Ch. IV – Les sarcophages
p. 47-62
Texte intégral
1Quatre caissons de pierre de grandes dimensions – le plus petit mesure 86 x 107 cm. sur 65 cm. de hauteur – ont été mis au jour à cette date à La Lagunita. Trois d’entre eux proviennent de fouilles clandestines ; ils avaient été brisés et abandonnés sur place. Nous les avons décrits dans un article paru en 197313. Le dernier a été trouvé in situ par la mission française au cours de sa campagne de fouilles 1976-1977 à l’intérieur de la pyramide 7 (voir supra p. 17). Il n’est pas impossible que celle-ci contienne d’autres caissons du même type.
2Sur le plan du groupe A (fig. 3) j’ai indiqué l’emplacement où a été trouvé chacun de ces caissons que j’appellerai désormais des sarcophages puisque nous avons pu prouver que c’était là leur fonction – du moins leur ultime fonction : emplacement certain pour les Numéros 2 et 4, probable pour les Numéros 1 et 3, car basé seulement sur les déclarations de leur inventeur.
3Le sarcophage 3, décoré en bas-relief sur ses quatre faces, a été exhumé au cours des fouilles sauvages pratiquées sur la face sud de la pyramide 10. Brisé pendant son transport, les morceaux en furent dispersés un peu partout sur la place pendant que la base était réenterrée. C’est là que nous les avons découverts lors de notre première visite à La Lagunita en décembre 1971. Quelques mois plus tard ils étaient transportés au Musée de la capitale par les soins de l’Instituto de Antropología e Historia de Guatemala, ainsi que le sarcophage 1.
4La pyramide 10 n’a pas livré jusqu’ici d’autre sarcophage. Ce monticule a été l’un des plus pillés, et il présente aujourd’hui un aspect affligeant. Cependant aucune fouille sérieuse n’y a été entreprise, et les sarcophages – s’il y en a – doivent se trouver au-dessous du niveau de la place, niveau non atteint en général par les pillards.
5Les trois autres sarcophages proviennent de la pyramide 7, plus exactement de la partie ouest de celle-ci. Ils étaient placés dans des tombes situées sous le grand escalier allant de la Place au sommet de la pyramide, escalier qui a aujourd’hui complètement disparu à l’exception de quelques traces vers le sommet et à la base du monticule.
6Le sarcophage No. 1 (Fig. 38) se trouvait, lors de notre arrivée en 1971, au centre de la place, brisé en deux. Ce caisson à peu près cubique, non décoré mais entièrement peint en rouge, proviendrait, selon les dires des ouvriers, de l’intérieur de la pyramide 7, à l’est et à un niveau un peu plus élevé que celui du sarcophage 2 (voir Fig. 11). Ce témoignage n’est guère douteux, compte tenu de la position de ce dernier, qui est resté, lui, in situ.
7Le sarcophage No. 2 était donc encore en place et à demi enterré en 1971. Nous l’avons complètement dégagé en décembre 1976 (Fig. 39). Il ne semble pas avoir été déplacé, bien que son axe soit légèrement dévié (vers le nord) par rapport à l’axe ouest-est de la pyramide. La paroi ouest se trouvait tout contre le mur de soutènement ouest de la pyramide, qui a été détruit dans l’axe de la structure mais dont on voit les traces au nord et au sud de la fouille clandestine. La base du caisson est légèrement plus haute que le sol primitif de la place (niveau + 54 cm.)

Fig. 37 – Le sarcophage 1 (plan et profil).
8Ce sarcophage ressemble beaucoup au sarcophage 1, mais il est sommairement décoré : encadrement en relief sur les côtés, gravures assez frustes sur les bords. Toujours selon les informations des ouvriers qui ont participé aux fouilles d’amateur, les sarcophages 1 et 2 n’avaient pas de couvercle ; ils contenaient des ossements humains (crânes, os longs), des objets de jade, des statuettes de pierre verte (camahuiles) et peut-être quelques poteries ; la plupart des objets de céramique auraient été autour du sarcophage. C’est bien ce que nous avons pu vérifier au cours du dégagement du sarcophage 4.

