quotidien familier, ancré dans la réalité et la spontanéité des interactions, a priori sans rapport avec le savoir scolaire, en tous cas dans les discours.
15Ce sont ces relations complexes entre les langues, les conceptions du savoir et les mondes de références qu’elles incarnent et qu’elles véhiculent au sein du système éducatif national marocain qui sont l’objet de cet ouvrage, ainsi que la multiplicité de leurs enjeux, tant politiques que sociaux, identitaires et individuels. Plusieurs dimensions y sont nouées : les unes ont trait à l’histoire et aux spécificités sociales, culturelles et religieuses du Maroc, à l’évolution des conceptions du savoir et des statuts de ceux qui sont politiquement et/ou socialement reconnus comme les détenteurs du savoir légitime ; les autres sont ancrées dans l’histoire coloniale et postcoloniale du royaume, dans les récits fondateurs de la nation indépendante et dans l’évolution, l’appropriation et les transformations de ces récits fondateurs par les acteurs politiques, éducatifs et sociaux actuels, près de 70 ans après la fin du protectorat.
16Au Maroc, les langues sont investies d’enjeux politiques, sociaux, culturels, identitaires et émotionnels forts qui sont constamment débattus aussi bien dans les sphères politiques que dans la société civile. Les mouvements nationalistes pour l’indépendance, puis la nation marocaine à l’indépendance ont défini et fondé l’identité nationale selon trois piliers : l’Islam, l’arabisation et la marocanisation, en cherchant à mettre à distance le plus possible, au nom de l’unité nationale, non seulement la langue française, langue de l’ancien colonisateur7, mais aussi la langue amazighe, langue des populations amazighes ou berbères du Maroc (Abouzaid 2011). Cette construction de l’identité nationale est un processus double (Anderson 1983 ; Baggioni 1997) : d’une part, il s’agit de définir, de faire émerger et d’objectiver une identité nationale unifiée autour d’un modèle politique et social, d’une langue, d’une religion et d’une culture, de créer dans la diversité une unité dans laquelle les individus puissent se reconnaître, adhérer, se sentir appartenir et faire corps ; d’autre part, il s’agit de la construire en mettant à distance, en objectivant, voire en rejetant, ce qui n’est pas soi, ce qui est extérieur, et, en contexte postcolonial en particulier, l’ancienne puissance coloniale. C’est ainsi qu’au Maroc l’arabisation progressive de l’administration et du système éducatif national à l’indépendance a participé à affirmer et construire cette identité tout en s’efforçant de mettre à distance le plus possible la langue française et ce qu’elle représente d’occupation coloniale étrangère, de risque d’acculturation et de perte d’identité8.
17Pourtant, comme nous le verrons de façon approfondie dans les chapitres qui suivent, ainsi que nous pouvons déjà l’apercevoir dans le prologue ethnographique, malgré cette mise à distance de la langue française, celle-ci est restée omniprésente au Maroc depuis la fin du protectorat. En effet, malgré la prééminence officiellement donnée à la langue arabe, langue de la nation et principale langue d’enseignement, et malgré la reconnaissance officielle récente de la langue amazighe dans la nouvelle Constitution du royaume de 2011, la langue française est toujours massivement présente dans l’espace public marocain, le monde des affaires, le marché de l’emploi qualifié, les classes sociales aisées. Bien plus, depuis quelques années, sa présence se retrouve de plus en plus renforcée au sein même du système éducatif national à travers la réforme des Sections internationales et du baccalauréat international option français (BIOF) mentionnée plus haut.
18Ainsi, tandis que les discours des acteurs politiques et de la société civile continuent à ériger les langues comme des symboles clivant qui font l’objet de débats passionnés sur la nation, la société, la tradition, la modernité, l’identité collective et individuelle et l’idée même de ce qu’est ou devrait être le citoyen marocain d’aujourd’hui, dans le même temps l’aménagement linguistique effectif dans l’enseignement public apparaît clairement en porte-à-faux avec ces discours. En témoigne le tableau qui suit sur l’aménagement linguistique dans le système d’enseignement public marocain global. Bien que la langue arabe soit la langue d’enseignement officielle, on y voit la place prépondérante de la langue française tout au long de la scolarité, non seulement comme langue enseignée mais aussi comme langue d’enseignement des filières scientifiques et économiques dans le secondaire et le supérieur. On y voit également la place marginale et restreinte au primaire de l’amazigh malgré son statut de « langue nationale », tandis qu’en dehors du français, l’anglais et l’espagnol sont les deux langues étrangères majoritairement enseignées dans le secondaire9.
Tableau 1. – L’aménagement linguistique dans l’enseignement public marocain
Primaire 6 années |
Arabe | Années 1-2 : Arabe (11hs/ semaine) – Français (initiation) |
Années 3-6 : Arabe (6hs) – Français (8hs) – Amazigh (3hs) | ||
Secondaire collégial (collège) 3 années | Arabe *Réforme en cours : sciences en français (depuis 2017) |
Années 1-2 : Arabe (6hs) - Français (6hs) |
Année 3 : mêmes langues (mêmes horaires) + Anglais (3hs) | ||
Secondaire qualifiant (lycée) 3 années |
Arabe *Réforme en cours : sciences en français (depuis 2014) |
Années 1-3 : Arabe (4 ou 6hs) – Français (4 ou 6hs) – Anglais ou Espagnol (3 ou 4hs) |
Enseignement supérieur | Langue d’enseignement | Filières principales (liste non exhaustive) |
Filières universitaires non sélectives | Arabe | Histoire et géographie |
Littérature | ||
Études islamiques | ||
Droit arabe | ||
Sociologie | ||
Filières universitaires non sélectives | Français | Économie |
Mathématiques | ||
Physique et chimie | ||
Biologie | ||
Droit français | ||
Littérature française | ||
Filières universitaires sélectives et grandes écoles publiques | Français | Commerce et gestion |
Médecine et pharmacie | ||
Écoles d’ingénieurs | ||
Biologie | ||
Diplomatie |
Tableau de synthèse fait par l’auteure à partir de documents officiels du ministère de l’Éducation nationale, de la formation professionnelle, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique (MENFPESRS) et de documents papier (directives et circulaires officielles) dont les programmes de primaire, 2011, « Programmes et directives éducatives pour l’enseignement primaire / direction des curricula » (en arabe).
