Cours 24. Comment les propositions contingentes sont-elles possibles ?
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Mots-clés : contingence, démonstration, nécessité, principe de raison suffisante, Gilles Deleuze, Ian Hacking, Hidé Ishiguro, Leibniz, Benson Mates
Texte intégral
1Ce que je vous ai dit la dernière fois ne résout pas, bien entendu, la question de savoir si une spécification purement syntaxique de la classe des propositions démontrables, du genre de celle que propose Leibniz, est suffisante pour pouvoir constituer en même temps une spécification de la classe des propositions vraies concernées, en l’occurrence les propositions logiquement vraies. Leibniz semble considérer comme allant à peu près de soi qu’elle l’est. Et c’est une chose que l’on pourrait difficilement lui reprocher, puisqu’il a fallu attendre encore étonnamment longtemps pour que ce genre de question soit posé explicitement et résolu. Pour ce qui concerne les propositions logiquement valides du calcul des prédicats du premier ordre, le problème de la complétude a été résolu seulement en 1930 par Gödel ; et ce qui est remarquable est qu’il ne l’a été que très peu de temps après avoir commencé à être réellement posé, puisqu’on considère généralement qu’il a été formulé pour la première fois explicitement par Hilbert et Ackermann en 1928, dans les Grundzüge der theoretiscdhen Logik.
2Une des difficultés les plus sérieuses que soulève la conception de Leibniz, et il est lui-même conscient de son existence, est la suivante : comment une proposition peut-elle ne pas être nécessaire si comme c’est le cas, selon la conception leibnizienne de la vérité, de toute proposition vraie, son prédicat est contenu dans son sujet ? En d’autres termes, comment « A est B » pourrait-il ou peut-il jamais être faux si le concept B est inclus dans le concept A, et si par conséquent, semble-t-il, le fait d’être B fait partie du fait d’être A ?
Dans plusieurs passages – constate Mates –, Leibniz dit que ce problème l’a préoccupé pendant longtemps, jusqu’à ce que, pour finir, il voie que la solution consistait à définir une vérité nécessaire comme une vérité qui peut être réduite à une identité (ou dont l’opposée peut être réduite à une contradiction) en un nombre fini d’étapes, alors qu’une proposition contingente doit être une proposition dans laquelle, bien que le concept du prédicat soit contenu dans le concept du sujet, la réduction va à l’infini.
Je dois avouer que je ne peux trouver aucune plausibilité d’aucune sorte dans cette « solution ». Il est difficile de voir ce que la longueur de la réduction d’une proposition pourrait avoir à voir avec la question de savoir si la proposition est fausse d’un monde possible1.
3Pour ce qui concerne le deuxième point que j’ai soulevé – celui qui a trait à la caractérisation exacte de la notion de démonstration –, la situation est bien différente puisque Leibniz dispose, comme je l’ai dit, d’un concept de la démonstration qui est déjà à peu près le nôtre, ce qui n’était certainement pas le cas de Descartes, et pas non plus de Spinoza. Voyez, sur ce point, ce que dit Ian Hacking, dans son livre sur L’émergence de la probabilité :
Depuis toujours la connaissance avait été démonstration à partir de principes premiers. Leibniz produisit la première analyse « moderne » de la preuve, comprise comme relation formelle entre des phrases. Une démonstration d’une proposition p logiquement nécessaire sera une séquence finie de phrases s’achevant par p. Une preuve d’une proposition contingente q sera une séquence infinie convergeant asymptotiquement vers q2.
4Comme nous l’avons vu, le principe de raison suffisante énonce que, dans toute proposition vraie, qu’elle soit nécessaire ou contingente, universelle ou particulière, affirmative ou négative, la vérité doit être fondée a parte rei (pour ce qui concerne la chose dont il est question) dans la connexion du sujet avec le prédicat, plus précisément dans le fait que le prédicat est contenu formellement ou virtuellement dans le sujet. Toute proposition vraie est donc une identité explicite, ou une identité implicite qui peut être ramenée à une identité explicite par une suite d’applications de l’opération consistant à remplacer un terme par sa valeur supposée. Cela ressort de façon encore plus évidente si l’on se rend compte que la prédication elle-même peut être définie à partir de l’identité. « A est B » est, en effet, équivalent à « A = AB », ce qui suggère clairement que, si « A est B » est vrai, B est d’une certaine façon une partie de A.
5Si la réduction peut être obtenue par une suite finie de substitutions de l’espèce considérée, la proposition, dit Leibniz, est nécessaire ; si elle ne peut l’être que par une suite infinie de substitutions, elle est contingente. Dans le cas de la proposition nécessaire, on a une suite de transformations qui aboutit en un nombre fini d’étapes à une égalité exacte. Dans le cas d’une proposition contingente, ce qu’on peut avoir dans le meilleur des cas est une suite infinie d’inégalités qui se rapprochent asymptotiquement de l’égalité exacte. On n’arrive jamais à l’identité complète ; mais il est possible d’obtenir quelque chose d’équivalent, si l’on réussit à montrer que l’inégalité qui persiste peut être rendue aussi peu différente qu’on veut de l’égalité parfaite. Autrement dit, on démontre la vérité non pas en la produisant effectivement, mais en indiquant le moyen de rendre l’erreur aussi petite que n’importe quelle quantité donnée. Leibniz exprime ce point de la façon suivante :
Si, en ayant déjà continué la résolution du prédicat et continué la résolution du sujet, on ne peut certes jamais démontrer la coïncidence, mais que, de la résolution continuée et de la progression à laquelle elle donne naissance, ainsi que de sa règle, il ressort du moins qu’il n’apparaîtra jamais de contradiction, la proposition est possible. S’il apparaît, d’après la règle de progression dans la résolution, que la chose se réduit à ceci que la différence entre les choses qui doivent coïncider est moindre que n’importe quelle différence donnée, il est démontré que la proposition est vraie ; si, au contraire, il apparaît d’après la progression que rien de tel ne se produira jamais, il est démontré qu’elle est fausse, dans les nécessaires s’entend3.
