VIII. Les faiblesses de l’intermédiation financière interne
p. 95-102
Texte intégral
1Nous nous référerons ici essentiellement à l’intermédiation bancaire, qui représente toujours la première source de financement externe du secteur privé mexicain et de l’écrasante majorité des entreprises. C’est pour cette raison que le système bancaire se trouve au centre de la réforme financière : les gains en efficacité montrés par le système doivent donc être l’un des critères essentiels à mettre en avant lorsqu’il s’agira d’évaluer le succès de la réforme. Dans les lignes qui suivent nous essaierons de donner un premier aperçu des résultats de cette réforme, qui a été favorisée par l’amélioration du contexte macroéconomique puisqu’il y a eu baisse de l’inflation et réduction des besoins de financement publics.
2Il faut tout d’abord porter au crédit de la réforme, combinée à la baisse de l’inflation, l’intensification financière que l’on observe à partir de 1989 dans l’évolution des différents agrégats monétaires (voir graphique 24). Cette progression est modeste pour l’agrégat M2 – instruments bancaires traditionnels –, qui retourne au niveau relatif qu’il présentait en 1982, c’est-à-dire 33 % du PIB. La réforme a surtout provoqué une croissance rapide de M41. Il est intéressant de remarquer que cette progression est due jusqu’à 1992 presque exclusivement à la création d’instruments de dette privée de moyen et long terme, spécialement bancaires (leur participation s’élève de plus de 6 % du PIB entre 1989 et 1993). Les obligations publiques (approchées grosso modo par le différentiel M3 – M2) voient diminuer leur poids relatif par suite de la réduction de la dette fédérale2. La création en 1992 du SAR fait monter elle aussi l’importance relative des instruments de long terme ; une des insuffisances reconnues du système bancaire commercial pourrait ainsi commencer à se combler dans un futur relativement proche3.
3Cependant, une comparaison internationale de ces indicateurs souligne la taille encore très réduite du système financier : en 1991, le ratio M2/PIB était de 31 % au Mexique, mais de 40 % en Corée du Sud (pays également caractérisé par un poids réduit de l’ intermédiation bancaire), de 43 % au Chili et de 74 % en Espagne. En ce qui concerne M4/PIB, les pourcentages étaient respectivement de 45 %, 64 %, 79 % et 104 %4.
Graphique 24 - Agrégats monétaires (1977-1994)

source : Tableau XXIII, en annexe.
4La suppression des limitations quantitatives à l’expansion du crédit global au secteur privé est un des aspects positifs de la déréglementation bancaire : elle a été rendue possible par la baisse des besoins de financement du secteur public. En effet, il est vrai que la réforme n’a pas amené de croissance du financement total apporté par ces intermédiaires, qui se maintient à un niveau d’environ 45 % du PIB depuis 1989, en nette contraction par rapport à la moyenne enregistrée au cours de la première moitié des années 80 ; elle a néanmoins permis une augmentation extrêmement dynamique du crédit bancaire au secteur privé, dont l’importance s’élève d’environ 15 % du PIB en 1988 à 40 % en 1993 ; en termes réels, le crédit bancaire au secteur privé a progressé de 30 % annuel entre 1990 et 1992 (voir graphique 25).
5Il apparaît cependant que cette expansion sans précédent de l’offre de crédit au secteur privé ne s’est pas effectuée de façon optimale si l’on considère les besoins de financement du secteur productif face au défi représenté par l’ouverture commerciale. On a déjà vu qu’une part croissante du crédit bancaire n’était pas affectée au financement de l’investissement productif, mais plutôt à l’investissement résidentiel et à la consommation des ménages. Il faut ajouter à cela des indices de ce que les crédits au secteur productif se concentrent autour d’un petit nombre d’entreprises de grande taille, dont les indicateurs d’endettement relatif étaient élevés en 1993, tant en devises qu’en monnaie nationale5, l’offre de financement étant par contre inadaptée à la demande en ce qui concerne les PME.
