Du discours du trône au plaidoyer contre l'anarchie : les réflexions politiques de Créon dans Antigone
p. 173-200
Texte intégral
1Le dramaturge athénien ne divertit pas seulement les spectateurs. Il cherche à les instruire. Eschyle et Euripide, les deux dramaturges qui rivalisent pour obtenir le trône du meilleur poète dans les Grenouilles d'Aristophane, s'accordent pour le reconnaître : “par son habileté et ses avertissements”, le poète doit “rendre les hommes meilleurs dans les cités1.”
2Cette éducation des spectateurs (paideia) se fait tantôt par le cours de l'action – le spectateur tire la leçon du destin subi par un personnage – tantôt de manière plus directe, à l'aide de réflexions générales où un personnage expose son point de vue à un interlocuteur et au-delà au spectateur. Sénèque, dans une lettre à Lucilius2, rapporte une anecdote qui montre que les spectateurs avaient tendance à prendre au pied de la lettre ces réflexions générales : le Bellérophon d'Euripide se fit huer pour avoir eu l'audace de présenter l'argent comme un bien supérieur à père et mère et l'auteur dut s'interposer en demandant aux spectateurs d'attendre la fin de la pièce pour voir ce qu'il arrivait à cet impudent personnage. Cette intervention d'Euripide sonne comme une mise en garde : on ne peut tirer des leçons des réflexions générales qu'en les rapportant au caractère du personnage et au contexte de l'action.
3A cet égard, les réflexions politiques que l'on trouve chez Sophocle présentent une particularité : peu nombreuses – 4 d'importance3 sur les 7 tragédies qui nous restent –, elles sont pour la plupart situées dans la bouche d'un personnage accusé de tyrannie4. Sa personnalité vient donc discréditer la leçon qu'il délivre.
4Nous avons choisi de centrer notre intervention d'aujourd'hui sur Créon dans Antigone parce qu'il est le seul personnage à se livrer, à deux reprises dans la même pièce, à des réflexions politiques d'une certaine envergure. Ces deux passages se situent à des moments différents de la tragédie entre lesquels la perception du personnage par le spectateur a évolué : au début de la pièce, dans son discours du trône, Créon donne sa définition du bon dirigeant alors que le spectateur a très peu de préjugés à son égard. En revanche, au troisième épisode, quand Créon fait à Hémon l'éloge de l'ordre et le met en garde contre l'anarchie, Créon a déjà commis des erreurs et le spectateur écoute l'exposé avec une plus grande méfiance. Nous allons étudier l'une après l'autre ces tirades en cherchant si les réflexions générales de Créon, confrontées au contexte de l'action, permettent aux spectateurs de tirer de ces passages une leçon politique.
Le discours du trône de Créon
5Avant son entrée solennelle, au début du premier épisode, Créon a déjà été évoqué à deux reprises : dans les derniers vers de la parodos, le chœur annonce son arrivée et le présente comme le roi du pays (βασιλεὺς χώρας, v. 155), en insistant sur l'aspect récent de son pouvoir : Créon est le “chef nouveau” (‹ταγὸς› νεοχμός᾿ v. 156) qui répond aux “événements nouveaux voulus par les dieux” (νεαραῖσι θεῶν ἐπὶ συντυχίοιις, v. 157). Cette présentation neutre, qui ne permet pas aux spectateurs de se forger une opinion, tranche avec l'image contrastée de Créon dans le prologue : Antigone fait de Créon un ennemi privé (ἐχθρός)5, l'appelle ironiquement “le bon Créon” (v. 31) et proclame sa volonté de lui désobéir. Ismène, au contraire, souligne à plusieurs reprises l'autorité de Créon. Pour elle, le dirigeant incarne la volonté de la cité et des citoyens6.
6L'arrivée de Créon est donc pour les spectateurs l'occasion de juger un personnage controversé. Le public connaît, en outre, une mesure que les interlocuteurs immédiats du roi ignorent : il a appris par le prologue le traitement différent que Créon entend imposer aux cadavres des deux frères. Il sait donc par avance où mène tout le discours de Créon.
7Cette première scène est constituée par une longue tirade de Créon, suivie d'un bref échange avec le chœur. Le nouveau dirigeant, après avoir évoqué la fin de la guerre et rendu hommage à ses interlocuteurs, membres du Conseil du roi, passe à des considérations de principe : il donne sa définition du bon dirigeant :
8Ant., Créon, 175-190 :
[175] Ἀμήχανον δὲ παντὸς ἀνδρὸς ἐκμαθεῖν
ψυχήν τε καὶ φρόνημα καὶ γνώμην, πρὶν ἂν
ἀρχαῖς τε καὶ νόμοισιν ἐντριβὴς φανῇ.
Ἐμοὶ γὰρ ὅστις πᾶσαν εὐθύνων πόλιν
μὴ τῶν ἀρίστων ἅπτεται βουλευμάτων,
[180] ἀλλ’ ἐκ φόβου του γλῶσσαν ἐγκλῄσας ἕχει,
κάκιστος εἶναι νῦν τε καὶ πάλαι δοκεῖ.
καὶ μεῖζον ᾿ὅστις ἀντὶ τῆς αὑτοῦ πάτρας
φίλον νομίζει, τοῦτον οὐδαμοῦ λέγω.
Ἐγὼ γὰρ, ἴστω Ζεὺς ὁ πάνσ᾿ ὁρῶν ἀεί,
[185] οὔτ᾽ ἂν σιωπήσαιμι τὴν ἄτην ὁρῶν
στείχουσαν ἀστοῖς ἀντὶ τῆς σωτηρίας,
οὔτ᾽ ἂν φίλον ποτ᾿ ἄνδρα δυσμενῆ χθονὸς
θείμην ἐμαυτῷ, τοῦτο γιγνώσκων ὅτι
ἥδ᾿ ἐστὶν ἡ σῴζουσα καὶ ταύτης ἔπι
[190] πλέοντες ὀρθῆς τοὺς φίλους ποιούμεθα.7
“Mais il est impossible de bien connaître l'âme, les sentiments et les principes de quiconque avant qu'on ne l'ait vu faire ses preuves dans l'exercice du pouvoir et l'action législative. Car celui qui gouverne une cité quelconque sans prendre d'excellentes décisions mais en ayant la langue liée par quelque crainte, me semble, maintenant et toujours, le dernier des hommes. Et celui qui pense avoir quelqu'un qui lui soit plus proche que sa patrie, je dis que celui-là ne vaut rien. Moi en effet – que Zeus le sache, lui qui voit toujours tout – je ne me tairais pas en voyant marcher sur les citoyens le désastre au lieu du salut et je ne me ferais jamais un ami d'un ennemi de ma terre, sachant que c'est elle qui assure notre salut et que c'est à son bord, quand ce navire va droit, que nous nous faisons des amis.”
