Événements traumatiques, émotions collectives et identités. Le tremblement de terre de 1508
p. 73-87
Texte intégral
1Dans la nuit du 29 au 30 mai 1508, un grave tremblement de terre frappe la Crète. Les villes de Sitia et de Hiérapétra, dans l’est de l’île, sont particulièrement touchées, tout comme Candie1, la capitale, où la catastrophe fait de nombreux blessés et quelques centaines de morts, dans une ville qui compte alors entre 10 000 et 16 000 habitants2. La catastrophe cause également d’importants dommages matériels. Si l’on en croit le témoignage du pèlerin français Jacques Le Saige, de passage dans la colonie vénitienne en 1518 alors qu’il se dirige vers la Terre Sainte, les cicatrices sont encore visibles dix ans après le drame3.
2Pour les témoins de la catastrophe, son ampleur a de quoi frapper les esprits. Elle a d’ailleurs laissé des traces dans diverses sources. Encore ébranlé, Hieronimo Donato, qui était alors duc de Crète4, évoque les nombreuses destructions et décrit la panique qui s’est emparée de la ville après la secousse, dans une lettre envoyée quelques semaines après le drame (le 15 juillet 1508) à son ami Pierre Contanero, à Padoue5. Quelques vers anonymes6 ont également été consacrés à l’événement, en plus du poème intitulé La catastrophe de la Crète7, qui retiendra particulièrement notre attention, composé peu de temps après le séisme par le poète crétois Manolis Sklavos.
3Les émotions liées aux événements traumatiques ayant une portée collective suscitent notre intérêt parce qu’elles mobilisent la vision du monde des individus qui, victimes ou témoins de catastrophes d’une telle ampleur, ont été soumis à une expérience d’une grande intensité8. En français, le mot “émotion” n’apparaît qu’au xvie siècle et ce n’est que tardivement, en se construisant graduellement en opposition à la raison, qu’il s’impose réellement en tant que catégorie psychique avec le sens qu’on lui prête aujourd’hui. En faisant de l’émotion notre objet d’étude, nous projetons ainsi sur les sources un cadre d’analyse construit à partir d’un concept occidental actuel, qui n’a pas systématiquement d’équivalent à toutes les époques ni dans toutes les cultures9. Si le dialogue entre les différentes disciplines qui s’intéressent à l’émotion peut être fécond, les phénomènes affectifs étudiés par les historiens ne sont pas de même nature que ceux qu’examinent, par exemple, les psychologues ou les neuroscientifiques. Les “émotions historiques” sont des manifestations conditionnées par la culture et accessibles uniquement à travers la médiation des sources. L’historiographie récente tend toutefois à remettre en cause la dichotomie entre une émotion inaccessible, qui se voudrait “brute” et par conséquent plus “authentique”, et sa représentation, en refusant d’opposer artificiellement, d’une part, le ressenti, et, d’autre part, l’expression et la codification de cette expression en fonction des règles culturelles qui régissent l’élaboration des sources10. Il est faux, d’ailleurs, de croire que cette limite est uniquement celle de l’historien. En effet, c’est le propre de l’émotion que de s’exprimer de façon codifiée – que ce soit à l’oral ou à l’écrit, et même lorsque cette expression nous semble immédiate ou spontanée – par la voie des conventions et des modèles appris.
4En envisageant l’expérience émotionnelle de façon plus totale, l’approche discursive, telle que la préconise notamment l’anthropologue Geoffrey M. White, permet de recentrer l’attention sur le sens et l’efficacité sociale de l’émotion en tant qu’acte de communication : “Les approches discursives qui s’attachent à la signification de l’émotion vont nécessairement au-delà des stricts modèles psychologiques ou cognitifs, pour étudier la fonction des signes émotionnels, du discours émotionnel en particulier, dans la mesure où il agit sur la création ou la reproduction des identités sociales et des relations. En termes sémiotiques, étudier l’émotion en tant que discours revient à se concentrer sur la pragmatique de l’émotion – sur ce que l’émotion fait dans la vie sociale, en plus de ce qu’elle dit11”. Pour l’historien face à ses sources, il s’agit donc de s’attacher à la fonction de l’émotion dans le discours, à son efficacité dans le récit qui la met en scène, ainsi qu’à ses possibles répercussions. Il s’agira plus particulièrement de vérifier si, en tant qu’expériences émotionnelles de grande intensité, les moments de crise tendent à renforcer ou, au contraire, à atténuer, les identités collectives liées aux catégories ethniques ou sociales par lesquelles les Crétois définissent leur société.
5L’analyse du vocabulaire émotif du poème de Sklavos révèle une attention particulière de la part de l’auteur à la dimension collective de l’événement. L’état de détresse engendré par le drame concerne l’ensemble de la communauté. Lorsque l’auteur décrit les actions mises en place pour y faire face, il insiste également sur la participation conjointe de tous les membres du corps social. Son appel au repentir commun ne l’empêche pas, toutefois, de concevoir la société dans laquelle il évolue selon des groupes bien définis, notamment en termes socioéconomiques. En effet, malgré sa mise en valeur insistante de la dimension collective du drame et du sentiment de fusion qui en découle, Sklavos ne va pas jusqu’à remettre en cause la hiérarchie sociale et les catégories traditionnelles qui la constituent. Nous constaterons ainsi que l’auteur donne du poids à son message en ancrant dans cette expérience collective à forte teneur émotionnelle une rhétorique du repentir qui fait du salut des Crétois la responsabilité de chacun.
Les émotions dans le poème de Sklavos
6Du poète, nous ne connaissons avec certitude que le nom, mais les représentants du régime vénitien qu’il nomme et les différents lieux de la capitale crétoise qu’il décrit avec précision laissent présumer qu’il vivait à Candie12. Dans son poème, l’influence perceptible de la Bible et des œuvres des hymnographes byzantins tels Jean Damascène et Joseph l’Hymnographe laissent croire également que l’auteur possédait une bonne culture religieuse et littéraire13.
