L’œil du savant : le cours sur l’art étrusque de Désiré Raoul-Rochette à la Bibliothèque du Roi (1828)
p. 363-380
Résumé
Le Cours d’archéologie, professé par M. Raoul-Rochette à la Bibliothèque du Roi, tous les mardis, édité à Paris en 1828, est le plus ancien exemple français d’un cours d’archéologie publié. La fonction de conservateur du Cabinet des antiques et médailles s’accompagnait en effet d’une charge de divulgation à travers un enseignement régulier, sur place, illustré au moyen des œuvres et des livres possédés par le Cabinet. Nous avons choisi d’étudier ces débuts de l’enseignement de l’histoire de l’art et de l’archéologie classique en France à travers la partie de son cours consacré à l’art étrusque, un domaine que Raoul-Rochette affectionna tout au long de sa carrière, comme en rendent compte ses travaux, sa collection personnelle d’art ou encore ses voyages. Le premier intérêt de ces leçons publiées est de nous donner l’état des connaissances sur l’archéologie étrusque de l’époque, en évoquant les débats historiographiques en jeu ainsi que l’actualité des découvertes archéologiques ; elles permettent en deuxième lieu d’apprécier le rôle accordé alors à la civilisation étrusque aux regards de celle des Grecs, montrant ainsi l’orientation qu’ont prise les travaux sur l’étruscologie, et particulièrement dans la recherche française ; elles montrent enfin la composition tout à fait significative d’une collection d’art étrusque dans la France du début du xixe siècle et la manière dont elle est expliquée au public cultivé qui assistait aux cours de la Bibliothèque royale.
Note de l’auteur
Une très chaleureuse pensée pour Ève avec qui j’ai partagé une recherche pleine de sérénité sur le détonant Raoul-Rochette ! Tous mes remerciements vont à Cécile Colonna, département des Monnaies, médailles et antiques de la Bnf, qui m’a aidée à y voir clair dans le labyrinthe du Cabinet. Toute ma reconnaissance enfin à Annick pour me faire participer à l’édition de cet ouvrage.
Texte intégral
1C’est en 1819, à l’âge de vingt-neuf ans, que Désiré Raoul-Rochette, au début d’une brillante carrière académique, devient conservateur du Cabinet des antiques et médailles de la Bibliothèque royale, succédant ainsi à Aubin-Louis Millin1. Celui-ci avait initié le cours d’archéologie de la Bibliothèque nationale en 1796, comme l’énonçait la Loi du 23 Prairial de l’an III (juin 1795) sur les rôles de l’institution2. À la mort de Millin en 1818, Antoine-Chrysosthome Quatremère de Quincy fut nommé à sa succession. Mais la chaire ne fut véritablement instituée qu’en 1824 et fut alors occupée par Raoul-Rochette, jusqu’à sa mort, en 18543. Il figure donc parmi les premiers à dispenser cet enseignement, que Lyne Therrien a bien identifié comme le plus ancien en France, sur l’histoire de l’art et l’archéologie.
2Le cours de l’année 1828 est publié. C’est à ces leçons que nous nous intéresserons, plus précisément à celles qui ont concerné l’art étrusque. Douze séances, portant sur l’art égyptien – avec quelques aperçus de l’art phénicien et perse –, l’art étrusque et l’art grec, ont été éditées à Paris, par Eugène Renduel, “avec l’autorisation et la révision du professeur”, dès 18284. L’art romain, en revanche, évoqué dans le plan du cours, ne figure pas dans la publication des séances de 1828.
3Le portrait scientifique de Raoul-Rochette est intéressant à plus d’un titre ; mais on peut retenir comme particulièrement importants et novateurs ses travaux sur l’art et l’archéologie étrusques5. Ces travaux, nous les connaissons sous plusieurs formes scientifiques : les Monuments inédits, somme scientifique comme en ont déjà édité les grands historiens de l’art avant lui – tel Johann Joachim Winckelmann ou Giuseppe Micali, ou encore des institutions académiques – comme l’Institut de correspondance archéologique6 ; des lettres publiées adressées à d’autres savants, forme très habituelle de la divulgation scientifique7 ; des articles parus dans les revues scientifiques de l’époque – comme le Journal des savants ou les Annali et le Bollettino dell’Instituto di corrispondenza archeologica8 ; enfin des Mémoires, ouvrages plus longs que l’article, où l’auteur présente une synthèse sur un sujet9. L’étude de l’art étrusque occupe une place importante dans chacune de ces publications traditionnelles10. Il faut enfin leur ajouter le cours, sorte de manuel qui est issu des enseignements professés à la Bibliothèque du Roi. Ce type d’ouvrage, dont celui de 1828 par Raoul-Rochette représente le plus ancien exemplaire connu en France, permet, par son caractère synthétique, l’exposé des “méthodes et objectifs de la discipline au moment de son implantation comme savoir académique”11. C’est dire tout l’intérêt de cette publication, qui, pour les deux leçons concernant l’art et l’archéologie étrusque, nous donne l’état des connaissances sur cette question à l’époque, expose les débats historiographiques en jeu et l’actualité des découvertes archéologiques, et enfin nous permet d’apprécier le rôle accordé alors à la civilisation étrusque aux regards de celle des Grecs. Ce dernier point nous aide en effet à comprendre l’orientation qu’ont prise les travaux sur l’étruscologie, particulièrement dans la recherche française.
4L’intérêt d’étudier ce Cours d’archéologie étrusque de Raoul-Rochette est sans doute d’examiner un témoignage édité de la mise en place de l’enseignement de l’histoire de l’art et de l’archéologie en France. Le cours de Millin est plus ancien, mais on n’en a conservé que la leçon inaugurale et le programme. L. Therrien s’est fondée sur ces éléments pour caractériser la première genèse de la discipline de l’histoire de l’art. Elle n’explore pas en revanche le Cours de Raoul-Rochette. C’est ce que nous nous proposons de faire dans la première partie de cette étude, dans la perspective des recherches sur les origines de l’enseignement de l’histoire de l’art en France. En outre, dans le cadre des travaux sur l’histoire de l’étruscologie, les deux leçons du Cours consacrées à l’art étrusque constituent une documentation particulièrement significative. Nous envisagerons cet aspect dans un second temps.