9Deux parties se distinguent nettement : Créon commence par définir dans l'abstrait8 le bon dirigeant (v. 175-183). Il fait ensuite une déclaration d'intention et énonce ses propres principes, en tout point conformes à ceux qu'il vient de définir comme les meilleurs pour la cité (v. 184-190). A ce stade de la pièce, rien ne permet de faire de Créon un tyran au sens péjoratif du terme. Au contraire, si l'on reprend les unes après les autres les idées avancées par Créon, on est frappé par le caractère acceptable, irréprochable même, des principes mis en avant9 :
Dans la maxime initiale, Créon prétend juger le dirigeant à ses actes et non à ses seules intentions10. Le souci de Créon d'être jugé à ce qu'il fera est d’autant plus remarquable qu'il n'a pas à rendre compte de sa fonction, comme un dirigeant athénien. Alors qu'il a hérité son pouvoir par les droits du sang, Créon veut faire preuve de qualités politiques réelles. Il souhaite que la légitimité politique s'ajoute à la légitimité héréditaire. La conséquence devrait en être l’adhésion des cœurs remplaçant l'obéissance forcée au tyran.
Dans les deux jugements personnels qui suivent, Créon donne deux visages au mauvais dirigeant : le démagogue qui craint le peuple11 et l'homme qui fait passer ses relations privées avant sa patrie.
10La démagogie est un fléau bien connu de la démocratie athénienne, fréquemment dénoncé dès le ve s. a.C. : Thucydide, par exemple, distingue le bon dirigeant qui dirige le peuple sans sé laisser diriger (Périclès) de ceux qui ne cherchent qu'à lui faire plaisir12. La critique se retrouve chez Euripide13, Aristophane14 et même les orateurs du ive s.15. Pour Créon, le bon dirigeant doit, en toute occasion, savoir prendre les meilleures décisions. Cette formule renvoie au serment que prêtaient les bouleutes à Athènes lorsqu'ils juraient de “décider le meilleur pour la cité”16. Les idées de ce passage devaient être largement partagées par les spectateurs du ve s.
11Dans sa déclaration d'intention, Créon reprend l'une après l'autre les images qu'il a données du mauvais dirigeant pour s'en distinguer : il ne se taira pas (le vers 185 répond à l'image du dirigeant bouche close, v. 180) et ne fera jamais passer la philia avant la cité (les v. 187-190 font écho aux v. 182-183). Il montre par-là l'exacte adéquation entre ce qu'il entend faire et le bien en soi.
12Un témoignage du ive s. nous donne lieu de penser que, pour les spectateurs, Créon n'était pas loin d'apparaître ici comme le modèle du bon dirigeant. Dans le discours Sur l'Ambassade17, Démosthène reprend très exactement les vers d'Antigone que nous venons de citer. Il les utilise pour dénoncer la conduite d'Eschine lors de l'ambassade qu'ils ont menée ensemble en 346, dans le but d'enrayer la progression de Philippe II de Macédoine en Grèce centrale. Nous pouvons nous attarder sur ce passage qui, à un siècle d'intervalle, nous informe de manière exceptionnelle sur la réception du texte de Sophocle dans l'Antiquité.
13Celui que Démosthène appelle ici le “sage Sophocle” (§248) fait figure de maître, investi d'une véritable autorité politique. Démosthène reproche à son adversaire de ne pas s’être souvenu, au cours de l'ambassade, de vers qu'il connaissait par cœur pour les avoir souvent récités lors de sa carrière d'acteur. Il oppose à l'attitude idéale prônée par Créon la conduite d'Eschine, traître à sa patrie, qui, par ses tergiversations, a permis au roi de Macédoine de conforter ses positions avant l'accord de paix. A quatre reprises, Démosthène s'appuie sur le texte de Sophocle pour noircir son adversaire.
14Il dit d'abord d'Eschine : “Au lieu de la cité, il a jugé l'hospitalité de Philippe et son amitié beaucoup plus importantes et plus utiles pour lui18." Eschine entre donc dans la catégorie du mauvais dirigeant dénoncé par Créon : “Celui qui pense avoir quelqu’un qui lui soit plus proche que sa patrie”19. Les ajouts de Démosthène au texte de Sophocle sont autant d'accusations qui accentuent la culpabilité d'Eschine : Démosthène souligne que l'amitié qu'a préférée Eschine est celle d’un étranger (ξενίαν) et déclare que son adversaire a obéi à des considérations opportunistes20.
15Démosthène reprend la personnification du malheur en marche que l'on trouve chez Sophocle pour développer une antithèse entre l'attitude de Créon et celle d'Eschine. Alors que Créon affirmait qu'il ne se tairait pas “en voyant marcher sur les citoyens le malheur” (v. 185-186), Démosthène dit d'Eschine : “voyant le malheur en marche, l'expédition contre la Phocide, il n'a rien dit et rien annoncé, mais, au contraire l'a caché, en a été complice et a retenu ceux qui voulaient le dire21.”
16A l'aide d'une apposition, Démosthène donne au malheur le visage concret de l'expédition contre la Phocide. Il laisse dans l'ombre les différences de situation dans le rapprochement qu'il opère. Il occulte le fait que le malheur dont parle Créon menaçait directement les citoyens, alors que l'expédition de Philippe II contre la Phocide ne menace Athènes qu’indirectement. Il présente un Eschine dont l'attitude va au-delà de tout ce que Créon pouvait envisager de pire chez un mauvais dirigeant : alors que Créon affirmait qu'il ne se tairait pas dans les malheurs de la cité, Eschine, aux dires de Démosthène, non seulement s'est tu et n'a rien annoncé, mais il est allé jusqu'à se montrer complice de Philippe en empêchant les autres de parler.
17Reprenant la métaphore de la cité navire22, Démosthène opère un détournement de citation en appliquant le vers à un tout autre contexte, celui des parents d'Eschine dont il souligne les origines modestes : “Ne se souvenant pas que c'est elle qui assure notre salut et c’est à son bord” (v. 189), leur mère, en initiant, purifiant et tirant profit des maisons de ses clients a nourri ces individus que voici23...” Pour rendre la trahison d'Eschine encore plus odieuse, il rappelle tout ce que sa famille doit à la cité.
18Alors que Créon, s’appuyant sur la métaphore de la navigation, faisait de la bonne conduite du navire le principe essentiel de sa politique, Démosthène dit qu'Eschine “n’a pas préféré que le navire de la cité aille droit, mais il l'a fait chavirer et couler et, autant qu'il a pu, il s'est arrangé pour qu'il soit aux mains des ennemis24.” Une expression de Démosthène renvoie très précisément au texte de Sophocle25. Une fois encore, Démosthène force le trait : non seulement Eschine n’a rien fait pour favoriser la navigation de la cité, mais il semble s’être acharné à provoquer son naufrage.
