Chapitre 9 – « Il faut tout un village (chrétien)… » et un marché musulman
Être mère à la périphérie de Khartoum
p. 139-153
Texte intégral
1Dans le Soudan pluraliste et mondialisé d’aujourd’hui, les modèles et les valeurs relatifs à la parentalité sont multiples et ne peuvent pas être réduits aux normes culturelles et religieuses d’une société à dominante arabe et musulmane. Dans le cas examiné dans cette contribution, l’intégration capitaliste genrée recoupe de manière créative un mouvement autochtone patriarcal parmi les migrants nouba qui vivent à Dar es-Salaam, un quartier aménagé pour la réinstallation de déplacés internes, à la périphérie de Khartoum. En modifiant le proverbe africain « Il faut tout un village pour élever un enfant », notamment utilisé par Hillary Clinton (1996) pour exprimer que la collectivité et l’entourage d’un enfant sont aussi importants que ses parents, j’entends montrer que le marché est une nouvelle ressource contestée, mais nécessaire qui doit être soigneusement intégrée aux valeurs anciennes de la collectivité relatives à la parentalité. Tandis que le modèle capitaliste/libéral met l’accent sur l’autonomie et l’individualisme des mères pour assurer le bien-être des enfants, le modèle autochtone et dominant reconnaît une valeur à la fois aux modèles collectifs coutumiers et, désormais, à la communauté chrétienne. Dans ce contexte, la parentalité est un dispositif qui se déploie à l’intersection de ces deux sphères contradictoires de valeur genrée. S’appuyant sur un dispositif moral et économique inédit, les mères nouba moro ayant des revenus propres sont plus susceptibles de demander le divorce en faisant appel aux tribunaux islamiques. Ce phénomène radical et stigmatisant va à l’encontre des normes morales de la communauté chrétienne à laquelle ces mères appartiennent ; leur identité ethnique en tant que Nouba Moro étant en grande partie construite en opposition à la culture soudanaise majoritairement musulmane et supposément arabe ; les Moro percevant en effet cette dernière comme ayant détruit leur identité et leur mode de vie antérieurs.
2Cette contribution examine comment les femmes migrantes moro chrétiennes originaires des monts Nouba, vivant dans la pauvreté à la périphérie de la capitale, entrent dans une activité rémunérée pour la première fois et fournissent une aide financière à leurs familles, une tendance qui menace les masculinités des Nouba Moro associées à leur passé de fermiers. De telles tensions entraînent souvent la séparation des familles et soulèvent des questions relatives à la garde, la protection et le soutien des enfants. Étant donné que le divorce par les institutions coutumières et chrétiennes ne favorise pas le droit des femmes moro à élever leurs enfants indépendamment de leur père, un grand nombre d’entre elles se tournent vers la loi islamique soudanaise pour obtenir un divorce assorti de certains droits pour elles et leurs enfants, à savoir la pension alimentaire, nafâqa, et la garde pendant un certain temps. En outre, ces pratiques s’accordent au mode de vie de ces mères, travaillant le plus souvent comme vendeuses de thé. Grâce à ces revenus plus importants, elles peuvent investir dans l’éducation de leurs enfants, mais aussi dans une maison plus saine, des sols carrelés, des réfrigérateurs et des climatiseurs, de meilleures compétences en arabe, un plus grand savoir-faire urbain et une plus grande indépendance financière et sociale. Cependant, le sentiment de honte qui procède de ces pratiques rend nécessaire la justification de ces dernières par les récits de ces mères, comme permettant de mieux protéger et élever leurs enfants ; montrant ainsi que la valeur du collectif est toujours présente, bien que le marché soit nécessaire pour investir dans le collectif.
3Ce texte est en grande partie ethnographique, basé sur des données recueillies lors de recherches doctorales sur le terrain entre 2011 et 2014, et s’appuie sur des arguments avancés dans au moins deux chapitres de ma thèse de doctorat (2017). Les données ethnographiques comprennent des observations de pratiques, des résumés de modèles basés sur mes conversations et des entretiens menés auprès d’un large éventail d’acteurs. Ceux-ci incluent des femmes et des mères moro, mais également des maris, des personnalités religieuses, des juges étatiques, des fonctionnaires de tribunaux coutumiers (« Native Administration »), des familles, etc. Ma thèse portait principalement sur les femmes moro chrétiennes, la morale de genre et la politique autochtone, et je m’intéresse ici aux femmes qui s’écartent du modèle normatif incarné par les valeurs morales du projet collectif religieux et autochtone. Ces dernières estiment que la dignité de mère se justifie non pas en termes de mérite religieux, mais en raison de leurs capacités d’accumulation afin de mieux protéger et subvenir aux besoins de leurs enfants.
4Dans la section suivante, j’expliquerai en quoi le revenu du ménage relevait jadis du domaine masculin tandis que le rôle parental relevait incontestablement de la compétence de la « maison » du clan paternel – les parents, l’oncle et le grand-père d’un enfant. Je soutiendrai qu’une crise morale s’ensuit à Khartoum, où les femmes accèdent à davantage de stabilité que les hommes et deviennent parfois les principales sources de revenus. Ce changement a bouleversé la différenciation des rôles de genre, des mariages et des relations de clan. Il remet également en question l’abandon moro de l’accumulation et du marché, associé négativement aux valeurs arabo-musulmanes. Je décrirai ensuite comment les mères moro utilisent les systèmes de valeurs pluriels dont elles disposent – le mouvement autochtone, l’église et le marché – afin de justifier leurs choix concernant le mariage et le divorce, les moyens de subsistance et la maternité. Enfin, je présenterai un récit de divorce qui repose sur des motifs relatifs à l’éducation et à la prise en charge de l’enfant ainsi qu’au besoin d’un revenu pour le faire. La loi islamique permet à ces femmes d’obtenir la garde de l’enfant alors que selon la coutume moro, elles perdraient la garde au profit du clan du mari. Il en découle que les mères divorcées ne doivent pas être considérées comme des parents uniques aux prises avec des maris violents, mais davantage comme l’avant-garde d’un nouveau modèle moral, axé sur le bien-être de l’enfant et sur l’avenir de leur communauté morale.
Une crise de la moralité des genres dans la ville
5Lors d’une visite rendue à une organisation à but non lucratif émanant de l’Église soudanaise du Christ et venant en aide aux femmes nouba moro « déshéritées », il est apparu clairement, au cours d’une discussion, que beaucoup d’entre elles avaient fait l’expérience d’un mariage difficile :
« Il y a trente ans, nos problèmes ont commencé et, maintenant, nous vivons toute notre vie avec des problèmes. [Avant] vous ne pouviez plus vous marier à nouveau, et vous ne pouviez pas vous plaindre que votre homme ne vous donne pas d’argent. Nous encourageons maintenant les femmes à s’adresser au gouvernement et à réclamer leur argent, à prendre de l’argent à leurs anciens maris pour élever leurs enfants ».