Fig. 38 Le sarcophage 1 au centre de la Place.

Fig. 39 Le sacrophage 2 in situ.

Fig. 40 – Le sarcophage 2 (plan et profil).
Description des sarcophages
9– Le sarcophage No. 1 (Fig. 37 et 38).
10Rappelons qu’il provient sans doute de l’intérieur de la pyramide 7, sous l’escalier de celle-ci. Il se trouve aujourd’hui, brisé en plusieurs morceaux, dans les réserves du Museo Nacional de Arqueología y Etnología de Guatemala.
11Comme les autres caissons, il est taillé dans un seul bloc de tuf. Les dimensions sont les suivantes :
Longueur : 106 cm.
Largeur : 96 cm.
Hauteur : 66 cm.
– Epaisseur des parois : 9,5 à 10 cm.
12Il était entièrement peint en rouge, intérieur et extérieur.
13L’un des bords présente un évidement dans sa partie médiane, formant une sorte de déversoir qui s’évase vers l’extérieur. On note aussi, dans le fond du sarcophage, un canal en léger creux large de 4, 5 cm., qui va s’approfondissant d’un angle du caisson au milieu du côté opposé. La paroi de tuf est percée à cet endroit et le canal débouche à l’extérieur, sur une hauteur de 10 cm.
14Ce double dispositif – trop-plein et drainage – prouve que le sarcophage, avant d’être utilisé comme tel, a dû servir soit de réservoir d’eau, soit de “baignoire” réservée sans doute aux bains rituels de quelque haut personnage. Il ne se justifie en effet aucunement pour un sarcophage enterré à plusieurs mètres de profondeur.
15On trouve un dispositif analogue, mais réduit au seul orifice de drainage, sur tous les autres sarcophages. Ce détail explique le nom de pila, c’est-à-dire “réservoir d’eau”, que leur donnent spontanément les habitants de la région.
– Le sarcophage No. 2 (Fig. 39 et 40)
16Ce sarcophage, bien que non déplacé apparemment, est en moins bon état que le premier : la paroi ouest est entamée par une large échancrure irrégulière, descendant jusqu’a mi-hauteur. Le bord nord est lui aussi abîmé, mais ici le fond de l’échancrure est gravé et peint, ce qui prouve que l’accident s’est produit avant que le sarcophage ait été mis en place.
17Rappelons que le sarcophage No. 2 se trouve à l’intérieur de la pyramide 7, au niveau du sol et tout contre le mur ouest ; il devait être sous les premières marches de l’escalier. Son orientation diffère de celle de la plupart des constructions du site, qui font assez régulièrement un angle de 9° à l’est du nord magnétique. La déviation est ici plus forte : 25°.
18Les dimensions sont comparables à celle du sarcophage 1 :
Longueur nord-sud : 112 cm. (côté est) à 120 (côté ouest) ;
Largeur est-ouest : 104, 5 cm. (côté sud) à 115 cm. (côté nord) ;
Hauteur : 71 à 70 cm. ;
Epaisseur des parois : 12 à 13 cm. vers le haut ; elles vont s’épaississant vers le bas jusqu’a 17 cm.
Epaisseur du fond : 15 cm. environ.
19Dans le fond, le caisson n’a plus que 86 x 74 cm. au lieu de 91 x 87 cm. dans le haut.
20L’orifice de drainage est situé au milieu de la face sud. Le canal qui y aboutit, large de 6 cm., est courbe et à peine visible, sur 23 cm. de longueur seulement. L’orifice lui-même a 6 à 8 cm. de diamètre et est en légère pente vers l’extérieur.
21Les quatre côtés sont décorés d’un simple encadrement de 13 cm. de largeur, en faible saillie (5 m/m) par rapport au panneau ainsi délimité. Ce cadre ne s’étend pas jusqu’à la base du caisson, qui est à peine dégrossie et devait être enterrée.
22Le bord ouest du sarcophage est entièrement fracturé ; par contre les trois autres sont en bon état et présentent des gravures simples, à base de cupules et de rainures profondes de 1 à 2 cm., souvent en faisceaux parallèles. On serait tenté de voir, au milieu de la face sud, l’empreinte d’une main car le pouce et trois doigts s’adaptent parfaitement aux rainures... Il est probable que tous ces motifs, apparemment décoratifs, avaient une signification symbolique qui nous échappe.
– Le sarcophage No. 3 (Fig. 41 à 43)
23Il provient de la face sud de la pyramide 10. La base et les morceaux des parois, très incomplets, sont aujourd’hui au Museo Nacional de Arqueología y Etnología de Guatemala, ils n’ont permis de reconstituer qu’une partie des panneaux décorés en bas-relief. On peut néanmoins se faire une idée assez exacte de l’allure générale du sarcophage et des motifs décoratifs qui ornaient ses quatre faces.
24Les dimensions sont proches de celles des deux premiers sarcophages :
Longueur : 107 cm. ;
Largeur : 86 cm. ;
Hauteur : 60 à 70 cm. ;
Epaisseur des parois : 9 cm. (en haut) à 16 cm. (en bas) ;
Epaisseur du fond : 24 cm.
25Elle est aussi dotée d’un orifice de drainage, mais ce trou n’est pas au milieu de l’un des côtés comme c’est habituellement le cas.
26Le sarcophage ne porte plus aucune trace de peinture rouge.
27Les quatre côtés étaient entourés d’un encadrement d’une dizaine de cm. de largeur délimitant un panneau sculpté en bas-relief. Le motif déborde parfois sur le cadre ; sur les faces 1, 2 et 4 par exemple, le pied ou la jambe du personnage. C’est un trait noté aussi sur les stèles.
28Trois des côtés, les faces 1, 2 et 3, peuvent être partiellement reconstituées. Il ne reste de la face 4 que la base de l’encadrement et une vigtaine de cm. du panneau ; c’est assez pour constater que cette face portait un décor analogue à celui des trois autres.

