Conclusions générales
p. 279-284
Texte intégral
1Le titre de ce volume pourrait faire sourire certains de nos collègues américains de l’école dite « réaliste », qui considèrent que le droit international – pas seulement le droit international de l’environnement – n’est précisément pas du droit. L’une des raisons qu’ils invoquent généralement est ce qu’ils voient comme son manque d’effectivité en tant que droit, faute de mécanismes crédibles d’exécution forcée ou de contrainte. Nous verrons ce qu’il en est des multiples violations du droit international commises par la Russie.
2Le colloque à l’origine de cet ouvrage a réuni un panel d’internationalistes convaincus du caractère juridique du droit international, en dépit du fait que son effectivité ne découle pas de la contrainte ou de la peur d’une sanction – encore que, de nos jours, les sanctions internationales, qu’elles soient légitimes ou non, sont monnaie courante, comme si elles étaient désormais indispensables à assurer l’effectivité du droit international.
3Qu’en est-il du droit international de l’environnement ?
4J’y viens mais, pour en rester au titre du volume, j’ai noté qu’il interroge sur l’effectivité du droit international de l’environnement à partir du constat que l’environnement n’est pas suffisamment protégé, respecté, qu’il se dégrade, et que la plupart des indicateurs d’alerte sont au rouge.
5Est-ce là vraiment constater que le droit international de l’environnement n’est pas effectif ? Je n’en suis pas certain. Ce n’est pas la même chose de dire, d’une part, que le droit ne produit pas les effets normatifs que l’on désire et, d’autre part, que la planète va mal. Car si le droit lui-même manque d’ambition en tant que droit, en se refusant par exemple à « ordonner », préférant suggérer, inciter ou recommander, comment s’étonner que ses réalisations ne soient pas à la hauteur des espérances ? Laissez-moi illustrer ce point : peut-on dire que, en tant que tel, l’accord de Paris n’est pas effectif ? Je ne le crois pas. Ce que l’on peut dire, c’est qu’alors qu’il promeut l’objectif remarquablement ambitieux de contenir l’augmentation du réchauffement climatique sous certaines limites, les règles qu’il pose pour y parvenir sont d’une tout aussi remarquable mollesse.
6C’est que, comme les contributeurs au présent ouvrage l’ont relevé, le droit international de l’environnement a été pensé comme un droit d’incitation, mou, flexible, programmatique. Il est le reflet des évolutions du droit international mentionnées par Olivier de Frouville, faisant maintenant la part belle aux textes non obligatoires.
7Est-ce par choix ? Sans doute en partie, comme l’a narré Yann Kerbrat. Nombreux sont ceux qui estiment que le « droit dur » n’est pas adapté à l’encadrement effectif de la matière. Car de multiples considérations entrent en jeu pour que, à leur niveau, les États mettent vraiment en œuvre les politiques environnementales que l’on attend d’eux. Elles sont d’ordre politique, social, économique, historique, spirituel, relèvent de la sociologie, de l’anthropologie, font intervenir des problématiques régionales, locales, transnationales, mondiales. Les États devraient alors se voir reconnaître une large marge d’appréciation. Par conséquent, en surplomb, le droit international, si droit il y a, se conçoit nécessairement comme mou, vague, indicatif, suggestif, à défaut de se vouloir directif.
8Mais sans doute souffre-t-on aussi de l’aversion manifestée par les États – pas toujours mais très souvent – à l’idée de se lier les mains en acceptant des obligations de droit international dont ils mesurent mal le bien qu’elles peuvent leur faire. Les États demeurent ce qu’ils sont : souverains, attachés à leur indépendance, c’est-à-dire à leur liberté de faire comme ils l’entendent. Ils peuvent avoir de bonnes intuitions, mais sont aussi pétris d’ambitions contradictoires et trop souvent guidés par le court-termisme. Même informés des catastrophes planétaires qui s’annoncent, les réflexes égocentrés des souverains ont la vie dure. Du reste, le souverainisme n’a jamais été aussi arrogant que ces derniers temps.
9Force est alors de constater – c’est fort dommage – que le droit international de l’environnement, généralement mou, produit les résultats « mous » qu’il peut effectivement produire, et qui déçoivent. Est-ce alors un problème d’effectivité ? Je note que nombre des contributions de ce volume ne portent pas réellement sur l’ineffectivité du droit de l’environnement, mais plutôt, au moins en substance, sur l’échec ou, en tout cas, l’insuffisance, car le tableau n’est pas totalement noir, de l’approche par le droit mou. Tout ce travail, tous ces mots, tous ces articles longuement négociés pour composer le droit international de l’environnement sont consignés dans des textes soigneusement « édentés », alors que, la science est formelle, nous marchons vers un précipice.