« مديرية المناهج / » البرامج والتوجيهات التربوية الخاصة بسلك التعليم الإبتدائى »
19Une telle situation linguistique en décalage avec les discours et les positionnements au nom de la nation et de l’identité nationale ne peut manquer de provoquer des débats passionnés et des oppositions violentes, de sorte qu’on assiste à une surpolitisation et une sur-idéologisation de la question linguistique, notamment quand il est question des langues dans l’Éducation nationale.
Démarches et méthodologie de recherche : entrer dans l’école par l’ethnographie
20La littérature académique sur les contenus de ces débats et sur les enjeux investis dans les différentes langues en présence par les différents types d’acteurs est extrêmement développée et s’appuie sur de nombreux champs disciplinaires différents : historique, politique, postcoloniale, développementaliste, sociolinguistique et linguistique, éducatif, psychologique, cognitif, sociologique, etc. Rares sont cependant les études qui sont entrées à l’intérieur des établissements publics scolaires pour étudier comment ces débats et ces enjeux s’y répercutent, s’y vivent et s’y nouent, à l’exception de travaux sur les pratiques langagières au sein d’établissements scolaires, comme ceux de Tamer (2003) ou de Kaddouri (2017), et celui de Boutieri (2016) qui s’appuie sur des observations de classes pour développer une analyse sociologique des inégalités sociales et scolaires en lien avec les politiques linguistiques éducatives.
21Les questions suivantes sont donc centrales : au-delà des débats sur-politisés et sur-idéologisés sur les langues dans l’enseignement public marocain qui font rage en dehors de l’école, que se passe-t-il à l’intérieur de l’enceinte de l’école concernant les langues ? Comment les différentes langues en présence à l’école (arabe, amazigh, français, anglais, espagnol) sont-elles traitées, enseignées, appropriées par les acteurs de l’institution scolaire, depuis les curricula jusqu’aux salles de classe ? Quelles conceptions du savoir et quels types de savoir sont construits et valorisés dans chaque langue ? Comment chacune est-elle construite et appropriée comme medium pour comprendre, penser et dire le monde, pour se comprendre et se dire soi, pour comprendre et dire l’autre ? Quelles idées et croyances sont construites à l’intérieur de l’école sur chacune de ces langues, sur comment chacune fonctionne et doit fonctionner ? Autrement dit, quelles idéologies linguistiques10 sont construites et développées par l’école et ses acteurs ?
22Une langue n’est pas le medium ou le véhicule neutre d’un savoir atemporel ou a-culturel, elle est un medium pour comprendre, penser et dire le monde (Whorf, 1969 [1956]) ainsi que pour comprendre, penser et dire soi et l’autre (Wismann, 2012). Elle est ainsi une forme essentielle d’appréhension, d’énonciation et d’appropriation du monde, de l’appartenance, de l’identité individuelle et collective, d’autrui.
23Comme on l’aperçoit déjà dans le prologue ethnographique qui ouvre cette introduction et comme on le verra tout au long de cet ouvrage, la plupart des acteurs du système éducatif national marocain partagent une vision ontologique des différentes langues en présence : ils considèrent le français comme une « langue des sciences modernes » (considérée par beaucoup d’entre eux d’ailleurs comme étant moins scientifique et moderne que l’anglais) ; et l’arabe comme la langue de la religion et de l’identité collective et individuelle arabo-musulmane à laquelle ils sont attachés. Bien que beaucoup d’entre eux investissent le Coran et la parole du prophète Mohammed comme l’ultime autorité de validation du savoir scientifique, pour autant ils n’investissent pas la langue arabe elle-même comme un véhicule ou medium possible de la science moderne. Ils ne considèrent pas non plus la langue française comme un véhicule ou un medium possible de la religion, mais comme celui d’une culture littéraire et scientifique étrangère, une langue qui ne leur appartient pas mais dont l’usage non seulement peut être ḥarām dans certains domaines, donc contraire aux principes de la religion musulmane, mais aussi peut présenter un risque de perte d’identité et d’acculturation en tant que langue de l’ancien colonisateur.
24Or, d’un point de vue linguistique, il n’y a pas de raisons objectives pour que l’arabe ne puisse pas être développé et aménagé comme une langue de science moderne, ni pour que le français ne puisse pas être développé et aménagé comme une langue de religion. C’est donc dans leurs usages sociaux au Maroc que ces deux langues sont restreintes à ces domaines ou ces mondes de références, pas dans leurs propriétés intrinsèques. Leurs propriétés syntaxiques et lexicales ne sont pas figées, elles évoluent dans le temps, sont aménagées, transformées en fonction de l’évolution des usages sociaux, des représentations et conceptions de leurs locuteurs, et de ce qu’ils investissent en elles, politiquement, socialement, émotionnellement.
25D’autre part, dans chacune de ces langues, quelles conceptions du savoir scolaire sont promues, développées et construites par l’école publique marocaine ? Et à travers ces conceptions du savoir, quelle(s) forme(s) de citoyenneté et d’identité citoyenne l’école publique marocaine propose-t-elle et s’efforce-t-elle de construire depuis les curricula jusqu’à l’intérieur des salles de classe ?