Un exemple d’enseignement sur l’archéologie et l’art ancien au xixe siècle
Enseigner à la Bibliothèque royale
5Raoul-Rochette a consacré une importante partie de sa vie à l’enseignement. À vingt-quatre ans, en 1813, il devient professeur d’Histoire au lycée Louis-le-Grand à Paris, puis de 1815 à 1818, maître de conférences à l’École normale supérieure (il était devenu normalien en 1810). Il remplace François Guizot, appelé à des charges politiques, en 1816, pour la chaire d’Histoire moderne à la Sorbonne, jusqu’en 181812. Pour le cours à la Bibliothèque du Roi, il ne commence qu’en 1824, étant chargé des collections du Cabinet des antiques depuis déjà plusieurs années. Il continue son cours jusqu’en 1854, jusqu’à la veille de sa mort, même après avoir été révoqué du poste de conservateur du Cabinet, en 1848.
6Son cours semble avoir connu un vif succès, si l’on en croit le magazine L’Illustration, qui publie, en 1843, dans son premier numéro, une gravure figurant la salle du Zodiaque de la Bibliothèque royale, où le professeur Raoul-Rochette mène son cours devant un large auditoire (fig. 1). Le public, composé d’hommes et de femmes13, occupe toutes les places assises et beaucoup sont débout, le nombre évoquant quelques centaines de personnes.
7Comme l’a souligné L. Therrien, le lieu où se déroulait le cours impliquait qu’il soit orienté vers les collections du Cabinet, soit vers l’art classique. En effet même si Millin se passionna pour les antiquités nationales, son cours de la Bibliothèque royale ne portait que sur l’art classique, qu’il envisagea aussi dans de nombreux autres travaux scientifiques. En ce qui concerne Raoul-Rochette, son entreprise archéologique visait une histoire comparée des arts anciens, avec l’art grec comme pierre angulaire de cette démarche14. Il s’est peu intéressé aux témoignages français de l’art antique, développant son histoire des arts anciens depuis les Perses et les Égyptiens jusqu’aux Romains, en passant par les Grecs et les Étrusques. Ces trois dernières civilisations étaient particulièrement bien illustrées par les collections du Cabinet.
8La version imprimée du Cours de Raoul-Rochette nous permet d’apprécier d’autres détails pratiques de cet enseignement. L’auteur, à plusieurs reprises, cite des monuments antiques qui viennent à l’appui de sa démonstration et qui sont conservés dans le Cabinet. Nous examinerons plus tard le choix que fait Raoul-Rochette dans la collection, concernant plus spécifiquement les œuvres étrusques. Le texte édité du Cours a conservé plusieurs expressions déictiques qui désignent les objets montrés au public : “dont le cabinet du Roi possède quelques fragmens que je mets sous vos yeux…15” ; “en plaçant ce monument sous vos yeux, en le recommandant à votre attention… L’urne cinéraire que vous voyez…”16 ; tandis que trois autres objets sont simplement mentionnés comme “du Cabinet du Roi” et n’étaient peut-être pas exhibés17.
9Il semble donc bien que ce cours était illustré par la présentation d’œuvres du Cabinet, et non pas seulement de livres, comme le soutient en revanche L. Therrien, en s’appuyant sur la gravure parue dans L’Illustration18. On voit en effet, au centre de l’image, Raoul-Rochette à côté d’un pupitre sur lequel est posé un grand folio, que le professeur désigne du doigt. Si en effet de nombreux livres sont mentionnés dans le Cours, ce qui confirme le rôle des références livresques19, la gravure figure sans doute l’ancienne salle du Zodiaque, où le savant tenait son cours. Elle s’appelait aussi la salle des Antiques, avant l’arrivée du zodiaque de Dendérah en décembre 182220. On la voit ici meublée de bustes et de vases, posés sur des vitrines, où sont conservés des bas-reliefs antiques, sculptés et gravés. Le texte même du Cours indique que ces objets étaient pris comme exemples. Un type d’enseignement, par conséquent, qui prend en compte le regard posé sur l’objet21 et pas seulement les “musées de papiers”.
10Une caractéristique que le discours de Raoul-Rochette partage avec la démarche de Millin, c’est l’importance accordée à l’actualité scientifique, liée à l’histoire moderne, à la connaissance et à l’étude des œuvres antiques. L. Therrien rappelle la référence politique dans le discours inaugural du cours de Millin en 1799, où le conservateur du Cabinet célèbre “la victoire (qui) a porté le nom français jusques dans les lieux soumis autrefois à la domination de ces Grecs, nos maîtres en tous les genres” ainsi que “les conquêtes” qui ont apporté au “jeune vainqueur de l’Italie… (la) possession des chefs-d’œuvre de l’art antique”22. Raoul-Rochette est lui d’un autre bord politique, – il sera légitimiste en 1830 – mais ne l’affiche pas dans son cours. Les références à l’actualité sont en effet plus érudites et spécifiquement scientifiques : il évoque les débats historiographiques entre les savants contemporains, son voyage personnel en Italie, son rôle dans l’accroissement de la collection du Cabinet. Raoul-Rochette valorise sans cesse sa personne dans l’élaboration de cette discipline de l’histoire de l’art classique, en mettant en avant ce que la science doit à ses recherches.
