Diplomatie et liens de parenté : Ilion, Aphrodisias et Rome
p. 179-186
Texte intégral
1“Les Grecs étaient convaincus que leur mythologie héroïque ne faisait qu’un avec leur histoire ancienne”1. Il est difficile de ne pas se remémorer cette remarque de Martin Persson Nilsson lorsque l'on considère un phénomène qui se manifeste à la fois dans le monde grec et dans le monde romain, depuis l’époque archaïque jusqu’à l'ère byzantine, le phénomène de ce que l'on pourrait appeler une diplomatie de la parenté. J'entends par là un type de diplomatie par laquelle un État tait appel à un autre État sur la base d'une ascendance ou d’une origine communes. Les deux États en question peuvent être des cités, mais ils peuvent tout aussi bien être des royaumes, des fédérations ou bien même un empire comme celui de la Rome républicaine et impériale. Je souhaiterais aujourd’hui illustrer le pouvoir de ces liens si particuliers par le biais d’un contraste, en montrant comment deux villes distinctes diffèrent dans leurs rapports avec Rome. La première de ces villes est Ilion, le successeur de la Troie de l’Age du Bronze à l’époque historique. La deuxième ville est rarement mentionnée dans nos textes manuscrits, bien que, à l'instar de Troie, elle aussi ait été habitée durant plus d’un millénaire : je veux parler de la cité de Carie qui tire son nom de la déesse Aphrodite, Aphrodisias.
2Lorsqu'un État essaie d’en influencer un autre en faisant appel à leurs liens mutuels, il tente, bien entendu, d’en trouver le plus possible tout en mettant l'accent sur les plus immédiats ou les plus prestigieux d'entre ces liens. Ceux-ci peuvent être purement politiques, mais ils reposent souvent sur une forme de parenté qu’il est possible d’appeler “légendaire” ou “mythique”. Nos documents, pourtant, n'usent que très rarement de ces termes ; ils préfèrent parler de liens provenant à la fois des dieux et des héros. Qui plus est, les parentés légendaires – et c’est la raison pour laquelle j'ai commencé par citer la remarque de Nilsson – sont loin d’être les seuls liens que l'on invoque dans ces cas-là : des relations basées sur une fondation, ancienne ou récente, ou parfois même des relations de ce que les textes appelent “intimité” ou “familiarité” (oikeiotês) font tout aussi bien l’affaire. En ce qui concerne Aphrodisias, comme nous le verrons, il n’existe en fait aucun lien de consanguinité entre les deux peuples : la relation s'établit ici entre l'Aphrodite vénérée par les habitants d’Aphrodisias d’une part, et le peuple de Rome, d’autre part.
3Examinons maintenant deux expressions parmi celles que l’on utilisait alors lorsque l’on pratiquait ce type de diplomatie. Le terme grec standard qui signifie habituellement “parenté basée sur une ascendance commune (genos)” est suggeneia. Il a fait l'objet de maintes études, la plus récente étant l’excellente monographie d’Olivier Curty2. Le mot oikeiotês apparaît aussi fréquemment, parfois même entre États qui sont dits être apparentés, mais son sens précis est plus difficile à cerner. Même à une époque aussi reculée que le ve s. a.C., l’historien Thucydide utilise déjà le terme dans le contexte des relations diplomatiques. Après la débâcle de Sphactérie en 425, les Lacédémoniens envoient une ambassade offrant aux Athéniens à la fois paix, alliance, et, plus généralement, une relation d’“amitié et de familiarité mutuelles (philia kai oikeiotês)”3. Comme Simon Hornblower l’a récemment souligné dans son commentaire du texte de Thucydide, oikeiotês dans ce passage précis ne peut pas se rapporter à un quelconque lien de consanguinité : la relation d’“intimité” et de “familiarité” repose obligatoirement sur la signature de l’accord de paix lui-même, et non sur quelque chose qui existait déjà auparavant. Comme nous allons le voir, le même type de relations existe encore à l’époque impériale, lorsque l’on pouvait dire de bon nombre de cités, outre celle d’Aphrodisias, qu’elles étaient oikeia tôn autokratorôn, ou possédaient oikeiotês avec le peuple romain. Ainsi, cette “familiarité”, bien qu’elle puisse exister, comme sa proche parente “l'amitié” (philia), entre des états apparentés, n’est pas, comme on l'a parfois dit, une forme réduite de consanguinité. Elle constitue en effet, entre deux États, un lien affectif particulièrement étroit et non moins efficace, dans ses conséquences pratiques, que les liens de parenté eux-mêmes.
