L’assyriologie à l’École pratique des hautes études et au Collège de France
p. 119-145
Texte intégral
1Dans un message adressé à l’École pratique lors de la célébration de son cinquantenaire, Maurice Croiset, administrateur du Collège de France, écrivait1 :
Le Collège de France qui comptera bientôt 400 ans d’existence, n’en est pas moins uni par un lien de fraternité avec la jeune École pratique des hautes études, qui célèbre aujourd’hui son cinquantenaire et c’est avec des sentiments fraternels qu’il lui apporte dans cette fête son hommage et ses vœux. […] Votre histoire est trop mêlée à celle du Collège de France pour que je puisse l’en séparer et si j’énumérais vos maîtres les plus illustres, j’aurais l’air de vouloir revendiquer une trop large part de ce qui vous appartient.
2Le livret qui réunit les discours célébrés à cette occasion comporte, après celui de Louis Havet, président de la section des sciences historiques et philologiques, un autre dû à Bernard Haussoullier sur « L’Antiquité classique », un d’Antoine Meillet sur « Les Langues » et un de Ferdinand Lot sur « L’Histoire » ; l’assyriologie n’y est mentionnée que par Meillet2. Ce m’est donc un plaisir particulier que de me livrer à une présentation détaillée des liens entre l’École pratique des hautes études (EPHE) et le Collège de France dans le domaine où je travaille, à l’occasion du cent-cinquantenaire de l’École. Après avoir dressé un rapide portrait des sept assyriologues qui ont occupé une chaire au Collège de France depuis 1874, et qui tous ont été également directeurs d’études à l’École pratique des hautes études, je voudrais m’attarder sur un cas très intéressant, celui d’un enseignant de l’École pratique des hautes études élu au Collège de France mais non nommé, à savoir le Père Scheil3 (fig. 1).
Fig. 1 — Buste du Père Scheil.

Sorbonne, EPHE. DR.
Deux institutions complémentaires
3La première chaire d’Assyriologie a été créée au Collège de France en 1874 pour Jules Oppert (fig. 2). On est bien dans l’orientation alors souhaitée par Renan : le Collège de France doit être fait de « chaires indépendantes où s’enseignent non les branches de la science qui sont faites, mais celles qui sont en voie de se faire4 ».
Fig. 2 — Jules Oppert (1825-1905).

DR.
4Voici le tableau des sept titulaires de chaires d’Assyriologie, qui ont correspondu à trois intitulés différents (si l’on ne tient pas compte du léger changement introduit pour Dhorme).
Nom | Dates | EPHE | Collège de France | Intitulé au Collège |
Jules OPPERT | 1825-1905 | 1883-1905 | 1874-1905 (31 ans) | Philologie et archéologie assyriennes |
Charles FOSSEY | 1869-1946 | 1907-1939 | 1906-1939 (34 ans) | Philologie et archéologie assyriennes |
Édouard DHORME | 1881-1966 | 1933-1951 | 1946-1951 (6 ans) | Philologie et archéologie assyro-babyloniennes |
René LABAT | 1904-1974 | 1933-1974 | 1952-1974 (23 ans) | Assyriologie |
Paul GARELLI | 1924-2006 | 1974-1994 | 1986-1995 (10 ans) | Assyriologie |
Jean-Marie DURAND | 1940- | 1981-2011 | 1999-2011 (13 ans) | Assyriologie |
Dominique CHARPIN | 1954- | 1994-2013 | 2014- | Civilisation mésopotamienne |
5Fossey fut le titulaire qui occupa une chaire pendant la plus longue période (trente-quatre ans) (fig. 3). Son principal titre de gloire est assurément la création du « Cabinet d’assyriologie », terme sous lequel a longtemps été désignée la bibliothèque qu’il fonda en 19375, et qui reste aujourd’hui encore un des fleurons de l’Institut des Civilisations6.
Fig. 3 — Charles Fossey (1869-1946), mai 1939.

Archives du Collège de France 16 CDF 134.
6À plusieurs reprises, les successions ne se firent pas directement. C’est ainsi qu’aucun assyriologue ne succéda à Fossey lorsque celui-ci prit sa retraite en 1939. Il est vrai que depuis 1932, Isidore Lévy, jusqu’alors directeur d’études à l’EPHE, occupait une chaire d’Histoire ancienne de l’Orient sémitique. Suspendu en 1940, alors qu’il avait 69 ans, il put à titre exceptionnel reprendre son enseignement pendant un an en 1945, de façon à compenser l’injustice due aux lois anti-juives de l’État français de Vichy. C’est donc à Lévy qu’Édouard Dhorme succéda (fig. 4), mais avec un intitulé qui reprenait celui d’Oppert et de Fossey, légèrement modifié ; on peut s’étonner que ses préoccupations relatives au monde ouest-sémitique et à la Bible n’y apparaissent pas7.
Fig. 4 — Édouard Dhorme (1881-1966).

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7René Labat (fig. 5), qui avait succédé au Père Scheil à la IVe section de l’EPHE en 1933, au moment même où Dhorme entrait à la Ve section, succéda immédiatement à celui-ci au Collège de France en 1952. En 1973, approchant de la retraite et souhaitant que Jean Bottéro, son cadet de dix ans, lui succédât, Labat voulut éviter une confrontation avec Emmanuel Laroche, exact contemporain de Bottéro. Il fit donc entrer Laroche au Collège de France sur une chaire intitulée « Langues et civilisation de l’Asie mineure ». Labat ne put achever sa dernière année d’enseignement, puisqu’il mourut en avril 1974. On connaît la suite : Bottéro ne fut pas présenté. Et pendant douze ans, pour la seule fois depuis un siècle (si l’on met de côté la Seconde Guerre mondiale), l’assyriologie au sens strict ne fut plus enseignée au Collège de France ; Laroche occupait cependant le bureau attenant au Cabinet d’Assyriologie et veillait au bon développement de la bibliothèque. Suite à la retraite de Laroche en 1985, Paul Garelli (fig. 6) devint professeur en 1986, reprenant l’intitulé de la chaire de Labat. À sa retraite, l’habitude s’était prise au Collège de laisser un temps de vacance après la fin d’un enseignement. Jean-Marie Durand ne devint donc professeur que trois ans après le départ de Garelli. De la même façon, je n’ai été nommé que plus de deux ans après la retraite de Jean-Marie Durand – et avec un intitulé différent, puisque l’accent est aujourd’hui mis davantage sur l’innovation que sur la perpétuation d’une tradition.
Fig. 5 — René Labat (1904-1974).

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Fig. 6 — Paul Garelli (1924-2006).

Archives du Collège de France © J.-P. Martin/Collège de France.
8Tel est, rapidement tracé, le tableau d’ensemble8. Si l’on met l’accent sur les rapports entre l’EPHE et le Collège, on voit que tous les professeurs du côté impair de la rue Saint-Jacques ont aussi enseigné côté pair. Deux cas particuliers doivent toutefois être soulignés. Celui d’Oppert, tout d’abord. Avant d’entrer au Collège de France, il enseignait à la Bibliothèque nationale, non à l’École pratique ; il n’y fut nommé que bien après son élection au Collège, le 19 janvier 1883, avec une direction d’études intitulée « Philologie et antiquités assyriennes ». Selon le témoignage de Bernard Haussoullier, « en notre École un directeur d’études qui n’enseigne pas ne dirige rien du tout : or Jules Oppert n’y a jamais enseigné9 ». Il fut d’abord suppléé par Arthur Amiaud, qui eut le titre de maître de conférences, entre 1883 et sa mort en 1889, puis par le Père Scheil à partir de 1895. Charles Fossey pourrait aussi apparaître comme une exception, dans la mesure où il ne fut élu à la section des sciences religieuses de l’EPHE sur une chaire de Religion assyro-babylonienne qu’en 190710, donc un an après être devenu professeur au Collège de France ; mais il y était depuis 1899 chargé de ce qu’on appelait alors un « cours libre » sur la religion assyrienne.
9Par ailleurs, après leur entrée au Collège de France, tous les professeurs de l’EPHE y ont continué leur enseignement :
- Édouard Dhorme a occupé à la section des sciences religieuses une direction d’études d’« Hébreu et araméen » de juin 1933 à août 1945 comme non-cumulant, puis comme cumulant jusqu’à juin 1951 ;
- René Labat a occupé à la section des sciences historiques et philologiques une direction d’études d’« Assyriologie » de septembre 1933 à août 1952 comme non-cumulant, puis comme cumulant jusqu’à juin 1973 ;
- Paul Garelli a occupé à la section des sciences historiques et philologiques une direction d’études d’« Assyriologie » de septembre 1974 à août 199311 ;
- Jean-Marie Durand a occupé à la section des sciences historiques et philologiques une direction d’études d’« Antiquités sumériennes et akkadiennes » de septembre 1982 à août 1999 comme non-cumulant, puis comme cumulant jusqu’à août 2011.
- Je constitue de ce point de vue une exception, dans la mesure où j’étais depuis septembre 2005 directeur non cumulant (« Histoire de la Mésopotamie12 ») à la section des sciences historiques et philologiques et où j’ai souhaité que ce poste plein soit conservé, de façon à ne pas réduire le nombre de chaires d’assyriologie en France, déjà fort limité. J’ai donc cessé d’enseigner à l’EPHE en décembre 2013, ayant été nommé au Collège de France au 1er janvier 2014.