7Son poème est conservé dans un seul manuscrit14. Avec ses 282 vers (141 distiques), il est incomplet, si l’on en croit l’auteur qui, au v. 277, précise que son œuvre est composée de 150 distiques. Dans la première partie du poème, Sklavos décrit le moment du drame, les pertes matérielles et humaines qui en ont résulté ainsi que l’état de panique et la grande affliction des rescapés (v. 9-106). Il relate également la procession organisée à la suite de la catastrophe (v. 107-116). Il fait ensuite mention d’une tempête qui s’est abattue sur l’île à peine plus d’une semaine après le séisme et présente les deux événements comme un avertissement de Dieu (v. 117-146). La suite de son poème est une exhortation au repentir et à l’abandon du péché. On y trouve un dialogue entre le narrateur et la Crète personnifiée, dans lequel cette dernière attribue son malheur aux péchés de ses propres enfants, et où est évoqué le retentissement international de la catastrophe (v. 169-206). Vers la fin de son poème, l’auteur rend grâce à Dieu pour sa mansuétude, et souhaite le repos de l’âme à ceux qui n’ont pas survécu.
Peur et colère divine
8Les émotions sont bien présentes dans le poème de Sklavos. Parmi celles qui prédominent, mentionnons tout d’abord la peur et l’effroi. “Le peuple crie”, écrit l’auteur15. Décrivant la tempête survenue huit jours après la secousse, il évoque la grande frayeur qui s’empare de ses concitoyens, convaincu avec eux que l’heure du Jugement a sonné et que leur destin est de mourir engloutis par les eaux rugissantes de la mer. Pour évoquer l’effroi suscité par ces deux événements, Sklavos utilise les termes τρόμος (v. 16) ; φόβος (v. 20, 33, 52, 120, 124) ; τρομάρα (v. 124) et όχλησις (v. 124).
9Si, en eux-mêmes, les événements ont de quoi susciter la terreur, cette peur est aussi celle de Dieu. Pour l’auteur, en effet, il n’y a pas de doute : c’est la colère divine qui est à l’origine de la catastrophe. Il rejette dans son poème l’interprétation naturaliste d’Aristote, qui avait à cette époque une grande diffusion, selon laquelle les tremblements de terre étaient provoqués par les vents qui circulaient sous la terre et qui cherchaient à s’en échapper16. Cette colère divine, Sklavos la mentionne à plusieurs reprises et la qualifie de “juste” (της δικαίας σου οργής)17. Il rend grâce à Dieu à la fin de son poème pour sa miséricorde et sa magnanimité, lui qui, par le séisme, n’a pas souhaité aller jusqu’à détruire sa Création, mais simplement lancer un avertissement sérieux aux Crétois pour que leurs péchés cessent :
Qui a vu de pareils signes effroyables à notre époque,
comme nous les a montrés cette année notre Dieu,
les étoiles qui tombent du ciel, les jours qui s’obscurcissent,
les bois de la vraie Croix et les icônes qui se renversent18 ?
10Dans ce contexte, la peur, si souvent évoquée, est salvatrice : “Le Seigneur a secoué la terre puis à nouveau elle est devenue ferme, et par la peur du séisme le monde a été sauvé19.”
11Le poème, en effet, est une exhortation, un appel au repentir, à la conversion des âmes et à l’abandon du péché, afin d’attirer sur les Crétois la miséricorde divine. Vers la fin de son poème, Sklavos invoque deux figures pécheresses du Nouveau Testament : “Comme le publicain j’implore et comme la prostituée je pleure, pour nos péchés jusqu’ici il a eu de la compassion, mais plus maintenant20”. C’est par l’humilité et la sincérité de leur repentir que le publicain, qui implore le pardon de Dieu, et la femme de mauvaise vie, qui baigne les pieds du Christ de ses larmes et les essuie avec ses cheveux, ont droit à la miséricorde divine21.
12Le poème se rapproche ainsi, par certains aspects de son contenu, des prières prononcées à l’occasion des messes votives célébrées lors des désastres naturels, auxquelles s’est intéressé Jussi Hanska : “Si nous examinons les prières qui font partie des messes votives contre les désastres naturels, nous remarquons que la cause de la catastrophe, presque sans exception, était attribuée au péché de l’humanité. En règle générale, les prières reconnaissent d’abord le bien-fondé du jugement et du châtiment de Dieu, et en appellent ensuite à Sa miséricorde, car en tant que père aimant, Il ne souhaite pas la mort des pécheurs, mais plutôt leur conversion”22. Bien entendu, il s’agit d’abord et avant tout pour les concitoyens de Sklavos d’accéder au salut et d’échapper au feu de l’enfer. Toutefois, de façon plus imminente et concrète, un autre fléau menace, que Sklavos n’hésite pas à brandir. Plus terrible encore que le tremblement de terre, le sabre turc, annoncé comme le prochain châtiment susceptible de frapper les Crétois, est un autre signe de la colère divine contre lequel il faut se prémunir par le repentir et l’abandon du péché23.
La dimension collective de l’événement
13En outre, Sklavos recourt aux émotions pour illustrer l’ampleur de la catastrophe et la détresse des éplorés. Aux bâtiments détruits ou endommagés – parmi lesquels se trouvent deux églises importantes dont il rappelle la fierté qu’elles suscitaient24 – s’ajoutent les nombreux morts et blessés, qu’il décrit avec des détails d’une précision poignante : une femme gisant sous les décombres, gémissant, des seigneurs désemparés devant la perte de leur famille, des enfants écrasés avec leur mère, ou dont les membres ont été découpés par les pierres des bâtiments écroulés25.