6Pour la majorité de ces entreprises, le crédit était insuffisant voire inexistant parce que notamment les collatéraux offerts étaient insuffisants ou parce que la comptabilité des demandeurs était déficiente ; ce crédit était aussi inadapté quant aux termes et aux conditions, et cher, un financement onéreux s’opérant par l’intermédiaire de cartes de crédit par exemple6. Ainsi, une étude réalisée en 1991 sur les petites entreprises des secteurs du vêtement, des plastiques et de la métallurgie, indique la quasi-absence du crédit bancaire comme source de financement initiale, tant en ce qui concerne l’investissement (financement bancaire à hauteur de 4,8 % en moyenne) que le capital circulant (3,1 % de crédits seulement)7. L’autofinancement était largement prépondérant : il représentait 90 % des fonds de départ. Tous ces éléments semblent indiquer l’insuffisance de l’offre de capital-risque de la part de la banque, tout au moins dans le cas des PME, et le « rationnement de crédit » auquel doit faire face une partie des entreprises mexicaines.
Graphique 25 - Financement bancaire à l’économie (1980-1993) (secteurs non financiers)

source : Tableau XXIV, en annexe.
7La tendance que montre le crédit des banques de développement dans son ensemble semblerait indiquer qu’à partir de 1992 les autorités ont davantage tenté de pallier les insuffisances du crédit bancaire privé :
- au moyen d’une élévation de l’offre de crédit, de 9 % et 15 % en termes réels en 1992 et 1993 respectivement, qui intervient après trois années de contraction8 ; cette offre est par ailleurs davantage tournée aujourd’hui vers le secteur privé et plus particulièrement vers les petites entreprises9 (voir graphique 26). Des problèmes semblaient cependant exister en ce qui concerne l’accès de ces entreprises au crédit : en 1991, sur un échantillon de 129 petites ou micro-entreprises situées dans la capitale, aucune n’avait eu recours à la banque de développement pour le financement initial de son activité. Les principales raisons citées pour ne pas solliciter des fonds allaient du manque d’information sur les programmes ou sur les conditions d’accès aux prêts (48,4 %) jusqu’aux procédures excessivement compliquées (22,9 %), en passant par la cherté des crédits (13,2 %) ou le manque de garanties collatérales des chefs d’entreprise (3,3 %)10 ;
- au moyen d’une diversification des institutions financières auxquelles recourent les banques de développement pour placer leurs crédits11 : la création et le renforcement d’intermédiaires non bancaires, et plus spécialement l’accent mis sur le développement des « Unions de crédit » visent à favoriser l’accès au crédit des PME12, les banques ne jouant souvent que très mal leur rôle d’intermédiaire13.
Graphique 26 - Banque de développement (1988-1993) (financement total)

source : INEGI, 1993b.
8Les taux d’intérêt débiteurs pratiqués par les banques mexicaines constituent un indicateur supplémentaire des difficultés que rencontre la réforme.
9L’évolution du taux de référence (celui du Cete à 28 jours) permet de constater que les taux réels, très élevés au cours des premières années de la réforme financière, ont diminué ensuite rapidement, évolution liée aux entrées de capitaux, mais conditionnée par la politique de stérilisation partielle menée par la Banque centrale, les taux minimaux étant atteints dans la seconde moitié de l’année 1992. Un reflux temporaire des capitaux, accompagné d’une chute de l’indice de la Bourse mexicaine, sont alors observés et attribués à l’incertitude créée par le retard dans les négociations de l’Alena. L’ajustement à la hausse des taux qui se produit alors persistera après la disparition de la cause initiale, et on notera une progressive élévation des taux réels14.
Graphique 27 - Taux d’intérêt réels (1987-1993)

source : Banco de México.
10Les taux débiteurs réels prélevés par les banques ont suivi l’évolution du taux recteur, le minimum étant atteint en 1991 ; ils sont en moyenne d’environ 15 % en 1993, et présentent par ailleurs une grande dispersion15 Les taux débiteurs élevés, qui constituent un des principaux points noirs en matière financière, sont attribuables à deux causes principales : tout d’abord au fait que, dans le cadre de la déréglementation des opérations des intermédiaires financiers, les formes traditionnelles de captation ont perdu de leur importance relative si bien que la banque recourt davantage aux fonds plus onéreux des marchés monétaires ; ensuite, il sont dus à la persistance d’une marge d’intermédiation bancaire ample16, au sujet de laquelle diverses hypothèses sont proposées.
- Le manque de compétitivité dont souffrait traditionnellement le système bancaire mexicain n’a été résolu ni par la nationalisation de 1982, ni par la privatisation de 1991-1992 : s’il existait, en 1993, 29 banques, dont neuf de création récente, deux d’entre elles, Bancomer et Banamex, concentraient 39,4 % des actifs et si l’on considère les six premières, ce chiffre s’élevait à 69 %17.
