Chapitre I. Le processus de la fusion religieuse et municipale au iie siècle
p. 115-166
Texte intégral
1A partir du moment où les deux communautés furent chacune dotées d'un ordo decurionum, les magistrats carthaginois qui géraient le domaine et la vie publique du pagus au ier siècle disparurent définitivement des inscriptions. Le champ édilitaire et religieux fut dès lors laissé à l'initiative des deux ordres locaux et des habitants de la cité, jugés désormais suffisamment romanisés pour définir seuls leur panthéon et gérer leurs temples municipaux, prérogatives dont ils usèrent abondamment et sous de multiples formes. Le loyalisme envers l’empereur et l'adhésion ostentatoire à la religion romaine dont la communauté des Thuggenses fit la démonstration au cours du ier siècle, furent récompensés au siècle suivant par l'intégration de son élite au domaine du pagus et, pour les plus brillants d'entre eux, par leur inscription dans la tribu de Carthage. Trois familles de la ciuitas, comptant parmi leurs membres un ou plusieurs de ces nouveaux pagani, s'illustrèrent particulièrement du début à la fin du iie siècle, en dotant le centre ville et ses abords de l’essentiel de ses monuments religieux. Du forum à la place du marché et jusqu'au sud de celle-ci, les Gabinii, les Marcii et les Pacuuii, tous flamines du culte impérial, réalisèrent un vaste ensemble architectural, coordonné et harmonisé, organisé autour des exigences urbaines, politiques et religieuses imposées au ier siècle, témoin ostentatoire de l'ambition mise par ces personnages à gravir l’échelle sociale, assumant les honneurs et les frais conséquents pour le prestige de voir afficher publiquement leur réussite au front des édifices.
2Leur religion ne pouvait être que civique et loyaliste et, comme au ier siècle, le culte impérial demeura un facteur d'union pour des individus aux statuts juridiques inégaux. Sa célébration présida la réorganisation du centre urbain et la construction du capitole renforça, en la renouvelant, l'image de la majesté impériale qui s'étendait sur tout le centre monumental, orné des bases aux empereurs divinisés ou vivants. Au-delà des manifestations religieuses ponctuelles dont ceux-ci étaient le sujet central, les formulaires épigraphiques des dédicaces religieuses révèlent qu'ils avaient leur place dans toutes les célébrations publiques. C'est une question dont il convient de préciser les différents aspects avant d’aborder les spécificités de ce panthéon.
3Les retombées de la Pax Romana ont favorisé l'apparition de cultes liés au bien-être social et matériel, à la prospérité : sous le règne d'Hadrien, on éleva des temples et des bases à Concordia, Fortuna et Mercure negotiator. En même temps, du fait de leur culture plurielle, ces mêmes évergètes enrichirent aussi les références du panthéon municipal en augmentant la place de la tradition indigène dans les cultes publics : l'abondance de la terre y était soumise aux bienfaits de Mercure Siluius, Frugifer ou Neptune, vieilles divinités romanisées bien implantées à Thugga. Plusieurs furent honorées ensemble dans un même sanctuaire, formant des communautés divines romano-africaines où les dieux se groupaient par affinités de fonction plutôt que d’origine, convoqués à veiller ensemble à la paix de la communauté humaine. Cette fusion des identités sociales, juridiques et religieuses et ces appels incessants à la protection de l'empereur caractérisent l'ensemble de la vie religieuse au iie siècle.
1. Rang et statut des évergètes
1.1. L'émergence des nouveaux pagani
4Au ier siècle, la dénomination des notables de la ciuitas qui avaient accédé à la citoyenneté se caractérisait apparemment par l’absence de prénom et de tribu, sans que l'on sache exactement ce que cette particularité traduisait en termes de statut ou de droit1. Au début du iie siècle au plus tard, on concéda à cette élite la possibilité d'intégrer progressivement le pagus, selon des modalités qui demeurent mal connues. L'exemple bien connu des Gabinii et des Marcii montre que le premier degré de ces promotions personnelles était l'inscription dans la Quirina, par laquelle passait au moins la première génération de nouveaux pagani qui se dotaient en même temps d’un prénom. Ce n'est que lorsqu'il étaient déjà inscrits dans cette tribu que leurs descendants pouvaient acquérir la citoyenneté de Carthage, c’est-à-dire leur inscription dans l'Arnensis, après y avoir exercé une ou plusieurs magistratures2.
5Le premier tribule de la Quirina attesté à Thugga figure parmi les curateurs du marché dédié sous Claude3 ; la tribu ne se rencontre ensuite qu'à partir d'Hadrien4 avant de disparaître définitivement sous Antonin. En principe, elle caractérise les citoyens des fondations de Claude, de Néron et des Flaviens5. Si le premier a très largement répandu la Quirina dans les deux Maurétanies où s'est cantonné l'essentiel de son activité municipale, en Proconsulaire, aucune création munipale ne peut lui être attribuée6. D'ailleurs, une datation aussi précoce, alors que la ciuitas possédait encore des institutions de type traditionnel, est difficile à soutenir et l’on peut supposer que le curateur du marché, comme L. Iulius Crassus [no 117], avait été invité d'une cité voisine. Ce traitement honorifique justifierait d’ailleurs que son nom précédât celui du curateur représentant le pagus, contrairement à la hiérarchie qui prévalait sur des textes similaires au iie siècle. Néron lui non plus ne fonda ni ne promut aucune cité en Proconsulaire7, et l’on peut certainement exclure qu'il soit à l'origine d'un bienfait envers Thugga.
6La ciuitas a reçu des structures politiques de type romain, et notamment un ordo decurionum, à la fin du ier ou au tout début du iie siècle, ce qu'il était tentant de mettre en relation avec l'apparition de la Quirina. Depuis qu'il est établi que cette tribu caractérisait, non les citoyens de la ciuitas, mais les nouveaux pagani, il faut abandonner l'idée d'une relation directe entre les deux événements, même s'ils s'inscrivent au sein d'une même évolution municipale. On sait que Trajan a joué un rôle important à Thugga dans la définition des statuts individuels en régulant et en limitant l'entrée des autochtones dans le pagus. C'est ce dont témoigne, sous son règne, l'hommage à Q. Marius Q. f. Arn. Faustinus qui mena une ambassade à Rome afin de défendre l'immunité des terres que possédaient les Carthaginois dans le pagus Thuggensis8. Les craintes des Carthaginienses venaient d'un accès croissant des citoyens de la ciuitas Thugga au pagus, augmentant la superficie des terres immunes : le danger était de banaliser cette immunité en multipliant les bénéficiaires, ce qui aurait amené, ou avait amené, l'administration fiscale à la remettre en cause. Pour y remédier, la délégation obtint sans doute une définition plus stricte du statut en maintenant l'état fiscal existant au moment de la création coloniale, en limitant donc l'immunité aux ayants droit originels, les colons citoyens de Carthage9. Pour s’en distinguer, les pagani issus de la ciuitas auraient été inscrits dans la Quirina en continuant à payer l'impôt foncier10. De semblables mesures avaient également été prévues ailleurs, pour préserver les revenus du fisc. Les édits de Cyrène promulgués par Auguste, distinguaient nettement l'acquisition de la citoyenneté romaine de l'exemption des charges payées dans la communauté d'origine11, et en particulier, de "l'immunité fiscale qui devait être expressément conférée et se limitait aux biens possédés lors de sa concession”12. En 177, la table de Banasa précisait que la famille du chef d'une tribu maure qui avait reçu la citoyenneté romaine demeurait redevable des mêmes impôts dont elle s'acquittait avant de changer de statut13. La dédicace de Thugga date de 102 au plus tôt, de 116 au plus tard. Or, comme Nerva, Trajan affecta la Papiria à ses créations municipales ; il a pu instaurer cette hiérarchie des tribus du pagus dans les dernières années de son règne en prévoyant de l'appliquer aux prochains cas à venir ; le premier tribule de la Quirina, A. Gabinius Datus pater [no 15-18] a pu être inscrit dès 1 17, sous le règne d'Hadrien qui, lui. conféra cette tribu en Afrique14.
7Au iie siècle, fut ainsi “maintenue à l'intérieur du pagus une hiérarchie qui distinguait les héritiers des colons augustéens des parvenus issus de l'indigénat”15. Lorsqu'ils figurent ensemble sur une dédicace, le nom d'un tribuie de la Quirina vient toujours après celui d'un Carthaginois et la subordination induite par l’inscription dans cette tribu dura jusqu'au règne de Marc Aurèle. Néanmoins, cette étape intermédiaire était déjà une vraie réussite sociale qui couronnait les notables les mieux romanisés et les plus riches. C'était aussi un tremplin qui permettait aux générations suivantes d'accéder à la position la plus éminente qu'ils pouvaient espérer : devenir magistrats, puis citoyens de plein droit de la capitale provinciale où ils n'atteignirent cependant jamais des fonctions aussi prestigieuses que le duumvirat ni même le decurionat. Ils y exerçaient des prêtrises, au mieux l'édilité et, malgré l'importance de leur fortune à l’échelle de Thugga, aucun ne semble avoir intégré “la véritable élite carthaginoise, indice a contrario de la stature de cette dernière”16.
1.2. Les familles d'évergètes des monuments religieux
Famille | Evergètes | Monuments offerts | Date | Référence |
Gabinii | A. Gabinius Datus pater (Quir.), M. Gabinius Bassus (Quir.) et A. Gabinius Datus filius (Arn.), ses fils | Templa Concordiae | 117-160 | [no 15-19] |
Q. Gabinius Felix Faustinianus (Quir.) cum Dato et Processa, ses enfants | Portique du forum | 138-161 | ILAfr, 521 = DFH, no 2917 | |
Instanii | Nanneia Instania Fida | Colosses de Marc Aurèle et Lucius Verus | 172-173 | [no 30] ; CIL, VIII, 26529 = DFH, no 7 |
Maedii | Q. Maedius Severus et Maedia Lentula, sa fille | Temple de Fortuna, Venus Concordia et Mercure | 1 17 | [no 48] |
Marcii | L. Marcius Simplex (Arn.) et L. Marcius Simplex Regillianus (Arn.), son fils | Capitole | 166-169 | [no 9-10] |
P. Marcius Quadratus (Arn.) | Théâtre | 166-169 | CIL, VIII, 26606 = DFH. no 3318 | |
Modii | C. Modius Rusticus et [.] Modius Licinianus | Abside de Mercure, Genius Macelli | 180-192 ? | |no 74] |
Pacuuii | Q. Pacuvius Saturus et Nahania Victoria, sa femme | Portique de la place du marché | 180-192 | CIL, VIII, 265.30 + 26533 + ILAfr, 523 |
Les mêmes et leur fils M. Pacuvius Felix Victorianus | Temple de Mercure | 180-192 | [no 651 |
8La gens des Gabinii a déjà fait l'objet de nombreuses études auxquelles nous renvoyons pour le détail19. Il importe cependant de rappeler et retenir que cette famille, dont l'aïeule la plus lointaine, Gabinia Felicula était l'épouse de Iulius Venustus, citoyen et sufète de la ciuitas sous le règne de Claude [no 25]20, appartenait à l'élite de la cité indigène. Devenue, entre le début du iie et le premier tiers du iiie siècle, l'une des familles les plus importantes de Thugga, elle régna à la fois par le prestige d'avoir vu certains de ses membres intégrer le pagus, et par une fortune considérable dont témoigne la somptuosité de ses évergésies, des constructions de temples coûteux sur des terrains privés qu’elle offrit à la communauté. Au milieu du iie siècle, les bailleurs de fonds des templa Concordiae, A. Gabinius Datus pater et son fils, M. Gabinius Bassus, étaient inscrits dans la Quirina, tribu des nouveaux pagani ; ils furent honorés du flaminat et du patronat communs aux pagus et à la ciuitas [no 15-18]21. Le fils cadet. A. Gabinius Datus filius, réalisa des ambitions supérieures en obtenant son inscription dans l'Arnensis, après avoir exerçé le flaminat de Titus, l'édilité et l'augurat à Carthage, puis en devenant chevalier romain, après avoir été juge des cinq décuries [no 18-19]22. Sa fille, ou sa nièce, épousa un Marius du pagus23.
9La même évolution se déroule une génération plus tard chez les Marcii24 Q. Marcius Maximus, tribule de la Quirina qui semble n'avoir jamais exerçé aucune magistrature ni prêtrise, eut trois fils, C. Marcius Clemens, L. Marcius Simplex qui fit élever le capitole, et P. Marcius Quadratus qui offrit le théâtre ; ces derniers devinrent citoyens de Carthage après y avoir exerçé magistratures et flaminat au long d’un cursus comparable à celui d'A. Gabinius Datus. Mais contrairement à celui-ci, aucun ne franchit le seuil de l'ordre équestre et leurs carrières culminèrent avec l'admission dans les cinq décuries, “assez riches et assez pourvus de relations pour que l'empereur les nommât juges, chevaliers, mais pas assez pour appartenir à la véritable élite carthaginoise”25.
10Ces deux cas de promotion sont exemplaires, non seulement parce qu'ils retracent exactement l’évolution de deux générations successives au moment précis du passage de la seconde dans l'Aniensis, mais aussi parce qu'ils mettent en évidence les stratégies politiques et religieuses des quelques familles qui marquèrent la ville du iie siècle en contribuant à l'élaboration de son urbanisme, de son panthéon et finalement, de ses institutions.
11Les autres évergètes du centre monumental appartiennent certainement presque tous à ce même milieu. Leurs liens avec le pagus sont plus ou moins tangibles ; on ne les connaît pas dans le détail et l'on ignore en général quels furent leur environnement familial et les modalités de leur ascension sociale. Parmi ceux-ci, il faut mentionner les Pacuuii [no 65-66], les Modii [no 74] et les Maedii [no 48] qui aménagèrent la place du marché dans son état actuel et, peut-être, les Instanii dont une représentante s'afficha au côté des Marcii en célébrant Marc Aurèle et Lucius Verus divinisé [no 30].
12Q. Pacuvius Saturus, augure dans la capitale provinciale, Nahania Victoria, son épouse et leur fils, alors décédé, appartiennent à la branche la mieux romanisée des porteurs du gentilice, mais leur origine locale n’en est pas moins établie26, en particulier pour la famille maternelle27. On peut supposer que le père, qui ne mentionne ni sa tribu ni sa filiation, était le premier de sa famille à avoir intégré le pagus et qu'il était encore tribule de la Quirina ; ce qui confirme que seules les magistratures civiques, et non les prêtrises comme ici l’augurat, donnaient accès à la pleine citoyenneté de Carthage. Quant au fils dont les codicilles sont à l'origine de l'évergésie, il ne paraît avoir revêtu aucune magistrature ni prêtrise et l'on peut supposer qu’il est mort trop jeune pour accéder aux honneurs à Carthage et changer de tribu. Les monuments offerts par cette famille, le temple de Mercure et la nouvelle place du marché, sont, comme ceux des Marcii, vastes et somptueux et révèlent une fortune solide ; mais alors que les Gabinii se maintinrent parmi les grands bienfaiteurs de la cité jusqu'au règne de Sévère Alexandre, Pacuuii et Marcii disparurent définitivement de la vie publique après ces manifestations ponctuelles28.
13Certainement en concertation avec les Pacuuii, les Modii contribuèrent à la réfection de l'ensemble public en dotant le marché d'une chapelle dédiée a Mercure, son génie [n°74]29. C. Modius Rusticus est connu comme curateur de trois bases honorifiques décrétées à trois Marcii par le pagus et la ciuitas sous le règne de Marc Aurèle, probablement peu après la construction du capitole30. Les curateurs de ces bases étaient au nombre de quatre et les deux représentants du pagus, dont C. Modius Rusticus étaient, comme de règle, cités avant les deux représentants de la ciuitas. Quant à [. ] Modius Licinianus, son frère ( ?), il est connu pour avoir reçu un hommage posthume du seul pagus31. Ainsi, bien qu'aucun n'indique jamais sa tribu, leurs attaches au pagus se révèlent à la fois par le nombre de textes où ils interviennent en son nom et dans les hommages que leur rend celui-ci. Par ailleurs, la parenté des Modii est établie avec d'autres familles dont l'appartenance à la classe supérieure de Thugga, au moins pour certains membres, est bien connue : il semble qu'ils étaient liés en particulier aux Gabinii et aux Magnii car plusieurs stèles funéraires de ces trois familles de notables ont été trouvées groupées dans la nécropole occidentale et ils pourraient avoir participé, avec les premiers, à l’ornementation du sanctuaire de Caelestis |no 8). Leur dénomination atteste leur parenté par les femmes avec la famille des Licinii dont le gentilice a servi à former le surnom de Licinianus, alors que celui de Rusticus pourrait avoir été emprunté à Viria Rustica, grand-mère du plus célèbre d’entre eux, M. Licinius Rufus. Cependant, aucun n'est connu pour avoir accédé à une carrière carthaginoise, ni ne s'est illustré dans des dons édilitaires de grande envergure ; F. Jacques les classe donc parmi les notables de second rang32.
14La famille des Instanii [no 30] est assez bien représentée dans la ville avec la mention de trois de ses membres dans des inscriptions publiques33 et quatre épitaphes34. J.-M. Lassère les rattache à la colonisation césarienne35, mais en raison de la faible diffusion du gentilice, “pour l'essentiel limité à Thugga et à ses environs”, X. Dupuis attribue plutôt à la famille une origine africaine36. La tribu de ses porteurs n'est mentionnée que dans un cas : sous le règne de Gallien, L. Instanius Commodus Asicius A[diutor] était inscrit dans la Papiria qui caractérisait les nouveaux citoyens depuis Marc-Aurèle37 ; de sorte que si l'ascendance locale de la famille semble bien attestée, il n’est pas possible de dire si certains de ses membres ont ou non intégré le pagus, ni à quel moment.
15Q. Maedius Severus, patron du pagus et de la ciuitas, fit élever le temple de Fortuna, Venus Concordia et Mercure au nom de sa fille, Maedia Lentula [n°48], apparemment décédée avant la dédicace de l’édifice promis à l’occasion de son accès au flaminicat. Son père n'indique ni sa tribu, ni sa filiation, omission que l'on est encore tenté d'attribuer au souci de ne pas étaler ses origines locales. Ces deux personnages sont les seuls porteurs du nom, à l’exception d’un certain L. Maedius Rogatus38, dont l'épitaphe ne renseigne guère sur le statut, en dehors du fait qu'il était citoyen. On peut signaler que l'épitaphe du père, patron des deux communautés, provient de la nécropole occidentale où étaient aussi enterrés les Gabinii, les Magnii et certains Licinii39. Ce sont encore des notables de moyenne envergure dont le nom disparut de la scène publique par la suite40.
16La plupart des évergètes de Dougga avaient donc encore un pied dans la ciuitas et l'autre dans le pagus ou du moins, ils aspiraient à s'y introduire. Ils constituaient un relais idéal entre les deux communautés et, à ce titre, plusieurs d'entre eux avaient été choisis comme patrons du pagus et de la ciuitas41. Outre le patronat, la seule fonction qu'ils semblent avoir exerçée en commun est la prêtrise du culte impérial.
2. Le flaminat perpétuel : un élément de cohésion sociale
17Dix-sept flamines et flaminiques sont attestés aux deux premiers siècles, pendant la période où le pagus et la ciuitas ne possédaient encore aucune institution politique commune. L'intitulé de la prêtrise est donné dans trois versions successives, dans des textes groupés chronologiquement. Dans cette cité où, pendant deux siècles, deux communautés différentes se côtoyèrent, on a pensé pouvoir distinguer un flaminat de la ciuitas, apparu au ier siècle, d'un flaminat du pagus, né avec l'obtention de son ordo42. Mais aujourd'hui, on admet plutôt que les deux communautés se réunissaient dès l'origine autour de l'ara Augusti43 et tout tend à montrer que ce fut effectivement le cas.
2.1. Les flamines
18Au ier siècle, la prêtrise masculine de flamen diui Augusti fut exerçée par trois membres de la même famille de Thuggenses : Faustus Thinoba et ses fils, lulius Venustus et Institor |no 25], pour ne plus jamais apparaître par la suite. La base qu’ils dédièrent au diuus Augustus étant datée de 48, il est certain que la prêtrise était alors attachée au seul culte du créateur de la double communauté44. Outre cette inscription, des prêtres du diuus Augustus ne sont attestés qu’à Carthage45 et à Lepti Minus, où officièrent un flam(en) diui Aug(usti) perp(etuus) et un flam(en) perp(etuus) diui Aug(usti) contemporains, puisqu'ils apparaissent sur la même inscription46 ; quant au culte de diua Augusta, il n’est connu qu'à Cirta où il était desservi par une flaminica, au milieu du premier siècle, et peut-être à Hippo Regius47.
19Comme parmi ces trois premiers prêtres, un seul était citoyen, on constate que le flaminat, de même que les magistratures pérégrines de la ciuitas dont il couronnait le parcours, n'entraînait pas de changement du statut personnel48. De ce fait, on serait tenté de le cantonner dans le domaine de la ciuitas si l'on oubliait que la base en question fut certainement élevée sur le forum, sous l'autorité d'un Carthaginois49. On ne connaît aucun flamine du pagus, ce qui n'est pas étonnant puisque la communauté qui dépendait complètement de Carthage ne possédait alors ni constitution, ni institutions propres et que le flamine devait être normalement désigné par les décurions. Les pagani auraient donc théoriquement dû pratiquer leur culte à Carthage, de même qu'ils y devenaient prêtres50 ou magistrats. Cependant, en pratique, à plus de cent kilomètres de la métropole, ce ne pouvait être le cas. Dans ces conditions, peut-on effectivement penser que, à Thugga, au ier siècle, le flaminat du culte impérial était exclusivement revêtu par des membres de la ciuitas ?
20Certes les trois seuls flamines connus à cette époque sont bien issus de la communauté locale, mais ils n'apparaissent finalement que dans un seul et même texte. Or, si nous connaissons trois prêtres à peu près contemporains, on ignore tout de ceux qui officièrent avant et après Claude jusqu'au règne d’Hadrien et l'on ne peut, sur la foi d'une seule découverte, exclure que ce flaminat ait été également exerçé par des pagani. On peut penser qu'alors les flamines municipaux n'étaient pas encore désignés localement, mais par des magistrats de Carthage qui choisissaient à la fois des colons familiers du rituel romain et des notables locaux, relais sociaux et culturels plus aptes à diffuser le culte dans la partie la moins romanisée de la population. Nous avons déjà souligné à quel point le culte impérial fut, au ier siècle, un symbole du pouvoir autant qu'un facteur de rapprochement puisque l'élite locale était conviée et encouragée à y participer ; il semble inconcevable que les détenteurs de cette autorité qui empreint si fortement la religion officielle s'en soient tenus à l'écart. Au contraire, célébré collectivement sur la place publique, le culte impérial prenait alors toute sa dimension unificatrice.