4Il serait tout à fait possible de retracer l’histoire des rapports qu’entretinrent ces deux cités avec Rome depuis le iie s. avant notre ère. Mais le temps qui nous est imposé nous contraint à réduire le cadre de notre enquête à la période impériale, et plus particulièrement, à celle des empereurs julio-claudiens. Les Julii faisaient partie de ces maisons troyennes (Troianae gentes) qui faisaient remonter leurs origines à Énée et à ses compagnons. Les victoires que remporta Jules César sur les républicains, ainsi que celles du futur Auguste sur Marc Antoine, furent doublement bénéfiques aux citoyens d’Ilion. Ils avaient depuis longtemps déjà su tirer avantage de leur parenté avec les Romains et de leur ascendance commune dans la famille royale de Troie : maintenant, le pouvoir à Rome était entre les mains d’une famille tout particulièrement fière de ses ancêtres troyens. La ville allait ainsi connaître une période de prospérité exceptionnelle qui devait durer tout au long du principat. Pour le géographe Strabon, lequel écrivait sous les règnes d’Auguste et de Tibère, il ne faisait aucun doute que les liens de parenté étaient la cause des bienfaits de Jules César envers Ilion4 :
César, en tant qu'admirateur d’Alexandre (de Macédoine) et possédant les plus incontestables preuves de parenté avec les habitants d’Ilion, fut particulièrement actif dans ses actes de bienfaisance (envers eux) ; (ces preuves étaient) indéniables, d’abord parce qu’il était un Romain lui-même, ensuite parce qu’il était un Julius dont l’ancêtre s’appelait Iulus... et qu’il était l’un de ceux qui descendaient directement d’Énée. Il leur fit donc cadeau de terre et les aida à protéger leur liberté et leur immunité, toutes possessions desquelles ils tirent encore grande fierté.
5Curieusement, alors qu’il rapporte en détail les nombreux gestes de bienfaisance de Jules César envers la ville, Strabon omet de mentionner ceux d’Auguste, lesquels sont pourtant beaucoup mieux attestés par l’archéologie. Comme il ressort désormais des fouilles d'Ilion, Auguste fut à l'origine de la restauration du temple d'Athéna Ilias : il est probable qu’il apporta aussi sa contribution à la construction d’une nouvelle salle de concerts (ôdeion) et d’une nouvelle salle d’assemblée (bouleuterion)5. Les inscriptions gravées sur une série de bases de statues montrent que la ville rendit honneur à Auguste et aux membres de sa famille jusqu’à Néron en tant que “cousins” (suggeneis)6. Tacite nous renseigne sur les relations que Néron entretenait avec la ville. Alors qu’il n’était encore que le beau-fils de Claude et au seuil de sa carrière publique, Néron délivra devant le sénat un discours en faveur d’Ilion demandant la préservation de son immunité fiscale. Avec son ironie habituelle, Tacite note que l’orateur impérial avait justifié sa requête en faisant appel à l'ascendance troyenne des Romains et à d'autres arguments semi-mythiques : mais Néron ne faisait là rien de plus que ce que les orateurs d’Ilion avaient fait durant des siècles7. Par une curieuse sorte de convention, il semble que seuls les habitants d’Ilion pris collectivement étaient en droit de parler des membres de la maison impériale comme de leurs “parents” ; les individus, en revanche, ne pouvaient leur appliquer que les termes de “bienfaiteur” (euergetês) ou d’“hôte” (xenos), mais jamais celui de “parent” (suggenês)8.