- Le désir des nouveaux propriétaires des banques d’amortir rapidement les importantes dépenses consenties lors de l’achat, allié à la structure non concurrentielle du secteur, et à la demande très forte de crédit, a certainement donné lieu à la recherche de profits « exceptionnels ».
- Les banques mexicaines étaient de fait très rentables dès 1990-1991 selon des critères internationaux (voir tableau 9) tout comme étaient satisfaisants les indicateurs mesurant leur efficacité fonctionnelle, qui serait cependant davantage le produit de l’élévation des revenus que de la réduction des coûts18.
- À partir de 1992, la progression accélérée de la proportion des mauvais crédits oblige à constituer des provisions dont le coût, augmenté des frais de fonctionnement d’un système judiciaire déficient19, serait à l’origine d’un élargissement de la marge bancaire.
Tableau 9 - Indicateurs comparatifs de la banque mexicaine (1990)

1 : Rentabilité/actifs (ROA).
2 : Rentabilité/capital (ROE), chiffres correspondant à 1989.
3 : Marge/intérêts nette, 1989 (Mexique, États-Unis) et 1988 (Canada).
4 : Coûts d’opération/revenus d’opération.
5 : Coûts d’opération par employé/revenus d’opération par employé.
6 : Profit par employé (milliers de dollars).
7 : Actifs par employé (milliers de dollars).
source : C. Garrido et T. Péñaloza, 1993, annexe statistique.
11En effet, la croissance rapide de l’offre de crédit bancaire au secteur privé a été suivie d’une expansion encore plus dynamique des crédits douteux (voir graphique 28), malgré la mise en place de programmes de restructuration de dettes. Cette proportion est spécialement élevée pour le secteur agricole (11,4 % en 1993), dans le cas des crédits à la consommation, et concerne plus généralement les petits et moyens débiteurs.
12En premier lieu, le manque d’expérience des banques, peu entraînées durant les décennies passées – spécialement entre 1983 et 1988 – à investir librement leurs fonds20, s’est ajouté à l’absence d’une « normativité concernant l’information sur les sujets de crédit potentiels21 » ; d’autre part dans le cadre d’une croissance peu dynamique et, pour les entreprises, d’une concurrence toujours accrue des importations sur le marché interne, les taux mêmes de ces prêts ont sans doute joué un rôle déterminant dans le développement de ce problème. En 1993, la constitution de provisions pour créances douteuses a été à l’origine d’une diminution sensible des niveaux de rentabilité des banques22.
13On peut donc conclure que la libéralisation des opérations du système bancaire, combinée à la désinflation, à la diminution des besoins de financement de l’État et au regain de confiance dont a bénéficié l’économie mexicaine, a permis la mise à disposition du secteur privé d’un montant de crédit beaucoup plus important que par le passé et a fait progresser l’importance relative des crédits à plus long terme. Néanmoins, les taux réels élevés pratiqués par le système bancaire et les conditions mises à l’attribution des crédits ont fait obstacle à l’amélioration du financement bancaire pour d’importants secteurs productifs, au moment même où l’exigence de modernisation de l’appareil productif se faisait plus pressante. Bref, les caractéristiques de l’allocation des ressources ont probablement freiné la modernisation productive de certaines activités.
Graphique 28 - Crédits douteux du système bancaire (1990-1993) (encours à fin décembre)

source : Banco de México.
14En d’autres termes, la libéralisation financière interne, si elle a permis une intensification financière, n’a cependant pas éliminé la segmentation des marchés ni l’insuffisance de financement auquel fait face une part importante du secteur productif.
15À la fin de l’année 1993, si la situation sur le plan financier paraissait contrôlable, il était clair pourtant que les modalités de financement du déficit en compte courant – à hauteur de plus de 80 % par des entrées de capitaux de court terme – rendaient ce financement très sensible à la conjoncture régnant sur les marchés financiers internationaux et à la qualité des anticipations concernant la marche de l’économie mexicaine. Or, dès le milieu de 1992, une élévation des taux pratiqués sur les titres en monnaie nationale avait été nécessaire pour continuer d’attirer ces capitaux, et en 1993, les instruments libellés en devises avaient accru leur participation dans le portefeuille des investisseurs étrangers, éléments qui, tous deux, tendraient à indiquer une progression des anticipations de dévaluation du peso. Cette fragilité financière externe s’accompagnait, sur le plan interne, d’une détérioration de la qualité du portefeuille bancaire, qui laissait présager, si le ralentissement de la croissance économique se poursuivait, l’apparition d’une crise financière. Toute une série d’événements, qui marquèrent l’année 1994, allait se charger de hâter, dans un sens négatif pour l’économie mexicaine, l’évolution de ces tendances.