21La preuve en est qu'entre la fin du ier siècle et le règne d'Hadrien, le titre de flamen Augusti perpetuus fut porté par quatre personnages de condition très différente. Comme le flaminat du diuus Augustus, il apparaît d'abord dans la ciuitas. Faustinus fut, dans l'état de nos connaissances, le premier à le revêtir, dans le dernier quart du ier siècle51. Il était indéniablement pérégrin, désigné par un nom unique et la double filiation. Au début du iie siècle, son fils, Calpurnius Faustinus, était devenu citoyen, mais au sein de sa communauté comme l'indiquent les duo nomina et l'absence de tribu ; il comptait parmi les notables de la ciuitas qui lui décrétèrent une base honorifique52. A. Gabinius Datus pater et M. Gabinius Bassus, nouveaux pagani, tribules de la Quirina, portèrent les derniers le titre de flamen Augusti perpetuus. La dénomination de ces quatre personnages illustre les statuts successifs qui menaient de la condition de pérégrin à celle de paganus et leur exemple montre que le flaminat était incontestablement commun aux deux communautés.
22A partir du milieu du iie siècle, l'intitulé s'abrégea en se simplifiant sous la forme équivalente de flamen perpetuus. Si, en Espagne, le titre de perpetuus était peut-être honorifique, parcimonieusement conféré par l'ordo aux flamines qui n'étaient pas renouvelés dans leurs fonctions53, en Afrique, cette explication n'est pas envisageable : puisque des dons sont acquittés ob honorem flamonii perpetui, c'est que les flamines étaient dits perpétuels dès leur entrée en fonction. Il est également exclu de prendre le terme au sens strict en pensant qu'un flamine le demeurait à vie ; l’interprétation la plus plausible a été proposée par H.-G. Pflaum, d’après qui ce titre, que le flamine conservait après sa sortie de charge, signifiait seulement que sa "vocation à être délégué à l'assemblée provinciale lui restait acquise”54. Les fils de ces premiers pagani, tant ceux qui demeurèrent dans la Quirina que ceux qui devinrent citoyens de Carthage, furent, comme leurs pères, honorés du flaminat perpétuel à Thugga. Ainsi, deux des fils Marcii inscrits dans l'Arnensis, furent patrons des deux communautés et flamines perpétuels. Au iie siècle, comme au ier, il ne fait pas de doute que le flaminat pouvait aussi bien être accordé à un membre de l’une ou l'autre communauté et l’on peut supposer que si tel n’avait pas été le cas, les pagani, toujours soucieux de se distinguer de leurs voisins, n'auraient pas manqué de le souligner, de même qu'ils adjoignaient systématiquement le nom de la c(olonia) C(oncordia) I(ulia) K(arthago) à la mention des flaminats exerçés à Carthage55.
2.2. Les flaminiques perpétuelles
23Si le titre de flamen perpetuus n'apparaît qu'au iie siècle pour les hommes, il est connu dès le ier siècle pour les femmes et son intitulé prouve encore qu'il était commun à tous les habitants : du ier au iiie siècle, les neuf flaminiques connues portèrent toutes et exclusivement le titre de flaminica perpetua qui ne varia jamais56.
24Licinia Prisca est la seule connue au ier siècle [no 47]. Bien qu’elle fut pagana, il est peu probable qu'elle ait officié à Carthage, comme son patron M. Licinius Rufus. Comme elle était affranchie, elle était en principe exclue du flaminat, ce texte étant postérieur à la lex Visellia. A Dougga, cette anomalie peut sans doute s'expliquer parce que l’on se trouve dans une petite communauté où le nombre de colons, citoyens de plein droits, n'était pas très élevé et où l'on pouvait tolérer, si les citoyennes n'étaient pas assez nombreuses, qu'une riche liberta assumât la représentation du pagus dans le culte impérial ; ce qui aurait paru en revanche inconcevable dans la métropole provinciale57. Licinia Prisca exerça sous le règne de Claude, en même temps que Faustus Thinoba et ses fils, certainement elle aussi pour tous les habitants de Thugga.
25Au contraire, toutes les flaminiques qui officièrent au iie siècle semblent originaires de la ciuitas. C'est probablement le cas de Maedia Lentula [no 48] et de Nanneia Instania Fida qui participa à l'aménagement de l'esplanade ante capitolium en offrant deux colosses des empereurs dont l’un venait d'être divinisé [no 30] ; c'est certainement celui de Nahania Victoria [n°65-66] qui dédia la nouvelle place du marché en compagnie de son époux, également flamine perpétuel à Thugga58. Seule l'origine de Iulia Paula Laenatiana [no 77-79] demeure incertaine : aucun autre membre de sa famille n'est connu, ce qui, associé à l'origine romaine de son cognomen59, pourrait être l'indice d'une ascendance allogène.
26Un élément finalement déterminant pour prouver que ce flaminat fut exerçé par et pour les deux communautés est la présence de l'uterque ordo dans quelques dédicaces de monuments promis en acquittement de la summa honoraria du flaminat perpétuel. C'est le cas des temples de Mercure [no 65] et de Minerve II |no 77-78], pour la dédicace desquels des sportules furent distribuées aux décurions des deux ordres. Mais surtout, à Numluli, autre communauté double60, le capitole fut offert par plusieurs membres d'une famille dont la mère avait été choisie comme flaminique perpétuelle ex decreto utriusque ordinis61 : il n'y avait qu'un prêtre municipal du culte impérial pour le pagus et la ciuitas et son élection relevait des deux ordres conjoints.
27Thugga illustre bien les conclusions formulées par M. Le Glay sur l'évergétisme et la vie religieuse dans toute la province : le flaminat fut le principal honneur dont l’acquittement permit à de nombreuses cités de s'équiper en monuments publics, et en particulier en sanctuaires62. Qu'ils aient agi pour s'acquitter d'un honneur, sous la contrainte d'une promesse ou encore librement, par amour de leur patrie et de leurs concitoyens, les flamines de Thugga financèrent au moins huit des temples de la ville63.
28—1 : Objet du don ; — 2 : Legs testamentaire ; — 3 : Don ob honorem ; — 3a : Pour le flaminat ; — 3b : Pour un honneur non spécifié ; — 4 : Multiplicata, ampliata, adiecta pecunia ; — 5 : Total.64
29De65 nombreuses66 cités d’Afrique rendent compte du même phénomène, mais Mustis, vieille cité indigène rapidement romanisée, et Verecunda, implantation militaire, deux cités où tous les temples connus furent offerts ob honorem flamonii perpetui67, fournissent des comparaisons plus spécialement intéressantes. Dans la première, malgré les formulations exceptionnellement élaborées des dédicaces par rapport au reste de la province, et à l’exception de Fortuna, ce sont de vieilles divinités probablement interprétées qui furent introduites dans le panthéon public par les représentants de la religion impériale68. Dans la seconde au contraire, les inscriptions révèlent une religion très proche de l'empereur et de sa famille et d’une manière générale, très conforme aux cultes romains69. A Thugga cette répartition est loin d'être aussi systématique et les flamines y ont organisé un panthéon où tous les dieux, anciens et nouveaux, tenaient une place dont il est intéressant de mesurer la nature et l’importance.
3. Les caractéristiques romaines et impériales du Panthéon
30La meilleure manière d’aborder cette question est de commencer par noter quelques caractéristiques générales de ce panthéon, et tout d’abord, en étudiant les épithètes des dieux de Thugga, première, et disons même, seule source d’information directe sur leur origine et leurs fonctions. Si Augustus y est, comme partout en Afrique, l'épithète de loin la plus répandue, quelques autres révèlent plus précisément les caractéristiques de certaines divinités. Pour autant qu'en laisse juger l'épigraphie, et quelles que soient leurs spécificités, tous ces dieux s’inscrivent néanmoins dans un panthéon où les marques de révérence à l'empereur régnant sont, comme la présence des flamines perpétuels, une constante de la majorité des actes religieux.
31Il faut signaler que peu de sanctuaires ont été explicitement consacrés au culte impérial au iie siècle et l'on ne peut guère en recenser plus de huit dans toute l'Afrique, de la Tripolitaine aux Maurétanies70. Par d’autres moyens, les cités africaines réservèrent pourtant une place de choix à l’empereur dans leurs panthéons71. Célébré avec pompe sur les forums, il était également présent dans la plupart des lieux de culte et presque toutes les divinités entretenaient avec lui un rapport étroit. Les dédicaces de sanctuaires reproduisent à l'envi les mêmes formulaires stéréotypés qui énumèrent la consecratio à la divinité, les vœux pour le salut de l’empereur, systématiques à partir du iie siècle, les noms du donateur exprimant les motifs de son geste, et, pour finir, l'acte de dedicatio avec la mention des festivités offertes pour l'occasion. D’emblée, on constate à la fois l'écrasante majorité des divinités qualifiées d'Auguste et, de ce fait, impliquées dans la religion romaine, et l'omniprésence de la formule pro salute Imperatoris, autant de points qui mettent en évidence la romanisation de la vie religieuse.
32— 1 : Aug. adjectif ; — 2 : Aug. Génitif ; autres épithètes ; deus/dea ; — 3 : pro salute Imperatoris ; — 4 : dédicace d'un flamine ou ob honorem flamonii ; — 5 : dédicace municipale
3.1. Deus Aug(ustus)/Deus Aug(usti)
33L'habitude d'accoler une épithète aux dieux pour désigner l'une des sphères particulières de leurs pouvoirs ou pour les assigner spécialement à la protection d’une personne ou d’une famille date de la Rome ancienne72. Comme partout dans l’Empire, c’est Augustus qui a largement prévalu à Dougga où elle pare la majorité des divinités, généralement abrégée Aug.
34En 26 a.C., le Sénat et le Peuple décernèrent à Octave le titre d’Auguste qui “était nouveau et respectable et ne s'appliquait qu'aux choses religieuses et sacrées”73 et qui, en lui donnant un caractère divin, fondait la légitimité et l'inviolabilité de sa puissance74. Après sa mort, de même qu'il refusa de faire l'objet d'un culte, Tibère refusa d'inclure Augustus dans sa titulature75, mais à partir de Claude, l'habitude fut prise de le transmettre systématiquement dans l'héritage impérial. On a pu en déduire que l’épithète Aug. associait systématiquement la divinité qui le portait à l'empereur, d'abord à Auguste lui-même puisqu’elle apparaît sous son règne, puis à tous ses successeurs76. Elle aurait alors le même sens que les pronoms possessifs comme meus ou suus, que les adjectifs comme domesticus qui suivent les noms de certains dieux, et surtout, que les gentilices au génitif qui impliquent un lien particulier entre le dieu et une famille ou une personne, l'empereur en l’occurence77. Cette interprétation s’impose effectivement lorsque l’épithète figure au génitif en toutes lettres : deus/dea/dii augusti/Augustorum/Augustae, le plus souvent après le nom d’une vertu impériale ou d’une abstraction divinisée.
35En revanche, contrairement à ce qui est admis par ces mêmes savants, l'épithète développée en Augustus, Augusti ou Augusta ne peut pas se référer de la même manière à l’empereur ; la distinction de sens entre les deux développements serait alors impossible à justifier et à expliquer clairement78. Eux-mêmes concluent d’ailleurs, que rien n'est jamais complètement décisif pour choisir l’un ou l’autre79 et que, en fin de compte, la différence devait être si subtile que le “Romain ou le provincial moyen, (qui) n'étaient ni expert en sémantique, ni théologien”, devaient avoir bien du mal à l'appréhender80. Pour résoudre cette question, il faut admettre qu’une divinité Auguste ne tient pas son épithète de l’empereur, mais plutôt que cette épithète la rattache à la même sphère du sacré que lui, puisant à la même origine religieuse. De ce fait, elle introduit n’importe quelle divinité qui en est parée, non pas dans le panthéon privilégié de l’empereur régnant à proprement parler, mais au-delà, dans le cycle même et dans les plus hautes sphères de la religion romaine. Il n’y a qu’à parcourir les indices des recueils épigraphiques pour se convaincre que ce fut le cas de la grande majorité des dieux vénérés dans la province, tant féminins que masculins, allogènes qu’indigènes.
3.2. Les abstractions divinisées et les vertus impériales
36Quant au génitif impérial, il fut d'abord et surtout appliqué aux abstractions divinisées81. L'empereur était un surhomme qui occupait une position ambiguë entre la terre et le ciel : de son vivant, n'étant pas encore un dieu, quoique appelé à le devenir comme ses prédécesseurs, il fut adoré à travers ses ancêtres divinisés, son genius, son numen et ses vertus divinisées, c'est-à-dire des divinités mineures qui demeuraient subordonnées aux grands dieux du panthéon classique. Ces dernières, fragments divins du Prince, figuraient “un monde moral cristallisé dans la personne impériale”82 et la liste de leurs cultes dans la cité dressait le tableau des valeurs auxquelles souhaitait se conformer la communauté, autant qu'elle témoignait de sa loyauté civique. A l'échelle de l'Empire, le système instauré par Auguste s'est développé avec les Antonins83. Ce fut le cas en Afrique où l’on note toutefois que seules Victoria, Fortuna et Concordia se sont réellement implantées dans les panthéons municipaux84. Toutes trois furent honorées à Thugga85 où l’on rendit aussi un culte à l'Équité d’Auguste [no 75], un unicum86 et à la Piété impériale [no 84] dont n’est connue qu’une seule autre occurence, à 70 kilomètres de la ville87.
3.3. Les vœux pour la sauvegarde de l’empereur
37Enfin, la formule pro salute Imperatoris qui attirait spécialement la bienveillance d'un dieu sur le princeps88 est omniprésente sur les dédicaces des temples de Thugga. Certes, M. Licinius Tyrannus et Licinia Prisca avaient invoqué Cérès pro salute M. Licini Rufi, leur patron [no 13], mais la formule fut presque exclusivement réservée aux empereurs et, par ce biais, leur nom figure après celui des dieux sur la majorité des frises des temples de la province, d'une manière quasi systématique à partir du iie siècle89. A Thugga, si l’on excepte celle du temple de Pietas, les dédicaces qui les omettent datent du ier siècle90. Cependant, au cœur du centre politique, sur les dédicaces des arcs élevés sous les règnes de Tibère et de Claude, comme sur celle du marché aménagé sous le règne du même, la titulature des empereurs figurait déjà au datif en tête de la dédicace. Cette introduction permettait, tout en affichant le nom du détenteur terrestre de l’autorité, de rappeler sa filiation divine et sa place future parmi les dieux ; il est intéressant de noter que ce procédé apparaît plus tôt à Thugga que dans les régions intérieures du reste de la province, et qu’il faut bien mettre son introduction au compte du pouvoir extérieur et officiel, représenté par un duouir de Carthage. Quant aux vœux pour l’empereur, ils apparaissent à Thugga au même moment que dans le reste de l’Afrique, à l’occasion de la dédicace du temple de la Fortune, Venus Concordia et Mercure, en 117 [no 48].
38A Rome, ces vœux étaient prononçés annuellement et collectivement ; Pline le Jeune et Tertullien les définissent comme une forme du culte officiel91, à tel point que s’y soustraire pouvait être passible de la peine capitale pour punir à la fois un crime de lèse-majesté et un sacrilège, car ce refus portait atteinte à la fois à la dignité de l’empereur et à sa divinité. Aussi, pour "se garantir du soupçon d’incivisme”92, sous peine de passer pour hostiles au prince, et à travers lui à tout le système impérial, la plupart des collectivités municipales et des magistrats se conformèrent à l’usage. Or, bien que courant, les inscriptions révèlent qu’il n’était pas systématique partout. On peut en déduire que ce qui a pu être un acte officiel de dévotion au culte impérial à Rome était plus simplement entendu en province comme une preuve de loyalisme civique, qui pouvait en outre, présenter les avantages d’une formule de datation93. Que l’on mette davantage l’accent sur son sens politique ou religieux, et il n’est pas utile de rappeler à quel point ils étaient imbriqués, le nom de l’empereur en tête de l’inscription témoignait toujours de “la permanence du dévouement à celui qui incarne l’autorité suprême”94.
39Par leurs épithètes autant que par les formules de sauvegarde qui les conviaient à protéger directement l’empereur, presque tous les dieux de Thugga entrèrent donc dans la sphère de la religion romaine ou impériale en donnant au panthéon de la cité les caractères d’une religion civique et loyale, dévouée au princeps. Elle s’exprima de manière particulièrement éloquente dans l’aménagement religieux de la ville et dans les relations que l’on peut établir entre certaines évergésies et les promotions juridiques des statuts individuels et collectifs.
4. Religion publique et vie municipale
4.1. Le capitole et l'area ante capitolium
40L'ensemble monumental qui englobe les deux places publiques, tel qu’il apparaît aujourd'hui, date essentiellement du iie siècle pendant lequel de nombreuses autres cités firent aussi embellir leur centre public en le pavant et en l’ornant de colonnades et de temples95. Celui de Thugga présente trois phases d'aménagement successives sous Antonin, Marc Aurèle et Commode, qui aboutirent finalement à un ensemble architecturalement et idéologiquement cohérent : le forum à l'ouest, le capitole au centre et la place du marché à l'est.
41Entre 166 et 169, L. Marcius Simplex, premier de sa famille à avoir accédé au statut de Carthaginois, fit élever le capitole à la jonction des deux places publiques. L'édifice présente toutes les caractéristiques d'un capitole romain : c'est un temple italique, occupant une position privilégiée dans la cité96, qui portait une dédicace à la triade capitoline97 et qui comptait trois simulacra, sans rien qui fasse allusion à des influences africaines98. Son podium élevé hausse le sol du temple au niveau des frises des portiques qui l'encadraient sur le forum et la place du marché ; symbole visuel éloquent, il surplombait ainsi tout le quartier monumental. Tourné vers le sud, et non vers le forum, sa construction imposa un nouveau centre de convergence en modifiant l'orientation principale de cet espace dont il devint l'élément central et dominant, position affirmée sous Commode, lorsqu'on fit de la place du marché un pendant symétrique du forum.
4.1.1. Un ensemble dynastique
42La construction du mur sud de la forteresse byzantine empêche de vérifier la liaison entre la surface dallée, très remaniée, qui s’étend au pied de l'escalier du capitole et l’esplanade pavée d'une mosaïque de grosses tesselles blanches qui, de l'autre côté du mur, la prolonge sur une superficie à peu près équivalente à celle du templum et qui est, de ce fait, traditionnellement nommée area ante capitolium. Cette esplanade est fermée au sud par une exèdre prolongée de deux ailes rectilignes, s’élevant dans l'axe de la niche centrale du capitole et une hypothèse récente propose d'y reconnaître la basilique de la ville, ce qui est encore en cours d'étude99. En avant de l'exèdre, deux antes symétriques sont conservées ; d'après L. Poinssot, elles devaient supporter les deux colosses de Marc Aurèle et de Lucius Verus divinisé, érigés en 172 ou 173 par l’exécuteur testamentaire de Nanneia Instania Fida100. Celle-ci les avait promis en l'honneur du flaminat ([no 30] et ILAfr, 561), probablement du vivant des deux empereurs, en 169 au plus tard, ou même dès 166-168, à l’occasion de la construction du capitole101 : hypothèse qui paraît corroborée par des comparaisons architecturales et par la cohérence sémantique d’un tel ensemble.
43L'emploi du terme colossus dans l'épigraphie africaine est assez rare pour qu'on le souligne, puisqu’il n'est attesté, outre Thugga, qu'à Thubursicu Numiciarum où il désigne deux statues d'Honos et Virtus érigées sur le nouveau forum, en 361 ou 362 : signum colossi alterius102. Les statues colossales furent d'abord exclusivement réservées aux représentations divines103, mais très rapidement, dès le règne d'Auguste en Orient104, et à partir de celui de Caligula à Rome105, les empereurs romains furent eux aussi figurés à des échelles gigantesques, l'intention étant bien d'affirmer leur caractère divin. Lors de l'accession au trône de Néron, le Sénat décréta que sa statue, copiée sur le modèle solaire du colosse de Rhodes, ne pouvait être de la même taille que celle de Mars Ultor dans le temple duquel elle trônerait : si l'empereur était plus grand qu'un homme, il ne pouvait cependant rivaliser avec un dieu. Ceci n'empêcha pas Néron, mais rares furent les empereurs qui bravèrent cet interdit, de se faire élever une statue de 36 m de haut, soit un mètre de plus que son modèle106.
44La dimension colossale des statues explique le prix très élevé de 30 000 sesterces payé par Nanneia Instania Fida, que l'on ne peut guère comparer qu'aux 38 000 sesterces que coûtèrent les statues dédiées entre 169 et 170, à Sabratha, aux mêmes empereurs107. Elles s'élevaient sur le forum, face à un temple qui paraît être le capitole de la cité108. Le premier état de cet édifice correspond au début du ier siècle p.C.109 et il fut réaménagé et embelli entre 158 et 161110. D'après I. M. Barton, il aurait d'abord été consacré à Jupiter seul, avant d'être transformé en capitole sous le règne d'Antonin111. Il se trouve qu'effectivement, Sabratha où deux des curies portent les noms d'Hadriana et Faustina pourrait être un municipe ou une colonie de cet empereur112 et les statues de ses successeurs, par ailleurs très populaires en Afrique, seraient venues compléter un programme monumental apparemment lié à une promotion municipale. A Gigthis également, une statue de Marc Aurèle dont le pendant n’est pas connu se tenait au pied de l'escalier du capitole113.
45En Proconsulaire, la comparaison qui s'impose à nouveau est l'organisation du forum de Carthage, où les nouveaux pagani de Thugga, qui y étaient devenus prêtres ou magistrats, passaient une partie de leur temps et pouvaient admirer les modèles urbains et architecturaux en vogue dans la métropole. Dans la deuxième moitié du iie siècle, Carthage fit l'objet d'un vaste programme de restaurations et d'embellissements entrepris et financé par Antonin ; projet ambitieux dont témoignent les vestiges colossaux de Byrsa et des thermes Antonins114. Ils eurent certainement lieu à la suite de l'incendie qui, entre 145 et 150115, ravagea le centre public de Carthage et peut-être les quartiers alentours116. L'activité édilitaire aurait culminé en 155, si l'on suit la datation établie par P. Gros pour le discours de Fronton, remerciant l'empereur pour ses bienfaits envers sa patrie117. En 162, Marc Aurèle poursuivit et acheva ce programme en dédiant officiellement les thermes, et sans doute le théâtre, élevés sous son prédécesseurl118. La basilique judiciaire qui ferme, à l'est, l’esplanade septentrionale de Byrsa est un des éléments les plus spectaculaires de cette parure résolument calquée sur celle de Rome119. Les fouilles de l'édifice ont ramené au jour la tête colossale d'une impératrice antonine120 provenant du monument même ; on peut supposer qu'elle était accompagnée de son époux, tous deux trônant à l'une des extrémités de la nef centrale121. L'impératrice est certainement Lucilie122 et, dans ce cas, son colosse aurait été érigé entre 160 et 169 avec celui de Lucius Verus. L'hypothèse est d'autant plus plausible que G. Charles-Picard a établi la datation du monument aux Victoires qui ornait l'accès au forum entre 162 et 166, en l'identifiant comme la commémoration de la campagne de Lucius Verus contre le Parthe Vologèse III123. Quelques années seulement avant Thugga, Carthage dédia donc son forum aux héritiers d'Antonin, car on ne peut douter que Marc Aurèle fût présent dans ce programme architectural qu'il avait directement soutenu, et l'on peut présumer qu'à l'autre extrémité de la basilique, son colosse et celui de Faustine s'élevaient face à ceux de Lucius Verus et de Lucilie.