10Une fois ce cadre général rappelé, je voudrais m’attacher à un cas particulier, celui de la succession d’Oppert en 1905. Le Père Scheil fut élu au Collège de France, mais n’y devint jamais professeur et c’est aux événements de l’hiver 1905-1906 que je voudrais consacrer le reste de ma contribution13.
La succession d’Oppert en 1905
11Pourquoi m’intéresser à ce cas ? Par curiosité personnelle d’abord. J’ai été en 1994 le troisième successeur de Vincent Scheil à l’École pratique des hautes études, après René Labat et Paul Garelli. J’ai également repris en 2003 le flambeau de la direction de la Revue d’Assyriologie, que le Père Scheil a codirigée avec François Thureau-Dangin de 1910 à sa mort en 1940. Par ailleurs, j’ai appris récemment de façon totalement fortuite que le frère de mon grand-père, avait connu le Père Scheil en 190814, au point qu’il envoya à son père une carte postale le représentant, avec ces mots : « Cette carte pour vous faire prendre patience… et aussi pour vous présenter la tête sympathique du Père Scheil, dominicain, professeur d’assyrien à l’École des hautes études. » Elle paraît bien lointaine, cette époque où l’on faisait des cartes postales avec le portrait des universitaires ! Mais revenons à la grande histoire…
Les candidats à la succession d’Oppert
12La chaire de Philologie et archéologie assyrienne, créée en janvier 1874 et à laquelle Oppert a été nommé en mars 187415, a été occupée par lui jusqu’à sa mort en août 1905 – il venait de dépasser les 80 ans. À l’Assemblée du 5 novembre, une majorité des professeurs se prononça en faveur du maintien de la chaire. L’Administrateur du Collège de France était à cette époque Pierre Émile Levasseur, géographe et économiste. Il reçut cinq lettres de candidature, émanant (par ordre alphabétique) de Charles Fossey, Joseph Halévy, Vincent Scheil, François Thureau-Dangin et Charles Virolleaud16. Je me limiterai ici aux trois principaux candidats : Thureau-Dangin, Fossey et Scheil17.
13Le plus jeune des trois était François Thureau-Dangin, qui avait alors presque 33 ans. Il était depuis 1902 attaché au Département des antiquités orientales du musée du Louvre et bénéficia d’une lettre de soutien de Léon Heuzey, son directeur. Ses travaux étaient notamment liés aux fouilles de Tello, entamées dans le Sud de l’Irak dès 1877. Il s’est très vite affirmé comme le meilleur connaisseur de la langue sumérienne, publiant aussi bien un ouvrage de Recherches sur l’origine de l’écriture cunéiforme en 1898 (à 26 ans !), que des documents d’archives dans son Recueil de tablettes chaldéennes en 1903, ou des inscriptions commémoratives dans son édition des Cylindres de Goudea, publiée chez Leroux en 190518. Sa bibliographie comptait également une quarantaine d’articles.
14Charles Fossey n’était l’aîné de Thureau-Dangin que de peu, puisqu’il avait alors 36 ans. La liste de ses travaux commence par rappeler qu’il était « ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé des lettres, ancien membre de l’École française d’Athènes et de l’Institut français d’archéologie orientale du Caire, docteur ès-lettres, chargé de cours à l’École des hautes études (Ve section) ». Il avait publié peu d’articles, mais il était l’auteur de trois livres. Le premier, une Grammaire assyrienne, paru en 1901, avait Scheil comme co-auteur19. En 1902 était parue sa thèse de doctorat sur La magie assyrienne20 et en 1904 le tome I de son Manuel d’assyriologie21. L’Administrateur reçut en sa faveur une lettre d’Émile Bourgeois, ancien maître de conférences à l’École normale, qui était devenu en 1904 professeur d’histoire à la Sorbonne.
15Le Père Scheil était, à 48 ans, le plus âgé des trois candidats qui retinrent l’attention. Les archives du Collège n’ont pas conservé la liste de ses travaux22, mais on peut la reconstituer. Il avait publié en 1889 les inscriptions du roi assyrien Šamši-Adad V23, et l’année d’après, avec son maître Amiaud, les inscriptions de Salmanasar III24. En 1900 était paru le premier volume issu de son travail en Iran, sur le site de Suse, dans la série des Mémoires de la Délégation en Perse (MDP)25, suivi par un autre dès 190126. 1902 vit la parution de son rapport sur les fouilles de Sippar qu’il avait menées en 1894, car il travailla autant comme épigraphiste de terrain que dans les musées27. Toujours en 1902, son principal titre de gloire fut la publication du Code de Hammu-rabi28. Il avait assisté à la découverte de la stèle en trois morceaux dans l’hiver 1901-1902 et assura son déchiffrement en à peine trois mois, un tour de force qui fut internationalement reconnu. Dès 1904 parut un nouveau livre de textes susiens29, suivi par un autre en 190530. Au total donc, pas moins de huit livres, dont cinq de textes susiens, sans compter d’innombrables articles. Le plus frappant était l’étendue de ses publications, qui ne portaient pas seulement sur le cunéiforme en Mésopotamie et au-delà, qu’il s’agisse d’El-Amarana en Égypte, de Hattuša en Anatolie, ou de Suse en Iran ; à ses débuts, il fut aussi helléniste, publiant les papyri de deux traités de Philon d’Alexandrie, ou des inscriptions palmyréniennes, sans parler de ses contributions égyptologiques.
16On doit ajouter que les années 1903-1904 avaient été marquées par de vives controverses. Il est vrai qu’Oppert approchait des 80 ans et que d’après certains témoignages, son aspect laissait à penser qu’il ne tarderait pas à décéder. Les hostilités pour sa succession éclatèrent et ce fut Fossey qui ouvrit le feu. Il s’attaqua d’abord directement au Père Scheil, dont il critiqua le travail dans un article du Journal des Savants de façon indirecte, sans le nommer31 ; sagement, Scheil ne répondit pas. Dans son Manuel de 1904, Fossey mentionna le Code de Hammu-rabi (avec référence p. 76 à MDP IV, p. 3-15), mais la bibliographie omit de citer cette publication sous le nom de Scheil pour l’année 1902 (p. 417). On y relève aussi cette flèche32 : « Heureusement les fouilles françaises de Suse (v. p. 62) nous ont déjà rendu de nombreux textes susiens ; d’autres encore reviendront à la lumière, et l’on peut espérer que, le jour où les documents trouvés et publiés par la mission Morgan, seront étudiés par un philologue, la plupart des difficultés seront surmontées. »
17Une fois de plus, Scheil n’est pas nommé, mais implicitement considéré comme un éditeur de textes auxquels il ne comprend rien… Fossey s’en prit également à un des élèves de Scheil, l’abbé Martin, professeur à l’Institut catholique, qui avait fait paraître en 1903 un recueil de Textes religieux assyriens et babyloniens33. L’abbé Martin avait été candidat à un prix de l’Académie en même temps que Fossey pour sa Magie assyrienne et c’est ce dernier à qui fut attribué le prix Saintour. L’abbé Martin se plaignit de l’irrégularité de la procédure, car à la date de la proclamation du prix, le 13 mai 1904, le livre de Fossey n’avait toujours pas été publié – seules des épreuves avaient été déposées le 31 décembre 1903. Du coup, la polémique enfla entre les deux savants dans le Bulletin critique : à la plainte de F. Martin, C. Fossey répondit par une lettre très méprisante, à laquelle Martin répliqua en accusant notamment Fossey de n’avoir pas mentionné l’aide qu’il avait reçue de Scheil dans la rédaction de sa Magie34. Il est difficile aujourd’hui de décider si Fossey manifestait dans ses attaques seulement son mauvais caractère, ou s’il agissait par stratégie, se positionnant comme anticlérical.
L’Assemblée du 17 décembre 1905
18Lors de l’Assemblée des professeurs du 17 décembre 190535, six professeurs firent connaître leur préférence pour Fossey36. Deux ont parlé pour Thureau-Dangin37. Un seul prit le parti de Scheil38, mais Marcellin Berthelot lut également la longue et très louangeuse « Note de présentation » de l’égyptologue Gaston Maspero, qui était absent. Un seul parla, fort mollement, en faveur de Halévy39. Personne ne se prononça pour Virolleaud.
19Comme il arrive parfois, le résultat du vote ne refléta pas les prises de parole, comme l’indique le procès-verbal de l’Assemblée :
Il est procédé au vote.
Votants 38 – Majorité 20.
M. Scheil obtient au 1er tour 21 voix
M. Fossey ” ” 12 ”
M. Thureau Dangin ” 4 ”
M. Halévy ” 1 ”
En conséquence M. Scheil est présenté comme premier candidat.
Pour la présentation en seconde ligne, le nombre des votants est encore de 38, la majorité de 20.
Au 1er tour M. Fossey obtient 23 voix
” M. Thureau Dangin ” 13 ”
Il y a 2 bulletins blancs.
En conséquence M. Fossey est présenté comme second candidat.