14L’auteur évoque les gens qui, dans la panique, cherchent à fuir, criant, pleurant, se frappant la poitrine ou tirant leur barbe et leurs cheveux (v. 27-36). À travers un vocabulaire varié, la souffrance et les lamentations se font entendre tout au long du poème : οδυρμός (lamentation, v. 34) ; κλαίγω (pleurer, v. 35, 58, 200, 275) ; οϊμέ (hélas, v. 36) ; θρηνῶ (se lamenter, v. 39) ; βάζω (crier, v. 39) ; φωνάζω (crier, v. 41, 126, 199) ; πόνος (douleur, v. 62, 228) ; θρηνισμός (lamentation, v. 63, 105) ; θλίβω (affliger, v. 64) ; παραπονεμένος (éploré, v. 66, 262, 278) ; λύπηση (grande tristesse, v. 69) ; θλῖψη (affliction, v. 70) ; ζάλη (confusion, v. 72) ; λυποῦμαι (s’affliger, v. 81) ; οδύνη (souffrance, v. 101) ; κλάμα (pleurs, v. 116) ; θρήνος (complainte, v. 280).
15L’auteur fait usage d’un vocabulaire similaire pour décrire l’émoi que suscita la nouvelle du drame en dehors de la Crète, alors qu’elle était admirée de tous :
Crète, de ton si grand malheur le monde entier est affligé (θλίβεται)
et la flotte de Venise particulièrement le déplore (πρικαίνεται).
Tous les forts pleurent (κλαίγουσιν), Crète, ta destruction,
jusqu’en Flandre s’est rendue ta douleur (πόνος),
parce que tu abreuvais le monde comme une source et une fontaine,
et ton nom était connu en Orient et en Occident26.
16Sklavos insiste particulièrement sur la dimension collective de l’événement. Il souligne le fait que la catastrophe frappe l’ensemble de la communauté, sans distinction, par l’emploi répété de mots et d’expressions tels que αντάμα (de pair, v. 261) ; ομάδι (ensemble, v. 55, 162) ; όλοι μαζί (tous ensemble, v. 35) ; όλοι (tous, v. 107, 109, 111, 148, 238) ; όλος ο κόσμος (tout le monde, v. 122) et Κρητικοί, όλη μας η ομάδα (Crétois, tout notre groupe, v. 154). Il écrit par exemple : “archontes, riches et pauvres (άρχοντες, πλούσιοι καὶ πτωχοὶ), tous ensemble (όλοι μαζί) pleuraient, tiraient leur barbe et leurs cheveux et disaient ‘ malheur !’”27.
17Il met également en scène des moments de compassion entre les individus ou entre les groupes : “Les archontes, avec grande tristesse, se disent l’un à l’autre : ‘ ton affliction pèse sur moi et mon cœur brûle. Dis-moi, seigneur, au village, les dommages sont-ils grands ?’”28. Sklavos exprime quelques lignes auparavant sa sympathie pour les Juifs de Candie dont le quartier a été ravagé :
Le quartier juif a été détruit, avec le grand marché,
avec tous les genres de marchandises et l’abondante soie.
À n’en pas douter a eu lieu là aussi une grande hécatombe,
si bien que la douleur des Juifs a aussi enflammé notre ville.
Quel homme ayant vu tant de lamentations,
même s’il est d’une autre nation, ne s’afflige pas quelque peu29 !
18Tout comme la population indigène de l’île, les Juifs ne bénéficient pas des mêmes privilèges que l’élite latine. Bien que des signes d’animosité à leur égard fassent parfois surface, particulièrement stimulés dans la deuxième moitié du xve siècle par la propagande franciscaine, les communautés juives sont bien intégrées dans l’économie locale et d’outre-mer et bénéficient de la relative tolérance dont Venise fait preuve à leur égard dans ses colonies30.
19Pour faire face à la catastrophe, les manifestations religieuses qui s’organisent sont elles aussi collectives. Sklavos décrit la procession qui se met en branle à la suite de la tragédie pour invoquer la clémence de Dieu. Il insiste bien sur la participation conjointe de tous les membres du corps social, et mentionne les psalmodies auxquelles se livrent ensemble les participants :
Tous nous avons accouru en procession, petits, grands,
hommes, femmes et enfants récitaient le ‘Kyrie eleison’,
demandant pardon, tous avec les cierges,
avec les icônes et les croix, les prêtres psalmodiant :
‘Seigneur, ne nous réprimandez pas
dans votre colère, dans votre fureur ne châtiez pas votre peuple’31.
Nous avons offert des louanges toute la semaine
par des pleurs, avec repentir à la Sainte-Trinité32.
20Par son insistance sur la dimension collective du drame, Sklavos semble vouloir se faire l’écho d’une intensification du lien communautaire qui, pour un moment, aurait transcendé les clivages sociaux traditionnels. Devant une situation difficile à surmonter qui donne lieu à une forte expérience émotionnelle, il met en évidence un sentiment de partage et d’ouverture aux autres par les situations de solidarité et l’action collective qu’il met en scène.
21Soulignons que des modèles issus d’autres disciplines tendent aussi à faire ressortir le dynamisme des interactions qui semblent caractériser les moments qui suivent les catastrophes de grande envergure, et invitent de ce fait à une étude historique plus ample de la façon dont ces phénomènes ont été perçus et interprétés. Dionysos Ch. Stathakopoulos, dans une étude qui porte sur les épidémies et les crises de subsistance à la fin de l’Antiquité tardive et dans les premiers siècles de l’Empire byzantin, s’appuie sur la transposition anthropologique du modèle développé par l’endocrinologue Hans Seyle33 pour analyser la réaction populaire face à ce type de crises. Dans un premier temps (phase d’alarme), malgré l’état de tension grandissant qui peut donner lieu à de l’agitation, les victimes ont tendance à se regrouper et à partager les ressources. Il est à noter toutefois que lorsqu’elles perdurent, les situations de crise entraînant des pénuries finissent par avoir l’effet inverse. En effet, lors des phases subséquentes (phase de réaction et phase d’épuisement), alors que les ressources se font de plus en plus rares, les conflits entre les groupes ou les individus deviennent plus fréquents et l’intensification des interactions qui caractérisent la phase d’alarme s’estompe. La survie individuelle devient la priorité. Les liens sociaux tendent alors à se disloquer et certains groupes peuvent être marginalisés34.