46D'un point de vue strictement formel, on note certes de nombreuses différences avec l'organisation de l'ensemble dynastique de Dougga ; mais dans la métropole, comme dans la petite cité, et certainement comme à Sabratha et à Gigthis, on a exprimé d’une nouvelle manière une conception plus divine du prince en le représentant aux dimensions d'une statue cultuelle et en intégrant celle-ci dans un écrin architectural, au centre de la ville et de sa vie publique. A Tlutgga, comme à Sabratha, cette assimilation était mise en scène dans la relation architecturale établie entre le temple de la triade capitoline et, à ses pieds, les colosses de Marc Aurèle et de diuus Vents. La gradation entre les deux mondes, de l'impérial vers le divin, était soulignée sur le fronton du capitole de Dougga par l'apothéose d'Antonin, le bienfaiteur de Pévergète qu’il avait admis dans les cinq décuries avec ses deux frères, enlevé par un aigle, oiseau de Jupiter et symbole de la majesté impériale124. Au côté de Marc Aurèle, l'empereur régnant, la présence de son père et de son frère divinisés, le premier représenté sur le fronton125, le second à l’échelle d'un colosse, annonçait qu'il était lui-même appelé à rejoindre les dieux. Toutefois, les empereurs n’étaient pas traités à leur égal et ils étaient honorés à l’extérieur et en contrebas du temple, en position donc de subordination par rapport à Jupiter, Junon et Minerve, puisque les diui demeuraient irrémédiablement inférieurs aux dii126.
47A Carthage, dans la pénombre de la basilique où les énormes colosses de marbre blanc devaient intimider les hommes autant que les statues des dieux, la sacralité des représentations était accrue par l'ajout d'attributs divinisants. Le front de Lucille s'ornait d'un diadème à bouton sommital qui caractérise généralement Junon et il est probable qu'il servait ici l'identification de l'impératrice à l'épouse de Jupiter127. A Dougga, il faut signaler la découverte d’une dédicace à Iuno Lucina par les deux ordres décurionnaux [no 58] ; elle provient sans doute du forum. D'après la similitude de son texte avec la dédicace à Minerve trouvée dans le sous-sol du capitole [no 11], il est possible qu’elle provienne du même monument et qu'elle en soit contemporaine128. L’épithète Lucina précisait que l'on avait recours à Junon comme déesse de la maternité129 et l’on a tout lieu de croire que cette protection était invoquée pour l'impératrice régnante car, tout au long du iie siècle, le monnayage représenta Iuno Lucina sous les traits des impératrices antonines portant deux ou trois enfants130. La popularité de cette dynastie à Thugga pourrait expliquer ce geste de dévotion envers une déesse dont le culte n'est que très exceptionnellement attesté par l'épigraphie et l’on peut tout à fait envisager qu’à travers cette déesse, ce soit Lucille ou plutôt Faustine, la plus prolifique des deux, que l'on ait honorée.
4.1.2. Un symbole de la concorde municipale
48Sa position centrale et l'image qu'il véhicule firent donc du capitole l'élément-clé de l'ensemble monumental public du iie siècle : pivot axial de cet espace, il le plaçait sous l'autorité des maîtres des dieux et des maîtres du monde civilisé. Le dossier épigraphique relatif aux Marcii souligne l'importance de l'édifice aux yeux de toute la communauté. Lorsque les trois Gabinii offrirent ensemble les templa Concordiae, leur évergésie leur valut bien sûr la reconnaissance à la fois de la ciuitas dont ils étaient issus, et du pagus qu'ils avaient intégré. Chacun reçut pour lui-même une base dédiée à sa seule personne et à sa propre générosité131. Au contraire, les Marcii père et fils n’agirent pas en commun, même si leurs dons sont contemporains : L. Marcius Simplex fit élever le capitole et son frère, P. Marcius Quadratus, le théâtre. Or, les bases que leur décrétèrent les deux ordres conjoints se distinguent de la série précédente par la place privilégiée faite à l'un de ses membres par rapport aux autres : Q. Marcius Maximus fut honoré ob munificentiam L. Marci Simplicis fili eius, C. Marcius Clemens, ob munificentiam L. Marci Simplicis fratris eius et L. Marcius Simplex, ob egregiam eius munificentiam132. A travers toutes ces dédicaces, c'est donc le donateur du capitole que l'on a voulu plus spécialement distinguer dans la famille.
49D'après ses vestiges, son bienfait apparaît certes magnifique pour la cité, mais son frère ne se montra certainement pas moins généreux en offrant le théâtre qui, d'après F. Jacques, a pu coûter jusqu'à 400 000 sesterces133. On ignore le prix du capitole ; on peut difficilement l'évaluer car il s'agit d'une évergésie libre et le coût de ces monuments est rarement précisé sur les dédicaces africaines. Seuls les Capitoles de Lambaesis, de Volubilis et de Numluli font exception, leurs dédicaces mentionnant que 600 000 sesterces furent alloués à la construction du premier134, peut-être 300 000 à celle du second135 et au moins 60 000 à celle du dernier136. La comparaison est bien sûr limitée par l'amplitude de cette fourchette, mais pour des raisons de proximité géographique et chronologique, il vaut mieux privilégier le parallèle avec le capitole de Numluli édifié en 170, dont le décor architectonique a fait l'objet d'une étude137. Celle-ci conclut que, si l'on lit venir d’ailleurs, sans doute de Mactaris, des ouvriers spécialisés pour sculpter les riches soffites du portique de façade, on a dû faire appel à la même main-d’œuvre locale qu'à Dougga pour la construction et la taille des éléments plus ordinaires comme les colonnes et les bases. Le capitole de Dougga est deux fois plus vaste que celui de Numluli138 ; s’il ne possède pas de soffites ornés, l’exécution des corniches y est plus fine et plus riche139 et son fronton est sculpté, ce qui représente sans doute un coût supplémentaire qu'il faut prendre en compte. Si l'on considère que certains temples de Thugga ont pu coûter de 120 000 sesterces pour celui de Mercure, jusqu’à 150 000 pour celui présumé d’Esculape et même davantage pour le sanctuaire de Saturne (tableau 9), on peut envisager que les fonds engagés dans l'édification du capitole de Dougga étaient bien supérieurs aux 60 000 sesterces qui financèrent celui de Numluli et se montaient probablement à plus d'une centaine de milliers de sesterces.
50Que l'on adopte l'évaluation la plus basse ou la plus haute du théâtre, de 150 000 à 400 000 sesterces, on constate que L. Marcius Simplex a, au mieux, égalé la générosité de son frère, mais qu'il s'est probablement maintenu en-dessous. Ce ne sont donc pas des considérations pécuniaires qui expliquent qu'il ait fait seul l'objet de tant de distinctions dans sa famille. Si tel fut le cas, c'est que le capitole constituait un symbole supérieur pour les deux communautés et tout le monde s'accorde effectivement à le mettre en relation avec une importante avancée des statuts municipaux.
51On a depuis longtemps abandonné l’idée que les capitoles étaient réservés aux colonies et aux municipes. En Afrique spécialement, on peut noter que quelques cités s'intitulent encore duitas lors de la dédicace de leurs capitoles140, alors qu'à l'inverse, d’autres ont vécu plusieurs années sous le régime d'une constitution romaine sans pour autant se pourvoir d'un capitole141. Parfois, son introduction est quand même un signe de municipalisation et un court laps de temps entre une promotion municipale et l'érection d'un temple capitolin implique de les mettre en relation ; ces liens restent cependant théoriques et on ne les décèle guère que dans cinq cités, peut-être six, si l'on retient l’exemple de Sabratha142. Le capitole d'Auedda (ou Medda), devenue municipe entre 198 et 211143, est daté de 214144 et la construction du capitole de Saia Maior, autre municipe sévérien145, aurait aussi suivi de peu sa promotion146. Les sufètes de la ciuitas de Mactar procédèrent à la dédicace de son capitole, en 169147, mais c'est sous le règne du même Marc Aurèle que la communauté reçut le titre de colonie148. Thubursicu Numidarum a pris le nom de municipium Ulpium Traianum Aug. Thubursicu149 peu avant la contruction de son capitole en 113150 et Verecunda, qui serait un municipe de Marc Aurèle151, possédait précisément un capitole depuis 166152.
4.1.3. L’octroi du ius capiendorum legatorum au pagus
52Justement, la construction du capitole de Thugga commémore certainement un privilège octroyé au pagus par Marc Aurèle et Lucius Verus153. En 167 ou 168, le pagus dédia un monument au premier, commémorant qu'il lui avait concédé le droit de recevoir des legs154 que toutes les cités possédaient automatiquement depuis Nerva155. Cette inscription signale donc les premiers pas du pagus vers l'autonomie car cette mesure diminuait l'ingérence des autorités carthaginoises dans la gestion des biens de la communauté en assimilant le pagus à une cité, ou plutôt à un collegium licitum puisque le caractère exceptionnel du privilège était souligné (beneficium caeleste)156.
53Marc Aurèle et Lucius Verus menèrent en Afrique une politique généralement très libérale157 ; ils préparaient sans doute déjà la fusion municipale en nivelant par le haut les statuts juridiques des deux communautés qui, gagnant chacune en autonomie et donc en dignitas, furent de plus en souvent amenées à intervenir ensemble dans la vie publique. On peut penser que Thugga ne bénéficia pas d'une mesure isolée : en 170, la dédicace du capitole de Numluli par un décurion Carthaginois et ses parents158 résulte apparemment d'une mesure similaire et pourrait témoigner d'une politique systématique de Marc Aurèle dans toute la pertica159. Il fut dédié patriae suae, pago et ciuitati Numlulitanae et sa fonction unificatrice est évidente dans cette formule. La frise du capitole de Thugga ne porte rien d’aussi explicite, mais l'origine des donateurs et les hommages conjoints que leur rendirent les décurions des deux ordres proclament que la réunion des deux communautés ne s'en fit pas moins sous son égide. Le thème de la concorde était d'ailleurs présent dans ce programme architectural à travers le culte impérial qui célébrait les deux princes régnants, formant une seule entité politique – et, de ce point de vue, on peut dire que la fonction essentielle du forum dédié au culte impérial au ier siècle fut conservée – comme la triade capitoline formait une même entité divine160. Dans la deuxième moitié du iie siècle, au même moment que dans de nombreuses autres cités africaines, les grands dieux qui veillaient sur Rome et assistaient ses maîtres furent assignés à la protection de l'ensemble des citoyens de Thugga par des autochtones parvenus au faîte de l'échelle sociale. Il n’est pas impossible que la conception idéologique du capitole ait trouvé sa source antérieurement à sa construction, dans le culte romain de Jupiter Victor Conseruator qui avait déjà trait à la préservation de l'Empire et de son maître161 officiellement introduit dans le panthéon de la ciuitas un demi-siècle plus tôt, au moment où ses institutions furent latinisées ; il était évidemment familier aux ancêtres des Marcii et à eux-mêmes.
4.2. Le sanctuaire présumé d’Esculape
54La construction du monument traditionnellement appelé Dar-el-Lacheb ou DarLachhab eut apparemment lieu dans des circonstances assez semblables, au moment d’un important changement du statut de la ciuitas et de ses membres. S'il nous semble devoir être identifié au sanctuaire d’Esculape que mentionnent des inscriptions du site162, reste encore à déterminer quelle divinité recouvrait exactement ce nom et l’épigraphie autant que le contexte historique fournissent des indications convergentes sur son origine pré-romaine.
4.2.1. Identification de la divinité
55Une stèle était remployée en linteau dans une chambre de la maison Ben Lachhah aménagée dans le temple [no 46]. D’après ses dimensions importantes (1.60 m de hauteur, 0,50 de largeur et 0,16 à 0,37 d’épaisseur), il est probable qu’elle ait été conservée à proximité de son lieu d’origine, dans une zone où les pierres ont été moins déplacées qu’ailleurs163. Elle ne porte guère qu’une formule votive abrégée en latin, sans le nom du dieu ni de son dévot et elle se signale par un bas-relief d’inspiration punique, d’un type unique dans la cité, mais malheureusement extrêmement usé. On ne peut la rattacher à aucune série d’ex-voto : pas plus à ceux de Saturne, dont le décor diffère profondément et qui ont été exclusivement trouvés dans le sanctuaire d’origine, qu’à ceux de Mercure aux formulaires plus loquaces et dépourvus de décor. Un temple est grossièrement représenté dans le registre supérieur ; la statue d’un personnage vêtu d'une toge et portant un uolumen se tient au centre de la cella, sur un piédestal. Excepté cette représentation romaine, tout le reste du décor indique une forte influence punique : les bases globulaires des colonnes qui encadrent l'entrée du temple ionique, dont manque malheureusement l’entablement ; la longue tunique aux manches évasées, plus courte devant que derrière, que porte le personnage représenté dans la niche inférieure entre deux palmes surmontées de rosaces. D’après H. Saladin, il se tient agenouillé en position d’orant, les bras levés vers le ciel, alors que pour L. Carton, les deux mains réunies sur la poitrine, il tieni un serpent, ce qui l’incline à l’identifier à Hercule. Si cette lecture du motif nous semble aussi être la bonne, il faut cependant rappeler qu’Eschmoun, Asklepios et Esculape avaient aussi le serpent pour compagnon, invoquer le uolumen du registre supérieur, un de leurs attributs le plus courant et que l’on trouve aussi sous le bras du Macurgum de la stèle de Béjà164 et, finalement, en raison du contexte, préférer cette identification. Cet ex-voto ferait état de l’origine préromaine d’Esculape à Dougga, héritier de Macurgum libyque, d'Eshmoun punique et d’Asklépios grec165. Son culte, ainsi que celui de sa parèdre Salus, est bien attesté en Afrique et en Numidie par une quarantaine de documents épigraphiques et iconographiques dont beaucoup rendent comptent de ses spécificités africaines166. Ils témoignent que le dieu se prêta avec succès à l'interpretatio, à tel point qu'un de ses fidèles d’Hammam-Lif, afin d’éviter toute confusion avec le dieu d’origine d’africaine, tint à préciser qu'il se dévouait au dieu ab Epidauro167. Ceci résulte directement de son importance à Carthage à la veille de l’annexion romaine et dans un territoire numide fortement punicisé.
56Eschmoun est en effet une divinité carthaginoise de premier plan qui comptait avec Ba’al et Tanit parmi les dieux poliades de la capitale et, aux dires d’Appien168, un des plus somptueux temples de la cité lui était consacré, peut-être le temple central du forum de Byrsa169. D'après Apulée, il étendait sur la citadelle son bienfait secourable ; il était même son véritable dieu tutélaire, secourable et protecteur, veillant sur ses destinées170, ce qui expliquerait que son temple fut choisi comme la dernière forteresse contre l’assaut de l’armée romaine et que, de son toit, la reine et les princes se soient jetés dans le brasier de leur ville vaincue171. Il faut évoquer la triade qu'Esculape formait avec le Genius Carthaginis et Caelestis Augustae, tous trois honorés avec le Genius Daciarum loin de leur terre d’origine172 pour constater que, au tournant du iie siècle, son étroite relation avec Carthage ne s'était en rien délitée. Ayant déjà pu mesurer le poids de la tradition carthaginoise dans la culture et la religion de Thugga préromaine, on peut supposer que c’est ce passé lié au patronage de la capitale qui a poussé les Thuggenses à l'attacher à la protection de leur cité ; on sait qu’il figurait avec Salus parmi ses Dii Augusti, les premiers officiellement romanisés |no 40].
57L'un de ses prêtres est attesté par un hommage que lui rendirent les deux ordres décurionnaux dans la seconde moitié du iie siècle173. Le début de la dédicace qui énumérait les noms et les magistratures du personnage a disparu et la première ligne conservée débute par Aesculapi dont le génitif se rapporte à une prêtrise placée en fin de cursus ; on ne peut en aucun cas l'identifier au sacerdos Aesculapi et louis qui caractérise les carrières carthaginoises et qui est propre à la métropole174. Il s’agit sans conteste d'une prêtrise municipale, locale, propre à Thugga. On ne peut guère en dire davantage sur le statut de ce notable dont on ignore même quelle générosité lui valut cette distinction élogieuse.
58On est mieux renseigné sur celui de L. Calpurnius [---] [no 44] qui lit édifier le sanctuaire ou, en tout cas, qui le fit reconstruire. La pierre est brisée après son gentilice ; il portait certainement les tria nomina, mais on sait qu’il était originaire de la ciuitas, car sa famille est connue pour remonter à un notable local, Sidiatho, qui vécut au milieu du ier siècle. Jusqu’à la fin de ce même siècle, on compte six pérégrins de cette famille dont les membres, huit au total, devinrent peu à peu citoyens romains par bienfait impérial, adoptèrent les duo, puis, à partir de la génération précédent celle de notre évergète, les tria nomina175. On est donc indéniablement dans un milieu fortement imprégné de culture locale quoique, comme toujours, très profondément romanisé. L. Calpurnius s'acquittait là d'un honneur que l’on peut supposer être le flaminat perpétuel176 en associant, comme les plus grands évergètes de la ville, toute sa famille à sa générosité et à sa dignité. Il faut encore signaler qu’aucun d'entre eux ne paraît avoir jamais intégré le pagus et le seul dont la tribu soit connue, Q. Calpurnius Rogatianus177 est inscrit dans la Papiria qui caractérise les nouveaux citoyens à partir de Marc Aurèle.
4.2.2. L'octroi du droit latin à la ciuitas
59En effet, au moment où, sous le règne de cet empereur, le pagus recevait le ius capiendorum legatorum, deux mutations juridiques importantes intervinrent dans la ciuitas où la tribu Quirina disparut définitivement au profit de la Papiria178. On a recensé treize personnages inscrits dans cette tribu à partir du milieu du iie siècle179 et, dans la majorité des cas, leur origine locale se décèle à leur absence de filiation. En même temps, la ciuitas adopta l'épithète Aurelia et s'intitula dès lors, mais pas systématiquement, ciuitas Aurelia Thugga. Cette dénomination, tout à fait exceptionnelle pour une cité pérégrine, faisait référence à un bienfait municipal de Marc Aurèle180. Ces changements correspondent certainement à l'octroi du droit latin qui conférait la citoyenneté à l'élite de la ciuitas qui avait accédé aux magistratures, et qui, dès lors, s'inscrivit dans la Papiria181.
60Il nous semble finalement possible d’admettre que ce sanctuaire, le plus coûteux de la cité avec le sanctuaire de Saturne (plus de 150 ()()() sesterces), était bien consacré à Esculape, dieu protecteur de Thugga qui. à l’origine, se référait au grand dieu municipal de Carthage et figurait parmi les premiers dieux romanisés de Dougga. L’évergésie de L. Calpurnius concernait peut-être la seule la ciuitas182, mais même si ce n’était pas le cas, il est tout de même tentant de mettre les travaux de 163-164, reconstruction ou réfection d’un important lieu de culte plus ancien, en relation avec l'accès de la ciuitas au droit latin.
61Enfin, c'est certainement dans le contexte d’évolution municipale de ces années 163-168 qui virent le rapprochement institutionnel et juridique des deux communautés, qu'il faut considérer la base décrétée à Concordia, sur le forum, par les deux ordres conjoints du pagus et de la ciuitas [no 23], Son rapprochement s’impose avec d’autres dédicaces africaines dans lesquelles on demande à la Concorde de protéger l’harmonie du corps civique. La première est adressée à Concordia populi et ordinis Thamugadensis183 ; la seconde, à Concordia coloniarum Cirtensium, garante du maintien des bonnes relations entre les trois colonies, Mileu. Rusicade et Chullu, placées avec Cirta à la tête des pagi de la confédération Cirtéenne184. Une dédicace de Thuburbo Maius à Concordia felix, amantissima, fautrix185, qui proviendrait de la curie dédiée sous l'invocation de Pax Auggustorum186 est, quant à elle, sans équivoque sur son rôle civique. On peut aussi évoquer la ciuitas Bencennensis qui honora Concordia Perpetua d'une statue lors de la promotion coloniale d'Uchi Maius dont elle dépendait sans doute et avec qui elle espérait maintenir des liens amicaux187, ainsi que les témoignages tout aussi explicites de Lepcis Magna dont les riches évergètes du ier siècle furent parfois parés du titre d'ornator patriae, amator Concordiae188. Toutes ces manières d’invoquer Concordia “témoignent de l’extension d'un tel idéal à toutes les composantes politiques de la cité’’189. La divinité honorée à Thugga où se côtoyaient des statuts très disparates, possède certainement les mêmes caractéristiques liées à la paix civique et à l'entente entre pérégrins et citoyens, et parmi ceux-ci, entre ceux du pagus et ceux de la ciuitas. La référence à Concordia faisait allusion à un fondement de l'Empire : le bon fonctionnement des cités grâce à l’entente de leurs concitoyens.
5. Hiérarchies et structures des nouvelles communautés divines
62Au-delà des signes très codifiés de la romanisation du panthéon de la cité, signes qui donnent, du reste, le même vernis uniforme aux panthéons de la plupart des villes africaines, on perçoit aussi ses spécificités dans le choix des divinités vénérées. Certaines étaient évidemment entrées dans l'histoire des Thuggenses bien avant l’arrivée des premiers Romains et, comme les habitants de la cité, il leur fallut trouver une nouvelle place dans un contexte officiel qui les plaçait désormais sous une domination venue de l’extérieur. Au moment où la société des hommes évoluait en se fondant sur de nouvelles hiérarchies des statuts civiques et tendait vers une fusion égalitaire, des communautés divines se formaient et se structuraient dans les temples dits romano-africains du iie siècle, révélant les préoccupations de ce siècle de Pax Romana et les exprimant de manière jusque-là inédite dans la cité. Ces groupements ponctuels de plusieurs divinités honorées collectivement ne sont pas spécifiques à l'Afrique où on les rencontre cependant avec une grande fréquence à partir du iie siècle. Ils ne présentent pas de caractéristiques particulières puisqu'ils concernent à peu près tous les dieux masculins et féminins, formant des sociétés entièrement romaines ou africaines ou. le plus fréquemment mixtes, de la simple dyade à des associations groupant jusqu'à cinq divinités à Dougga, et même, huit ou neuf ailleurs en Afrique, sans compter, au sein de ces associations les sous-groupes comme les Dii Mauri ou les Dii Deaeque omnes190.
63Plusieurs de ces communautés furent installées dans les sanctuaires dits romanoafricains de Thugga, caractérisés par plusieurs cellae accolées, dépourvues de podium et alignées au fond d'une cour191. Trois de ces sanctuaires sont appelés templum Mercurii, templum Saturni et templum Telluris, sans que les autres dieux qui y prenaient place ne soient cités, ce qui serait un héritage des traditions pré-romaines puisque, d’après G.-Ch. Picard, “l’une des règles de l’épigraphie religieuse punique exclut de l’intitulé des inscriptions (d’autres dieux) qui étaient probablement considérés comme des ministres, voire des hypostases de la divinité suprême”192. Cependant, les dédicaces de deux sanctuaires édifiés sous Hadrien précisent qu’ils étaient consacrés, l'un à la Concorde, Frugifer, Liber Pater et Neptune, l'autre à la Fortune, Venus Concordia et Mercure. L’importance de la place faite à chaque dieu à l’intérieur du sanctuaire était fonction de son statut au sein de la communauté divine : dieu principal ou assesseur subordonné, on lui a attribué un emplacement précis dont la valeur sacrée peut peut-être se mesurer au vocabulaire et aux formulations des dédicaces puisqu’on ne connaît rien du rituel de leur culte.