26Le rôle assigné par un État à son système éducatif national ne consiste pas seulement à instruire la population et la doter de compétences, mais aussi à assurer la transmission et la perpétuation de l’identité nationale et des valeurs qu’elle incarne auprès des nouvelles générations (Durkheim, 1922), de reproduire « une conscience nationale spécifique » (Bernstein, 2007 [1996] : 18) et de « contribuer à façonner la personnalité intellectuelle d’une nation ou d’une civilisation » (Forquin, 2008 :17). C’est ce que Bernstein nomme « les mythes de la conscience nationale et de l’intégration11 ». De même, Forquin analyse le fonctionnement de l’institution scolaire comme un « opérateur de sélection et de transmission culturelles » pour assurer « la transmission intergénérationnelle de la culture » (2008 : 9). Il définit l’école comme :
« Le lieu ou le creuset où s’élaborent des postures cognitives, des compétences et des dispositions qui constituent en quelque sorte le noyau d’une culture scolaire sui generis qui peut marquer de son empreinte les modes de pensées et les formes d’expression caractéristiques d’une société donnée, contribuant ainsi à façonner la personnalité intellectuelle d’une nation ou d’une civilisation. » (Forquin, 2008 : 17, termes soulignés par nous)
27C’est ainsi que, par exemple, les programmes scolaires d’histoire français et britannique n’abordent pas de la même manière la bataille d’Azincourt (1415) et celle de Waterloo (1815) ou que les programmes algériens et marocains ne présentent pas la même perspective sur la question du Sahara.
28Ainsi, de manière comparable aux langues, le savoir scolaire n’est pas un contenu neutre et objectif mais sa conception, sa sélection, ses approches et ses contenus sont intimement liés au type de citoyen, aux modalités de citoyenneté et d’identité citoyenne qu’une nation vise à construire et à perpétuer parmi ses membres. Ils sont également liés aux statuts de ceux qui sont reconnus et valorisés comme les détenteurs du savoir légitime. Parmi les objectifs d’un système éducatif national, figure donc ce que Bernstein appelle « créer des identités fondamentales, culturellement spécifiques, notamment à travers les pratiques, rites, célébrations et emblèmes scolaires » (Bernstein, 2007 [1996] : 18).
29Pourtant, le bref prologue ethnographique du début de cette introduction nous permet d’entrevoir combien il ne s’agit pas d’une entreprise uniforme et consensuelle dans laquelle les acteurs éducatifs feraient corps autour d’une conception du savoir univoque et linéaire, décrétée par l’État et appliquée par ses agents, pour construire chez les élèves cette « identité fondamentale » et une citoyenneté uniforme et unifiée.
30Dans cette perspective, il est intéressant de nuancer l’expression employée par Forquin, citée plus haut, qui décrit le rôle d’un système éducatif national comme « contribuant à façonner la personnalité intellectuelle d’une nation ou d’une civilisation » même si la métaphore est séduisante à travers le sens littéral du verbe « façonner » qui désigne l’action de travailler une matière brute, a priori informe, pour lui donner une forme particulière12 au choix de l’artisan ou de l’artiste qui la travaille. Certainement, à travers ses politiques éducatives, une nation assigne à son système éducatif national le rôle de transmettre ou modeler un intellect collectif. Il paraît cependant difficile de penser qu’une telle entreprise crée effectivement un intellect collectif ainsi unifié et consensuel, même si on peut concevoir qu’il participe à donner une coloration particulière et des traits communs à l’identité intellectuelle, culturelle et sociale des individus qui ont été scolarisés.
31Au contraire, on voit dans le prologue comment ces acteurs éducatifs interprètent, s’approprient et transforment les directives du dispositif institutionnel scolaire de manières différentes, voire antagonistes, et non de manière unifiée. On voit également combien les conceptions du savoir scolaire et les mondes de références entre lesquels évoluent ces différents acteurs tantôt s’entrechoquent, entrent en compétition et s’affrontent, tantôt se rencontrent et fusionnent. En effet, il n’y a pas de séparation nette et clairement délimitée entre les tenants d’une conception technique et ceux d’une conception religieuse du savoir scolaire ; chacun de ces acteurs passe de l’une à l’autre, voire parfois les convoque simultanément comme le responsable administratif qui se réfugie derrière son discours pédagogique technique tout en étant, en même temps, séduit et entraîné par les incantations religieuses et la validation islamique du savoir scientifique scolaire. Ainsi, pour identifier les différentes conceptions du savoir à l’œuvre au sein du système éducatif national marocain et les formes de citoyenneté qu’elles véhiculent, il est important d’aller au-delà de l’analyse des textes curriculaires et de ce qu’ils révèlent de la façon dont l’État entreprend de transmettre et de perpétuer l’identité et l’appartenance nationales auprès des nouvelles générations.
32Pour cela, il est important d’observer et d’analyser sur le terrain, à l’intérieur des établissements scolaires publics, comment les acteurs de l’éducation interprètent, s’approprient, transforment, incarnent, voire rejettent et contournent, ces textes curriculaires et le savoir légitime qu’ils imposent. Il faut entrer dans les salles de classe, les couloirs, les bâtiments de la direction, les salles des professeurs et s’intéresser aussi bien aux interactions qu’aux modalités de transmission du savoir dans les cours des différentes langues.
33Dès 1983, Becker souligne l’intérêt de mener un travail ethnographique à l’intérieur des écoles comme une méthode d’observation utilisée autant par les sociologues que par les anthropologues, même si elle est restée longtemps le champ gardé de la psychologie. Il insiste sur l’importance et la finesse des analyses permises par l’ethnographie à l’école tout en déplorant sa « mauvaise réputation » auprès des institutions et des acteurs éducatifs (Becker, 1983 : 100). Il explique cette réputation par le fait que l’ethnographie prolongée dans un établissement scolaire permet de voir les acteurs à l’œuvre et en actes sur leur terrain quotidien et, par conséquent, de comparer ces actes à l’aune des discours et missions officiels de l’institution scolaire.
