Présence humaine dans la Grande-Lande du deuxième Âge du Fer à la conquête franque (iiie s. avant J.-C. - vie s. après J.-C.)
p. 9-18
Note de l’éditeur
Actes du Colloque de Sabres sur la Grande Lande, Sabres, 1981, p. 139-146.
Texte intégral
1Deux raisons principales donnent à cette longue période d’environ huit siècles une réelle homogénéité. La première est d’ordre historique : c’est alors que se mettent en place, par étapes successives, des cadres dont nous vivons encore, au moins en partie, les effets. Ils commencent à s’offrir à nous avec quelque précision lorsqu’entrent dans l’Histoire les Aquitains et les Celtes d’Aquitaine ; ils prennent davantage de netteté avec la conquête romaine : fixant d’anciennes frontières ou en créant de nouvelles, celle-ci impose des découpages politiques et administratifs dont certains existent toujours. C’est aussi au même moment que les antiques cheminements des hommes vont se figer dans des itinéraires routiers encore utilisés aujourd’hui. On sent donc bien que s’est écrit là un épisode capital du passé de la Grande-Lande. La seconde raison est d’ordre méthodologique : pour apprécier chacune des phases de cette histoire, le chercheur, mal informé par les maigres témoignages des sources antiques, doit faire appel aux mêmes moyens d’approche : enquête archéologique, limites des circonscriptions ecclésiastiques médiévales et modernes, toponymie, hagiotoponymie, hagiographie, toutes choses dont il sait bien ne pas pouvoir se passer, mais dont les secours, souvent hasardeux, le laissent également démuni. Ce hiatus entre l’importance qu’on devine des choses qui alors se mettent en place et la médiocrité des moyens que nous avons de l’apprécier, rend sans doute bien incertaine et très provisoire toute conclusion. Toutefois, au relief que prennent certains phénomènes, nous croyons pouvoir approcher des réalités historiques, surtout d’ailleurs, parce que, finalement, ils sont assez conformes à ce qu’impose cet autre phénomène, essentiel, que représentent les contraintes du milieu naturel landais.
2L’Aquitaine a conservé peu de traces matérielles de ses occupants du Deuxième Âge du Fer. Par César (Guerre des Gaules (= BG), III, 20-27) et la liste de Pline l’Ancien (Hist. Nat., IV, 19, 108), on sait qu’y vivaient une trentaine de peuples, plus ou moins identifiables aujourd’hui. Leur répartition approximative a été établie par P.-M. Duval1, pour la majorité d’entre eux. En complétant les propositions de ce savant par quelques travaux postérieurs2 et aussi telles indications fournies par les frontières diocésaines ou la toponymie, on arrive à en placer une demi-douzaine dans le domaine de la Grande-Lande.
3Au nord-ouest vivaient les Boiates, dont le territoire enfermait le cours inférieur de l’Eyre. Dans la mesure où ce toponyme a bien le sens de “limite d’eau” qu’on lui attribue habituellement, le cours supérieur de cette rivière, constituait peut-être, du côté de l’est, leur frontière. De l’autre côté se trouvaient les Vasates, car il faut très vraisemblablement, avec P.-M. Duval placer les Belindi(ni) au voisinage des Pyrénées3, le toponyme de Belin/Beliet n’ayant sans doute avec eux qu’un simple rapport de coïncidence phonétique4. Les Vasates occupaient surtout la vallée moyenne et inférieure du Ciron, en plus de leur territoire non “landais”, qui peut-être à cette époque, ne dépassait pas la Garonne. Malgré les imperfections que l’on connaît à la valeur de cet argument, la limite des noms en -os, telle que l’ont dessinée les travaux de J.-B. Marquette5 et de R. Étienne6 exprime convenablement, tant pour eux que pour les Boiates, l’idée de communautés groupées dans les zones les plus favorables, que devaient séparer les unes des autres de vastes espaces vides d’habitants.