La méthode historique
11L’époque contemporaine aura apporté une orientation historique à l’étude des arts anciens. C’est ce que montre L. Therrien dans son analyse de la genèse de l’enseignement de l’histoire de l’art en France23. L’intérêt purement esthétique des œuvres est remplacé au xixe siècle par un regard historique sur l’art. L’histoire va ainsi fournir des méthodes aux historiens de l’art : les Beaux-Arts sont intégrés dans un schéma historique. Vis-à-vis de ce point de vue, l’exemple de Raoul-Rochette est tout à fait concordant. Ses premiers travaux sont d’ailleurs une recherche d’historien : son mémoire, qui lui vaut, en 1814, le prix de la Classe d’histoire et de littérature ancienne de l’Institut de France, la future Académie des inscriptions et belles-lettres, porte sur un sujet historique : Histoire critique de l’établissement des colonies grecques. Ses premiers enseignements le conduisent vers des sujets historiques : l’histoire au lycée et, parmi ses cours à la Sorbonne, l’histoire médiévale et moderne : Influence des croisades dans l’œuvre et la civilisation moderne ; Histoire générale du siècle de Charlemagne ; Heureux effets de la puissance pontificale au Moyen Âge.
12Cette démarche historique, qui se fonde sur une conception évolutive de l’art et qui s’attache à situer les œuvres selon une chronologie, est héritée de Winckelmann (1717-1768)24. Raoul-Rochette se réfère explicitement au savant allemand à plusieurs reprises dans son cours. Comme Millin, il reprend à Winckelmann la présentation des différents arts selon un parcours chronologique, depuis l’Égypte jusqu’à l’époque moderne, orientant sa démarche en historien. Mais à la différence de son prédécesseur, le modèle anthropologique de Bernard de Montfaucon (1655-1741) ne retient plus guère son attention. Le plan de l’ouvrage de ce dernier, repris à Varron et qui organisait les monuments en plusieurs thèmes (les dieux, les cultes, les mœurs privées et publiques, les guerres, les moyens de locomotion, le domaine funéraire)25, est encore mentionné par Millin. Raoul-Rochette préfère désormais se pencher plus spécifiquement sur l’architecture, la sculpture, la gravure, la peinture, comme l’a fait Winckelmann, les aspects religieux, politiques et institutionnels des civilisations anciennes étant toujours envisagés mais seulement dans le but d’expliquer les caractéristiques de l’art. La démarche historique vis-à-vis de l’art est donc pleinement adoptée dans ce second quart du xixe siècle : les classements sont proposés par domaines artistiques (architecture, peinture, sculpture, etc.), par région, par artiste et par séquence chronologique.
13Ainsi une métaphore, empruntée précisément à l’archéologie, est-elle utilisée dans le Cours pour illustrer l’évolution chronologique de cette perspective historique de l’art :
“L’histoire de la civilisation et de l’art antique se trouve donc pour ainsi dire écrite, couche par couche, siècle par siècle, dans le sein de la terre, qui en recèle les élémens. Chaque étage de tombeau correspond à une période historique ; et par-delà les dernières profondeurs où l’on peut atteindre, il s’en trouve encore, d’un temps inaccessible à l’histoire”26.
14Une autre influence de Winckelmann se situe sur un plan plus philosophique et idéologique : c’est l’idée que le véritable art, le seul art, est d’imitation. Winckelmann a porté aux nues l’art grec, s’attachant à restituer “aux Grecs ce qui avait été attribué, par le caprice ou par l’erreur, aux Romains comme aux Étrusques”27. Selon ce dernier, la grandeur de l’art grec, qui est aux origines de l’art moderne, repose sur le principe d’imitation que les artistes grecs ont recherché tout au long de leur histoire. Raoul-Rochette adhère totalement à ce point de vue, et, en tant que Secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts, s’y réfère comme à une norme primordiale. Son cours publié débute par trois séances sur l’art égyptien, qui déroge à ce principe d’imitation : le but de toute imitation étant de faire croire à l’existence de l’objet dont on offre l’image, l’art égyptien apparaît comme un système d’écriture et non comme un système d’imitation28. Il recherche l’idée plus que l’image réelle, la personnification d’une idée morale et non pas l’image d’un être réel, ce que permet d’ailleurs de comprendre l’usage des hiéroglyphes : “l’imitation y était étrangère, et l’art, conséquemment, y était inutile ou indifférent”29. En suivant le modèle de l’art grec, les Étrusques eux aussi s’inscrivent, à certaines périodes, dans cette démarche imitative30.
15Une conséquence de cette défense de l’idée de l’imitation de l’art est un intérêt plus grand porté par Raoul-Rochette aux arts figurés – un point que le Français partage encore avec Winckelmann – : dans les leçons sur l’art étrusque, l’historien place l’architecture hors de son sujet d’étude et son grand œuvre, Les Monuments inédits, ne porte que sur des objets décorés de représentations figurées.
16Enfin le rôle de Winckelmann a aussi été prédominant dans la naissance d’une histoire de l’art qui part des monuments archéologiques et non plus des textes, une étude qui privilégie l’œil et le regard direct des objets : c’est le “Viens et vois” que le savant allemand exprime sous une forme évangélique en citant la Bible et qu’on peut voir mis à l’œuvre dans la démarche de Raoul-Rochette31. Les textes ne sont pas abandonnés, ils restent un document primordial mais à confronter aux objets, qu’il convient en revanche d’étudier de visu. Nous avons vu la place des œuvres du Cabinet, présentées au public pendant les leçons. Raoul-Rochette rappelle à de nombreuses reprises dans ce même texte l’importance de son voyage en Italie où il a pu voir et étudier, sur place, de nombreuses œuvres qu’il cite à son auditoire. La Préface de ses Monuments Inédits confirme ce rôle primordial que le savant prête à son voyage pour la qualité de son Cours :
“J’avais sollicité, au commencement de l’année 1826, la permission de faire en Italie et en Sicile un voyage que je jugeais nécessaire à mon instruction, dans l’emploi qui m’était confié de conservateur du Cabinet des antiques et de professeur d’archéologie. Je me fondais, à cet égard, sur l’exemple de ceux de mes prédécesseurs, l’illustre abbé Barthélemy et M. Millin, qui avaient obtenu la même faveur, au même titre que moi”32.