34De même, Payet, qui s’inspire du travail de Becker dans ce domaine et le développe, souligne l’importance de la démarche ethnographique d’immersion longue de l’observateur sur le terrain sans s’être enfermé au préalable dans des questions et hypothèses de recherche prédéfinies, ce qui lui permet au contact du terrain de « saisir une complexité en étant disponible aux différentes significations que les individus ou groupes donnent à la réalité qu’ils vivent et qui correspondent rarement aux catégorisations préétablies des chercheurs » (Payet, 2016 : 24). Il conçoit la « posture épistémologique de l’ethnographie » comme « une pratique de la disponibilité » où il s’agit de « laisser les questions de recherche se constituer peu à peu au cours de l’enquête » ; « laisser le terrain suggérer et modeler les sujets » pour « voir d’en bas, du dedans, et non pas en surplomb » (ibid. : 62). Selon lui, l’ethnographe est un « savant-artisan » (ibid. : 210). C’est en essayant de suivre une telle approche que j’ai mené mon propre travail de terrain dans les établissements scolaires.
35Entrer dans l’école par l’ethnographie permet donc d’observer, de décrire et d’analyser finement comment les acteurs adultes de l’école, enseignants surtout, traduisent, s’approprient, appliquent, négocient et transforment les directives et normes de l’institution qui leur sont imposées d’en haut par tout un appareil fait de supports essentiellement textuels par l’envoi des curricula, circulaires et documents officiels d’instructions et d’évaluation. Cela permet d’observer, dans leurs pratiques quotidiennes, comment ils leur donnent sens pour eux-mêmes et pour les autres acteurs que sont les élèves avec lesquels ils interagissent au quotidien et auxquels ils ont la mission de transmettre les savoirs scolaires officiels.
36Lorsque c’est possible, entrer dans l’école par l’ethnographie permet également d’observer, de décrire et d’analyser comment les élèves reçoivent ces normes et ces savoirs ainsi travaillés, aménagés, transformés et véhiculés par le truchement13 des adultes qui sont investis de l’autorité éducative institutionnelle ; comment eux-mêmes les traduisent, se les approprient, les négocient et les transforment. Pour autant, donner la parole aux élèves est plus difficile que de la donner aux adultes du fait de leur plus grand nombre, du collectif anonyme que représente souvent une classe et du fait de la différence d’âge entre l’ethnographe et les élèves qui crée une distance difficile à surmonter.
37Comme Payet la décrit pour promouvoir une ethnographie à l’intérieur de l’école malgré les résistances, voire l’hostilité, de l’institution et de ses acteurs, « l’approche ethnographique assume le bruit et le désordre du monde social » (Payet, 2016 : 219). On pourrait ajouter qu’elle tente d’incarner et de donner voix aux combats, dilemmes et drames quotidiens silencieux de ce monde social.
38Pour autant, il existe bien moins d’études portant sur ce qui se passe à l’intérieur des salles de classe des écoles dans les pays du monde arabe et en Afrique que dans les pays européens. Dans leur état des lieux détaillé de la recherche sur l’école en Afrique depuis les années 1920, Bonini et Lange (2016) identifient que les recherches existantes se focalisent surtout sur cinq catégories de thématiques récurrentes : « l’école coloniale » ; « l’école et le changement social » ; « l’école et les filles » ; « l’école et le changement politique » ; « l’école et la mondialisation ». Elles montrent comment, dans les études existantes, « les processus d’acceptation, d’acquisition et d’appropriation des savoirs sont appréhendés en termes de pouvoir et de changement social » (ibid. : 399). Ainsi, les savoirs sont-ils moins observés, décrits et analysés pour eux-mêmes qu’en tant que révélateurs de relations et de changements sociaux et/ou politiques extérieurs à l’école elle-même.
39Les rares études ethnographiques menées dans des lieux d’apprentissages en Afrique et dans le monde arabe portent surtout sur l’enseignement dans les écoles coraniques. Boyle (2006) lie ce centrage sur l’enseignement islamique à une volonté politique occidentale de s’enquérir du déploiement de l’Islam dans les pays arabes. Elle affirme aussi que les attentats du 11 septembre 2001 à New York ont contribué au développement des études sur ces écoles en s’interrogeant sur leur rôle éventuel de propagation de l’islamisme et du terrorisme islamiste (Boyle, 2006 : 478).
40À travers son étude comparative d’écoles coraniques à Chefchaouen au Maroc (Boyle, 2004 : 59 sq.), au Yémen et au Nigéria dans lesquelles elle a mené des observations des enseignements ainsi que des entretiens, Boyle montre comment ces écoles s’adaptent aux contextes locaux de modernisation de l’enseignement et comment elles répondent à une forte demande des parents pour procurer à leurs enfants une éducation religieuse et morale. La chercheuse décrit cependant très peu les pratiques d’enseignement. Son travail est surtout centré sur la volonté de l’auteure de dénouer les préjugés occidentaux sur les pratiques de mémorisation du Coran en montrant qu’il s’agit d’un processus d’incorporation (« embodiment », 2004 : 86 sq.) du texte sacré qui vise à l’acquisition des valeurs spirituelles et morales nécessaires pour devenir un bon musulman (ibid. : 85).
41Les modalités d’apprentissage coranique sont décrites avec une grande minutie par De Lavergne (2005) et Dupret et De Lavergne (2008) dans des kuttāb en Haute Égypte, dans une approche d’ethnométhodologie qui s’intéresse aux pratiques sensorielles d’enseignement et d’apprentissage du texte coranique, aux interactions entre le cheikh, ses assistants et les élèves, et au matériel d’apprentissage et de discipline comme les ardoises ou la baguette du cheikh.
42De même, les analyses de Brian Street sur les modalités d’acquisition de la littératie dans l’enseignement du Coran (Street, 1984 ; 1993 ; 2000) dans des écoles coraniques de campagne en Iran a été particulièrement inspirant pour ma recherche. Il en sera question à plusieurs reprises dans les chapitres consacrés à l’enseignement de l’arabe et du français dans les établissements scolaires publics marocains.