6Avec tout le respect qui est dû à un aussi grand esprit que Deleuze, on est obligé de constater que la façon dont il rend compte de la solution que propose Leibniz pour le problème de la distinction entre les propositions nécessaires et les propositions contingentes est, dans le meilleur des cas, très approximative et, dans le pire, tout à fait fantaisiste :
Leibniz semble dire que, dans le cas des propositions nécessaires ou vérités d’essence (« 2 et 2 font 4 »), le prédicat est inclus dans la notion expressément, tandis que, pour les existences contingentes (« Adam pèche » ou « César franchit le Rubicon »), l’inclusion n’est qu’implicite ou virtuelle. Faut-il même comprendre, comme Leibniz le suggère parfois, que l’analyse est finie dans un cas, et dans l’autre indéfinie ? Mais, outre que nous ne savons pas encore en quoi consiste exactement le concept ou le sujet dans chaque cas, nous risquons un double contresens si nous assimilons « exprès » à fini, et « implicite ou virtuel » à l’indéfini. Il serait étonnant que l’analyse des essences soit finie, puisque celles-ci sont inséparables de l’infinité de Dieu lui-même. Et l’analyse des existences à son tour est inséparable de l’infinité du monde, qui n’est pas moins actuelle que tout autre infini : s’il y avait de l’indéfini dans le monde, Dieu n’y serait pas soumis et verrait donc la fin de l’analyse, ce qui n’est pas le cas4.
7Leibniz ne dit en aucun cas que ce qui caractérise les propositions nécessaires ou les propositions d’essence est le fait que, dans leur cas, le prédicat est contenu explicitement dans le sujet, alors qu’il ne l’est qu’implicitement dans le cas des propositions contingentes. Les propositions nécessaires elles-mêmes comportent aussi bien des identités de l’espèce que Leibniz appelle formelle ou explicite comme 2 = 2 que des identités de l’espèce virtuelle ou implicite comme 2 + 2 = 4. Contrairement à ce que suggère Deleuze, la proposition 2 + 2 = 4 n’est sûrement pas une identité explicite, sans quoi Leibniz ne prendrait évidemment pas la peine de souligner, comme il le fait, qu’elle peut (et doit) être démontrée et d’en donner effectivement une démonstration dans les Nouveaux Essais5 :

Il n’est pas nécessaire de rappeler, je l’espère, qu’une démonstration a justement pour fonction de transformer une identité implicite ou virtuelle en une identité explicite ou formelle. D’autre part, le fait que l’analyse puisse être effectuée en un nombre fini d’étapes dans le cas des propositions nécessaires et seulement en un nombre infini d’étapes dans le cas des propositions contingentes n’est sûrement pas une chose que Leibniz suggère parfois, mais la doctrine constante qu’il a défendue à partir du moment où il a estimé avoir résolu le problème de la distinction entre les vérités nécessaires et les vérités contingentes.
8Il faut, semble-t-il, distinguer, aussi bien dans le cas de l’analyse des termes que dans celui de l’analyse des propositions, non pas deux, mais trois possibilités, pour Leibniz :
1. La possibilité (pour les termes) et la vérité (pour les propositions) se manifestent de façon explicite et irrécusable au terme d’une analyse finie.
2. La résolution va à l’infini, mais d’une manière telle que nous pouvons tirer des conclusions déterminées de la règle selon laquelle elle progresse, et démontrer des vérités importantes à propos de ce qu’elle produirait ou ne produirait pas si on la continuait indéfiniment. On ne peut pas atteindre la limite vers laquelle converge une suite infinie de décompositions ; mais on peut éventuellement démontrer qu’elle converge vers cette limite.
3. La résolution va à l’infini, mais nous n’avons, dans l’hypothèse la plus optimiste, que les tout premiers éléments de la suite concernée et aucune idée de la loi d’engendrement à laquelle elle obéit, s’il y en a une ; ce qui fait que nous ne pouvons rien démontrer à propos de ce que contiendra ou ne contiendra pas son développement ultérieur. Leibniz précise que :
Si nous disons que la continuation de la résolution est possible à l’infini, alors du moins on peut observer si le progrès dans la résolution peut être ramené à une règle, auquel cas, même dans les termes complexes dans lesquels entrent des termes incomplexes résolubles à l’infini, on arrivera par la démonstration à une telle règle de progression6.