Fig. 41 – Décor des faces 1 et 2 du sarcophage 3.
29Le thème du décor est identique sur les trois faces conservées, à quelques détails près (Fig. 41) : un personnage de profil, assis et faisant face à la droite de l’observateur. La jambe droite est repliée, la gauche étendue vers l’avant. Les deux bras sont tendus vers l’avant, légèrement fléchis, les mains ouvertes. Le coude droit repose sur le genou droit, le bras gauche est visible au-dessous du droit.

Fig. 42 – Détail de la face 1 du sarcophage 3.
30Le personnage semble simplement vêtu d’un pagne, et probablement de sandales. Par contre ses ornements d’oreille et sa coiffure en panache sont très élaborés. Le fond du panneau est entièrement meublé de volutes et de motifs phytomorphes.
31La coiffure du personnage principal n’est pas la même sur les deux faces où elle est visible : simple bandeau frontal sur la face 1 (Fig. 42), double rangée de “perles” sur la face 2. Les traits du visage sont schématiques : oeil en ellipse, bouche lippue, nez se prolongeant en une sorte de trompe (il est possible que cette excroissance sorte en réalité de la bouche ; nous avons observé le même détail sur la sculpture 14).
32L’élément peut-être le plus intéressant est le bandeau double que le personnage tient sous son bras droit et qui se recourbe vers l’avant pour se terminer en une fleur cordiforme. Ce bandeau se poursuit vers l’arrière, où il enserre une tête vue de profil, visage vers le haut : tête humaine sur la face 2, tête de singe sur la face 3 (Fig. 43, b) (cette partie est peu lisible sur la face 1). Au-dessus du visage, on voit une sorte de glyphe très simple, que nous avons rapproché du “bloc” de la sculpture 18.