43Pouvoir faire un travail ethnographique dans ces établissements scolaires publics marocains est une opportunité rare qui m’a été accordée du fait de mon travail depuis plusieurs années comme formatrice d’enseignants indépendante au Maroc. Jusqu’à présent, très peu de recherches ont pu faire des incursions à l’intérieur de l’école publique dans les classes.
44C’est le cas d’études dans le domaine de la sociolinguistique qui s’intéressent aux pratiques langagières des acteurs de l’éducation. On peut citer par exemple la thèse de doctorat non publiée de Tamer (2003) qui porte sur l’école élémentaire, et plus récemment celle de Kaddouri (2017) qui a réalisé des observations dans un lycée public de la ville d’Aït Ourir. Cependant, il s’agit moins d’un travail ethnographique que de la constitution d’un corpus d’enregistrements destinés à analyser les pratiques langagières des élèves et des enseignants, ainsi que d’une étude quantitative par questionnaires sur les identités linguistiques de ces acteurs.
45Les premiers travaux proprement ethnographiques d’observation et de participation dans la vie des classes d’établissements scolaires publics marocains sont apparus très récemment avec l’ouvrage sociologique de Boutieri (2016). On peut également citer le travail de Mathias De Meyer qui a réalisé une ethnographie de longue durée dans une école en milieu rural dans la région du Haouz près de Marrakech pour sa thèse de doctorat14 qui porte sur l’école comme dispositif d’État et l’ordre scolaire.
46Ayant pu mener des observations participantes en classe avec enseignants et élèves ainsi que des entretiens, Boutieri a notamment mis au jour les stratégies de contournement (« circumvention », 2016 : 57 sq.) des enseignants et des élèves pour faire face aux contradictions linguistiques du système et a montré leur désillusion face à la mission d’intégration sociale et professionnelle de l’école. Elle montre également comment, dans ces conditions, l’école devient un foyer potentiel de contestation des discours officiels et de la légitimité politique et religieuse de l’État. Cependant, ses partis pris théoriques sont parfois empreints de militantisme, notamment dans sa dénonciation martelée du néolibéralisme qu’elle ne définit pas et celle du complot de l’élite francophone qui instrumentaliserait, selon elle, l’incohérence des politiques linguistiques pour maintenir sa domination.
47L’existence de ces deux travaux ethnographiques – celui de Boutieri réalisé dans les années 2012, celui de De Meyer en grande partie simultanément au mien – m’a permis de mener mon propre travail en dialogue quasi permanent avec les leurs.
48Le travail ethnographique pour cette recherche a été réalisé entre 2016 et 2019 dans neuf établissements publics marocains du primaire au baccalauréat, trois écoles primaires, trois collèges et trois lycées, dans trois localisations différentes : deux régions dépendant d’une même Académie régionale d’éducation et de formation (AREF) et une ville dépendant d’une autre AREF. Les périodes passées dans les établissements se sont étalées entre février et juin, plusieurs années scolaires consécutives. Il ne m’a pas été possible d’entrer dans des établissements lors des débuts d’années scolaires, sauf ponctuellement, du fait des délais pour obtenir les autorisations.
49Pour des soucis de confidentialité et d’éthique, les localités de petite taille dans lesquelles le travail ethnographique à l’intérieur des établissements a été réalisé ne seront pas nommées afin que ces établissements et les enseignants qui y travaillent ne puissent pas être identifiés. J’ai effectué mes séjours les plus longs dans trois établissements de la ville de Marrakech où, selon les données du HCP suite au dernier recensement de 2014 pour la région15, les langues les plus parlées au quotidien sont la darija (89 %) et le tachelhit (26 %). J’ai passé entre trois semaines et un mois consécutif, puis des séjours ponctuels, dans ces trois établissements (école A, collège A et lycée A). Ils sont situés tous les trois dans des quartiers populaires qu’on peut considérer comme faisant partie du centre-ville élargi. J’ai en parallèle fait un bref séjour de quelques jours dans l’école B d’une petite ville (moins de 20 000 habitants) dans une province de plaine proche de l’océan Atlantique.
50D’autre part, j’ai effectué des séjours répétés d’une à deux semaines dans des établissements (école C, collèges B et C, lycées B et C), d’une ville du Moyen-Atlas et sa périphérie. Dans ces localités, selon le rapport du HCP pour la région à partir du recensement de 2014, les langues les plus parlées sont la darija (85,1 %) et le tamazight (29,9 %). Le collège B et le lycée B se trouvent en centre-ville. L’école C et le lycée C sont dans un quartier populaire excentré, pauvre et récemment urbanisé. Le collège C est dans un autre quartier populaire encore plus périphérique, pauvre, réputé dangereux et marginalisé. Quelques visites à la journée ont aussi été organisées dans des établissements en zones périurbaines et rurales, notamment pour assister à des réunions pédagogiques ou lors de déplacements d’enseignants ou d’inspecteurs que j’ai accompagnés.
51Il m’a été possible de suivre le rythme scolaire journalier de chaque établissement où j’ai fait des séjours prolongés : l’arrivée le matin des élèves et des enseignants, le chant de l’hymne national et le lever du drapeau tous les lundis matin avant le début des cours et les vendredis après-midi ou samedis matin à l’issue des derniers cours, les mises en rang, les entrées et sorties des classes, les récréations et pauses déjeuner, les jeux et chants des élèves dans la cour, les discussions et collations des enseignants dans la salle des professeurs, quelques activités périscolaires, sportives ou théâtrales.