19Le texte de Démosthène rend compte de ce que pouvaient être les réactions d'un public athénien. Il montre aussi que la transposition entre l'univers mythique monarchique de la tragédie et la réalité démocratique contemporaine d’Athènes s'effectuait aisément. Eschine, qui participe à une ambassade, est un dirigeant, au même titre que Créon, pourtant investi d'une autorité monarchique. On a ici la preuve que le public athénien n'était sans doute pas prisonnier des cadres institutionnels dans son interprétation de la tragédie.
20Si les principes de Créon dans cette tirade sont admissibles, il faut donc revenir sur un manichéisme facile qui attribue tous les torts à Créon et fait l'éloge d'Antigone. Le Créon du début d'Antigone est, comme Œdipe au début d'Œdipe Roi, un bon roi, bien disposé, qui s'efforce de prendre les mesures adéquates dans un contexte politique difficile. Les deux rois exposent aux yeux de tous leurs bons principes et prennent chacun un décret destiné à remédier aux malheurs de la cité.
21A ce moment de la pièce, dissocier les paroles et les intentions de Créon est, selon nous, faire preuve de préjugés26. Il est frappant, au contraire, de voir à quel point les principes exposés par Créon fournissent la clef de sa conduite dans la suite de la pièce. Son attitude sera en parfait accord avec le refus exprimé ici de la démagogie et la préférence donnée à la cité sur la famille : il ne reviendra pas sur sa décision, quand il sera fait allusion à l'opinion de Thèbes27, refusant de céder à la peur de ce que pense le peuple ; il ne prendra pas en compte ses liens de parenté avec Antigone, quand il découvrira que c'est la jeune princesse qui a enfreint ses ordres, et mettra même un point d'honneur à ne pas exempter de la règle commune un membre de sa famille.
22Sur un seul point, il y aura un écart entre les principes énoncés et la suite de la pièce : la maxime d’ouverture : il est impossible de bien connaître l'âme, les sentiments et les principes de quiconque avant qu'on ne l'ait vu faire ses preuves dans l'exercice du pouvoir et l'action législative. Créon pourra bien être jugé à ses actes, mais il ne fera pas ses preuves de la façon qu'il souhaitait. Il montre sa vraie nature dans l'exercice du pouvoir, mais dans un sens moins favorable que celui qu'il envisage quand il parle. Incontestablement, cette maxime d'ouverture comporte un effet d’ironie28, difficilement perceptible des spectateurs, puisqu'elle suppose de rapprocher la fin de la pièce d'une maxime énoncée au tout début. Elle est tragique dans la mesure où un personnage est dépassé par son discours qui se retourne contre lui.
23Il nous semble que le tragique de la pièce s'accroît d'autant plus que Créon est convaincu de la vérité de ses principes et que ceux-ci ne sont pas en eux-mêmes condamnables. Créon, dès cette première apparition, montre l'intransigeance bien connue des héros sophocléens. En exaltant le privilège donné à la patrie, il détermine le bien en soi et s'engage à le suivre, indépendamment de toute considération opportuniste ou affective. Il se distingue par-là nettement du Créon des Phéniciennes d'Euripide qui refuse de sacrifier son fils29.
24Le Créon d'Antigone est, de tous les héros tragiques que l'on trouve chez Sophocle, celui qui parvient le plus nettement à la sagesse en fin de pièce30. Il est d’ailleurs un des seuls à reconnaître ses erreurs31 et à affirmer qu'il a eu tort. Son destin semble l'illustration du παθεῖν-μαθεῖν, “apprendre par la souffrance” que l'on trouve chez Eschyle32.
25La responsabilité de Créon dans ses malheurs est clairement établie33. S'il perd successivement son fils et sa femme, c'est d'abord à lui-même qu'il doit s'en prendre. Mais cette culpabilité n'apparaît que progressivement : le chœur n'admet une faute de Créon que tard dans la pièce, après l'intervention de Tirésias. Cette faute ne vient pas des principes exposés par Créon dans le discours du trône. Elle tient aux mesures pratiques prises par le dirigeant et à la méconnaissance de l'autorité des dieux d'en bas.
26La faute de Créon réside tout d'abord dans la traduction concrète qu’il a donnée à ses principes, l'interdiction d’enterrer Polynice. Elle est ensuite doublée par le châtiment qu'il réserve à Antigone, condamnée à périr dans une prison souterraine. Tirésias évoque ensemble ces deux décisions de Créon et lui reproche d’avoir retourné l’ordre de la nature en ensevelissant une vivante et en refusant la sépulture à un mort (v. 1068-1071).
27On peut se demander comment était perçu l'édit de Créon avant l'intervention de Tirésias. Était-il en lui-même condamnable ? Certes, le respect des morts faisait partie des obligations sacrées pour les Grecs. Mais l'accusation de trahison justifiait sans doute l'interdiction d'enterrer Polynice sur le territoire thébain. Thucydide34, à propos de 1 enterrement de Thémistocle, fait allusion à une loi interdisant l'enterrement des traîtres en Attique. Elle est attestée également chez Xénophon35 et Lycurgue36 pour les Athéniens et chez Pausanias à propos des Arcadiens37. Le refus d’enterrer un traître sur le territoire de sa patrie semble avoir été une pratique courante. En revanche, dans tous ces textes, il n'est jamais question de laisser pourrir le cadavre au grand jour et d'en faire la proie des oiseaux et des chiens. Cette exigence de Créon rappelle très explicitement le sort qu'Achille prétend faire subir à Hector dans l'Iliade38 : “Quoi qu'on fasse, ta vénérable mère ne placera pas sur un lit pour le pleurer celui qu'elle a enfanté, mais les chiens et les oiseaux te dévoreront tout entier.” Or on sait que l'attitude d'Achille à l'égard du cadavre d'Hector est explicitement condamnée par les dieux, au chant 24, qui lui intiment, par l'intermédiaire de sa mère, l'ordre de rendre à Priam le cadavre de son fils.
28Créon, par son édit, reprend donc un châtiment hérité de l'épopée, mais déjà condamné dans l'Iliade39. Il est douteux que le cadre de la cité auquel il se réfère rende légitime ce que ne justifiait pas une vengeance personnelle dans l'épopée40. On peut donc supposer que le décret de Créon heurtait la sensibilité du public. Il avait quelque chose de barbare. L’absence d'approbation du chœur qui se contente41 de prendre acte de la décision du souverain peut se comprendre comme une réserve. Mais n'oublions pas que la raison d'Etat fournissait un alibi crédible qui empêchait les spectateurs de condamner d'emblée Créon. Son excessive sévérité était peut-être justifiée par le contexte politique troublé dans lequel arrive le nouveau roi et son souci de donner le ton au début de son règne, de prendre des mesures exemplaires.