4Au nord-est se placent les Oscidates Campestres, que J. Clémens a localisés de manière convaincante dans les Lugues, c’est-à-dire dans l’actuel canton de Houeillès7. Audessous d’eux étaient les Sotiates, comme l’impose sans conteste le double témoignage de César et de Pline. Leur chef-lieu devait être Sos-en-Albret, même si, jusqu’à maintenant, aucune trouvaille archéologique n’est venue soutenir cette proposition traditionnelle8. Le canton de Gabarret représente approximativement l’étendue de leur domaine “landais”9. Les peuples de la partie méridionale se laissent moins facilement reconnaître. La liste de Pline situe au voisinage des Oscidates Campestres et avant les Basaboiates, les peuples des Succasses et des Latusates, mais ne cite nommément, ni les Tarusates, pourtant connus de César (BG, III, 23 et 27), ni les Lactorates, dont le nom, il est vrai, si l’on excepte une ingénieuse mais hypothétique correction de C. Jullian à un passage de Diodore10, n’apparaît que dans des documents d’époque impériale. Quoiqu’on admette habituellement qu’il faut retrouver ces derniers sous le nom déformé de Latusates, le problème n’est pas résolu pour autant, dans la mesure ou Tarusates, Latusates et Lactorates, déjà proches phonétiquement, l’étaient aussi (surtout s’ils existaient tous réellement) géographiquement, ce qui a dû très tôt, dans la transmission des manuscrits de Pline, entraîner des confusions de copistes. La succession de noms très voisins a pu finir par être sentie comme autant de répétitions abusives et tel ou tel d’entre eux, en conséquence, fut expulsé. Mais l’embarras des chercheurs se trouve accru par l’attraction phonétique offerte par le nom moderne de la Douze11 qui donnerait au problème une solution simple et facile : les Latusates auraient été les gens de la Douze12, c’est-à-dire, en gros ceux qui habitaient dans les actuels cantons de Roquefort et de Labrit. Malgré tout, le silence de César13, qui ne connaît aucun peuple entre les Vasates et les Tarusates, constitue un argument de grand poids à l’encontre de cette hypothèse. Par prudence, nous attribuerons donc aux Tarusates la partie méridionale de la Grande-Lande. Du côté de l’ouest, la petite vallée du Geloux devait marquer la limite de leur territoire et les séparer des Cocosates. Dans la liste de Pline, ceux-ci sont dits Sexsignani (c’est-à-dire aux six tribus) et voisins des Tarbelles, ce que confirme (peut-être), de Seignosse, en Maremne, à Coos, en Brassenx, une succession assez fournie de toponymes caractéristiques, formés sur l’ethnique (Coequosa de l'Itinéraire d’Antonin ou moderne Coucouse) ou le finis latin (Linxe). L’établissement ainsi délimité laissait entre eux et les Boiates, au nord, un vaste no man’s land.
5Il faudrait pouvoir préciser dans le détail comment se répartissait le peuplement de la Lande. L’absence de trouvailles archéologiques voue malheureusement à l’échec toute tentative de ce genre. Certes, nombre de “Castra” ou de “Castera” ont été autrefois reconnus comme des camps “protohistoriques” ou “romains”, mais, le plus souvent, au seul examen du site qui les porte et, en fait, aucun d’entre eux ne fut jamais réellement exploré. Tout au plus constatera-t-on que leur localisation, en bordure de la Lande et le long des vallées correspond, en somme, à ce que montrent la répartition des noms en -os chez les Boiates et les Vasates, ou encore la toponymie ethnique chez les Cocosates : il est infiniment probable que, dès cette époque, le centre du pays n’était qu’un désert humain.