9Ce n’est pas faire injure à Leibniz, que de remarquer que, dans l’analyse des propositions contingentes, on n’a généralement même pas une idée quelconque de ce à quoi pourrait ressembler un segment initial de la suite qui converge, sans jamais l’atteindre, vers une identité explicite, si la proposition est effectivement vraie, et que Leibniz ne nous aide pas beaucoup sur ce point. Comme le dit Mates :
Cela nous serait d’un grand secours dans notre essai de comprendre la doctrine de Leibniz sur ce sujet si nous avions ne serait-ce qu’un exemple réel de (la portion initiale de)l’analyse d’une proposition contingente. Nous avons des exemples, qui valent ce qu’ils valent, pour le cas de la nécessité. […] Pour les vérités contingentes, cependant, nous n’avons pas d’exemples de cette sorte à notre disposition7.
10Il semblerait donc que la distinction cruciale, pour Leibniz, soit moins celle qui existe entre le cas où la résolution est finie et celui où elle va au contraire à l’infini, que celle qui existe entre les cas (1) et (2) d’une part, et le cas (3) d’autre part. Après tout, comme le fait remarquer Leibniz lui-même, dans la théorie des proportions irrationnelles nous obtenons bel et bien des démonstrations en bonne et due forme ; et ces démonstrations sont tout aussi finies que celles de l’arithmétique ordinaire.
Une proposition contingente vraie – explique-t-il – ne peut être réduite à des identiques ; elle est cependant démontrée en montrant qu’en continuant toujours plus loin la résolution, on se rapproche certes perpétuellement de propositions identiques, mais sans arriver jamais à elles. C’est pourquoi il n’appartient qu’à Dieu, qui embrasse tout l’infini par son esprit, de connaître la certitude de toutes les vérités contingentes8.
L’avantage que Dieu a sur nous peut être décrit ainsi :
En Dieu est requise uniquement la résolution des concepts propres [sans aucun recours à des expériences], qui se fait toute en même temps chez lui. D’où il résulte que celui-là connaît même les vérités contingentes, dont la démonstration parfaite transcende tout intellect fini9.
Dieu a une connaissance de tous les raisonnements possibles, puisqu’il a une connaissance de toutes les relations de déductibilité et de toutes les relations logiques en général qui existent entre les propositions. Mais, précisément pour cette raison, il n’a pas besoin de raisonner dans le temps :
Il est vrai que Dieu ne raisonne pas à proprement parler, en employant du temps, comme nous, pour passer d’une vérité à l’autre ; mais, comme il comprend tout à la fois toutes les vérités et toutes leurs liaisons, il connait toutes les conséquences et il renferme éminemment en lui tous les raisonnements que nous pouvons faire, et c’est pour cela même que sa sagesse est parfaite10.
11À quoi pourrait ressembler la démonstration d’une proposition contingente ? Sûrement pas à l’effectuation d’une série infinie d’opérations.
Nous devons comprendre que ce qui suscitait la perplexité de Leibniz n’était pas tant le danger qu’une proposition contingente ait la mauvaise modalité que la question de savoir comment il pourrait y avoir simplement une démonstration de la vérité – une façon de partir de la proposition et de parvenir à une identité – sans passer par un nombre infini d’étapes. Mais il a vu que quelque chose de semblable pouvait être fait dans le calcul différentiel. L’analogie jette une lumière sur les problèmes parce que nous pouvons obtenir une dérivée d’une fonction sans passer par un nombre infini d’étapes dans l’analyse – ce qui est impossible même pour Dieu – en comprenant la règle qui produit le résultat d’une analyse infinie, c’est-à-dire les règles de la différentiation. Nous pouvons connaître exactement la limite d’une série infinie, même si, aussi loin que nous poussions l’énumération des termes de la série, nous ne parvenons jamais à la limite. Nous avons également une méthode qui permet de décider, pour un nombre quelconque, s’il est ou non un élément de la série.
Il en va de même avec les concepts individuels. Dieu a une méthode a priori qui lui permet de démontrer que le prédicat est contenu dans le concept individuel, parce que c’est comme le résultat d’un calcul a priori (concernant, par exemple, le nombre d’essences actualisées dans un monde) qui était impliqué dans son choix du monde le meilleur que le concept individuel a été simplement exemplifié par lui dans la réalité. À la différence de Dieu, nous ne connaissons pas et ne pouvons pas connaître les contenus d’un concept individuel complet – c’est-à-dire le concept qui inclut tous les prédicats vrais d’un individu (puisqu’il y a une infinité de prédicats de cette sorte et que les connaître implique connaître tout dans l’univers). Mais nous savons ce que c’est que d’être un concept d’un individu et d’être la règle qui donne les contenus de celui-ci11.
Autrement dit, bien que nous ne puissions décider, pour notre part, que par une méthode empirique ce que Dieu est en mesure de décider par une méthode a priori et démonstrative, nous avons néanmoins, grâce à l’exemple du calcul différentiel, une idée claire et précise de ce à quoi peut ressembler une méthode de cette sorte et de la manière dont elle peut être appliquée au cas d’un concept d’individu complet dont on cherche à déterminer si un prédicat donné y est ou non inclus.