Notes de bas de page
1 La réduction de la base monétaire par rapport au PIB, remarquable, est à mettre en rapport avec le strict contrôle de cet agrégat effectué dans le cadre de la lutte contre l’inflation. Cette évolution montre également qu’elle a été isolée avec succès de l’influence des entrées de capitaux.
2 Ce n’est qu’à partir de 1993 que la part des instruments de dette publique reprend un mouvement ascendant, reflétant ainsi les évolutions présentées plus haut.
3 Le Sistema de Ahorro para el Retiro est un fonds de retraite obligatoire dont les encours sont déposés dans le système bancaire. S’il aspire à devenir l’émule des Fonds de pension chiliens, dont on connaît le succès, ses modalités actuelles ne lui permettent pas de devenir une source de financement à long terme pour les entreprises. Les fonds sont en effet destinés à la construction de logements sociaux et au financement du secteur public.
4 C. Garrido et T. Peñaloza W., 1993, annexe statistique.
5 G. Vidal, 1994, tableau 8, p. 1092. C. Garrido (1994b) fournit des chiffres concernant le financement des 59 grands groupes économiques : entre 1987 et 1989, ces groupes diminuent leur endettement : le ratio passif total-capital comptable tombe de 89 % en 1987 à 51,7 % en 1989.Entre 1989 et 1991, un processus inverse a lieu, le même ratio passant à environ 68 % en 1991. La composition en termes de devises varie également : les crédits en monnaie étrangère représentent 25 % des passifs en 1988, et 51,6 % en 1991 (p. 164, tableau 4).
6 A. Gómez, 19946.
7 M. Kagami, 1995, p. 115, tableau 4-9.
8 Cette contraction reflète également la diminution des prêts au secteur public, principal récepteur des fonds au cours de la première partie de l’ajustement.
9 M. Werner, 1994.
10 M. Kagami, 1995, p. 124.
11 Les banques de développement, qui ont fait l’expérience d’une transformation fondamentale de leur mode d’action (financement accru sur les marchés de capitaux nationaux et internationaux, taux de marché, réduction des prêts au secteur public) agissent désormais principalement en tant que banques de second rang (66 % de la valeur de leurs prêts en 1993) et travaillent plus volontiers avec le secteur bancaire privé.
12 G. Flores, 1994.
13 L. Rodríguez, 1994. Les grandes banques ont d’ailleurs récemment montré un désintérêt croissant pour ce type d’activité, et ont été remplacées par des institutions de moindre importance (E. Gutiérrez, 1994) dont au moins deux se révélèrent peu fiables.
14 Cela pourrait avoir indiqué « ... un taux d’intérêt réel supérieur au taux d’équilibre à long terme (de l’ordre de 7 % au lieu de 4,5 %), un taux de change réel inférieur à celui que les marchés considèrent comme le taux d’équilibre à long terme, et des anticipations persistantes au sujet d’une dévaluation réelle qui ne se produit pas » (J. Ros, 1993b, p. 43).
15 À cela il faut ajouter la généralisation des taux d’intérêt variables, qui rejette sur le débiteur la totalité des risques de variation des taux.
16 Elle est sensiblement plus large que celle pratiquée par les partenaires du Mexique au sein de l’Alena.
17 E. Correa, 1994, p. 1099.
18 C. Garrido et T. Peñaloza, 1993.
19 Banco de México, 1994a.
20 De plus, les nouveaux propriétaires de ces banques ne sont pas issus de ce secteur, mais proviennent dans leur majorité du milieu boursier ou encore du secteur productif.
21 Banco de México, 1994a.
22 Les créances douteuses représentaient 35 % du capital comptable du secteur en 1991,65 % en 1992 et 82 % en 1993 (A. Girón, 1994, p. 1071).
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Micro y pequeña empresa en México
Frente a los retos de la globalización
Thomas Calvo et Bernardo Méndez (dir.)
1995