10Avons-nous un doute à cet égard ? Sans même qu’il soit besoin de lire des rapports scientifiques compliqués, la planète nous fait connaître son aigreur en poussant ses mers à pénétrer toujours plus profondément dans les terres, comme pour les venger de notre arrogance à proclamer, nous, « Terriens », que « la terre domine la mer1 ». Et nous voilà avec le problème des lignes de base et des limites maritimes, dont le tracé pourrait, si l’on n’y prenait garde, être corrigé en permanence par un droit de la mer qui, incapable de contrer la montée des eaux, semble au contraire s’en satisfaire en en tirant les conséquences. Ce serait, si c’était le cas, terriblement injuste pour les États victimes de la montée des eaux, et en particulier pour les petits États insulaires qui, privés d’une partie de leur territoire englouti en conséquence du réchauffement climatique, seraient en même temps dépossédés d’une partie de leurs eaux par un droit de la mer mal conçu. Ce serait là une « double peine ». Il est rassurant de savoir, comme cela est exposé par Nilüfer Oral, que l’on s’achemine vers une solution de raison.
11Malheureusement, le réchauffement climatique n’est pas qu’affaire de statistiques, de courbes et de projections toutes plus effrayantes les unes que les autres, comme l’a bien illustré Dominique Bourg. Au-delà des lignes de base potentiellement déracinées, certains êtres humains en vivent les conséquences au point que leurs droits garantis par le droit international des droits de l’homme en sont affectés. Ils sont déjà dans la zone orange vif, si ce n’est rouge, de la planète, voient leurs modes de vie dégradés voire menacés, leurs ressources se raréfier, sont forcés de se déplacer dans leur pays ou sont poussés à tenter de trouver refuge à l’étranger. L’impéritie des gouvernements à assumer leur responsabilité dans la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de l’environnement pose alors la question de la protection des victimes. Le droit international contient-il ce qu’il faut pour cela ? Les droits de l’homme et le droit des réfugiés ouvrent des possibilités : on se souvient de l’affaire Ioane Teitiota c. Nouvelle-Zélande2 et, plus récemment, de l’affaire Daniel Billy et al. c. Australie3 ; Ricardo Abello-Galvis fait pour sa part le point sur l’approche souvent créative de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, tandis que Patrícia Galvão Teles lance, entre autres, la piste de l’élaboration d’un droit international des personnes déplacées à raison du réchauffement climatique.
12La conclusion que j’en tire est que, au moins dans la mesure où les humains sont affectés dans leur vie et leur dignité, le droit international de l’environnement, dont j’ai indiqué qu’il est largement « édenté », trouve quelques « griffes » dans le droit international des droits de l’homme. Le doter de telles griffes était du reste très exactement l’objectif de la Colombie lorsqu’elle a saisi la Cour interaméricaine des droits de l’homme de la demande du célèbre avis consultatif OC-23/17 sur droit de l’homme et environnement4. Pour cela, il fallait vérifier que la violation du droit de l’environnement est en même temps une violation des droits de l’homme, susceptible, donc, de faire l’objet d’un contentieux devant une juridiction des droits de l’homme. L’avis consultatif donne des réponses audacieuses. Celles qui s’annoncent sous la plume du Tribunal international du droit de la mer et de la Cour internationale de justice seront-elles du même calibre ? Je l’espère très vivement.
13Mais si le droit international des droits de l’homme est proche d’offrir quelques solutions aux personnes les plus durement frappées par les désastres environnementaux, ces solutions ne sauveront pas pour autant la planète et ses écosystèmes. Au risque assumé de simplifier les choses, car énormément d’idées ont été développées, quatre pistes supplémentaires sont avancées dans le présent ouvrage.
14La première, même si cela n’est qu’effleuré, notamment par Sara L. Seck et Olivier de Frouville, est celle d’une remise en cause du droit international et de ses principes westphaliens de base. N’est-ce pas l’État, oppresseur, intrinsèquement colonial, se nourrissant d’inégalités et incapable de prendre vraiment la mesure des actions qu’il devrait conduire pour donner une chance à l’humanité, préoccupé qu’il serait, tout au contraire, à organiser la destruction de la biosphère ; n’est-ce pas l’État, et le droit international qu’il a créé, qui sont des ennemis à abattre ? Faut-il démolir les frontières et la souveraineté permanente sur les ressources naturelles ? Faut-il renverser la table et créer une gouvernance mondiale intégrée de la Terre, en s’inspirant de la sagesse inhérente aux « indigenous laws » ? Les idées « déconstructionnistes » et cosmopolitistes sont séduisantes et peut-être sont-elles porteuses de solutions. En tout cas, aucune piste ne doit être laissée non explorée.
15La deuxième consiste à améliorer les cadres institutionnels et les contenus normatifs du droit international de l’environnement. Sandrine Maljean-Dubois a dressé une liste ambitieuse à cet égard.