6Bien que des indices de contacts étroits entre la ville et la maison impériale se prolongent jusqu'à la période de la tétrarchie, Ilion n’est mentionnée que rarement sous l’empire, à la différence de son prospère voisin du sud : la colonie augustéenne d'Alexandrie de Troade9. L’autre ville dont nous nous occuperons aujourd’hui, Aphrodisias de Carie, est elle aussi en grande partie négligée dans la littérature de l’ère impériale. L’archéologie nous a toutefois révélé l’étendue des bénéfices que lui a valus la faveur de Rome tout au long de la période du principat.
7Bien que le site d’Aphrodisias ait été habité bien avant les Romains et qu’il ait possédé un temple de la déesse Aphrodite dont l'existence remontait peut-être jusqu’au iiie s. a.C., il semble n’avoir été, jusqu’à la venue des Romains, rien de plus qu’un village sacré. Il est difficile de savoir quel fut le rôle exact que joua Rome dans la transformation de ce village en une ville à part entière, mais l’on peut raisonnablement supposer que son action fut déterminante10. Les relations entre Rome et Aphrodisias, en dépit du fait qu’elles n’aient été en rien moins étroites que celles qui prévalaient entre Rome et Ilion, se distinguaient pourtant de ces dernières de façon essentielle. Aphrodite n’était pas la fondatrice de la cité, comme, par exemple, Dionysos auquel l'on attribue la création de Nicée11 : elle en était la déesse tutélaire, prokathemênê, comme elle est appelée dans un texte, archêgetis, poliouchos, comme de telles divinités sont décrites ailleurs. Les habitants d’Aphrodisias ne prétendaient posséder de lien de parenté ni avec Aphrodite, ni avec les Romains : lorsqu’ils honoraient la déesse en tant que promêtôr, ou “ancêtre”, c’était exclusivement en tant qu'ancêtre de la maison impériale.
8Examinons maintenant quelques-uns des documents épigraphiques concernés. Le complexe religieux dans lequel les fouilleurs ont reconnu le Sébasteion figure parmi les monuments les plus célèbres d’Aphrodisias. L’avant-cour de ce complexe contenait un certain nombre de piédestals de statues : l’un d’entre eux rendait honneur à Aphrodite promêtôr tôn Sebastôn, tandis qu’un autre était dédié à “Énée, fils d’Anchise”12. D’autres statues représentaient divers membres de la famille d’Auguste, de Tibère et de Gaius13. Nul d’entre eux n’y était appelé “parent” des citoyens de la ville comme à Ilion : la présence d’Aphrodite et d’Énée dans le complexe montre quelle était la relation que l’on préférait mettre en avant. Mais cette absence de liens de parenté directe entre Rome et Aphrodisias ne diminua en rien les faveurs que les empereurs julio-claudiens et leurs successeurs prodiguèrent à la ville. Nous verrons qu'Aphrodisias continua de profiter de la vénération des Romains pour Aphrodite aussi longtemps que les empereurs demeurèrent païens.
9Un exemple caractéristique, dont Joyce Reynolds a donné un commentaire plus que satisfaisant, concerne l'empereur Trajan. Une base de statue, sur laquelle avait autrefois reposé un groupe de Cyclopes, fut restaurée par l’empereur lui-même en l’honneur de son ancêtre Aphrodite et du peuple (d’Aphrodisias), τῇ προμήτορι ’Aφροδείτῃ καὶ τῷ δήμῳ. Un notable de la cité avait légué les fonds nécessaires aux travaux de rénovation ; il est clair que ce furent ses héritiers, ou encore la ville elle-même, qui obtinrent de l’empereur l’autorisation de restaurer le groupe de statues en son nom14.
10Le théâtre constitue un autre monument majeur mis au jour par les fouilleurs d’Aphrodisias. C’est apparemment sous le règne de Septime Sévère que les citoyens commencèrent à graver sur plusieurs des murs de la parodos nord des documents démontrant la faveur dont leur ville jouissait auprès des généraux et empereurs romains. Ces documents ne constituent pas un mur d’archives, comme on l’avait d’abord cru, mais un choix de lettres et décrets extraits sans nul doute des archives de la ville et publiés à la fois pour le bénéfice des citoyens et pour celui des visiteurs15. L’on pourrait s’attendre à ce que ces lettres fissent fréquemment mention des liens de parenté entre Rome et la déesse Aphrodite ; or, elles ne commencent à y faire référence qu’à partir du règne de Septime Sévère. Ce fait s’explique aisément : les références aux liens de parenté avaient leur place toute trouvée dans ce que l’on peut appeler les lettres de confirmation, à savoir les lettres que les empereurs écrivaient au début de leur règne pour remercier la ville de ses félicitations et pour confirmer ses privilèges. Lorsqu’ils inscrivirent sur leurs murs la correspondance des prédécesseurs de Septime Sévère, les habitants d’Aphrodisias jugèrent inutile d’y inclure ce type de lettres16.
