Conclusion
p. 293-297
Texte intégral
1La table-ronde tenue à Poitiers, ainsi que les actes, appellent quelques ultimes remarques. La première constatation qui s’impose c’est que nous sommes encore loin de pouvoir présenter une synhtèse générale à propos du mobilier céramique dans cette région de l’Antiquité où finalement, comme le soulignait d’ailleurs J. des Courtils dans l’introduction, les fouilles archéologiques sont peu nombreuses et les études céramologiques encore relativement récentes.
2Néanmoins, les articles de cet ouvrage offrent l’opportunité de dresser un premier bilan de la recherche sur les poteries produites, commercialisées et utilisées par les habitants de la Lycie entre le viie s. a.C. et le viie siècle p.C.
3Du point de vue méthodologique, les études se divisent en deux groupes. Le premier rassemble des travaux consacrés à une catégorie en particulier : figurines de terre cuite du Létôon, céramiques fines hellénistiques de Patara, céramiques communes et céramiques à feu d’époque romaine dans les cités de Xanthos et de Patara. Le deuxième présente des lots de matériel céramique en contexte, sur les sites du Létôon, de Xanthos ou encore de Limyra. Toutes contribuent à mieux caractériser les contextes lyciens et à définir un faciès céramique de la région durant l’Antiquité. Dans ce cas, la notion de faciès repose sur les assemblages céramiques d’un site ou d’une région à un moment donné. La définition d’un faciès combine à la fois des aspects qualitatifs (identification des différentes catégories ou groupes de production) et quantitatifs (évaluation de la part de chacun des groupes de production définis). L’identification de ces groupes techniques (fabric) est cruciale pour déterminer la proportion entre les céramiques fabriquées localement ou régionalement et celles qui ont fait l’objet d’une importation. Les faciès céramiques ainsi définis, par phase chronologique, permettent d’apprécier, d’une part le degré d’insertion d’un site, ou plus largement de la Lycie, au sein des réseaux commerciaux, d’autre part le phénomène d’hellénisation propre au bassin oriental de la Méditerranée déjà mis en lumière dans toute sa complexité, lors du colloque de Lyon en 20001.
4Nos connaissances sur la production des céramiques en Lycie restent assez modestes. À l’heure actuelle, seul le site de Patara a livré un four voué à la cuisson des poteries. Localisé dans la partie occidentale de la cité antique, il était destiné à la fabrication de céramiques communes durant l’époque romaine. Il convient également de mentionner la découverte d’un tesson de céramique culinaire surcuit dans la zone du Ptolémaion à Limyra, ainsi qu’à Xanthos lors des fouilles de l’agora supérieure romaine. À l’exception de Patara, l’absence de fours et le petit nombre de fragments surcuits incitent à rester prudent quant à la localisation précise des ateliers de potiers. Pourtant, malgré la pauvreté des vestiges en relation avec la production des objets en terre cuite et/ou des poteries, on peut raisonnablement envisager l’existence de nombreux ateliers qu’il faut sans doute placer aux abords des grandes cités lyciennes : Limyra, Patara et Xanthos entre autres.
5L’identification des catégories de production locales n’en est qu’à ses débuts et ne repose pour le moment que sur la définition de groupes techniques, liée à des observations macroscopiques se vérifiant sur plusieurs ensembles, d’un site à l’autre. Ainsi, une fabrication de vaisselle fine à pâte calcaire et à engobe non grésé partiel peut-elle être envisagée dans la région dès la fin de l’époque archaïque, cette catégorie ayant été identifiée à Xanthos mais aussi au Létôon dans les niveaux de la fin du vie ou du début du ve siècle a.C., aux côtés de céramiques importées. Une origine locale est également supposée pour les figurines de terre cuite archaïques qui semblent imitées de productions rhodiennes. Le phénomène d’imitation régionale des grandes séries de vaisselle de table qui inondent le bassin méditerranéen se vérifie plus particulièrement aux époques hellénistique et romaine tardive. Ainsi à Patara, une série de coupes à vernis noir à lèvre aplatie copie-t-elle les productions attiques du deuxième quart du iie siècle a.C. Durant la période romaine tardive et jusqu’au viie siècle p.C., une partie de la vaisselle, façonnée dans une argile calcaire et engobée en rouge, reprend le répertoire formel des Sigillées chypriotes tardives (Late Roman D), sans qu’il soit possible de préciser si elles sont produites localement ou plus largement quelque part dans le Sud-Ouest anatolien. La grande majorité des céramiques de préparation et de service des liquides à pâte calcaire et des céramiques destinées à la cuisson des aliments a dû être produite localement. En effet, comme le montre notamment l’étude faite pour Xanthos, le répertoire formel de ces poteries semble propre à la Lycie et ne se retrouve pas dans les grands sites de Méditerranée orientale. En fait, les potiers lyciens ont su tirer parti des ressources naturelles locales en utilisant par exemple une argile kaolinitique pour façonner des céramiques à feu de bonne qualité. À Limyra et à Xanthos, les pots à cuire, bouilloires et autres jattes à pâte kaolinitique constituent une part non négligeable des batteries de cuisine à l’époque romaine. Leur origine lycienne doit encore être démontrée par analyses physico-chimiques et éventuellement, par la découverte d’ateliers. À l’heure actuelle, les céramiques culinaires à pâte rouge orangé sableuse et à pâte kaolinitique, particulièrement bien représentées dans les ensembles, offrent les meilleures pistes de recherche pour les périodes romaine et romaine tardive dans ce domaine2.