« Oui, nous voulons cela, toutes les femmes disent que les hommes ne leur donnent pas d’argent ».
« Nous avons besoin de la loi, car elle constitue une protection supplémentaire pour les femmes qui veulent seulement élever leurs enfants ; elles travaillent trop dur et seules tandis que les hommes travaillent pour dépenser leur argent ».
« Les musulmanes ont une protection de ce genre ».
« Oui, même nos femmes y vont [à la cour] ».
6Ces déclarations se fondent sur la conviction que les femmes peuvent faire appel à la loi étatique soudanaise pour obliger leurs maris irresponsables à les soutenir et à subvenir aux besoins de leurs enfants. Beaucoup de ces femmes ont obtenu le prononcé d’un divorce devant les tribunaux étatiques et y voient là une solution à leurs mésaventures, nécessitant l’emprunt du langage des « musulmans » et des « Arabes », du gouvernement et de l’accumulation monétaire. Deux femmes parmi elles désavouaient ce procédé, mais pour des raisons différentes :
« Non, non. Nous voulons encourager les chrétiennes qui ont des problèmes avec leurs hommes à amener ces derniers à contribuer davantage pour leurs enfants ».
« Les hommes ne s’intéressent pas à ce que dit l’Église, vous devez leur extirper vos droits vous-même. Les femmes devraient en appeler à l’omda1 et y attraire les hommes selon le droit [coutumier] ».
7La première situe manifestement la solution dans l’Église, alors que la seconde en appelle au droit coutumier en suggérant de porter la question devant l’omda, référant représentant leur commune d’origine dans les monts Nouba.
8La discussion et les débats l’animant digressèrent peu à peu pour porter sur le prix élevé des vêtements pour enfants et des visites à l’hôpital, pour finalement revenir sur la question du mari et de l’argent, mais cette fois-ci en introduisant la notion de đǝbwa « amour », qui renvoie à un nouveau discours chrétien. À ce propos, l’une des femmes présentes a déclaré vouloir vivre séparée de son mari et élever seule ses cinq enfants. L’une des femmes présentes répondit :
« Vous devriez abandonner votre mari et rester seule avec vos enfants. Mais je ne sais pas, si vous ne l’aimez pas, vous devriez simplement divorcer ».
« J’en suis venu à le haïr à cause de son attitude et parce qu’il me frappe, ne me donne pas d’argent pour les enfants, alors je ne le veux plus du tout ».
9J’ai à mon tour mentionné le fait que dans mon pays, même en l’absence de violence, un couple peut divorcer sur la base d’une « perte d’amour » (différences irréconciliables). Les femmes se sont demandé si cela se pouvait. « Non, comme ça ? Sans raison ? Sans que mon mari me fasse mal ? Je ne divorcerai pas ». Mais d’autres avaient un avis différent : « Vous avez assez de nourriture à la maison, mais il n’y a pas d’amour, dans ce cas vous divorcez » et « Oui, l’amour est le plus important ». La première position privilégie la valeur de l’arrangement domestique et la seconde l’importance de l’amour. J’ai fait valoir ailleurs (Lamoureaux, 2017) que différents registres sont monopolisés pour briser ou maintenir le mariage – l’un de ces registres réside dans les pratiques coutumières par lesquelles les femmes participent à l’unité économique du clan de leurs maris ; un second convoque le discours de « l’amour », de la tolérance, du pardon et de la religiosité dans l’Église et un troisième se concentre sur la valeur du revenu, de l’économie monétaire, qui est indicielle de la société dominante arabo-musulmane dans laquelle ces femmes nouba moro vivent.
10Il ressort de ces débats que ces femmes posent un regard novateur sur l’échec des arrangements familiaux découlant de problèmes financiers, de violences physiques et de la perte d’affection. Il existe différentes autorités vers lesquelles se tourner pour résoudre ces différentes formes d’échecs : l’Église, l’omda ou le tribunal étatique. Ces femmes en viennent à se demander si le divorce est justifiable hors de l’occurrence de la violence, si la perte de l’amour peut aussi constituer une raison valable. Mais, dans tous les cas, il apparaît incontestable qu’élever des enfants nécessite des revenus suffisants. Néanmoins, l’existence d’une source de revenus pose d’importants enjeux puisque tout revenu court le risque d’être indexé sur l’immoralité et la perte de pureté ethnique. Les femmes nouba moro sont ainsi confrontées aux changements du passé, quand elles vivaient dans les montagnes, et à l’immoralité perçue du présent :
« Il y a beaucoup de mauvais comportements aujourd’hui ; les femmes entretiennent des liaisons avec les hommes, elles travaillent et leur donnent de l’argent. En conséquence, les hommes se font entretenir par les femmes ».
« C’est seulement le cas ici à Khartoum, mais dans les montagnes, ça ne se passe pas comme ça ».
« Dans la “patrie” balad, il vous suffit de cultiver et de nourrir vos enfants ».
11Bien que le divorce ait été pratiqué par le passé, il est perçu aujourd’hui comme étant en forte augmentation et comme une catastrophe culturelle récente, corrélative à celle des revenus. La moralité chrétienne qui prohibe le divorce s’aligne sur la description d’un passé moro perçu comme immaculé qui a vraisemblablement été peu confronté aux pratiques de divorce2.