6Les témoignages des auteurs anciens, notamment ceux de César14 et de Strabon15, et les travaux des modernes, philologues, historiens et archéologues, font connaître, outre leur dénomination commune en -ates, deux caractères essentiels propres à tous ces peuples. Ils étaient d’abord des “Aquitains”, héritiers des cultures du Premier Âge du Fer, que leur type physique autant que “leur langue, leurs coutumes et leurs lois” (César) distinguaient nettement des Gaulois. Mais ils étaient aussi alors déjà plus ou moins celtisés : ainsi les Vasates, dont le nom porte le U consonne en position initiale, caractère celtique selon R. Lafon16 ; ainsi les Boiates, apparentés aux Boiens de La Tène, dispersés en Bohême, en Italie et jusqu’en pays éduen pendant la guerre des Gaules, ou encore les Tarusates, peut-être anciennement apparentés auxTarbelles celtiques, du moins si l’on retrouve dans leur dénomination respective le nom de tarvos, le taureau. Quelques toponymes attestent la diffusion, dans la Grande Lande, des parlers gaulois, au Deuxième Âge du Fer, tels Bézaudun17, ou encore les Séouze de Parentis-en-Born et le Séougue de Cachen18,ancien Segosa, dont le radical est assurément celtique. César et Strabon ont peut-être exagéré l’importance des oppositions ethniques et linguistiques entre l’Aquitaine et la Celtique : depuis longtemps, en effet, les grands brassages humains qui s’étaient opérés chez les peuples du sud de la Garonne avaient fortement métissé ces derniers. On y rencontrait sans doute de “vrais” Aquitains, mais aussi de “vrais” Celtes, et, comme l’a bien souligné M. Labrousse19,“des Aquitains plus ou moins ‘celtisés’” et des Celtes plus ou moins ‘aquitanisés’, dont en fin de compte, l’unité résidait surtout dans “le sentiment de différer, par le mélange même de ces caractères, du reste des peuples de la Gaule”. Après la conquête romaine, réalisée en 56 avant J.-C. par Publius Crassus et la répression des révoltes de 39/38 et 29/28 avant J.-C. (qui, peut-être, ne les ébranlèrent pas), les peuples de la Grande Lande entrèrent dans des cadres administratifs nouveaux, dont les traces survivent encore aujourd’hui. Vers 16 avant J.-C. fut créée une province d’Aquitaine nouvelle, étendue des Pyrénées à la Loire, dans laquelle les “vrais” Aquitains furent regroupés en sept circonscriptions dénommées cités. On leur en adjoignit deux autres, détachées de la Narbonnaise et, dès le Haut-Empire, ces neuf cités furent habituellement désignées sous le nom collectif de “Neuf Peuples”, qui formèrent bientôt, à l’intérieur de l’Aquitaine, un district à part, dont l’inscription d’Hasparren dit seulement qu’il répondait à leur désir d’être “séparés des Gaulois”, sans autre précision malheureusement20. Trois cités principales se partageaient l’Ouest et le Centre de la Grande Lande, tandis que deux autres en reçurent les confins orientaux. Les résultats de cette répartition ne sont plus accessibles aujourd’hui qu’à travers les héritages ecclésiastiques des époques médiévale et moderne, mais cela ne suffit pas à ôter à ces derniers toute crédibilité, au contraire, car ils consacrèrent souvent des lignes de partage particulièrement fortes dont les points d’ancrage, la plupart du temps, n’étaient autres que les limites-mêmes des territoires autrefois revendiqués par les peuples aquitains. Ainsi, en combinant ces données avec ce que nous pouvons tirer des sources antiques, de la toponymie ou de l’hagiographie, nous arrivons à obtenir une image pas trop défigurée des réalités de l’époque romaine.
7La cité des Basaboiates regroupait Boiates et Vasates. Son chef-lieu fut Boios21, dont, entre 1915 et 1920, les fouilles du Dr. Peyneau dégagèrent partiellement le site22. Dans la Grande Lande ce vaste ensemble s’étendait, en gros, sur les cantons de Belin, Saint-Symphorien, Villandraut, Captieux, Sore et Pissos. Vers l’ouest, il englobait ceux de La Teste et de Parentis. Sa frontière méridionale, avec la cité des Aqueuses, passait peut-être à l’emplacement d’une des stations routières de l’Itinéraire d’Antonin : Segosa (vers Aureilhan) ou Mosconnum (vers Mixe)23. Du côté oriental, le toponyme gothique Goux, sur le Ciron, dont la valeur de terme-frontière semble probable24, serait un vestige de l’ancienne frontière qui séparait les Basaboiates des Agenais.
8À la cité des Aqueuses fut attribué l’espace actuellement couvert par le canton de Sabres et celui de Morcenx, partie de l’ancien pays cocosate. On peut admettre que, à l’est, la frontière diocésaine qui, avant la Révolution, séparait les juridictions de Dax et Aire, correspondait, en gros, à la situation du Haut-Empire25. C’est aussi dans les cadres territoriaux diocésains d’Aire que nous placerons les limites de la dernière des grandes cités landaises, celle des Aturenses, dont la capitale, Vicus Julius, reçut également le nom de Atura (= Aire-sur-l’Adour), sans doute transféré de l’ancien oppidum des Tarusates, qui finit par l’emporter dans la dénomination officielle. Les cantons de Labrit et de Roquefort en faisaient partie. Du côté oriental, les Lugues et le Gabardan (cantons de Houeillès, Lot-et-Garonne et de Gabarret, Landes), furent respectivement rattachés l’un à la cité d’Agen26, l’autre à celle des Elusates27.