11La première en date de ces lettres de confirmation remonte à l’an 198. La ville avait, semble-t-il, félicité Septime Sévère et Caracalla pour leur récentes victoires contre les Parthes17. La réponse des empereurs comporte des lacunes, mais le début en est conservé : “Il était tout à fait vraisemblable que, puisque vous adorez la déesse à partir de laquelle la noblesse...” (πάνυ τῶν εἰκóτων ἦν θεòν ὑμᾶς προσκυνοῦντος παρ’ἧς ἡ εὐγένεια). Mais à qui cette noblesse est-elle attribuée ? Le terme eugeneia apparaît souvent dans les textes à propos de villes fondées par des dieux ou des héros ; parallèlement, il est utilisé tout aussi fréquemment pour louer des personnes18. En tant que descendants d'Aphrodite et d'Énée, les Romains pouvaient revendiquer leur propre “noblesse” ; ainsi, Denys d’Halicarnasse dit à propos de la maison des Julii que “sa noblesse est confirmée par ses vertus”19 ; à la fin de l'antiquité, faisant allusion à la Constitution antoninienne, l'empereur Justinien parlera de la “noblesse romaine”, hê rhômaïkê eugeneia20. Rien ne s'oppose, donc, à ce que Septime Sévère et Caracalla fassent allusion à leur propre noblesse ou à celle des Romains et non à celle d’Aphrodisias. L’on peut reconstituer la lacune dans ce sens sans aucune difficulté21.
12Une autre lettre provenant des deux mêmes empereurs semble être de très peu postérieure à la première ; cette fois-ci, Caracalla est l’auteur principal. Le langage en est très proche de la précédente : “Il était juste que vous vous réjouissiez de mon accession au partenariat avec mon père ; car vous êtes, à cause de la déesse qui gouverne votre cité, liés de façon plus étroite que d’autres à l’empire de Rome” (τῇ Ῥωμαίων ἀρχῇ μᾶλλον ἂλλων προσήκοντας διὰ τὴν προκαθημένην τῆς πóλεως ὑ[μῶν θεάν])22. Le terme que j’ai traduit par “lié” (προσηκών) peut certes faire référence à un lien de consanguinité23, bien que les auteurs de la période impériale l’appliquent sans discrimination à toutes personnes entretenant des rapports étroits, un peu comme le latin necessaria. Dans le cas présent, l’on peut certainement exclure toute allusion à un lien de consanguinité à cause des mots à l’empire de Rome”.