20Ce vote peut paraître étonnant de façon rétrospective – mais c’est parce que nous connaissons la suite… Il nous paraît évident qu’il aurait fallu élire Thureau-Dangin, qui était – et de loin – le meilleur assyriologue, quoique largement autodidacte. N’oublions pas qu’en 1905 il avait seulement 33 ans, et venait tout juste de faire paraître le volume des Inscriptions royales de Sumer et d’Akkad, ouvrage dont la renommée fut assurée par sa traduction en allemand en 190740. Gageons que si Oppert était mort deux ans plus tard, les choses eussent été différentes. À l’inverse, si Oppert était mort en 1901, Scheil n’aurait pas encore accompli son plus bel exploit, l’édition du Code de Hammu-rabi41. C’est donc de manière somme toute assez logique qu’on assista à un duel entre le plus ancien, Scheil, au palmarès impressionnant, et son ancien élève Fossey, au cursus universitaire impeccable.
Le vote de l’Académie le 29 décembre 1905
21Dans sa séance du vendredi 29 décembre, l’Académie des inscriptions et belles-lettres confirma partiellement le vote du Collège42 :
Pour la chaire de Philologie et d’archéologie assyrienne, le R. P. Scheil est présenté en première ligne par 26 suffrages contre 7 donnés à M. Fossey et 1 à M. Thureau-Dangin.
Et en seconde ligne, M. Thureau-Dangin par 19 suffrages, contre 14 donnés à M. Fossey.
22On peut sans doute voir dans ces votes la marque de l’influence de Léon Heuzey, qui avait écrit à l’Administrateur du Collège une lettre de recommandation très chaleureuse en faveur de Thureau-Dangin et qui était membre de l’Académie depuis 1874. En mettant Thureau-Dangin devant Fossey en seconde ligne, les Académiciens avaient été plus clairvoyants que les professeurs du Collège… mais ils ne furent pas écoutés.
Les réactions à ces votes
23L’élection en première ligne de Scheil au Collège de France et sa confirmation par l’Académie provoquèrent un émoi terrible dans le camp des radicaux : il faut se rappeler que le Président du Conseil Émile Combes avait interdit le 7 juillet 1904 l’enseignement aux congrégations religieuses, et que la loi de séparation des églises et de l’État venait tout juste d’être promulguée, le 9 décembre 1905.
24Grâce à l’amabilité du Père Jean-Jacques Pérennès, directeur de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem, j’ai eu connaissance d’une lettre inédite de Paul Painlevé43. Ce mathématicien est célèbre pour avoir été notamment ministre de la Guerre, président de la Chambre des députés, président du Conseil : tout cela à partir de 191744. En 1905, il avait 42 ans et il était membre de l’Académie des sciences, professeur à la Faculté des sciences de l’université de Paris et à l’École polytechnique. Cette lettre est adressée à Anatole France, qu’il n’est pas besoin de présenter. Je me contenterai de dire que les deux hommes, membres de la Ligue des Droits de l’Homme, étaient fort proches. Voici ce document45 :
Vendredi
Cher et illustre Maître,
Êtes-vous averti du vote récent du Collège de France, relatif à la chaire d’assyriologie ? Vous savez sans doute que le collège a présenté en première ligne le Dominicain Scheil, en 2e ligne Fossey, « laïc » de dix ans plus jeune et d’une intelligence tout à fait supérieure. Il n’est pas douteux, d’après son esprit que l’Académie des Inscriptions présentera, elle aussi, Scheil en première ligne. Scheil a pour lui d’avoir déchiffré les lois d’Amourabi ; mais il faut dire qu’il avait obtenu de son ami de Morgan, le monopole des fouilles de Suse. C’est un bœuf de labour, excellent professeur de b.a ba assyrien, qui a déchiffré quantité d’inscriptions sans aucun sens critique. Fossey a déchiffré beaucoup moins, mais d’une façon beaucoup plus sûre et pénétrante. C’est de plus une intelligence très synthétique, qui a publié les trois premiers volumes d’une encyclopédie assyriologique, œuvre de tout premier ordre. Il a aujourd’hui 37 ans et a consacré toute son activité à ce travail. Il l’eût sans doute emporté sur Scheil, si Maspéro (qui a la jalousie inconsciente de toute intelligence synthétique comme la sienne) ne l’eut combattu avec passion, entraînant derrière lui Berthelot.
Or il y a, dans le débat, une question de principe qu’on ne peut négliger. Est-il admissible qu’on confie une chaire de libre critique scientifique, intéressant l’exégèse biblique, à un Dominicain qui ne peut publier une ligne sans l’imprimatur de ses supérieurs ? Le cas de l’abbé Loisy est significatif. – Une certaine histoire du père Scheil, que peut-être vous connaissez, ne l’est pas moins à un autre point de vue. Le père Scheil, dans les inscriptions de Suse, a cru déchiffrer le nom d’un certain Kedorlagomer [lire : Kedorlaomer (DC)], cité dans la Bible comme battu par Abraham au temps d’Amrafé. Identifiant Amrafé et Amourabi, Scheil en déduisait une preuve formelle de l’historicité de la Bible. Le malheur est qu’un Anglais King, relisant les inscriptions, a montré qu’au lieu de « Kedorlagomar », il fallait lire « Innouhsamar ». La dernière syllabe seule était exacte, King ajoute que l’inscription a subi un grattage, soit par accident, soit autrement (or otherwise).
Si Scheil était nommé, toutes les chaires analogues seront bientôt encombrées de religieux que les congrégations élèveront ces années à la brochette jusqu’au jour où la chaire guettée deviendra libre.
Si vous trouvez que j’ai raison, voudriez-vous saisir Combes de l’incident et lui demander d’en parler à Bienvenu-Martin, qui peut parfaitement nommer Fossey. Je crois savoir que Clémenceau dira un mot de l’affaire dans l’Aurore. Il serait indispensable d’agir au plus vite.
Pardon de ces quatre longues et ennuyeuses pages. J’espère vous voir dimanche, et vous prie de me croire, cher et illustre Maître, votre très affectueusement dévoué,
Paul Painlevé
25Les attaques sur la valeur de Scheil et sa probité scientifique étaient mesquines. Il est vrai que Scheil publiait vite, souvent trop vite. Mais tous les assyriologues furent unanimes à saluer l’exploit que fut l’édition du Code de Hammu-rabi découvert à Suse dans l’hiver 1901-1902 et publié par Scheil quelques mois plus tard seulement. L’emploi du mot monopole était perfide, car il correspond à une réalité différente : le monopole que la France avait obtenu des recherches archéologiques en Iran depuis 1895, et en particulier des fouilles de Suse dont le directeur était alors Jacques de Morgan46. L’affaire du déchiffrement du nom de Kedorlaomer est montée en épingle : de fait, Scheil commit une erreur, mais il se tint de manière générale à l’écart des débats très vifs à l’époque concernant l’historicité de la Bible, ne contribuant à son habitude que par la publication de textes nouveaux, avec des commentaires réduits au minimum, comme le fragment du récit du déluge qu’il publia en 189847. On doit d’ailleurs souligner qu’un des professeurs favorables à Scheil avait tenu lors de l’Assemblée du 17 décembre à citer une lettre du Père Scheil pour qui (je cite) « les livres de l’Ancien testament, comme genre historique et au point de vue scientifique, ne se diffèrent en rien de tout autre document, de même époque, étranger au peuple d’Israël48 ». Écrire (comme le fait Painlevé en soulignant) qu’en tant que dominicain Scheil « ne peut publier une ligne sans l’imprimatur de ses supérieurs » n’était pas exact : seul le premier livre de Scheil comporte un imprimatur49. Par ailleurs, les mérites de Fossey sont manifestement exagérés : les « trois premiers volumes d’une encyclopédie assyriologique, œuvre de tout premier ordre » sont en réalité les trois parties d’un seul livre paru en 1904 : Manuel d’assyriologie. Tome premier. Explorations et fouilles, déchiffrement des cunéiformes, origine et histoire de l’écriture. Ce livre de 468 pages ne se caractérise certainement pas par une « intelligence synthétique » : il ne s’agit que d’un résumé des découvertes et controverses de la seconde moitié du xixe siècle.
26Painlevé terminait sa lettre en indiquant : « Je crois savoir que Clémenceau dira un mot de l’affaire dans l’Aurore. » Ce fut plus qu’un mot : dans le numéro de L’Aurore du samedi 30 décembre 1905, Clémenceau consacra à l’affaire… pas moins de deux colonnes à la une, sous le titre « Saint Dominique au Collège de France50 ». En voici les principaux extraits, entrecoupés de commentaires :
La chaire d’assyriologie du Collège de France étant à pourvoir, les professeurs de cet établissement se sont réunis, selon l’antique privilège, pour indiquer au ministre un candidat de leur goût. Mais, là où il fallait apparemment un assyriologue, ils ont préféré choisir un dominicain.
Si le Révérend Père Scheil avait été désigné par une assemblée seulement composée d’orientalistes, le choix qu’on a fait de lui signifierait du même coup sa compétence. Mais l’assemblée des professeurs du Collège de France comprend une majorité de mathématiciens, de physiciens, de chimistes, de naturalistes, de latinistes et d’hellénistes. Ces savants se sont donc trouvés dans la même obligation qui se fût imposée au premier venu, de s’enquérir, à cette occasion, des titres du candidat. Par quel éclat de mérite leurs suffrages ont-ils été déterminés ?