29Antigone est la première à opposer une raison religieuse à l'édit de Créon : elle affirme que la loi qu'il a proclamée ne vient ni de Zeus ni de “la Justice qui habite avec les dieux d'en bas” (v. 450-451). Mais cet argument intervient au milieu d'autres raisons42 et sa situation d'opposante au souverain amène le spectateur à relativiser son point de vue. Ce n'est qu'avec l’intervention de Tirésias, à la fin de la pièce, que l’impiété de Créon devient un fait établi.
30Commentant les mesures de Créon à l’égard de Polynice et d'Antigone, le devin déclare : “Ce sont là des décisions qui ne t’appartiennent en rien, ni à toi ni aux dieux d’en haut, mais tu les as imposées de force” (v. 1072-1073). Tirésias fait une distinction originale entre dieux d’en haut et dieux d’en bas. Le nœud de la pièce est donc plus complexe que la subordination du politique au religieux43. De fait, Créon n'est pas d'emblée un impie puisqu'il évoque les dieux dès le premier vers de son discours44 et croit sincèrement que ceux-ci partagent son point de vue45. Il n’est impie que par aveuglement, parce qu'il ne voit pas que son édit outrepasse ses compétences et empiète sur un domaine réservé aux dieux d'en bas.
31Il va de soi qu'il est difficile aux spectateurs, à l'écoute du discours du trône, d'appréhender ce que l'intrigue ne révèle que progressivement. Aussi la leçon politique n'est-elle pas attachée à la tirade en elle-même. Elle réside dans le retournement par lequel un personnage auquel le spectateur avait d'abord attribué sa confiance se révèle en réalité un tyran, puis se montre capable de s'amender et de tirer une leçon de ses erreurs.
Le plaidoyer contre l'anarchie
32La seconde réflexion politique d'envergure que l'on trouve dans Antigone appartient à la tirade de Créon à son fils Hémon, au début du troisième épisode. L'image de Créon a évolué depuis le discours du trône et, à ce stade de Faction, les spectateurs ont eu, à plusieurs reprises, l'occasion de voir le roi de Thèbes mal agir :
Il a d'abord accusé injustement le garde, que les spectateurs savaient innocent, pour avoir assisté à la scène du prologue entre Antigone et Ismène. Dans cette scène avec le garde, ils ont vu la colère de Créon augmenter peu à peu46 et ce dernier s'enfermer dans la crainte d'un complot sans fondement réel.
La confrontation avec Antigone a permis l'émergence de nouveaux principes comme la piété à l'égard des morts, le respect des lois non écrites qui contrebalancent l'approche exclusivement politique de Créon. Créon a commis une seconde faute évidente pour les spectateurs en condamnant Ismène à mort47.
33Le spectateur peut donc à bon droit considérer les propos du dirigeant de Thèbes avec plus de méfiance qu'au début de la pièce. Il a vu que les bons principes du dirigeant pouvaient aboutir à des injustices.
34Le personnage d'Hémon, quant à lui, est apparu assez tardivement dans la tragédie. C'est Ismène qui l'évoque pour la première fois (v. 568), en espérant sauver Antigone par la promesse de mariage qui l'unit au fils de Créon. Ce faisant, elle introduit dans l'intrigue un enjeu amoureux jusqu'alors absent.
35En annonçant la venue d'Hémon, le chœur souligne sa jeunesse – il est le plus jeune des enfants de Créon, ce qui suggère qu’il n'est pas l'héritier du trône. Le chœur insiste surtout sur le chagrin du jeune homme : “Il vient affligé par la mort de la jeune fille [, la fiancée à laquelle il allait bientôt se marier], se désolant de voir son espoir d'union trompé.” (v. 627-630). Les deux termes qui expriment la douleur du jeune homme encadrent cette description (ἀχνύμενος, ὑπεραλγῶν). Créon, quant à lui, demande à son fils s'il ne vient pas λυσσαίνων, c'est-à-dire “en proie à la fureur” (v. 633).
36L'évocation de ces sentiments de douleur et de rage contraste fortement avec l'émotion contenue et le ton posé du jeune homme dont la première intervention est une véritable déclaration de soumission à son père. Le spectateur peut à bon droit se demander s'il ne s'agit pas d'une tactique destinée à ménager la susceptibilité de son père pour mieux infléchir sa décision.
37Cette hypothèse doit venir aussi à l'esprit de Créon qui entreprend une longue tirade pour conforter son fils dans cette attitude de soumission. Le roi de Thèbes paraît vouloir exercer une action préventive, en contrant par avance un éventuel plaidoyer d'Hémon en faveur d’Antigone.
38Les réflexions politiques de Créon occupent la seconde partie de la tirade. Le roi commence, en effet, par rappeler le devoir d’obéissance des fils vis-à-vis des pères. Il suggère à Hémon d'abandonner toute idée de mariage avec Antigone qui serait une mauvaise épouse et qu'il a condamnée à mort de manière irrévocable. Ce passage se termine sur une exclamation : “Si j'entretiens le désordre dans ma famille, qu'en sera-t-il à l'extérieur ?” (v. 659-660). Créon poursuit sa tirade par des considérations politiques sur le devoir d'obéissance et les dangers de l'anarchie : Ant., Créon, v. 661-680 :
ἐν τοῖς γὰρ οἰκείοισιν ὅστις ἔστ᾿ ἀνὴρ
χρηστός, φανεῖται κἀν πόλει δίκαιος ὤν.
Ὅστις δʹ υπερβὰς ἢ νόμους βιάζεται,
ἢ τοὐπιτάσσειν τοῖς κρατοῦσιν ἐννοεῖ,
[665] οὐκ ἔστ᾽ ἐπαίνου τοῦτον ἐξ ἐμοῦ τυχεῖν.
̕Αλλ᾽ ὃν πόλις οτήσειε, τοῦδε χρὴ κλύειν
καὶ σμικρὰ καὶ δίκαια καὶ τἀναντία.
Καὶ τοῦτον ἂν τὸν ἄνδρα θαρσοίην ἐγὼ
καλῶς μὲν ἄρχειν, εὖ δ’ ἂν ἄρχεσθαι θέλειν,
[670] δορός τ’ ἂν ἐν χειμῶνι προστεταγμένον
μένειν δίκαιον κἀγαθὸν παραστάτην.
᾿Αναρχίας δὲ μεῖζον οὐκ ἔστιν κακόν.
αὕτη πόλεις ὄλλυσιν, ἥδ᾽ ἀναστάτους
οἴκους τίθησιν, ἥδε συμμάχου δορὸς
[675] τροπὰς καταρρήγνυσι. τῶν δ᾽ ὀρθουμένων
σῴζει τὰ πολλὰ σώμαθ᾽ ἡ πειθαρχία.
Οὕτως ἀμυντέ’ἐστὶ τοῖς κοσμουμένοις᾿
κοὕτοι γυναικὸς οὐδαμῶς ὴσσητέον.
κρεῖσσον γάρ, εἴπερ δεῖ, πρὸς ἀνδρὸς ἐκπεσεῖν,
[680] κοὐκ ἂν γυναικῶν ἥσσονες καλοίμεθ’ ἄν.