17Dans le déroulement de son argumentation, développée dans le Cours, on peut apprécier les crédits différents apportés aux textes et aux documents archéologiques. Concernant la thèse de Raoul-Rochette sur le modèle grec de l’art étrusque, il cite le texte de Pline qui mentionne l’arrivée à Tarquinia d’artistes grecs accompagnant le Corinthien Démarate, ce qu’il qualifie “de fait positif qu’aucun scepticisme ne saurait ébranler”33. Pour confirmer cette thèse, il ajoute, à la suite de l’argument textuel, le poids de l’archéologie : “C’est ce que démontrent enfin les monumens ; et ce genre de preuves est le plus certain, le plus positif, le plus intelligible de tous”34. Et plus loin, il dit même, sur un ton toutefois sans doute ironique et peu convaincu dans la première partie de la phrase : “Laissons donc de côté Pline et Quintilien avec leurs assertions suspectes, et voyons les monuments qui nous restent”35.
18Le Cours d’archéologie de Raoul-Rochette édité en 1828 constitue donc pour nous un document d’importance, puisqu’il est le premier exemplaire conservé de l’enseignement sur les arts anciens proposé en France, dans la mesure où, de celui de Milllin, qui le précède, il ne reste que le programme. On voit s’y déployer les démarches nouvelles qu’a ouvertes quelques dizaines d’années auparavant Winckelmann, à savoir : l’orientation historique du propos ; le fait de partir des documents archéologiques et non des vies des artistes racontées par les textes anciens ; et l’importance accordée au regard, au contact direct avec l’œuvre. En premier lieu, en effet, les collections du Cabinet d’art antique étaient à même de couvrir l’ensemble des régions et périodes retenues et la plupart des domaines artistiques, suivant les nouveaux classements adoptés par les historiens de l’art ; en deuxième lieu, les ouvrages de la bibliothèque et les collections archéologiques du Cabinet pouvaient, de par leur richesse dans ces deux domaines, être confrontées ; enfin, les œuvres conservées pouvaient effectivement être soumises au regard du public dans la salle du Zodiaque.
Raoul-Rochette et les Étrusques
19La vulgate sur les Étrusques à l’époque de Raoul-Rochette : la fin de l’etruscomania, la peinture antique, la polychromie de l’architecture. S’intéresser à l’art et l’archéologie étrusques dans la première moitié du xixe siècle ne constitue pas une originalité. Le domaine étrusque est un sujet central pour qui se penche sur l’art antique, aux côtés de l’art grec et romain. Le choix des deux leçons sur l’art étrusque de Raoul-Rochette n’a rien d’étonnant, contrairement, par exemple, à l’intérêt que porta Millin à l’archéologie nationale ou au Moyen Âge, sujets qui ne seront pas enseignés avant 183836.
20Quels sont les principaux débats historiographiques sur l’art étrusque dans la première moitié du xixe siècle, et dont Raoul-Rochette se fait ici l’écho ?
21Le premier débat implique la marginalisation dont l’art étrusque va peu à peu faire l’objet. Citons le Cours de Raoul-Rochette :
“Il fut un temps, qui n’est pas bien éloigné de nous, où les monumens étrusques étaient extrêmement nombreux ; on trouvait l’art étrusque presque partout. Aujourd’hui on ne le rencontre presque nulle part. Ces monumens auraient-ils donc disparu par quelque soudaine catastrophe, et comme par l’effet de quelque grande émigration ? Non ; tout est resté de même, ou peu s’en faut ; les monumens n’ont pas changé sur leur compte : c’est, en un mot, une révolution de la science qui a produit cette destruction de l’art étrusque. Après avoir vu des ouvrages de la main de ce peuple partout où il pouvait y en avoir, et le plus souvent là où il n’y en avait pas, on en est venu de nos jours à nier presque qu’il en existe ; on soutient à présent que presque tous les monumens réputés étrusques appartiennent à l’art grec primitif, et il faut restituer à la Grèce tout ce qu’on avait, trop libéralement sans doute, attribué à l’Étrurie”37.
22Au xviie et au xviiie siècle, l’etruscomania qualifiait en effet d’étrusque tout ce qui sortait des nécropoles d’Italie : les urnes décorés de bas-reliefs et les “patères mystiques” (c’est-à-dire les miroirs en bronze gravé) qui vont rester étrusques, les statuettes en bronze, mais aussi tous les vases en céramique peinte, importés de Corinthe, de Sparte ou d’Athènes, qui, à partir de Winckelmann, sont progressivement identifiés comme des productions grecques, faites en Grèce38. De cette réattribution de tout un corpus très renommé de l’art antique – les vases figurés –, l’archéologie étrusque en sortira amoindrie, comme l’évoque Raoul-Rochette : d’une part car cette somme d’images mythologiques et de pratiques anciennes figurées, importante en nombre et en information transmises sur l’Antiquité, lui est retirée, et d’autre part car il devient difficile désormais d’attribuer à l’art étrusque tout vase peint, à moins d’y trouver des inscriptions en langue étrusque, ce qui n’est pas courant39. Même si cette réattribution des vases dits “étrusques” aux Grecs est en passe d’être définitivement admise à l’époque du Cours de Raoul-Rochette, elle sera bientôt fortement contestée par Lucien Bonaparte dont les fouilles de Vulci, très célèbres par la richesse des découvertes, l’incitent en 1830 à défendre à nouveau la thèse de la production étrusque des vases figurés trouvés dans les nécropoles étrusques. Raoul-Rochette, qui est un fervent défenseur de la thèse de l’identification grecque, contestera cette publication avec véhémence. Son soutien à la thèse de l’identification grecque s’est ainsi affirmée en deux fois : dans un premier temps, le savant admet la production grecque des vases provenant des nécropoles italiennes – comme doivent le faire reconnaître les inscriptions en langue grecque qui accompagnent les scènes figurées –, mais une production faite en Italie, par des Grecs émigrés et installés dans la péninsule ; puis, ensuite, il se rallie entièrement à la thèse de l’origine grecque (métropolitaine) de ces vases, importés dans un second temps en Italie40.
23Par conséquent, à la suite de la réattribution de la majorité des vases figurés, trouvés en Italie, à la Grèce et non plus aux Étrusques, un corpus prisé au plus haut point par les antiquaires, le champ de l’archéologie étrusque apparaît comme “détruit”, pour reprendre le vocabulaire de Raoul-Rochette. C’est à sa reconstruction que s’emploie ici l’auteur.