Fig. 43 – Base du sarcophage 3 et relevé du décor de la face 3.
33En résumé, les quatre panneaux représentent un personnage – prêtre ou divinité – dont l’un des attributs caractéristiques est une excroissance nasale ou buccale recourbée vers le haut. Ce personnage, richement orné, est dans une position hiératique ou rituelle strictement codifiée. Il porte sur son dos grâce à une longue bande ondulante, une tête humaine ou animale (singe). Il est regrettable que le décor plus confus de la face 1 et la disparition presque complète de la face 4 ne nous permettent pas d’avoir le jeu complet de ces quatre têtes, qui nous donnerait peut-être la clé de ces étranges scènes. On peut noter que sur la face 4 la jambe repliée semble sortir du cadre, comme si le personnage lui-même avait disparu – dans un monde souterrain...?
– Le sarcophage No. 4 (Fig. 44 à 51 et photo de couverture)
34Les circonstances exactes dans lesquelles ont été mis au jour les sarcophages 1, 2 et 3 resteront toujours douteuses. Elles laissent en tous cas sans réponse plusieurs questions essentielles : s’agit-il bien de sarcophages, autrement dit ces caissons contenaient-ils des restes humains, et accompagnés de quel mobilier ? avaient-ils ou non un couvercle ? leur position à l’intérieur des pyramides 7 et 10, et la nature du mobilier trouvé à l’intérieur et autour du caisson, permettent-elles de les dater ?
35La découverte en janvier 1977 d’un quatrième caisson, cette fois in situ et scellé par plusieurs mètres de remblai à l’intérieur de la pyramide 7, allait nous permettre d’y répondre.
36Notre objectif est la description des sarcophages, de leur décor, et les rapprochements stylistiques qu’elle suscite. J’ai décrit plus haut (p. 17) les circonstances de cette découverte, dont les détails feront l’objet d’une publication ultérieure, et ne mentionnerai ici que ceux intéressant le sarcophage lui-même, et non l’ensemble de la tombe C-44.
37Pesant plus d’une tonne, ce sarcophage dût être descendu dans le fond de la tombe sur des glissières de bois placées sur l’escalier. Au cours de cette opération, la paroi ouest s’est sans doute brisée, ce qui a empêché de déplacer ensuite le sarcophage jusqu’au centre de la tombe. Il est donc resté très proche de la première marche (une quinzaine de cm.), ce qui rend impossible de photographier la face ouest sans une forte déformation (Fig. 48).
38Quand il nous est apparu, nous avons constaté que le sarcophage, peint d’un rouge vif, était recouvert de dalles de schiste et de tuf en désordre, dont certaines avaient endommagé les bords et peut-être provoqué le léger décollement de la face nord. Toutefois plusieurs de ces dalles étaient encore en position, appuyées sur le bord du caisson et formant au-dessus de lui comme un toit à double pente. Ce dispositif explique l’absence de couvercle, probable aussi sur les autres sarcophages. Il paraît cependant illogique, car le poids du remblai devait presque fatalement entraîner l’effondrement de ce toit instable et l’écrasement du contenu du sarcophage. En fait, sa fonction devait être essentiellement symbolique : l’ensemble du caisson de pierre avec son toit représentait sans doute la maison du mort.
39Ainsi, les trois-quarts supérieurs du sarcophage étaient occupés par des pierres en désordre ou volontairement placées à plat. Squelettes et offrandes se trouvaient comprimés sur 20 cm. d’épaisseur dans le fond du caisson, ce qui explique le mauvais état de” conservation des ossements, dont on peut juger sur la figure 44. Le sarcophage contenait deux squelettes d’adultes, placés exactement l’un au-dessus de l’autre en decubitus dorsal, tête vers le sud. Compte tenu des offrandes placées contre les parois nord et sud, les corps, d’assez grande taille, n’ont pu être complètement étendus : il a fallu replier les jambes, vers l’est pour le personnage inférieur, vers l’ouest pour celui placé au-dessus.
40Les corps étaient accompagnés d’un mobilier comprenant plus de 150 objets de pierre (jade, stéatite, silex blanc, obsidienne noire, verte ou rouge, ardoise, calcaire), de coquillage et d’os, mais seulement de deux vases, placés dans les angles nord-est et sud-ouest ; ce sont deux urnes à couvercles, l’une (en très mauvais état) ornée d’un beau visage humain, l’autre (Fig. 45) d’une tête et d’un avant-train de jaguar, portant peut-être les attributs d’une divinité aquatique (nez démesuré, langue pendante).
41Dimensions du sarcophage 4 :
Longueur : 1, 80 m.
Largeur : 108, 5 cm.
Hauteur : 88 à 92 cm.
Epaisseur des parois : 16 cm.
Epaisseur du fond : environ 24 cm.
Dimensions intérieures : 146, 5 x 76 cm. sur
64 cm. de hauteur.