“Car celui qui est un homme de bien dans les affaires de famille se montrera juste aussi dans la cité. Mais celui qui, agissant mal, viole les lois et pense donner des ordres à ceux qui gouvernent, un tel individu ne peut recevoir de moi des louanges. Mais l’homme que la cité a placé à sa tête, il faut lui obéir même dans les petites choses, dans ce qui est juste comme dans ce qui ne l’est pas. Et je croirais volontiers que cet homme commande bien, s’il accepte de bon gré d’être commandé et si, affecté à un poste dans la tourmente du combat, il reste à sa place en bon et loyal soldat. Il n’est pire malheur que l’anarchie. C’est elle qui détruit les cités, ruine les maisons, c’est elle qui rompt les rangs des alliés au combat. Mais ceux qui se laissent conduire dans le droit chemin, l’obéissance les sauve, pour la plupart. C’est pourquoi il faut protéger les mesures d’ordre et, en aucun cas, ne laisser une femme l’emporter sur elles. Car il vaut mieux, si nécessaire, tomber sous le coup d’un homme plutôt que de s'entendre dire que des femmes l’ont emporté sur nous.”
39Le texte progresse de la façon suivante : Créon part de l’analogie entre l’ordre dans la famille et la cité, qui est dans le prolongement de l’exclamation qui précède. 11 distingue l’homme de bien, juste dans les deux domaines, du méchant qui transgresse les lois. Centrant sa réflexion dans le domaine politique, il affirme alors le devoir absolu d’obéissance au dirigeant de la cité. Il dénonce enfin le fléau de l’anarchie et proclame la nécessité de l'ordre à ces trois niveaux différents de la vie sociale que sont la cité, l’armée et la famille.
40La tirade de Créon à son fils comporte toute une série d’arguments acceptables : certaines idées peuvent être considérées comme des lieux communs, d’autres renvoient à des précédents illustres.
41Le point de départ du passage, le parallèle entre le comportement d’un homme dans sa famille et dans sa cité, est une idée bien connue. On la retrouve chez Eschine qui reproche à Démosthène la joie manifestée à la mort de Philippe, six jours après la disparition de sa fille unique. Il déclare : "l'homme qui est méchant dans sa vie privée ne saurait être bon dans sa vie publique48”.
42L'analogie entre la cité et l'armée, que l'on trouve à deux reprises dans le texte, est également un lieu commun de la pensée grecque. L'armée (στρατός) est l'équivalent de la cité en temps de guerre49. Le groupe social qui leur servait de base était le même50. La fidélité au poste dont parle Créon peut être mise en relation avec le serment de l'éphèbe athénien au début de son service51.
43La dénonciation du fléau de l’anarchie, morceau d'anthologie, trouve enfin un précédent illustre dans les Euménides d'Eschyle. La pièce, qui date de 458, devait appartenir à la culture civique de tout Athénien puisqu'elle justifiait une de leurs institutions politiques, l'Aréopage. A deux reprises dans la pièce d'Eschyle, des personnages dénoncent l'anarchie comme un danger. Le chœur des Érinyes fait dans un stasimon l'éloge de la crainte qu'elles inspirent aux criminels et ajoute : “Ne consens ni à une vie sans rien qui la commande (anarchique), ni à une vie où tout est régenté (despotique) (μήτ᾽ ἀνάρχετον βίον μήτε δεσποτούμενον).” (v. 525-527). Et Athéna, au moment où elle institue le tribunal de l'Aréopage, reprend le motif : “Je recommande aux citoyens de n'entourer de respect ni l'anarchie ni le despotisme (τὸ μήτ᾿ ἄναρχον μήτε δεσποτούμενον)” (v. 696-697).
44Le discours de Créon tire donc autorité de thèmes déjà connus du public. En outre, la réaction du chœur, à l'issue de la scène, montre qu'une lecture positive du texte de Créon était possible. Dans le stasimon qui suit, le chœur donne, en effet, raison au père contre le fils et fait d'Hémon une victime de Cypris. Il est essentiel de garder cette donnée à l'esprit, même si les spectateurs antiques pouvaient à bon droit être sensibles aux éléments inquiétants de cette tirade, qui confortent les préjugés qu'ils pouvaient avoir à l'égard de Créon, à ce moment de la pièce.
45Notons d'abord que les réflexions générales de ce passage n'ont pas l'exacte adéquation au contexte que l'on trouve dans le discours du trône. Certes, le but que se propose Créon est clair. L'éloge de l'obéissance répond à des considérations tactiques : l'obéissance est tout à la fois ce qui a manqué à Antigone et ce qui est attendu d'Hémon. Dans un même mouvement, Créon justifie la sévérité du châtiment qu’il réserve à Antigone et met en garde son fils contre une éventuelle insoumission. Mais le recours à des figures de style comme l'hyberbole ou l'analogie a pour effet de faire perdre de vue le contexte : si Antigone paraît visée derrière l'allusion de Créon à celui qui viole les lois, la jeune fille ne prétend pourtant pas inverser les rapports hiérarchiques et commander à ses chefs. Avec cette hyberbole comme dans l'analogie entre la cité et l'armée qui suit, le spectateur assiste à une amplification du crime d'Antigone qui semble porter en germes la ruine de la cité. Cette présentation des faits peut paraître excessive.
46En exigeant l'obéissance absolue, Créon fait entrevoir le risque d'arbitraire. Il déclare qu'il faut “lui obéir même dans les petites choses, dans ce qui est juste comme dans ce qui ne l'est pas” (τἀναντία, “le contraire” en grec). Certes, la raison d'État légitime certaines entorses à la justice. Un fragment de Solon52 peut servir de caution au point de vue défendu par Créon : “Obéis aux dirigeants, qu'ils soient justes ou non.” Mais ce type de dérapage se retrouve dans Ajax, chez un personnage encore plus contestable que Créon : Ménélas, alors qu'il vante, lui aussi, les mérites de l'ordre et de l'obéissance, revendique une disproportion entre le crime et la sanction : “Mais il faut qu'un homme, fût-il de grande taille, pense tomber même pour un petit méfait” (v. 1077-1078). Or Créon et Ménélas ont chacun contre eux la suite des événements qui prouve qu'ils avaient tort, sinon dans leurs principes, du moins dans les conséquences concrètes qu'ils en ont tiré (interdiction de sépulture pour Polynice et Ajax). Sans doute convient-il de s'arrêter sur ce point : les deux seuls personnages qui tiennent un discours d'ordre chez Sophocle sont, à chaque fois, ceux à qui le déroulement de la pièce donne tort.