64Le nom d'aedes fut appliqué à deux édifices qui s’élevaient sur le forum, mais dont les vestiges ne sont pas identifiés ; l’un était consacré à Tibère divinisé et l’autre à Saturne193 ; on peut juste noter que le terme disparaît à Dougga après le règne de Tibère, ce qui n’est qu’une coïncidence. Quant à templum, pendant trois siècles, il fut indifféremment appliqué à des temples italiques ou romano-africains, abritant des divinités romaines comme les Victoires de Caracalla ou africaine comme Caelestis et Saturne, ce qui n’est guère significatif194. En revanche, l’étude du sens de templum dans son contexte architectural se révèle beaucoup plus intéressante. Le terme lui-même n'a pas de valeur sacrée directe ; il s'applique à l'espace libéré de toute servitude et défini oralement195 par les augures avec l'approbation des auspices196. Bien qu'inauguré, ce lieu demeure profane tant qu'il n'a pas été consacré par les pontifes et ne devient propriété légale des dieux que par l'acte de dedicatio197. Que le terme templum ait finalement acquis une connotation sacrée tient à ce que les limites de l'aire d'édification inaugurée coïncidaient avec celles du monument lui-même au point que les deux termes furent utilisés l'un pour l'autre, la partie désignant le tout198. Ainsi, appliqué aux temples italiques, templum peut désigner l’ensemble du sanctuaire, une cour à portique incluant l'aedes que nous appelons temple ; c’est ainsi que F. Castagnoli interprète les formules : in templo Dianae post aedem ou in templo diuorum in aede diui Titi199. Il est certain que dans les inscriptions impériales, et surtout au deuxième siècle, templum désigne toujours, non plus seulement le sol inauguré, mais l'édifice lui-même et il s'applique aussi bien à son modèle italique qu’à son modèle romano-africain. Dans ce dernier cas pourtant, on constate que, employé dans des formulations particulières, il peut recouvrir des réalités architecturales différentes.
65Ce n'est qu'une fois définies au plus près les concordances de sens entre les termes épigraphiques et les structures archéologiques que l'on pourra aborder la question du sens de ces sociétés divines, des liens d’égalité ou de subordination qui les régissaient et du sens qu’il faut finalement leur donner.
5.1. Dans les templa Concordiae
5.1.1. Interprétation du monument
66Le temple B. élevé en deux étapes entre les règnes d'Hadrien et d'Antonin, est composé d’une vaste cour à quadriportique, occupée par cinq cellae dans toute sa largeur nord et précédée d'un auditorium au sud. On peut lui attribuer le dossier épigraphique des templa Concordiae et admettre qu'il est le seul édifice concerné200.
67Les quatre grandes dédicaces qui se répartissaient sans doute aux entrées principales [no 15-18] nomment trois divinités : Concordia. Liber Pater et Frugifer. Le texte [no 19], gravé sur une plaque moulurée, donc sur un support mobile, ajoute le nom de Neptune à la première triade ; d'après des caractéristiques paléographiques très différentes et l'évolution du cursus d'A. Gabinius Datus filius, on sait qu'il est postérieur à la première série201. La plaque est brisée après le nom de Neptune ; la lacune qui suit laisse la place de restituer celui d’une cinquième divinité, ce que nous admettons.
68L'emploi du pluriel templa est unique dans l'épigraphie de la province ; il ne peut-être employé ici que pour désigner, non pas cinq bâtiments distincts, mais chacune des cinq cellae attribuées aux trois, puis aux cinq divinités honorées dans le même sanctuaire. On pourrait donc supposer que le temple B possédait trois chambres cultuelles à l'origine, puis qu'on lui en adjoignit deux supplémentaires. Or d'une part, ni la face externe du soubassement qui supporte les cinq cellae, ni le mur postérieur de celles-ci ne présentent aucune trace de rupture ni d'ajout : d'autre part, à l'intérieur des cellae latérales, on n'a pu repérer non plus aucun indice de remaniement correspondant à une division des pièces. Les cinq cellae datent donc du même état initial correspondant au règne d'Hadrien202. Or. nul doute que, dans un premier temps, le sanctuaire n'abritait pas plus de trois divinités honorées dans le templum Concordiae, le templum Frugiferi et le templum Liberi Patri. La solution se trouve dans l'ensemble de l'expression templa cum reliquis templis et xystis.
69Les xysti désignent habituellement les portiques d'entraînement de gymnases, des pistes soigneusement aplanies et ratissées entre des colonnades203. Leur mention est exceptionnelle dans les inscriptions africaines puisque la seule autre occurrence du terme provient aussi de Dougga, dans la dédicace du théâtre élevé trente à cinquante plus tard : theatrum cum basilicis et porticu et xystis et scaena204. D'après L. Carton, qui a fait dégager et restaurer le monument, le terme désigne "les deux grands couloirs allant de la façade aux uomitoria", ou encore les galeries extérieures qui permettaient de circuler autour de l'édifice et qui devaient être ornées d'une colonnade205. Dans les dédicaces du temple B, à moins que d’autres structures du complexe soient encore ensevelies à l’est, ils désignent probablement le quadriportique ambulatoire de cour qui, avec les templa et les reliqua templa, formaient l’ensemble du sanctuaire206.
70Les reliqua templa, formule également inconnue ailleurs, désignent donc les deux cellae qui n'étaient pas encore consacrées à des divinités précises mais n'en avaient pas moins été prévues dans le projet initial et dédiées avec les trois autres. C'est bien le sens qu'on peut donner à reliquus : le restant d'un ensemble, d'un tout ; de plus, son emploi peut impliquer une idée de futur : ce qui reste à faire, ce qui est encore à venir. On note justement que, sur le texte [no 19], la lacune qui suit le nom de Neptune est peut-être assez longue pour restituer les reliqua templa et les xysti, mais la mention de statues et de marbres qui vient à la ligne suivante doit se rapporter à l'ornementation luxueuse de cellae plutôt qu'à des portiques. On peut donc présumer que, dans cette dernière inscription, la mention des reliqua templa a disparu car ils sont alors inclus, au début du texte, dans la liste générale des templa consacrés. Les dédicaces [no 15-18] s'appliquaient donc d'abord aux trois cellae consacrées aux trois divinités (templa), puis aux deux cellae vacantes qui accueilleraient plus tard Neptune avec une cinquième divinité (reliqua templa), et enfin au quadriportique de cour (xysti).
71Seule l'hypothèse selon laquelle les cinq cellae faisaient partie d'un même projet initial permet d'expliquer que Liber Pater ne soit cité qu'en dern ier sur les dédicaces |no 15-18], alors que, d'après l'organisation du sanctuaire, il apparaît comme sa divinité principale. C'est certainement à son culte que se rapporte le théâtre à mystères dont il faut souligner l'importance puisqu'il occupe une superficie équivalente à celle de la cour et des cellae. Or, si l'on admet qu'il était prévu que son nom fût suivi de celui de deux autres divinités, sa position centrale se trouve alors rétablie de fait. On peut en conclure que les reliqua templa sont les deux cellae orientales et que, dès l'origine. Liber Pater était honoré dans la troisième cella qui ouvrait dans l’axe du théâtre cultuel où on le célébrait : les templa se succédaient de gauche à droite dans l'ordre d'énumération de leurs divinités respectives sur les dédicaces et la divinité principale occupait dans le sanctuaire, comme sur les frises qui l'ornaient, la place centrale. Il existait donc une différence notable avec les dédicaces et l'organisation des temples italiques à cella unique tripartite et en particulier avec les capitoles dans lesquels la divinité principale est la première citée et occupe la niche centrale : Jupiter trônant entre Junon à sa gauche et Minerve à sa droite. C'est dans cette nouvelle perpective qu'il faut envisager les relations entre Liber Pater, principale divinité et les dieux qui lui furent associés. Concordia et Frugifer à sa droite, Neptune et un dieu inconnu à sa gauche.
5.1.2. La communauté divine des templa
72Le culte de Dionysos fut introduit en Afrique dès le IVe siècle a.C., au cours du processus d’hellénisation générale de la religion, en même temps que ceux des Cereres et de Pluton. Mais, alors que les premières firent l'objet d'une adoption plus que d'un syncrétisme207 et que le second fut assimilé à différentes divinités208, Dionysos fut généralement identifié au seul Shadrapa. Dieu-enfant d'origine phénicienne, chargé de protéger des animaux venimeux et de guérir de leurs blessures209, il était l’un des nombreux assesseurs de Ba’al et Tanit, auprès desquels il était honoré dans le tophet de Salamnbô210 et l'abondance des documents à l'époque punique, puis romaine, révèle qu’il compta parmi les divinités les plus populaires des panthéons africains à toutes les époques211. Comme celui des Cereres, on constate que le culte de Shadrapa s'est essentiellement diffusé dans les anciennes possessions du royaume de Massinissa : dans la région de Mactar, en Proconsulaire occidentale et en Numidie212. Comme celui des Cereres encore, son culte a survécu à la chute de la métropole punique, ayant trouvé suffisamment de piété dans la population numide pour que sa continuité soit établie aux ier et iie siècles p.C. avec le culte de Liber, ou Liber Pater, le Bacchus africain, assimilation directe du Shadrapa hellénisé213 et, en effet, les documents qui dévoilent ses origines en le parant de caractéristiques africaines sont nombreux214. Avec la rénovation des panthéons, comme d'autres divinités chthoniennes, il demeura subordonné à Saturne dans ses compétences de dieu agraire, lesquelles furent peut-être soulignées dans les templa par son association avec Libera [n°22]215. Il faut noter que le culte de cette déesse est rare en Afrique, avec six mentions épigraphiques seulement et en dehors des templa Concordiae, on ne la trouve en compagnie de Liber que dans les temples de Cuicul216 et d'Oea217.
73Pourtant, “question redoutable que celle du dionysiasme africain”218 car, au-delà de cette assimilation assez simple, la personnalité du dieu s'avère multiple et complexe. Ainsi, à partir du iie siècle219, on voit ressurgir, un aspect plus raffiné du culte qui remonte à son origine gréco-orientale, un autre visage de la même divinité resté dans l’ombre pendant qu'on invoquait sa personnalité frugifere. C'est le Dionysos dont on célébrait les mystères et dont rendent compte un grand nombre de représentations africaines du Bacchus enfant à la panthère, dans un char attelé de fauves ou entouré de Silènes, de satyres et de bacchantes, au cœur de scènes orgiaques. Son culte attira essentiellement les notables urbains et sa présence dans la cité est interprétée comme un signe de romanisation220 ; il fut le dieu des honestiores, d'une élite romanisée et certainement philhellène, de plus en plus intéressée par le mysticisme des cultes orientaux, “depuis un sufète de Lepcis jusqu'à des patrons de cité comme les Gabinii de Thugga"221. C'est bien ce visage que revêt Liber Pater dans le sanctuaire lié à un théâtre sacré dont provient un fragment de statue marmoréenne le représentant enfant, avec la panthère courant à ses côtés222. Ce type de monument groupant un temple de Liber Pater et un théâtre dévolu à son culte est unique en Afrique223, mais on connaît l'existence d’une confrérie religieuse qui organisait des jeux scéniques à Madaure, où un prêtre de Liber lit élever une aedes sanctuarii, dédiée par son ordo sacratorum224 Sur son épitaphe, le personnage est appelé Lenai Patr(is) cultor225, qualification qu'il faut rapporter aux jeux scéniques des Lénéennes à Athènes226 et rapprocher d’une dédicace de Satafis, en Maurétanie où le dieu porte l'épithète de Lenaeus227. Mais aucun autre exemple n’est aussi explicite que ceux de Thugga et de Madaure et l'on a, au mieux, l'attestation de thiases à Cuicul228, à Thysdrus229 probablement à Mactar230 et peut-être encore à Thamugadi231.
74Il faut finalement noter que le culte se trouva particulièrement en faveur dans la politique religieuse d'Hadrien qui. comme Trajan avant lui, puis ses successeurs, accepta le titre de Neos Dionysos qui, dans les inscriptions grecques, augmente souvent sa dignité impériale232. L'empereur philhellène fut d'ailleurs initié aux mystères d'Éleusis jusqu'au grade supérieur233 et donna plusieurs témoignages de sa dévotion à Dionysos auquel Antinoüs avait été assimilé en Asie Mineure234. Les Antonins se rattachèrent ainsi à un dieu garant des libertés publiques, qui enseignait les principes d'un ordre politique, la vertu, la justice et la raison à ses disciples235 ; dimension civique que l'on peut d'autant moins négliger que le sanctuaire fut publiquement dédié pro salute Hadriani par des personnalités affichant leurs fonctions officielles à Thugga et à Carthage. Ce sont probablement ces mêmes qualités politiques qui peuvent justifier qu'il ait souvent été honoré comme genius ou comme de us Patrius de plusieurs cités africaines.
75On peut présumer que ces deux fonctions de Liber Pater, dieu de la vie renaissante d'une part, et dispensateur de la sagesse politique d'autre part, étaient illustrées plus précisément par deux statues ornant chacune des niches latérales de la cella centrale alors que le simulacrum, sans doute une image syncrétiste de Liber Pater, devait se tenir sur le massif en blocage qui occupe le centre du mur postérieur236. Pour le seconder, on eut recours à quatre divinités fonctionnant par paire, spécialisées chacune dans un de ces domaines. Immédiatement à ses côtés Frugifer et Neptune le secondaient pour assurer la fertilité de la terre ; quant à Concordia, attachée à la paix sociale et municipale, elle était probablement accompagnée d'une autre abstraction divinisée pour relayer les relations entre le dieu principal, la communauté humaine et le pouvoir impérial.
76Frugifer et Neptune firent tous deux partie du cycle de Saturne. On a vu dans le premier un Ba'al punique constitué des attributs frugifères du grand dieu africain, à moins que ce nom ne désigne parfois Pluton ou même Saturne interprétant Ba'al ; enfin Frugifer lui-même fut une divinité à part entière à Rome. Aussi, lorsqu’une dédicace s'adresse seulement à Frugifer, est-il très aléatoire de préciser davantage sa personnalité, de toute façon, toujours liée à la fertilité des terres237. Le plus souvent, le dieu est certainement formé d’une stratification religieuse phénico-gréco-punique, puis romaine, et l'on peut supposer, à cause de la fonction essentielle et primaire du culte, et bien que nous n'en ayons jamais de trace directe, qu'elles s'étaient déjà elles-mêmes souvent imposées à la personnalité d'une divinité libyque.
77Quant à Neptune, on ne peut en aucun cas l'assimiler à Saturne238 auquel il fut toujours subordonné comme le soulignent par exemple les registres superposés d'une stèle de Middidi239. On note d'ailleurs qu'à Thugga, c'est tout près du vaste sanctuaire périurbain de ce dernier qu'on lui éleva une chapelle votive [no 83]240. On ne le connaît pas sous son identité punique241 et l’on n'est pas précisément renseigné non plus sur son ascendance phénicienne242, mais on connaît bien les fonctions spécifiques qu'il développa en Afrique, loin des océans auxquels l'affecte la mythologie classique243. Dieu des cascades et des oueds qui irriguent les terres arables, il fut essentiellement vénéré à l'intérieur des terres, dans les hauts plateaux de Proconsulaire et de Numidie244. Plusieurs de ses sanctuaires fonctionnent d'ailleurs en relation avec l'eau, soit grâce à des aménagements hydrauliques, accessoires du rituel245, soit parce qu'ils furent élevés à proximité de sources naturelles246, elle-mêmes éventuellement placées sous la protection des nymphes247. Dans l'ex-voto de Caius Helvius Suauis et de Cassia Faustina [no 83], Neptune est appelé Seigneur des Ondes et des Néreïdes, réminiscence d'Ovide248 d'une partie cultivée de la population d’origine locale249 qui continuait naturellement d'invoquer une divinité familière.
78Concordia et certainement une deuxième abstraction vénérée par Hadrien250, devaient soutenir le rôle du Liber Pater dispensateur de la paix de la cité et protecteur de son maintien puisqu'il enseignait les moyens d’y parvenir. L'idéal social et municipal d'union entre des individus de statuts juridiques inégaux, mais appelés, du fait des nouvelles conditions politiques, à se côtoyer quotidiennement, s'est fréquemment exprimé en Afrique dans le culte de Concordia ; ce fut le cas sur le forum de Dougga où le pagus et la ciuitas décrétèrent ensemble une base à Concordia, un demi-siècle plus tard, probablement sous le règne conjoint de Marc Aurèle et Lucius Verus, alors que s’opéraient les premiers rapprochements juridiques et institutionnels251. Il ne faut pas pour autant négliger que le rôle conciliatoire de la déesse pouvait aussi s’exercer sur le panthéon divin, comme peut-être à Pheradi Maius et à Gigthis252 où son association avec Panthée exprimerait l'idée que la l'entente entre les dieux n'était pas moins nécessaire à la paix et à la prospérité de la cité que lu concorde entre les hommes. Dans les templa qui regroupaient cinq divinités, c'est aussi une interprétation à considérer.
79Ce que l'on sait des Gabinii, de leurs origines et de leur brillante ascension sociale, correspond bien aux cultes qu'ils honorèrent au début du iie siècle, inaugurant de fait, et avec éloquence, le processus de fusion des élites et des divinités des deux communautés. Alors que leurs ancêtres du temps de Claude s’étaient dévoués au Diuus Augustus, le plus loyaliste des cultes, les Gabinii du iie siècle ne cachaient pas leur ascendance indigène en célébrant Liber Pater, Frugifer et Neptune, des divinités dont l' interpretatio Romana leur était depuis longtemps familière et que leurs aïeux avaient connues sous leurs noms originels. Il s'agissait, non pas d'une revendication culturelle que l'on pourrait rattacher à un phénomène de résistance, mais certainement d'une dévotion sincère, naturelle et intéressée au rendement des domaines agricoles qui avaient assis la puissance de la gens. On sait en effet que, sans compter ses possessions immobilières, la famille était largement pourvue en terres à la périphérie occidentale de la cité, depuis la crête rocheuse du plateau nord où Gabinia Hermiona offrit au peuple le champ qui appellatur circus [no 1 10], jusqu'à l'oliveraie d'où émerge le somptueux temple de Caelestis offert par la même famille [no 2-6]253 ; de plus la majorité des épitaphes de Gabinii découvertes hors la ville proviennent de cette zone où devait se trouver le cimetière familial. Par ailleurs, A. Gabinius Datus pater occupa un poste important dans la gestion des domaines impériaux de la région de Thugga et fut honoré par les conductores de cette regio254. Cette assise foncière “pourrait être une des bases de la richesse comme de la puissance ultérieure de la famille” avançait F. Jacques255 et l'on peut certainement se montrer plus catégorique.
80Les Gabinii du temps d'Hadrien devaient aussi leur puissance à leurs propres efforts après ceux de leurs pères, passés du statut de notables indigènes à celui de membres du pagus. Puis, à force d'honneurs et de magistratures, l’ambition politique d'un des fils fut récompensée du droit de cité à Carthage. On comprend bien l'intérêt que les Gabinii pouvaient trouver dans le culte de Liber Pater, initiateur aux principes politiques qui faisaient fonctionner les cités. Les mêmes raisons les ont poussées à honorer Concordia qui assurait les bonnes relations entre les différents citoyens, jusqu'à permettre de gommer l'inégalité entre l'ancien vainqueur et l'ancien vaincu, pourvu que ce dernier, et à condition qu’il en eût le pouvoir financier, se montrât capable de se hisser au niveau de conscience politique et municipale du premier.
5.2. Dans le templum Fortunae, Veneri Concordiae et Mercurii
81A la même époque, naquit une association comparable dans ses formes. En 117, Q. Maedius Severus dédia un temple à Fortuna, Venus Concordia et Mercure, édifice qui avait été promis pour le flaminat de sa fille. Maedia Lentula, au nom de laquelle il agissait |n°48]256. Nous supposons qu’il s’agit de la restauration, de l'agrandissement ou de la reconstruction du temple déjà dédié à Venus Concordia, sous le règne de Claude, par Licinia Prisca, épouse de M. Licinius Tyrannus et affranchie de M. Licinius Rufus [no 47] et qui, à cette occasion, accueillit deux divinités supplémentaires.
82Le problème a priori soulevé par l'organisation architecturale d'un temple accueillant quatre divinités, comme le laissait penser le texte de sa dédicace, s'est récemment résolu de lui-même, après qu'A. Beschaouch que nous remercions, a fait part de la découverte d'une dédicace à Venus Concordia, génie de Sicca Veneria. Un syncrétisme cumulatif se produisit entre les deux déesses et aboutit, comme dans le cas de Mercure Siluius, à la constitution d'une divinité unique, siégeant probablement dans la chambre cultuelle centrale d'un temple à trois cellae, et dont il convient de définir le sens avant d'envisager ses relations avec Fortuna et Mercure. Il faut noter, en premier lieu, que ces constructions ont été entreprises par deux femmes, deux flaminiques perpétuelles, dont la seconde s'acquittait d'une promesse ob honorem.
83Ce qu'il faut retenir du culte de Venus Concordia, c'est la formation d'une seule divinité issue du syncrétisme de deux déesses très proches du culte impérial, qui furent particulièrement à l'honneur à Karthago et à Sicca Veneria, deux cités dont le développement, comme celui de Thugga, devait beaucoup au régime augustéen et dont les aires d’influence culturelle incluaient Thugga. Les liens de Vénus et Concordia sont anciens : au début de l'histoire de Rome, où elle aurait présidé à l'alliance des Romains et des Sabins, Concordia était connue sous les traits de Vénus Cloacina, et le1er avril, à Rome, on célébrait conjointement les cultes de Vénus, Concordia et Fortuna257.
84Dans la mythologie de Virgile, Vénus apparaît comme la Mère des Énéades et la protectrice de leurs descendants romains, image que le pouvoir officiel utilisa amplement à des fins idéologiques. Sylla et Pompée l'avaient particulièrement favorisée, mais c'est César qui l'associa officiellement au pouvoir. Au début de l'Empire, on assimila fréquemment le couple Auguste-Livie à celui de Mars et Vénus258. Plus tard, Tibère dont une statue fut consacrée dans le temple de Vénus de Segeste restauré par ses soins, continua de soutenir publiquement le culte qui connut une considérable expansion populaire au ier siècle p.C., comme en témoigne le grand nombre de documents épigraphiques découverts dans tout l'Empire259. Fondement de la théocratie impériale – c’est ce qu’expriment clairement deux dédicaces d'Hippo Regius et de Lepcis Magna qui associent Vénus au Numen Augusti260 – le culte était donc largement enrichi d'une dimension dynastique qui liait l'ensemble de ses fidèles à l'empereur. A Sicca Veneria, les colons d'Auguste s'installèrent au milieu d'une population descendant de Numides, de Puniques, de Siciliens et de Grecs et le grand culte municipal de Vénus Érycine qui s'était développé à la confluence culturelle de la Sicile hellénisée et de Carthage punique261, continua de prospérer à l'époque romaine. Nul doute que la théologie personnelle du conditor de la cité et de son épouse contribuât à maintenir sa popularité avec le soutien des colons promouvant leur propre religion.