Fig. 44 – La sarcophage 4. On voit dans le fond les deux squelettes superposés et quelques-unes des offrandes.
42Description :
43C’est un caisson rectangulaire taillé dans un seul bloc de tuf par petits enlèvements parallèles, horizontaux ou verticaux, bien visibles surtout à l’intérieur. L’orifice d’écoulement se trouve au fond du caisson et au milieu de la face nord ; son diamètre est de 4 cm. à l’intérieur, de 6, 5 cm. à la sortie. Il n’y a pas de canal.
44Le sarcophage est brisé en trois morceaux par une grande fracture diagonale allant de l’angle nord-est à l’angle sud-ouest et par une fracture plus petite séparant les côtés nord et ouest. Ainsi ces deux parois ont pu jouer légèrement vers l’extérieur sous le poids des pierres et du remblai.14

Fig. 45 – Urne-jaguar trouvée dans le sarcophage 4.
45L’orientation du sarcophage respecte celle de la plupart des monuments du site, c’est-à-dire que son grand axe est orienté à 9° à l’est du nord magnétique.
46Décor :
47L’extérieur était entièrement peint en rouge, mais ce pigment a disparu dans les parties basses en particulier. Il couvrait les bords et s’étendait à l’intérieur sur 5 cm. Le fond du caisson était également rouge par endroits, mais ceci est dû au fait que les corps et les offrandes ont été saupoudrés d’hématite lors des cérémonies funéraires.
48Les quatre côtés sont décorés en bas-relief. Ce décor ne s’étend pas jusqu’à la base, laissant une zone de 13 à 20 cm. de hauteur à peine dégrossie qui correspond sans doute à la partie enterrée. Il est limité par un cadre en relief d’une dizaine de cm. de largeur n’atteignant pas la base.
49La technique du décor est la même que sur les stèles : bas-relief et gravure. Les personnages se détachent sur un fond creusé de 7 à 10 m/m, tandis que certains détails, en particulier les éléments décoratifs en volutes, sont soulignés par des enlèvements obliques créant un demi bas-relief de 4 m/m de profondeur seulement.
50La face est (Fig. 46) est la seule à porter un décor purement géométrique occupant la moitié supérieure du panneau : c’est une série de trois grecques en escaliers représentant peut-être des pyramides stylisées (le nombre des marches – trois – est aussi celui des gradins de la pyramide 7).
51Le décor des autres faces représente des personnages, seuls (face sud) ou affrontés (faces nord et ouest). Les corps sont disproportionnés, avec une tête énorme, des jambes courtes et des avant-bras interminables. Ils portent un couvre-chef compliqué à double volute, se terminant sur la nuque par 4, 5 ou 7 pointes rayonnantes.
52Peu de détails notables sur les vêtements, en dehors des chaussures ou sandales, parfois ornées d’une ou de deux volutes. Il faut mettre à part le personnage de la face sud (Fig. 51), original à bien des égards ; il porte à la ceinture une énorme boucle, et ce qui semble bien être une culotte s’arrêtant au-dessus du genou.
53L’ornement d’oreille typique, déjà noté sur les stèles, comporte un élément central circulaire d’où se projette vers l’avant un pendentif rectangulaire, et deux volutes ou “points d’interrogation”. Bracelets et colliers sont peu visibles, sauf sur le panneau sud, où ils sont composés de grosses “perles”.
54Toutes les représentations humaines, à l’exception d’une seule, portent comme ornement nasal ou buccal une sorte de labret qui peut être une simple barre horizontale ou un élément double, apparemment souple et terminé par deux pompons.
55Les visages, toujours de profil, sont stylisés : front fuyant, nez busqué, prognathisme (mais ici les bouches sont closes). L’oeil est indiqué par deux ovales concentriques ; cette technique est si différente de celle utilisée sur le sarcophage 3 et sur les stèles que l’on peut se demander s’ils ne représentent pas les lunettes ou goggles, attribut du dieu de la pluie mexicain Tlaloc entre autres.
56Les personnages sont assis ou accroupis, dans une position analogue à celle du sarcophage 3 : une jambe est repliée, l’autre tendue vers l’avant. Le geste des bras fléchis, l’avant-bras horizontal, les mains ouvertes (au moins sur la face ouest) est aussi le même. Les mains sont à la fois très conventionnelles dans la courbure des doigts, et réalistes dans la figuration des ongles sur l’une des deux mains seulement, celle où ils seraient visibles de l’observateur (Fig. 47).