9Le territoire de la Grande-Lande relevait donc, au ie et au iie siècles, de cinq unités administratives différentes. En fait, il est probable que cet écartèlement n’affecta guère la vie des populations, qu’on devine ramassée sur les seules bordures, ne s’aventurant que dans quelques clairières ou dans les principales vallées, et sur les axes de communication. Ces derniers sont, d’ailleurs, ce qu’on connaît le mieux (ou le moins mal) à l’époque du Haut-Empire. En effet, malgré la disparition ancienne du segment occidental de la Table de Peutinger, nous possédons cependant, grâce à l’Itinéraire d’Antonin (iiie siècle après J.-C.) et à l'Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem (333 après J.-C.), trois listes d’étapes accompagnées de la distance à parcourir (en lieues de 2200 m environ) entre chacune d’elles, qui livrent les noms d’une dizaine de localités.
10L’Itinéraire d’Antonin indique deux routes possibles entre Bordeaux et Dax. La plus occidentale, qui n’intéresse pas strictement notre propos, est la mieux connue, au moins dans sa partie nord, depuis quelques années28. Plus à l’est, passait une voie reliant directement Bordeaux à Dax et aux Espagnes. La première station, Salomagus se trouvait à coup sûr dans l’actuel village de Salles (canton de Belin-Beliet, Gironde). Les recherches en cours de J.-P. Lescarret et B. Fenié feront bientôt mieux connaître le parcours entre Salomagus et Telonnum, station que la tradition érudite propose, avec la plus grande vraisemblance, de placer aux environs de Liposthey (canton de Pissos, Landes). Le nom de Telonnum vient peut-être du latin telonium (bureau de perception) et peut avoir désigné l’emplacement de quelque service de contrôle, en même temps qu’un relais29 ; dans ce cas, nous aurions là un indice pour faire passer à cet endroit la limite entre les cités des Basaboiates et des Aquenses. Audelà, vraisemblablement, la route empruntait un tracé proche de l’actuelle R.N. 10, par Labouheyre. À dix-huit lieues, soit environ 40 km, se trouvait la station de Coequosa, en pays cocosate, dont l’emplacement n’est pas connu. Pour mettre à peu près en accord les données de l'Itinéraire30 et le nécessaire contournement des grands marais de la région de Morcenx, une localisation de ce site vers Sindères (canton de Morcenx), conviendrait assez bien. Remarquons, pour terminer, que bétonnant dédoublement de la route de Dax à Bordeaux s’explique facilement si l’on admet que le tracé direct représente une création romaine intimement liée à la réforme administrative de l’époque augustéenne31, tandis que la voie littorale continuait les cheminements de l’époque protohistorique en direction des Espagnes. La création de Dax, sous Auguste, rendant nécessaire une liaison de celle-ci avec la voie littorale, fut à l’origine du tronçon Mosconnum (vers Mixe) - Aquae Tarbellicae.
11Sur la bordure orientale du massif landais, l'Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem contient la liste d’une série de relais qui, au ive siècle, jalonnaient la route de Bordeaux à Toulouse et au-delà. Le fait que, par deux fois, des sources presque contemporaines32 signalent fût-ce implicitement ce parcours, attestent qu’il était alors le plus fréquemment emprunté, sinon le seul. La section qui traversait la Grande Lande partait de Cossio (Bazas33), passait, à cinq lieues de là (environ 11 km), au relais de Très Arbores34, puis successivement, à huit lieues (environ 17,5 km), à Oscineio35, pour atteindre, à huit lieues encore, Scittio, qu’il faut identifier à Sos-en-Albret, comme le propose avec raison la tradition érudite. Ensuite, la route se fondait dans le tracé de l’antique Ténarèze, pour rejoindre Elusa (Éauze36). L’apparition tardive de ce chemin dans nos sources ne signifie pas, cependant, qu’il n’existait pas plus tôt : les avantages qu’il offrait, à l’abri des débordements des grands fleuves, en période hivernale ou au printemps, l’évitement des traversées des grandes confluences, pouvaient le faire préférer au voyageur désireux de gagner commodément Toulouse, d’autant plus que la distance totale à parcourir était sensiblement la même (environ 110 lieues soit à peu près 245 km) que par l’itinéraire qui passait par Aginnum (Agen)37. On observera que, de toute manière, le tracé retenu entre Éauze et Bordeaux évitait la traversée directe de la Grande-Lande : en somme, la route, comme la vie humaine, se réfugiait sur les bordures. Il en allait de même du côté occidental. La seule exception résida dans l’existence de la liaison Dax-Bordeaux par Salles, mais, précisément, il s’agissait – du moins si notre analyse est correcte – d’une exception, puisque cette liaison, strictement administrative, ignorait délibérément toute autre motivation. Cette observation nous conduit à accueillir avec méfiance les propositions des érudits anciens, qui n’ont eu que trop tendance à multiplier les “voies romaines”, que, de toute évidence, le pays n’eut jamais. Pour la même raison, nous laisserons en suspens la question d’une route directe entre Bazas et Aire-sur-l’Adour par les Petites Landes, dont aucune preuve n’est venue, jusqu’ici, confirmer l’existence.