24Un autre débat notable à ce moment de l’histoire de l’étruscologie, est celui concernant la peinture étrusque, qui, contrairement à ce que dit l’auteur dans la citation précédente, vient de connaître un accroissement tout à fait remarquable de son corpus : trois nouvelles tombes peintes sont en effet découvertes en 1827, dans la nécropole de Tarquinia (près de Corneto), alors que Raoul-Rochette effectue son voyage en Italie ; trois tombes importantes car elles témoignent de l’ancienneté de cet art en Italie. Le débat porte ici sur une question de primauté de l’édition de ces œuvres, puisque le savant français ne ménagera aucun effort pour voir ces fresques – qu’il n’aura pas le droit de relever – tout juste découvertes par d’autres (des archéologues allemands : A. Kestner et O. Magnus von Stackelberg), et pour en publier un rapport, dans le Journal des savants dès 1828, avant tout le monde41. La découverte est en effet de taille, puisqu’il s’agit des tombes du Baron, des Inscriptions et des Biges, dont l’excellent état de conservation montre la haute antiquité de la facture. Ces documents apparaissent vite comme les plus anciens exemplaires qu’on ait retrouvé de peinture murale, plus ancien même que ce que semble citer Pline :
“Elles appartiennent à l’époque qui suivit immédiatement l’établissement du corinthien Démarate à Tarquinia, et l’importation des arts grecs en Étrurie : nous aurions là l’un des principaux éléments de l’histoire d’un art, sur lequel nous ne possédons encore que les renseignements vagues fournis par Pline, et que des peintures de décoration appartenant, pour la plupart, à des temps de décadence, à des pays de province, ou tout au moins à une branche subalterne de l’art”42.
25Or, comme le rappelle Raoul-Rochette dans cette citation, la peinture grecque a disparu ; ses chefs-d’œuvre ne sont connus que par les mentions littéraires des Anciens ou par des monuments archéologiques, mais qui ne sont que de pâles copies récentes des originaux grecs. Les exemplaires étrusques semblent fournir une documentation d’un autre ordre, contemporaine des chefs-d’œuvre grecs, et offrir semble-t-il un rare cas exécuté de la main d’un artiste grec émigré en Étrurie la tombe des Biges.
26L’importance des récentes découvertes de peinture murale en Étrurie concerne aussi une autre question : celle de la polychromie de l’architecture. Raoul-Rochette ne s’exprime dans son Cours que sur l’enjeu de la peinture étrusque dans une histoire de la peinture ancienne. Mais il prendra plus tard part au débat sur la polychromie de l’architecture43. Or ce débat impliquera les jeunes architectes français résidant à l’Académie de France à Rome qui vont étudier la documentation funéraire étrusque pour comprendre comment restaurer les temples antiques en ruines et en particulier la riche polychromie qui selon eux les recouvrait44.
27À côté de ces deux domaines – les vases peints et la peinture murale –, qui par conséquent mettent les antiquités étrusques au premier plan dans la première moitié du xixe siècle, le “fond de commerce” de l’étruscologie est constitué des urnes sculptées et des miroirs qui continuent de faire disserter les antiquaires. Malgré tout, ce crédit, que l’archéologie étrusque détient encore aux yeux des savants européens à cette époque et qui transparaît bien dans le Cours de Raoul-Rochette, n’est pas destiné à durer : peut-être faut-il incriminer la quasi disparition de l’architecture étrusque, art noble par excellence, qu’il était donc difficile d’étudier sur pièces. L’histoire de l’art étrusque est en tout cas un domaine qui, par la suite, va particulièrement se développer dans un autre domaine, celui de l’iconographie et des analyses formelles des représentations figurées : or c’est déjà l’orientation qui a séduit Raoul-Rochette, l’étude des représentations figurées, du point de vue de la forme et du sens de l’image, au détriment de l’architecture.
L’organisation du Cours sur l’art étrusque
28Les deux leçons de Raoul-Rochette sur l’art étrusque sont orientées selon une thèse que défend le savant tout au long du Cours : démontrer que le développement de l’art étrusque est entièrement déterminé par celui de l’art grec45. Sans prendre partie sur l’origine de ce peuple à cette occasion, il admet toutefois la grande proximité entre les deux cultures, sur de nombreux points.
29Le plan adopté s’articule en deux temps : une première partie plus argumentative s’attache à démontrer la pertinence de sa thèse et un second volet, plus descriptif, passe en revue les différents domaines de l’art étrusque.
30La partie argumentative rassemble différentes preuves permettant de justifier la thèse du modèle grec de l’art étrusque : Raoul-Rochette invoque tout type d’arguments – linguistiques, mythologiques, historiques, littéraires et archéologiques, pour montrer les liens entre les Grecs et les Étrusques et l’ascendance grecque sur l’art étrusque. Cette thèse se double d’une seconde : l’art étrusque est tout à fait remarquable – riche en nombre de ses témoignages – qu’ils soient littéraires ou archéologiques –, un point de vue qui découle de son explication sur la fin de l’etruscomania : il est en effet conduit à montrer que même si l’art étrusque est amputé du remarquable corpus des vases grecs, il reste un art de premier plan. Deux thèses par conséquent qui peuvent apparaître contradictoires (ascendance grecque sur l’art étrusque ; distinction de l’art étrusque par rapport au grec), mais que le savant mène de front, ce qui le conduit à devoir retenir des critères précis pour identifier l’art étrusque. Ce qui revient de manière récurrente pour définir la spécificité d’une œuvre étrusque, c’est en premier lieu la présence, sur l’objet, d’inscriptions en langue étrusque et en second lieu la mise en évidence de caractères formels spécifiques, qui se rattachent à l’idée de vigueur et d’énergie, d’exagération des formes et des détails anatomiques.