Fig. 46 – Face est du sarcophage 4.

Fig. 47 – Face ouest du sarcophage 4 (détail).

Fig. 48 – Face ouest du sarcophage 4.
Fig. 49 – Face ouest du sarcophage 4.

Fig. 50 Face nord du sarcophage 4.

57Sur toutes les faces, des objets en double volute ressemblant à des lyres sont, sinon brandis par les personnages, du moins associés à leurs mains. Sur la face ouest, deux longues tiges souples terminées par des fleurs cordiformes et des doubles volutes se rejoignent au centre de la composition. Nous les avons déjà vues sur le sarcophage 3 et la stèle 14.
58Sur la face sud, la main gauche recouvre un objet plus compliqué se terminant en une grande spirale supportant deux triangles, qui équilibrent de façon amusante la culotte portée par le curieux personnage.
59Outre ces éléments plus ou moins communs aux trois panneaux, signalons encore quelques détails qui différencient chacun d’entre eux :
au nord, le personnage de droite, assis sur une sorte de tabouret, semble basculer vers l’arrière ; il est doté d’une queue en spirale (un beau vase orné de deux têtes de singes a été trouvé contre le sarcophage). Seul le bras gauche est visible.
à l’ouest, ce sont encore deux personnages entiers qui se font face, mais chacun porte sur son dos un autre personnage qui semble réduit à une tête regardant vers l’arrière. Ces figures secondaires sont dotées d’une coiffure moins élaborée, portent le labret (sauf celle de droite) et un ornement d’oreille simple. De la bouche sort une volute qui évoque la “volute de la parole” mexicaine. On note sur la figure de gauche le bras replié avec son bracelet, prouvant qu’il ne s’agit pas de têtes-trophées suspendues à la ceinture des personnages principaux, comme on pourrait le supposer. Ces petits personnages réduits pratiquement à leur tête nous font évidemment penser aux têtes que les personnages du sarcophage 3 portent sur leur dos, dans le repli d’une longue tige ondulante.
la face sud enfin représente de façon presque caricaturale un seul personnage écartelé en une sorte de danse. Les détails originaux de ce panneau ont été notés au passage. Un défaut de la pierre, en bas et à gauche, a été utilisé pour modifier l’encadrement.