13Une lettre de Gordien III, écrite peu après son accession au trône, omet elle aussi de mentionner les liens de parenté entre Aphrodisias et Rome. L’empereur attribue trois qualités majeures aux habitants d’Aphrodisias : leur antiquité (arkhaiotês), leur bonne volonté (eunoia) et leur amitié (philia) envers les Romains ; les liens de parenté avec la déesse, que ce soient les siens propres ou ceux des citoyens d'Aphrodisias, ne sont mentionnés nulle part24. Une lettre de Dèce et de son fils Herennius Etruscus, écrite peu après l’accession de ce dernier au rang d’Auguste vers le milieu des années 250, est un peu plus parlante. "A la fois à cause de la déesse qui a donné son nom à votre ville, et à cause de votre familiarité avec les Romains et fidélité envers eux, il était juste que vous dûssiez vous réjouir de l’établissement de notre gouvernement et offrir les prières et sacrifices nécessaires”, καὶ διά τὴν ἐπώνυμον τῆς πóλεως ὑμῶν θεòν καὶ διὰ τὴν πρòς Ῥωμαίους οἰκειóτητά τε καί πίστιν25. De manière tout à fait plausible, Joyce Reynolds a vu dans la référence aux “sacrifices et prières” une allusion aux sacrifices aux dieux traditionnels que Dèce avait ordonnés au début de la même année, lançant ainsi la soi-disant “persécution de Dèce” dirigée contre les chrétiens. Il est d’autant plus intéressant de constater que les deux empereurs ne mentionnent ni leur propre parenté avec la déesse, ni celle des citoyens d’Aphrodisias : il n’est question dans leur lettre que de la “familiarité” (oikeiotês) existant entre la ville et les Romains. Nous avons vu comment Thucydide utilisait déjà ce terme pour décrire la relation d’entente cordiale que les Spartiates offrirent aux Athéniens en 425. Louis Robert a montré comment, à l’époque impériale, le terme devint partie intégrante de la titulature de Sardes et d’autres villes d’Asie Mineure : oikeia tôn autokratorôn, etc. Robert crut d’abord que le mot désignait un “lien de parenté” ; mais, après avoir pris en compte plusieurs exemples dénotant un usage différent, il changea d’avis : “le terme oikeios ne doit pas avoir là son sens de parent ou d’allié, mais de familier, ami”26.
14A partir de la comparaison que je viens de dresser entre ces deux villes, je voudrais offrir deux conclusions majeures à propos de la “diplomatie des liens de parenté”. La première concerne les soins scrupuleux que prenaient à la fois les villes et les souverains à observer les formes requises par l’étiquette. Ainsi, les habitants d’Ilion ne pouvaient faire référence aux empereurs comme à des “parents” que collectivement, et non individuellement ; de même, les citoyens d’Aphrodisias ne revendiquaient pas pour eux-mêmes une ascendance divine et héroïque qui n’appartenait de plein droit qu’aux Romains, et, à l’époque du principat, qu’aux empereurs. L’autre conclusion, qui est liée à la première, concerne les avantages matériels que les villes pouvaient tirer de ces relations privilégiées. Pour ce qui est d’Ilion, nos données les plus sûres proviennent de sources littéraires, à savoir de Strabon et Tacite, lesquels témoignent des bénéfices conférés à la ville par Jules César et Néron respectivement en tant que descendants d’Énée. Pour Aphrodisias, nos témoignages sont exclusivement basés sur l’archéologie. Ainsi, dans l’unique passage de ses œuvres où il fasse référence à la ville, Tacite n’attribue la prédilection des Romains pour la cité qu’au soutien que celle-ci apporta à Jules César et à sa loyauté envers Auguste27. Il ne fait aucun doute que la loyauté et la conduite passée de la ville étaient toujours prises en compte : nous avons vu comment, même à une époque aussi tardive que les années 250 de notre ère, Dèce et son fils pouvaient encore rappeler la “fidélité” (pistis) de la ville à la cause de Rome ; suivant les cas particuliers, les empereurs accordaient plus d’importance, tantôt à la “loyauté” de la cité, tantôt à son statut de “parent” et de “familier”.
15A travers toute son histoire, Ilion fut victime d’attaques venant de la mer. Même sous les empereurs julio-claudiens, lorsqu'elle profitait à plein des faveurs impériales, la ville était en proie à des raids de pirates28 ; leur fréquence n’a pu que s’accroître dans la deuxième moitié du iiie s., quand les Goths et d’autres groupes franchissaient souvent l’Hellespont en toute impunité. Aphrodisias, en revanche, montre tous les signes d’une activité florissante jusque dans l’Antiquité tardive. A cette époque-là, pourtant, ses liens avec la déesse Aphrodite ne lui étaient plus d’aucune utilité. Ce que la ville possédait au lieu de cela, c’étaient à la fois un site protégé, à l’abri de la mer et de la vallée du Méandre, bien fortifié par des remparts solides, et une industrie florissante basée en grande partie sur l’exploitation des carrières de marbre environnantes. Il est possible qu’au bout du compte ces avantages aient suffi à eux seuls à élever Aphrodisias à une position d'importance, sans qu’elle ait eu besoin pour cela de l’heureuse coïncidence qui fit de sa déesse de la fertilité, adorée chez elle depuis les temps les plus reculés, la mère des habitants de Rome. Une chose est certaine : c’est précisément cette coïncidence qui donna naissance à la ville en premier lieu et qui la soutint durant plus de quatre siècles jusqu’à ce qu’elle puisse s’établir par elle-même en tant que métropole à part entière.