31Après un exposé des principaux caractères religieux et politiques de la civilisation étrusque, choisis sous l’angle de leur rapport avec l’art, Raoul-Rochette brosse ensuite un panorama des différents domaines artistiques : l’architecture, qu’il évoque assez précisément, même s’il la considère comme sortant de son sujet ; la sculpture, qu’il considère comme la première branche de leur art, avec la statuaire en terre cuite, en pierre – dont les urnes sculptées sont les plus remarquables exemples, la gravure sur bronze – illustrée par les miroirs, les grandes statues en ronde bosse et les statuettes en bronze, y compris l’instrumentum ; les vases peints, dont il réunit les exemplaires qu’il faut distinguer de la production grecque ; la peinture murale, avec les exemplaires vus lors de son voyage.
32L’ensemble de ces informations est rassemblé avec l’aide d’une bibliographie tout à fait représentative des auteurs lus ou connus à cette époque par le monde savant : on y trouve les ouvrages traditionnels sur la documentation matérielle de ce peuple, c’est-à-dire remontant au xviiie siècle (le Dempster publié en 1723-26, le Gori de 1737-1743)46 ou d’autres publications plus générales évoquant aussi la culture étrusque (Bartoli ; Piranèse ; Caylus ; Visconti ; Winckelmann)47. Ces derniers sont complétés par des publications contemporaines des travaux de Raoul-Rochette (Zoëga ; Séroux d’Agincourt ; Millingen ; Mazois ; Sillig ; Niebuhr)48, ouvrages généraux sur les Étrusques (Lanzi ; Inghirami ; Micali)49 ou plus spécialisés dans certains domaines (Millin ; Becchetti ; Quatremère de Quincy)50. Ces références sont par conséquent très variées et représentatives de tous les travaux publiés sur l’art et l’histoire étrusque, par les savants français, anglais ou écossais, allemands et italiens, qui étudient ces questions dans le début du xixe siècle.
33C’est au sein de ces ouvrages ou des sources antiques (Pline au premier chef), que Raoul-Rochette propose une sélection d’œuvres ou monuments étrusques illustrant son propos, parmi les chefs-d’œuvre étrusques les plus connus. Toutefois, la tenue de ce cours au Cabinet du Roi implique la prise en compte de monuments conservés dans cette collection.
L’originalité du Cours de Raoul-Rochette sur l’art étrusque : des œuvres du Cabinet du Roi comme exemples.
34Même si le savant cite, lors de ses leçons, les principales œuvres célèbres de l’art étrusque, qu’elles soient connues par les textes anciens ou par les exemplaires conservés dans les musées ou les collections publiques et privées, il en choisit un certain nombre du Cabinet du Roi, qu’il devait montrer à l’appui de son discours. Les collections du Cabinet étaient en mesure d’illustrer à peu près tous les domaines de l’art étrusque.
35La branche la plus développée de l’art étrusque, selon Raoul-Rochette, concerne, comme on l’a vu, la sculpture. Elle est illustrée par pas moins de quatre œuvres : un relief en terre cuite, une statue cinéraire en ronde bosse en pierre, un miroir gravé et une statuette en bronze moulé, toutes dans le Cabinet du Roi en 1828. L’architecture et la peinture murale ne pouvaient être étudiées qu’à travers les livres publiés, ce qui est le cas dans le cours édité. Quant au dernier domaine, la céramique peinte, il est illustré par un vase conservé dans la collection.
36Parmi les œuvres sculptées, les reliefs en terre cuite sont représentés par un exemplaire de décor architectural étrusco-latin, provenant de Velletri (fig. 2)51. Le temple archaïque de Velletri, une petite localité latine au sud de Rome, fut fouillé en 1784. Les plaques en basrelief, qui sont découvertes dans les fouilles, apparaissent alors comme les plus anciens exemplaires de décor architectural, avec cette spécificité d’être moulées et peintes52. Elles entrèrent immédiatement dans la fameuse collection du Cardinal Stefano Borgia de Velletri, furent publiées dès 1785 dans un ouvrage italien avec de nombreuses reproductions et un texte descriptif et d’analyse, puis en 1811 par un Français, J. B. Séroux d’Agincourt, dans son ouvrage sur la sculpture antique en terre cuite, et elles firent aussi l’objet d’analyses chimiques afin d’en comprendre la technique de leur polychromie (1789)53. Les fragments apparaissent alors dans ces ouvrages comme les meilleurs pendants archéologiques des témoignages littéraires sur Démarate et l’origine étrusque de la sculpture en terre cuite. L’étruscologue Luigi Lanzi les cita dans son ouvrage (1789), après s’être rendu à Velletri pour voir le résultat des fouilles. Leur renommée était donc importante, au point que le Cardinal Borgia dut sans doute disperser plusieurs fragments de cette découverte. On sait qu’il en offrit des morceaux à Séroux d’Agincourt, à William Hamilton ; la collection épiscopale de Copenhague en reçut huit fragments54. Il y a, depuis 1819, deux fragments de ce décor au Cabinet des Médailles (inv. 52bis. 5812), qui proviennent de la vente de la collection de l’architecte Léon Dufourny (1754-1818)55. Ce dernier a séjourné en Italie, à Rome, Naples et Palerme, entre 1782 et 1793, puis en 1801, pour l’acquisition des œuvres d’art par la République française ; il fut en outre un ami de Séroux d’Agincourt. Les deux fragments du Cabinet proviennent d’une plaque qui illustrait un cortège de chars56.
37Dans le cadre des leçons sur la sculpture étrusque, et plus précisément sur l’origine – considérée comme étrusco-latine – des décors architecturaux en terre cuite, Raoul-Rochette ne pouvait les passer sous silence57.