85Quant à Concordia, dans ce syncrétisme, elle ne symbolise pas seulement l'union politique des habitants d'une même province ou d'une même cité, mais ce choix fait encore certainement référence aux divinités officielles qui secondèrent la politique dynastique de César puis d'Auguste et, n'en doutons pas, à la déesse honorée officiellement sur le forum de Byrsa262. Dès 44 a.C., l'année de la fondation de la colonia Concordia Iulia Karthago, le Sénat, célébrant la paix retrouvée, aurait dédié un temple de la Nouvelle Concorde à Rome263. La popularité de la déesse à ce moment-là justifiait suffisamment qu'elle figurât dans la titulature de la nouvelle colonie africaine dont la refondation devait effacer les conflits qui, depuis si longtemps, avaient opposé Romains et Carthaginois264. A partir de la période augustéenne, comme toutes les abstractions divinisées, Concordia fut attachée au pouvoir impérial, en particulier à Livie qui lui dédia un temple près de la Porticus Liuiae avant d'entreprendre la restauration du temple de la Concorde que Camille avait bâti entre 387 et 367 a.C., travaux achevés par son fils Tibère265.
86On cerne donc assez bien les caractéristiques de cette divinité à partir des fonctions communes aux deux déesses qui la constituent ; outre leur caractère profondément politique et municipal, on voit surtout qu'elles étaient attachées à Livie qui lit montre à leur égard de dévotions particulières. L'unique autre mention du culte de Venus Concordia provient de Sicca Veneria dont les colons étaient des Sittiani prélevés par Auguste sur le territoire de Cirta. On sait que dans cette vaste cité se pratiquait un culte de Diua Augusta, desservi par ses flaminiques et célébré dans un temple dédié immédiatement après la divinisation de l'impératrice en 42 p.C.266 ; c'est-à-dire à peu près au moment de l'instauration du culte de Venus Concordia à Thugga qui n'est pas précisément datée dans le milieu du ier siècle. Licinia Prisca et Maedia Lentula sont toutes deux flaminiques perpétuelles de la cité. On peut tout à fait envisager que, sous le nom de Venus Concordia, leur ferveur se soit implicitement adressée à Livie, sous une forme à peine moins lisible qu'à Lepcis Magna dont le théâtre était orné d'une statue de l'impératrice représentée sous les traits de Cérès. Cette tendance à assimiler les impératrices aux principales déesses devînt systématique à partir d'Hadrien dont l'épouse fut aussi représentée à l'effigie de Vénus sur les monnaies du règne : l'impératrice Sabine devant incarner les vertus domestiques, la fidélité et l'entente conjugale267. On peut aussi noter que dans cette triade, elle est la seule à ne pas porter l'épithète Augusta ou Augustae, peut-être parce que cette précision aurait été une redondance inutile.
87L'association de Mercure et de Fortuna est, quant à elle, classique et bien connue ; elle s'explique par leur complémentarité et avait trait à la protection des commerces. Elle exprime à la fois la notion de chance, nécessaire pour traverser les terres et les mers lorsqu'ils nécessitaient de longs voyages, mais, plus généralement, pour réaliser des affaires fructueuses, et celle de richesse, conséquence de son action favorable sur le négoce ; c'est un thème fréquent, tant de l’iconographie268 que de la littérature269, et leurs cultes furent également célébrés ensemble à Gigthis270. On associe généralement les deux dédicaces qui les concernent, les plus récentes [no 48-49], au monument totalement ruiné qui borde les degrés de la place du marché à l'est ; qu'il s'agisse ou non de ces vestiges précisément, le culte de Fortuna et de Mercure devait, de toute façon, être honoré à proximité du marché, leur sphère naturelle d’action.
88Si l'on accepte que la dédicace la plus ancienne [no 47] se réfère bien au même ensemble, on peut aussi invoquer des circonstances historiques favorables pour justifier cette localisation. Le patron de Licinia Prisca lit aménager le marché en 54 p.C.271 et l’on peut supposer que son affranchie contribua avec lui à organiser cet espace public qu’il fallait, comme le forum, empreindre de la marque de Rome. De même que, sur la place politique, son époux, M. Licinius Tyrannus, était intervenu dans la restauration du temple de Tibère auparavant offert par la grand-mère de son patron |n°27]272, il est possible que Licinia Prisca s’y soit employée en honorant, sur la place du marché, un culte qui faisait directement référence à l’impératrice.
89Dans les templa Concordiae, les divinités étaient groupées par communauté de fonction avec la divinité principale. Ici, outre le fait que, cette fois, toutes les divinités sont romaines, aucune relation semblable ne liait Venus Concordia à la dyade de la prospérité marchande et il faut expliquer cette association par d'autres raisons. On admet qu’au milieu du ier siècle, seule Venus Concordia était honorée dans le temple et que le culte s’adressait, du moins en partie, à Livie. C'est seulement sous Hadrien que Mercure et Fortuna furent installés à ses côtés : il s’agit donc d'une association circonstancielle qui n'a pas été définie dès l’origine en considération d’affinités particulières. La consécration de ces deux nouvelles divinités peut simplement se justifier par les préoccupations du père de Maedia Lentula. Peut-être s'agissait-il d'un commerçant enrichi, auquel la bonne fortune avait permis de destiner une position sociale respectable à sa descendance ; on peut également supposer qu'il était urgent de répondre à un besoin collectif en remédiant à l'absence, encore au début du iie siècle, d'une divinité tutélaire du marché qui existait déjà depuis une soixantaine d'années273.
5.3. Dans le templum Mercurii
90Dans les deux associations précédentes, les divinités étaient honorées collectivement dans un templum ou des templa sans que ces termes expriment la hiérarchie qui régnait dans la communauté autrement que par la proportion et la position de la cella qu’ils occupaient. Ce n'est pas le cas dans la dédicace du temple de Mercure [no 65], L’organisation architecturale de l'ensemble public oriental montre clairement qu’il était dévolu aux activités de négoce et qu'il était placé sous la tutèle de Mercure, protecteur des commerçants ; sous son nom cependant, on vénérait aussi des dieux interprétés dont la subordination se marquait par la place qui leur était réservée dans le temple.
91Seul Mercure est nommé dans la dédicace, mais la formule générale opus templi Mercurii est explicitée plus loin par la désignation plus détaillée du templum Mercurii cum cellis duabus et statuis et porticum et absides. Cette expression est unique en Afrique où le terme cella est lui-même un vocable rare qui n'est attesté dans les dédicaces qu'à propos de deux monuments consacrés à Cérès, dont l'un est celui de Thugga et dont les vestiges ne sont pas identifiés274. Comme templum, le terme cella ne recouvrait pas, à l’origine, un contenu intrinsèquement sacré : s'il s'appliquait à la pièce qui abritait le simulacrum du dieu dans le temple, il pouvait aussi bien nommer une resserre, un grenier ou une chambre, hors de tout contexte cultuel. Même dans ce contexte, le terme appartient d'abord au registre lexical de l'architecture civile et privée, et n’est sacré qu'au même titre qu’une porticus lorsqu'elle s'élève dans un sanctuaire ; il n’a pas acquis aussi généralement le sens d'édifice religieux que templum avait fini par revêtir.
92Templum désigne ici la cella centrale où trônait Mercure, divinité tutélaire du sanctuaire. Les cellae qui encadrent le templum n’avaient pas la même valeur sacrée et n'ont abrité que des divinités secondaires et subordonnées, dont le statut ne justifiait pas que leur nom fût rappelé sur la frise principale. La base qui portait la statue de Mercure Siluius [no 67], divinité interprétée, a été découverte en place au fond de la cella occidentale. Le texte [no 68] proviendrait de la cella orientale ; il mentionne l'érection d’une statue de Mercure qui ne porte pas de qualificatif précis, mais il est probable qu'il s'agissait d'un autre aspect plus circonstanciel de Mercure et que ses caractéristiques, peut-être africaines elles aussi, s'affichaient dans sa représentation statuaire. Ce type de triade constituée par la démultiplication ou la segmentation des personnalités et des pouvoirs d'une même divinité est un phénomène bien attesté275 qu’il faut interpréter comme une expansion ou une dilatation de la divinité résultant de “l'ambition de l'homme à appréhender l’absolu du divin (et de sa) volonté de majorer l'efficacité du dieu’’276.
93La distinction entre templum et cella établissait donc une hiérarchie dans la valeur sacrée des différents espaces réservés à des dieux complémentaires dans un sanctuaire commun, en l'occurence entre un dieu romain et l'une de ses hypostases interprétant un dieu africain : l'organisation architecturale des temples africains permettait ainsi d’honorer collectivement plusieurs divinités tout en exprimant les relations qu'elles entretenaient.
94De même que la communauté des hommes s'organisait en strates juridiques, sociales et professionnelles inégales, plus ou moins enviables et prestigieuses, les sociétés divines prirent une structure pyramidale qui exprimait leur hiérarchie. Les dieux locaux, avec leur nouvelle identité, furent honorés dans des sanctuaires publics où la présence de divinités romaines garantissait que leur culte était conforme. Pluton, très tôt assimilé au Génie municipal, joua ce même rôle dans les sanctuaires de Tellus, et peut-être de Saturne, en chargeant les divinités tutélaires d'une importante dimension civique277. On constate une fois de plus le profond syncrétisme des divinités qui propagèrent cet idéal municipal et l'on discerne clairement dans ce panthéon l’idée selon laquelle la fertilité des terres et la bonne marche du commerce sont la base du bien-être matériel et donc social et, de ce fait, assurent une cohabitation politique pacifique de ses habitants, tendant de plus en plus visiblement vers un idéal commun. Comme l’écrivait déjà J. Toutain au début du siècle, “la paix romaine ne fut pas moins complète autour des autels que sur les places publiques”278.
6. Les rapports des deux communautés au iie siècle
95Le rapprochement culturel des deux communautés eut des répercussions importantes dans la vie publique du pagus et de la ciuitas qui intervinrent de plus en plus fréquemment ensemble dans la vie religieuse de la cité, en présidant notamment des dédicaces de sanctuaires. Pour conclure sur l'époque durant laquelle les habitants constituèrent deux corps municipaux distincts, nous envisagerons leurs rapports officiels et l’étendue de leurs prérogatives respectives en matière édilitaire, à la veille de leur réunion en municipe.
6.1. Les interventions communes des deux ordres décurionnaux
Objet de la dédicace | Datation | Référence |
— Constructions de sanctuaires | ||
de Minerve II (pagus et ciuitas) | 138-161 | [n°77-78] |
de Saturne (—) | 194-195 | [no 88] |
de Mercure (uterque ordo) | 180-192 | [no 65] |
— Dédicaces à des divinités | ||
Concorde Auguste (pagus et ciuitas) | 150-205 | [no 23] |
Diuus Antoninus (—) | 164-165 | [no 29] |
Minerve Auguste (—) | 166-169 | [no 11] |
Junon Lucina (—) | 166-169 ? | [no 58] |
Hommages aux empereurs | ||
Antonin (pagus et ciuitas) | 138 | ILAfr. 556 |
Marc Aurèle (—) | 145-147 | ILAfr. 560 |
Faustine (—) | 164-166 | CIL. VIII, 26532 |
Commode (—) | 180-192 | ILA fr. 524 |
— Hommages à des notables | ||
A. Gabinius Datus filius (pagus et ciuitas) | 117-138 | ILAfr, 569 |
M. Gabinius Bassus (—) | 117-138 | ILTun, 1512 |
Un avocat éloquent (—) | 161-192 | ILTun. 1514 |
Un prêtre d'Esculape (—) | 161-205 | CIL, VIII, 26625 |
Q. Marcius Maximus (—) | 166-169 | CIL. VIII, 26605 |
C. Marcius Clemens (—) | 166-169 | CIL, VIII, 26604 |
L. Marcius Simplex (—) | 166-169 | CIL, VIII, 26609 |
S. Pullaienus Florus Caecilianus (—) | ap. 139 | CIL, VIII, 26615 |
M. Gabinius Clemens Clodianus (uterque ordo) | fin du iie s | CIL, VIII 26597 |
Asicia Victoria et Vibia Asiciane (—) | 205-206 | DFH. no 73 |
96Dans les formulaires épigraphiques, le meilleur témoin de cette fusion en attente est l'apparition de dédicaces exécutées conjointement par les décurions du pagus et de la ciuitas. La première est datée d’Antonin, mais elles ne se généralisèrent que sous le règne de Marc Aurèle, initiateur de l'émancipation du pagus à l’égard de Carthage et de son rapprochement juridique avec la ciuitas. Enfin, à partir du règne de Commode et jusqu'à la fusion municipale, la mention de l'uterque orcio remplaça celle du pagus et de la ciuitas (Aurelia) Thugga au bas des dédicaces. En une vingtaine d'années, on passa donc de la mention hiérarchisée des pagani avant celle des Thuggenses à une expression générique qui supprimait la distinction entre les deux ordres en soulignant qu'ils agissaient bien comme un seul et même corps279. Cette harmonie et cette concorde du corps civique, que l'on a souvent eu l'occasion de souligner tout au long du iie siècle, était exprimée sans équivoque dans la formule équivalente ex consensu decurionum omnium280 qui introduit une dédicace d'Agbia, également organisée en pagus et ciuitas. En dehors de ces deux cités, l'uterque ordo n'apparaît que sur la dédicace du capitole de Numluli281 et sur une inscription très fragmentaire de Vallis282. Les dédicaces publiques des deux ordres de Dougga furent adressées aux notables, ceux qui se montrèrent les plus enthousiastes ou les plus généreux pour la cause commune, aux empereurs naturellement, et à leurs proches au moment des enjeux politiques, à certaines divinités, enfin, qui toutes avaient vocation à illustrer un modèle officiel unanimement adopté.
97Les Gabinii et les Marcii de l'époque antonine, pour la plupart patroni pagi et cuitatis, furent honorés par le pagus et la ciuitas ensemble parce qu’ils avaient manifesté leur attachement à leur cité par de somptueuses vergésies : les templa Concordiae où étaient groupés dieux romains et dieux romanisés, le capitole dont la construction marque les premiers pas de la fusion municipale et le théâtre, offert en l’honneur du flaminat perpétuel, où toute la population se retrouvait pour célébrer l'empereur.
98Deux notables furent honorés pour avoir pris part activement aux démarches entreprises auprès des autorités, certainement pour plaider la création du municipe : c'est ce que l’on suppose de l'inconnu que le pagus et la ciuitas qualifièrent d'éloquent avocat et de M. Gabinius Clemens Clodianus, choisi par sa communauté comme defensor causae publicae. Enfin, un autre citoyen, patron des deux communautés, fut remercié ob merita eius erga pagum et ciuitatem et la notion de concorde est évoquée dans cette dédicace, sans doute une allusion aux efforts de ce notable pour favoriser, encore, le rapprochement entre ses concitoyens283.
99Les deux communautés furent également impliquées ensemble dans plusieurs domaines de la vie religieuse : sans doute sous Marc Aurèle, les deux ordres procédèrent aux dédicaces à Concordia [no 13], à Minerve capitoline [no 11] et à Junon Lucina [no 58], Elles s'associèrent également pour ériger une base au diuus Antoninus |no 29] ; il n'y a pas lieu de s'attarder longuement sur le caractère évidemment politique de ces cultes que nous avons déjà envisagé. Sous Commode, l'uterque orda fut concerné par la dédicace du temple de Mercure, alors que le souci de rassembler toute la collectivité dans une même cérémonie religieuse explique que l'uniuersus populus fut convié aux festivités de la dédicace ; néanmoins, il existe dans cette riche inscription une distinction entre les bénéficiaires des différents dons sur laquelle nous serons amenée à revenir en détail et que nous laissons de côté pour l'instant284.
100Attardons nous en revanche sur deux autres dédicaces de sanctuaires : d’abord celui de Minerve II élevé sous le règne d'Antonin ob honorem flam, perp par Iulia Paula Laenatiana qui, à l'occasion de sa dédicace, distribua des sportules aux décurions du pagus et de la ciuitas [no 77-78]285 ; elle aussi, invita l'uniuersus populus aux festivités ; ensuite celui de Saturne II, dédié en 195, “par lequel le pagus et la ciuitas scellèrent leur union sous l'égide de Saturne”286. Le dieu poliade ancestral qui avait été associé au pouvoir officiel dès le début du ier siècle se trouvait à nouveau honoré dix ans avant la création du municipe, dans le vieux sanctuaire rénové à l’occasion du versement d’une summa honoraria, probablement, comme toujours et en raison de l'importance de l'évergésie, celle due pour le flaminat perpétuel. Le donateur étant mort avant de s'acquitter de sa promesse, le pagus et la ciuitas reçurent et gérèrent ensemble les fonds de la construction qu'ils dédièrent (summa soluta et publice inlata). Dans un premier temps, lorsque les deux ordres érigeaient ensemble des bases aux empereurs et à leurs grands hommes pecunia publica, on peut penser que les frais étaient partagés entre les caisses publiques des deux communautés. La dédicace du temple de Saturne paraît indiquer qu'une dizaine d'années avant de fusionner, le pagus et la ciuitas géraient une caisse publique commune. Leurs interventions officielles ne se limitaient donc certainement pas à une collaboration superficielle dans laquelle le pagus aurait simplement ménagé une place honorifique à la ciuitas, mais cette dernière prenait certainement part aux discussions, décisions et votes qui précédaient ces interventions, de même qu’elle participait à la gestion du trésor municipal.
101Des dédicaces de ces deux sanctuaires, on peut déduire que les ordines gérèrent ensemble certains monuments publics à partir du milieu du iie siècle. Les sanctuaires de Saturne et Minerve II étendent leurs vastes cours près de la falaise qui borde la cité au nord, mais il est impossible d'affirmer que leur territoire commun se cantonnait à cette région périphérique ou qu'il s'étendait à d'autres édifices. En effet, les deux ordres ont dédié conjointement les bases aux Gabinii dans les templa Concordiae et celles aux Marcii dans le théâtre. Du reste, ces monument furent offert pour le flaminat commun aux pagani et aux Thuggenses ; il paraît naturel que les deux communautés aient profité au même titre des dons ob honorem que la prêtrise impliquait : c’est bien le cas du sanctuaire de Minerve II et il faut l'admettre alors pour tous les temples élevés avec la summa honoraria du flaminat. En même temps, on sait qu’à la fin du iie siècle, la ciuitas avait par exemple financé et dédié seule un aqueduc et qu’elle disposait toujours d'un territoire en propre dont elle avait pu céder une partie pour l'édification du temple de Mercure287. Finalement, au iie siècle, la règle qui régissait les temples hors du forum et de la place du marché demeure aussi obscure qu'au ier et l'on peut seulement se borner à constater que, dans les quartiers urbains, certains édifices dépendaient de la seule ciuitas et d'autres des deux communautés.
6.2. Maintien du centre public dans le domaine du pagus
102Un désir de fusion guidant l'activité publique des deux communautés est donc bien manifeste tout au long du iie siècle. Il s'exprima dans l'interprétation syncrétiste de divinités associées dans des cultes communs ; dans les promotions individuelles qui pouvaient, en deux ou trois générations, faire d’un Thuggensis de souche un Carthaginiensis ; dans celle des communautés qui finirent par acquérir un degré d'autonomie équivalent, même si ce fut dans des formes institutionnelles différentes, et pour finir, dans l'apparition de l'uterque ordo qui, dans les dédicaces de la fin du siècle, supplanta la mention hiérarchisée des décririons du pagus avant ceux de la ciuitas.
103Ces rapports paraissent pourtant plus ambigus, et peut-être plus conflictuels que ne le laisse d'abord supposer la vision idéale du pagus et de la ciuitas organisant ensemble la vie publique et la religion officielle de Thugga. S’il y a bien un domaine où l'on voit s'affirmer la distinction entre les deux communautés, c'est dans le maintien du partage territorial de la cité, tant des terres agricoles dont les parcelles immunes faisaient toujours l'objet de nombreuses convoitises, que du centre urbain où les nouveaux pagani proclamaient en lettres capitale, au front des monuments qu'ils bâtissaient, que le pagus était désormais leur patrie et que c’était à lui qu’étaient destinés leurs dons. Lorsqu’au cours du iie siècle, les Carthaginois avaient souhaité définir plus strictement leur statut juridique, notamment en défendant son fondement face au fisc, il s'agissait avant tout de défendre un intérêt matériel, même s'il était lié à une position sociale éminente. Pour leurs contemporains récemment admis au pagus, rappeler que celui-ci était devenu leur patrie était surtout une question de prestige puisque leur statut fiscal ne s'en trouvait pas modifié.
104Sous Antonin. Q. Gabinius Felix Faustinianus, le fils du M. Gabinius Bassus qui avait participé à la construction des templa Concordiae, aménagea le forum en le dotant d’un triportique, avec les colonnes, les charpentes, les plafonds et toute l'ornementation des parois288. Il le dédia pago patriae en son nom et au nom de ses enfants, Datus et Processa ; ce qui n'est pas sans rappeler l'attitude des premiers évergètes du forum289. Inscrit dans la Quirina comme son père, il affichait sa réussite et ses espoirs de voir son fils suivre le même destin qu'avait connu son oncle, A. Gabinius Datus filius, Carthaginois décoré du cheval public et dont il lui avait donné le surnom. Manifester combien le pagus lui était cher militait bien sûr pour l'admission de son fils parmi les Carthaginienses et pouvait faire espérer à sa fille une union aussi enviable que celle de sa tante paternelle290.
105La formule pago patriae gravée sur la frise nord de la colonnade qui circonscrivait trois côtés du forum exprimait une réalité topographique concrète, en permanence affichée aux yeux des passants, au point qu'elle passa dans l'usage populaire sous une forme détournée : au Bas Empire, il semble que la porticus pagi désignait encore le portique du forum, alors que la distinction entre les deux communautés était effacée depuis plus d'un siècle291.
106Au ier siècle, en plus du forum, les colons de Carthage avaient aussi annexé la place orientale où, en 54, M. Licinius Rufus fit élever le marché en le dédiant, d'après les termes de la dédicace, au seul pagus : [p]ago dedit, idemque dedicauit mac[ellum] sua pec(unia) fec(it)292 ; une base honorifique lui fut décrétée par l'ordo de sa seule communauté, peut-être en remerciement du don293.
107On ne connait aucune des structures pré-romaines qui occupaient cette zone, aucun témoignage archéologique ni épigraphique comparable à ceux récemment mis au jour sur la place royale numide ; tout au plus peut-on supposer qu'il s'agissait déjà d'un espace public dévolu aux activités commerciales, ce qui justifierait que Carthage l'ait accaparé. Au ier siècle, la spoliation des habitants d'une partie de leur indépendance municipale et de leurs moyens de production s'était traduite par l'annexion physique du centre public et d’une partie des terres agricoles. Il semble logique que le troisième domaine qu'il importait de contrôler était son pouvoir financier, en particulier celui que lui procuraient certainement les droits sur les passages et sur les marchandises, ainsi que les locations d'emplacements au marché municipal ; on peut supposer que ces revenus furent affectés à la caisse de Carthage dès le rattachement de la cité à l'Empire.