12Il faut comprendre de la même façon l’analogie que Leibniz établit entre la distinction des propositions nécessaires et des proportions contingentes, d’une part, et celle des proportions rationnelles et des proportions sourdes (autrement dit, irrationnelles) d’autre part. La valeur exacte d’une quantité irrationnelle peut être approchée d’aussi près qu’on veut, sans jamais pouvoir être atteinte, par une suite convergente de nombres rationnels, dont on peut démontrer (et démontrer veut dire, bien entendu, démontrer en un nombre fini d’étapes ou en effectuant un nombre fini d’opérations) qu’elle a cette propriété. De la même façon que, dans le cas des quantités incommensurables, il y a un rapport vrai entre les nombres concernés, qui toutefois ne peut être atteint en un nombre fini d’étapes, il y a dans le cas des propositions contingentes (vraies) une proportion vraie entre le concept du sujet et celui du prédicat, qui correspond à la connexion réelle entre les deux, en quoi consiste la vérité.
Toute proposition vraie universelle, soit nécessaire soit contingente, présente ce caractère qu’il y a une certaine connexion du prédicat avec le sujet ; et, assurément, celles qui sont identiques, leur connexion est évidente ; dans les autres, elle doit apparaître par l’analyse des termes.
Et avec ce secret on découvre la façon de distinguer entre vérités nécessaires et vérités contingentes, qui ne sera pas comprise facilement par celui qui n’a pas une certaine teinture de Mathématiques, à savoir que dans les propositions nécessaires, en continuant l’analyse jusqu’à un certain endroit, on en arrive à une égalité identique ; et c’est cela même qui selon la rigueur géométrique consiste à démontrer la vérité ; mais dans les propositions contingentes, il y a une progression de l’analyse à l’infini par des raisons de raisons, de telle sorte qu’on n’a jamais une démonstration <complète> [parfaite], mais il y a néanmoins <toujours> une raison de la vérité, et il n’y a pour la comprendre parfaitement que Dieu, qui seul parcourt complètement d’un coup de son esprit une série infinie.
On peut illustrer les choses par un exemple emprunté à la Géométrie et aux nombres12.
De même que dans les propositions nécessaires, par l’analyse continue du sujet et du prédicat, la chose peut être ramenée finalement à ceci qu’il apparaisse que la notion du prédicat est dans le sujet, de même dans les nombres, par l’analyse continue (de divisions alternées), on peut parvenir finalement à une commune mesure ; mais, de même que dans les incommensurables <eux-mêmes> il y a <aussi> une proportion ou une comparaison, bien que la résolution aille à l’infini et ne se termine jamais, comme il a été démontré par Euclide, de même dans les propositions contingentes il y a une connexion [et relation] des termes ou une vérité, même si elle ne peut être ramenée au principe de contradiction ou de nécessité par l’analyse en identiques13.
13Dans le De libertate, Leibniz exposee cette analogie entre les vérités et les proportions de la façon suivante :
Plus on concentre son attention afin de ne pas s’égarer parmi de vagues difficultés, plus s’impose à l’esprit une certaine analogie des vérités et des proportions, qui semble parfaitement illustrer toute cette question et l’éclairer d’un jour nouveau. En effet, de même que dans toute proportion le nombre le plus petit est dans le plus grand, ou l’égal dans l’égal, de même dans toute vérité le prédicat est dans le sujet. Et, de même que dans toute proportion entre des quantités homogènes peut être établie une analyse des quantités égales ou congruentes, que le plus petit peut être extrait du plus grand (en ôtant du plus grand un partie égale au plus petit, et, de la même manière, en extrayant un reste à partir de ce qui est extrait et ainsi jusqu’à un certain point ou à l’infini) ; de même dans l’analyse des vérités on substitue toujours à un terme son équivalent afin que le prédicat soit résolu dans les termes qui sont contenus dans le sujet.
Mais, de même que dans certains cas, pour ce qui concerne les proportions, on parvient à épuiser l’analyse par une mesure commune, c'est-à-dire par une quantité dont la répétition mesure parfaitement les deux termes de la proportion, alors que dans d’autres cas l’analyse peut être poursuivie à l’infini, comme lorsqu’on compare un nombre rationnel et un nombre sourd, ou encore le côté et la diagonale d’un carré ; de même les vérités sont tantôt démontrables, c'est-à-dire nécessaires, tantôt libres ou contingentes, lorsqu’elles ne peuvent être ramenées par aucune analyse à l’identité qui serait comme leur commune mesure. Et tel est le critère essentiel de la distinction, aussi bien pour les proportions que pour les vérités.
Cependant, les proportions incommensurables relèvent de la science géométrique et nous possédons aussi les démonstrations sur les séries infinies. De même – et mieux encore – les vérités contingentes, c'est-à-dire infinies, sont l’objet de la science de Dieu, par lequel elles sont connues, non certes par démonstration, ce qui serait contradictoire, mais par une vision infaillible. Or la vision de Dieu ne doit en rien être conçue comme une espèce de science expérimentale, comme si ce qu’il voit se trouvait parmi des choses distinctes de lui, mais plutôt comme une connaissance a priori procédant selon les raisons des vérités, dans la mesure où il voit les choses à partir de lui-même : pour les choses possibles, il considère leur nature, mais il accède aux choses existantes par la considération de sa volonté libre et de ses décrets. Le premier de ces décrets est d’agir en toutes choses de la manière la plus parfaite et selon la suprême raison. Quant à la science qu’on appelle moyenne, elle n’est rien d’autre que la science des possibles contingents.