38La deuxième œuvre mentionnée est particulièrement importante, d’un point de vue archéologique (fig. 3)58. Elle a malheureusement disparu des collections, dans leur état actuel. On la connaît par un dessin publié dans les Monuments inédits de Raoul-Rochette en 183359. Il s’agit d’une statue cinéraire en pierre calcaire de 80 cm de haut et 30 de large, représentant, en ronde-bosse, un homme debout (coupé à mi-jambe), barbu, cheveux mi-longs, les bras superposés, ramenés sur la poitrine. La tête est amovible permettant d’insérer les restes carbonisés du défunt dans le tronc. Raoul-Rochette précise que les cendres et ossements se trouvaient encore dans la statue au moment de sa découverte. L’œuvre a été rapportée par le savant lors de son voyage en Italie ; elle provient de la région de Chiusi et lui a été indiquée par Francesco Inghirami60. La comparaison avec la statue très semblable du British Museum, provenant de Casalta près de Lucignano, au nord-ouest de la grande cité étrusque de Chiusi, et réétudiée récemment par L. Donati, permet de dater l’œuvre de la première moitié du vie siècle (fig. 4)61. Raoul-Rochette, comme Wilhelm Dorow qui cite la statue, apprécie la rareté du monument et il en rattache la conception et la fonction aux canopes étrusques, témoignages de l’origine de la civilisation étrusque et de la grande propension de ce peuple à produire des monuments funéraires62. Dans le Cours, il souligne l’importance de ce document comme illustrant lui aussi les débuts de l’art étrusque, permettant d’étudier les “caractères du style primitif” et “le premier modèle authentique d’un art dans l’enfance63”.
Fig. 4. Statue cinéaire, provenant de Casalta. British Museum. D’après Donati 2009.
39Deux autres œuvres sont simplement citées, au côté d’une série d’autres du même type, conservées dans des collections étrangères : il s’agit d’un miroir et d’une statuette en bronze. Le miroir (inv. 1333) est considéré comme faisant partie “des plus remarquables”, avec la patera Cospiana (Bologne) et la patera Borgia (Vatican)64. Il est décoré de la scène de la fabrication du cheval de Troie (fig. 5)65. La statuette en bronze est l’Apollon de Ferrare (fig. 6) inv. B. B. 10166, cité au côté de la Chimère, de la Louve, et de l’Orateur. Elle est décrite comme “une production du beau style et du bon temps de l’art étrusque” et son intérêt repose aussi sur la présence d’inscriptions étrusques, comme la plupart des œuvres retenues par Raoul-Rochette : ce dernier point, en effet, certifie, pour l’auteur, leur production étrusque. Les deux bronzes sont entrés dans le Cabinet au cours du xviiie siècle : la statuette, d’abord à Ferrare, est acquise en 1750 ; le miroir, conservé au Cabinet de la bibliothèque Sainte-Geneviève jusqu’à la Révolution, est entré en 1797. Il était déjà dans les collections de l’abbaye en 169267.
40Reste à mentionner un vase figuré68, que Raoul-Rochette a acquis lui-même en Italie, tout comme la statue cinéraire, et qui est entré dans les collections du Cabinet le 28 mars 1828. Le registre d’enregistrement le fait provenir de Corneto. Il n’est malheureusement plus repérable aujourd’hui dans le département des Monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Le savant précise qu’il est à figures noires et représente deux épisodes des travaux d’Héraclès69. Soulignons en tout cas qu’il montre l’implication personnelle que met le savant à augmenter les collections du Cabinet, en particulier pour ce qui concerne celles des vases figurés proprement étrusques : on a vu l’importance que revêt, pour Raoul-Rochette, l’entreprise de reconstruction d’un corpus des vases étrusques, à la suite de la réattribution des vases grecs et de la fin de l’etruscomania. Ce vase constitue une pièce de ce dossier.
41Sur les cinq œuvres choisies pour être présentées pendant sa leçon, deux sont par conséquent des monuments que le savant a lui-même fait entrer dans les collections, à la suite de son voyage en Italie ; plusieurs illustrent les débats scientifiques, ayant alors cours sur l’art étrusque (la question de la céramique peinte ; l’importance des urnes cinéraires anthropomorphes ; l’origine étrusque ou volsque du décor architectural et sa polychromie) et sur lesquels le savant souhaite attirer l’attention de son auditoire. Il faut leur ajouter d’autres questions que Raoul-Rochette expose en se référant aux publications les plus récentes et auxquelles il a pris part (sur les peintures de Tarquinia ou l’identification des sujets représentés, par exemple). Sa thèse générale, qui parcourt les deux leçons, sur l’ascendance des arts grecs sur les œuvres étrusques, n’est pas neuve ; en la revalorisant, tout en défendant en même temps l’originalité et l’importance de l’art étrusque, il entonne, sans s’en rendre compte, le chant du cygne de cette discipline en France : l’étude sur l’art et l’archéologie étrusque ne prendra jamais plus, en France, la place qu’elle a ici aux yeux de Raoul-Rochette mais qu’elle conservera en revanche en Italie même, alors que c’est à l’archéologie grecque qu’iront désormais toutes les lettres de noblesse.
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Notes de bas de page
1 Perrot 1906, 644. Voir en dernier lieu EGA. 93 (2009). Sarmant 1994.
2 Therrien 1998, 38, note 4.
3 Sur la chronologie quelque peu discutée entre Millin, Quatremère de Quincy et Raoul-Rochette, voir Therrien 1998, 44.
4 Raoul-Rochette 1828.
5 EGA. 93 (2009). Sur les apports remarquables de ses travaux, on peut rappeler, entre particulier : son histoire de l’art comparée entre l’Orient, la Grèce et l’Italie ; l’identification qu’il a proposée des ateliers de la céramique grecque ; ses travaux sur la peinture antique, l’iconographie antique ; sa participation aux expéditions en Morée, en Algérie.
6 Raoul-Rochette 1833.
7 Elles paraissent dans les revues ou sont éditées individuellement à titre public. Voir par exemple : Lettre à M. Schorn, supplément au catalogue des artistes de l’antiquité grecque et romaine, Paris, Imprimerie de Crapelet, 1845, préalablement publiée : “Lettre à M. Schorn, professeur d’archéologie à l’Université de Munich, sur quelques noms d’artistes omis ou insérés à tort dans le Catalogue de M. Sillig”, Bulletin universel des sciences publié par M. de Férussac, section VII, cahiers de juin, juillet, août et septembre 1831.