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Notes de bas de page
1 Nilsson 1951, 12. Je tiens à remercier Florent Heintz (Harvard) de son excellente traduction.
2 Curty 1995 ; voir aussi le compte-rendu de l’ouvrage par Ph. Gauthier 1996, no 6.
3 Thc. 4.19.1. Voir désormais Hornblower 1996, 64-65, 175 ; Gauthier 1996, no 551.
4 Str. 13.1.28.
5 Temple d’Athéna : IK, 3-Ilion, 84 ; cf. Rose 1992, 45. Pour les salles de concert et d’assemblée, cf. Rose 1994,89-90.
6 IGRR, IV, 200, 204, 205, 207, 209 = IK, 3-Ilion, 82 (Auguste), 86 (Agrippa), 85 (Gaius Cesar), 89 (Tibère), 91 (famille de Claude dans laquelle seul Néron est présenté comme “cousin”).
7 Tac., Ann., 11.52.
8 “Bienfaiteur”, “hôte” : IGRR, IV, 203, 206 = IK, 3-Ilion, 81,83.
9 Sur ce point, voir mes références dans Jones 1985, 42, n. 12 ; l’on pourrait aisément en ajouter plus. E. Schwertheim et d’autres sont responsables de l’étude du site : pour les premiers résultats, cf. Schwertheim 1994, 1996.
10 Cf. Errington 1987, 103-105.
11 Robert 1966, 417, n. 1 = Robert 1989, 41, n. 1.
12 Reynolds 1986, 111-113 ; SEG, 36, 1986, 968, 969.
13 Reynolds 1980, 80-82 ; SEG, 30, 1980, 1247-52.
14 Reynolds 1980.74-76 ; SEG, 30. 1980, 1254 ; Reynolds 1982, no 55.
15 La publication fondamentale est due à Reynolds 1982 ; sur la date à laquelle débuta cette collection de documents, cf. Bowersock 1984, 50-51.
16 Line lettre d'Hadrien, datée de 119, fait référence à une lettre de confirmation, laquelle n’est pas reproduite sur le mur : Reynolds 1982, no 15.
17 Reynolds 1982, no 17.
18 Pour les villes, voir la bibliographie réunie par Robert 1977, 68, n. 106 ; cf. aussi Nock 1954, 76-82, sur le “Discours d’Antioche” de Libanius (no 11 Foerster). Concernant les personnes : Robert 1980, 246.
19 Denys d'Hal., Ant. rom., 1.70.4.
20 Justinien, Novelles, 78.5.
21 Par exemple : παρ’ ἧς ἡ εὐγένεια [ἡμῶν καθέστηκεν, ἡσθῆναί τε ἐπὶ τοῖς κατὰ] τῶν βαρβάρων Κατωρθωμένοις
22 Reynolds 1982, no 18. Je doute que Reynolds ait trouvé la vérité dans sa restitution de la ligne 3.
23 Dans un tel contexte, le sens du mot est souvent précisé par une expression comme κατὰ γένος ; ainsi, chez Plut., Thés., 19.9 ; pour les inscriptions, cf. Robert 1960, 232.
24 Reynolds 1982, no 20.
25 Reynolds 1982, no 25.
26 Robert 1940, 56-59 : Robert 1946, 145-147 ; Robert 1977, 88 ; Herrmann 1993, 236. n. 6. Cf. Philon d’Alexandrie, In Flaccum, 9, où il est clair que ὡς ἐπ’οἰκειοτάτῳ ne signifie pas “comme pour un très proche parent”, mais bien “comme pour un très cher ami”.
27 Tac., Ann., 3.62.3. Sur les problèmes que posent ce passage, voir Reynolds 1982, 79-80, et plus récemment, Rigsby 1996, 429 et p. 585.
28 CIG, 3612 = IK, 3-Ilion, 102 (entre 4 et 23 p.C.).
Auteur
Université de Harvard.
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