6Comme il a été dit, l’étude des céramiques est un moyen d’apprécier l’isolement ou au contraire l’ouverture d’une région aux échanges méditerranéens. Une des manières d’appréhender cet aspect repose sur la définition de la part des importations et de leur variété par rapport à celle des productions locales ou régionales. Pour cela le recours à des données quantitatives établies de manière rigoureuse est plus que jamais indispensable, car l’aspect qualitatif, autrement dit la présence ou l’absence de telle ou telle catégorie de production ne suffit pas à bien caractériser le faciès céramique d’un site à une époque donnée. Plusieurs des articles de la table-ronde vont dans ce sens et livrent des données quantifiées, nécessaires également pour établir des comparaisons avec d’autres sites localisés hors du cadre régional. Elles sont encore insuffisantes, mais gageons que les recherches futures multiplieront ces données et de ce fait enrichiront notre connaissance des faciès céramiques en Lycie.
7Les ensembles datés de la fin de l’époque archaïque et de la période classique à Xanthos, au Létôon ou à Limyra confortent l’image fournie par les céramiques de l’Acropole Lycienne de Xanthos publiées par H. Metzger il y a plus de trente ans3, celle d’une région privilégiant les contacts, quelle que soit leur nature, avec le monde grec. Au sein des contextes d’habitat à Limyra et dans un sanctuaire comme le Létôon, la part des céramiques fines, notamment des coupes à boire, est importante. La plupart est importée de Grèce propre (rares céramiques attiques à figure noire, céramiques attiques à figure rouge plus nombreuses), même si les productions de Grèce de l’Est (coupes et hydries) sont bien représentées. Il faut souligner la présence de céramiques fines et communes sans doute produites localement dès cette époque. Enfin, les liens avec la côte anatolienne et les îles proches se trouvent confirmés par l’identification à Xanthos et dans le sanctuaire du Létôon d’amphores de Chios et de Clazomènes, deux vins ayant fait l’objet d’une large diffusion dans l’ensemble du bassin oriental de la Méditerranée jusqu’à la mer Noire encore dans la première moitié du ve siècle a.C.
8Faute d’un ensemble de mobilier de bonne qualité, ce que nous avons déjà souligné ailleurs4, le bilan pour la période hellénistique est décevant. Seul le site de Patara fournit véritablement des ensembles cohérents datés de la fin de l’époque classique et du début de la période hellénistique. Les céramiques fines présentées, provenant du comblement d’une citerne datée des ive -iiie siècle a.C. ou de la nécropole de Tepecik, sont en majorité de production attique, même si des imitations de vaisselle à vernis noir ont été identifiées parmi le matériel. Les indices livrés par les fouilles de Limyra étayent l’importance des importations des céramiques à vernis noir attiques pour les ive et iiie siècles a.C. Quelques éléments mis au jour à Xanthos montrent que le répertoire des céramiques culinaires est déjà de tradition égéenne à cette période. Enfin, des fragments d’amphores découverts à Limyra et au Létôon témoignent que la côte lycienne était également touchée par les productions rhodiennes inondant le marché oriental durant cette période. Les iie -ier siècles a.C. voient l’arrivée à Xanthos, Limyra et Patara, comme dans de très nombreux sites méditerranéens, des grandes séries de vaisselle de table à vernis rouge (Sigillée Orientale A et Sigillée Orientale B) mais aussi des céramiques à parois fines de Cnide. Il manque encore des données quantitatives solides pour mieux connaître la proportion de chacune de ces catégories et d’une manière générale les céramiques communes et le mobilier amphorique en Lycie entre le ive et le ier siècle a.C. Dans le même temps, les figurines en terre cuite découvertes dans la zone du “nymphée” sur le site du Létôon n’échappent pas au style tanagréen. Malgré la faiblesse des données, il semble que, durant la période hellénistique, une frange littorale au moins de la Lycie ait perdu une grande partie des liens entretenus avec la Grèce propre au profit d’échanges avec le bassin oriental de la Méditerranée : Chypre, le Levant ou encore l’Égypte et le Sud-Ouest anatolien.