27Ici, on ne peut s’empêcher de s’étonner : l’air de rien, Clémenceau remet en effet en question le mode d’élection des professeurs au Collège de France… Il poursuit :
Le dominicain a d’abord bénéficié de ce premier argument que sa candidature passait pour n’être point déplaisante à M. Maspero. L’éminent égyptologue est un peu porté, un peu trop porté, dit-on, à se considérer comme un roi nécessaire, en une matière où, d’ailleurs, il a marqué de façon si lumineuse son action personnelle : il préfère trop évidemment des sujets à des rivaux, des égaux.
28Il est vrai que Maspero a soutenu Scheil de tout son poids – mais on doit rappeler qu’il n’était pas présent lors du vote… Par ailleurs, ses collègues n’ont pas totalement suivi Maspero. Celui-ci avait commencé par écrire (je cite) : « À mon avis, Scheil devrait être présenté en première ligne et Thureau Dangin en seconde au choix du Ministre. »
29Il avait raison, mais ne fut pas suivi sur la seconde ligne. Clémenceau attaque ensuite Berthelot, lui reprochant de s’en être remis au jugement de Maspero, mais du coup d’avoir entraîné nombre de ses collègues – implicitement, il voulait dire : ceux d’entre eux qui étaient comme Berthelot libres penseurs. Clémenceau dénonce alors le rôle joué par Louis Liard, vice-recteur de l’académie de Paris – j’ajoute : et connu comme franc-maçon, donc traître à la cause… :
Toutefois, le mérite décisif du dominicain fut, sans conteste, la protection dont l’entoura le vice-recteur de l’Académie de Paris, M. Liard, assez ouvertement pour que le bruit en soit parvenu à des oreilles profanes, [il] allait jusqu’à annoncer que le ministre de l’instruction publique et des cultes verrait plutôt d’un œil favorable l’élection du moine. Les professeurs du Collège de France furent appelés à voter sur cette impression, – sous cette pression, serait-il peut-être plus exact de dire.
30Clémenceau continue :
La décision dernière reste néanmoins à M. Bienvenu-Martin. Quelque nomination qu’ait pu lui suggérer l’assemblée des professeurs du Collège de France, et de quelque appui que l’Académie à son tour se soit empressée de soutenir le Révérend Père Scheil, le ministre peut et doit se refuser à installer le dominicain dans la chaire d’Oppert. […]
Que si, au contraire, M. Bienvenu-Martin reste soucieux de documentation personnelle, en vue d’un choix éclairé, il ne pourra malheureusement pas prendre l’avis du seul homme qui eût été absolument autorisé en l’affaire. Mais enfin si Oppert n’est plus, les paroles d’Oppert restent, ses écrits de même. Et le premier universitaire venu sera à même d’apprendre à M. Bienvenu-Martin que l’opinion de M. Oppert sur celui dont certaines intrigues voudraient faire son successeur, allait de l’une à l’autre de ces deux alternatives : ou un imposteur, ou un ignorant.
31On pourrait s’étonner de ce que Clémenceau écrivit à propos du jugement d’Oppert sur le Père Scheil : en effet, c’est Oppert qui choisit de faire de Scheil son Adjoint à l’École pratique, après la mort prématurée d’Arthur Amiaud, en 1889. En consultant la base Léonore (i. e. les archives en ligne de la Grande Chancellerie de la Légion d’Honneur), je me suis également aperçu que Scheil reçut les insignes de Chevalier en janvier 1901 des mains d’Oppert, qui était Officier de l’ordre et avait été à l’initiative de cette décoration51. Mais dès lors la jalousie d’Oppert à l’égard de Scheil se développa : on a fait remarquer (je cite) qu’« il est à peine croyable que le code de Hammourabi n’ait jamais fait l’objet d’une communication à l’Académie52 ». Il y eut en revanche un article d’Oppert dans les comptes rendus de l’Académie de mai-juin 1904, où il reprocha à Scheil d’avoir publié une inscription sans identifier le nom du roi achéménide qui s’y trouvait et – pire – d’avoir ensuite répondu à Oppert en refusant de suivre les corrections que celui-ci avait entre-temps proposées53. Oppert fut tout sauf courtois dans son attaque, qu’il termina de cette façon :
Nous reconnaissons volontiers que le P. Scheil a contribué à l’extension de nos connaissances par ses fouilles et par la publication des textes inédits, et qu’il a ainsi contribué aux découvertes de ses prédécesseurs et maîtres. Nous nous garderons bien de ne pas reconnaître ses mérites et nous n’imiterons pas notre disciple dans la discrétion qu’il a observée à l’égard de ses devanciers. Nous n’oublions pas que le droit qu’on veut enlever aux autres, on le leur donne contre soi-même. Quand on veut diminuer la valeur de quelqu’un, on amoindrit la sienne propre dans la proportion même dont on se sert contre autrui. C’est l’application morale de la loi d’Archimède que le poids de l’objet diminue autant que pèse le volume d’eau déplacé par l’immersion.
32Dans cette formulation plutôt laborieuse, Oppert se crut certainement spirituel54. L’assyriologue allemand Felix Peiser prit aussitôt fait et cause pour Scheil, qualifiant à la une de l’Orientalische Literatur Zeitung l’attitude d’Oppert d’Invidia doctorum55… Il est difficile de ne pas penser qu’Oppert, sentant sa mort prochaine, voulut écarter Scheil de sa succession56 : sur ce point, Clémenceau avait sans doute raison. Celui-ci fait ensuite ses choux gras de l’affaire de Kedorlaomer dont on a déjà parlé – et qu’Oppert lui-même évoquait dans sa communication à l’Académie – et il ajoute :
L’aventure de l’abbé Loisy a d’ailleurs assez prouvé qu’en matière d’Écriture, de Révélation, de Dogme, il faut ou renoncer à penser librement, ou rompre avec l’Unité romaine. Mais le Révérend Père Scheil n’a jamais eu à craindre de se trouver en un tel embarras, toute sa prétendue science assyriologique n’étant utilisée par lui que comme un moyen plus moderne de propagation de la foi.
Si le dominicain l’emportait sur ses concurrents laïques, – car il en est, et dont les titres supportent avec les siens une comparaison plutôt avantageuse – il serait donc acquis que l’établissement fondé par François Ier pour lutter contre la Sorbonne cléricale du seizième siècle et défendre la libre critique contre l’esprit dogmatique, s’est adjoint un disciple du fondateur de l’Inquisition.
33Clémenceau reprend lui aussi la thématique de l’Institut catholique se préparant à placer « une troupe de jeunes abbés » dans toutes les prochaines chaires vacantes à l’université et il conclut : « Une seule excuse pourrait être invoquée par l’Université laïque en train de faire appel à ses pires ennemis : le fait d’une compétence indiscutable, absolue, unique. Comme ce n’est pas du tout le cas, je fais à M. Bienvenu-Martin l’honneur de supposer qu’il sera à la hauteur de son devoir. Il ne suffit pas de rhétoriquer l’anticléricalisme, il faut encore être capable de le vivre. »
34La formule finale est percutante, mais on ne peut s’empêcher de trouver le raisonnement imparfait : car même en écartant Scheil du Collège, il restait à l’École pratique : donc « le moine » pouvait continuer, sous prétexte d’assyriologie, à « propager la foi » auprès de la jeunesse au sein de l’Université laïque… Maspero avait d’ailleurs utilisé l’argument dans sa présentation qui fut lue lors de l’Assemblée du 17 décembre, en rappelant que : « [Scheil] fut, en Novembre 1895, nommé maître de conférences pour l’Assyrien à l’École des hautes études, sur la recommandation de M. Guieysse alors Ministre des Colonies, par M. Combes alors Ministre de l’Instruction Publique. »
35Hélas pour Scheil, l’habileté de ses soutiens ne lui permit pas de l’emporter, tant fut vive la réaction de ses ennemis.
La décision du ministre et ses suites
36Contrairement à ce qu’on croit souvent, en décembre 1905, Combes n’était plus Président du Conseil : depuis le 24 janvier, il avait été remplacé par Maurice Rouvier. Au sein de son Cabinet, le « Ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts » était M. Bienvenu-Martin. Comme Clémenceau et d’autres le lui avaient suggéré, et comme il en avait le pouvoir, il choisit de nommer Fossey comme professeur – et ce dernier accepta ; le décret de nomination date du 17 janvier 190657.
37Le cas Scheil / Fossey n’était pas le premier, comme Antoine Compagnon a bien voulu me l’indiquer. Déjà en 1903, pour la chaire d’Histoire générale des sciences, le candidat favori à la succession Pierre Laffitte était Paul Tannery, mais le ministre de l’Instruction publique de Combes, qui était alors Joseph Chaumié, lui préféra le candidat proposé en seconde ligne par le Collège et l’Académie des sciences, Grégoire Wyrouboff, cristallographe positiviste sans titre d’historien.
38Au moment où Fossey fit sa leçon inaugurale, l’Administrateur eut peur de manifestations d’hostilité. Les archives du Collège conservent une « Lettre de l’administrateur au préfet de police en vue de prévenir des troubles au cour[s] d’ouverture de C. Fossey58 ». Je n’ai pas trouvé d’indice indiquant que les événements redoutés se soient produits : l’Institut catholique ne lâcha pas ses hordes de « jeunes abbés », les « moines » restèrent dans leurs couvents…
39Scheil eut cependant des lots de consolation. Les professeurs de l’École pratique voulurent réparer l’injustice faite à leur collègue. Scheil n’était à la mort d’Oppert que directeur adjoint : dès l’année 1907-1908, il apparaît dans l’Annuaire avec le titre de directeur d’études. Enfin, en décembre 1908, l’Académie des inscriptions et belles-lettres l’accueillit comme membre, avec le beau score de 30 voix sur 33.