108Comme le forum, la place du marché reçut une parure monumentale au iie siècle qui fut aussi dédiée pago patriae par un couple de nouveaux pagani |n°65]294. Q. Pacuvius Saturus, le père qui n'avait exerçé que l'augurat à Carthage, était encore tribule de la Quirina, mais ne l'affichait pas ; quant à son fils, Q. Pacuvius Felix Victorianus, on ignore s'il avait été admis parmi les Carthaginois, ce que la famille n’aurait probablement pas omis de mentionner. Avec son épouse, Nahania Victoria, grâce au paiement de la summa honoraria de leurs flaminats respectifs et au leg de leur fils défunt, Q. Pacuvius Saturus finança le vaste programme architectural qui ferme le centre public à l’est. Les portiques qu'il lit élever autour de la place de la Rose-des-Vents portaient la dédicace du nouveau marché au sud295, faisant face à celle du temple de Mercure au nord, également dédié pago patriae [no 65]. La main-mise du pagus sur cet ensemble monumental était donc proclamée sans ambiguïté et rien ne peut laisser penser que la place du marché fut la place publique des Thuggenses, réservée à leur usage et symboliquement unie par le capitole, au forum des pagani296.
109Certes, la ciuitas apparaît comme bénéficaire parmi les dons des Pacuuii, ce qui pourrait sembler a priori une anomalie dans ce contexte, mais, à l'examen, la dédicace distingue clairement deux types de dons. Au pagus, Q. Pacuvius Saturus et sa famille offrirent le temple de Mercure et le portique de la place du marché : il s'agissait donc de marquer profondément et durablement leur empreinte, et celle du pagus, par une évergésie édilitaire qui remodelait tout un quartier. Pour la ciuitas au contraire, la générosité ne concernait nullement des constructions, mais se limitait à une somme presque cinq fois moindre, dont les intérêts annuels devaient être versés sous forme de sportules aux décurions de l'uterque ordo. D'ailleurs, s'il est certain que jusqu'à la création du municipe, les deux places furent gérées par le seul ordo du pagus, cela ne signifie pas que ses membres en avaient l’exclusivité de la jouissance : dès le ier siècle, allogènes et indigènes se réunissaient sur le forum pour y célébrer le culte impérial et y honorer le vieux dieu poliade des Thuggenses. A la fin du siècle suivant, on peut considérer que la fusion sociale et religieuse était achevée lorsque des nouveaux pagani firent élever, contre le capitole, un temple de plan dit africain dans lequel on honora Mercure Siluius, vieux dieu local au côté de Mercure romain, et en conviant encore l'uniuersus populus à célébrer sa dédicace. La large place accordée à la communauté locale tenait certainement à l’origine des dédicants. mais surtout, cette dernière avait concédé une portion de son propre sol public au pagus, comme le rappelle la base de la statue de Mercure qui trônait sans doute dans la cella orientale du temple, édifiée loco a ciuitate dato [no 68].
110A vingt ou trente ans d'écart, par leur dédicace pago patriae, l'appartenance du forum et de la place du marché au pagus fut donc réaffirmée avec force sur les faces nord des deux portiques qui encadraient le capitole ; la formule concernait certainement tout l'espace public que ceux-ci englobaient. Au cours du iie siècle le partage établi dès l'origine fut ainsi confirmé, avec cependant cette différence notable que. désormais, l'aménagement du centre politique et religieux n’était plus directement soumis aux magistrats Carthaginois, mais se décidait sur place, entre pagani, avec l'assentiment légal de leur propre ordo. A la fin de la période, plus de deux siècles après la création de la double communauté, cette dernière distinction juridique entre Thuggenses et pagani fut abolie par la création du municipe qui plaçait désormais le panthéon et le sol public sous une seule et même autorité.
Notes de bas de page
1 Infra, p. 109-110.
2 Jacques 1984, 541.
3 AE, 1969-1970, 652 : [---]ius P f. Qui. Ge[---]ius.
4 Avec A. Gabinius Datus pater et M. Gabinius Bassus [no 15-18].
5 Kubitschek 1889, 138 ; Gascou 1972, 90.
6 Gascou 1972, 75, n. 6.
7 Romanelli 1959, 276-277 ; Gascou 1972, 11,27-28.
8 AE, 1963, 94 = DFH, no 50.
9 Gascon 1982a, 150-151 : Jacques 1991, 590.
10 C'est pourquoi Q. Gabinius M. fil. Quir. Felix Faustinianus pouvait proclamer que le pagus était bien sa patria (ILAfr, 521 = DFH, no 29 ; infra, p. 118, n. 26). Sur ce texte et la hiérarchisation des membres à l'intérieur du pagus qu'elle suppose, cf. Maurin 2000, 75-78, qui a mis en évidence que l'inscription dans la Quirina était une étape préliminaire à l'obtention du statut de Carthaginois, et non comme on le pensait, la tribu réservée aux citoyens de la ciuitas. Sur la relation de cause à effet entre la réussite de l'ambassade et l’apparition de la Quirina, cf. Maurin 2000, 146-147.
11 De Visscher 1940.
12 Jacques & Scheid 1992, 212.
13 Sherwin-White 1973, 86-98.
14 Gascou 1972, 75, 90, 100, n. 5. Il faut cependant noter qu’Hadrien ne s’intéressa pas à la région des pagi et que sa politique municipale concerna en premier lieu des cités depuis longtemps romanisées de l'ancienne Africa Vetus, entre la Medjerda et l'oued Miliane, dont il fit des municipes de droit latin, maintenant ainsi une hiérarchie entre citoyens et non citoyens qui récompensait et encourageait 1'aemulatio municipalis. Grand amateur d'antiquités et d’archaïsme (SHA, Vit. Hadr., 16.5 ; 19.10 ; D.C. 69.12), il ne s'est pas opposé à “la renaissance, dans un cadre romain, d’anciennes vanités locales” et il accorda le statut de colonie aux riches villes royales de Zama et Bulla et celui de colonie honoraire à la prestigieuse Utique (Gascou 1972, 1 16, 213-217).
15 Maurin 2000, 78.
16 Jacques 1984, 547.
17 [Pro sal]ute Imp(erattori) T(iti) Aeli(i) Ha[dr]iani Antonin[i Augusti Pii, p(atris) p(atriae), liberor]umq(ue) eius, Q(uintus) Gabinius M(arci) fil(ius), Quir(ina), Felix Fa[ustianus], cum Dato et P[r]ocessa fili(i)s suis, porticus fori [co]lumniis et contign[ati]one et lacunaribus omniq(ue) cultu parietum sua [pec(unia) ornat]as pago patriae ded(it).
18 P(ublius) Marcius, Q(uinti) fil(ius), Arn(ensis tribu), Quadratus, flamen diui Aug(usti), pont(ifex) c(oloniae) C(oncordiae) I(uliae) K(arthaginis), in quinque decurias [adlectus ab Imp(eratore) Anton]ino Aug(usto) Pio, ob honorem flaminatus sui perpe[tui] patriae suae/theatrum cum basilicis et porticu et xystis et scaena cum siparis et ornamentis on[ni]bus [a solo extructum] sua pec(unia) fec(it), idemque, ludis scaenicis editis et sportulis datis et epulo et gymnasio ded(icauit). Il est également l'auteur d'une dédicace à Cérès Prataria [no 14] qui s'élevait sans doute dans le théâtre ou à proximité.
19 On connaît 16 épitaphes de cette famille (MAD, no 434-439) dont les membres apparaissent sur presque une trentaine d’inscriptions publiques (cf. MAD, répertoire des gentilices, 654-655). Sur l'évolution sociale et la promotion juridique de certains membres de cette gens au iie siècle : Pflaum 1968, 162 ; Jacques 1984, 541 - 542 ; Brouquier-Reddé & Saint-Amans 1997, 178-182 ; Chastagnol 1997, 56-57 et Beschaouch 1997, 66 qui utilisent tous deux les exemples des Gabinii et des Marcii pour prouver l'existence d'un droit latin subordonné. A propos des trois dédicants des templa Concordiae, cf. en dernier lieu, Maurin 2000, 77-78.
20 Infra, p. 66, n. 53.
21 Pour J. Gascou, il s'agit d'une famille entrée tardivement dans la citoyenneté romaine : A. Gabinius Datus, père et son fils, M. Gabinius Bassus sont nommés sans indication de la filiation, ce qui n’est pas la règle lorsque la tribu est donnée (1982a, 160-161, n. 14). Mais il faut noter que Gabinia Felicula était déjà citoyenne sous Claude et que ce devait être aussi le cas de certains de ses parents (Pflaum 1968, 162 ; Cl. Poinssot 1969, 230-231).
22 Sa carrière est également développée dans ILTun, 1513.
23 ILTun, 1511 : Gabinia Beata, épouse d'Aulus Gabinius Datus pater, reçut une dédicace de son petit-fils Q. Marius Rulinus. d'où l'on peut conclure que sa fille, inconnue par ailleurs, épousa un Marius.
24 Sur les Marcii : Pflaum 1968, 167-169 ; Jacques 1984, 542 ; Chastagnol 1997, 56-57 ; Beschaouch 1997, 67 ; Aounallah & Maurin 2000, 203-209.
25 Jacques 1984, 547.
26 Ce gentilice italien, répandu dans les zones de colonisation césaro-augustéenne, a été adopté par de nombreux pérégrins (Lassère 1977, 157. 185, 197). A Thugga, il semble avoir été porté par deux branches différentes, plus ou moins bien romanisées. Tous les membres de la première branche portent les duo nomina, et doivent appartenir aux toutes premières générations de pérégrins naturalisés qui n'avaient pas encore totalement assimilé la langue latine (Pacu<v>ia Felicissima : CIL, VIII, 27108 = MAD, no 925 ; Pacuvius Primiti<v>us : CIL, VIII, 15547 = MAD, no 923 ; P<a>cu<v>ia Vi<c>toria : CIL, VIII, 27108a = MAD, no 926 et Pacuvius Felic (sic) : CIL, VIII, 27106 = MAD, no 921). On distingue une branche mieux romanisée, des notables qui apparaissent de la lin du ier à la lin du iie siècle (Jacques 1984, 544-547), à laquelle appartiennent Q. Pacuvius Saturus, M. Pacuvius Felix Victoriatius son fils, nommés ici, et Q. Pacuvius Honoratus Rufinianus (CIL,. VIII, 27107 = MAD, no 922). dont l'épouse a reçu un hommage municipal ; son deuxième surnom. Rufinianus. comme celui de Victorianus est souvent porté seul dans la communauté pérégrine de la ville. Il faut noter que le cippe du père (CIL, VIII, 1532 = MAD, no 924) provient de la nécropole occidentale où ont aussi été trouvés les plus riches monuments funéraires et les épitaphes de plusieurs notables, les Gabinii, les Magnii et les Licinii, entre autres.
27 Bien que tous les membres connus soient devenus citoyens, toujours, semble-t-il. dans le cadre de la ciuitas (Q. Nahanius Martialis qui épousa une femme originaire de la cité : Totonia Rosula : CIL, VIII, 27078 = MAD, no 848 ; Nahania Saturnina, fille d'Honoratus : CIL, VIII, 1528 = MAD, no 851 ; Nahania Saturnina, fille de Ianuarius : CIL, VIII, 1527 = MAD, no 852). Le gentilice n’est pas représenté en dehors de Thugga où il apparaît à six reprise parmi les épitaphes et une fois, transformé en surnom, dans la dédicace du temple de Pietas [no 84|. Pour J.Toutain, il aurait une origine punique (1895, 181).
28 Le renouvellement des élites est rapide, elles sont rarement connues sur plus de deux générations ; "des sept ou huit grandes familles datables de l'époque sévérienne, deux ou trois seulement avaient déjà une position prépondérante au siècle précédent”, Jacques 1984, 543.
29 Infra, p. 336-337.
30 Bases très semblables en dehors de leur mouluration, dédiées à Q. Marcius Maximus (CIL,.. VIII, 26605 = DFH, no 81. fig. 143-144) et à ses fils, C. Marcius Clemens (CIL, VIII, 26604 = DFH, no 82, fig. 145-146) et à L. Marcius Simplex (CIL, VIII, 26609 = DFH, no 83, fig. 147).
31 CIL, VIII, 26612.
32 Jacques 1984, 544.
33 Nanneia Instania Fida [no 30], L. Instanius Fortunatus [no 15] et L. Instanius Commodus Asicius Adiutori (CIL, VIII, 26601).
34 L. Instanius Ausonius (CIL, VIII, 26925 = MAD, no 532), L. Instanius Ingenuus (CIL, VIII, 26926 = MAD, no 533), l'esclave Instania Prote (CIL, VIII, 26927 = MAD, no 534) et Instania Vera (CIL. VIII, 26928 = MAD, no 535).
35 Lassère 1977, 180.
36 Dupuis 1993, 70.
37 La Papiria a été octroyée aux nouveaux citoyens de la ciuitas Aurelia Thugga par Marc-Aurèle à l'occasion d'une promotion institutionnelle ; les tribules de la Quirina changèrent aussi certainement de tribu à ce moment (cf. Aounallah & Maurin 2000, 156 ; infra, p. 144-145).
38 CIL, VIII, 27011 = MAD, no 719.
39 CIL, VIII, 27012 = MAD, no 712.
40 Jacques 1984, 543.
41 Cl. Poinssot 1969, 216-258.
42 L. Poinssot 1913, 97-98 ; Cl. Poinssot 1969, 248. Il n'y a pas de mention de flamines au ier siècle dans les autres ciuitates juxtaposées à des pagi de Carthage.
43 Maurin & Aounallah 2000, 310.
44 A Rusicade, liée à Cirta et à César, un flamine était attaché aussi au culte de diuus Iulius (ILAlg, II. 1, 36).
45 Par des Carthaginois originaires de Thugga qui furent flam. diui Aug. CIK, en particulier les fils Marcii (CIL, VIII, 26528 ; 26598 ; 26606 ; 26607 ; 26609 ; 26624). Il faut noter qu'aucune de ces prêtrises ne paraît antérieure au règne d'Antonin. De nombreuses autres prêtrises carthaginoises sont attestées dans la cité : l'augurat, le pontificat et des flaminats attachés à un diuus particulier (Pflaum 1970, 76).
46 CIL, VIII, 11114.
47 Infra, p. 69, n. 71.
48 D'ailleurs, le culte impérial était pratiqué dans des ciuitates dont le flamine était un pérégrin, comme à Lepcis Magna (IRT, 319) ou Thagura (ILAlg, I, 1026). Dans ces communautés, le flaminat correspondait probablement à une prêtrise d'origine punique récupérée et adaptée au culte impérial romain (Pflaum 1976, 156).
49 Infra, p. 68.
50 Un seul prêtre carthaginois est connu au ier siècle à Thugga : M. Licinius Rufus, flam(en) perp(etuus) Aug(usti) c(oloniae) I(uliae) K(arthaginis) : AE, 1969-1970, 649, 651-653.
51 Datation établie par S. Aounallah entre 100 et 120, d’après les critères de la graphie, de l'onomastique et du formulaire (1997, 94).
52 Lors d'une mauvaise récolte qui lit grimper le prix du blé, Calpurnius Faustinus vendit le sien à ses concitoyens à un cours inférieur à celui de l'annone ; l'inscription est donc en tout cas antérieure au reserit de Marc Aurèle et Lucius Verus interdisant cette pratique (sur ce point : Aounallah & Ben Abdallah 1997, 81 ; Ben Abdallah 2000, 193).
53 Étienne 1958, 237.
54 Pflaum 1976. 156.
55 C. Marius Clemens, flumen diui Vespasiani la c(oloniae) C(oncordiae) I(uliae) K(arthaginis) : CIL, VIII, 26604 ; A. Gabinius Datus filius, flamen diui Titi CIK : [no 19] ; Sextus Pullaienus Florus Caecilianus, flamen perpetuus CIK : CIL, VIII, 26615.
56 Le seul porté par les prêtresses du culte impérial, quand elles n'étaient pas attachées à une impératrice. Ce dernier cas était, du reste, très rare en Afrique, puisque, hormis la mention d'une flaminique de Livie à Cirta (infra, p. 69, n. 71), seule Diua Plotina semble avoir eu sa propre prêtresse à Carpi (CIL, VIII, 993).
57 Précisons qu'elle n'a pas pu recevoir son titre de flaminique en sa qualité d'épouse d'un damine car elle était mariée à un autre affranchi de M. Licinius Rufus qui, d’après les deux inscriptions qui le mentionnent, ne fut jamais prêtre. On connaît un seul autre exemple d’un affranchi devenu flamen en Afrique : il s’agit de L. Annaeus Hermes qui dédia une statue au Genius d'Antonin (CIL, VIII, 16368, d’Aubuzza) ; dans ce cas, le titre ne se référait pas référence à un flaminat municipal, mais à un culte pratiqué au sein d'une gens dont le nom n'est plus lisible (cf. Pflaum 1976, 159 contra Bassignano 1974, 140-141).
58 On connaît d'autres couples de flamines (à Timgad par exemple, les flaminiques Flavia Procilla et Cornelia Valentina Tucciana étaient mariées aux flamines M. Caelius Saturninus et M. Plotius Faustus : CIL, VIII, 2396-2399 ; 2403 ; cf. Pavis d'Escurac 1980, 184).
59 Kajanto 1965, 210.
60 Infra, p. 57.
61 CIL, VIII, 26121, datée de 170. Nous donnons le texte de cette inscription sur laquelle nous reviendrons à d'autres occasions : [I]oui Optimo Maximo, Iunoni Reginae, Mineruae Augustae sacrum. /[P]ro salute Imp(eratoris) Caes(aris) M(arci) Aureli(i) Antonini Aug(usti), Armeniaci, Medici, Parth(ici) Max(imi), pont(ificis) max(imi), trib(unicia) pot(estate) XXIIII, Imp(eratoris) V, co(n)s(ulis) III, p(atris) p(atriae), liberorumq(ue) eius totiusque domus diuinae,/[L(ucius)] Memmius Pecuarius Marcellinus, cum suo et L(uci) Memmi(i) Marcelli Pecuariani, decurionis c(oloniae) I(uliae) K(arthaginis), flaminis diui Neruae designati, filii sui nomine templum Capitoli liberalitate sua/[f]aciendum ex HS XX mil n. in patriae suae, pago et ciuitati Numlulitanae, promisisset et, ob honorem flamoni Iuniae Saturninae, uxoris suae, ex decreto utri usque ordinis HS IIII mil. n. in id/opus [e]rogass[etl, multiplicata pecunia solo suo extruxit, et marmoribus et statuis omniq(ue) cultu exornauit, itemq(ue) dedicauit, ob quam dedicationem decurionibus utriusq(ue) ordinis sportulas,/item populo epulum et gymnasium dedit, praeterea exigente annona frumenta quantacumq(ue) habuit populo multo minore pretio quam tunc erat benignissime praestitit, item ludos scaenicos et gymnasia absidue dedit.
62 Le Glay 1990a, 77-88 ; id. 1991, 120-122 ; Hurlet 2000, 348, n. 194-195.
63 Le sanctuaire de Caelestis, le capitole, les templa Concordiae, le temple de Mercure, ceux de Minerve I, de Tellus, et de Fortuna, Venus Concordia et Mercure ; probablement aussi les sanctuaires d'Esculape et de Saturne.
64 Il s'agit en fait de deux sommes honoraires promises par les parents, on ne sait pas si elles étaient équivalentes.
65 On ne peut dissocier ce don d’une statue jumelle représentant Marc-Aurèle, que Nanneia Instania Fida offrit à la même occasion (ILAfr, 561) ; chacune valait donc 15 000 sesterces.
66 Il faut déduire des 10 000 sesterces légués par Q. Vinnicius Genialis, le vingtième prélevé sur les héritages, alimentant 1'aerarium militare, soit 500 sesterces (infra, p. 90, n. 175).
67 A Thuburbo Maius, au contraire, aucune construction de sanctuaire ne fut finançée par une summa honoraria et tous ont été librement offerts par des particuliers : ceux de Saturne (ILAfr, 255 ; CIL, VIII, 23983), de Mercure (AE, 1961, 71 = AE, 1964, 198) et de Frugifer (ILAfr, 238), ou aux frais de la cité : le capitole et un autre temple de Mercure, respectivement construits en 166-169 et en 211 (ILAfr, 244 : CIL, VIII, 12366).
68 Cinq flamines perpétuels élevèrent ou embellirent sept sanctuaires entre 116 et 165 ; nulle trace épigraphique ou archéologique n’est datée d'une époque antérieure, mais on est certain qu’il s’agit d’un municipe césarien (infra, p. 55, n. 5). En 116. Valerius Fuscus fit élever un portique et une chapelle dans le temple de Cérès et dans celui de Dis Pater (AE, 1968, 599). Sous Trajan encore, L. Iulius Florus fit élever un temple à Pluton (AE, 1968, 594), enrichi de vases cultuels en argent par C. Iulius Placidus, en 117 (AE, 1968, 586). La même année, ce dernier fit aussi édifier le temple d'Apollon (AE, 1968, 587) et embellit celui d’Esculape (AE, 1968, 586). Vers 145, M. Cornelius Laetus, prêtre de Caelestis et d’Esculape, fit restaurer et embellir le temple de Caelestis, travaux qu’il dédia à Pluton Frugifer, génie de la cité (AE, 1968, 595), puis il fit édifier celui de Tellus (AE, 1968, 596). Entre 164 et 165, l’héritier du centurion C. Iulius Galba construisit le temple de Fortuna avec l’argent légué par son frère et celui de sa somme honoraire (CIL, VIII, 15576).
69 Les flamines de Verecunda adressèrent leurs dédicaces au Genius sanctissimus ordinis, au Génie du uicus, à I(upiter) O(ptimus) M(aximus), *conseruntor de Caracalla et Iulia Domna, à Iuno Concordia Augusta, à la Victoria Germanica de Caracalla ; les noms de deux autres divinités n'ont pas été conservés (recensées dans Le Glay 1990a, 85, n. 14).
70 En 106 ou en 107, un flamine perpétuel pérégrin lit élever 1'aedes Augustorum d'Uzae (ILTun, 148) et, entre 118 et 138, à Madaure, on édifia une aedes Diuorum (ILAlg, I, 2082). Trois temples du Numen d'Hadrien sont connus par leurs dédicaces trouvées à Hippo Regius (ILAlg, I, 3991). à Thagura (ILAlg, I, 1028) et à Ttpasa (ILAIg, I, 1984). D'après la découvertes de statues impériales automnes, dont une colossale, le monument à trois cellae de Thysdrus était peut-être consacré au culte impérial (Slim 2001, 161-180). En 158, à Volubilis, les cultores de la Domus Diuina firent ériger un temple dédié à Antonin (CIL, VIII, 21825) ; enfin, à Sabratha, le temple des Antonins fut dédié entre 166 et 169 (IRT, 21).
71 Voir en particulier Hurlet 2000, 314-325.
72 Étienne 1958, 344 ; Fears 1981a, 886-889 ; Fishwick 1991,447.