47Le ton autoritaire de Créon heurte d'autant plus qu'il semble prendre pour cadre de référence non pas l'univers monarchique qui est le sien, mais celui de la cité démocratique du ve siècle. La périphrase “celui que la cité a placé à sa tête” (ὃν πόλις στήσειε, v. 666) suggère un choix du dirigeant qui ne correspond pas à la légitimité héréditaire de Créon sur le trône de Thèbes. De même, quand il développe l'idée que celui qui sait obéir saura commander (v. 669), Créon paraît faire allusion à l'alternance des magistratures telle qu'elle se produisait dans l'Athènes du ve s. Enfin, l'armée à laquelle il fait référence est bien l'armée hoplitique où la fidélité du soldat à son poste remplace les exploits individuels du héros homérique53.
48Des rapprochements avec les historiens Hérodote et Thucydide révèlent les limites de l’obéissance réclamée par Créon. Chez Hérodote54, le Spartiate Démarate, comme Créon, fait de la fidélité au poste le symbole de l’obéissance mais, dans ce texte, les hommes obéissent à une entité abstraite, la loi. Le roi des Perses Xerxès découvre que ce type d'obéissance suscite des obligations plus fortes et obtient de meilleurs résultats que l'obéissance à un maître. Chez Thucydide55 de même, dans la bouche de Périclès, l'obéissance aux magistrats va de pair avec l'obéissance aux lois, en particulier les lois non écrites, ce qui, chez Sophocle, renvoie plutôt aux thèses soutenues par Antigone. Même si Créon blâme au début du texte celui qui transgresse les lois (v. 663), la suite du texte montre que, dans son esprit, c'est l'obéissance au chef qui tend à l'emporter56. Avant les révélations de Tirésias, il n'est pas certain que, pour Créon, les lois (νόμοι) existent indépendamment du pouvoir qui les édicte.
49Si l'on revient sur les deux passages des Euménides que nous avons cités, il est, enfin, aisé de voir ce qui distingue Créon des Érinyes et d'Athéna. Alors que, chez Eschyle, il est question de trouver un juste milieu, loin de ces deux fléaux que sont l'anarchie et le despotisme, Créon passe complètement sous silence le deuxième élément. De fait, il est à craindre qu'en voulant à tout prix sauver Thèbes de l'anarchie, il ne sombre lui-même dans le despotisme. Ce reproche est au cœur de l'argumentation d'Hémon qui demande à son père d'écouter l'opinion de Thèbes, de ne pas croire qu'il peut avoir raison tout seul et commander la cité en maître.
50Les quatre derniers vers de la tirade font retomber le débat sur un sujet beaucoup plus trivial. Après ces réflexions politiques, Créon ramène toute l'affaire à une question d’orgueil masculin et affirme son refus de voir une femme l'emporter57. Cette dernière idée suggère une hiérarchie des arguments qui vient quelque peu remettre en cause le sérieux des théories politiques formulées précédemment.
51La tirade de Créon à son fils comporte donc tout à la fois des arguments défendables et d'autres qui laissent entrevoir la figure repoussoir du tyran58. Le chœur, nous l'avons vu, interprète la dispute entre père et fils dans un sens défavorable à Hémon. Il faut donc rester prudent et avouer que, si certains indices plaident pour un Créon tyrannique, Créon reste quand même bien loin d'un tyran caricatural comme le Lycos de l'Héraclès d'Euripide.
52Pour conclure, on peut se demander si la pièce n'est pas l'illustration de la maxime d'Otanès, le Perse qui, chez Hérodote, se fait l'avocat de la démocratie. Condamnant la tyrannie, il déclare : “Le meilleur de tous les hommes, disposant d'un tel pouvoir, serait conduit hors de ses pensées habituelles59.” De fait, dans Antigone comme dans Œdipe Roi, un personnage qui dispose du pouvoir absolu et semble vouloir en faire un bon usage, sombre dans la colère, accuse les autres de complot, condamne injustement et voit finalement son pouvoir se retourner contre lui. Dans les deux cas, la pièce met en évidence une dérive tyrannique. Créon se rend même coupable d'un des actes criminels cités par Otanès, le bouleversement des coutumes ancestrales (νόμαια... πάτρια). Mais il est important de souligner que Créon échappe à la caricature et reste avant tout un personnage qui se trompe par aveuglement. A la fin de la pièce, il s'amende et tire la leçon des événements.
53Cette leçon est-elle politique ? A l'époque hellénistique, Aristophane de Byzance60, bibliothécaire d’Alexandrie (iie s. a.C.), établissait un lien entre l'élection de Sophocle à la stratégie, aux côtés de Périclès, en 440, et le succès d'Antigone. Cette responsabilité, au moment de la révolte de Samos, laisse entendre que, par cette pièce, Sophocle avait montré une compétence politique et une sagesse allant bien au-delà de ses qualités de dramaturge.
54Il est difficile de faire d'Antigone un éloge de la démocratie dans la mesure où une telle leçon n'est jamais clairement dégagée. Certes, on peut recenser quelques arguments en faveur d'un Sophocle démocrate :
Dans ses tragédies, les personnages qui tiennent un discours d'ordre, Créon et Ménélas, sont toujours ceux à qui la pièce donne tort.
Si l'on en croit Hémon61, l'opinion de Thèbes coïncide avec la piété et le respect des lois établies. Le bon sens populaire aurait donc pu empêcher le dirigeant de commettre une erreur, ce qui peut constituer de la part de Sophocle un acte de foi dans un principe au cœur de la démocratie athénienne.
L'idée que Créon aurait dû céder et se montrer attentif aux conseils des autres, au lieu de croire détenir seul la vérité, plaide pour le dialogue, là encore une vertu démocratique.
55Cependant, il ne faut pas oublier que tel n'est pas le message mis en exergue par la fin de la pièce. S'il y a leçon politique, elle est plutôt dans l'idée que la politique doit respecter ce qui est au-dessus d'elle, en particulier l'ordre fixé par les dieux d'en bas et dont rendent compte les lois coutumières. La faute de Créon est d'avoir oublié les limites assignées à son pouvoir. Cette vérité n'apparaît que progressivement : comme Démosthène, plus d'un spectateur athénien a dû applaudir aux principes exprimés par Créon dans le discours du trône sans attendre la suite des événements pour juger. Leur attente trompée, le fait qu'un dirigeant qu’ils avaient cru bon subisse un sort terrible, est au cœur de l'expérience tragique.
56Mais cette leçon-là est plus morale que politique : elle souligne l'aveuglement de l'homme qui confond le bien et le mal et s'enferme dans son erreur ; elle dénonce l'orgueil de celui qui identifie son bon vouloir avec la volonté divine et refuse de revenir sur sa décision ; elle montre enfin la fragilité de toutes les positions acquises, même les plus enviables, et rappelle que l'homme est sans cesse exposé à des retournements de fortune qui ruinent soudainement son bonheur.
Bibliographie
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Théâtre, Ch. et L. Delatte (1991) : “Sophocle, Eschyle, Protagoras et les autres”, LEC, 59, Namur, 109-121.