Conclusion
40On voit comment en 1905 l’histoire de l’Assyriologie et celle de nos deux institutions, l’École pratique des hautes études et le Collège de France, rencontra l’Histoire de France… En écho aux 150 ans de l’EPHE célébrés en cette année 2018, je terminerai la présente contribution en citant le poème composé par Scheil à l’occasion des… 50 ans de l’EPHE. On sait que la fin de la Première Guerre mondiale empêcha de donner immédiatement tout son lustre à l’événement59, mais le Père Scheil tint à célébrer le demi-siècle d’une institution dont il avait beaucoup reçu et à laquelle il avait encore plus donné. Ce texte s’intitule « Carmen semisæculare (1868-1918) » et est dédié « À l’École pratique des hautes études, section d’Histoire et de Philologie60 » :
O Altiorum nobilis Artium
Doctrix et ultrix, curriculo tuo
Natale sic præsensit astrum
Ut tibi sub trabibus supernis
(5) Ortum daret ! Sic cælitùs ætheris
Primùm micabas lumine, proxima
Obtutibus phoebo ! – Probavit
Signa aquilina tenor laborum.
Si quid papyro cauta recondidit
(10) Ægyptus, Assur sive laterculis,
Arcana venantes habere
Œdipodes, schola, gloriaris.
Quandòque Clio si bona torpuit
Horum lucernis evigilat loquax :
(15) Passim resurgunt mox solute
Septuplici populi sigillo.
Hùc affluunt a cardine quolibet
Maturiores ingenio viri,
Hic more fraterno vicissim
(20) Circulus utitur æmulorum.
Hic infulâ nec non cathedrâ sine,
Comis magister sic docet asseclas,
Ut duplicatâ largitate
Et videatur amicus et dux.
(25) Bellè vocare a munere practica :
Re nomen exples. Nonne foret meram
Inane doctrinam sonare ?…
Experimenta sed apta curas.
Vixti brevis jam grandia, scamnulum
(30) Latè tuum quum fulsit ab angulo :
O ter beatus sæculare
Qui poterit tibi ferre carmen !
1-5 Toi qui enseignes noblement les plus hautes disciplines et qui les venges, pour ta course ton astre de naissance a prévu de te donner le jour sous des toits élevés.
5-7 Ainsi, d’emblée, d’une lumière éthérée venue du ciel, tu brillais, très voisine de Phébus aux regards !
7-8 La suite ininterrompue de tes travaux donna raison aux présages aquilins61.
9-12 Si la prudente Égypte a caché quelque chose sur du papyrus, ou Assur sur des tablettes62, tu te glorifies, ô École, d’avoir des Œdipes qui font la chasse aux secrets.
13-14 Si jamais la bonne Clio s’est engourdie, elle s’éveille éloquente à la lumière de leurs lampes.
15-16 Bientôt ressuscitent partout les peuples, une fois les sept sceaux brisés63.
17-20 C’est vers ici qu’arrivent en masse de tous les points cardinaux, des hommes à qui un certain âge a donné du jugement, c’est ici que la conférence64 se livre à des échanges fraternels.
21-24 C’est ici, sans toge ni chaire65, que le maître bienveillant instruit ceux qui suivent (son enseignement), de telle sorte qu’une double générosité le fait paraître à la fois un ami et un guide.
25-27 C’est à juste titre que tu es appelée « Pratique » de par ta méthode : tu légitimes le nom par les faits. Ne serait-il pas vain de faire sonner une doctrine purement théorique ? Mais toi, tu veilles à proposer des exercices adéquats.
28-30 Tu as vécu de grandes choses en un temps bref, alors que ton petit banc a brillé bien plus loin que le recoin (où tu es)66.
31-32 Ô trois fois heureux celui qui pourra chanter ton centenaire67 !
41Cette célébration du cinquantenaire de l’École pratique commence par rappeler sa naissance, la comparant à un astre tombé du ciel (v. 1-7). Scheil décrit ensuite le travail de déchiffrement caractéristique de l’École, qui permet de ressusciter les civilisations orientales disparues (v. 7-16). Il met ensuite en valeur le style du travail dans les conférences (v. 17-24) et la nature pratique de l’enseignement dispensé (v. 25-27). En terminant, Scheil envisageait déjà le centenaire de l’EPHE (v. 31-32). Comme on sait, celui-ci tomba en 1968 et ne fut fêté qu’en 1969, et de manière assez discrète68. Malgré sa connaissance de la divination babylonienne, le Père Scheil ne sut prévoir cet événement – mais nous sommes « trois fois heureux » d’avoir pu en 2018 fêter dignement… les 150 ans de l’EPHE !
Notes de bas de page
1 Célébration du cinquantenaire de l’École pratique des hautes études, Paris, Champion, coll. « Bibl. de l’École des hautes études, sciences historiques et philologiques, 231 », 1922, p. 35. Pour la célébration de ce cinquantenaire, voir les indications données en conclusion de la présente contribution.
2 On trouve deux mentions de l’assyriologie dans le discours d’Antoine Meillet : « Faute de l’avoir fait à temps, la France se trouvait, au milieu du xixe siècle, démunie d’orientalistes et de linguistes. Il lui fallait emprunter à ses voisins de l’Est un Oppert pour contribuer à fonder l’assyriologie, un Mohl pour traduire le Schah Nameh » (A. Meillet, « Les langues à l’École des Hautes Études », dans Célébration du cinquantenaire de l’École pratique des hautes études, op. cit., p. 19-20). Et plus loin : « Le départ de Henri Pognon qui a donné gracieusement quelques années d’un enseignement brillant, puis la mort prématurée d’Arthur Amiaud ont longtemps empêché l’École de contribuer autant qu’elle l’aurait souhaité au développement de l’assyriologie, auquel elle a fini par s’associer d’une manière active. C’est au directeur de la conférence d’assyrien de notre section [le Père Scheil] qu’il était réservé de conduire au point de vue assyriologique les fouilles de Suze [sic] et de publier le plus important des textes babyloniens, le code désormais fameux d’Hammourabi » (ibid., p. 21).
3 Je voudrais signaler à quel point les ressources numériques désormais disponibles m’ont été utiles dans les recherches que j’ai entreprises : il s’agit notamment de Gallica, le site de la BNF, ainsi que de Persée (pour les Comptes rendus de l’Académie ou les Annuaires de l’EPHE), mais surtout de Salamandre, le site des archives du Collège de France (https://salamandre.college-de-france.fr). J’ai également pu consulter dans les archives du Collège des pièces répertoriées dans Salamandre, mais qui n’ont pas encore été numérisées et que j’ai été autorisé à photographier, et j’en remercie Anne Chatelier, directrice des réseaux et partenariats documentaires au Collège de France et, au sein du service des archives dirigé par Claire Guttinger, Frédérique Pailladès qui m’y a accueilli. Ma gratitude va également à Antoine Compagnon et Céline Surprenant, dont les réponses à mes questions m’ont permis d’enrichir ma contribution. À l’exception de l’introduction et de la conclusion, j’ai ici reproduit ma contribution à peu près telle qu’elle fut dite lors de la journée d’études (https://www.college-de-france.fr/site/jean-luc-fournet/symposium-2018-09-06-10h45.htm) ; j’y ai ajouté des notes justificatives et l’ai complétée sur quelques points. J’ai été amené depuis à développer la deuxième partie de ce texte dans une étude qui inclut notamment une analyse assez complète de la presse de l’époque (D. Charpin, « L’élection du P. Scheil au Collège de France en 1905 », sous presse).
4 W. Feuerhahn, « L’atelier des intitulés du Collège de France », dans W. Feuerhahn (dir.), La politique des chaires au Collège de France, Paris, Collège de France/Les Belles Lettres, coll. « Docet omnia », 2017, p. 15-50, ici p. 17 et n. 8 (https://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lesbelleslettres/137). Les relations entre Oppert et Renan avaient longtemps été conflictuelles, mais on voit que malgré cela Renan ne s’opposa pas à l’entrée d’Oppert : D. Charpin, « Renan, un sémitisant au berceau de l’assyriologie », dans H. Laurens (dir.), Ernest Renan. La science, la religion, la République, Paris, O. Jacob, coll. « Colloques de rentrée du Collège de France », 2013, p. 77-99.
5 Les archives de la Bibliothèque conservent encore un carton d’invitation à l’inauguration en date du 20 février 1937 : « Monsieur et cher Collègue, L’inauguration de l’Institut d’Assyriologie du Collège de France aura lieu le Samedi 27 Février à 17 heures. Vous êtes prié de vouloir bien y assister. Veuillez agréer, Monsieur et cher Collègue, l’expression de mes sentiments les plus distingués. » Je remercie L. Marcheix pour cette information. G. Cardascia m’a jadis raconté qu’il avait assisté à cette inauguration dans sa jeunesse, et que certains taxaient Fossey de mégalomanie, la plus grande partie des rayons étant vide en 1937 ; la situation avait bien changé lorsque j’ai commencé à fréquenter cette bibliothèque en 1974… J’ajouterai ici une information inédite à ma connaissance. Lorsque Fossey créa cette bibliothèque, il fut assisté en 1936-1937 par Jean Nougayrol qui, revenu de l’École biblique de Jérusalem, préparait alors sous la direction de Fossey un diplôme à la Ve section de l’EPHE. En témoigne le registre des acquisitions de la bibliothèque, où les 435 premières notices, établies entre le 1/12/36 et le 20/6/37 sont indubitablement de la main de Nougayrol, dont l’écriture est très aisément reconnaissable.
