Bordeaux, ville cosmopolite sous le Haut-Empire romain
p. 315-332
Note de l’éditeur
Revue Historique de Bordeaux de la Gironde, 1, 2002, p. 10-26.
Texte intégral
1Le cosmopolitisme bordelais à l’époque de l’Empire romain a déjà été étudié par le professeur Robert Étienne, il y a maintenant 40 ans1. Si les remarques du savant maître bordelais gardent toute leur valeur, une série de découvertes archéologiques, parfois spectaculaires, sont venues, ces dernières décennies, donner aux témoignages tournis par les documents épigraphiques une nouvelle force démonstrative. C’est ce qui justifie que le dossier puisse être repris aujourd’hui.
Quelques remarques préliminaires
Bordeaux, ville double et emporion
2Ville double par sa population et importante place de commerce : voilà comment, déjà, aux alentours de l’ère chrétienne, le géographe Strabon définit Bordeaux. Ville double, parce qu'elle est à la fois aquitaine et celtique. Aquitaine par ses origines, sûrement, puisque le même Strabon affirme que le territoire des Aquitains touche la Garonne, et puisque le toponyme de Bordeaux (Burdigala dans l’Antiquité), non encore expliqué, mais qui n’est ni latin ni celtique, renvoie très probablement au domaine linguistique aquitain. Celtique, parce que Strabon dit encore que, de son temps, y sont installés des Celtes, les Bituriges (les “rois du monde”) Vivisques, frères séparés2 des actuels Berrichons.
3Bordeaux est alors aussi, toujours selon Strabon, une des places de commerce de la façade atlantique, un emporion. À quelle époque, et grâce à quels concours l’obscure bourgade née peut-être vers les vie-ve siècles avant Jésus-Christ sur la terrasse dominant les marais de la Devèze et du Peugue3, s’était-elle hissée à ce rôle important est incertain. Pour R. Étienne, tout a commencé dès le iiie siècle avant Jésus-Christ : c’est alors que les Bituriges ont occupé le site et créé Bordeaux pour accaparer le commerce de l’étain de Cornouaille4 en direction de Narbonne et de la Méditerranée. Cette hypothèse a été depuis discutée5, et d’autres routes ont été proposées qui laissent loin vers l’ouest celle de l’isthme aquitain6, mais elle a eu le mérite d’attirer l’attention sur l’importance du texte de Strabon. En considérant comme une donnée commune que “l’embouchure de la Garonne” est la tête de l’une des quatre liaisons courantes qui permettent de rallier, depuis le continent, les ports de l'île de Bretagne, comme on dit alors, le géographe indique aussi que Burdigala, fondation de terriens venus d’horizons divers, est désormais ouverte sur la mer océane7. Comme, par ailleurs, les trouvailles d’amphores italiques8 prouvent que, depuis le tournant du iie au ier siècle avant Jésus-Christ, ses relations sont devenues régulières avec la Méditerranée, les conditions sont presque toutes remplies pour que la petite agglomération des débuts devienne, grâce au dynamisme et à l’esprit d’entreprise de ses habitants, la ville cosmopolite objet de cette présentation.
Les relations terrestres de Bordeaux
4Reste pourtant à ajouter à ces atouts celui des relations continentales, car Bordeaux n’est pas seulement un port, mais aussi une capitale terrienne. Au second âge du Fer, le Bordelais se trouvait déjà placé au centre d’un ensemble de voies de circulation à la fois fluviales (par la Garonne et ses affluents) et terrestres dont quelques-unes ont été mises en évidence par des travaux récents9. Lorsque, vers 16-13 av. J.-C., a été établie la réforme qui a donné naissance aux trois provinces de la Gaule Chevelue, et qu’ont été créées les nouvelles circonscriptions administratives qu’on appelait les cités10, l’administration romaine s’est occupée d’apporter les rectifications de tracés et les compléments nécessaires à ce réseau, notamment parce qu’il fallait unir les uns aux autres tous les [nouveaux] chefs-lieux des [nouvelles] cités. Certains axes de circulation ont été alors privilégiés : c’étaient ceux qui servaient en priorité au déplacement des fonctionnaires, éventuellement, des soldats, et, en général, à la poste publique, provinciale et inter-provinciale. Bordeaux s’est alors trouvée à la tête d’un faisceau de routes, au nord, en direction de Saintes et Poitiers, au nord-est, en direction de Lyon, par Périgueux et Limoges, au sud-est, en direction de la Méditerranée, par Toulouse, et, au sud, par Dax11, en direction de l’Espagne. Direction double, d’ailleurs, puisque, à partir de Pampelune, on pouvait, soit se diriger vers le Nord-Ouest (c’est l’ancêtre direct du futur chemin de Saint-Jacques), soit rattraper la vallée de l’Èbre qui, au-delà de Saragosse, conduisait à la côte et au Levant.
Expansion urbaine des iie et iiie siècles
5Enfin, et même si les détails manquent pour meubler convenablement la réflexion, il faut prendre en compte ce qu’a été, dans la période précitée, l’expansion de Bordeaux : celle de son périmètre urbain, celle de sa population, celle enfin de ses relations extérieures, parfois lointaines. Sur le premier point, les grands travaux conduits depuis une trentaine d’années dans le sous-sol urbain, qui ont achevé de détruire ce qui avait survécu aux destructions des siècles précédents, ont livré néanmoins d’importantes informations sur le développement de la ville à l’époque romaine, sur son urbanisme et parfois ses monuments. La synthèse établie en 1988 par D. Barraud12 montre comment la ville s’est étendue au cours des deux premiers siècles de l’Empire, passant de 12 à 15 ha à l’époque augustéenne à environ 150-170 ha à la fin du iie siècle.
6De l’expansion démographique, on sait peu de choses : on la déduit d’abord logiquement de l’expansion spatiale. Mais il faut noter aussi que les fouilles et sondages menés jusque dans les zones périphériques de la ville antique révèlent presque partout l’existence d’habitats et de petits ateliers d’artisans, installations parfois sommaires, mais significatives. Par ailleurs, il est bien évident que le nombre relativement élevé des “étrangers” dont il va être question, signe indubitable de l’attraction exercée par la ville, implique l’existence d’une population locale assez nombreuse.
7Tous ces éléments confondus, associés au dynamisme de ses enfants, ont fait de Bordeaux, au moins dans les trois premiers siècles de l’Empire romain, une ville riche, populeuse et cosmopolite, en même temps qu’un grand port. Toutefois, il faut bien comprendre que si l’approche de cet incontestable succès repose, certes, sur les trouvailles archéologiques13, celles-ci ne sont que des documents muets, qui ne deviennent interprétables que grâce aux sources écrites. Ce sont donc ces sources qu'il faut considérer en priorité14.