22La notion de “syntonie” à laquelle se sont récemment intéressés les spécialistes de psychologie sociale Dario Paez et Bernard Rimé35 fournit quant à elle des outils conceptuels utiles pour tâcher de percevoir les phénomènes affectifs qui sont possiblement à l’œuvre lors de situations qui interpellent une communauté de façon collective. L’état de syntonie émerge selon les deux auteurs quand un individu se sent en phase avec le monde extérieur. Ce qu’on appelle l’“état de flux”, ou “flow” en anglais, en est l’illustration. Cet état est susceptible de s’installer, par exemple, lorsqu’un individu exécute une tâche qui représente pour lui un défi suffisamment grand, mais pour lequel il dispose des “capacités qui lui permettent de l’affronter avec succès”. L’état de flux suscite de fortes émotions positives et entraîne divers effets que les auteurs énumèrent : une concentration accrue, un sentiment de maîtrise, une perception altérée du temps, le sentiment d’une perte de conscience du soi et – ce qui est particulièrement intéressant pour le sujet qui nous occupe – un “sentiment de fusion entre le soi, l’action, les autres et l’environnement”. Selon les études recensées par les auteurs, l’intensité de l’expérience serait plus élevée lorsqu’elle est vécue en groupe. Les difficultés à surmonter, les tâches à partager et ce que les auteurs appellent “les échanges verbaux à haut niveau d’engagement”, qui comprennent notamment le “partage social” de l’expérience émotionnelle36, comptent parmi les circonstances particulièrement propices à l’installation ou à l’accroissement de la syntonie de groupe, ayant pour effet de favoriser “la proximité sociale, le sentiment d’unité ou de fusion, l’intégration sociale, l’empathie et les comportements prosociaux”. En plus des circonstances énoncées précédemment, la participation à des activités qui mettent les individus en situation d’interdépendance et qui demandent une coordination des mouvements, comme l’exécution musicale ou la danse, serait également favorable à l’installation d’un tel état. L’accroissement “du sentiment de similitude” suscité par la synchronisation des mouvements qui en découle viendrait, ici encore, renforcer le sentiment d’unité parmi les membres du groupe.
23D’autres témoignages évoquent aussi les réactions collectives face au tremblement de terre. Celui du chanoine milanais Pietro Casola peut nous être utile, même s’il ne concerne pas le séisme de 1508, mais bien celui de juillet 1494 dont il a été témoin lors d’une escale à Candie alors qu’il se dirigeait vers la Terre Sainte. Casola décrit la composition de la procession qui se met en route aussitôt (subito) après la catastrophe, composée “de prêtres latins et grecs” (da preti latini e da greci), “de frères de toutes conditions, bien que peu nombreux”, avec à leur suite “plusieurs hommes et femmes, qui misérablement se battaient la poitrine avec leurs poings”37. Casola rapporte également une seconde procession organisée le lendemain, après une deuxième secousse survenue pendant la nuit. À la tête du cortège, précise-t-il, se trouvait une troupe désordonnée (sine ordine) de jeunes hommes grecs (greci) criant “Kyrie eleison”. Il fait part de son admiration pour la dissonance des chants grecs qu’il associe à la tristesse générale de l’événement. Ces chants dissonants lui rappellent ceux de l’Église ambrosienne38, héritière de l’Église grecque qui en use à l’occasion des vigiles et du service des morts39. Le duc de Crète Hieronimo Donato insiste lui aussi sur l’ambiance chaotique des rassemblements qui se forment la nuit même de la tragédie. S’y croisent, dans une cohue, hommes, femmes et enfants cherchant à franchir la porte de la ville avec des cris et des hurlements, des prêtres portant des icônes et dirigeant toute la nuit des prières à la lueur des luminaires sur la place et dans les faubourgs, ainsi qu’une multitude d’hommes et de femmes “de tous âges et de toutes conditions”, implorant sans relâche la miséricorde divine avec des cris et des effusions de larmes40.
24Les processions organisées en réaction aux catastrophes sont loin d’être propres à la Crète. Selon Jussi Hanska, elles font partie, avec les sermons et les messes votives, des moyens communément mis en place pour faire face à de tels événements41. Les historiens tendent à les ranger parmi les cérémonies et les processions qui, en diverses occasions, étaient organisées tout au long de l’année par les autorités publiques ou religieuses. À Venise, par exemple, tout comme dans sa colonie crétoise, ces processions étaient l’occasion d’exalter la grandeur de la Sérénissime et de mettre en scène l’ordre hiérarchique qui stratifiait les différents groupes sociaux42.
25Edward Muir, dans son étude sur les rituels civiques à Venise, observe toutefois que la structure hiérarchique habituellement représentée à l’occasion de ces événements est moins marquée lors des processions qui se mettent en branle à la suite de catastrophes. Pour l’auteur, ce type particulier de manifestations se rapproche de l’expérience communautaire du pèlerinage : “Pour les événements plus sombres, comme l’apparition d’une épidémie, l’importance de la hiérarchie était minimisée au profit d’une manifestation communautaire s’apparentant à un pèlerinage ; le classement social ne disparaissait jamais totalement lors de ces pèlerinages communautaires, mais l’expérience ‘liminale’ suscitée par l’évocation en masse de l’aide divine avait tendance à éclipser les différences sociales”43. Muir emprunte le concept de liminarité à l’anthropologue Victor Turner. Lors des rites de passage, les personnes en situation liminaire, dépouillées des attributs de leur ancien état, mais n’ayant pas encore revêtu ceux du nouveau, pour un temps “échappent ou passent au travers du réseau des classifications qui déterminent les états et les positions dans l’espace culturel”44.