52Concernant les observations de cours, en primaire j’ai assisté à des journées entières de cours en suivant le rythme des classes. Pour l’amazigh, la directive officielle de l’enseigner au niveau du primaire n’était appliquée que dans l’école A en troisième année, à raison d’une heure et demie par semaine. Les directeurs des deux autres écoles m’ont annoncé que le choix était laissé libre à la direction des établissements et qu’ils n’avaient pas jugé bon de le mettre en place pour privilégier l’enseignement de l’arabe et du français. D’après une jeune enseignante, l’amazigh est cependant davantage enseigné dans les écoles rurales, notamment dans les zones montagnardes, où la population est majoritairement amazighophone.
53Dans les écoles primaires, la journée d’école de chaque classe est divisée en deux demi-journées, l’une avec la maîtresse16 dite « d’arabe » qui enseigne la langue arabe ainsi que les sciences et l’éducation islamique en arabe ; l’autre avec la maîtresse dite « de français » qui enseigne la langue française, d’un côté, et les mathématiques en arabe, de l’autre. Les enseignantes enseignent donc les mêmes contenus à deux classes du même niveau alternativement, l’une le matin, l’autre l’après-midi.
54Dans l’école A, j’ai suivi principalement deux classes de troisième année (équivalent du CE2), en alternant une semaine avec l’une, puis la suivante avec l’autre. J’ai ainsi accompagné leur rythme par demi-journée avec leurs deux maîtresses de français et d’arabe. Lorsque cela a été possible, j’ai également observé les cours d’amazigh. Cependant, l’enseignante concernée, vacataire qui ne venait que pour ces cours un jour par semaine, était souvent absente. Je n’ai donc pu assister qu’à deux de ses cours.
55J’ai suivi de manière plus fragmentée les cours d’une classe de quatrième année (équivalent du CM1) et une de sixième année17 suivant le même système de demi-journées en alternance avec leur maîtresse d’arabe ou celle de français. Je n’ai pas été autorisée à aller dans les cours de première et de deuxième années, la raison mise en avant par le directeur et les enseignantes étant que cela n’avait pas d’intérêt pour moi puisque ces enfants n’y étudiaient pas encore le français.
56L’école B dans la ville de plaine est une toute petite école composée de six petites salles de classe dans un bâtiment en longueur bordant une grande cour de récréation en terre battue, sans arbre, poussiéreuse et vide à l’exception du mât du drapeau national planté au milieu, le tout enceint d’un mur haut. Aucune relation n’a pu être développée ni même esquissée avec les enseignants ou les élèves, car chaque demi-journée, j’étais accompagnée du directeur ou de l’inspecteur jusqu’à l’intérieur des classes pendant les cours. Les cours d’arabe et de français auxquels j’ai assisté étaient clairement préparés et validés à l’avance par l’inspecteur. La maîtresse d’arabe de la classe de deuxième année, une toute jeune femme, très angoissée par ma visite flanquée de l’inspecteur et du directeur dans son cours, était vivante et pétillante et avait développé une belle complicité avec ses élèves. Le maître de français, la trentaine, bougon et clairement pas du tout motivé même en présence de ses deux supérieurs hiérarchiques, faisait réciter de la conjugaison à ses élèves de sixième année d’un air las en attendant notre arrivée, puis, à peine son cours fini ou parfois avant la sonnerie, attrapait ses affaires et repartait. Ces conditions de ma présence dans cette école étaient trop compliquées et pénibles pour tout le monde et n’ont donc pas été poursuivies sur une durée plus longue.
57L’école C est un îlot de propreté coloré et de calme studieux dans un quartier pauvre et délabré de la ville du Moyen-Atlas grâce aux initiatives de son directeur, de la communauté des parents d’élèves qu’il a fédérés autour de lui et de certains notables de la ville18. Dans cette école, j’ai suivi la même classe de cinquième année par demi-journées avec leurs maîtresses d’arabe et de français. Toutes deux m’ont chaleureusement invitée chez elles séparément. Elles étaient fières de leur école et de leur salle de classe fraîchement peintes et décorées, de leurs élèves et de travailler dans cette école réputée exemplaire.
58Dans le secondaire, j’ai suivi les cours de toutes les langues, arabe, amazigh, français, anglais et espagnol mais n’ai pas été conviée à assister aux cours d’autres disciplines. Les observations des cours ont été plus morcelées que dans le primaire du fait de l’organisation du temps scolaire : je n’ai pas pu suivre une seule classe plusieurs jours de suite puisque les élèves changeaient de discipline et donc de professeur chaque heure ou chaque heure et demie.
59D’autre part, contrairement aux écoles primaires, les bâtiments du secondaire sont beaucoup plus spacieux, vides et impersonnels, les effectifs des classes sont très chargés, contenant entre 40 et 50 élèves qui se déplacent par petits groupes d’une salle à l’autre entre deux cours. Les conditions d’observation étaient donc rendues plus difficiles et plus impersonnelles qu’en primaire. J’ai néanmoins pu alterner deux modes d’observation des cours de langues, soit en suivant le même enseignant plusieurs jours de suite avec ses différentes classes, soit en suivant la même classe dans ses différents cours de langues avec leurs enseignants à divers moments de la semaine. C’est ainsi que j’ai pu combiner, par exemple, l’observation d’un même enseignant de français dans toutes ses classes de chaque niveau et l’observation d’une même classe dans tous ses cours de langues avec ses divers professeurs. Cela m’a permis de comparer non seulement les pratiques d’enseignement et les relations d’un même enseignant face à ses différentes classes, mais aussi les pratiques, réactions et relations d’une même classe avec les différentes langues enseignées et avec les différents enseignants de ces langues.
60Au niveau du collège, j’ai suivi les cours d’arabe, français et anglais19 pour les niveaux des trois années appelées respectivement première, deuxième et troisième années20. Quant au lycée, j’ai observé les cours d’arabe, français, anglais et espagnol pour les niveaux des trois années appelées respectivement tronc commun (TC, équivalent de la seconde en France), première année Bac (équivalent de la première) et deuxième année Bac (équivalent de la terminale).