73 Suet., Aug., 7.
74 D.C. 53.16.8.
75 Suet., Tib., 26.
76 Fishwick 1991,446, 449 ; Clauss 1999, 282.
77 Nock 1925, 91-92 ; Fears 1981, 796 ; Fichwick 1991, 446-448.
78 Ainsi, on ne voit pas vraiment ce qui aurait distingué, par exemple, la Pax Augusta, désignant la paix impériale, de la Pax Augusti qui serait la capacité de l'empereur régnant à procurer ou maintenir la paix. Non seulement le nom d'une abstraction divinisée, mais même celui d'un dieu, ce qui est plus difficile à comprendre encore, pouvait être indifféremment suivi du substantif ou de l'adjectif (Nock 1925, 91 ; Fishwick 1991, 446) ; ce fut le cas d’Hercule qui fut aussi bien invoqué comme Augustus (CIL, III, 3390) que comme Augusti (CIL, III, 3305).
79 Nock 1925, 84-101 ; Fishwick 1991,446-447, 462-463 ; Clauss 1999, 284-285.
80 Fishwick 1991, 446.
81 Sur leurs rapports avec l'empereur : Étienne 1958, 319-334 ; Fears 1981, 736-826 ; 1981a, 827-948 ; Fishwick 1991,464-474 ; Clauss 1999, 283-284.
82 Étienne 1958, 334.
83 Fears 1981a, 889-910.
84 Pour l’ensemble de la province et de la période, les indices des textes africains ne recensent guère que deux dédicaces à Aeternitas Augustorum, une à Disciplina et deux à Disciplina militaris, six à Virtus, deux à Honos et Virtus Aug., une à Virtus et Patientia, une à Indulgentia domini nostri, une à Pax Aug., une à Securitas Saeculi et deux à Pax Aeterna Aug.
85 Sur Concordia, infra, p. 145, 153-154, 156-157 ; sur Fortuna, infra, p. 158 ; sur Victoria, infra, p. 171-174.
86 Infra, p. 97.
87 Il s'agit d'une inscription gravée sur une frise à soffite, non datée, trouvée à Sicca Veneria (CIL, VIII, 15849). R. Cagnat et P. Gauckler (1898, 75) l'ont attribuée, à un temple tétrastyle. Ils replacent le fragment au-dessus du portique de façade dont ils évaluent la longueur totale à environ 5 m d’après la longeur du fragment conservé, soit un monument plus petit encore que le temple de Thugga. Il a été trouvé avec une dédicace à Virtus gravée sur un support semblable (CIL, VIII, 15850). Ils pourraient provenir de deux chapelles ou petits temples symétriques (Jouffroy 1986, 211). Le culte de la Piété n’a pas laissé d'autres traces en Afrique où l'on ignore tout de sa forme et de son développement.
88 Étienne 1958, 344 ; Fishwick 1991,449.
89 Dans le reste de la province, si de rares dédicaces pro salute apparaissent sous Nerva (très cantonnées dans les vallées qui s'étendent de Carthage à la région des pagi), la majorité date des iie et iiie siècle, avec un succès culminant sous les Sévères (Smadja 1985, 542-543, avec une carte de la répartition géographique et chronologique des inscriptions). D’après les listes établies par H. Jouffroy, on constate que le nom de l’empereur, au génitif ou plus rarement, au datif, est présent sur 70 des 96 dédicaces de temples publics élevés auIIe siècle (1986, 209-216) ; c’est le cas de 58 des 74 dédicaces datées de la période sévérienne à la fin du iiie siècles (ead., 250-258).
90 Dans le temple de Saturne bâti et restauré par la ciuitas Thuggensis [no 85-86], comme dans celui de Venus Concordia dédié par une flaminique perpétuelle [no 47], la formule est absente.
91 Plin., Ep.Tra., 67.3-8 ; 68.1.5 ; Tert., Apologo 28.3-4 ; 29.4 ; 30.1-4 ; cf. Le Glay, 1966a, 250.
92 Saumagne 1955, 250.
93 Le Glay 1966a, 250.
94 Étienne 1958, 288.
95 Ceux de Cuicul, entre 100 et 150 (P.-A. Février 1964, 8) ; de Thamugadi où. à la fin du IIe siècle, on construisit aussi un capitole et un autre temple (Lassus 1963, 244-247) ; d'Althiburos, sous les Antonins (Merlin 1913, 6-33) ; de Thuburbo Maius, en 161-180 (ILAfr, 244 + ILTun, 696, cf. Merlin 1922) ; de Sufetula, sous les Antonins (Merlin 1912, 6-25) ; de Gigthis (Ferchiou 1981,65-74) ; de Mactaris (G. Charles-Picard 1953, 80-82) ; de Thubursicu Numidarum (Sassy 1953, 109-115, 161-169).
96 Vitr. 1.7.1 : aedibus uero sacris, quorum deorum in tutela ciuitas uidetur esse, et Ioui et Iunoni et Mineruae, in eccelsissimo loco unde moenium maxima pars conspiciatur areae distribuantur.
97 Dans le capitole de Thugga, comme dans presque tous ceux d'Afrique, Jupiter et Junon furent Optimus, Maximus et Regina [no 9]. On note comme seules exceptions les dédicaces des Capitoles de Segermes. Thamugadi et Sicca Veneria, où IOM est appelé conseruator (infra, p. 92, n. 188) et de celui de Sustri, où Minerve était remplacée par Fortuna (CIL, VIII, 25935) ; mais les autres dédicaces de la province, dont il faut rappeler que le nombre est exceptionnel, sont tout à fait traditionnelles, l'épithète capitolinus insistant encore sur la personnalité de IOM à l'occasion (CIL., VIII, 16369. d’Aubuzza).
98 Sur la définition de ces édifices, voir en dernier lieu Barton 1982, 260-262.
99 Hiesel & Strocka 2002, 73.
100 L. Poinssot 1919, 190 ; Dohna 1997, 466-467 ; infra, p. 304, fig. 27.
101 Jacques 1984, 736.
102 ILAlg, I, 1229.
103 Les modèles les plus célèbres sont certainement la statue chryséléphantine de Zeus, exécutée par Phidias et qui trônait dans le temple d'Olympie (Strab. 8.3.30). le colosse de Rhodes (Strab. 14.2.5 ; Plin., HN, 34.41) ou le Jupiter de Tarente, oeuvre de Lysippe (Strab. 6.3.1 ; Plin., HN, 36.18).
104 Sur un revers monétaire de Teos, en Asie Mineure, une tête colossale de l'empereur occupe tout l'intérieur d'un temple (sur les colosses impériaux, cf. Clauss 1999, 306-309 dont sont extraites les références qui suivent).
105 L'empereur, qui possédait un prêtre, un culte et une statue colossale dans le temple de Castor et Pollux (Suet., Calig., 22 : consistens saepe inter fratres deos), fit venir de Grèce les plus célèbres statues, dont celle du Jupiter d'Olympie, et dévissa leurs têtes pour y placer la sienne. Se trouvant devant une statue de Jupiter, il fit fouetter un acteur qui hésitait à lui répondre qui, de l’empereur ou du dieu, était le plus grand (id., 33).
106 Tac., Ann., 13.8.1.
107 Érigées par Manlia Macrina en exécution du testament de sa fille, Anicia Pudentilla (IRT, 22 et 91 ; cf. Jacques 1975, 178-179). A Rusicade, entre 218 et 235, une statue de Victoria et une autre d'Hercule ont également coûté 30 000 sesterces et plus à deux éminents décurions des IIII colonies, mais elles furent érigées cum tetrastylo (ILAlg. II. 1, 10 et 34), élément qui doit désigner le portique de façade d'un édicule ou d'une exèdre.
108 Plusieurs auteurs l'ont identifié comme un capitole (Cagiano de Azevedo 1941, 47-48 : Romanelli 1970, 120), d'après sa position frontale sur toute la largeur occidentale du forum, la découverte d'une stèle dédiée à IOM (IRT,. 10) et de deux bustes de Concordia et Jupiter, offerts par Africanus (IRT, 4 ; 9 ; infra, p. 91, n. 181) ; cette dernière aurait remplacé Junon ou Minerve dans la triade capitoline. Il faut noter cependant que la division tripartite de la cella n'est pas établie et que seul Jupiter représente pour l'instant la triade.
109 D'après la découverte d'une petite frise augustéenne (IRT, 14 ; cf. Cagiano de Azevedo 1941,47-48).
110 Cf. Brouquier-Reddé 1992,36.
111 Barton 1982, 301-302.
112 Ce qui n'est cependant qu'une hypothèse, cf. Gascon 1972, 82. Des duovirs ne sont attestés à Sabratha qu'à partir de 175-180 (IRT, 23) et le temple dédié au Genius coloniae n'est pas antérieur à la fin du IIe ou au début du iiie siècle (IRT, 6).
113 Sur cet ensemble public : Constans 1916a.
114 Sur la chronologie du sinistre et des travaux édilitaires de l'ensemble, cf. les conclusions de P. Gros, fondées sur la concordance des sources littéraires, épigraphiques et archéologiques (Byrsa III. 141-147).
115 Les analyses concordent pour le dater très peu de temps après le séisme qui ravagea la Lycie, la Carie et Rhodes en 142-143 (Paus. 8.43.4 ; cf. Gros, Byrsa III. 146).
116 A propos de cet incendie, l'Histoire Auguste n'évoque que le forum : "Carthaginiense forum arsit” (SHA. Vit. Pii, 9.2), alors qu'Aurelius Victor ne donne pas de précision topographique : “Carthago. quem ignis foede consumpserat” (Epitome de Caesoribus, 16.10).
117 De plus, le forum était orné d'une statue décrétée et offerte par la colonie à Pompeius Vopiscus (AE. 1980, 426), proconsul d'Afrique, peut-être sous le règne d’Antonin (cf. Thomasson 1996, 99, no 141), manifestement parce qu'il s'était monté un évergète généreux et un magistrat rigoureux dans sa gestion des travaux publics (cf. Gros, Byrsa III. 143-145).
118 D'après Aurelius Victor qui classe Carthage parmi les cités repositae ornataeque par Marc Aurèle (Epitome de Caesoribus. 15.10).
119 Sur Byrsa au ier siècle, infra, p. 82 et fig. 2. Les conclusions des études archéologique et architectonique sur la basilique attribuent son dernier état au troisième quart du iie siècle p.C. ; sur l'organisation de la basilique et son implantation, cf. Gros, Byrsa. III, 45-112, 147-157 ; id. 1982, 636-658.
120 1,60 m de haut, soit une hauteur totale qui devait avoisiner 8 m (Romanelli 1970, 292). Il s'agit d'un portrait officiel qui, d'après ses dimensions, la qualité du matériau et du modelé, fut probablement façonné, sinon à Rome, du moins par une équipe déléguée spécialement sur place à cet effet (Gros 1995, 49).
121 La basilique est de plan classique tripartite ; elle est partiellement élevée sur le remblai de la pente et toute la nef orientale repose sur des substructures vides qui ne pouvaient supporter le poids de deux statues colossales. Celles-ci ne s'élevaient donc pas, comme c'est la règle, dans une abside face à l'entrée axiale, mais aux extrémités latérales sud et nord de la basilique, cf. Gros 1995, 53-55
122 Plutôt que Faustine la Jeune, cf. Gros 1995, 47.
123 G. Charles-Picard 1950, 67-94 ; id. 1957a, 436-437, contra Tillessen 1978, qui l'interprète comme un hommage à la victoire d'Antonin contre les Maures.
124 La scène fut identifiée comme l'apothéose d'un empereur dès le voyage de Temple en 1835 (cf. Saladin 1892, 501 ; Cagnat & Gauckler 1898, 2). La dédicace du monument pour le salut de Marc Aurèle et de Lucius Verus impose d’identifier le diuus à Antonin le Pieux. Sur ce fronton : Cagiano de Azevedo 1941, 53 ; Floriani-Squarciapino 1941-42, 213 ; Barton 1982, 317. Le piédestal de la colonne antonine de Rome porte une représentation d'Antonin le Pieux et de Faustine lors de leur divinisation, emportés sur un génie ailé et accompagnés des aigles envolés du bûcher. Sur des scènes d'apothéoses antérieures et similaires, cf. Dolina 1997, 472-473.
125 A proximité peut-être et sur le forum en tout cas, se trouvait aussi une dédicace à diuus Antoninus, exécutée par les deux ordres décurionnaux [no 29], en même temps qu'une dédicace à Faustine, gravée sur une base jumelle (CIL, VIII, 26532).
126 Lors des sacrifices majeurs dans le sanctuaire de Dea Dia, les frères Arvales sacrifiaient d’abord aux dieux majeurs, puis aux dieux mineurs et en dernier seulement, aux diui (Scheid 1995, 426-428). Sur la hiérarchisation des espaces cultuels dans un même ensemble lorsque les empereurs, vivants ou divinisés, y étaient vénérés, cf. Price 1986, 146-156 ; Scheid 1995, 424-430.
127 De même qu'à Bulla Regia, le voile que portaient Lucille et Crispine les assimilaient à Cérès ; les impératrices se tenaient aux côtés de Marc Aurèle et Lucius Verus, couronnés de lauriers et représentés dans la nudité héroïque (infra, p. 106, n. 278).
128 Malheureusement, n’ayant pas revu cette pierre, il n’est pas possible d’en dire autant d’après ses critères externes. Elle avait été transportée à Hr-es-Zaouia avec d’autres pierres provenant du forum (infra, p. 312, 324).
129 Wissowa2 1912, 183 ; Latte, RE XIII.2, 1927, s.v. Lucina, col. 1648-1651 ; Dumézil 1974, II, 303.
130 Faustine l'Ancienne : BMC, Antonin, 342-345, 484, pl. 10.16 ; Faustine la Jeune : BMC, Marc Aurèle & Lucius Verus, 116-117, pl. 55.12 où elle est représentée entourée d'enfant ; Lucille : BMC, Marc Aurèle & Lucius Verus, 153-154 ; Crispine : BMC, Commode, 433.
131 Les hommages à A. Gabinius Datus pater (ILAfr, 569), à A. Gabinius Datus filius (ILAfr, 569 et peutêtre ILTun, 1513, brisée en bas) et à M. Gabinius Bassus (ILTun, 1512) trônaient dans la cour des templa où était également honorée leur mère. Gabinia Beata (ILTun. 1511) dont la base honorifique a été retrouvée à proximité, dans le frigidarium des thermes antoniniens.
132 Infra, p. 121. n. 39.
133 1984, 547. P. Duncan-Jones l'évalue à 150 000 sesterces (1974, 73, 91), ce qui semble peu en comparaison des théâtres de Calama et Madaure, élevés pour 375 000 et 400 000 sesterces (ILAlg, I, 286 et 2121 ; cf. Duncan-Jones 1962, 80). Cependant, F. Jacques nuance son évaluation de 400 000 sesterces en notant que les substructures de ces deux derniers monuments sont plus importantes, donc plus coûteuses, que celles du théâtre de Thugga, adossé à la colline.
134 CIL, VIII, 18226-18227 : HS DC m(ilibus) [n(ummum) --- f]aciendam curauit.
135 MAL 2, 355 : K[apitoliu]m ex HS C[CC] milib (...) [ceter]isque ormame[ntis perfecit].
136 Soit 20 000 HS libéralement offerts par le père et le fils et 40 000 HS versés ob honorem pour le flaminat de la mère ; cette somme fut accrue d’une multiplicata pecunia d'un montant inconnu (CIL, VIII, 26121 ; infra, p. 127, n. 71).
137 Ferchiou 1984, 115-123.
138 Leurs superficies totales couvrent respectivement 286 et 139,5 m2 ; leurs cellae 132 et 63,5 m2 (d'après le tableau comparatif donné dans Barton 1982, 330-331).
139 Ferchiou 1984, 122.
140 C'est le cas de Bisica. de Zuccharis, de la ciuitas Se[---], de Thagura et d'Urusi. Bisica possédait un capitole depuis Antonin, dédié sous le sufétat de deux magistrats locaux (CIL, VIII, 23876). Le capitole de Zucchar date d'Hadrien (CIL, VIII, 11 198), alors que la cité était encore pérégrine sous Gordien (Gascou 1972, 27). Le capitole de Thagura fut dédié par un flamine perpétuel, l’année du sufétat d’un personnage désigné par la double filiation sémitique (ILAlg, I. 1026) et c’est également à une date précisée par la mention de ses sufètes que la ciuitas Se[---], à Hr-Damous, dédia son capitole sous Antonin (AE, 1993, 1715). Enfin, le temple de Junon et le sanctuaire de Jupiter, édifiés et dédiés ensemble sous Commode, tenaient peut-être lieu de capitole à la ciuitas Urusitana (CIL, VIII, 12014) et, sous le règne d’Antonin, l’année du sufétat de deux personnages dont l’onomastique révèle l’ascendance libyque. la ciuitas de Bisica s’acquitta d’un voeu en faisant élever un temple à Jupiter, Junon et Minerve (CIL, VIII, 23876).
141 S’il faut généralement souvent invoquer le hasard des découvertes épigraphiques et archéologique pour expliquer l’absence de capitole dans un municipe où une colonie, on constate que dans d’autres cités, ils n’avaient tout simplement pas été prévus. Ainsi, le capitole de Thamugadi fut bâti un siècle après la fondation coloniale, à l’écart du forum originel et même, à l’extérieur de la ville (Barton 1982, 286). Soixante à quatre-vingts ans séparent les promotions municipales d'Althiburos et Mopth de la construction de leur capitole. Althihuros est un muncipe d’Hadrien, appelé conditor municipii sur un des arcs de la cité (CIL. VIII, 27775a-c ; cf. Merlin 1913, 48), mais le capitole ne fut dédié qu’entre 180 et 192 (CIL, VIII, 27769) ; quant à celui de Mopth[---] (Mons), fondée par Trajan (Gascou 1972, 110), il est daté de 198/211 (AE. 1950, 136).
142 Infra, p. 135, n. 1 18.
143 Romanelli 1959, 420, 433 (Gascou 1972, 189.
144 CIL, VIII, 14369 + ILAfr, 435 + ILTun 1206.
145 Ou peut-être commodien, Gascou 1972, 201.
146 CIL. VIII, 25500.
147 Infra, p. 241-242, n. 14.
148 Beschaouch 1996,252.
149 ILAlg, I. 1240 ; Gascou 1972, 104.
150 ILAlg, I, 1230-1233 ; sur l’appartenance de ces textes à un capitole. infra, p. 244.
151 Gascou 1972, 156-157.
152 CIL, VIII, 4195.
153 Cl. Poinssot 1962, 73 ; Gascou 1972, 160 ; Dhona 1997, 470 ; Maurin 2000, 88.
154 CIL, VIII, 26528b = DFH. no 52. Sur cette inscription, L. Poinssot 1911,496-503 ; id. 1913, 65-66 ; Gascon 1972, 159-160 ; id. 1982a, 151-152 ; Maurin 2000, 149. Marc Aurèle est seul cité, mais à la 1. 8 du texte, le pluriel eorum pour désigner les bienfaiteurs indique que Lucius Verus avait reçu une dédicace jumelle.
155 Infra, p. 339, n. 91.
156 Ce droit ne fut étendu automatiquement aux collegia licita que plus tard, par un senatus-consulte pris, d'après Paul (Digeste, 34.5.20), sous le règne du seul Marc Aurèle ; cf. Gascou 1972, 159, n. 3.
157 Après le point mort du règne d’Antonin (Gascou 1972, 144), la municipalisation de l'Afrique reprit avec Marc Aurèle et Lucius Verus qui, outre leur action dans la région des pagi, se préoccupèrent en particulier des cités du Cap Bon (Aounallah 2001, 227), du Haut-Tell, ainsi que de la Numidie centrale et méridionale (Gascou 1972, 158-160). Les cités se montrèrent extrêmement reconnaissantes envers les deux empereurs, leurs épouses et leur descendance dont la popularité ne fut supplantée que par celle des Sévères et ils firent l'objet de nombreuses dédicaces publiques, plus de quatre-vingt-dix, qui furent gravées pour la plupart sous le règne commun des deux empereurs, entre 161 et 169 (cf. Huriet 2000, 318-320).
158 Infra, p. 127, n. 71.
159 Gascou 1972, 161-162.
160 Maurin 2000, 90-91.
161 Infra, p. 92.
162 Infra, p. 308-312.
163 Infra, p. 23.
164 Infra, p. 94, n. 196
165 Sur les différentes origines orientales de la divinité, cf. G. Charles-Picard 1954, 24, 125-127 ; Benabou 1976, 360-362 ; Xella 1990, 131-139.
166 D'après N. Benseddik, la répartition de ces documents paraît définir deux zones d'influence autour de Carthage d'une part et de Lambèse de l’autre, correspondant à la diffusion de deux types iconographiques distincts (1997, 143-154). Selon l'auteur, les caractéristiques d'Esculape africain et de sa parèdre sont surtout marquées par la présence d'attributs comme la couronne végétale gemmée, qui, certes, appartiennent traditionnellement au dieu classique, mais qui ne se rencontrent que dans le registre iconographique d'Afrique (ead. 149). Cependant, elle ne précise pas ce qui lui permet d'attribuer l'Esculape de Dougga au type iconographique qu'elle appelle “de Tunis”, car à notre connaissance, aucun fragment statuaire n'en a été retrouvé.
167 AE, 1968, 553. A cause de ce texte en particulier, Robert dénie un possible syncrétisme entre Esculape et une divinité punique (1982, 231), alors qu'au contraire, il le souligne.
168 App. 8.130.621.
169 Xella 1990, 131-139.
170 Apul., Fl., 18.37.
171 App. 8.131.
172 Par un légat de la XIIIe Gemina stationnée en Dacie, Olus Terentius Pudens Vttedianus, avant son départ pour Apulum (Carlsburg) où il venait d'être nommé gouverneur de Rhétie (CIL, III, 993). En Afrique, les cultes de Caelestis et Esculape furent parfois desservis par un prêtre commun, comme M. Cornelius Laetus à Mustis (CIL VIII, 16417).
173 CIL, VIII, 26625 + ILTun, 1438 : [---sacerdoti]/Aesculapi, ob eximiam/eius liberalitatem,/pagus et ciuitas Aurelia/Thugga, d(ecreto) d(ecurionum), p(ecunia) p(ublica).
174 Le monument se présente comme une base complète dont manquent les premières lignes qui ont été soigneusement effacées. On connaît deux dédicaces honorifiques présentant un aspect semblable, adressées à [---] Gabinius Octavius Festus Sufetianus, tribule de l'Arnensis, prêtre d’Esculape et de Jupiter (CIL, VIII, 26624 + ILTun. 1438 = DFH. no 53 et CIL, VIII, 26598 + ILTun, 1429 = DFH, no 54). Du fait de leur similitude et de la mention dans les trois textes du nom d'Esculape, P. Gauckler les avait tous attribués à ce notable (1905a, 301). Or, L. Poinssot ajustement remarqué que les deux derniers textes ont subi les avatars de la damnatio memoriae et que le nom du Carthaginois y a été martelé alors que le premier texte a été partiellement effacé, sur toute la surface de la base laissée visible lors d’un remploi postérieur (1913, 103-104). Il ne s'agissait pas du même personnage. [---] Gabinius Octavius Festus Sufetianus a été, sous Commode, sacerdos Aesculapi et Iouis à Carthage, mais l’autre personnage, qui vécut à la même époque, officia dans le cadre de la cité. Il suffit de remarquer encore que le nom de Jupiter suit toujours celui d'Esculape dans les dédicaces des prêtres de la colonie, ce qui n'est pas le cas ici.