12Les deux derniers siècles d’histoire antique dans la Grande-Lande n’appellent pas de commentaire particulier : si nous mettons de côté le partage en deux cités nouvelles (.Boiates, chef-lieu Boios et Vasates, chef-lieu Cassio, qui va devenir notre Bazas) de la cité augustéenne des Basaboiates, nulle part nous ne voyons changer la répartition de l’habitat. Villas du Bas-Empire et nécropoles tardives montrent une fois de plus que la vie ne se risque pas dans l’intérieur d’un pays naturellement hostile. La même observation vaut pour les établissements wisigothiques, ceux du moins, que leur toponymie caractéristique en -ens laisse reconnaître comme tels38, qu’on voit se localiser à la limite des sables et des sols cultivables. Même en tenant compte des inévitables carences de la prospection archéologique, il y a, dans ce phénomène, l’expression d’une évidente réalité historique.
13Notre conclusion n’étonnera personne : la Grande-Lande fut, dans l’Antiquité, une zone repoussoir. Le triangle qui passe par Belin-Beliet, Saint-Symphorien, Captieux et Houeillès, au nord, et, au sud, par Morcenx, Brocas, Roquefort et les sources de l’Avance, fut un désert qui servit historiquement de frontière entre les peuples riverains. L’époque romaine fit passer les frontières des cités à peu près selon la bissectrice du triangle, mais ne fixa guère là que des structures administratives, sans effet sur les établissements humains qui restèrent concentrés à la périphérie. La circulation elle-même, si l’on excepte le grand axe qui reliait Bordeaux à Dax et à la Péninsule Ibérique, délaissa l’intérieur : la Grande-Lande était déjà hier une région où l’on ne s’aventurait que par nécessité, mais où l’on ne s’arrêtait pas.
Notes de bas de page
1 Duval (P.-M.), Les peuples aquitains d’après la liste de Pline, dans Rev. de Philologie, XXIX, 1955, p. 213-227 (= Duval).
2 Maurin (L.), Les Basaboiates, dans Langon, Sauternais-Cernès, Actes du XXIIe Congrès d’Etudes Régionales, Fédération Historique du Sud-Ouest, Langon, 1970, Les Cahiers du Bazadais, no 20-21, 1971, p. 1-15 (= Maurin) ; Clémens (J.), Les Oscidates Campestres, dans Rev. de l’Agenais, 1980, p. 3-8 (= Clémens).
3 Duval, p. 217.
4 Dauzat (A.) et Rostaing (Ch.), Dictiotinaire étymologique des noms de lieu en France, Paris, 1963, art. Belin, le font venir du dieu gaulois Belenos, par l’intermédiaire d’un nom de personne gallo-romain *Belinius, dont on relèvera toutefois qu'il n’est nulle part attesté dans l’onomastique régionale.
5 Marquette (J.-B.), Le peuplement du Bazadais méridional de la préhistoire à la conquête romaine, dans Bazas et le Bazadais, Occupation du sol, Histoire, Art, Economie, Actes du XIIIe Congrès d'Etudes Régionales, Bazas, 1960 (Bordeaux, 1961), p. 13-33, carte p. 25 (= Bazas).
6 Étienne (R.), Bordeaux antique, Bordeaux, 1962, p. 63, carte 10.