26Le désordre, évoqué par Sklavos, Casola et Donato, et la spontanéité avec laquelle semblent se mettre en place les processions et les rassemblements liturgiques qui se forment sur la place et dans les carrefours rapprochent à notre avis ces manifestations de celles qu’observe Muir, lors desquelles les rôles prédéterminés liés aux statuts sociaux tendent à s’estomper, ce qui nous permet, ici encore, d’envisager le séisme de 1508 comme une expérience susceptible d’avoir été vécue – temporairement du moins – comme un moment d’intensification de la cohésion sociale.
Les catégories identitaires dans le récit de Sklavos
27Sensible au fait que la catastrophe touche la communauté sans discrimination, paradoxalement, Sklavos ne se prive pas pour autant de distinguer les différents groupes qui la composent. Pour ce faire, il utilise, à l’occasion, des catégories ethniques, mais presque exclusivement pour désigner les différentes menaces qui planent sur la Crète. À quelques reprises, on l’a vu, il brandit la menace turque. Autrement, sauf pour les Juifs de Candie envers lesquels il exprime sa sympathie, les mentions de groupes ethniques se trouvent toutes dans le dialogue entre le narrateur et la Crète personnifiée. Si Sklavos les évoque, c’est précisément parce que la Crète n’a pas eu à en subir les coups, de façon à mieux rappeler que le malheur des Crétois n’est dû qu’à leur propre blasphème :
Ni le sabre, ni le canon du Turc ne m’ont abattue,
ni les armes du Hongrois, ni celles du Mamelouk.
Mes enfants m’ont détruite par leur blasphème
et ont détruit mes maisons qui étaient leurs biens45 !
28En revanche, le poète n’oppose pas sur le plan ethnique les Grecs et les Latins, comme le fait Casola, par exemple, lorsqu’il parle d’un groupe désordonné de jeunes hommes grecs à la tête de la procession à laquelle il assiste. Il le fait toutefois en fonction de critères religieux. Il distingue orthodoxes et catholiques, pour souhaiter à tous le repos de l’âme et un accès égal au paradis : “Alors souhaitons le repos de l’âme à ceux d’ici et aux étrangers, à ceux qui ont été écrasés, aux affligés, chrétiens orthodoxes (ορθόδοξους χριστιανούς), Francs (catholiques) (Φράγκους), Grecs (Ρωμαίους) ensemble (αντάμα)”46.
29De la même façon, le duc Hieronimo Donato ne fait pas de distinction ethnique lorsqu’il décrit la cohue qui suit le tremblement de terre, dans laquelle s’entrecroisent hommes, femmes et enfants, mais le fait plus loin sur le plan religieux pour condamner le laxisme des uns et des autres : celui des Grecs (Graeci) qui se sont séparés de l’Église latine avec arrogance, et celui des très nombreux Latins (Latini) qui ne se plient ni aux rites de l’Église grecque, ni à ceux de l’Église latine. Seul Casola, notre pèlerin de passage à Candie lors du tremblement de terre de 1494, use de distinctions ethniques ou culturelles. Avec la curiosité et le regard extérieur du voyageur, il s’intéresse aux mœurs locales et qualifie de “grecs” les éléments qui lui sont moins familiers47. C’est le cas, par exemple, lorsqu’il évoque les chants dissonants, qu’il associe à l’Église grecque, ou encore lorsqu’il décrit le faste des habits qu’arborent les prêtres grecs48.
30L’absence de distinction ethnique entre les Grecs et les Latins dans les textes de Sklavos et de Donato est sans doute le reflet de la coexistence pacifique et de l’interpénétration culturelle entre les deux groupes qui caractérisent la société crétoise à cette époque. Sklavos mentionne lui-même les deux couronnes que porte la Crète49, celles de Venise et de Constantinople. Récemment, Sally McKee a mis en évidence le flou des frontières ethniques qui prévalait déjà en Crète, en particulier dans les villes, aux xiiie et xive siècles50. Elle observe que les frontières ethniques, dont le marqueur principal est l’appartenance religieuse, n’agissent pas avec la même force selon le genre et les groupes sociaux. Elles apparaissent particulièrement marquées à l’échelon des feudataires vénitiens, dont la métropole devait s’assurer de préserver la loyauté : seuls les “Latins”, selon McKee, étaient légitimement admis au Grand conseil. À l’autre bout de l’échelle sociale, la paternité latine garantissait le statut d’homme libre : ceux qui étaient en mesure d’en faire la preuve ne pouvaient pas être réduits en esclavage (ce qui ne signifie pas cependant que tous les Grecs étaient des esclaves). Au niveau des classes moyennes, qui n’étaient pas confrontées aux mêmes enjeux politiques, les frontières ethniques agissaient toutefois avec beaucoup moins de vigueur. Joke Aalberts émet quant à elle l’hypothèse selon laquelle Sklavos aurait été un partisan de l’Union des Églises latine et orthodoxe qui fut déclarée au concile de Florence en 1439, ce dont témoignerait le passage cité plus haut dans lequel l’auteur souhaite le repos de l’âme à tous les chrétiens51.
31La distinction que Sklavos utilise le plus souvent s’appuie sur des critères socio-économiques. C’est en effet “ensemble” que “les riches et les pauvres” pleurent ou sont écrasés sous les décombres. Nous avons pu en faire le constat dans un passage cité plus haut52, puisque c’est précisément lorsqu’il fait valoir la portée générale de la catastrophe que l’auteur y va de ce type d’énumération plus ciblée. Plus loin dans le poème, c’est également aux “chrétiens riches et pauvres” (πτωχοὶ και πλούσιοι χριστιανοὶ) que le Christ enjoint de faire preuve de bonté53.