12La principale source de revenus de ces femmes, dans leur jeunesse, provenait de la terre. Les monts Nouba sont une étendue de massifs rocheux (48 000 km2) située à 450 km au sud-est de Khartoum, dans l’État du Kordofan méridional, qui borde le nouvel État du Sud-Soudan. La cinquantaine d’ethnies « nouba » auto-identifiées de cette région se décrivent comme étant des cultivateurs africains noirs, par opposition aux « commerçants » arabes ou jallāba qui ont pénétré dans les monts au cours du XXe siècle, apportant des marchandises exotiques et commerçant en devise dans ce qui n’était jusqu’alors qu’une économie agricole. L’islam a également suivi ces routes commerciales et les Nouba se sont islamisés dans certaines régions, christianisés dans d’autres, tout en pratiquant l’animisme. Pour les Nouba Moro, le christianisme est particulièrement puissant et inclusif. Il participe à une construction identitaire en opposition à celle de l’identité arabo-musulmane qui domine la vallée du Nil, à savoir celle des responsables gouvernementaux et de l’économie de marché. Autrefois, la monnaie trouvait un usage justifié dans des aspects spécifiques et limités de la vie économique, notamment dans le cas du đwala, dot de vaches à la « mariée », à savoir l’achat monétaire de vaches en vue de constituer la dot de mariage (đwala) qui sera transférée du clan de l’époux à celui de la « mariée » (Rottenburg, 1991). Les jeunes hommes, de la même génération que le mari, allaient à Khartoum gagner de l’argent nécessaire pour acheter des vaches. Une fois le đwala donné, la mariée emménageait dans la « maison » du clan du mari et portait des enfants qui étaient élevés dans le clan de leur père. De même, ces femmes mariées brassaient de la « bière de sorgho » merissa en paiement du travail agricole effectué dans les champs de leurs maris – ce que Rottenburg appelle le « secteur de la bière » – et contribuaient à la production agricole du ménage patriarcal. Il s’agissait là d’un système de revenu qualifiable de « réciprocité généralisée/absolue ». Mais suite aux conflits armés récurrents, l’accès aux monts Nouba devint de plus en plus difficile et toutes ces populations finirent par s’installer à la périphérie de la capitale, Khartoum. Dans ce contexte, un migrant travaillant dans la ville « avec les Arabes » en venait à consommer de la bière sans que ce paiement bénéficie à une économie circulaire. Le problème moral que pose cette nouvelle pratique réside précisément dans le fait que la perte de revenu consécutive à l’achat de bière échappe au « secteur de la bière », au système de réciprocité généralisée.
13La monnaie est liée au marché, à l’impureté, au fait de « vendre son âme » aux « Arabes » lëmu, hommes comme femmes. Comme me l’a dit un pasteur appelé Younis, officiant à Dar es-Salaam et appartenant à l’Église épiscopale du Soudan :
« Aujourd’hui, tout n’est qu’argent. Lorsqu’une femme rend visite à ses amies, elle constate la différence avec son foyer. Elle développe des ressentiments et s’adresse à son homme en exigeant des changements : “Je veux, je veux, je veux”. L’homme dit : “D’où ?”. Elle dit : “Tu n’es pas un homme, alors pourquoi vis-tu avec moi ?” ».
14En ville, il n’y a pas de « secteur de la bière », mais de la monnaie et du travail, bien que le système de réciprocité généralisée se maintienne en de nombreux domaines3. En outre, les femmes ont plus de facilité à obtenir un travail régulier et non qualifié que les hommes, ce qui signifie qu’elles ont souvent un revenu plus stable et parfois supérieur, inversant le rapport à l’œuvre dans les monts Nouba où « en vertu du contrat de mariage, le travail [de la femme] était mis à la disposition de son conjoint » (Rottenburg, 1991). Alors que « la maîtrise du travail » et « la réussite agricole étai[en]t des valeurs centrales de la culture [moro] autour [desquelles] tous les rituels étaient orientés » (id.), les hommes qui se débattent pour gagner un revenu sont souvent aujourd’hui qualifiés de « paresseux » et de « faibles ». Bien que certains hommes pratiquent toujours l’agriculture saisonnière, la plupart demeurent résidents à Khartoum, où ils ne parviennent qu’à obtenir des postes instables dans des métiers manuels à faibles revenus. Tandis que les hommes luttent pour subvenir aux besoins de leurs familles, le modèle de mariage et de subsistance hérité des monts Nouba n’est plus fiable en tant que source de valeur morale et de sécurité économique.
15Le célèbre chanteur moro, Jon Paja, chante un certain nombre de chansons décrivant la misère actuelle, déplorant que la pauvreté l’ait obligé à travailler pour les Arabes :
« Quel genre de pauvreté me stressait et m’appauvrissait et m’aveuglait à ce point ! Elle me rendait pauvre et déraisonnable au quotidien. Elle m’obligeait à quitter ma maison et m’a envoyé vers le méchant peuple.
Je baigne leurs enfants et leur donne du confort pendant que mes enfants restent dans la rue. Ils cherchent de la nourriture dans les rues dans des tas de déchets. Quand vous les voyez de loin, vous lisez sur leur visage la pauvreté de leur père […]
Vous voyez et connaissez bien les rusés [les Arabes], ils sont assis sur des chaises, tandis que nous sommes sous leurs pieds avec des balais. Pendant combien de temps ferons-nous leur ménage ? Je m’adresse au [Moro] qui s’est égaré. Ramène ton âme perdue, ramène-la à la maison parmi les [Moro] […] ».
16La chanson est un appel au changement par le biais d’un effort unifié visant la jeunesse et l’éducation, effort qui nécessite un soutien matériel et économique de la part des parents.
Du « secteur de la bière » aux valeurs du marché, l’éducation et l’avenir
17James Soliman, un juge chrétien de la localité de Heiban dans les monts Nouba, a déclaré qu’en comparaison avec les autres groupes nouba, les femmes moro jouent un rôle déterminant en ce qu’elles travaillaient déjà traditionnellement à la ferme, dans le « secteur de la bière » et au foyer :
« Lors d’une récente célébration à l’église, tous les cadeaux ont été offerts par des femmes ; la femme moro est une donneuse, elle donne toujours. Pour les hommes, je ne sais pas s’ils travaillent ou non, mais il est clair que les femmes donnent plus et qu’elles sont actives. Les hommes n’avaient rien. Les femmes moro travailleront même si ce n’est pas le cas des hommes4 ».
18Au début des années 1980, le succès économique des Moro reposait sur un principe causal sans corrélation aucune à une évaluation éthique (Rottenburg, 1991), ce dernier terme faisant référence à un processus constant de justification. Cependant, à compter de 2010, le principe éthique devint une préoccupation primordiale, tant positivement que négativement : positivement parce que l’argent pouvait se voir justifié par un individu comme étant « béni » par Dieu et négativement, car cela pouvait également signifier vendre son âme aux « Arabes », cette ambivalence éthique valant tant pour les femmes que pour les hommes. Cependant, les enjeux sont particulièrement importants pour les femmes, leur statut social et leur valeur vis-à-vis de leur communauté ainsi que de leurs maris dépendent étroitement de leur capacité à gérer leurs revenus de façon éthique. Accumuler de la richesse, tout en transigeant dans leurs rapports avec les maris, les enfants et l’Église, requiert une capacité de manœuvre constante tenant compte des valeurs chrétiennes ou de la parenté. Cette description vise à illustrer ces tensions et les pratiques des femmes en matière de gestion de valeurs apparemment contradictoires.