7 Clémens, p. 7.
8 Cette absence de trouvailles n’est pas pour étonner : les témoignages concordants de Cicéron (Prov : Consulaires, XII, 29) et de Strabon (11,4, 13 ; IV, 1, 11) montrent qu’il ne faut pas exagérer la qualité des établissements indigènes dans la Gaule préromaine.
9 Du moins si l’on admet que le destin particulier de cette région tire son origine d’une situation ancienne.
10 Diod., Bibliothèque Historique, XXXV, 36 ; cf. Jullian (C), Histoire de la Gaule, II, 4, p. 39, n. 4 ; III, p. 26, n. I et p. 28, n. 5, (cf. César, BG IV, 12, 4 ?). M. Rambaud, dans son édition de la Guerre des Gaules (coll. Erasme, Paris, 1965), app. crit, de III, 27, 2, restitue Lectorates à la place des Sibuzates/Sibutzates/Sibusates des manuscrits, correspondant aux Sybillates de Pline (H.N., IV, 108), mais c’est au prix d’une correction bien forte !
11 Cette rivière naît dans les collines gersoises, à une vingtaine de km au sud-ouest de Vic-Fezensac. Un parcours de 110 km dans lequel elle décrit une vaste boucle vers le nord, l’amène, par Manciet, Cazaubon, Labastided’Armagnac, Saint-Justin et Roquefort, jusqu’à Mont-de-Marsan, où elle conflue avec le Midou pour former la Midouze.
12 C’est l’opinion à laquelle se rallie R. Étienne dans Histoire d’Aquitaine, Toulouse, 1971, p. 62 et Histoire d’Aquitaine, Documents, Toulouse, 1973, p. 37.
13 “Crassus (après avoir reçu la reddition des Sotiates) partit chez les Vocates (= les Vasates) et les Tarusates” (BG III, 23, 1). Il n’y a aucune allusion non plus aux Succasses, dont la localisation reste inconnue.
14 BG, 1,1.
15 IV, 2, 1.
16 Lafon (R.), Sur le nom “Vasates”, dans BAZAS (p. 7-11), p. 8.
17 Lieu-dit de la commune d’Arengosse, canton de Morcenx. Il y aurait un castrum protohistorique : Taillebois (E.), Les vestiges gallo-romains dans le département des Landes, dans Congr. Archéol. de France, LVe session, Dax-Bayonne, 1888, p. 161 ; voir Bull. Soc. Borda, 106, 1981, p. 580-581 (G. Dupouy). Le toponyme signifierait “le camp des bouleaux”, selon J. Pages, Réflexions sur la toponymie gasconne, même revue, p. 540.
18 Cantons de Parentis-en-Born et de Roquefort.
19 Labrousse (M.), dans Histoire de la Gascogne, des origines à nos jours, Roanne, 1977, p. 13.
20 CIL XIII, 412. Ce n’est pas ici le lieu d’exposer dans le détail les problèmes (datation et signification) que pose ce texte difficile.
21 Aujourd’hui Biganos, canton d’Audenge, Gironde.
22 Peyneau (B.), Découvertes archéologiques dans le pays de Ruch, 2 vol., Bordeaux, 1926 ; voir, sur les Basaboiates, Maurin, p. 1-15.
23 II s’agit de savoir à laquelle des deux cités il faut donner la partie méridionale du pays de Born, c’est-à-dire, en gros, factuel canton de Mimizan. En faveur d’une attribution à Dax (rappelons que le pays de Born appartint au diocèse de Bordeaux, héritier théorique de l’évêché des Boiates), témoignerait la légende de saint Galactoire. Vers le moment de la bataille de Vouillé (vers 507 ou 508) ce saint évêque de Lescar se souleva contre les Wisigoths et s’avança à la rencontre de Clovis jusqu’à Mimizan, où il périt assassiné. Bien entendu, pour que cet indice ait quelque valeur, il faudrait être certain que la localisation de cet événement n’a pas été accaparée tardivement par l’abbaye de Saint-Sever, et, plus encore, que l’épisode lui-même est bien authenthique. M. Rouche, L’Aquitaine des Wisigoths aux Arabes, 418-781. Naissance d’une région, Paris, 1979, p. 46 et 352, avec n. 131 (= Rouche), croit assez à l’historicité du personnage, et apparemment moins à celle du récit.
24 Commune d’Allons, canton de Houeillès, Lot-et-Garonne. Ce lieu-dit se trouve encore aujourd’hui sur la limite départementale entre Gironde et Lot-et-Garonne. La valeur de terme-frontière se laisse déduire des observations de M. Rouche (Rouche, p. 138-140).