32Cette distinction entre les groupes socio-économiques s’exprime également d’une autre façon, plus subtile. Sklavos met en opposition l’espace confortable et rassurant des maisons seigneuriales avec le fait qu’en s’effondrant elles ont tué ou blessé les êtres “chéris” – femmes et enfants – qu’elles étaient supposées protéger54. C’est l’occasion pour Sklavos de se pencher sur le drame personnel de certains archontes. Il rapporte par exemple un dialogue entre deux seigneurs, dont l’un exprime son désarroi devant la mort de son jeune fils adoré, perdu dans les décombres de la demeure seigneuriale. Un autre seigneur regrette sa famille, autrefois pleine de vie, après avoir perdu tous ses enfants55. Sklavos décrit également le sort ou l’action de certains dignitaires vénitiens, qu’il identifie par leur nom ou par leur titre : le grand chancelier et son épouse, le duc Hieronimo Donato, le capitaine général Marcello, et les deux conseillers Soranzo et Quirini56. Face à cette sympathie personnalisée pour les seigneurs et les dignitaires vénitiens, l’anonymat des nombreuses victimes de la catastrophe fait contraste : “plusieurs, riches, pauvres, ensemble, ont été écrasés, et le lendemain matin on les a retirés, sans qu’on puisse les reconnaître57”. L’ampleur de la catastrophe la rend également incommensurable pour l’auteur : “Des pauvres gens qui ont péri, je ne connais pas le nombre58”.
33Ainsi, malgré son insistance sur la dimension collective, il ne s’agit pas pour Sklavos de remettre en cause les catégories : s’il insiste sur le tremblement de terre en tant que moment qui touche toute la communauté, dans le vocabulaire qu’il emploie les distinctions socioéconomiques (riches et pauvres) ou religieuses (catholiques et orthodoxes) demeurent, même s’il écrit pour appeler au ralliement de tous les groupes.
Conclusion : la dimension collective du drame au service d’une rhétorique du repentir
34L’analyse de la combinaison peur/colère divine a mis en évidence la dimension morale du poème, qui le rapproche des prières et des messes votives célébrées lors de désastres naturels. L’usage des catastrophes à des fins morales est loin d’être propre à Sklavos59. Ce discours assez typique des prédicateurs, que l’on retrouve à la fois en Orient et en Occident, fait valoir la nécessité du repentir et du renoncement aux vices afin d’attirer la faveur divine. Sklavos, on se souvient, évoque la crainte du Jugement dernier lorsqu’il relate une tempête survenue huit jours après la catastrophe qui, à nouveau, plonge la population dans une grande frayeur. Les tremblements de terre, les guerres, les famines et les épidémies étaient en effet perçus comme des signes de son imminence60. La prise de Constantinople et les grands malheurs des derniers siècles de l’Empire byzantin ont contribué de façon très concrète à nourrir l’angoisse eschatologique de cette période.
35Pour avoir une véritable résonance, un tel discours doit en effet pouvoir pendre appui sur des éléments suffisamment tangibles et ayant un sens pour les individus. À n’en pas douter, le tremblement de terre de 1508 a été pour les habitants de Candie un événement des plus concrets, et qui a contribué de surcroît à fonder une expérience commune. On trouve dans la description de ce drame plusieurs éléments qui laissent entrevoir de possibles impacts sur la cohésion sociale. Des commémorations de l’événement, toujours sous forme de processions, ont d’ailleurs été organisées chaque année dans la période qui a suivi la tragédie61.
36De plus, l’interprétation religieuse des causes des catastrophes naturelles porte non seulement à vivre en groupe ce type d’événements, mais laisse place également à une possible action commune face à l’adversité. Pour cette raison, Marie-Hélène Congourdeau conclut que les Byzantins étaient sans doute moins démunis que nos contemporains pour faire face à de tels événements : “Le désespoir n’est pas le dernier mot du peuple byzantin et de ses élites. Le mal reconnu, il peut être combattu. S’il est difficile d’agir sur les vents souterrains, le Dieu qui envoie les fléaux peut se laisser fléchir”62. Hanska insiste quant à lui sur le possible effet thérapeutique d’une interprétation qui insuffle une part de rationalité rassurante : “Le fait de présenter ainsi les causes des désastres naturels de façon mécanique et rationnelle, comme le faisaient les prédicateurs et les théologiens médiévaux, leur enlevait toute dimension arbitraire. L’apport des sermons sur les catastrophes au processus de résolution de ces crises était de fournir une raison logique à ce qui était arrivé, ce qui les rendait plus tolérables pour les survivants”63.
37On a vu que Sklavos insistait tout particulièrement sur la dimension collective du drame, que ce soit en mettant en scène la douleur partagée ou les réactions suscitées après-coup pour y faire face. Cette caractéristique du poème de Sklavos n’est pas seulement inhérente à la catastrophe elle-même, qui, certes, affecte la population de façon collective et sans distinction sociale, ethnique ou religieuse. Elle résulte également d’une intention particulière de la part de l’auteur à mettre en valeur cet aspect, notamment par le vocabulaire qu’il emploie.
38Ainsi, l’auteur propose dans son poème sur le tremblement de terre de 1508 un discours moralisant, une exhortation dans laquelle l’expérience émotionnelle collective invoquée sert les objectifs de son récit. En effet, én dépit des catégories identitaires (socio-économiques et religieuses) qui sont à l’œuvre dans la société de son époque, et qu’il reconnaît, Sklavos mise sur une rhétorique qui s’alimente de la dimension collective de cette expérience particulièrement propice à susciter des sentiments de fusion, de solidarité et d’ouverture aux autres. Une expérience à laquelle il convient de faire face de façon tout aussi commune, puisque – c’est là l’essentiel de son message – le salut de la Crète passe par le repentir collectif de tous ses habitants, quel que soit le groupe auquel ils appartiennent. Transformant la détresse en espoir, Sklavos donne un sens à l’événement en faisant de l’expérience émotionnelle elle-même – la douleur partagée, la peur salvatrice face à la colère divine, le repentir manifesté par les larmes et le sentiment de fusion qui à la fois découle et donne lieu à l’action commune – le moyen par lequel la communauté parvient à faire face à un drame qui touche l’ensemble de ses membres, les plus vulnérables comme les plus nobles.