19La profession la plus courante pour les femmes nouba moro est celle de femme de ménage. Les femmes moro exercent généralement cette profession auprès des familles musulmanes soudanaises appartenant à la classe moyenne ou même inférieure. Ce travail est considéré comme dégradant : « on le fait seulement pour l’argent », « on met nos enfants à l’école ». Certaines sont en mesure de travailler comme femmes de ménage dans des églises ou des institutions apparentées, des cliniques médicales ou des écoles. Les femmes de ménage travaillent souvent auprès de la même famille pendant des années, voire des décennies. Très souvent, les femmes moro du même clan et du même quartier nettoient les maisons voisines d’une même rue, partant travailler le matin dans les transports en commun et rentrant ensemble du travail. La constitution de ces petits groupes évoque un dispositif issu des monts Nouba, l’institution du nafir ou « groupe de travail » du nord du Soudan par laquelle s’organise le travail pour le défrichage des champs. Grâce à des réseaux de connaissances, les membres de la parenté venant des monts sont intégrés au même groupe de travail.
20Néanmoins, même si le travail de ménage est toujours très demandé, il est difficile de trouver un emploi à temps plein et beaucoup de femmes se plaignent du fait que leurs employeurs n’y ont recours que deux ou trois fois par semaine. Ces travailleuses sont donc souvent éconduites à leur arrivée chez l’employeur, leur service n’étant pas nécessaire ce jour-là. Ces femmes perdent ainsi des sommes conséquentes en transport en commun sans aucune possibilité de remboursement. Les salaires étaient en outre très bas lorsque les recherches de terrain ont été menées : environ 20 livres la journée de travail (soit 4 euros). De surcroît, des antagonismes relationnels au sein d’une nafir résultent souvent de la concurrence rude qui règne sur ce marché du travail. Les femmes moro considèrent en effet ce marché particulier comme étant « respectable » dans la mesure où il satisfait à la structure antérieure du travail et des relations de parenté en milieu urbain. Il présente en outre un avantage significatif pour ces femmes chrétiennes actives, puisqu’il ne les place pas dans la rue même, mais au sein d’une maison. Enfin, la plupart des employeurs se montrent indulgents quant au maintien du dimanche comme jour chômé, permettant à ces femmes de se rendre à l’église.
Fig. 1 : Une « dame de thé » moro, Omdurman.

Lamoureaux, 2011
21Contrairement aux femmes de ménage, qui parviennent à contrebalancer leur sentiment de honte de « servir les Arabes » par le maintien de leur respectabilité parmi les Moro, les sītt ash-shāī « dames de thé » font l’objet du mépris de la société moro dans son ensemble. L’établissement d’une telle entreprise nécessite un capital initial d’environ 1000 SDG (soit 125 euros). Ce premier obstacle surmonté, les dames de thé s’assurent un revenu mensuel quatre fois supérieur à celui des femmes de ménage, au prix d’importantes concessions sociales. Elles sont moins susceptibles de pouvoir se rendre à l’église étant donné que le dimanche est un jour ouvrable de la semaine musulmane et le marché est ouvert aux affaires. Si elles se rendent néanmoins à l’église, alors elles ne pourront probablement pas aspirer à la qualité de « mère » d’église, dont l’investissement spirituel exige une réputation de « pureté ». Contrairement aux femmes de ménage, les dames de thé sont des entrepreneurs exerçant sur la place du marché à la manière spécifiquement et prétendument « arabe » de « faire de l’argent » avec des ambitions commerciales. Ces dames de thé sont ainsi parfois qualifiées péjorativement de « prostituées » parce que l’exercice de leur profession est confiné à l’espace public et les conduit inévitablement à dialoguer avec leur clientèle à forte prédominance masculine. On dit d’elles qu’elles « discutent avec des hommes » et maîtrisent en conséquence parfaitement l’arabe. Figures de l’espace masculin du marché, usant de la langue des commerçants arabes et accumulant de l’argent sur le marché, ces femmes sont stéréotypées comme ayant perdu leur pureté. Néanmoins, en raison de leur plus grand pouvoir d’achat, elles ont tendance à accéder à une meilleure qualité de vie, à acquérir de plus belles maisons disposant de cours carrelées, de téléviseurs, de cuisinières, de canapés et de plats de service. Elles se trouvent également en mesure de payer les frais de scolarité et les vêtements de leurs enfants avec plus de facilité que les femmes dont le revenu repose sur le ménage ou l’époux. L’autosuffisance financière de ces dames de thé se répercute également sur leur vie personnelle et intime. Un grand nombre d’entre elles sont divorcées après avoir trouvé le courage et les ressources nécessaires pour rompre un mariage abusif.
22Brasser de la bière merissa et la vendre au comptant est encore un autre travail qui porte des connotations négatives, bien que pour des raisons différentes. Au début des années 1980, ce travail était considéré comme « mauvais » parce qu’il substituait au principe de réciprocité la rétribution par l’argent et parce que les brasseurs étaient généralement des femmes dont le mari était décédé ou absent (Rottenburg, 1991). Aujourd’hui, le brassage est stigmatisé dans la mesure où les femmes se trouvent à commercer avec des hommes consommant de manière excessive et se comportent « mal », c’est-à-dire de façon « non chrétienne ». En ville, le sentiment de honte et les risques liés à cette activité tiennent également à la prohibition de l’alcool par la loi pénale islamique. Les femmes encourent ainsi le risque d’une incarcération pénale. D’autres pratiques entrepreneuriales d’importance relative consistent en la vente de produits cosmétiques ou de chaussures en circuit court, c’est-à-dire dans les quartiers de résidence de ces femmes, ou encore en la location de biens immobiliers acquis. L’exercice de telles professions ne nécessite aucune formation spécifique. Mais il ne s’agit pas là d’un manque d’initiative lié à leur niveau scolaire. D’autres migrants nouba, tels que les Heiban, profitent d’un niveau d’instruction élevé et exercent des professions spécialisées ou techniques, de même que diverses activités de marché sans perte corrélative de leur intégrité culturelle (Komey, 2014 ; Rottenburg, 1991). Toutefois, pour les Moro, l’instruction et la formation professionnelle n’ont de rôle que vis-à-vis de l’Église ou à travers elle. Les Moro développent en fait une résistance hermétique à l’intégration à l’économique de marché. Cette résistance signifie qu’occuper les emplois les moins rémunérés et les moins qualifiés revient à préserver la pureté culturelle des membres du groupe.
23Ces femmes peuvent toutefois surmonter ou contourner la valeur marchande qui s’attache à leurs professions au moyen de pratiques individuelles d’épargne portant sur leurs revenus monétaires perçus. L’une de ces pratiques consiste à investir le revenu monétaire dans une épargne collective ou une œuvre de bienfaisance à portée domestique ou religieuse, appelée ṣandūg. Toutes les femmes moro avec de l’argent participent à un ou plusieurs ṣandūg, dont beaucoup sont officiellement conçues pour leurs enfants ou pour les enfants de leur clan élargi, en tant que moyen d’investissement moral dans le collectif et l’avenir.