61Ce travail d’observation des cours de langues et du rythme de la vie scolaire au quotidien a été complété par des discussions et entretiens informels avec les directeurs d’établissements, les enseignants de langues, mais aussi, à la faveur des récréations, avec des enseignants d’autres disciplines dans la salle des professeurs, la cour ou les couloirs. Des entretiens semi-directifs, formalisés comme tels, ont été également menés à l’extérieur de l’école avec douze des enseignants dont j’ai observé les cours, deux inspecteurs (un d’arabe en primaire et l’autre de français en lycée) et quatre responsables de différentes AREF et délégations régionales. J’ai également mené, en complément, des entretiens avec six enseignants extérieurs aux établissements où j’ai mené mes observations.
62Avec les élèves, les interactions à l’intérieur des établissements ont surtout été collectives, soit à la faveur d’un remplacement qui m’était demandé par un enseignant ou à d’autres occasions fortuites. À l’extérieur de l’école, sept entretiens individuels ont été réalisés avec des élèves d’autres établissements que ceux de mes observations. Des informations ont également été recueillies de manière informelle dans des situations d’échanges avec des élèves en petits groupes ou en famille, sur une demi-journée ou plus, au gré des rencontres. J’ai également recueilli de manière informelle les propos de tout jeunes bacheliers rencontrés lors de stages d’intégration pour leur entrée à la faculté des sciences de Marrakech trois années successives21.
63Des entretiens formels ou informels avec d’autres types d’acteurs ont aussi été mobilisés, notamment avec des étudiants22, des parents d’élèves, des formateurs d’enseignants et des responsables des administrations scolaires rencontrés à la faveur de mon occupation professionnelle de formatrice. Ont également été mobilisés des verbatim d’entretiens réalisés pour un projet de recherche précédent avec de jeunes diplômés, des employeurs marocains et des responsables institutionnels en lien avec l’insertion professionnelle (voir Pellegrini, 2016 et 2018).
Organisation de l’ouvrage
64Cet ouvrage est composé de cinq parties qui sont en dialogue les unes avec les autres. La structure de l’ensemble fonctionne en mouvement descendant depuis le haut des sphères politiques jusqu’à l’intérieur des salles de classe, de manière à aborder les questions de recherche d’abord au niveau des politiques publiques et des politiques linguistiques éducatives (première partie), puis au niveau de leurs répercussions, appropriations et traitements dans différentes sphères de la société civile (deuxième partie), avant d’entrer dans l’analyse ethnographique dans les établissements, d’abord dans les différents espaces scolaires (troisième partie), puis dans les cours de langues : langues nationales (quatrième partie), et langues étrangères (cinquième partie).
65La première partie présente et analyse les politiques linguistiques éducatives qui sous-tendent les orientations curriculaires du système éducatif public marocain précédant les réformes qui sont actuellement en cours de mise en œuvre depuis l’année scolaire 2020-202123. Elle montre comment ces politiques ont été et sont fabriquées, négociées, transformées en fonction des enjeux et des positionnements antagonistes qu’elles incarnent pour les instances politiques en présence. En commençant par présenter la situation actuelle et en faisant un retour en arrière sur l’évolution historique de ces politiques depuis la période du protectorat français, cette partie met au jour la continuité et la centralité que représente la problématique des langues dans ces enjeux, dans ces positionnements et dans les discours fondateurs sur la nation et l’identité nationale depuis l’indépendance. Si l’on accepte la métaphore spatiale d’un système fonctionnant de manière verticale de haut en bas, il s’agit des décisions élaborées et imposées depuis le haut du système par ceux qui sont aux postes de commande, qui, eux-mêmes, interagissent avec les partis au pouvoir, se positionnent, négocient et s’adaptent en fonction des « agendas » différents qui les entourent et les concernent, qu’ils y adhèrent ou non. La littérature académique historique et politique sur ces sujets y est mobilisée et discutée.
66Depuis ces hauteurs du monde politique où sont tissées et retissées et d’où émanent les politiques éducatives, la deuxième partie entame un parcours descendant en s’intéressant aux discours et aux évaluations du système éducatif face à l’application par l’école de ces politiques éducatives et linguistiques. Y sont mis en regard et en dialogue les discours et évaluations officiels des instances nationales et internationales avec ceux qui circulent dans différentes sphères de la société civile marocaine : les médias et la presse, des citoyens – employeurs, familles, étudiants, intellectuels et artistes – et enfin avec ceux des acteurs de l’intérieur de l’école eux-mêmes – directeurs d’établissements, enseignants, élèves et parents d’élèves. Ces aspects sont mis en dialogue avec la littérature sociologique et sociolinguistique existante.
67Amenés ainsi sur le seuil de l’école, dans la troisième partie nous en poussons la porte et y entrons. Cette partie présente la démarche et la posture ethnographiques adoptées pendant mon enquête de terrain dans les établissements en dialogue avec la littérature sur les ethnographies scolaires. D’autre part, les établissements et/ou les classes où j’ai été autorisée à me rendre ayant souvent été sélectionnés par les responsables administratifs pour leur « exemplarité », une première analyse est faite pour identifier les critères considérés comme représentant la norme et « l’exemplarité » dans le système éducatif public marocain. Ces critères sont analysés au regard de la littérature anthropologique et ethnographique sur les conceptions du savoir et les modalités de transmission du savoir dans des contextes où enseignement islamique traditionnel et enseignement scolaire public national cohabitent dans des pays en situation postcoloniale. Cette mise en perspective est particulièrement pertinente pour comprendre l’entrelacement entre des conceptions du savoir s’incarnant dans des mondes de références aussi distincts et, en apparence, antinomiques que ceux présents dans le prologue ethnographique du début de cette introduction. Elle permet également de souligner combien il est important de prendre en considération l’histoire culturelle et religieuse du Maroc pour comprendre certains aspects de ce qui se joue dans son système éducatif.