Ces choses une fois dûment considérées, je ne pense pas qu’il puisse naître dans cet argument une difficulté dont la solution ne pourrait pas dériver de ce qui a été dit. Une fois admise, en effet, cette notion de nécessité que tous admettent, à savoir que sont nécessaires uniquement les choses dont le contraire implique contradiction, il apparaît aisément à qui considère la nature de la démonstration et l’analyse qu’assurément il peut, et mieux encore il doit, y avoir des vérités qui ne se ramènent par aucune analyse à des vérités identiques ou au principe de contradiction, mais donnent lieu à une série infinie de raisons que Dieu seul voit dans son intégralité, et que c’est cela la nature des choses qu’on appelle libres et contingentes. (Mais surtout celle des choses qui enveloppent le lieu et le temps), ce qui a été montré plus haut suffisamment à partir de l’infinité même des parties de l’univers et de l’interpénétration et de la connexion mutuelles de toutes les choses14.
14Concrètement parlant, ce que veut dire Leibniz peut être précisé de la façon suivante, en se référant à ce que dit Benson Mates :
L’analogie avec l’algorithme d’Euclide, tel que cet algorithme est conçu par Leibniz, peut être expliquée de façon un peu plus poussée. Supposons que a et b soient deux nombres positifs (ou deux grandeurs – par exemple, des segments de droite), a étant le plus grand. Dans ce cas ou bien a et b sont commensurables ou bien ils ne le sont pas. S’ils sont commensurables, c’est-à-dire, s’il y a une commune mesure (un nombre rationnel c tel que pour certains entiers p et q, a égale pc et b égale qc, alors l’algorithme d’Euclide, en un nombre fini d’étapes, nous donnera une commune mesure – en fait la plus grande mesure de cette sorte – et, par conséquent, nous donnera explicitement le rapport (p/q) (exprimé dans les termes les plus réduits) de a à b. Cela est supposé être analogue au cas dans lequel la proposition ‘A est B’ est nécessaire : en un nombre fini d’étapes nous analysons les concepts A et B jusqu’à ce que l’on trouve que les composants de B sont des composants de A. Si, en revanche, a et b sont incommensurables, l’algorithme d’Euclide va à l’infini, produisant une suite infinie qui converge vers le vrai rapport. Leibniz insiste sur le fait que, dans ce cas également, il y a un rapport, même si les termes de la suite l’approchent seulement de plus en plus près. De la même façon, suggère-t-il, dans une vérité contingente ‘A est B’ le concept B est effectivement contenu dans le concept A, mais l’analyse irait à l’infini. […]
Pour appliquer l’algorithme d’Euclide à deux nombres ou grandeurs a et b, a étant le plus grand, procédez de la façon suivante. Premièrement, soustrayez b de a autant de fois qu’il est possible – par exemple, q1 fois – laissant r1 comme reste, avec b > r1 ≥ 0. Si r1 > 0, soustrayez r1 de b autant de fois que possible – par exemple, q2 fois – laissant le reste r2, avec r1 > r2 ≥ 0. Si r2 > 0, soustrayez r2 de r1 autant de fois qu’il est possible – par exemple q3 fois, laissant le reste r3, avec r2 > r3 ≥ 0. Et ainsi de suite. De cette façon, nous engendrons des nombres satisfaisant les égalités
a = q1b + r1
b = q2r1 + r2
r1 = q3r2 + r3
*
*
rn = qn+2rn+1 + rn+2
*
*
Si l’un des restes est 0, supposons que rn soit le premier à être dans ce cas. Alors rn – 1 (ou b, si n = 1) sera la plus grande mesure (le plus grand diviseur, dénominateur) commun de a et de b15.
Comme exemple16, Leibniz nous donne a = 17, b = 5. Dans ce cas-là, nous avons :
17 = 3 x 5 + 2
5 = 2 x 2 + 1
2 = 2 x 1 + 0
Dans ce cas, la plus grande commune mesure est 1 (les deux nombres concernés n’ont pas de diviseur commun plus grand que 1), et le rapport est évidemment 17 : 5.
Si a = 175, b = 21, on a
175 = 8 x 21 + 7
21 = 3 x 7 + 0
La plus grande mesure commune est 7, et le rapport est 25 : 317.
15Leibniz lui-même explique ce qu’il a en tête de la façon suivante :
Soient données deux droites, qui sont comparées entre elles de toute manière. Par exemple, que l’on soustraie la plus petite de la plus grande, autant de fois que cela peut se faire, et le reste à nouveau de la plus petite, et de la même façon une fois encore le reste de ce qui a été soustrait autant de fois que cela peut se faire, jusqu’à ce que ou bien il en résulte une exhaustion, une commune mesure existant avec la dernière soustraction, si les quantités sont commensurables, ou bien il y ait une loi de progression à l’infini, si elles sont incommensurables. Et la série des nombres quotients sera la même quand la proportion est la même. Il est certain, n’est-ce pas ? que, si a est à b comme
l + __l__
m + __l___ à l’unité, l, m, n, p, etc.
n + __l__
p + etc.
sera la série des nombres quotients. Par exemple si a est 17 et b est 5, la série sera constituée uniquement des trois l, m, p, qui seront les nombres 3, 2, 2. Si a et b sont des parties d’une droite coupée selon le rapport d’extrême et moyenne raison [c’est-à-dire que (a + b)/a = a/b, ce qui correspond à ce qu’on appelle le nombre d’or, un nombre irrationnel dont la valeur exacte est (1 + √5)/2 = 1, 618 033 989 …], a le plus grand sera à b le plus petit comme
1 + __1__
1 + __1__
1 + __1__
1 + etc.