24Comme je l’ai dit plus haut, les enfants sont ciblés et loués comme le moyen de sortir de la crise morale. Les groupes de jeunes organisent des événements mensuels spéciaux qui attirent un grand nombre de participants et durent plusieurs heures. Ils sont une suite de musiques, de discours, de prédications, de jeux, de poésie et de nourriture. Sur la photo ci-dessous, l’association Lebu Maruda de Dar es-Salaam a célébré les certificats d’études de fin d’année pour les élèves de sa communauté. L’ensemble de l’événement a été enregistré par une équipe vidéo professionnelle. Chaque enfant est venu sur la scène en fanfare, avec ses parents et ses frères et sœurs, applaudissant et dansant derrière lui. Chacun a reçu des sacs, des certificats et des médailles. Ils ont été récompensés par des guirlandes de dattes, du maïs soufflé et des bonbons, un chapeau de graduation, puis par de la fausse neige. L’éducation a remplacé l’agriculture comme une marque de réussite.
Fig. 2 : La distribution des certificats à l’école Lebu Maruda, Dar es-Salaam.

Lamoureaux, 2012
Les tribunaux islamiques au secours des mères chrétiennes
25Le divorce Đǝneđa est perçu comme étant en forte augmentation à Khartoum et les Moro auraient le taux de divorce le plus élevé parmi les populations chrétiennes nouba. Lorsque les temps sont durs, l’autonomisation économique accrue d’une mère, conjuguée au nouveau discours sur la « paresse » des hommes et l’éducation des enfants, peut l’encourager à renoncer à son mariage. Mais une mesure aussi déshonorante exige de la femme qu’elle parvienne à établir sa valeur en tant que mère. Auparavant, les femmes qui osaient se plaindre d’injustices subies dans le cadre de leur mariage se voyaient enjoindre de ne pas se déprécier en étalant leurs mésaventures sur la place publique : ŋerṯe agafinia ! « Ne t’allège pas ! ». Cette expression enjoignait la femme à adopter un caractère fort dans leur communauté : « Ne divorce pas ! ». Car autrement « abandonnerais-tu tes enfants ? ! ». Dans le discours chrétien, en revanche, les fidèles sont encouragés à exposer leurs problèmes, à consulter le pasteur et obtenir ses conseils pour préserver l’unité familiale, en dépit des injustices subies. Dans la constitution des différends matrimoniaux, l’élaboration d’une prétention juridique est un moment critique à l’occasion duquel les femmes revendiquent, établissent de manière réflexive, leur valeur dans un régime de justification (Boltanski, Thévenot, 2006).
26Dans la section suivante, je décrirai les cadres juridiques applicables aux mariages en difficulté, à l’initiation d’une séparation ou à l’obtention d’un divorce. Je présenterai des pratiques variées, ainsi qu’un cas de divorce. Je discuterai le modèle de l’intrigue morale à travers laquelle les femmes établissent leurs valeurs en tant que mères ; et ce d’autant plus qu’elles peuvent conserver leur rôle de prestataires de soins en vertu de la loi islamique.
Pluralisme juridique dans les litiges et divorces moro
27Au Soudan, le traitement des questions relatives à la « loi sur le statut personnel » aḥwāl al-shakhsiyya a été délégué aux autorités religieuses compétentes pour les communautés de religion musulmane, chrétienne ou coutumière (Fluehr-Lobban, 1987)5. Le statut personnel des non-musulmans est déterminé par une loi au contenu évasif de 1926 et qui régit uniquement l’institution du mariage (loi de 1926 sur le mariage non musulman). Ce régime de mariage est principalement organisé autour du concept civiliste de droit des contrats. Toutefois, le champ d’application de cette loi exclut les communautés régies par leurs propres « traditions », pour lesquelles la religion coutumière est censée fournir le cadre juridique adéquat. Toute norme religieuse régissant le statut personnel des non-musulmans est en outre reléguée par le droit étatique au rang de norme coutumière en vertu de la loi sur la procédure civile (1974). Par conséquent, le droit étatique soudanais ne régit officiellement pas les droits des femmes appartenant à des communautés non musulmanes et/ou « traditionnelles », telles que les groupes nouba. Celles-ci ont accès à différents systèmes de droits pour régir des situations personnelles similaires en fonction de la communauté à laquelle elles appartiennent.
28Cependant, il faut préciser que les normes coutumières interprétées et appliquées par les organes judiciaires de la Native administration6, en particulier le « tribunal rural » du maḥkama ash-sha’biyya, ne constituent jamais que l’avant-dernière source interprétative jurisprudentielle dont disposent les juges étatiques. En outre, ces derniers doivent nécessairement faire une interprétation de ces normes coutumières qui soit conforme à la charia, comme source fondamentale et constitutionnellement établie du droit soudanais. Ainsi, la valeur judiciaire de ces coutumes est quasiment nulle. Dès lors, même pour les communautés chrétiennes, le droit chrétien est traité par défaut et formellement comme du droit coutumier et les autorités chrétiennes sont dès lors assimilées par l’État comme des autorités traditionnelles ou coutumières.
29Il est vrai que la question de savoir si et comment le droit chrétien est applicable à un différend matrimonial dépend davantage de négociations au sein de la communauté chrétienne concernée et avec les institutions de la « Native Administration ». Quel que soit le résultat normatif qui en découle, cette nouvelle norme pourra être annulée par voie jurisprudentielle sur le fondement de la charia dès lors que l’affaire sera portée devant le tribunal étatique. Cette dévaluation normative du droit chrétien au contact du droit étatique soudanais frustre évidemment les communautés chrétiennes qui aimeraient voir leur droit préservé en tant que véritable source codifiée. Car il existe en effet d’importantes différences normatives entre les droits islamique et chrétien en matière d’héritage, de mariage, de garde d’enfants, ainsi qu’en matière pénale en ce qui concerne par exemple la production d’alcool, etc.7 (Abdalla, 2012 ; Babiker, 2013 ; Tønnessen, 2008 ; Tønnessen, Roald, 2007).