68La quatrième partie, sur l’enseignement des langues nationales, et la cinquième partie, sur l’enseignement des langues étrangères, constituent un diptyque, chacune s’intéressant en miroir aux spécificités de l’enseignement des différentes langues dans les salles de classe et suivant la même organisation, les mêmes questionnements et les mêmes démarches afin de pouvoir les comparer. On retrouve pour chaque langue les questions de recherche présentées plus haut : comment chaque langue est-elle enseignée ? Quelles représentations de cette langue sont véhiculées par ces enseignements ? Quelles performances dans cette langue sont valorisées chez les élèves par les enseignants ? Comment se construit le savoir dans cette langue et quel savoir légitimé et valorisé est transmis ? Quel rapport au monde, quels mondes de références et quelle vision du monde, de soi et de l’autre sont développés dans cette langue à travers les cours ou comment cette langue est-elle construite par l’école comme medium pour dire le monde ? Quelle(s) forme(s) de citoyenneté et d’identité citoyenne sont promues dans l’enseignement de cette langue ? À la lumière des analyses sur l’enseignement de l’arabe et du français, une nouvelle terminologie est proposée, celle de littératie identitaire qui se distingue d’autres formes parmi lesquelles celle de littératie pragmatique mobilisée pour décrire les modalités d’enseignement des langues anglaise et espagnole.
Notes de bas de page
1Tous les prénoms dans cet ouvrage ont été modifiés.
2Ce surnom désigne un homme originaire du Doukkala, région de plaines agricoles bordée par l’océan Atlantique.
3Conseil supérieur pour l’éducation, la formation et la recherche scientifique (CSEFRS), 2015, « Vision stratégique de la Réforme 2015-2030 : pour une école de l’équité, de la qualité et de la promotion », [http://www. csefrs.ma/publications/vision-strategique-de-la-reforme/?lang=fr], consulté le 20 janvier 2023.
4Voir les célèbres analyses de Goffman (1983) sur les manières dont les structures sociales sont transformées par les interactions de leurs acteurs au quotidien.
5Par souci de lisibilité, la suite de ce travail utilisera la translittération simplifiée de ce terme (« fusha ») qui se retrouve fréquemment dans les textes ne relevant pas de la linguistique.
6De même, on utilisera par la suite la translittération simplifiée « darija » pour ce terme.
7Il sera moins question de la place de l’espagnol et du protectorat espagnol dans ce travail pour lequel la recherche de terrain a surtout été menée dans des régions du royaume autrefois sous protectorat français.
8Voir Abbassi, 1977 ; Grandguillaume, 1983 ; Moatassime, 1992 ; Ennaji, 2006 ; Benítez Fernandez M., Miller C., Jaap de Ruiter J., Tamer Y. (dir.), 2013, etc.
9De rares établissements dans le royaume proposent à leur place l’allemand ou l’italien.
10Dans ce travail, la notion d’idéologie linguistique sera mobilisée pour désigner un ensemble de représentations portant sur les différentes langues en présence, leurs fonctions, leurs statuts, leurs valeurs et leurs mondes de références respectifs, cet ensemble étant construit et érigé en système de pensée légitime par des personnes ou des institutions faisant autorité, et étant accepté, approprié et intériorisé par une grande partie de la communauté. Voir notamment Cameron, 2006.
11Bernstein, 2007 [1996] : 18 : « Dans toutes les sociétés modernes, l’école est un dispositif crucial d’écriture et de réécriture de la conscience nationale et celle-ci est faite de mythes concernant l’origine, les réussites et la destinée de la nation. […] Les nationalismes sont inséparables de l’État. »
12Voir les définitions du verbe « façonner » proposées par le CNRTL : [http://www.cnrtl.fr/definition/ fa%C3%A7onner], consulté le 20 janvier 2023.
13Le terme truchement est choisi ici pour souligner le fait que les acteurs adultes de l’école – directeurs et enseignants – sont les interprètes ou les traducteurs de cette norme et non pas les simples transmetteurs neutres de celle-ci comme semblent les concevoir certaines analyses qui ne s’intéressent qu’aux dimensions structurelles et étatiques de l’institution scolaire et à un fonctionnement de transmission qui ne serait que vertical, fonctionnant de haut en bas uniquement, sans déperdition ni transformation des contenus.
14Thèse intitulée « Tachraft, Écritures et ordres d’État dans une école de village au Maroc ». De Meyer l’a soutenue en mars 2019 à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), Belgique.
15Haut commissariat au Plan (HCP), [https://www.hcp.ma/region-marrakech/Langues-locales-utilisees-RegionMarrakech-Safi-selon-RGPH-2014_a118.html], consulté le 20 janvier 2023.
16Peu de maîtres exercent dans les écoles primaires visitées. J’ai été conviée à suivre le cours de l’un d’entre eux uniquement dans l’école B.
17Il s’agit de la dernière année du cycle primaire qui dure six ans.
18Nous reviendrons sur ce qui a amené à la transformation de cette école dans le chapitre vi.
19L’anglais est commencé en dernière année de collège (3e) comme langue étrangère. Il est ensuite poursuivi par les élèves pendant leurs trois années de lycée ou remplacé par l’espagnol (dans de très rares établissements par l’allemand ou l’italien).
20Contrairement au système français, le collège au Maroc comprend trois niveaux et non quatre.
21Rentrées universitaires 2015-2016 ; 2016-2017 ; 2017-2018. J’ai animé un focus groupe avec une dizaine d’entre eux.
22Au début de ma thèse en novembre 2015, j’ai organisé un focus groupe avec neuf étudiants auxquels j’enseignais le français.
23Voir les nouveaux curricula sur le site du ministère (en arabe) : [https://www.men.gov.ma/Ar/Documents/ NCurrPrim29072020.pdf], consulté le 20 janvier 2023.
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