Les “étrangers” à Burdigala
8Le point de départ obligé de cette enquête reste le chapitre déjà cité du Bordeaux antique de R. Étienne15. À peu de chose près, la liste que je propose maintenant est celle que ce dernier avait établie. J’y ai seulement ajouté quelques noms16 et j’ai essayé de distinguer, à partir des documents, qui sont presque tous17 des inscriptions funéraires, les personnages de passage (P), décédés accidentellement (ils étaient en voyage18 et sont morts par hasard à Bordeaux), des familles établies (FE), la plupart des autres19, venues s’installer à Bordeaux pour des raisons particulières20 (par exemple les Dacquois ou les Trévires). Les noms des individus dont les raisons de la présence à Bordeaux ne peuvent être déterminées sont accompagnés d’un point d’interrogation ( ?).
Personnages provenant des provinces de la Gaule
9Aquitaine :
Boiates : CIL 570 (FE) : Tertius, fils d’Unagus, et ses fils Matugenus et Matutio ;
CIL 615 (FE) : Saturninus Privatus et sa femme lulia Eponyma.
Aqueuses (cité de Dax) : CIL 608 ( ?, bien qu’il ait à Bordeaux des héritiers) : Intercilius Andus ; CIL 609a : Valerius Felix et 609b : Valeria Victorina (FE : ce sont les épitaphes du couple). Il y a X... enfants.
Lémovices : CIL 576 ( ?) : anonyme ? ;
CIL 622 (FE) : Inventa et Martinus.
Rutènes (Rodez) : CIL 629 (FE) : Valerius Secundus et son fils Valerius Secundinus.
Total : 13 personnages
10Narbonnaise :
Trois Provinciales : CIL 627 (FE) : Firminio, avec sa femme Peculia ; il faut y ajouter vraisemblablement, comme le fait C. Jullian21, CIL 765 (FE) : M. Iulius Severus, inscrit dans la tribu Voltinia (les Bordelais d’origine étaient rangés dans la tribu Quirina).
Viennois : CIL 636 et 637 (FE) : M Valerius Charidemus et sa femme, Valeria Iullina.
Total : 5 personnages
11Lyonnaise :
Aulerques (Eure/Sarthe) : CIL 610 ( ?) : Soll[---] et sa femme.
Coriosolites (Corseul) : CIL 616 (FE) : Donata et Reginianus.
Parisien : CIL 626 ( ?) : Serdus.
Saii (Sées, Orne) : CIL 630 (FE) : Julia Europe et son père ou son patron, T. Iulius [---]
Total : 7 personnages
12Belgique :
Ambiens (Amiens) : CIL 607 (FE) : L Ammius Silvinus, avec sept membres de sa famille.
Bellovaque (Beauvais) : CIL 611 ( ?) : Vestinus, fils d’Onatedo.
Médiomatrique (Metz) : CIL 623 (FE) : [Fa]vor ( ?).
Rémois : CIL 628 (FE) : [Majorius] Remus (ici, cognomen ou indication d’orgine), avec sa femme Securia Protogenia et son affranchi Majorius Felicissimus.
Trévires : CIL 633 (FE) : Domitia et son mari Leo ;
CIL 634 (P) : L Solimarius Secundinus ;
CIL 635 ( ?) : Vildicius (nom incertain).
Atrebates (Arras) : CIL 807 (FE) : T Nob[ilius] Favor et sa mère Atreba (cognomen à valeur ethnique).
Total : 19 personnages
13Germanies :
Natione Germanus : CIL 618 (FE) : lunius Regulus et sa femme Iulia Thais.
Ménape (Flandre belge) : CIL 624 (FE) : Pompeia Menapia (cognomen à valeur ethnique) et son mari Pompeius Iunius.
Séquane (Besançon) : CIL 631 (FE) : L Iulius Mutacus et son frère Q Ignius Sextus.
Total : 6 personnages
Total des provinces gauloises : 50 personnages.
Personnages provenant d'autres provinces de l'Occident romain
14Bretagne :
ILTG 141 (P) : M. Aurelius Lunaris, de Bretagne Inférieure (sevir à Eburacum, York et Lindum, Lincoln).
Total : 1 personnage
15Péninsule Ibérique :
Turiaso (Tarazona, province de Saragosse) : CIL 586 (FE) : M Sulpicius Primulus, son fils Sacro, sa fille Censorina et une affranchie = sa concubine, Phoebe.
Bilbilis (près de Calatayud, province de Saragosse) : CIL 612 (P) : L Antonius Statutus et son affranchi Ocellio.
Hispanus Curnoniensis (Estella, province de Pampelune) : CIL 621 (P) : L Hostilius Saturninus et son affranchi L Hostilius Liberalis.
Total : 8 personnages
16Rome :
CIL 593 ( ?) : [---]s Augustalis, cives Urbicus, avec son affranchi.
Total : 2 personnages
Total des autres provinces occidentales : 11 personnages.
Personnages provenant des provinces orientales
17“Grèce” :
Natione Graecus : CIL 619 ( ?) : Euplus.
Civis Graecus : CIL 620 (FE) : M P[---] Diopantus et sa femme P[---] Primitiva.
Pont et Bithynie :
Nicomédie (Izmit, Turquie) : CIL 625 (FE) : anonyme avec sa femme Valeria Secundina).
18Syrie :
Séleucie : CIL 632 (FE) : anonyme avec sa femme (également anonyme).
Total des provinces orientales : 7 personnages.
Militaires
CIL 594 ( ?) : soldat ( ?) anonyme de la IIe légion Parthique22 avec sa fille.
CIL 595 ( ?) : Aurelius Summ(---), soldat Mésien d’un corps indéterminé.
Total des militaires : 3 personnages
19Eu égard au petit nombre des inscriptions antiques conservées23, on arrive à 69 personnages, ce qui est considérable. En laissant de côté les militaires (3 personnages puisque l’un d’eux est là avec sa femme) la répartition géographique des 66 voyageurs ou immigrés restants montre très clairement combien sont variés les lieux d’origine. Il y a 13 Aquitains (de la province augustéenne), 5 ressortissants de la Gaule Narbonnaise, 7 de la Gaule Lyonnaise, 19 de la Gaule Belgique, et enfin 6 des Germanies, soit 50 personnages pour la Gaule. Onze autres viennent s’y ajouter pour le reste de l’Occident romain, dont 8 Hispani, 2 Romains (de Rome) et 1 Breton, ce qui porte à 61 – supériorité écrasante mais logique – le nombre des personnes originaires de la partie européenne de l’Empire, et surtout de sa façade ouest, soit environ 90 % du total. Les “Orientaux” sont peu nombreux : à peine 7 mentions, parmi lesquelles on note 3 “Grecs”, 2 citoyens de Nicomédie, en Bithynie, et un Syrien de Séleucie de Piérie, près d’Antioche, et son épouse. Un tel défilé ne laisse aucun doute : Bordeaux est bien cosmopolis, une image en réduction de l’Empire.