6 Pour une présentation des ressources de cette bibliothèque et de nombreux liens utiles, voir https://www.college-de-france.fr/site/bibliotheques-archives/Bibliotheque-dassyriologie-et-detudes-ouest-semitiques.htm.
7 Il poursuivit son enseignement à la section des sciences religieuses de l’EPHE, où sa direction d’études s’intitulait « Hébreu et araméen ». Dhorme fut le premier assyriologue dont la leçon inaugurale fut publiée : É. Dhorme, « L’écriture et la langue assyro-babyloniennes (Leçon d’ouverture au Collège de France le 7 mai 1945) », RA, t. 40, 1945-1946, p. 1-17. C. Surprenant a bien voulu m’indiquer que c’est seulement à partir de l’assemblée du 27 novembre 1949 que la publication des leçons inaugurales fut prise en charge systématiquement par le Collège : « Considérant que les leçons inaugurales des professeurs nouvellement nommés au Collège de France constituent souvent des documents dont la diffusion est des plus désirable, et, que, d’autre part, la publication de ces leçons rencontre de nombreuses difficultés à cause de la rareté et de la pauvreté des revues scientifiques, l’Assemblée est d’avis que dorénavant l’impression s’en fasse désormais aux frais du Collège. » (Archives du Collège de France, Assemblées de professeurs. Registres et pièces annexes. Assemblée du 27 novembre 1949, 2 AP 14 [1949], p. 460 [https://salamandre.college-de-france.fr/archives-en-ligne/ead.html?id=FR075CDF_000AP0002&c=FR075CDF_000AP0002_de-954]).
8 Il faut ajouter qu’une chaire Archéologie de l’Asie occidentale a été créée en 1953 pour Claude Schaeffer-Forrer qui l’a occupée jusqu’en 1969. Ce fut le seul moment où coexistèrent deux chaires, celle d’un philologue (Labat) et celle d’un archéologue (Schaeffer).
9 B. Haussoullier, « Notice sur la vie et les œuvres de M. Jules Oppert, membre de l’Académie », CRAIBL, t. 50, 1906, p. 567-592, ici p. 585 (https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1906_num_50_9_71937).
10 Le décret de nomination est daté du 20 août 1907. Dossiers de professeurs du Collège de France : Fossey, 16 CDF 134, comporte l’arrêté nommant C. Fossey directeur adjoint d’études (20 août 1907) à l’École pratique des hautes études ; le décret nommant Fossey professeur titulaire au Collège de France (17 janvier 1906).
11 Il s’est toujours agi d’un poste de directeur d’études cumulant, puisque Paul Garelli était professeur à l’université de Paris I jusqu’à son entrée au Collège de France.
12 Après avoir été directeur cumulant depuis septembre 1994 (« Histoire et civilisation de la Babylonie ancienne »), ayant été par ailleurs professeur à l’université de Paris I de septembre 1988 à août 2005.
13 Cette affaire a donné lieu à de nombreuses omissions ou inexactitudes dans la littérature, que je corrigerai au passage. Je relève par exemple : « Après la mort de Jules Oppert, en 1905, la chaire d’Assyriologie au Collège de France doit revenir à Vincent Scheil, mais en raison de la loi Combes de 1904, une cabale politique l’en prive » (A. Spycket, « SCHEIL Vincent », Dictionnaire biographique des frères prêcheurs. Dominicains des provinces françaises (xixe-xxe siècles) [en ligne], Notices biographiques, S [https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/dominicains/1632]. Comme on le verra plus loin, l’affaire n’est pas directement liée à la loi de 1904.
14 Mon grand-oncle, alors âgé de 25 ans, habitait rue Bonaparte et j’ai découvert en préparant cette communication que c’était aussi le cas du Père Scheil (qui habita ensuite rue du Cherche-Midi) : je soupçonne donc que c’est ce voisinage qui pourrait avoir été à l’origine de cette rencontre, puisque Frédéric Charpin ne s’intéressait pas spécialement à l’assyriologie. Disciple de Mistral, il avait fondé en 1906 chez Bloud & Cie la « Bibliothèque Régionaliste », qui publia jusqu’en 1914 vingt-cinq volumes. Il fit partie de ces nombreux anciens étudiants de la Sorbonne tués au combat pendant la guerre de 1914-1918, dont les noms figurent sur des plaques dans le hall d’entrée de la Bibliothèque de la Sorbonne ; son nom figure aussi sur la liste des « Écrivains morts pour la France » au Panthéon.
15 Je signale que la notice de Wikipedia est inexacte : « Ses Éléments de la grammaire assyrienne, sont publiés en 1868. L’année suivante, il est nommé professeur de philologie et d’archéologie assyrienne au Collège de France » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Jules_Oppert). La réalité est différente : « En décembre 1868, il joignit au cours élémentaire de sanscrit un cours de philologie et archéologie assyriennes, qu’il professa d’abord près la Bibliothèque, puis près le Collège de France (14 janvier 1869), après que l’École des langues orientales y eut reçu l’hospitalité dans les derniers jours de 1868 » (B. Haussoullier, « Notice sur la vie et les œuvres de M. Jules Oppert, membre de l’Académie », art. cit., p. 582). La chaire de Philologie et archéologie assyriennes a été créée au Collège de France en janvier 1874, manifestement sur le modèle de la chaire de Philologie et archéologie égyptiennes créée en 1869.
16 On corrigera E. Lehoux, « Qu’est-ce que l’“archéologie” au Collège de France (xixe-milieu du xxe siècle) ? », dans W. Feuerhahn (dir.), La politique des chaires au Collège de France, Paris, Collège de France/Les Belles Lettres, coll. « Docet omnia », p. 295-315, ici p. 307, n. 37 (https://0-books-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lesbelleslettres/165#ftn37): « Quatre candidats se présentent ce qui selon les sources “prouve l’importance de la chaire” (2 AP 11, assemblée 17 décembre 1905, p. 122) : J.-V. Scheil, C. Fossey, F. Thureau-Dangin et J. Halévy. J.-V. Scheil obtient vingt-et-une voix au premier tour et “paraît le plus apte pour la chaire d’assyriologie” (2 AP 11, assemblée 17 décembre 1905, p. 124) mais C. Fossey est finalement élu, soutenu par S. Lévi et É. Chavannes. La notice biographique de Scheil mentionne qu’il y eut une cabale contre lui (André-Salvini, 2010). » Il faut bien sûr corriger « C. Fossey est finalement élu » en « est finalement nommé ». Par ailleurs, le chiffre de quatre candidats est inexact, mais personne ne parla ni ne vota pour C. Virolleaud, dont le nom n’apparaît pas dans le PV de l’Assemblée du 17 décembre 1905, apparemment la seule source utilisée par E. Lehoux.
17 Pour plus de détails, voir D. Charpin, « L’élection du P. Scheil au Collège de France en 1905 », sous presse.
18 Curieusement, la liste de ses travaux déposée par Thureau-Dangin comporte Les cylindres de Goudea, publié chez Leroux en 1905 (un compte rendu par Pinches fut publié dès octobre 1905 dans JRAS, t. 37/7, p. 862-864) ; mais pas Les inscriptions royales de Sumer et d’Akkad, ouvrage pourtant paru chez Leroux avec le même millésime 1905… Je ne m’explique pas cette situation (noter qu’à l’époque les ouvrages ne comportaient pas la date d’« achevé d’imprimer »).
19 « Grammaire assyrienne. 1 vol. in 8o. 112 pages, en collaboration avec Scheil ». C. Fossey prit soin d’indiquer la part qui revenait à chacun des deux auteurs, ce qui n’est (curieusement) pas mentionné dans l’ouvrage, façon un peu mesquine de montrer qu’il avait écrit deux fois plus de pages que son ancien maître… : « la phonétique (pp. 1-32), la morphologie moins le verbe (pp. 50-71), la bibliographie (pp. 107-112) par C. Fossey ; le verbe (pp. 33-50) et la syntaxe (pp. 72-81) par V. Scheil ». Il n’indique pas à qui sont dus les paradigmes (p. 84-105). Perfidie pour perfidie, Maspero dans sa Présentation des titres et travaux de Scheil indiqua : « La part de celui-ci [Fossey] dans l’œuvre commune est celle d’un élève » (Présentation des titres et travaux de Jean Vincent Scheil, candidat à la chaire de Philologie et archéologie assyrienne, par G. Maspero, Archives du Collège de France, Procès-verbaux des assemblées des professeurs du Collège de France, 4 AP 345 5, p. 3).
20 C. Fossey, La magie assyrienne : étude suivie de textes magiques transcrits, traduits et commentés, Paris, E. Leroux, 1902.
