Propos introductifs
p. 211-214
Texte intégral
1On saluera la logique qui a animé la pensée de Laurence Boisson de Chazournes lorsqu’elle a conçu le déroulement du colloque dont est issu le présent ouvrage, en le terminant sur un dernier développement consacré aux juges face au droit international de l’environnement. C’est une façon habile et convaincante de « boucler la boucle » et, à bien des égards, d’apporter une réponse au véritable défi lancé dans le titre même du livre.
2Ont d’abord été traités les aspects de fond : quelles règles, générales ou spéciales, et de quelle nature, appliquer ? Quels sujets viser ? l’être humain ? ou bien aussi les autres espèces, et la nature elle-même, dans toutes ses composantes ? Les exigences de la biodiversité – et je dirais aussi le sens du partage d’un bien commun – n’imposent-elles pas un devoir de protection à leur endroit ? Toutes questions fondamentales qui franchissent aujourd’hui un pas décisif par la soudaine généralisation d’une prise de conscience. Elle fut longtemps le seul fait de quelques esprits avertis et attentifs. Plusieurs auteurs de contributions dans cet ouvrage en font partie. Par un éveil brutal, ces questions devenues métaphysiques atteignent chacun de nous par la constatation sans appel du changement climatique et de l’urgente nécessité, s’il en est encore temps (mais il n’est jamais trop tard pour bien agir), de prendre des mesures impératives. Dans ces pages, elles sont mises en relief avec une lumière crue, au terme d’un inventaire en forme de balayage spectroscopique.
3Pour les juristes, la question de l’effectivité des normes, dont cet inventaire a montré l’incontestable richesse, la grande diversité et la régulière progression dans le long chemin des précisions et affinages successifs, est une question centrale. D’une certaine manière, elle constitue le « passage des paroles aux actes ».
4Certes, ce « passage aux actes » cherchant à assurer la mise en œuvre des normes, et donc à conférer un effet concret et pratique au droit international de l’environnement, peut se faire par d’autres voies que l’intervention du juge : les instruments diplomatiques, voire le recours à la force dans les conditions autorisées par le droit international, peuvent avoir un effet pratique et une effectivité parfaite. Ces procédures vont de soi et les rappeler est inutile.
5Le recours au juge, pris au sens large en y incluant la justice privée des instances arbitrales1, soulève nombre de questions dont les plus importantes sont évoquées dans les pages qui suivent. Dans l’ordre interne et sa judiciarisation croissante, le recours au juge est perçu comme le procédé de plus en plus attractif par lequel le bon droit est reconnu au profit d’une partie qui pourra en bénéficier effectivement, sous réserve des mesures d’exécution de la décision rendue. C’est ainsi que, dans le domaine du droit international de l’environnement, les décisions internes peuvent avoir un effet extrêmement important sur ce droit qui est, à bien des égards, un « droit carrefour ».
6Le texte du professeur Andreas Paulus, ancien juge à la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne, consacré à la décision de ladite Cour constitutionnelle fédérale sur le changement climatique le montre clairement. Auparavant, la contribution du professeur Yann Kerbrat, de l’école de droit de la Sorbonne, traite des juridictions internationales et de leur application effective du droit de l’environnement, venant revêtir du sceau de la vérité judiciaire un certain nombre de normes et de principes. Le développement de cette voie de recours est évident. Bien entendu, la Cour internationale de justice était ici attendue avec impatience et intérêt. Dans les limites générales de sa compétence, elle a été plusieurs fois heureusement saisie ces dernières années, a rendu d’importantes décisions et a joué un rôle capital. En effet, au-delà du très grand intérêt de fond des décisions rendues et des opinions qui les ont accompagnées, il était fondamental que la Cour eût ainsi l’occasion de montrer à quel point le droit international de l’environnement était indispensable et devait être développé.
7Toutefois, la Cour mondiale n’est pas, loin s’en faut, la seule à intervenir. D’autres décisions riches et importantes émanent du Tribunal international du droit de la mer de Hambourg, des juridictions des droits de l’homme ou de cours régionales. Gabrielle Marceau, qui a de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) une connaissance encyclopédique, clôturera le panel avec sa communication sur le juge de l’OMC dont la jurisprudence a permis de donner, dans le déploiement des activités du commerce international, un rôle central aux préoccupations environnementales et a ainsi fortement contribué à l’effectivité du droit qui les exprime.
8Je me permettrai enfin une remarque toute personnelle. Depuis quelques années, je suis préoccupé par les risques nés de la spécialisation et de la coupure que celle-ci risque d’engendrer avec le droit international général tel que l’applique la Cour internationale de justice, ou tel que s’y consacre une fraction de la doctrine qui, elle-même, se réduit dangereusement. Le rôle décisif de la Cour à cet égard est que, en se référant à des normes environnementales propres aux affaires qu’elle avait à traiter, elle a en même temps conservé ses références conceptuelles au droit international général et a ainsi montré que, si le droit international de l’environnement constituait une discipline de spécialité, il était d’abord du droit international.
9Pour reprendre l’expression imagée de Sandrine Maljean-Dubois, le droit international de l’environnement doit être « désencapsulé ». À cet égard, si le mouvement de multiplication des juridictions internationales dans une société internationale horizontale, qui relève certainement d’une bonne intention (dont l’enfer est pavé), aboutissait à la création d’une juridiction internationale du droit de l’environnement, ce ne serait pas une bonne nouvelle pour celui-ci. J’ai employé plus haut l’expression de « droit carrefour » pour le qualifier. Cette situation devrait faire sa force et lui donner son effectivité. En ce sens, une relation étroite du droit international de l’environnement avec le droit international général sous l’ombrelle des juridictions internationales, en particulier la Cour internationale de justice, serait une garantie forte de cette effectivité. Il n’est pas de droit sans juge !
Notes de bas de page
1L’affaire Fonderie de Trail n’est-elle pas la pierre angulaire quasi mythique du droit de l’environnement ? Cf. Nations unies, affaire Fonderie de Trail, no 60, sentence du 11 mars 1941, https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.18356/9789213627839c028.
Auteur
Professeur émérite de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, président du Curatorium de l’Académie de droit international de La Haye

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