Les caractères du cosmopolitisme bordelais
20À partir de la mince quarantaine de textes utilisée, qui plus est, étalée sur plus de deux siècles, il est évidemment illusoire d’espérer aboutir au classement thématique et chronologique qui permettrait, avec la même précision que celle qu’offrent les périodes de l’histoire récente, de caractériser les activités de Bordeaux et de répartir convenablement entre les régions et entre les époques l’attrait que la ville a exercé jusque dans des régions lointaines. Sur ce plan, seul nous est (un peu) accessible le domaine des relations avec la péninsule Ibérique et avec le monde atlantique. Pour le reste, il faut nous résigner à ne pouvoir proposer au mieux que des hypothèses. Autre déséquilibre, celui que montre la répartition géographique des inscriptions, accidentelle ou pas. Ici, pourtant, les choses sont plus assurées : nous allons voir que ce déséquilibre, en fait, ne doit rien au hasard, mais qu’il est à la fois le résultat de la géographie, de l’Histoire, des affaires et de l’attraction de la ville. L’apport des découvertes archéologiques récentes prouve, en effet, que la carte des “étrangers” correspond bien au réseau, inégalement développé, des relations bordelaises.
Relations secondaires
Bordeaux et son arrière-pays
21Les inscriptions signalent d’abord l’attraction que, au moment de son plus grand développement24, Bordeaux exerce sur son arrière-pays, d’abord vers le nord-est (Limoges) et vers l’est (avec un Rutène – du Rouergue –, peut-être un de ces fabricants de voiles de navires, dont la production était une spécialité de la région25). Du côté du sud, les gens viennent de cités moins riches : la ville des Boïens (très obscure, puisque même son nom est inconnu), mais aussi Dax. La liste, assez maigre, donne à croire cependant que cette attraction est limitée26 – en somme, Bordeaux tournerait déjà le dos à son arrière-pays “gascon” –, mais il peut s’agir aussi d’une simple conséquence des insuffisances de la documentation27.
Relations méditerranéennes
22Un peu plus développées sont celles que l’Aquitaine impériale entretient avec la province de Narbonnaise et l’Italie. Ici, les témoignages ne sont pas seulement ceux des importations de vin. Quelques anthroponymes caractéristiques de ces régions semblent attester des déplacements de familles28 vers la ville océane : ainsi pour des noms29 comme Blasto, Camulia, Sammonicus, Sintagus, Soillus, Ulatdus, Vervicia, ou encore les noms en Crax-, indices cependant très incertains, compte tenu du petit nombre des attestations. Moins fragiles sont les témoignages monétaires. Jusqu’au milieu du iiie siècle, seul l’atelier de Rome alimente les pays aquitains. Lorsque, en 256, est ouvert l’atelier de Cologne, celui-ci accapare la distribution de la monnaie sur les deux tiers de la Gaule, dont l’Aquitaine bordelaise. Pourtant, les informations fournies depuis une décennie par le trésor d’Éauze ainsi que par les trouvailles faites dans les fouilles de Saint-Bertrand-de-Comminges et de Toulouse30, montrent que, à cette époque, l’Aquitaine a continué de se nourrir partiellement du numéraire importé de l’atelier de la capitale. Plus sans doute dans sa partie orientale et méridionale que dans sa partie occidentale, qui n’en connaît qu’un prolongement atténué. Mais ces témoignages, si médiocres qu’ils soient, prouvent que la route de l’isthme aquitain continue d’être utilisée : c’est ce que, dans leur rareté, confirment les textes épigraphiques.
23Regardons maintenant vers les pays de la Méditerranée. Ici, les relations sont anciennes, puisque, dès la seconde moitié du iie siècle av. J.-C., les amphores vinaires italiennes atteignaient la ville par la Garonne. Plus tard, c’est toujours par Narbonne que passe le vin catalan. À l’époque impériale, l’horizon géographique paraît s’être élargi, au-delà de l’Italie31, en Méditerranée, sans que, pourtant, les liens aient été très développés32 : sept personnages seulement en témoignent, répartis entre la “Grèce”33, la Bithynie et la Syrie, dont deux au moins ont très certainement trouvé femme à Bordeaux même34. Les raisons de leur installation ou de leur simple passage dans la cité aquitaine nous échappent évidemment, mais quelques indices d’ordre archéologique les éclairent peut-être en partie. Les recherches de F. Berthault35 sur les amphores apparues dans le sous-sol de la ville ont montré en effet que, au ier siècle de notre ère, Bordeaux reçoit un peu de vin de Bétique (Andalousie), de Narbonnaise, d’Italie et même des îles de la mer Egée, jusqu’à la Crète. Au iiie siècle s’y ajoutent encore quelques conteneurs provenant de l’Asie Mineure. Donc, malgré la création du vignoble girondin vers le milieu du ier siècle36, des relations ont été créées ou maintenues avec les terres orientales, par la route de la Méditerranée, même si, manifestement, celles-ci sont restées assez secondaires.
Relations de grand développement
24Plus intéressant est le domaine des relations de Bordeaux avec la péninsule Ibérique et avec les régions du Nord et de l’Est de la Gaule. Ici, on est en terrain plus solide parce que la datation des inscriptions donne à celles-ci une signification particulière. On constate, en effet, que, si les inscriptions d’Espagnols datent plutôt du ier siècle37, celles des Bretons et des Trévires datent plutôt du iiie. Je vois là le reflet du changement qui s’est opéré dans les horizons de la ville au cours des trois premiers siècles : après avoir été le point d’aboutissement du commerce italien arrivé par Narbonne, puis l’un des points d’aboutissement du commerce de la vallée de l’Èbre, Bordeaux a tourné son activité vers les pays de la mer du Nord et de la Gaule Belgique. Ce changement a été commandé par diverses causes qu’il faut examiner maintenant.
La péninsule Ibérique
25Au ier siècle, les relations de Bordeaux avec les pays de l’Èbre s’expliquent très bien. D’autres inscriptions (par exemple, un Pompaelonensis, de Pampelune, à Dax, daté du ier siècle), mais aussi des trouvailles de monnaies issues des officines de la péninsule38, quelques découvertes aussi de sigillée hispanique, à Dax, dans le bassin de l’Adour et jusqu’à Bordeaux39, montrent des relations relativement suivies. Les monnaies proviennent d’ailleurs essentiellement des ateliers de la vallée de l’Ébre, notamment, de Saragosse ou de Calagurris (aujourd’hui Calahorra, province de Logroño, La Rioja) qui sont très productifs, mais aussi parfois de cités moins représentées, comme précisément Turiaso (aujourd’hui Tarazona, province de Saragosse) et Bilbilis (près de Calatayud, province de Saragosse). On rencontre ces monnaies dans une grande moitié sud ; de l’Aquitaine augustéenne40, du pied des Pyrénées jusqu’aux pays charentais, au Périgord et au Quercy.
26Ces relations, s’effectuent de deux manières. On passe d’abord par la montagne (par le Somport, mais surtout par Pampelune et Saint-Jean-Pied-de-Port, que relient les cols de Lepoeder, un peu à l’est de Roncevaux, et de Bentarte). Les autres liaisons sont celles des voies d’eau. La mieux attestée est celle qui descend l’Èbre, prend ensuite la mer et retourne vers l’Aquitaine par Narbonne, la vallée de l’Aude, un portage au seuil de Naurouze, puis Toulouse et la Garonne. C’est l’itinéraire qu’emprunte, sous Auguste et Tibère, le vin catalan que livrent les amphores Pascual 1 et Dressel 2-4. Au retour, la péninsule (à l’exception des régions côtières du Nord) importe assez massivement la céramique sigillée de La Graufesenque. Une route maritime occidentale, par l’océan, reliant Bordeaux et la Cantabrie a été mise en évidence par les travaux des chercheurs de l’Université de Santander, grâce aux trouvailles de produits céramiques de Montans41.