9Le Haut-Empire n’est véritablement illustré dans cet ouvrage que par les céramiques culinaires de Xanthos et les céramiques communes de Patara. Toutefois quelques indices à propos des importations de céramiques fines chypriotes apparaissent à Limyra. Les travaux réalisés sur les céramiques à pâte siliceuse rouge orangé sableuse de Xanthos offrent un tableau précis de la vaisselle culinaire en usage dans la cité sur une longue période. L’écrasante majorité des céramiques communes est sans doute d’origine locale, les importations paraissent infimes. Ces études révèlent l’attachement des potiers locaux et/ou de leur clientèle à un répertoire de tradition égéenne, même si dans le détail, les pots à cuire xanthiens (forme la mieux représentée) se distinguent de ceux des régions voisines. À Patara, la présence de mortiers en pâte calcaire indique l’adoption de formes plus typiquement romaines.
10Pour les périodes les plus tardives, les études sur les céramiques recueillies lors des différentes fouilles menées à Limyra montrent que l’occupation de la ville basse semble nettement se prolonger au-delà du viie siècle, peut-être même jusqu’au xie siècle. Entre le ve et le viie siècle, la vaisselle d’origine chypriote (Late Roman D) domine largement dans les contextes devant la sigillée phocéenne (Late Roman C), les productions africaines n’apparaissant que de manière anecdotique. Alors que la part des céramiques à pâte calcaire semble avoir diminué de manière importante, les céramiques de cuisson à pâte siliceuse sont sans doute encore produites localement même si quelques importations persistent. Le mobilier amphorique concerne avant tout le commerce du vin, la région recevant les conteneurs du sud-est anatolien, du Levant ou encore d’Égypte. Les importations de vaisselle de table depuis Chypre, d’amphores du Sud-Est anatolien et de pots à cuire du Levant à la période romaine tardive s’expliquent assez bien par la position de relais de Limyra, notamment, et d’une manière générale de la côte lycienne sur la route reliant Constantinople au Levant et à l’Égypte.
11Bien loin de fixer définitivement nos connaissances à propos des céramiques en Lycie, cet ouvrage ne fait qu’esquisser un premier tableau des poteries utilisées par les anciens dans la région entre le viie siècle a.C. et le viie siècle p.C. Il donne à voir une Lycie au contact des réseaux d’échanges méditerranéens fluctuant tout au long de la période envisagée.
12Les données rassemblées sont encore très partielles, à la fois du point de vue chronologique et géographique. Par exemple et comme le soulignait J. des Courtils dans l’introduction, à l’exception du mobilier funéraire de quelques tombes de Patara, le ier siècle a.C. et le suivant ne sont pratiquement pas illustrés au sein des sites envisagés.
13L’analyse de contextes de mobilier issus de fouilles en stratigraphie est plus que jamais nécessaire afin de préciser le faciès céramique (vaisselle de table, amphores, céramiques communes…) de la région, selon les périodes et surtout la typo-chronologie des céramiques de cuisine. En effet, celles-ci restent encore largement méconnues alors qu’elles constituent la plus grande partie du mobilier de terre cuite des couches archéologiques.
14Enfin, les fouilles ont jusqu’ici privilégié les sites de la frange littorale, les plus susceptibles de recevoir les voyageurs et les marchandises de l’extérieur. L’étude d’ensembles de mobilier provenant d’établissements localisés à l’intérieur des terres fait encore défaut à l’exception du site de Balboura. Elle permettrait sans doute de nuancer et de préciser ce premier aperçu de l’approvisionnement et de la consommation des céramiques en Lycie antique.
Notes de bas de page
1 Blondé F., P. Ballet et J.-F. Salles, dir. (2002) : Céramiques hellénistiques et romaines. Productions et diffusion en Méditerranée orientale (Chypre, Égypte et côte syro-palestinienne), Travaux de la Maison de l’Orient Méditerranéen 35.
2 Ces céramiques font l’objet d’analyses dans le cadre du programme de recherches Céramiques culinaires en Lycie aux époques romaine et romaine tardive, co-dirigé par S. Lemaître et Y. Waksman, intégré au projet blanc Euploia, Bordeaux 3.
3 Metzger, H. (1972) : Les céramiques archaïques et classiques de l’acropole lycienne, Fouilles de Xanthos IV, Paris.
4 Cf. des Courtils dans ce volume.
Auteur
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