175 Sur les Calpurnii, cf. Aounallah & Ben Abdallah 1997, 77-97 avec un stemma, 94 ; Ben Abdallah 2000, 192-194 ; ead. 2002,651. Sur les deux membres de la famille qui furent flamines d'Auguste perpétuels, infra, p. 125.
176 A cause de promissis qui figure après une lacune, on doit restituer la mention de l'honneur sur le bloc précédent : ob honorem flam(onii)perp(etui) sui, expression dont le nombre de lettres correspond à la moyenne des autres blocs. Signalons que L. Poinssot a publié de petits fragments de la dédicace qui, jugés de “minime importance’’, n’ont pas été repris dans les ILTun (1913, 46, no 85) ; or, l’un de ces fragments permet de proposer une restitution différente de celle qui a été proposée par S. Aounallah et Z. Ben Abdallah (1997, 84-85, no 5), il porte les lettres MPER. Les auteurs l’utilisent pour compléter la titulature de Lucius Verus : [I]mperatoris ; si l’on tient compte du fait que le lapicide n'a pas toujours laissé d'espace entre les mots, on peut également restituer [fla]m(onii) per[p(etui)].
177 CIL. VIII, 26594.
178 Cette tribu est précisément celle de Marc Aurèle (Kubitschek 1889, 138) ; le premier diminuir de Vina, municipe de cet empereur, était tribule de la Papi ria (Gascon 1972, 145).
179 Le premier tribuie connu est Q. Calpurnius Rogatianus, entre 161 et 168 (AE, 1966, 512). La Papiria ne se rapporte donc pas à la création municipale de Septime Sévère, comme on l'avait supposé (Cl. Poinssot 1966, 777). Sur cette tribu à Thugga, cf. Aounallah & Maurin 2000, 156.
180 Et non de Commode, comme l'avait proposé L. Poinssot. Son hypothèse était fondée sur la découverte d'une dédicace à Commode dont le nom fut martelé et regravé (ILAfr, 524). L'auteur a pensé reconnaître la trace de l’érasure d'Aurélia après le nom de la ciuitas et en a déduit que l’épithète se rapportait à l'empereur condamné (1912. 496-503). En fait, la pierre est cassée presque immédiatement après ciuitas et a été retaillée et polie pour un remploi ; il n'y avait certainement pas de martelage (Maurin 2000, 31). L'épithète Aurelia est d'ailleurs toujours appliquée aux créations municipales de Marc Aurèle (pour Mustis, cf. Beschaouch 1968, 146 ; en Dacie, Apulum et Napoca, municipe et colonie de cet empereur portent l'épithète Aurelium/Aurelia, cf. Gascon 1972, 144) alors que les titulatures des cités promues par Commode s’ornent des épithètes Commodi(an)um/Commodi(an)a (Thuburbo Maius, par exemple, Gascon 1972, 142-143).
181 Maurin 2000, 156.
182 Bien qu'on ne puisse exclure, en raison de la mutilation du texte, que le pagus était également concerné par le don ; sur la restitution de la formule in [amorem] ciuitatis su[ae], infra, p. 89.
183 CIL. VIII, 2342.
184 ILAlg, II, 1, 471.
185 ILAfr, 236.
186 ILAfr, 252. Une dédicace beaucoup plus tardive signale la construction d’une aedes Curialis Concordiae par la ciuitas de Gales, sous le règne de Maximin (CIL VIII, 757., cf. 12221).
187 CIL, VIII, 15447 ; cf. Sanna 1997, 199-200.
188 IRT, 318 ; 321-323 ; 347. Cf. aussi la statue de Concordia offerte par Africanus, un pérégrin de Sabratha (IRT, 4 ; infra, p. 91, n. 181).
189 Hurlet 2002, 169.
190 Dédicace aux Dii Deaeque consecrati uniuersi, au numen Iouis, à Siluanus, à Mercure, à Saturne, à Caelestis, à Fortuna, à Victoria Caess(arum) et aux Dii Mauri (CIL, VIII, 9195, cf. AE, 1993, 1781) ; dédicace à Iupite r Optimus Maximus, Iuno Regina, Minerua sancta, Sol Mithra, Hercule, Mars, Mercure, au Genius loci et aux Dii Deaeque omnes (CIL, VIII, 4578).
191 Sur ces temples, infra, p. 222-227.
192 1957, 47.
193 L'aedes Saturni et le templum Caesaris [no 26], appelé aedes lors de sa restauration |no 27].
194 Ce que révèlent d'une manière plus générale les indices des recueils épigraphiques.
195 Varron, Ling. Lat., 6.53 : Efferi templa dicuntur ab auguribus ; effantur qui in his fines sunt.
196 Gel., 14.7.7 : in loco per augurem constituto, quod templum appellatur ; Varron, Ling. Lat., 7.8 : in terris dictum templum locus augurii ; DA, s.v. Inauguratio. 435-436.
197 Sur ce vocabulaire et le rituel de fondation des templa, Scheid 1998, 55-59 ; Gros 1996, 122-123.
198 En revanche, Vitruve qui appelle la surface du podium summum templum (3.3.4), n’utilise jamais le terme pour désigner l'aedes ni la cella intérieure, mais toujours strictement à propos de l’aire d’édification.
199 1984, 3-4, cit. Plin., NH. 36.32 et CIL, VI. 10234.
200 Infra, p. 287-291.
201 Infra, p. 297.
202 Brouquier-Reddé & Saint-Amans 1997, 187.
203 Gruillot. DA, II. s.v. Xystos, Xystus, 1025 ; Ginouvès 1998, 129. A Nîmes, la dédicace très fragmentaire qui mentionne un xyste offert par Caius César à la colonie, concernait un vaste "complexe omnisports" comprenant des thermes, des palestres et des pistes de course (Christol 1998. 77-79).
204 Dédicaces du frons scaenae (CIL. VIII, 26606 = DFH, no 33) et de la summa canea (CIL, VIII. 26528).
205 Carton 1904, 149-162.
206 A Gigthis, dont Liber était deus patrius, son temple s'élevait au centre d'une cour carrée entourée d'un quadriportique et le temple lui-même était ceint sur trois côtés d’un couloir qui a pu servir à la célébration de mystères ; la dédicace, cependant, ne les désigne pas nommément (ILTun, 20 : [Libe]ro Patri A[ug] (...) [are]am mag/nam marmor]eam et arcum eu[m porticibus ?J strauit ; cf. G. Charles-Picard 1954, 194).
207 Infra, p. 103-104.
208 Infra, p. 100.
209 Sur Shadrapa-Dionysos-Liber Pater, cf. Bruhl 1953, 223-239 ; G. Charles-Picard 1954, 92-99. 194-206 ; id. 1979, 83-1 13 ; Le Glay 1966a. 127, 239-241 ; id. 1975, 132-135 ; A. Di Vita 1968, 201-211 ; Benabou 1976, 351-356 ; Foucher 1981,684-702 ; Hanoune 1986, 149-164.
210 Où furent découvertes plusieurs stèles portant la représentation d'un cratère dionysiaque ou du dieuenfant bénissant de la main droite (Hours-Médian 1950, pl. XXII, g et XXXIII, a. b, g).
211 Longue énumération, non exhaustive, de nombreux documents dans Brühl 1953, 223-228 et Jalloul 1992, 1049-1065. Liber Pater a connu en Afrique une ferveur équivalente à celle suscitée par Saturne et dont M. Le Glay a souligné le substrat populaire (1966a, 239).
212 D’après les cartes de diffusion du culte dressées par A. Jalloul (1992, fig. 1-2, 4).
213 Une dédicace en latin et en néo-punique d’un sufète de Lepcis Magna donne l’équivalent de Liber et Shadrapa (IRT, 294).
214 Sur ces caractéristiques, cf. Benabou 1976, 351-356. Rappelons en particulier, que le dieu est souvent accompagné de reptiles qui évoquent son identité originelle, comme le gecko qu’il tient en laisse sur une mosaïque d’El-Jem datée du ive siècle p.C., témoignage de la persistance dans les esprits de sa part d’origine locale (Merlin 1956, 285-300).
215 Le couple est invoqué pour favoriser la fécondité de tous les domaines naturels : végétal, animal et humain ; cf. Bruhl 1953, 17.
216 AE, 1955. 156 =AE, 1956, 163. Sur un autel dédié à Liberet Libera, le dieu est représenté au milieu de symboles dionysiaques (Carcopino 1954, 419-433).
217 CIL, VIII, 10488.
218 Le Glay 1975, 132.
219 Le phénomène, qui commence à se manifester au iie siècle, s'épanouit réellement au iiie siècle, avide d'expériences mystiques, en particulier avec l'avénement de Septime Sévère, originaire de Lepcis Magna dont Liber était un des dieux poliades, et qui encouraga le culte en élevant à Rome un temple public à ses Dii Patrii (Bruh1 1953, 166-167. 191-192). A Cirta, Liber fut honoré comme le Lar paternel de Septime Sévère (ILAlg, II. 1, 487).
220 Foucher 1975, 486 ; Benabou 1976, 355 ; Le Glay 1975, 150.
221 Hanoune 1986. 161.
222 Il ne reste à peu près que la jambe droite du dieu et la patte levée de l'animal (L. Poinssot 1919, 141).
223 Infra, p. 222-224.
224 ILAlg, I, 2131 ; construction que St. Gsell identifie au local réservé à la célébration des mystères. Le culte y est attesté par huit autres textes : ILAlg, I, 2051-2053 ; 2207 ; 2205 ; 2207 ; 2225 ; 2228. Sur ces mystères à Madaure, cf. Apul., Met., 60.9. On sait par saint Augustin que la confrérie n’admettait qu'un petit nombre d'initiés (Epist., 18.4. Lettre à Maxime de Madaure) ; et le même tançait les notables de la cité qui célébraient encore publiquement les Bacchanales sur la place publique (Civ, Dei, 17.4).
225 CIL, VIII, 4681.
226 Foucher 1975, 488.
227 CIL, VIII, 20249.
228 Dans une maison ornée d'un pavement représentant une procession mystique de Dionysos, sans doute construite au IIe siècle. La mosaïque relate l'initiation d'une jeune femme confontée aux différentes épreuves retraçant les épisodes de la vie du dieu, avant d'être admise dans le thiase ; la dernière scène illustre le banquet final (Leschi 1936 ; G. Charles-Picard 1954, 198). La maison présente des dispositions particulières, notamment une aire terminée par une abside et ceinte d'un portique, dans laquelle historiens et archéologues s'accordent à reconnaître un bâtiment réservé à la célébration des mystères (Foucher 1975, 489 ; Le Glay 1975, 133).
229 Les vastes proportions de l’entrée et du triclinium de la maison dite de la Procession dionysiaque indiqueraient qu’elle acceuillait plutôt une confrérie religieuse qu'un particulier, pour des banquets sacrés. D'autre part, dans cette même demeure, une fosse peinte, qui demeurait donc vide et sèche, pouvait représenter la grotte où le dieu fut caché dans son enfance, "décor artificiellement aménagé pour une pantomime mythologique" (Foucher 1975.489).
230 Ce même épisode du mythe était aussi rejoué à Mactar, dans la profonde crypte ménagée sous le pronaos d'un temple identifié à celui de Liber Pater d'après la découverte de fragments statuaires. Il s'agit d'un sanctuaire pré-romain qui comportait déjà une cavité souterraine grossièrement taillée dans le roc ; lorsque le monument fut aménagé au iie siècle p.C. et reçut un podium trapézoïdal, cette grotte fut comblée et remplacée par un caveau voûté en berceau, accessible directement de l’extérieur par deux escaliers latéraux (G. Charles-Picard 1957, 49-52).
231 Ses mystères y auraient été importés par des marins crétois initiés (Le Bohec & Liesenfelt 1974-75, 39).
232 Les Ptolémées d’Égypte et les Attalides de Pergame avaient endossé ce titre qui liait les différentes régions orientales, soumises à une fragile domination, par un culte commun auquel les rois eurent tôt fait de s'associer. Après la victoire de Rome, le culte tomba dans une disgrâce hostile dont il ne sortit en Occident qu’avec le règne de Trajan (G. Charles-Picard 1954, 202 ; Bruhl 1953, 53-57). Mais en Orient, dès le règne de Tibère, le culte de Dionysos apparaît souvent desservi par un prêtre du culte impérial (Bruhl 1953, 185).
233 D.C. 69.1l.l.
234 Sur l’attrait d’Hadrien pour les cultes orientaux mystiques, cf. Beaujeu 1955, 165-174, qui insiste, non seulement sur la piété authentique de l’empereur, mais aussi sur la dimension politique de cette ferveur envers un culte dont la vitalité était florissante au iie siècle en Orient et qui pouvait aisément servir de support au culte impérial. Au deuxième siècle, dans tout l’Occident. Liber Pater fut souvent invoqué pour le salut des Antonins et de leur famille (Bruhl 1953, 190-191).
235 En Grèce déjà, il était un dieu démocratique, parfois associé dans les dédicaces au Demos. A la fin de la République romaine, le temple de l’Aventin où il était honoré face à la triade capitoline avec Libera et Cérès (sur la déesse du parti de César : infra, p. 105-106) devint un enjeu pour la plèbe qui en avait fait le centre de son parti et plusieurs monnayages de cette époque représentent ensemble Liber et Libertas (Bruhl 1953, 41-45).
236 On observe une disposition analogue de la cella sans podium du temple d'Apollon de Bulla Regia où le colosse d'Apollon, surélevé sur un socle au fond de la pièce, était encadré par les statues des Dieux Augustes, Cérès et Esculape, dans les nielles rectangulaires des parois latérales (infra, p. 253).
237 Le Glay 1966a, 120-124 : id. 1975, 135.
238 Le Glay 1966a, 237 ; Petitmengin 1967, 201.
239 Le Glay 1966, 297, pl. IX, fig. 5.
240 Infra, p. 15. fig. 3. no 11.
241 Car dans la seule dédicace bilingue à Neptune connue, et qui provient de Lepcis Magna, l'équivalent punique de son nom latin a disparu.
242 Peut-être le Poséidon du serment d'Hannibal (Plb. 7.9.2-3) qu'il faudrait rattacher au dieu phénicien de la mer, Yam (Fantar 1966, 19-32 ; Le Glay 1975, 141).
243 Petitmengin 1967, 196-198 ; Bénabou. 1976, 356-359.
244 Voir la carte et la liste des documents dressées par P. Petimengin (1967, 190). Sur les temples de Neptune identifiés, cf. en dernier lieu S. Ben Baaziz qui recense huit monuments et quinze statues en soulignant les nombreuses représentations de Neptune dans le décor public et privé (1996, 103-111).
245 Par exemple à Thubursicu Numidarum, le temple est en relation avec deux bassins alimentés par une source captée (Gsell & Joly 1914. 135).
246 A Lambaesis, le complexe cultuel de l'Aqua Septimiana est organisé autour d'une source naturelle (CIL, VIII. 2652-2656 ; infra, p. 258, n. 92).
247 Petitmengin 1967, 202. On peut citer ILTun, 293, une dédicace à Neptunus et Nymphae.
248 D. Pickhaus (1994, 89) a noté que ces deux distiques sont ponctués de références aux élégies d'Ovide (Tr., 1.1.34 : sedibus in patriis et 1.10.40 : sedibus his profugo constituisse larem : id. Am.., 2.1 1.36 : nereidesque deae neridumque pater).
249 Les Cassii, assez nombreux à Dougga, sont connus par une série d'épitaphes d’hommes et de femmes qui révèlent une famille bien romanisée dont tous les membres portent les duo ou tria nomina (MAD, no 187-198). On peut dire la même chose de la famille de l’époux dont quatre épitaphes sont connues (MAD, no 482-485).
250 Ou pourquoi pas Victoria qui apparaît avec le Génie de Thugga parmi les Dieux Augustes de la cité ([no 40] ; infra, p. 92-93) ?
251 Infra, p. 145-146.
252 CIL, VIII, 11162, dans laquelle Concordia est honorée avec Panthée et CIL, VIII, 22693 qui commémore la construction d'un monument dédié à Concordia Panthea.
253 Sur l'alliance des Gabinii et des Auillii et sur la localisation de leurs possessions foncières au nordouest du site. cf. Golvin & Khanoussi 2004.
254 ILAfr, 568 : A(ulo) Gabinio Quir(ina) Dato patri). /flam(ini) Aug(usti) perp(etui). patrono/pagi et ciuitatis Thuggen(sis). /conductores praediorum regionis Thuggensis ob me(rita eius),/curatore M(arco) Gabinio Basso fil(io).
255 1984, 542.
256 Sur cette famille, infra, p. 122.
257 Pottier, DA. s.v. Concordia, 1434.
258 Bayet 1956, 176.
259 Schilling 1954 ; Clauss 1999, 58.
260 La dédicace d'Hippo Regius fut gravée à l'occasion du don d'une citerne par un affranchi (AE, 1982. 944) ; à Lepcis Magna, le chalcidicum fut dédié entre 11 et 12 p.C. au numen d'Auguste IRT, 324) et. sous Antonin le Pieux, on y érigea une statue de Vénus Chalchidica IRT, 316).
261 G. Charles-Picard 1954. 115-117.
262 CIL. VIII, 12569 ; infra, p. 82, n. 143.
263 D.C. 44.4.5 ; cf. Gascou 1987, 123.
264 Sans que l'on ail besoin de recourir, comme J. Carcopino, à une référence au pacte triumviral de 42 a.C., ce qui obligerait soit à repousser la date de la fondation coloniale deux ans plus tôt, contre le témoignage de toutes les sources, soit à admettre que le nom de Concordia fut ajouté à la titulature deux ans plus tard (Gascou 1987, 123).
265 Suet., Tib., 20 ; D.C. 55.8.2 ; id. 56.25.1 ; cf. Pottier, DA, s.v. Concordia, 1434.
266 Infra, p. 69. n. 71.
267 Beaujeu 1955. 115.
268 Par exemple sur une fresque de Pompei, Fortuna, avec le gouvernail, guide Mercure qui la suit en portant une bourse (Legrand, DA, sv Mercure, 1819. fig. 4960).
269 Pétrone les associe dans le Satyrivon où Trimalchion, l'affranchi commerçant enrichi, se fait représenter sur un mur de sa villa, soulevé vers un podium par Mercure, sous l'œil bienveillant de Fortuna (Petr. 29.5-6).
270 Où Mercure était honoré dans un temple, au centre d'une cour entourée d'un triportique incluant, à chaque extrémité des portiques latéraux, alignées sur le mur postérieur du temple, une chapelle dédiée à Minerve et l'autre à Fortuna. Dédicace du temple : CIL. VIII, 26595-26596 et des deux chapelles : CIL, VIII. 22697-22698. Sur ce monument, Constans 1916, 104-1 10, pl. I. L'étude du décor architectonique permet de le dater de la fin de la période julio-claudienne, peut-être du règne de Néron (Ferchiou 1988. 189).
271 Infra, p. 164.
272 Infra, p. 64.
273 Le marché de Philippes, en Macédoine, était lui aussi placé sous la protection d'une même association fonctionnelle de Fortuna et du Genius macelli (Lemerle 1934, 463-464, no 5 ; De Ruyt 1983, 136).
274 Thugga : cella cum porticibus [no 13] et en 197 ; on lit restaurer à Vaga une cella ami pronauo (CIL. VIII, 14394).
275 Champeaux 1982, 169-175 ; Scheid 1999, 387. Ainsi, dans les trois cellae dédiées à Tanit qui furent ajoutées au premier sanctuaire de Ba’al-Tanit de Thinissut. Merlin 1910. 44-45 ; Bullo & Rossignoli 1998. 249-264. pl. 1-1-8.
276 Champeaux 1982, 172.
277 De Tellus, infra, p. 198 ; de Saturne, infra, p. 187.
278 Toutain 1911, 119.
279 La concrétisation de la fusion juridique des deux ordres en un seul est spécialement marquée dans la dédicace d'une statue d'Asicia Victoria érigée en 205 par le municipe, mais qui avait été auparavant décrétée par les deux ordres, avant la promotion municipale, ce qui explique que les deux institutions successives figurent ensemble sur une même pierre (Poinssot 1906, 185-187 ; Thompson 1965, 152-154 ; Gascon 1972, 180-181 ; Aounallah & Maurin 2000, 188-192. no 73).
280 CIL.. VIII, 1548 + 15550.
281 Et plus tôt qu'à Thugga, en 170 (CIL, VIII, 26121 ; infra, p. 127. n. 71).
282 CIL, VIII, 25827 ; le texte est également daté de Commode. Il n'est cependant pas certain qu’il faille rattacher Vallis à la pertica de Carthage car elle se trouve en-deçà de la Fossa Regia et seule la Papiria y est attestée (Pflaum 1970, 78).
283 CIL, VIII, 26629 : [---]/[p]atrono pagi et ciuitat(is) A[ureliae Thuggae]/[-—pr]imus omnium eximium[---]/[ob merita eius er]ga pagum et ciuitatem ex[imia---]/et concordiam [---].
284 Infra, p. 165-166.
285 Même si restitution que nous en proposons s'avérait inexacte, il n'en demeurerait pas moins que les noms du pagus et de la ciuitas sont bien présents sur un même fragment.
286 Le Glay 1966a, 89.
287 Infra, p. 89.
288 ILAfr, 521 = DFH, no 29 ; infra, p. 118, tableau 7 et n. 26. Sur ce texte, cf. en dernier lieu Maurin 2000, 76-80.
289 Iulius Venustus, L. Postumius Chius, M. Licinius Tyrannus [no 25-27] ou encore C. Caesetius Perpetuus (ILAfr, 520 = DFH, no 24 ; infra, p. 62, tableau 3).
290 Infra, p. 1 19, n. 32.
291 Mention de la porticus pagi sur un texte inédit du ive siècle, cf. Maurin 2000, 80, et peut-être sur la frise gravée entre 264 et 265, lors de la déduction coloniale (Maurin 2000, 166 ; infra, p. 197. n. 25).
292 ILAfr. 559 + ILTun, 1499 (AE, 1969-1970, 652). cf. DFH, no 69. Sur les Licinii, infra, p. 64-65.
293 Bien qu'il soit à vrai dire impossible de déterminer quel texte est antérieur à l’autre. Sur ce texte dans lequel apparaît pour la première fois 1'ordo du pagus, infra, p. 109.
294 Sur ce texte, cf. en dernier lieu Maurin & Saint Amans 2000, 96-98.
295 Cette section du portique était ornée d'une frise épigraphe qui nous est parvenue en très mauvais état (CIL, VIII, 26530 + 26533 + llAfr, 523). Deux petites frises rappelant les noms des donateurs se plaçaient sans doute aux extrémités de cette même section (CIL, VIII, 26483 et 26484 ; cf. L. Poinssot 1913, 105-106, n 48 ; ILTun, 1396).
296 Telle est l’organisation juridique du territoire qu’envisage F. Dohna 1997, 470-476, fig. 2.
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