27Ces relations deviennent plus lâches (ce n’est pas seulement une impression due à la raréfaction de la documentation) à partir du dernier tiers du ier siècle. Il y a à cela des raisons très simples, économiques et administratives :
raisons économiques d’abord : dans le deuxième tiers du ier siècle, l’Aquitaine crée son vignoble et n’a donc plus besoin du vin catalan, tandis qu’au même moment, à Tricio (Najera, province de Logroño), s’ouvrent les ateliers de sigillée hispanique qui rendent inutiles les importations de La Graufesenque42 ;
raisons administratives ensuite, car la création, sous Auguste, des trois provinces gauloises et des trois provinces hispaniques a développé les relations intra-provinciales, au détriment des relations inter-provinciales. Dans la nouvelle Aquitaine, les cités de la partie méridionale regardent maintenant vers Bordeaux et aussi vers la ville des Convènes, l’actuelle Saint-Bertrand-de-Comminges, tandis que, du côté navarro-aragonais, Saragosse et Tarragone constituent les nouveaux repères politiques.
28Rien d’étonnant, dès lors, à ce que la présence des provinciaux d’outre-Pyrénées (de Tarraconaise) s’efface à partir de la fin du ier siècle. On en retiendra toutefois que Bordeaux a déjà commencé son destin de ville espagnole.
Autres ouvertures
29Le déclin des relations avec les provinces méditerranéennes a été compensé par d’autres ouvertures. S’il est impossible de savoir ce que faisaient à Bordeaux les personnages originaires de la Lyonnaise occidentale43, tous (sauf deux Coriosolites de Corseul) en provenance de cités de l’intérieur de la province44, le cas des ressortissants des cités de la Gaule Belgique est d’un particulier intérêt. En effet, s’il se rencontre parmi eux un important représentant du négoce dont on reparlera, on trouve aussi dans l’épigraphie bordelaise à la fois des gens dont l’origine est nommément signalée (= ceux qui figurent sur la liste ci-dessus) et des gens sans indication d’origine dont les noms renvoient à une onomastique assez caractéristique de la province septentrionale de la Gaule Chevelue. Parmi ces noms, on relèvera, outre ceux d’Atreba et de Remus, noms ethniques désignant une Atrébate (Arras) et un Rémois, ceux de Calenus, de Carasova, dont la racine apparaît dans 6 sur 10 des noms connus, de Cintusma, attesté 11 fois en Belgique et 6 fois en Aquitaine (sur 21 mentions), de Solimarius et de Tasgillus45. Quant à Mascellio46, présent en Narbonnaise et en Espagne, les attestations les plus nombreuses sont en Belgique. Même s’il ne faut pas automatiquement rattacher à cette province les noms qui paraissent “belges47” il reste que l’influence de celle-ci a été assez forte dans l’Aquitaine impériale, notamment dans l’art funéraire, ce que R. Étienne a justement, quoique prudemment, relevé48.
30Les liens de Bordeaux avec cette partie de la Gaule sont donc indiscutables. Mais ces liens doivent être considérablement élargis vers les puissantes cités qui s’élèvent sur les grandes vallées fluviales du Rhin et de la Moselle, en même temps que vers file de Bretagne. Et ils sont confirmés par des documents d’intérêt tout à fait exceptionnel. Le premier est la stèle funéraire d’un négociant trévire, un certain Solimarius49, décédé à Bordeaux, qui était spécialisé dans le commerce avec la Bretagne. Justement, les échanges de Bordeaux avec cette province sont attestés par une autre inscription, un ex-voto offert par un autre gros négociant, du nom de Lunaris50, à la divinité protectrice qui venait de favoriser une traversée sans dommage pour lui et ses biens. À eux seuls, ces textes sont déjà remarquablement intéressants51. Mais le dossier s’épaissit et prend forme avec une série de découvertes récentes qui donnent une importance accrue aux documents bordelais. Ce sont d’abord les trouvailles épigraphiques réalisées, à Domburg et Colijnsplaat, à l’embouchure de l’Escaut (aux Pays-Bas), dans les sanctuaires de Nehalennia52. Elles ont permis de mieux connaître les routes et les éléments du trafic maritime qui, à cette époque, ont animé, et très activement, les côtes de la mer occidentale. À partir de la seconde moitié du iie siècle, ce trafic, lié en grande partie à la présence des garnisons militaires, unit les cités commerçantes du Rhin et de la Moselle (Trèves, en particulier), la Bretagne et aussi Bordeaux. Le fait est confirmé par la mise en évidence d’exportations, dans le courant du iiie siècle, jusqu’en Aquitaine au moins, de divers produits comme la céramique métallescente de Trèves, le jais de la région d’York, ou la céramique dite Black-Burnished53. Même si ces produits sont à considérer comme des révélateurs de trafic et non pas (ou peu) comme des composantes de trafic, il reste qu’ils corroborent les témoignages épigraphiques et que l’on peut donc à bon droit parler de commerce atlantique54.
31À quoi faut-il attribuer cette ouverture en direction des pays de la mer du Nord ? Sans doute d’abord, à la fermeture des échanges avec les pays de l’Èbre, qui a nécessité la recherche de nouvelles relations. Mais il faut y voir aussi d’une part l’effet des transformations qu’a introduites dans les échanges occidentaux la conquête de la Bretagne, au milieu du ier siècle, et surtout, d’autre part, entre environ 150 et 250, les conséquences du déplacement des centres économiques vitaux de l’Occident, de la zone méditerranéenne vers l’axe Rhin-Danube. Ce sont ces conditions favorables qui ont permis aux affaires bordelaises de prospérer.
32Sur la nature de ces échanges, on est réduit aux conjectures, puisque le seul document (lyonnais de surcroît) qui y ferait éventuellement allusion parle seulement de “marchandises d’Aquitaine55”. Il est sûr que Bordeaux exporte, au moins un temps, les céramiques de Montans, sur le Tarn, arrivées par la voie d’eau, et, plus tard, un peu de “céramique marbrée” probablement girondine56. Il y avait également du vin, probablement transporté en tonneaux dès le ier siècle, sans doute aussi les textiles de tout genre venus du haut pays : draps de chez les Cadurques du Quercy ou voiles de navires fabriquées par les Rutènes du Rouergue, peut-être encore des céréales, transportées en vrac dans de grands conteneurs de terre cuite, les dolia.
33On n’est pas mieux renseigné sur les frets de retour, mais outre la vaisselle signalée plus haut, encore une fois témoin beaucoup plus qu’objet du commerce, les deux inscriptions de Solimarius et de Lunaris laissent imaginer des choses d’assez grande ampleur. S’il ne s’agit peut-être pas de commerce triangulaire au sens strict du terme, puisque la qualité des échanges et les courants du trafic ne sont que partiellement connus, il reste que la forte présence de personnages originaires notamment de Gaule Belgique montre que la réorientation vers le nord des intérêts bordelais a été particulièrement fructueuse.