Notes de bas de page
1 Euripide répond à Eschyle que les poètes doivent être admirés parce que “par notre habileté et les avertissements que nous donnons, nous rendons les hommes meilleurs dans les cités” (v. 1009-1010). Eschyle reprend ce postulat pour montrer qu'Euripide a démérité. Les textes antiques cités sont, sauf indication contraire, ceux de la CUF, mais c'est nous qui traduisons.
2 Citée par Baldry 1975, 95. Il s'agit de la lettre 115, §114-15, au tome V de l'édition CUF.
3 Deux dans Antigone, une dans Ajax (Ménélas fait l'éloge de la crainte, v. 1071-1083) et une dans Œdipe Roi (Créon manifeste sa préférence de la seconde place, v. 584 sq.).
4 L'exception est le Créon d'Œdipe Roi, mais ses idées sont relativisées par sa situation d'accusé, obligé à se livrer à un plaidoyer, alors que son interlocuteur, Œdipe, est prévenu contre lui.
5 Antigone, évoquant la proclamation de Créon, dit que “des malheurs venant de leurs ennemis marchent contre leurs proches” (v. 10).
6 Cf. v. 44 et 79.
7 Les passages en italiques correspondent à des passages repris par Démosthène, dans le commentaire qu'il donne à ce passage, dans le Sur l'Ambassade.
8 On peut noter l'usage tout particulier qu'il fait du relatif indéfini ὅστις pour définir une attitude avant de la juger (v. 178, 182).
9 Sont de cet avis Bowra 1944, 68, qui établit des rapprochements avec Euripide et Thucydide et conclut que les idées exprimées par Créon sont “les lieux communs légitimes d'un patriote et étaient acceptés en tant que tels”, et Knox 1982, 12 : “there is actually little in those lines which would not have seemed acceptable, if perhaps harshly expressed, to most Athenian citizens.”
10 Bowra 1944, 69, voit là une expansion de la maxime de Bias reprise par Arist., EN, 1130a 1 : ἀρχὴ ἀνδοὰ δείξει., “le pouvoir montrera l'homme”.
11 L’image utilisée par Créon (ἐκ φόβου του γλῶσσαν ἐγκλῄσας ἔχει) est reprise presque en ces termes par Antigone qui applique la formule non plus au dirigeant, mais au peuple asservi : “Tous ces gens te diraient que c'est cela qui leur plaît, si la crainte ne leur liait la langue” (εἰ μὴ γλῶσσαν ἐγκλῄσοι φόβος, v. 504-505). Ce retournement suggère une appropriation de la parole par Créon qui devient, dans la cité, le seul à pouvoir s'exprimer librement.
12 The. 2.65.8-10 : il oppose Périclès à ses successeurs.
13 Cf. Or., 772-773 ; Supp., 411 sq, Hec., 131-133, Hipp., 482-489, 986-989, Med., 580 sq„ Ph., 526-527.
14 Voir, par exemple, Eq.. 1114-1120.
15 Cf. Dem., 8.70 ; 4.51 et 9.3-4. 3.13 et 32.
16 Blundell 1989, 116, n. 43 met en rapport la formule de Créon avec le serment des bouleutes à Athènes : τὰ βέλτιστα βουλεύσειν τῇ πόλει.
17 Dem. 18.247.
18 Dem. 19.248 : ἀντὶ μὲν τῆς πόλεως τὴν Φιλίππου ξενίαν καὶ φιλίαν πολλῷ μείζον᾽ ἡγήσαθ’ αὑτῷ καὶ λυσιτελεστέραν.
19 On peut voir à quel point les formulations de Démosthène et Créon sont proches en mettant en parallèle ἀντὶ μὲν τῆς πόλεως et ἀντὶ τῆς αὑτοῦ πάτρας ; φιλίαν πολλῷ μείζον᾽ ἡγήσαθ’ αὐτῷ et μείζον᾽... φίλον νομίζει.
20 λυσιτελεστέραν suggère le profit qu'Eschine en a retiré pour lui.
21 Dem., ibid. : τὴν δ᾽ ἄτην ὀρῶν στείχουσαν ὁμοῦ, τὴν ἐπὶ Φωκέας στρατείαν, οὐ προεῖπεν οὐδὲ προεξήγγειλεν, ἀλλὰ τοὐναντίον συνέκρυψε καὶ συνέπραξε καὶ τοὺς βουλομένους εἰπεῖν διεκώλυσεν
22 Cette idée est déjà un lieu commun de la littérature grecque. Dans Alcée, fr. 6, éd. Liberman, CUF, 1999, l'association n'est pas encore très nette et le texte est très corrompu. Mais Théognis, v. 670-682, utilise la métaphore sans équivoque possible. De même, Aesch., Th., 1-4 et Eu., 16.
23 Dem. 19.249 : οὐκ ἀναμνησθεὶς ὅτι “ἥδ᾽ ἐστὶν ἡ σῴζουσα καὶ ταύτης ἔπι” τελοῦσα μὲν ἡ μητὴρ αὐτοῦ καὶ καθαίρουσα καὶ καρπουμένη τὰς τῶν χρωμένων οἰκίας ἐξέθρεψε τοσούτους τούτουσι...
24 Οὐδ᾿ ὅπως ὀρθὴ πλεύσεται προείλετο, ἀλλ᾽ ἀνέτρεψε καὶ κατέδυσε καὶ τὸ καθ᾽ αὑτὸν ὅπωκ ἐπὶ τοῖς ἐχθροῖς ἔσται παρεσκεύασεν.
25 L’expression de Démosthène, ὁρθὴ πλεύσεται, renvoie à πλέοντες ὀρθῆς que l'on trouve chez Sophocle, v. 190.
26 Cf. Reinhardt 1933, 106 qui distingue le quod et le quomodo du discours de Créon : “il est de ceux qui ne se laissent pas reconnaître à ce qu'ils disent d'eux-mêmes, mais au style et au contexte de leurs paroles”. “Sa profession de foi est menace voilée”. Il considère que Créon s'adresse au chœur en lui laissant entendre : “Ne croyez pas que je me trompe sur votre compte !”.
27 Dans la bouche d'Antigone, v. 509 et dans celle d'Hémon, v. 733. Il est intéressant de noter que, dans les deux cas, ce que dit la voix de Thèbes est assez vague. Le locuteur se contente d'affirmer que les Thébains sont de son avis contre Créon.
28 On pourrait parler d'ironie de feedback, si l'on reprenait la définition de cette notion que donnent Théâtre & Delatte 1991, 111, n. 7 : “Nous appelons ‘feedback’ un procédé de lecture qui consiste à revenir au début d'un texte et à le relire en ayant présent à l'esprit les éléments qui ont été décrits dans la suite du texte.”