21 C. Fossey, Manuel d’Assyriologie : fouilles, écriture, langues, littérature, géographie, histoire, religions, institutions, art, t. I. Exploration et fouilles ; Déchiffrement des cunéiformes ; Origine et histoire de l’écriture, Paris, E. Leroux, 1904. Il annonçait que « l’ouvrage formera neuf volumes » et que « les tomes II (les sources) et III (langues sumériennes et assyriennes) sont en préparation ». En réalité, il ne publia par la suite que le tome II, Évolution des cunéiformes, Paris, L. Conard, en 1926.
22 G. Maspero dans sa Présentation des titres et travaux de Scheil dit qu’elle fait « huit pages in 8o », Archives du Collège de France, Procès-verbaux des assemblées des professeurs du Collège de France, 4 AP 345 5, p. 2.
23 V. Scheil, Inscription assyrienne archaïque de Šamši-Ramman IV, roi d’Assyrie (824-811 av. J.-C.) transcrite, traduite et commentée, Paris, Welter, Bureaux de l’Année dominicaine, 1889.
24 A. Amiaud et V. Scheil, Les inscriptions de Salmanasar II, roi d’Assyrie (860-824 av. J.-C.) transcrites, coordonnées, traduites et commentées, Paris, Welter, 1890.
25 V. Scheil, Textes élamites-sémitiques. Première série, accompagnée de 24 planches en héliogravure, Paris, E. Leroux, 1900, t. 2.
26 V. Scheil, Textes élamites-anzanites. Première série accompagnée de 33 planches hors texte, Paris, E. Leroux, 1900, t. 3.
27 V. Scheil, Une saison de fouilles à Sippar, Le Caire, Institut français d’archéologie orientale, coll. « Mémoires publiés par les membres de l’Institut français d’Archéologie orientale du Caire », 1902, t. I. L’ouvrage avait en fait été achevé des années plus tôt, si l’on en croit l’indication qui figure p. 141 : « Paris, juin 1898 ».
28 V. Scheil, Textes élamites-sémitiques. Deuxième série, accompagnée de 20 planches hors texte, Paris, E. Leroux, 1902, t. 4 ; la publication du Code a été faite dans le chapitre intitulé « Code des lois (Droit Privé), de Hammurabi roi de Babylone, vers l’an 2000 av. J.-C. », p. 11-162. Cette publication est accompagnée de magnifiques héliogravures reproduisant un estampage fait sur l’original ; les cuivres ayant servi à l’impression se trouvent aujourd’hui à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem.
29 V. Scheil, Textes élamites-anzanites. Deuxième série accompagnée de 17 planches hors texte, Paris, E. Leroux, 1904, t. 5.
30 V. Scheil, Textes élamites-sémitiques. Troisième série, accompagnée de 24 planches hors texte, Paris, E. Leroux, 1905, t. 6.
31 C. Fossey, « Compte rendu de Leonard William King, The letters and inscriptions of Hammurabi, king of Babylon, Londres, 1898-1900 », Revue archéologique, IVe série, t. I, 1903, p. 97-98, ici p. 98.
32 C. Fossey, Manuel d’Assyriologie, op. cit., t. I, p. 148.
33 F. Martin, Textes religieux assyriens et babyloniens. Transcription, traduction et commentaire, Paris, Letouzey et Ané, 1903.
34 L’ouvrage de Fossey était dédié « À Jules Oppert mon maître en témoignage d’affectueuse reconnaissance ». La controverse se trouve dans la Correspondance du Bulletin critique de 1904 sous le titre « Contribution aux recherches de M. Martin ». On trouve d’abord une lettre de Fossey, publiée avec cette note : « Le ton de cette réponse nous eût permis de refuser l’insertion ; nous avons préféré la publier telle quelle ; elle fera juger son auteur. » On trouve ensuite une « Réponse de M. Martin ». Ces deux dernières pièces figurent aux archives du Collège de France dans le dossier de C. Fossey.
35 Archives du Collège de France, Registres de délibération des assemblées des professeurs du Collège de France, 1905, 4 AP 345 (https://salamandre.college-de-france.fr/archives-en-ligne/ead.html?id=FR075CDF_000AP0004_2&c=FR075CDF_000AP0004_2_de-337).
36 Philippe Berger, Langues et littératures hébraïques, chaldaïques et syriaques ; Albert Réville, Histoire des religions ; Sylvain Lévy (qui lut également une lettre de M. Chuquet), Langues et littératures d’origine germanique ; Édouard Chavannes, Langue et littérature chinoises et tartare-mandchoues ; ainsi que Louis Havet, Philologie latine.
37 Rubens Duval, Langue et littérature araméennes ; Jacques Flach, Histoire des législations comparées.
38 Barbier de Meynard, Langues et littératures arabes.
39 Philippe Berger (chaire « Langues et littératures hébraïques, chaldaïques et syriaques ») ; il appuya en réalité surtout la candidature de Fossey, un soutien de poids puisque Berger était le successeur de Renan.
40 F. Thureau-Dangin, Die sumerischen und akkadischen Königsinschriften, Leipzig, J. C. Hinrichs’sche Buhhandlung, coll. « Vorderasiatische Bibliothek », t. I, 1907. C’est aujourd’hui encore cette édition qui est citée, la plupart des assyriologues ignorant même que le livre fut publié en français deux ans plus tôt.
41 Je ne peux par ailleurs m’empêcher de me demander si la candidature de François Thureau-Dangin n’a pas souffert, dans le contexte de cette élection, de la personnalité de son père Paul, membre de l’Académie française, royaliste modéré et catholique ardent. J’ajouterai que la rue Thureau-Dangin dans le XVe arrondissement de Paris rappelle la mémoire de Paul, pas de François.
42 « Informations générales », Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 49ᵉ année, no 6, 1905, p. 794-795 (http://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1905_num_49_6_85265).
43 Il s’agit d’une transcription dactylographiée, qui comporte cette annotation : « Retrouvé dans des archives… P. Tournay. » J’ignore où se trouve l’original. J’ai gardé le texte tel quel.
44 Rappelons que ses cendres reposent au Panthéon et que la place devant la Sorbonne côté rue des Écoles lui doit son nom : il fut en effet député du Ve arrondissement de Paris de 1910 à 1928.
45 La lettre est datée simplement de « Vendredi », mais il s’agit plutôt du vendredi 29 décembre, juste après le vote de l’Académie, que du vendredi 22.
46 N. Chevalier, « France and Elam », dans J. Álvarez-Mon, G. P. Basello et Y. Wicks (dir.), The Elamite World, Londres, Routledge, 2018, p. 41-62 (https://www.routledgehandbooks.com/doi/10.4324/9781315658032-4).
47 Scheil participa au fameux congrès de Fribourg de l’été 1897 (« Notes d’épigraphie et d’archéologie assyriennes. Un fragment d’un nouveau récit du déluge de l’époque du roi Ammizaduga, vers 2400 av. J.-C. », Compte rendu du IVe Congrès scientif. internat. des Catholiques tenu à Fribourg, Suisse, du 16 au 20 août 1897, publié en 1898, dans la section « sciences exégétiques », p. 173-178). Il republia ce texte parallèlement par deux fois : « Un fragment d’un nouveau récit babylonien du déluge de l’époque du roi Ammizadouga, vers 2140 av. J.-C. », RB, t. 7, 1898, p. 5-9 (avec copie en signes néo-assyriens) et V. Scheil, « Notes d’épigraphie et d’archéologie assyriennes XXX. Un fragment d’un nouveau récit du déluge de l’époque du roi Ammizaduga », RT, t. 20, 1898, p. 55-59 (avec photographies et copie autographe).
48 Scheil avait d’ailleurs été nommé en 1903 par Léon XIII membre de la Commission pontificale des Études bibliques, ce qui est plutôt le signe de son ouverture d’esprit, reconnue par le prédécesseur de Pie IX ; comme on sait, Léon XIII avait également encouragé le P. Lagrange, fondateur de l’École biblique à Jérusalem, dont les malheurs datent de 1907.
49 Les avis des dominicains sur l’importance de compter parmi eux un assyriologue étaient d’ailleurs mêlés. Je commencerai par citer le P. Gardeil qui déclarait en 1901 : « Aujourd’hui dans notre Province nous sommes témoins de cette anomalie : tandis que jusques hier, nous ne possédions pas un seul théologien attitré dans les centres universitaires de notre ressort, nous avons depuis dix ans en Sorbonne poussé je ne sais trop comment… un professeur d’assyriologie ! Spécialité infiniment honorable et très honorée d’ailleurs par son titulaire, mais, somme toute, assez inattendue de la part de l’ordre de saint Thomas d’Aquin ! » (P. Ambroise Gardeil, « Les études dominicaines et les besoins présents en France. Rapport sur les Études présenté au Chapitre de la Province de France de 1901 », Revue des sciences philosophiques et théologiques, t. 92/3, 2008, p. 433-459). On peut également citer ce passage du P. Lagrange : « Lorsque le P. Scheil est venu à Jérusalem il y a quarante ans [vers 1890 ou 1891, aux tout débuts de l’École biblique], il me disait qu’on le priait d’éditer en arabe des textes de saint Grégoire le Grand : “Ce serait plus conforme à sa vocation”. Je me suis permis de lui dire : “Devenez le premier assyriologue de France, ce sera encore plus conforme à votre vocation” » (Lettre de M.-J. Lagrange à Me Gillet, 12 juillet 1931 ; citée par B. Montagnes, Marie-Joseph Lagrange. Une biographie critique, Paris, Le Cerf, 2004, p. 457, n. 1). Le contexte est celui d’un plaidoyer pour le P. Dhorme, au moment où celui-ci quitta la direction de l’École biblique.