34Mais fructueuse pour qui ? Les documents épigraphiques – ils sont bien rares, il est vrai – ne mettent en scène aucun Bordelais : marins, marchands, armateurs, tous sont étrangers à la ville. Le Bordeaux prospère des iie et iiie siècles paraît être resté une ville de terriens, de notables propriétaires fonciers, enrichis sans doute grâce au vignoble, mais qui n’affrontaient pas eux-mêmes les incertitudes du transport maritime, abandonné, c’est du moins ce que suggèrent les textes, aux importateurs belges et bretons.
La société des “étrangers"
35La liste des “étrangers” telle que je l’ai établie veut distinguer (autant que cela est possible, puisqu’il y a 10 cas indéterminés57), les personnages de passage58 de ceux qui se sont établis dans la ville à l’époque impériale, et qui sont de loin les plus nombreux (52 au total). En schématisant, on dira que les premiers représentent le cosmopolitisme des acteurs économiques dont on vient de parler, tandis que les autres sont tous ceux que les succès de la ville ont conduits à souhaiter s’y établir.
36Qui étaient ces immigrés ? Les textes donnent à entendre qu’il s’agit plutôt de petites gens appartenant au milieu romanisé de la cité, encore que certains paraissent avoir acquis une certaine aisance59. Pour le, reste, les observations éventuelles ne touchent guère que le domaine juridique, mais ce n’est pas sans intérêt. On relève d’abord que la quasi-totalité d’entre eux sont des citoyens romains, soit qu’ils portent les tria ou duo nomina, soit que la date des inscriptions le laisse supposer60. En revanche, un assez grand nombre (au moins un bon tiers) sont manifestement des esclaves libérés ou des descendants immédiats d’affranchis : c’est en premier lieu le cas des porteurs de noms grecs, dont la plupart n’ont rien à voir avec une origine orientale : ainsi pour Julia Thais, Sulpicia Phoebe, Julia Eponyma, Julia Europe, Securia Protogenia et le Viennois M Valerius Charidemus61. J’y ajouterais volontiers les porteurs de surnoms ethniques, tels Atreba, Menapia ou Remus62, ainsi que les conjoints ou parents de tous ces personnages, lorsqu’il ne s’agit pas de particuliers qui ont manifestement affranchi leur concubine-épouse63. D’autres paraissent être des couples d’affranchis : ainsi les Boiates Saturninus Privatus et Julia Eponyma, les Dacquois Valerius Felix et Valeria Victorina64 ou les Provinciales Firminio et Peculi65.
37La forte représentation de ces gens n’est pas vraiment une surprise, surtout – c’est le cas ici – pour ceux d’entre eux qui appartenaient à la couche acculturée et latinisée de la population. Peut-être quelques-uns étaient-ils réellement là pour affaires, comme représentants de leur patron. Les travaux de J. Krier66 laissent supposer que les grands négociants trévires possédaient des bureaux locaux dans lesquels ils installaient des fondés de pouvoir, qui étaient souvent des affranchis67. Ici, malheureusement, rien ne permet d’identifier de tels individus. Pour les autres, on peut penser qu’ils ont été attirés par la métropole de la Garonne, parce que ville peuplée et ville riche, celle-ci offrait sans doute plus que tout autre cité de la province68 des possibilités d’enrichissement et de promotion. Mais Bordeaux a été aussi une ville d’accueil, un refuge social dans lequel ceux qui étaient mal nés pouvaient en quelque sorte “passer la ligne” et faire oublier en se fondant dans la masse la tare de leurs origines serviles, bref, la ville qui offrait la meilleure chance de changer de vie. C’est ainsi qu’on se représentera les raisons de l’installation de Firminio et de Peculia, de M Valerius Charidemus et de Valeria Iullina, ou encore celle des Dacquois Valerius Felix et Valeria Victorina et de bien d’autres.
38Ici s’arrête ce que l’on peut dire du cosmopolitisme bordelais sous le Haut-Empire romain. Ce cosmopolitisme a été lié à la première expansion de la ville, une expansion indiscutable, dont certaines directions sont désormais fixées pour toujours. Le plus intéressant dans ce bref inventaire – c’est un des apports des recherches et des découvertes récentes que R. Étienne ne pouvait pas connaître –, est que la documentation épigraphique, simple résultat du hasard des trouvailles, n’en est pas moins le reflet d’une réalité que permettent de suivre et de confirmer d’autres moyens d’investigation. Ainsi, les inscriptions, fruit du hasard, ne rendent pas compte d’une situation au hasard. C’est ce qui fait l’intérêt d’un dossier dans lequel des sources “auxiliaires” confortent mutuellement leur témoignage pour créer l’histoire que ne racontent jamais ou fort peu les textes littéraires, celle, bien obscure, des sociétés provinciales d’Occident.
Notes de bas de page
1 Bordeaux antique, Bordeaux, 1962, Livre II : La ville ouverte, ch. 2 : Une métropole cosmopolite, p. 129-158, avec la carte 15, p. 141.
2 Vivisques signifie probablement “les guis”, “les rameaux détachés”.
3 D. Barraud estime sa superficie de l’époque protohistorique à 5-6 ha dans le secteur actuel de la place de la Comédie et de la rue Porte-Dijeaux ; voir Le site de “La France”. Origines et évolution de Bordeaux antique, Aquitania, VI, 1988, p. 3-59, notamment p. 52 et fig. 50, p. 53.
4 Voir Bordeaux antique, Bordeaux, 1962, Livre Premier, chapitre II : “Un port de l’étain”, notamment p. 65-76 ; Id., Strabon (IV, 2, 1) et la fondation de Burdigala, Mélanges d'histoire ancienne offerts à William Seston, Paris, 1974, p. 167-174 = En passant par l’Aquitaine..., Bordeaux, 1995, p. 159-168. Bordeaux est née de “la volonté de créer un établissement humain, magnifiquement servi par sa situation à la croisée de grandes routes commerciales et culturelles... près d’un bras de mer qui favorisait l’arrivée des convois d’étain” (En passant..., p. 167).
5 Comme on vient de le voir, le toponyme est aquitain. Par ailleurs, il est tout à fait possible que l’arrivée des Bituriges en Bordelais ne date que de la réorganisation des tribus gauloises qui a suivi la victoire de César : voir les propositions de J. Hiernard dans diverses publications : Aux origines de la civitas des Bituriges Vivisques, RBN, 127, 1981, p. 75-92 ; Id., La numismatique et la question des Bituriges Vivisques, dans Grasmann (G.), Jannsen (W.) et Brandt (M.), éd., Keltische Numismatik und Archäologie. Numismatique celtique et archéologie (Veroffentlichung der Referate des Kolloquiums keltiche Numismatik vom 4 bis 8 Februar 1981 in Würzburg), Oxford, 1984, p. 130-150 (BAR, Int. Ser., 200, 1-11) ; Id., Bituriges du Bordelais et Bituriges du Berry : l’apport de la numismatique, dans Rev. Arch, de Bordeaux, LXXXVIII, 1997, p. 61-65, avec renvoi aux articles antérieurs de l’auteur sur le sujet.