30Ces différents cadres juridiques garantissent donc des systèmes distincts de droits. Les tribunaux non islamiques, qui requièrent une certification des mariages non musulmans par l’autorité religieuse coutumière régissant les questions spirituelles – ainsi de l’Église chez les Moro – n’admettent que les actes de mariage et de divorce délivrés par l’une des Églises officiellement enregistrées8. Un mariage purement coutumier moro n’est pas reconnu en soi par l’État. De même, le droit chrétien n’autorise en principe pas le divorce, contrairement au droit islamique soudanais. De sorte qu’en vertu de la hiérarchie des sources interprétatives jurisprudentielles, un couple chrétien marié à l’église sur le fondement d’un « contrat » gisīma chrétien peut potentiellement obtenir le divorce auprès du tribunal étatique maḥkama ḥakūmia faisant application de la charia comme source fondamentale du droit. Ceci est même réalisable devant un juge chrétien « pensant de façon islamique » selon le juge James Soliman, c’est-à-dire faisant application de la hiérarchie des sources interprétatives jurisprudentielles précédemment évoquée. Ainsi, dans ce dispositif institutionnel ad hoc, des juges chrétiens (de même que musulmans9) officient auprès des tribunaux non musulmans sous le régime juridique de la charia afin de traiter des affaires n’entrant pas dans le champ de compétence de l’Église ou de la Native administration. Ce faisant, ces juges font une interprétation créative de la charia pour en faire application au statut personnel des chrétiens.
31Selon Liv Tønnessen (2008), écrivant d’un point de vue juridique et relatif aux droits des sudistes établis à Khartoum, les femmes bénéficient de moins de droits en vertu des lois traditionnelles qu’en vertu du droit de la famille islamique : elles sont victimes de lois patriarcales discriminatoires sans bénéficier d’aucune marge de négociation. Sharon Hutchinson a soutenu concernant les Nuer que « les maris et leurs parents acquièrent de plus en plus de droits sur leurs épouses et leurs enfants par l’intermédiaire des tribunaux gouvernementaux » (Hutchinson, 1990, p. 395-396). Elle constate à leur propos : « alors qu’il y avait beaucoup de flexibilité auparavant pour les femmes, celle-ci s’est progressivement érodée par les interprétations de plus en plus lourdes imposées par les tribunaux concernant les obligations procréatrices et sexuelles dans le mariage » (ibid., p. 408) ; l’un de ses exemples étant l’attitude des tribunaux à l’égard de « l’adultère » (ibid., p. 404). Ce dernier, qui n’était qu’un seul délit moral dans le passé, est devenu en outre un « délit pénal » (ibid., p. 405) et un motif juridique de divorce. À l’examen des pratiques, j’ai toutefois constaté une certaine souplesse sous la « Native Administration »10. Bien que les tribunaux gouvernementaux puissent désavantager les femmes en général, comme Sharon Hutchinson (1990) le souligne, j’ai constaté que la standardisation des concepts par les tribunaux gouvernementaux s’avérait utile aux mères moro en procédure de divorce. J’ai constaté que les femmes moro ne se résignent pas aux structures juridiques qui leur sont proposées, mais recherchent plutôt activement des instances pour formuler leur plainte, un comportement de « forum shopping » (Benda-Beckmann, 1981, p. 117), « en se basant sur leur choix », sur le résultat qu’elles escomptent.
32Une mère moro au Soudan peut, par exemple, renoncer à sa loi sur le statut personnel et faire appel à la charia en vertu de la loi sur la famille musulmane de 1991 au Soudan11, qui offre aux femmes un certain nombre de dispositions en matière de divorce : l’un des moyens les plus courants consiste à présenter un certificat d’un médecin attestant de coups et blessures, qui sont des motifs de divorce en vertu de ḍarar « blessure, dommages ». Une justification tout aussi commune est que le mari n’a pas réussi à subvenir financièrement à ses besoins et à ceux des enfants, dans le cadre de la nafâqa ou pension alimentaire. Liv Tønnessen (2013) se penche sur ce point. Selon lui, l’idéologie islamique de genre au Soudan est basée sur le qawama, le principe de tutelle masculine et d’équité des genres (par opposition à l’égalité). Cela se manifeste en partie par le biais de la nafâqa, selon laquelle une fois marié, l’époux a la responsabilité de fournir à sa femme et à ses enfants de la nourriture, des vêtements et une résidence, qu’elle dispose ou non de son propre revenu. Si le mari manque à son obligation, il peut encourir une peine d’emprisonnement conformément à la loi sur la famille musulmane ainsi qu’une obligation secondaire d’indemnisation calculée sur la base du nafâqa. Cette solution s’écarte de celle prévue par le tribunal rural de la « Native Administration », qui n’oblige pas légalement le mari à payer quoi que ce soit à son ex-femme. En vertu de la charia, une épouse peut demander la garde de ses enfants jusqu’à l’âge de neuf ans pour les filles et sept ans pour les garçons. La norme coutumière moro remet en revanche les enfants de tout âge au clan de leur père consécutivement à un divorce. En vertu de la charia, la divorcée peut obtenir une pension alimentaire de son mari pour une durée de six mois, alors qu’un tribunal coutumier prononcera la restitution de la dot au clan de l’ancien époux. Les juges des tribunaux étatiques non musulmans examineront en revanche le comportement des deux parents, qu’ils travaillent ou non, avant d’attribuer la garde.
33Les femmes disposant du savoir-faire et de la confiance nécessaire s’adresseront directement au tribunal étatique maḥkama ḥakūmia. Elles y solliciteront l’audience d’un juge pour les affaires chrétiennes devant le tribunal pour les non-musulmans ; une institution par ailleurs islamique devant laquelle elle peut obtenir un ṭalāq « divorce ». La maîtrise de l’arabe sera alors un avantage pour une femme moro en procédure de divorce. De même, elle devra avoir appris de ses connaissances féminines, les types de justifications (ḍarar, nafâqa) qui fonctionnent devant ce tribunal. C’est là pour les femmes moro, le seul moyen sûr et efficace d’obtenir un divorce, dans ce contexte relativement protégé des intrusions et de la pression morale de la famille et de l’Église. D’autant plus que la procédure peut ne pas excéder un mois. Ainsi, selon le témoignage d’une femme moro, nizām ’arab kwayyis shwayya « le système arabe est un peu meilleur ». Cela tient notamment au fait que le droit islamique et la charia reposent sur des droits individuels plutôt que sur les valeurs attachées aux obligations familiales et communautaires.
34La réussite d’une demande de divorce requiert des femmes des revendications établies sur des justifications recevables. Les situations de différends sont de bons paramètres empiriques pour souligner les comportements réflexifs ou critiques des acteurs lorsqu’ils relatent des aspects sélectifs de leur expérience. Ainsi, comme dans la figure du compromis de Luc Boltanski et Laurent Thévenot, « en réalisant que quelque chose ne va pas, il faut […] se tourner vers le passé. Les choses anciennes, les mots oubliés, les actes accomplis reviennent […] selon un processus sélectif qui les relie les uns aux autres afin de produire une histoire qui ait un sens » (Boltanski, Thévenot, 1999, p. 360).