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Notes de bas de page
1 Aujourd’hui Héraklion.
2 Estimée entre 8 000 et 10 000 au début du xive siècle, la population de Candie frôle les 16 000 à la fin des années 1580 (Panagiotakes 1995, 290 et Palazzo Ducale 1986, 107). Les témoignages quant au nombre de morts lors du tremblement de terre de 1508 varient de façon importante. Selon Jacques Le Saige, la catastrophe aurait fait plus de 7 000 morts à Candie (Jacques Le Saige, éd. Duthilloeul 1851, 80). Des estimations plus plausibles sont données par le duc de Crète de l’époque, Hieronimo Donato, et l’ambassadeur vénitien Domenico Trevisan, de passage à Candie en 1512, qui évoquent respectivement 300 et 500 morts (Aalberts 1988-1989, 347-348).
3 Jacques Le Saige, éd. Duthilloeul 1851, 80.
4 Lorsque les Vénitiens prennent possession de l’île en 1211, ils y installent des colons et instaurent des institutions calquées sur celles de la métropole. La fonction de duc est occupée par un dignitaire vénitien envoyé en Crète pour un mandat de deux ans. Avec ses deux conseillers, il occupe le sommet de la hiérarchie, et il est responsable de l’administration de l’île : Maltezou 1991, 19-26.
5 Publiée dans Μπουμπουλίδης, éd. 1955, 13-20.
6 Le poème Τραγούδι τῆς Φιαγκούσας est publié, entre autres, dans Τωμαδάκης, Ν. Β., éd. 1935 ; Σπυριαδάκης 1939 et Μπουμπουλίδης, éd. 1955. Le poème sans titre intitulé par Σπ. Λάμπρος Ποιημάτιον περί τοῦ ἐν ἔτει 1508 σεισμοῦ τῆς Κρήτης est publié dans Λάμπρος, éd. 1914 et Μπουμπουλίδης, éd. 1955.
7 Publié dans Μπουμπουλίδης, éd. 1955, 23-34 et Μανόλης Σκλάβος, éd. Μαρκομιχελάκη 2014, 80-100. Les numéros des vers renvoient à cette édition.
8 Rimé 2009, 287-334.
9 Pour une discussion plus approfondie sur le vocabulaire de l’émotion, voir Boquet & Nagy 2009, 43-47.
10 Boquet & Nagy 2015.
11 “Discursive approaches to emotional meaning necessarily go beyond strictly psychological or cognitive models to examine the function of emotion signs, especially emotion talk, as it works to create or reproduce social identities and relationships. In semiotic terms, to study emotion as discourse is to focus on the pragmatics of emotion – on what emotion talk does in social life, in addition to what it says.” White 2000, traduction libre, 39. Les italiques sont de l’auteur. Cf. également le concept d’émotif développé par l’historien William M. Reddy (Reddy 2001, 96-110).
12 Μπουμπουλίδης, éd. 1955, 8. Le poète se nomme au v. 279. Pour des hypothèses quant à son identité, voir Aalberts 1988-1989.
13 van Germert 1991, 70-71.
14 Le codex Vindobonensis theol. graecus 244, f. 245v-252v.
15 v. 126.
16 v. 207-214.
17 Par exemple : “et avec une grande indignation (αγανάκτησην) Dieu nous engloutit” (v. 42). Sklavos utilise aussi les termes θυμός (colère, v. 113, 240) ; οργή (fureur, v. 114, 237) ; σιχαίνομαι (détester, v. 151) ; αγανακτώ (s’indigner, v. 241).
18 v. 139-142 : Τίς είδε τέτοια φοβερά σημεία στον καιρόν μας, / ωσάν μας τα ’δειξεν εμάς εφέτος ο Θεός μας ; / Να πέφτουν τ’άστρα του ουρανού, οι μέρες να μαυρίζου, / τα τίμια ξύλα του σταυρού και εικόνες να γυρίζου ; voir aussi les vers 225-236.
19 v. 229-230 : Έσεισε ο Κύριος την γην και πάλι εστερεώθη, / και από τον φόβον του σεισμού ο κόσμος ελυτρώθη.
20 v. 275-276 : Ως ο τελώνης δέομαι και ως η πόρνη κλαίω/τα κρίματά μας ώς εδώ συμπάθησε, όχι πλέον.
21 Lc 18.9-14 ; 7.36-50.
22 “If we look at the prayers included in votive masses against natural disasters, we notice that the cause of the disaster nearly without exception was attributed to the sinfulness of mankind. As a rule, the prayers first acknowledge the rightfulness of God’s sentence and punishment, and then appeal to His mercy, for God being a loving father does not want the death of sinners, but rather their conversion”. Hanska 2002, traduction libre, 87. Ces thèmes donnent le ton à la majeure partie du poème de Sklavos, mais sont exprimés de façon particulièrement nette dans les v. 221-244 qui s’inspirent du Canon sur la crainte du séisme composé par Joseph l’Hymnographe à la suite de l’important tremblement de terre qui frappa Constantinople en 740. Cf. Μπουμπουλίδης, éd. 1955, 8-9.
23 v. 143-146 ; 243-244.
24 Ce sont les églises Saint-François, du couvent franciscain de Candie, et Saint-Demetrios (v. 43-50). Jokes Aalberts tente une identification plus précise de cette dernière dans Aalberts 1988-1989, 343-347.
25 v. 27-32 ; 72-80.