Fig. 51 – Face sud du sarcophage 4.
Datation et comparaison des quatre sarcophages
60Une brève comparaison des quatre sarcophages peut être instructive quant à l’évolution de ce type de monuments, puisqu’il est possible de les dater les uns par rapport aux autres. Il est évident, en effet, que les sarcophages 1 et 2 correspondent à des sépultures plus tardives que celle du sarcophage 4, et qu’elles ont sans doute nécessité pour leur mise en place la destruction, puis la reconstruction partielles de l’escalier de la pyramide qui les abrite. L’avancée ouest de cette pyramide nous apparaît en fait comme un énorme “bloc funéraire”, périodiquement rouvert pour l’inhumation, dans leur “baignoire-sarcophage”, des plus hauts dignitaires du Centre.
61Le sarcophage le plus ancien (No. 4) date d’une période comprise entre l’abandon de la pyramide intermédiaire et la construction de la pyramide définitive. Celle-ci est très probablement du Classique ancien, celle-là du Classique ancien ou du Protoclassique. Le sarcophage 4 date à mon avis du tout début du Classique ancien ; les analyses de carbone 14 devraient confirmer cette hypothèse, d’ailleurs appuyée par le style du matériel trouvé dans la tombe C-44. Les sarcophages 1 et 2 seraient postérieurs, mais toujours dans cette même période du Classique ancien allant à peu près de 300 à 500 ap. J.C.
62Quant au sarcophage 3, sa position exacte est inconnue, mais il était certainement à un niveau assez haut par rapport à celui de la place. Sa forme presque carrée rappelle plutôt les sarcophages tardifs. Nous serions tentés de lui accorder aussi une date assez tardive, quoique toujours dans le Classique ancien.
63Une comparaison des quatre sarcophages peut porter d’abord sur leurs dimensions. Nous avons trois sarcophages de section carrée, ayant à peu près les mêmes dimensions : 108 x 96 cm. et 65 cm. de hauteur en moyenne, trop petits pour contenir un corps étendu ; et un sarcophage deux fois plus long, plus profond également (environ 90 cm.) qui contenait, lui, deux corps étendus. La différence est importante puisqu’elle ne porte pas seulement sur les dimensions, mais par voie de conséquence sur le mode d’inhumation lui-même. Il est possible que les petits sarcophages aient été destinés à des sépultures secondaires, les os y étant déposés en paquets (comme nous l’a expliqué l’un des ouvriers pour le contenu du sarcophage 2 ; mais étant donné le mauvais état des ossements, ce témoignage doit être accepté avec réserve).
64Si d’autre part nous avons supposé que le grand sarcophage avec son toit pouvait représenter la maison du mort, cette hypothèse est moins plausible pour les trois petits.
65Du point de vue de la décoration en général (technique du bas-relief “sur trois plans”, panneau encadré, peinture rouge... etc.), il y a entre les quatre monuments, comme d’ailleurs entre la plupart des fragments de stèles, une grande homogénéité.
66Une comparaison plus poussée du décor sur les sarcophages 3 et 4 n’est pas facile étant donné l’état fragmentaire du premier. Il y a cependant deux points évidents :
la similitude du thème général (nous comparons surtout ici le sarcophage 3 dans son ensemble et la face ouest du sarcophage 4). Il s’agit dans les deux cas de prêtres ou de divinités, dotés d’un ornement nasal ou buccal caractéristique, dans une position rituelle précise (toujours la même), et portant sur leur dos un personnage secondaire qui peut être réduit à une simple tête (humaine, animale...).
une différence assez nette dans le style général, et dans certains détails importants : façon de représenter l’oeil ou la bouche, forme du labret... etc.
67Mais la différence essentielle, et sans doute la plus significative – sur le plan des croyances religieuses comme sur celui de la chronologie – est la similitude des quatre faces du sarcophage 3 opposée à la variété de celles du sarcophage 4.
68Une seconde paraît être celle-ci : les panneaux du sarcophage 3 représentent des “portraits”, alors que ceux du sarcophage 4 représentent des scènes animées, même quand elles ne mettent pas en jeu plusieurs personnages (face sud).
69Il est évident que ces différences débordent largement le seul plan stylistique et doivent refléter une évolution dans les croyances et le rituel.


Fig. 57
Notes de bas de page
13 H. Lehmann et A. Ichon : Les “sarcophages” de pierre de San Andrès Sajcabaja, Guatemala. Objets et Mondes, T. XIII, fasc. 1. 1973.
14 Le sarcophage a malheureusement été endommagé par des vandales en Juillet 1977 malgré la présence de deux gardiens ; c’est la face nord qui a le plus souffert. Les trois autres sont à peu près intactes.
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