8 Voir la bibliographie sélective donnée dans EGA. 93.
9 Par exemple : Raoul-Rochette 1838.
10 Voir EGA. 93 et infra.
11 Therrien 1998, 24.
12 Perrot 1906 & Leclant 1999, 21-25.
13 Dans le cours, il s’adresse cependant à “Messieurs” (Raoul-Rochette 1828, 141).
14 EGA. 93.
15 Raoul-Rochette 1828, 119, à propos des frises en terre cuite de Velletri.
16 Raoul-Rochette 1828, 122, à propos de l’urne cinéraire en pierre, cf. infra.
17 Miroir avec le cheval de Troie : Raoul-Rochette 1828, 133 et note 3 ; statuette d’Apollon : Raoul-Rochette 1828, 135 ; vase à figures noires, qu’il a lui-même rapporté d’Italie et fait entrer dans les collections du Cabinet : Raoul-Rochette 1828, 145.
18 Therrien 1998, 45.
19 De nombreux ouvrages sont cités dans le Cours à la fois dans les notes et dans le texte. Voir infra.
20 Je remercie C. Colonna pour son aide à ce sujet.
21 Ce que proposera ensuite l’École du Louvre avec les visites conférences dans les collections.
22 Therrien 1998, 41.
23 Therrien 1998, 28.
24 Schnapp 1993, 318. Pour une étude de cet apport de Winckelmann : Pommier 2003, 117 sq.
25 Schnapp 1993, 288.
26 Raoul-Rochette 1828, 123.
27 Raoul-Rochette 1828, 142.
28 Raoul-Rochette 1828, 75 sq.
29 Raoul-Rochette 1828, 78.
30 Voir infra.
31 Pommier 2003, 158-165.
32 Raoul-Rochette 1833, I.
33 Raoul-Rochette 1828, 104.
34 Raoul-Rochette 1828, 104.
35 Raoul-Rochette 1828, 106.
36 Therrien 1998, 44 sq.
37 Raoul-Rochette 1828, 106-107.
38 Voir par exemple Bothmer 1987.
39 Voir Heurgon 1973 ; EGA. 93.
40 Voir EGA. 93.
41 Lubtchansky 2004.
42 Raoul-Rochette 1828, 151-152.
43 Raoul-Rochette 1836.
44 Hellmann 1982, 39-47 ; Lubtchansky 2004 ; Lubtchansky 2011.
45 C’est un point de vue tout à fait central dans l’histoire des travaux sur l’art et l’archéologie étrusque : voir Lubtchansky (à paraître).
46 Dempster 1723-1726 ; Gori 1737-1743 ; Gori 1744.
47 Bartoli 1697 ; Piranese 1750 ; Caylus 1752-1767 ; Visconti 1782-1807 ; Winckelmann 1808 ; Winckelmann 1767.
48 Zoëga 1797 ; Séroux d’Agincourt 1823 ; Millingen 1822-1826 ; Sillig 1827 ; Mazois 1824-38 ; Niebuhr 1811.
49 Lanzi 1789a ; Lanzi 1789b ; Lanzi 1806 ; Inghirami 1821-1826 ; Micali 1810.
50 Millin 1808-1810 ; Becchetti 1785 ; Quatremère de Quincy 1826.
51 Raoul-Rochette 1828, 119.
52 Fortunati 1989. En dernier lieu : Winter 2009, 329 sq.
53 En dernier lieu Lubtchansky 2006, 539 sq. Becchetti 1785.
54 Rorro 2001 ; Luppino 2001.
55 Monuments antiques dessinés par Muret 1830-1866, XI, pl. 53.
56 Sur ce motif, voir : Lubtchansky 2006. Un troisième fragment, qui serait au musée de la Céramique de Sèvres, figure un détail d’une scène de banquet. Je dois ces informations à C. Colonna.
57 Ces fragments sont reconnus comme volsques (latins) et non étrusques. Raoul-Rochette 1828 souligne ainsi la supériorité des Véiens et des Volsques dans le domaine de la sculpture (p. 119). Différentes notices de Pline, connues des antiquaires, mettent en relation, pour les époques les plus anciennes, des œuvres étrusques (Vulca de Véies), volsques (Turianus de Fregellae) et romaines (le quadrige de Jupiter Capitolin). Voir Lubtchansky 2006, 540.
58 Raoul-Rochette 1828, 120 sq.
59 Raoul-Rochette 1833, 372 sq. et pl. 65, 2.
60 Elle est aussi mentionnée par Dorow 1829, 26 note 1.
61 Donati 2009, 324 sq.
62 Raoul-Rochette 1833, 371 sq.
63 Raoul-Rochette 1828, 120-122.
64 Raoul-Rochette 1828, 133.
65 Raoul-Rochette nomme la scène “Vulcain travaille au cheval de Troie”, sans commenter le problème de la présence du dieu artisan ici. Sur ce miroir, voir Rebuffat-Emmanuel 1973, 252 et 474.
66 Raoul-Rochette 1828, 135. Voir Adam 1984, 166-167.
67 Rebuffat-Emmanuel 1973, 252-253 : l’auteur fait l’hypothèse de son appartenance à la collection de Peiresc.
68 Raoul-Rochette 1828, 145. “Rien n’est plus fréquent que de trouver dans les tombeaux étrusques, particulièrement ceux de Corneto et de Chiusi, des vases peints avec des sujets et dans le style grec, mais provenant indubitablement de fabriques nationales. J’ai rapporté moi-même un de ces vases, qui fait aujourd’hui partie du Cabinet du Roi, et que je compte publier dans mon recueil de monumens inédits : il représente deux traits de l’histoire d’Hercule, en figures noires sur fond jaune”.
69 Il annonce sa prochaine publication dans ses Monuments inédits mais, malgré les différents indices donnés sur l’objet, il n’a pas été possible de le repérer dans cet ouvrage très touffu. Le registre d’enregistrement du musée précise que le vase avait deux anses (une amphore, sans doute) et qu’il portait un couvercle.
Auteur
Professeur d’archéologie et histoire de l’art, Université François- Rabelais, Tours ; lubtchansky@univ-tours.fr
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