16La troisième, dans le prolongement de la précédente, repose sur l’idée de l’élargissement de la liste des sujets de droit, y compris du droit international. On sait bien que pendant longtemps l’État souverain a été le seul et unique sujet de droit international. Il a été rejoint par une entité non souveraine, l’organisation internationale, puis, progressivement et sous la poussée irrépressible des droits de l’homme, par l’individu. La nouvelle frontière, illustrée par Sacha Bourgeois-Gironde, Philippe Cullet et Nele Matz-Lück, consiste à reconnaître une personnalité juridique aux entités environnementales, ce qui se fait déjà dans certains ordres juridiques internes et pourrait intégrer le système international.
17Au titre de la quatrième piste, on entend donner davantage la parole aux juges. Les juges internes sont de plus en plus régulièrement interrogés et s’appuient souvent sur le droit international pour répondre. Yann Kerbrat a raconté les impulsions données par le juge international, le ruissellement, ensuite, vers le juge des droits de l’homme et le juge interne, tandis qu’Andreas Paulus, Isabel Madeleine Kaiser et Gabrielle Marceau ont illustré la manière dont le juge constitutionnel et le juge du commerce peuvent s’appuyer sur le droit international de l’environnement pour lui donner effet.
18J’y ajouterai seulement deux observations.
19D’abord, le juge international ne peut que difficilement dire autre chose que ce que dit le droit. Et si le droit est formulé de manière déficiente, il lui est difficile de le reformuler de manière intelligible. Ce n’est pas impossible, mais pour cela les juges doivent être prêts à avoir une approche constructive et à ne pas s’enfermer dans une lecture rétrograde des textes dont l’interprétation leur est demandée. Dans cette mesure, l’obligation de « diligence due » peut se voir conférer un sens précis ; l’« alchimie », ou les « alliances », pour reprendre les termes travaillés par Makane Moïse Mbengue, entre droit international et droit international des droits de l’homme peuvent générer des règles fortes, comme l’a illustré la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’avis consultatif OC-23/17 rendu à la demande de la Colombie. Nous verrons si les juges du Tribunal international du droit de la mer saisis d’un avis consultatif à propos de l’interprétation de la partie XII de la Convention5 auront une approche intéressante à cet égard.
20Ensuite, et enfin, pour faire parler un juge, il faut lui adresser une affaire ou une question. C’est là le plus difficile. Celui qui entend interroger le juge doit avoir un peu d’audace, trouver une base de compétence, parfois « penser hors de la boîte ». Chacun peut imaginer le risque pris par la Colombie lorsqu’elle a soutenu devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme que, du point de vue de la Convention interaméricaine des droits de l’homme, un État doit être réputé tenir sous sa juridiction des étrangers situés sur un territoire tiers dès lors que cet État a sous son contrôle ou sous son autorité l’activité qui est la source de la pollution transfrontière dont ces étrangers sont victimes. Chacun imaginera aussi l’effort fait par la Commission des petits États insulaires pour donner un sens concret aux obligations de la partie XII de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.
21Toutefois, il ne faut pas, bien sûr, tout attendre des juges internationaux. Face à la catastrophe climatique globale, c’est tout le génie humain, tous les niveaux décisionnels, toutes les consciences, qu’il faut mobiliser. Le présent volume ouvre des perspectives en ce sens.
Notes de bas de page
1Cour internationale de justice, affaire Plateau continental de la mer du Nord, RG no 51 et 52, arrêt du 20 février 1969, p. 51, § 96, https://www.icj-cij.org/fr/affaire/51/arrets.
2Comité des droits de l’homme (CDH), affaire Ioane Teitiota c. Nouvelle-Zélande, communication no 2728/2016, CCPR/C/127/D/2728/2016, 24 octobre 2019, https://www.legal-tools.org/doc/779ppc/.
3CDH, affaire Daniel Billy et al. c. Australie, communication no 3624/2019, CCPR/C/135/D/3624/2019, 21 juillet 2022, https://www.escr-net.org/fr/caselaw/2022/daniel-billy-et-al-contre-laustralie-requete-insulaires-du-detroit-torres.
4Avis consultatif no 23/17, « Medio ambiente y derechos humanos (Obligaciones estatales en relación con el medio ambiente en el marco de la protección y garantía de los derechos a la vida y a la integridad personal – interpretación y alcance de los artículos 4.1 y 5.1, en relación con los articulos 1.1 y 2 de la Convención americana sobre derechos humanos) », OC-23/17, série A, no 23, 15 novembre 2017, https://www.corteidh.or.cr/docs/opiniones/seriea_23_esp.pdf.
5Convention des Nations unies sur le droit de la mer, 10 décembre 1982, partie XII, p. 82-98, https://www.un.org/Depts/los/convention_agreements/convention_overview_convention.htm.
Auteur
Professeur à l’université Paris Nanterre, secrétaire général de l’Académie de droit international de La Haye

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