50 https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k7296881.
51 http://www2.culture.gouv.fr/LH/LH143/PG/FRDAFAN84_O19800035v0462239.htm.
52 B. Haussoullier, « Notice sur la vie et les œuvres de M. Jules Oppert, membre de l’Académie », art. cit., p. 591, n. 8.
53 J. Oppert, « Sogdien, roi des Perses (second article) », CRAIBL, 48/3, 1904, p. 385-392 (https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1904_num_48_3_19829).
54 On notera ce passage de l’obituaire d’Oppert que publia G. Maspero, « Au jour le jour. Jules Oppert », dans le Journal des débats du 25 août 1905 : « Il aimait la discussion, et comme la nature l’avait bien armé pour la polémique, il ne la redoutait jamais. Il avait la voix incisive, la répartie prompte, et quand le mot vif lui venait à la bouche il ne résistait pas toujours au plaisir de le laisser partir. » Et il ajoutait : « Les Assyriologues des générations nouvelles étaient pour lui comme autant de descendants qu’il traitait avec l’indulgence parfois mêlée de sévérité d’un grand-père pour ses petits-enfants » (https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k482040n). On a le sentiment que Maspero essayait ici de faire oublier la séance de l’Académie où Oppert fustigea Scheil, que lui-même allait soutenir peu après au Collège.
55 F. E. Peiser, Orientalistische Litteratur-Zeitung, t. VII, 1904, p. 457-462. À cette occasion Peiser écrivit : « Die meisten neuen Materialien verdanken wir in neuerer Zeit zweifellos der rührigen Tätigkeit von Scheil, der bis vor kurzem von allen in voller Tätigkeit stehenden Fachgenossen der einzige war, dem es vergönnt gewesen ist, seine Fachkenntnisse auch in praktischer Weise im Orient selbst zu verwerten und dessen Arbeit nicht zum mindesten deshalb reiche Frucht getragen hat » (col. 459).
56 Ses confrères le comprirent sans doute ainsi – et leur vote montre qu’ils ne tinrent nullement compte de ce qui pouvait passer pour son avis.
57 On corrigera sur ce point l’indication du P. Vosté : « Quelques années plus tard il [Scheil] fut désigné par les professeurs du Collège de France et les membres de l’Institut, en premier lieu et à de fortes majorités, pour succéder à J. Oppert († 1905) dans la chaire d’assyriologie au Collège de France ; mais M. Combes, alors ministre de l’instruction, se refusa de ratifier cette nomination » (J.-M. Vosté, « Essai de bibliographie du Père Jean-Vincent Scheil O. P. », Or, t. 11, 1942, p. 80-108, ici p. 81 avec renvoi n. 1 à A. Lemonnyer, « Le Père Scheil », L’Année Dominicaine, 46e année, mai 1906, p. 211-219). A. Lemonnyer a en fait écrit : « Tout récemment les professeurs du Collège de France et les membres de l’Institut l’ont désigné, en première ligne et à de fortes majorités, pour succéder à J. Oppert dans la chaire d’assyriologie du Collège de France. Le ministre, qui l’a écarté pour les raisons que l’on sait, n’a pu éviter de rendre hommage, en pleine Chambre, à sa valeur scientifique hors pair » (je remercie E. Jiménez qui m’a procuré une copie de cet article).
58 Voir sa publication dans mon étude « L’élection du P. Scheil au Collège de France en 1905 », sous presse.
59 Alors que le décret de Napoléon III avait été signé à Plombières le 31 juillet 1868 (https://education.persee.fr/doc/baip_1254-0714_1868_num_10_180_26653), l’armistice ne fut signé que le 11 novembre 1918. Le cinquantenaire de l’EPHE fut fêté le 1er décembre 1921 dans l’Amphithéâtre Richelieu en présence du président de la République et donna lieu à deux publications : I. Cinquantenaire de l’École pratique des Hautes Études. Mélanges publiés par les directeurs d’études de la section des sciences historiques et philologiques, Paris, Champion, coll. « Bibl. de l’École des hautes études, sciences historiques et philologiques, 230 », 1921 (https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k5512658c?rk=21459;2). Le Père Scheil y contribua avec un article sur « Deux cylindres solaires », p. 1-8 ; II. Célébration du cinquantenaire de l’École pratique des hautes études (https://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k33121j.texteImage).
60 Ce texte se trouve dans J.-V. Scheil, Epigrammata et Carmina. Nova editio, Chalon-sur-Saône, Imp. française et orientale, E. Bertrand, 1934, p. 83-85 (Carminum, Liber unicus, I). Il a été republié, traduit en anglais et commenté par E. Jiménez, « Non chartas perituras dat Babylonica tellus. The Latin Poems of Jean-Vincent Scheil (1858–1940) », sous presse ; ma traduction française a bénéficié de son travail, mais s’en écarte sur plusieurs points. Elle se veut celle d’un historien qui ne tente nullement rendre les subtilités de la métrique latine. Je remercie deux anciens directeurs d’études de la section des sciences historiques et philologiques pour leur aide plus que précieuse ; leur modestie les a poussés à vouloir garder l’anonymat, mais je suis heureux qu’ils soient ainsi associés in petto à cette célébration.
61 Lit. « ces présages d’une vision d’aigle ». Scheil semble ici jouer sur les images. Dans l’Antiquité, les aigles étaient censés être capables de regarder le soleil en face et d’avoir une qualité de vision exceptionnelle. Mais la mention des signa aquilina fait sans doute aussi allusion à l’aigle, symbole de l’Empire sous Napoléon III qui signa le décret de 1868 créant l’École pratique.
62 Scheil emploie le mot laterculus (« petite brique ») pour désigner les tablettes d’argile des Mésopotamiens, à la suite de Pline, décrivant la notation des levers d’astres par les « mages chaldéens » sur des coctilibus laterculis, lit. des « briquettes cuites » (Pline, Hist. nat. VII 57).
63 Allusion aux sept sceaux de l’Apocalypse (Apocalypse 5, 1), dont la rupture permet d’avoir accès à la révélation contenue dans le livre.
64 Scheil utilise le mot circulus pour décrire les séminaires qui ont pour nom « conférences » à l’EPHE.
65 Scheil fait allusion au fait que l’EPHE ne délivre pas de cours magistraux : il n’y a pas de professeur qui prononce un discours depuis une estrade, mais un travail en commun autour d’une table. Les directeurs d’études ont néanmoins le rang de professeur. Louis Havet, dans son discours pour le cinquantenaire, l’a dit en prose : « Nous avons gardé et nous comptons garder l’originalité de notre organisation, où la chaire est exclue comme nuisible à l’enseignement, et où l’apprenti qui tâtonne est assis à la même table à côté du vieux routier qui guide » (« Discours de M. Louis Havet », dans Célébration du cinquantenaire de l’École pratique des hautes études, op. cit., p. 7).
66 La mention du « recoin » (angulum v. 30) où se trouve l’École pratique se retrouve dans le discours de L. Havet de 1921 : « C’est de Léon Renier que la section tient le souffle de vie qui lui est propre. Comme il était conservateur de la bibliothèque de l’université, dans la Sorbonne d’avant Nénot, il y logea la Section nomade dans deux ou trois recoins, où chaque élève devait se lever quand il fallait qu’en passât un autre. […] Bien plus tard seulement, quand la nouvelle Sorbonne eut été construite, la Section entra en possession d’un siège officiel » (« Discours de M. Louis Havet », dans Célébration du cinquantenaire de l’École pratique des hautes études, op. cit., p. 9). Je me demande si Scheil ne songeait pas aussi à l’Évangile : Lapidem quem reprobaverunt aedificantes, hic factus est in caput anguli (Mat. XXI 42). L’École pratique, méprisée par certains, serait en quelque sorte devenue la « pierre d’angle » de la nouvelle Sorbonne. À l’appui de cette interprétation, on peut citer Victor Duruy qui déclarait : « L’École Pratique des hautes études est un germe que j’ai déposé dans les murs lézardés de la Vieille Sorbonne ; en se développant il les fera crouler. »
67 Carmen sæculare fait allusion au poème d’Horace, écrit à l’occasion des Ludi Saeculares de 17 av. J.-C. à la demande d’Auguste.
68 Le ministre Edgar Faure s’y fit représenter par le recteur de l’Université de Paris, Jean Roche. Voir Annuaire 1969-1970. École pratique des hautes études, section des sciences religieuses, t. 77, Paris, 1968, où le dossier « Centenaire de l’École Pratique des Hautes Études » contient les discours de MM. Bernard Halpern (p. 77-82), Pierre Chantraine (p. 83-89) et Jean Roche (p. 91-94). (www.persee.fr/doc/ephe_0000-0002_1968_num_81_77_20543; www.persee.fr/doc/ephe_0000-0002_1968_num_81_77_20544; www.persee.fr/doc/ephe_0000-0002_1968_num_81_77_20545).
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150 ans d’affinités électives entre le Collège de France et l’École pratique des hautes études
Jean-Luc Fournet (dir.)
2020