à l’unité ; les quotients seront des unités, et leur série ira à l’infini. Ainsi deux droites quelconques a et b seront l’une par rapport à l’autre comme 1/1 + m/2 + n/4 + p/8 + q/16 + etc., si on pose que l, m, n, p, q etc. sont 0 ou 1, laquelle série a une fin ou est périodique, lorsque les nombres sont commensurables18.
16On pourrait dire que la démonstration parfaite, qui effectuerait la réduction complète même dans le cas où celle-ci est infinie, nous mettrait réellement sous les yeux la vérité, alors que la démonstration imparfaite nous démontre que la proposition est vraie, mais ne nous montre pas réellement sa vérité. Mais qu’est-ce qui nous empêche, malgré tout, de dire que nous pouvons nous-mêmes donner des propositions contingentes – à défaut de démonstrations parfaites – au moins des démonstrations imparfaites, comme nous le faisons pour les nombres irrationnels ? La réponse de Leibniz est que l’analogie qui existe entre le cas des vérités contingentes et celui des proportions irrationnelles se révèle justement boiteuse sur ce point :
Nous pouvons nous-mêmes démontrer qu’une certaine ligne s’approche perpétuellement d’une autre, et que deux quantités sont égales, même dans les asymptotes, en montrant ce qui se passera, aussi loin que l’on continue la progression. C’est pourquoi même les hommes pourront arriver à la certitude des vérités contingentes ; mais il faut répondre qu’il y a assurément une similitude, mais pas une correspondance à tous égards19.
17Revenons maintenant sur ce que dit exactement le principe de raison suffisante. Puisqu’il énonce que toute proposition vraie peut être réduite à une identité explicite (par une analyse finie, ou par une analyse infinie qui transcende nos capacités mais que Dieu peut effectuer), il signifie que toute proposition vraie, qu’elle soit nécessaire ou contingente, est démontrable. Leibniz le formule, du reste, parfois explicitement de cette façon :
Rien n’est sans raison, ou encore il n’y a pas de proposition dans laquelle il n’y ait pas une certaine connexion du prédicat avec le sujet, ou encore qui ne puisse pas être démontrée a priori20.
Toute proposition vraie est donc démontrable, sinon par nous, du moins par Dieu. Par ailleurs, Leibniz n’a évidemment aucun doute sur la vérité de la proposition réciproque : toute proposition démontrable est vraie. Les axiomes proprement dits, qui sont des identités explicites, sont vrais sans contestation possible. Et le principe de substituabilité des coïncidents, utilisé comme règle d’inférence, préserve la vérité. Il y a donc coïncidence entre la vérité et la démontrabilité, si, du moins, on prend le concept de démontrabilité au sens large.
18Leibniz dit que :
Dans les propositions nécessaires, l’analyse étant continuée jusqu’à un certain point, on arrive à une égalité identique (aequatio identica) ; et cela même, à la rigueur géométrique, est démontrer la vérité ; mais, dans les contingentes, il y a une progression de l’analyse à l’infini par des raisons de raisons, de sorte que l’on n’a assurément jamais une démonstration [parfaite], mais la raison de la vérité n’en demeure pas moins toujours, et n’est comprise parfaitement que de Dieu, qui seul parcourt entièrement une série infinie d’un coup de son esprit (uno mentis ictu)21.
Si l’on se demande d’où provient l’infini dans les raisons, et donc la contingence, la réponse est que c’est toujours de l’obligation de faire entrer en ligne de compte le principe du meilleur. Même pour Dieu, le principe du meilleur n’est pas nécessitant, il est même le principe de la contingence. On peut, malgré cela, être tout à fait certain que Dieu a choisi le meilleur. Mais ce qui est certain n’est pas pour autant nécessaire.
Comme on vient de le voir, une proposition contingente fausse est une proposition que nous ne pouvons pas réduire à une contradiction explicite par une analyse finie. Et c’est à cela que se réduit pour Leibniz le fait que sa fausseté, bien qu’elle soit certaine et connue de Dieu a priori, n’est cependant pas nécessaire. Mais elle n’en est pas moins bel et bien, elle aussi, réductible en fin de compte à une contradiction explicite, bien que ce soit seulement par une analyse infinie.
19Leibniz dit que ce qui est affirmé par une proposition contingente vraie « est assurément certain, mais pas nécessaire, parce qu’on ne peut jamais le ramener à une identique ou l’opposer à une contradictoire.22 » Mais cela signifie simplement que, bien que la proposition soit réductible à une identité explicite, nous ne rencontrerons jamais celle-ci, puisque nous n’arriverons jamais, au mieux, dans la résolution qu’à des inégalités qui approchent de plus en plus l’égalité exacte. C’est ce qui permet à Leibniz de dire :
Un point commun à toutes les vérités est, selon mon opinion, que l’on peut toujours rendre raison d’une proposition non identique, une raison nécessitante dans les nécessaires, une raison inclinante dans les contingentes23.