6 Desbordes J.-M., Un ancien itinéraire de long parcours entre Armorique et Méditerranée, dans Travaux d’Archéologie Limousine, 3, 1982, p. 15-22, qui derrière Diodore (V, 22,4 ; cf. V, 38,5), met en valeur le rôle de la route continentale ; Hiernard (J.), Corbilo et la route de l’étain, Bull. Soc. des Ant. de l’Ouest, 4e série, XVI, 1982, p. 497-578, tout en suggérant que de nombreux chemins pouvaient être utilisés, confirme cette hypothèse. Voir notamment la carte 9, p. 571, qui montre à date haute (seconde moitié du iiie siècle-début du iie siècle avant Jésus-Christ) l’isolement de l’estuaire.
7 IV, 5, 2. S’il n’est pas certain que Bordeaux ait, avant la conquête romaine, importé l’étain de Cornouaille, des relations avec la Bretagne sont cependant suggérées par quelques découvertes archéologiques. Voir Boudet (R.) et Noldin (J.-R), Une monnaie de l’âge du fer de l'île de Bretagne, découverte à Doulezon (Gironde), Aquitania, VII, 1989, p. 177-181.
8 Il s’agit de conteneurs transportant du vin produit en Italie (Campanie et Étrurie principalement). Voir, en dernier lieu, Berthault (F.), Aux origines du vignoble bordelais. Il y a 2000 ans, le vin à Bordeaux, Bordeaux, 2000.
9 Sur la voie fluviale, Sillières (P.), Voies de communication et réseau urbain en Aquitaine romaine, Villes et agglomérations urbaines antiques du Sud-Ouest de la Gaule (histoire et archéologie). Deuxième colloque Aquitania : Bordeaux, 13-15 septembre 1990, Bordeaux, 1992, Sixième supplément à Aquitania, p. 431-438. Roman (Y.), De Narbonne à Bordeaux, un axe économique au ier siècle avant J.-C. (125 av.-14 ap. J.-C.), Lyon, 1983 ; Nony (D.), La géographie monétaire de la Gironde précésarienne et les origines de Bordeaux, Hommage à Robert Étienne, Bordeaux, 1988, p. 125-134 = Revue des Études Anciennes, LXXXVIII, 1986 ; De Izarra (E), Hommes et fleuves en Gaule romaine, Paris, 1993. Sur les routes terrestres : Barrière (B.) et Desbordes (J.M.), Vieux itinéraires entre Limousin et Périgord, L’homme et la route en Europe occidentale au Moyen Âge et aux temps modernes, Flaran 2, Centre culturel de l'abbaye de Flaran, Deuxièmes journées internationales d’Histoire, 20-22septembre 1980, Auch, 1982, p. 231-240 ; Bost J.-P, “P. Crassum... in Aquitaniam proficisci iubet” : Les chemins de Crassus en 56 avant Jésus-Christ, Hommage à Robert Étienne, p. 21-39 ; Bost (J.-P.), et Boyrie-Fénié (B.), Auguste, la Gaule et les routes de l’Aquitaine : la voie “directe” de Dax à Bordeaux, dans Bull. Soc. de Borda, 410, 1988, p. 13-20 ; Desbordes (J.-M.), Voies romaines en Limousin, Limoges, 1995, 2e éd., 1997, Travaux d’archéologie limousine, supplément, 3 ; Barrière (B.) et Desbordes (J.-M.), Un itinéraire de solitude : la “Diagonale d’Aquitaine” entre Saint-Pardoux et la Tour-Blanche (Dordogne), Aquitania, 17, 2000, p. 185-203.
10 C’est ainsi qu’est née la cité des Bituriges Vivisques et que Burdigala en est devenue le chef-lieu.
11 L'itinéraire d’Antonin, document routier dont l’état final est datable des années 360-365, est le seul à offrir des informations sur les routes de l’Aquitaine méridionale, puisque le feuillet correspondant de la Table de Peutinger a disparu depuis le Moyen Âge. Il fait connaître entre Dax et Bordeaux deux routes distinctes, l’une “directe”, en gros, sur le tracé de l'actuelle N 10, et une autre (en gros, l'actuelle “route des lacs”), qui passait par le chef-lieu de la cité des Boiates, à Lamothe-Biganos. Voir, en dernier lieu, le dossier présenté sous le titre “La route antique du littoral atlantique”, par B. Maurin, B. Dubos, R. Lalanne, Fr. Thierry, S. Barrau et J. Botirden, dans Aquitania, 17, 2000, p. 205-231.
12 Le site de “La France”, p. 54-56, notamment, p. 55 (plan de l’expansion de Burdigala) ; Id., Bordeaux, des origines au vie siècle, Gaulois et Romains en Aquitaine, catalogue d’exposition, Bordeaux, 1991, p. 18-22 (extension démographique et urbaine) ; Barraud (D.) et Gaidon (M.-A.), Bordeaux (Gironde) Burdigala, Villes et agglomérations urbaines antiques du Sud-Ouest de la Gaule (histoire et archéologie), colloque de Bordeaux, 13-15 septembre 1990, Bordeaux, 1992, (p. 57-63) p. 43-48 ; Maurin (L.) et Beaujard (B.), Blanchard (M.), Boissavit-Camus (B.), (t) Février (P.-A.), Pergola (Ph.), Prévot (E), Topographie chrétienne des cités de la Gaule, des origines au milieu du viiie siècle. X, Province ecclésiastique de Bordeaux (Aquitania Secunda), N. Gauthier, éd., Paris, 1998, p. 19-33. De courtes mais très utiles synthèses des informations recueillies sur chaque chantier sont désormais régulièrement publiées dans le Bilan scientifique annuel édité par le Service Régional de l’Archéologie, ainsi que dans la Revue archéologique de Bordeaux éditée par la Société Archéologique de Bordeaux.
13 Bien qu’il ne soit pas aussi explicite qu’on le prétend parfois, leur témoignage est néanmoins capital parce qu’il corrobore et remplace à l’occasion celui des textes épigraphiques défaillants : ainsi pour les relations de [l’Angleterre et de] Bordeaux avec les côtes de l’Espagne du Nord. Voir Fernández Ochoa (C.) et Morillo Cerdán (A.), La ruta marítima del Cantabrico en época romana, dans Zephyrus, 46, 1993, p. 225-232 ; Iglesias (J.M.), Intercambio de bienes en el Cantabrico oriental en el Alto Imperio romano, Santander, 1994, notamment, p. 42-43 et 50-53 ; Id., Autarquía económica y comercio exterior de la Cantabria romana, 1 Encuentro de Historia de Cantabria, Actas del encuentro celebrado en Santander los días 16 a 19 de diciembre de 1996, Santander, 1999, p. 331-350, et notamment, p. 346-347 ; Ruiz Gutiérrez (A.), Flaviobriga, puerto comercial entre Hispania y la Galia. Estudio del comercio de terra sigillata a través de un lote de Castro Urdiales (Cantabria), Aquitania, 15, 1997-1998, p. 147-166 (avec la bibliographie antérieure).