25 Les preuves manquent pour la partie située dans la Grande-Lande à proprement parler, mais un peu plus au sud, le souvenir de la frontière s’est assez remarquablement conservé dans une série de toponymes qui en jalonnent le tracé. Du nord au sud, on rencontre successivement Linxe et Coucouze (commune et canton deTartas), Gouts (commune du canton de Tartas-est) auquel répond, dans la cité d’Aire, Goudosse (lieu-dit de la commune de Souprosse, canton de Saint-Sever) et enfin, Coucouze (lieu-dit de la commune du Leuy, canton de Tartas-est).
26 Les preuves manquent pour la partie située dans la Grande-Lande à proprement parler, mais un peu plus au sud, le souvenir de la frontière s’est assez remarquablement conservé dans une série de toponymes qui en jalonnent le tracé. Du nord au sud, on rencontre successivement Linxe et Coucouze (commune et canton de Tartas), Gouts (commune du canton de Tartas-est) auquel répond, dans la cité d’Aire, Goudosse (lieu-dit de la commune de Souprosse, canton de Saint-Sever) et enfin, Coucouze (lieu-dit de la commune du Leuy, canton de Tartas-est).
27 L’inscription CIL XIII, 548, trouvée à Sos, atteste que la région était rattachée à la cité d’Eauze. D’autre part, la diffusion du culte de saint Luperc en Gabardan tendrait à conforter l’hypothèse d’une mouvance élusate de ce pays qui, d’ailleurs, au xive siècle, ne relevait pas du diocèse d’Aire.
28 Voir les observations de Cl. Richir (Bull. Soc. Borda, 100, 1975, p. 273-287), R. Lalanne (même revue, 103, 1978, p. 293-307), S. Barrau et J. Bourden (même revue, 104, 1979, p. 15-32), reprenant et corrigeant les travaux de l’abbé Départ (même revue, 9, 1884, p. 145-151 et 183-200 ; 10,1885, p. 219-227).
29 Fustier (P.), La Route, voies antiques, chemins anciens, chaussées modernes, Paris, 1968, p. 135.
30 Seize lieues, soit environ 35,5 km, entre Aquae Tarbellicae (Dax) et Coequosa, et dix-huit lieues, soit environ 40 km, entre Coequosa et Telonnum.
31 La Table de Peutinger, malgré ses insuffisances, donne une bonne idée de ce qu’ont été les rocades administratives unissant les capitales des nouvelles cités.
32 Ammien Marcellin (Histoire, XV, II, 14) connaît, en Novempopulanie, Bazas, Eauze (qu’il situe, par erreur, en Narbonnaise) et Auch ; Sulpice Sévère (Chronique, II, 47-48) signale que le schismatique Priscillien, partant de Bordeaux pour se rendre à Rome, est passé par Eauze.
33 Aujourd’hui chef-lieu de canton de la Gironde.
34 Les Trois Chênes, lieu-dit de la commune de Goualade, canton de Captieux, Landes.
35 Esquieys, lieu-dit de la commune-de Pompogne, canton de Houeillès ou, plutôt, vers le moulin d’Escinjot, sur le Ciron, lieu-dit de la commune de Houeillès, canton du même nom, Lot-et-Garonne.
36 Aujourd’hui modeste chef-lieu de canton du Gers. La ville a joué, comme capitale de la province de Novempopulanie, un rôle assez important au Bas-Empire qui a pu favoriser, au détriment de la route qui longeait la Garonne (et outre les avantages qu’elle représentait), celle de l’intérieur.
37 Voir aussi note précédente.
38 Seuls ont été portés sur la carte les toponymes retenus dans Rouche, p. 554-557.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Architecture romaine d’Asie Mineure
Les monuments de Xanthos et leur ornementation
Laurence Cavalier
2005
D’Homère à Plutarque. Itinéraires historiques
Recueil d'articles de Claude Mossé
Claude Mossé Patrice Brun (éd.)
2007
Pagus, castellum et civitas
Études d’épigraphie et d’histoire sur le village et la cité en Afrique romaine
Samir Aounallah
2010
Orner la cité
Enjeux culturels et politiques du paysage urbain dans l’Asie gréco-romaine
Anne-Valérie Pont
2010