Dans l’analyse des propositions contingentes, on n’arrive jamais qu’à des raisons qui inclinent, si l’on peut dire, toujours plus et qui correspondent à des inégalités toujours plus réduites; on ne parvient à aucun moment à la forme proprement nécessitante, qui est celle de l’identité complète. Autrement dit, quel que soit le stade auquel on est parvenu dans la chaîne des raisons, on a toujours encore besoin de raisons de raisons pour pouvoir affirmer que la vérité de la proposition s’ensuit nécessairement, et celle-ci pourrait par conséquent toujours encore être fausse, même si elle ne l’est pas dans les faits. C’est ce qui permet à Leibniz d’affirmer qu’une proposition contingente vraie, telle qu’il l’a caractérisée, est bien, conformément à la notion usuelle de la contingence, une proposition qui, bien que vraie, pourrait néanmoins être fausse, alors qu’une proposition nécessaire vraie ne le pourrait pas.
20L’équivalence de la notion de vérité avec celle de démontrabilité implique comme conséquence immédiate que toute proposition est soit démontrable, soit réfutable. Pour toute proposition A, en effet, A est vrai ou A est faux, autrement dit (en vertu de la définition de la négation), A est vrai ou non-A est vrai, et par conséquent A est démontrable ou non-A est démontrable. Donc A est soit démontrable, soit réfutable. En outre, la non-démontrabilité de A équivaut à la démontrabilité de non-A, et la non-démontrabilité de non-A à la démontrabilité de A. En effet, si A n’est pas démontrable, A est faux ; dans ce cas-là, non-A est vrai, et donc démontrable. Et si non-A n’est pas démontrable, non-A est faux ; dans ce cas-là, A est vrai et donc démontrable.
21Il résulte de cela que, pour démontrer A, il suffit de démontrer que l’on ne peut pas démontrer non-A ; et, pour démontrer non-A, il suffit de démontrer que l’on ne peut pas démontrer A. Étant donné la conception que Leibniz a de la nature de la vérité et de la fausseté, dire que toute proposition est soit vraie, soit fausse, revient à dire que toute proposition est réductible à une identité explicite (auquel cas sa négation est réductible à une contradiction explicite), ou réductible à une contradiction explicite (auquel cas sa négation est réductible à une identité explicite). Si donc je peux démontrer que l’analyse de A, poussée aussi loin qu’on voudra, ne fera jamais apparaître une contradiction, j’aurai démontré que l’on ne peut pas démontrer non-A, et donc démontré A. Inversement, si j’ai démontré que l’analyse de A ne conduira jamais à une identité, j’aurai démontré que l’on ne peut pas démontrer A, et donc démontré non-A.
22C’est ce qui explique la manière dont Leibniz définit finalement le vrai et le faux :
Je définis ainsi le vrai, génériquement parlant (verum in genere) : A est vrai si, en mettant à la place de A sa valeur et en traitant à nouveau de la même façon que A tout ce qui entre dans la valeur de A, si du moins cela peut être fait, il n’apparaît jamais B et non-B, autrement dit une contradiction. Il résulte de cela que, pour que nous soyons certains de la vérité, il faut ou bien continuer la résolution jusqu’à des termes vrais en premier (ou du moins déjà traités par un tel processus, ou dont il est établi qu’ils sont vrais), ou bien démontrer à partir de la progression même de la résolution (autrement dit à partir d’une relation générale entre les résolutions précédentes et la suivante) que jamais une telle chose n’apparaîtra, aussi loin que l’on continue la résolution. C’est une chose dont il importe de se souvenir ; de cette façon, en effet, nous pouvons souvent être dispensés d’une longue continuation. Et il peut se faire que la résolution des lettres elle-même contienne quelque chose à propos des résolutions des suivantes, comme ici la résolution du vrai24.
Une chose que l’on sait à coup sûr à propos du vrai est que son analyse ne peut conduire qu’à du vrai et on peut, dans les cas favorables, savoir aussi ce genre de choses à propos de la résolution d’autres termes, sans même que celle-ci ait besoin d’être poursuivie très longtemps.
23La définition générale que Leibniz donne ici du vrai s’applique à la fois au vrai, au sens usuel du terme, et au possible. Et elle justifie la décision, au premier abord un peu surprenante, qu’il a prise d’appliquer le même traitement aux deux notions. Démontrer un terme incomplexe vrai veut dire démontrer que son analyse ne conduira jamais à une contradiction. Mais, pour démontrer une proposition vraie, il n’est pas toujours nécessaire de la ramener à des propositions vraies par soi ; il est suffisant et il peut être beaucoup plus commode de démontrer que son analyse, aussi loin qu’elle soit poussée, ne fera jamais apparaître aucune contradiction. De façon générale, pour décider une proposition A, il n’est heureusement pas toujours nécessaire de pousser jusqu’au bout, ni même de pousser très loin, l’analyse de A. Si l’on peut démontrer, par un raisonnement sur le processus de décomposition progressive lui-même, que l’on n’arrivera jamais à une identité explicite, on a du même coup démontré non-A ; et si l’on peut démontrer que l’on n’arrivera jamais à une contradiction, on a du même coup démontré A.