26 v. 201-206 : Κρήτη, το τόσο σου κακό θλίβεται ο κόσμος όλος, / και περιπλέον πρικαίνεται της Βενετιάς ο στόλος. / Όλα τα κάστρη κλαίγουσιν, Κρήτη, τον χαλασμόν σου, / ώς την Φιλάντρα εδιάβηκεν ο πόνος ο δικός σου, / διατί τον κόσμο επότιζες ωσάν πηγή και βρύση / και τ’όνομά σου αγούγετον Ανατολή καὶ Δύση.
27 v. 35-36.
28 v. 69-70 : Οι άρχοντες με λύπησην ένας τ’αλλού να λέγει : / “Η θλίψις σου βαραίνει μου και την καρδιά μου φλέγει. / Ειπέ μου, αφέντη, στο χωριό ήτον ζημιά μεγάλη ;”
29 v. 59-64 : Η Οβριακή εχαλάστηκε, με την μεγάλη πράξη, / με πάσα είδη πραγματειάς, και το πολύ μετάξι·/ μά την αλήθεια, εγίνηκε κι εκεί μεγάλος φόνος, / οπό’καψε την χώρα μας και των εβραίων ο πόνος. / Τίς άνθρωπος να’χεν ιδεί τον θρηνισμόν τον τόσον, / καλά και αν είναι άλλης φυλής, να μην θλιβεί καμπόσον !
30 Jacoby 1987.
31 Cf. Ps 37.2.
32 v. 109-116 : εδράμαμεν με λιτανειά, όλοι, μικροί μεγάλοι, / άντρες, γυναίκες και παιδιά, το ‘Κύριε ελέησον’ ελάλει, / συμπάθησην γυρεύοντας όλοι με τες λαμπάδες, / με τες εικόνες και σταυρούς ψάλλοντας οι παπάδες : / ‘Ω Κύριε, μη τῳ θυμῴ μάς ’λέγξεις τῳ δικῴ σου, / ουδέ με την πολλή σου οργή παιδεύσεις το λαό σου’. Κι εδώσαμεν δοξολογιά όλην την εβδομάδα, / με κλάηματα, με επιστροφή εις την Αγιάν Τριάδα.
33 Seyle 1956. Pour une adaptation anthropologique, voir Dirks 1980.
34 Stathakopoulos 2004, 70-71.
35 La description du concept de syntonie dans ce paragraphe s’appuie sur Paez & Rimé 2015.
36 Rimé 2009.
37 Pietro Casola, éd. Paoletti 2001, 149.
38 Le rite ambrosien est celui de l’Église de Milan dont Saint Ambroise, évêque de Milan à la fin du ive siècle, aurait été l’instigateur. Il se répand dans certaines régions pendant le Moyen Âge. Saint Ambroise a introduit en Occident le chant des hymnes et des psaumes à deux chœurs qui étaient en usage dans les Églises d’Orient et peut-être également l’office même des vigiles : Lejay 1924.
39 Pietro Casola, éd. Paoletti 2001, 150.
40 Μπουμπουλίδης, éd. 1955, 15.
41 Hanska 2002, 48-87.
42 Pour Venise, voir Muir 1981 ; pour la Crète vénitienne, Papadaki 2005.
43 “For more somber events, such as the appearance of plague, hierarchy was de-emphasized in favor of a communal march akin to a pilgrimage ; social ranking never entirely disappeared in these communal pilgrimages, but the ‘limnal’ experience produced by the mass evocation of divine aid tend to overshadow social differences.” Muir 1981, traduction libre, 231-232.
44 Turner [1969] 1990, 96.
45 v. 181-184 : Δεν μ’έριξεν εμέν σπαθί ουδέ μπουμπάρδα Τούρκου, / ουδέ του Ούγγρου τ’άρματα, ουδέ του Μαμαλούκου·/ τα τέκνα μου με εχάλασαν από την βλαστημιά τους / κι εχάλασαν τα σπίτια μου, οπού’σαν γονικά τους !
46 v. 261-263.
47 Pour une recension des voyageurs occidentaux qui passèrent par la Crète, voir Hemmerdinger-Iliadou 1964 et 1973. Sur la curiosité des voyageurs occidentaux de passage à Chypre face aux mœurs grecques, voir Grivaud 2013.
48 Pietro Casola, éd. Paoletti 2001, 150.
49 v. 186.
50 McKee 2000.
51 Aalberts 1988-1989, 338-357.
52 Voir la note 27, et plus bas la note 57.
53 v. 166.
54 v. 81-86.
55 v. 72-78.
56 v. 87-105. Le grand Chancelier de l’époque était Aeneas Carpenius et les conseillers, Andrea Soranzo et Paul Quirini. Ces précisions sur l’identification des personnages sont empruntées à Aalberts 1988-1989, 348-350. Sklavos mentionne également un feudataire du nom de Macharella et son épouse.
57 v. 55-56 : κι επλακωθήκασιν πολλοί, πλούσοι πτωχοί ομάδι, / και το ταχύ τούς έγβαλαν διχώς εγνωριμάδι.
58 v. 25 : Φθωχολογιά που χάθηκε ψήφον ουδέν ηξεύρω.
59 Voir, entre autres, Ducellier 1996 ; Hanska 2002 ; Limousin 2005 ; Berlioz 2006 ; Congourdeau 2009.
60 Lc 21.10-11 : “Alors il leur dit : une nation s’élèvera contre une autre nation, et un royaume contre un autre royaume. Et il y aura de grands tremblements de terre en tous lieux, et des famines, et des pestes, et des épouvantements, et de grands signes du ciel.”
61 Papadaki 2005, 123-124.
62 Congourdeau 2009, 160.
63 “Presenting the causes of natural disasters in such a mechanical and rational form as the medieval preachers and moral theologians did, removed all gratuity and arbitrariness from the natural disasters. The input of the catastrophe sermons to the process of coping with such disasters was to give a logical reason for what had happened. This made catastrophes more tolerable for the survivors.” Hanska 2002, traduction libre, 149.
Auteur
Université de Rouen, GRhis, EA 3831
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