29 Eur., Ph., 967 : “Que personne ne me fasse une gloire de tuer mes enfants !”
30 Jouanna 1998, 126-127 : “Dans la perspective du choeur, Créon, tout en étant fautif, accède à la sagesse à la fin de la tragédie, parce qu'il a cédé et reconnu ses fautes ; Antigone certainement pas.”
31 Par exemple, v. 1113-1114 : “Je crains que le mieux ne soit de passer sa vie à respecter les lois établies.”
32 Voir, par exemple, A., v. 177 : τῷ πάθει μάθος.
33 Saïd 1978, 131-132.
34 Thc. 1.138.6 : la famille de Thémistocle l'enterre secrètement en Attique après sa mort, malgré la loi.
35 Xen., HG., 1.7.22 : Eurypolémos propose de juger les stratèges athéniens des Iles Arginuses en fonction de la loi de Cannônos qui signifiait la mort et le Barathron ou de la loi sur les sacrilèges et les traîtres qui interdisait 1'enterrement en Attique et confisquait les biens. Cette dernière loi nous paraît moins sévère que la première dans la mesure où il n'est pas dit explicitement que les criminels seront exécutés. Au contraire, comme dans le cas de Thémistocle chez Thucydide, l'interdiction de sépulture ne peut intervenir qu'après la mort naturelle du traître.
36 Lycurg., C. Leoc., 113 : sur proposition de Critias, les Athéniens décident de déterrer et de rejeter hors d'Attique les ossements de Phrynichos, une fois sa trahison avérée.
37 Paus. 4.22.7 : les Arcadiens lapident le traître Aristocrate et le jettent hors des frontières sans enterrement.
38 Hom., Il, 22.352-354 : Achille refuse de se laisser fléchir par la supplication d'Hector et réitère la promesse qu’il lui a faite aux v. 335-336 du même chant : “Les chiens et les oiseaux te déchireront outrageusement.”
39 Il est précisé, chant 24, v. 18-21, qu'Apollon fait en sorte que tout outrage soit épargné au corps d'Hector, alors même qu'Achille l'a de nouveau attelé pour le traîner, face contre terre, autour de la tombe de Patrocle.
40 La même thématique se retrouve dans Ajax : Ajax, v. 829-830, prie pour que son corps ne soit pas la proie des chiens et des oiseaux, tandis que Ménélas. v. 1064-1065, condamne la cadavre d’Ajax à être la proie des oiseaux du rivage.
41 V. 211-214.
42 L'idée qu'elle n'aurait pas agi de même pour un mari, soutenue aux v. 905-907, discrédite quelque peu ses arguments touchant la piété et le respect des dieux d'en bas. A ce moment de la pièce, elle semble même avoir adopté la perspective d'Ismène puisqu'elle assimile le décret de Créon à la volonté des citoyens, v. 907.
43 Ehrenberg 1954, 54 insiste sur la légitimation toute humaine que Créon donne à son pouvoir : “Creon's maxims, if taken at their face value, are morally sound but reveal the complete lack of divine sanction. He lives in a world in which the gods have no say, a world of purely human and political standards.”
44 V. 162 : c'est aux dieux que Créon attribue la victoire.
45 V. 282-288, il refuse violemment l'idée, suggérée par le chœur, que les dieux pourraient prendre le parti de Polynice.
46 II s'en est pris au chœur, v. 280-281.
47 V. 488-489. Notons que Créon reviendra sur sa décision à la fin du troisième épisode, sur une suggestion du chœur.
48 Aeschin., 3.78 : “Celui qui hait ses enfants et qui est un mauvais père ne saurait être un bon chef (δημαγωγὸς χρηστός). et celui qui ne chérit pas les gens qui lui sont les plus proches et les plus familiers, jamais il ne fera grand cas de vous qui lui êtes étrangers ; l'homme qui est méchant dans sa vie privée (ὁ ἰδίᾳ πονηρὸς) ne saurait être bon dans sa vie publique (δημοσίᾳ χρηστός) et celui qui est vil chez lui, n'a jamais été un homme de bien en Macédoine.”
49 Cf. Knox 1982, 10. Il affirme également p. 11 : “Polis and στρατός are different sides of the same coin ; what goes for one goes for the other.”
50 Finley 1983, 96 a bien montré l'“identité des rôles civil et militaire” à Athènes.
51 Cf. Kamerbeek 1978, ad. loc. : οὐ καταισχυνῶ ὅπλα τὰ ἱερά, οὐδ᾽ ἐγκαταλείψω τὸν παραστάτην ὅσῳ ἂν στοιχἡσω, “Je ne déshonorerai pas les armes sacrées et je n'abandonnerai pas celui à côté de qui je serai placé.”
52 Sol., frag. 27 Diehl : ἀργῶν ἄκουε κἂν μὴ δίκη. On trouve une attestation comparable dans le Leutsch, Parœm. 1, 100, p. 394 : κρεισσόνων γὰρ καὶ δίκαια κἄδικ’ ἔστ᾿ ἀκούειν, “Il est permis d'obéir aux meilleurs, dans ce qui est juste comme dans ce qui est injuste” et dans un fragment : fr. tr. ad. 436N. : δοῦλε, δεσποτῶν ἄκουε καὶ δίκαια κἄδικα, “esclave, obéis aux maîtres dans ce qui est juste comme dans ce qui est injuste.”
53 Rappelons que le monde de Créon est celui des Sept contre Thèbes, une légende antérieure d’une génération à la guerre de Troie.
54 Hdt. 7.104 : “Étant libres, ils ne sont pas complètement libres. Car la loi leur est un maître qu’ils redoutent encore plus que ne font tes sujets pour toi. Ils font tout ce qu’elle commande. Et elle commande toujours la même chose : elle ne permet de fuir du combat devant aucune masse d’hommes, mais ordonne de rester en place pour l’emporter ou mourir.”
55 Thc. 2.37.3 : “Malgré l'absence de contrainte dans nos relations privées, nous ne transgressons pas les lois en ce qui concerne les affaires publiques, surtout par crainte (διὰ δές), du fait de l'obéissance (ἀκροάσει) à ceux qui sont successivement en poste et aux lois, notamment celles qui sont utiles contre les injustices et toutes les lois non écrites qui portent sur une honte reconnue.”
56 L'anarchie désigne étymologiquement l'absence de chef. Cf. Romilly 1975, 120 sq.
57 Cf. Segal 1981, 183 : il montre bien comment Créon “identifie son autorité politique et son identité sexuelle.”
58 Cf. Lanza 1977.
59 Hdt. 3.80.
60 Aristophane de Byzance, argument d'Antigone, lg 17-18 : “On dit que Sophocle a été jugé digne de la stratégie de Samos parce qu'il avait acquis une bonne réputation lors de la représentation d'Antigone.”
61 Soph., Ant., 692-700 et 733 : dans les deux cas, Hémon soutient que Thèbes a pris le parti d'Antigone.
Auteur
Université de Tours
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