14 L’utilisation des inscriptions se justifie par le fait qu’il est d’usage pour les gens qui résident ou qui sont de passage dans une cité qui n’est pas la leur (les “étrangers”, ceux qu’on appelle les incolae) d’indiquer le lieu de leur origine sur les pierres qui portent leur nom (épitaphe, dédicace religieuse etc.).
15 Ci-dessus, note 1 ; voir la carte de la p. 141.
16 Ainsi CIL 627, Firminio et sa femme Peculia, CIL 765, M. Iulius C F Volt Severus, tous trois originaires de la province de Narbonnaise, ainsi que les familles des personnages concernés. En revanche, dans mon commentaire, je n’ai pas tenu compte des deux militaires de CIL 594 et 595.
17 Sauf ILTG 141 (Lunaris), CIL 570 (Tertius), CIL 576 (un Lémovice), CIL 586 (un Turiassonensis), ainsi que CIL 593 (un anonyme, originaire de Rome).
18 C’est le cas de L Solimarius Secundinus (CIL 634), de L Antonius Statutus (CIL 612) et de L Hostilius Liberalis (CIL 621).
19 Cas indéterminés : Intercilius Andus, le civis Aquensis de CIL 608 ; le Lémovice anonyme de CIL 576 ; l’Aulerque indéterminé de CIL 610 ; Serdus, le Parisien de CIL 626 ; Vestinus, le Bellovaque (CIL 61 1), Vildicus ( ?), le Trévire (CIL 635), Augustalis, le Romain (CIL 593), Euplus, le Crétois ( ?) (CIL 619) et le Syrien anonyme de CIL 632.
20 Le critère de classement dans l’une ou l’autre catégorie est fondé sur la présence d’une famille, qui signale une installation durable, et sans doute définitive, dans la ville. Les cas les plus remarquables sont ceux de l’Espagnol M Sulpicius Primulus, établi avec ses deux enfants et sa concubine (CIL 586) et de l’Ambien L Ammius Silvinus (CIL 607), dont le nomen renvoie à l’onomastique de la Gaule Belgique, présent avec sept membres de sa famille.
21 Inscriptions romaines de Bordeaux, I, Bordeaux, 1887, p. 190-191, no 72.
22 La qualité de simple soldat de ce militaire de la Garde n’est pas certaine, ainsi que le suggère la mise en page du texte. Par ailleurs, son âge (il est décédé à “environ 37 ans”) interdit de voir en lui un retraité. Sa présence à Bordeaux, si elle n’est pas à relier à des événements militaires de la fin du iiie siècle, est peut-être à mettre en rapport avec celle des bureaux et services du gouvernement provincial, sinon à celle du gouverneur lui-même.
23 Des quelques 350 textes que comprend le corpus bordelais, nos “étrangers” (38 inscriptions) représentent presque 11 %, ce qui est considérable. “Seule Lyon... possède autant d’allogènes” (Bordeaux antique, p. 142-143). Malgré la relative concentration des trouvailles dans les parties nord et sud du rempart tardif, il n’est pas possible d’expliquer cette abondance par la proximité de cimetières ayant possédé éventuellement des quartiers spécialisés. Tout au plus pourra-ton supposer que nombre de ces incolae étaient assez fortunés pour s’offrir des stèles funéraires en pierre qui ont ensuite été récupérées pour former les assises inférieures de la muraille.
24 Les textes paraissent en effet devoir être datés, en gros, entre 150 et 250.
25 Peut-être aussi, malgré la date tardive de l’inscription (vers 190-250) un exportateur de céramique sigillée de Montans ? Voir Martin (Th), Le port de Bordeaux et la diffusion atlantique des sigillées montanaises, Mélanges C. Domergue, PALLAS, 50, 1999, p. 27-41, notamment, p. 33.
26 Sur un type de céramique probablement fabriqué en Chalosse et qui a atteint (très petitement) Bordeaux : Réchin (E) et Convertini (E), Production et échanges en Aquitaine durant le Haut-Empire : nouveaux apports de la pétrographie céramique, SFECAG, Actes du Congrès de Libourne, 1er - 4 juin 2000, Marseille, 2000, p. 111-127.
27 Par exemple, CIL 766 cite un Iulius Siles (pour Silex) et CIL 781 fournit le nom de personne Belestus, qui pourrait être un dérivé de Belex, autre anthroponyme “aquitain”. Mais ces noms ne renvoient pas forcément à des immigrés venus du piémont pyrénéen à l’époque impériale : ils peuvent être autochtones et rappeler simplement (de loin, eu égard aux déformations) les origines “aquitaines” de Bordeaux.
28 Quand ? C’est toute la question. On ne peut pas écarter l’idée d’une arrivée ancienne, directe ou indirecte, liée aux troubles et aux violences de la conquête romaine de la Provincia à la fin du iie siècle av. J.-C.
29 CIL 679, 832, 855, 767, 884, 878 et 754.
30 Le trésor d’Éauze. Bijoux et monnaies du iiie siècle après J.-C., Coord. D. Schaad, Toulouse, 1992 ; Bost (J.-P.) et Namin (C.), Collections du musée archéologique départemental de Saint-Bertrand-de-Comminges. 5. Les monnaies, Cahors, 2002, p. 37-38 ; Geneviève (V.), Monnaies et circulation monétaire à Toulouse sous l’Empire romain (ier-ve siècles) Toulouse, 2000, p. 27-28.
31 On ne connaît guère qu’un habitant de Rome (CIL 593), qui se dit fièrement cives Urbicus.
32 Mais F. Berthault me fait observer que les amphores du type Richborough 527, qui transportent l’alun des Îles Lipari, sont connues notamment à Bordeaux et en Angleterre.
33 Le personnage nommé Euplus, de CIL, 619, pourrait bien être d’origine crétoise (à moins qu’il ne s’agisse d’un affranchi).
34 C’est sans doute le cas du civis Graecus Diopantus (CIL 620) et de l’anonyme de Nicomédie (CIL 625).
35 En dernier lieu, Vin et vignoble dans la Sud-Ouest de la Gaule, El vi a l’Antiguitat. Economia, producció, i comerç al Mediterrani occidental. Actes (Badalona, 619 de maig de 1998), Museu de Badalona, Monografies Badalonines, núm. 14, 1998, p. 450-460 ; Id., Aux origines du vignoble bordelais, cité note 8.
36 Étienne (R.), Bordeaux antique, p. 101-108 ; Id., L’origine épirote du vin de Bordeaux antique, L'Illyrie méridionale et l’Empire dans l’Antiquité, Clermont-Ferrand, 1987, p. 239-243 = En passant par l’Aquitaine, p. 195-204 ; Berthault (F.), travaux cités à la note précédente.