35Il existe un scénario commun à tous les récits rapportés par les femmes moro en instance de divorce. Selon ce scénario, une atteinte à la valeur domestique de la femme a été commise, et puisqu’en recherchant le divorce elle compromet davantage encore cette valeur, son récit doit justifier sa vertu domestique. Elle expliquera alors comment son mari s’est lassé d’elle et l’a menacée de divorce et de violence, ainsi que d’accusations d’infidélité infondées. Avec quelques variantes, elle soulignera qu’elle n’a pas cherché à se séparer de son mari, qu’elle cuisinait et faisait le ménage pour lui et élevait ses enfants, et qu’il la surprenait avec ces accusations. Elle expliquera de plus qu’il n’apportait aucune contribution financière pour l’entretien des enfants. Esseulée, dans un état de désespoir et de peur, elle se trouva alors obligée de se réfugier auprès de sa famille. Une fois ce récit rapporté, elle pourra engager une procédure de divorce en se rendant tout d’abord chez son oncle, qui est le médiateur coutumier du mariage. Ce scénario générique est basé sur une revendication des vertus domestiques de la femme puisqu’elle fait appel à son rôle de mère et de gardienne.
L’histoire de Faitous : affirmer la valeur du marché pour élever ses enfants
36Faitous travaillait dans la rue comme femme de thé au centre-ville d’Omdurman. Elle est divorcée et à la quarantaine. Bien qu’elle n’ait pas fait d’études, elle parle couramment l’arabe et peut facilement faire les calculs nécessaires à la gestion de son entreprise personnelle. Dans notre conversation relative au choix de sa profession, son récit semble consubstantiellement lié à celui de son divorce :
« F : […] mon mari et moi n’étions pas d’accord et j’élève moi-même mes enfants. Je travaille comme dame du thé depuis neuf ans et auparavant, j’étais femme de ménage. En travaillant dans des maisons, je ne peux pas économiser d’argent. Mais en vendant du thé, si. J’ai ma propre entreprise et il n’y a pas d’oppression.
SL : Comment es-tu traitée comme dame de thé ?
F : Certaines personnes te traitent bien et d’autres ne te respectent pas, mais tu peux te défendre et te débarrasser d’elles. J’ignore les ivrognes. J’ai pensé travailler dans le thé après avoir eu mon troisième enfant […]. Je peux maintenant participer à un ṣandūg de dix ou cinquante livres et acheter le reste avec les économies. Quand l’inscription scolaire commence, je peux aller acheter des uniformes et des livres. Leur père n’est pas bon, il ne leur donne pas d’argent et il est constamment ivre, alors je suis allée au tribunal et j’ai divorcé.
SL : Et comment es-tu parvenue à divorcer ?
F : Le divorce est si difficile en cas d’objection de ton mari. Mais lorsque tu réfléchis intelligemment, tu peux y parvenir. Je lui résistais et il me battait jusqu’à ce que je perde conscience, au point que je me suis réveillée à l’hôpital. J’ai donc quitté le domicile et emmené mon plus jeune enfant, tout en laissant les autres avec lui. J’ai passé neuf mois sur mon lieu de travail [où elle travaillait comme femme de ménage]. Mon mari me cherchait et il m’a trouvé quand je suis sortie de cette maison. Il m’a poursuivie, battue et frappée pendant que je me sauvais, jusqu’à ce que je trouve de l’aide dans la maison de ma mère. Il y avait un cousin travaillant dans la police qui m’a escortée à la cour du gouvernement. Mon mari n’est pas venu à l’audience qui fut ajournée. Ensuite, j’ai payé un avocat pour divorcer le plus vite possible, même sans demander de pension alimentaire. J’ai apporté mon certificat de mariage chez l’avocat, je lui ai raconté mon histoire et je lui ai payé 3 000 livres (750 euros). Il m’a encouragée à demander la nafaqa mais cela m’était égal, il faut du temps pour l’obtenir. Devant le juge, je lui ai dit que huit ans s’étaient écoulés sans que mon mari ne dépense jamais d’argent pour nos enfants, et qu’il m’avait pourchassée pour me frapper. Cette affaire a été relayée dans les journaux et après que mon mari ne se soit pas présenté à trois audiences consécutives, le juge a ordonné le divorce en son absence. Après un certain temps, je suis allée chercher mes papiers. […] La police l’a pris et lui a dit qu’il était divorcé et qu’il n’avait aucun droit sur moi. J’ai repris mes enfants et je les élève ».
37Faitous est maintenant remariée avec un musulman qui vit avec son autre femme. Il lui apporte trente ou quarante livres par semaine, ce qui représente moins de la moitié de ce qu’elle gagne en une journée. Elle dit que ça lui va bien :
« Je mets mon argent dans un ṣandūg pour payer mon mobilier : placards, lits, télévision et récepteur numérique pour que mes enfants restent à la maison au lieu de sortir dans la rue. Si j’étudiais, je pourrais aller en Égypte ou ailleurs, mais mes enfants ont besoin d’argent et l’école a besoin de temps. De toute façon, l’école occupe le même temps que mon travail ».
38Le récit de Faitous illustre le lien entre la valeur monétaire, le divorce et le nouvel accent mis sur l’éducation et la richesse matérielle pour élever des enfants. Les dommages corporels qu’elle a subis, combinés aux revenus monétaires qu’elle perçoit constituent précisément les revendications judiciaires de Faitous comme motif d’injustice, deux motifs admissibles de divorce selon la charia. Elle est alors capable de justifier sa valeur maternelle par son pouvoir de consommation de biens et d’investissement monétaire. Même si son nouvel époux l’entretient quelque peu, elle est en mesure de financer seule l’éducation de ses enfants. Les circonstances de son divorce relèvent de ses propres décisions et elle illustre sa prise d’initiative par l’usage de la première personne du singulier. Elle a engagé un avocat et a même rejeté une demande de pension alimentaire au bénéfice d’une procédure de divorce accélérée. Elle énumère les articles ménagers qu’elle peut acquérir afin d’élever ses enfants en toute moralité et de bien les éduquer, plutôt que de les laisser livrés à eux-mêmes dans la rue. Jamais elle ne fit dépendre sa condition de l’accord de sa famille ou de ses proches. Elle a contacté son cousin, un policier, plutôt que de se confronter à son oncle, son prétendu patriarche. De plus, on ne trouvera dans son récit aucune référence au divin ou à la foi religieuse. Elle affirme sa valeur, non pas, comme elle le reconnaît, par le biais de l’éducation, mais par le biais de sa maternité protectrice et du transfert de richesses matérielles vers ses enfants.