24Leibniz donne du faux une définition symétrique de la précédente :
Je définis comme le faux, génériquement parlant (falsum in genere), ce qui n’est pas vrai [ou encore ce qui contient des choses dans lesquelles apparaissent B et non-B]. C’est pourquoi, pour qu’il soit établi que quelque chose est faux, il est nécessaire qu’il soit l’opposé du vrai, ou qu’il contienne l’opposé du vrai, ou qu’il contienne une contradiction, à savoir B et non-B, ou que l’on démontre que, aussi loin que l’on continue la résolution, on ne peut pas démontrer qu’il est vrai25.
Puisque la proposition vraie est, selon les termes de Leibniz, celle qui coïncide avec AB est B ou qui peut être réduite à AB est B – ce qui signifie, en vertu même de la notion de démonstration, que la proposition vraie est celle qui est démontrable –, la proposition fausse est celle qui ne coïncide pas avec AB est B ; c’est-à-dire qu’« une proposition fausse est la même chose qu’une proposition qui ne peut pas être démontrée26 ». Leibniz ajoute que « les propositions de fait ne peuvent pas toujours être démontrées par nous, et sont par conséquent admises comme hypothèses27.
25Dire qu’une proposition fausse est une proposition qui ne peut pas être démontrée semble, toutefois, entraîner une conséquence éminemment paradoxale. Il existe, spécialement en matière contingente, un bon nombre de propositions que nous sommes tout à fait incapables de démontrer ; mais cela ne nous autorise nullement à conclure qu’elles sont fausses. Sinon, il faudrait admettre que presque toutes les propositions contingentes sont fausses. La réponse est évidemment que ce qui démontre la fausseté de A ne peut effectivement pas être simplement notre incapacité de démontrer A, mais une démonstration de l’impossibilité de démontrer A. Or la situation générale dans le cas des propositions contingentes est celle-ci : nous ne sommes pas capables de les démontrer, et pas non plus de démontrer qu’elles ne peuvent être démontrées. Nous connaissons, pour un certain nombre d’entre elles, leur vérité ou leur fausseté de fait ; mais nous n’en connaissons pas la raison complète, qui ne pourrait être donnée que par une démonstration ou une réfutation (une démonstration de l’impossibilité de démontrer A équivaut à une réfutation de A).
Notes de bas de page
1 Mates, The Philosophy of Leibniz, 1989, p. 108. Voir aussi p. 117, 137-138 & 157-158.
2 Hacking, L’émergence de la probabilité, 2002, p. 250.
3 Leibniz, « Recherches générales sur l’analyse des notions et des vérités », TLM (Rauzy), p. 243.
4 Deleuze, Le pli. Leibniz et le baroque, 1988, p. 56.
5 Leibniz, Nouveaux Essais, IV, chap. 7, § 10, p. 364. Comme le fait remarquer Frege dans les Fondements de l’artihmétique, la démonstration comporte une lacune sérieuse : Leibniz utilise, apparemment sans s’en rendre compte, la loi de l’associativité de l’addition, qui n’est pas une identité explicite et devrait par conséquent avoir été elle-même démontrée – autrement dit, réduite à une identité explicite à l’aide du seul principe de substituabilité des identiques et de définitions.
6 Leibniz, « Recherches générales », TLM (Rauzy), p. 243.
7 Mates, The Philosophy of Leibniz, p. 111.
8 Leibniz, « Recherches générales », TLM (Rauzy), p. 277.
9 Leibniz, ibid.
10 Leibniz, Théodicée, III, « Réflexions sur l’ouvrage de M. Hobbes », p. 385.
11 Ishiguro, « Contingent Truths and Possible Worlds », 1981, p. 68-69.
12 Leibniz, TI (Grua), I, p. 303.
13 Leibniz, TI (Grua), I, p. 372.
14 Leibniz, « Sur la liberté (De libertate) », TLM (Rauzy), p. 334-335 (traduction modifiée).
15 Mates, The Philosophy of Leibniz, p. 109-110.
16 Leibniz, MS (Gerhardt), VII, p. 23-24.
17 Mates, The Philosophy of Leibniz, p. 110.
18 Leibniz, MS (Gerhardt), VII, p. 23-24
19 Leibniz, « Recherches générales », TLM (Rauzy), p. 279. Cf. Leibniz, OFI (Couturat), p. 18 & 272-273.
20 Leibniz, TI (Grua), I, p. 287. Cf. Leibniz, OFI (Couturat), p. 401-402.
21 Leibniz, TI (Grua), I, p. 303. Cf. Leibniz, OFI (Couturat), p. 408.
22 Leibniz, « Recherches générales », TLM (Rauzy), p. 275.
23 Leibniz, TI (Grua), I, p. 303.
24 Leibniz, OFI (Couturat), p. 370-371 ; Leibniz, « Recherches générales », TLM, p. 235-237.
25 Leibniz, OFI (Couturat), p. 371 ; Leibniz, « Recherches générales », TLM, p. 237.
26 Leibniz, « Recherches générales », TLM, p. 231.
27 Ibid.
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Dans le labyrinthe : nécessité, contingence et liberté chez Leibniz
Cours 2009 et 2010
Jacques Bouveresse Jean-Matthias Fleury (éd.)
2013