37 Bordeaux reçoit aussi à cette époque, sans doute par la voie maritime, quelques parois fines de Bétique voir Fernández Ochoa (C.) et Morillo Cerdán (A.), La ruta marítima, citée note 13.
38 Ces officines battent monnaie entre les règnes d’Auguste et de Caligula.
39 Ruiz Gutiérrez (A.), Flaviobriga, cité note 13.
40 C’est-à-dire l’Aquitaine d’entre Loire et Pyrénées.
41 Iglesias (J.M.), Intercambio de bienes, notamment, p. 42-43 et 50-53 ; Id., Autarquia económica, notamment, p. 346-347 ; Martin (Th.), Le port de Bordeaux, avec large bibliographie antérieure ; Ruiz Gutiérrez (A.), Flaviobriga, cité note 13.
42 La même raréfaction touche les exportations des produits de Montans : voir Martin (Th.), Le port de Bordeaux, p. 32-33.
43 Mais on ignore pareillement ce qu’étaient les affaires de ce marchand syrien établi à Lyon, qui se dit negotiator Lugduni et provincia Aquitanica (CIL XIII, 2448).
44 Etienne (R.), Bordeaux antique, p. 143, pense néanmoins à des marins. Il est vrai que rien n’assure qu’il y ait eu jamais dans l’Antiquité des marins d’origine bordelaise.
45 CIL 807, 628, 641, 820, 697, 693, 687. Comme pour la Narbonnaise, on peut éventuellement suggérer que certaines familles sont venues à Burdigala soit pour s’y réfugier au moment de la conquête de la Gaule Belgique, soit pour y avoir été exilées lors des redistributions autoritaires décidées à la fin de la guerre par César. Ainsi, une partie plus ou moins grande du brassage onomastique que révèlent les textes serait liée à des établissements anciens, c’est-à-dire à des migrations de contrainte.
46 CIL 798.
47 On peut pourtant rajouter à la liste certains noms patronymiques comme Majorius, Securius ou Nobilius, surtout signalés en Gaule Belgique, portés à Bordeaux (CIL 628 et 807), mais précisément par des gens originaires de cette province.
48 Bordeaux antique, p. 155-158. Un Mascellio est attesté à Périgueux sur une stèle funéraire de tradition de la Gaule du Nord.
49 CIL 634. Cette stèle est visible au Musée d’Aquitaine à Bordeaux.
50 ILTG, 141. Lunaris est un affranchi, mais qui est dignitaire municipal à York et à Lincoln, les deux colonies où il avait probablement ses affaires, celles-ci probablement liées au ravitaillement des garnisons d’York et du mur d’Hadrien.
51 Voir déjà Étienne (R.), Bordeaux antique, Bordeaux, 1962, p. 138 et 143 ; Braemer (Fr.), Contribution à l’étude des relations entre le monde méditerranéen et les îles Britanniques dans l’Antiquité, dans Océan Atlantique et péninsule Armoricaine, 107e Congrès National des Sociétés Savantes, Brest, 1982, Archéologie et Histoire de l’art, Paris, 1985, p. 51-84.
52 Voir Deae Nehalenniae, catalogue d’exposition ; Middelburg, 1971, et surtout, désormais, Stuart (P.) et Bogaers (J. E.) (†), Nehalennia. Romische Steindenkmäler aus der Oosterschelde bei Colijnsplaat, 1, Textband ; II, Tafelband, Leyde, 2001 ; Chastagnol (A.), Une firme de commerce maritime entre l'île de Bretagne et le continent gaulois à l’époque des Sévères, dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik (ZPE), 43, 1981, p.63-66.
53 Il s’agit de la “BB 2”, produite au iie siècle dans le Nord du Kent et à Colchester, et de la “BB l” du iiie siècle fabriquée dans le Dorset. Les résultats des recherches récentes sont encore (à ma connaissance) largement inédits. Sur le sujet, Tuffreau-Libre (M.), La céramique en Gaule romaine, Paris, 1992, à compléter désormais.
54 Sur ce point, les céramologues me paraissent bien timorés. Voir notamment les discussions des récents congrès de la SFECAG, du Mans et de Libourne, passim. Mais c’est sans doute parce que la partie qu’ils tiennent du dossier, la seule qui soit connue matériellement, est aussi la moins représentative.
55 CIL XIII, 2448. Peut-être les fouilles en cours sur le site de l’ancien port gallo-romain de Bordeaux jetteront-elles quelque lumière sur cette question peu connue.
56 Sireix (Chr.) et Convertini (F.), La céramique à l’éponge de la région bordelaise : la céramique marbrée d’Aquitaine, SFECAG, Actes du Congrès du Mans, 8-11 mai 1997, Marseille, 1997, p. 321-333.
57 CIL 576, 593, 608, 610, 611, 619, 626 et 635. Je laisse de côté le cas des militaires. La datation tardive des textes (vers la fin du iiie siècle) ne permet pas de les introduire dans le raisonnement.
58 Six personnages : CIL 612, 621 et 634 ; ILTG, 141.
59 Par exemple le Provincialis M Iulius Severus (CIL 765), le Médiomatrique [ ?Fa]-vor (CIL 623), ou même les Dacquois Felix et Victorina (CIL 609a et 609b).
60 Ainsi pour les Lémovices Inventa et Martinus, pour les Coriosolites Donata et Reginianus, ou les Trévires Domitia et Léo, dont les épitaphes sont postérieures à l’édit de Caracalla (212). Fin fait, seuls les Boiates Tertius et ses fils, les Provinciales Firminio et Peculia, et peut-être le Médiomatrique [Fa]vor ( ?) sont des pérégrins (CIL 622, 627 et 623).
61 CIL 618, 586, 615, 630, 628 et 636/637.
62 CIL 807, 624 et 628.
63 Ce qui est le cas de M Sulpicius Primulus et de Sulpicia Phoebe (CIL 586), de M P[---] Diopantus et P[---] Primitiva (CIL 620), ou de Pompeius Iunius et Pompeia Menapia (CIL 624).
64 CIL 615 ; CIL 609a et 609b.
65 CIL 627.
66 Krier (O.), Die Treverer ausserhalb ihrer Civitas, Trèves, 1981, p. 186-194, passim ; voir la carte suggestive de la p. 12.
67 Etienne, R. et Mayet, F., (Les élites marchandes de la péninsule Ibérique, Élites hispaniques, Textes réunis par M. Navarro Caballero et S. Demougin, Bordeaux, 2001, p. 89-99), montrent que, dans la péninsule, “la sphère des commerçants appartient au monde des affranchis”. Si l’exemple du Breton Lunaris va effectivement dans ce sens, ce n’est apparemment pas le cas des commerçants gaulois, qui semblent bien issus du milieu ingénu local. Leur enrichissement a assuré la promotion qui les a conduits ensuite à la naturalisation romaine.
68 La date à laquelle Bordeaux est devenue capitale de la province d’Aquitaine n’est pas connue, mais il est très possible que le changement ait eu lieu vers les débuts du iiie siècle, au moment où, sous Septime Sévère, des réaménagements ont été opérés dans les gouvernements et les ressorts provinciaux.
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