Conclusion
39J’ai tenté d’illustrer comment les valeurs changent en ce qui concerne le mariage, l’argent et la parentalité. Le mariage peut formaliser et légitimer les formes de valeur et d’affect générées par le genre, liées à la matérialité et à la production économique. Les modèles de parentalité évoluent au gré du changement des conditions matérielles et spirituelles. Ce phénomène reflète l’effondrement des structures familiales résultant des migrations et des forces économiques du marché soudanais. J’ai problématisé le nouveau potentiel de revenus des mères moro à Khartoum comme outil de diversification de ses moyens de subsistance, mais aussi de son individualité et de son autonomie en tant que parent, compte tenu de la difficulté des hommes à subvenir aux besoins de leurs familles. Les mères travaillant à l’extérieur du foyer nourrissent la suspicion et un sentiment de honte. Ces femmes qui mettent l’accent sur leur pouvoir d’achat, celles qui vendent du thé, ont à la fois la valeur morale la plus compromise, mais le plus grand savoir-faire et sont habiles à obtenir le divorce devant les tribunaux étatiques, en évitant ainsi d’échouer auprès des juges coutumiers. Dans ce régime de justice étatique, les mères moro dénoncent les injustices dont elles se disent victimes et sensées porter atteinte à leur valeur domestique ; mais de façon originale elles formulent ces valeurs sur un registre économique en mettant l’accent sur le bien-être, la protection et l’éducation de leurs enfants. Bien que le marché ne comporte aucune vertu propre selon les Nuba Moro de Khartoum, la richesse matérielle revêt une valeur croissante pour autant qu’elle est indexée sur l’éducation des enfants, qui comprend le besoin de fournitures scolaires, d’un foyer moderne et meublé – pour les préserver de « la rue » –, et qu’elle leur ouvre la voie à un avenir prometteur.
Bibliographie
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Abdalla Nabil Adib, « Aspects of discrimination against Christians perpetrated or condoned by the state in Sudan », rapport de recherche, s.l., s.n., 2012 [non publié].
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Notes de bas de page
1 L’omda est un chef local de la Native Administration qui représente un clan des monts Nouba résidant à Khartoum et ayant autorité sur un village ou un quartier urbain particulier.
2 Alors que le christianisme interdit le divorce, les pasteurs ont admis que, dans certains cas particuliers, cela pouvait se justifier, notamment en cas d’adultère flagrant. La maltraitance conjugale n’était pas considérée comme une raison suffisante pour le clergé masculin (Lamoureaux, 2017).
3 L’hospitalité alimentaire est commune lors des fêtes et des événements. J’ai également ressenti un malaise chez mes assistantes de recherche à propos de la négociation de leurs salaires. Elles n’avançaient jamais un prix et se proposaient souvent de le faire gratuitement, bien que ce ne fût évidemment pas ce à quoi elles aspiraient.
4 Selon Guma Kunda Komey (communication personnelle, février 2014), les hommes moro ne sont pas considérés comme des travailleurs acharnés, même dans les monts Nouba par rapport aux autres groupes nouba. Les femmes moro contribuent à la production économique du mariage, tandis que les femmes heiban, par exemple, ne jouent aucun rôle économique dans la préparation de leur mariage ou pour la contribution au ménage.
5 Cette politique a ses racines dans le système des millet ottoman et, plus tard, dans l’occupation coloniale britannique, deux systèmes judiciaires fonctionnant en parallèle : l’un pour le droit civil et l’autre pour le droit religieux, qui régissait les questions de statut personnel (Fluehr-Lobban, 1987 ; Tønnessen, 2008). Les deux systèmes ont fusionné après l’indépendance et la charia a été mise en œuvre en tant que source unique de toutes les lois en 1983, puis codifiée en 1991 dans le droit musulman de la famille.
6 La « Native Administration » a une juridiction limitée en dehors des questions de statut personnel, de petite criminalité, d’intrusion, etc. Les tribunaux ruraux n’ont pas le droit de traiter des litiges impliquant plus de 5 000 livres soudanaises et ils ne peuvent emprisonner personne.
7 Par exemple, si en droit chrétien, un frère et une sœur ont droit à une part égale de l’héritage de leur père, une telle décision pourra être cassée par un tribunal étatique, sur le fondement de la charia qui garantit les deux tiers de l’héritage au fils. Par ailleurs, bénéficiant d’un statut personnel fondé sur le droit chrétien, par exemple, les chrétiens qui brassent de l’alcool ne risquent pas de peine d’emprisonnement.
8 Toutes les confessions religieuses ne sont pas en mesure de délivrer des certificats de divorce légalement reconnus. Dans ces circonstances, le couple en instance de divorce appartenant à une confession religieuse de faible ampleur peut requérir le certificat auprès d’une instance religieuse plus englobante et enregistrée, comme par exemple l’Église épiscopale du Soudan.
9 Lorsque le Sud a fait sécession du Nord en 2011, de nombreux juges chrétiens sont partis pour le Sud-Soudan et les juges musulmans ont ensuite été affectés devant des tribunaux non musulmans.
10 L’adultère est le seul moyen pour l’Église d’obtenir le divorce, puisqu’une femme est alors considérée comme « impure », bien qu’Elle encourage le repentir et le pardon. En vertu de la loi pénale de 1991, l’adultère est puni de flagellation ou de lapidation. Mais comme il est difficile d’obtenir des preuves d’adultère (confession, quatre témoins de sexe masculin ou grossesse), ces affaires sont principalement traitées par l’Administration autochtone (la « Native administration »), qui juge en équité. L’administration autochtone encourage également le pardon dans de tels cas. Ainsi, si l’adultère est commis en raison d’un « abandon sexuel », l’adultère n’est pas considéré comme responsable.
11 La loi musulmane sur la famille de 1991 (al-qanūn al-ahwāl al-shakhsiyya lil-muslimīn) traite spécifiquement des questions de statut personnel liées au mariage et au divorce. Pour divers aspects de cette question, voir Liv Tønnessen et Anne Sofie Roald (2007), Liv Tønnessen (2008 ; 2013) et Liv Tønnessen et Samia El-Nagar (2013).
Auteur
Anthropologue, elle a obtenu son doctorat en 2017 à l’Institut Max Planck d’anthropologie sociale à Halle (Saale). Elle est professeure assistante à l’Université de Siegen (Allemagne) et membre du groupe Droit, organisation, science et technologie (LOST) de l’Université Martin Luther. Elle mène des recherches sur le genre, la moralité, la technologie, l’alphabétisation, le christianisme, les conflits et l’identité, en particulier dans les montagnes Nuba au Soudan.
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