Des pirates, oui, et des naufrageurs aussi !
p. 59-72
Texte intégral
Les navires ne sont que des planches, les marins que des hommes il y a les rats de terre et les rats d’eau – les voleurs de terre et les voleurs sur eau – je veux dire les pirates – et il y a les dangers des eaux, des vents et des rochers.
W. Shakespeare, Le marchand de Venise, Acte I, sc. 3 (trad. Grosjean).
Madame Marie de Molène2, À mon île envoyez naufrage. Et vous Monsieur Saint Renan3, N’en envoyez pas un seulement Envoyez-en deux, trois plutôt.
Cantique breton4
1Pas de vent, pas de whisky !
2Une évocation qui n’a rien d’antique ni de crétoise, servira néanmoins d’ouverture aux drames qui se sont joués entre marins et terriens, elle est due à André Chédeville5, le regretté collègue médiéviste de l’université de Rennes 2, qui avait choisi de vivre ses loisirs à l’Île-Grande dans le Trégorois. Ce collègue était quasi-voisin des Garlan dont la maison, à un jet de galet de la mer, était la dernière de la rue Ch’astel Erek. L’ennemi, ici, c’est le vent, il n’y rencontre aucun obstacle de plus de 50 cm de hauteur. On comprend que les habitants de la côte aient cherché à compenser la rigueur climatique qui s’ensuit par un aménagement intérieur douillet, chaleureux, confortable, en particulier pour l’exercice du travail intellectuel dans lequel excelle l’historien résident, Yvon Garlan. C’est ce à quoi André Chédeville, auquel je prête la plume, fait allusion, pour une scène de vie littorale en cette thébaïde “embrunnée” : “À l’étage, il y a le bureau où le maître pense, au point une fois de ne pas remarquer les Îles-Grandais qui, récipients à la main, se dirigeaient tous vers la côte : des barriques de whisky s’y étaient échouées…”. Sur le modèle de la succession anthropologique prédation-répartition, l’histoire ne s’arrête pas là, ces naufrageurs d’Île-Grandais n’eurent pas le cœur en effet de repasser devant la maison Garlan sans partager leur trésor avec ses habitants, ce qui amène André Chédeville à conclure ainsi : “Compatissants, [ils] lui en donnèrent quand même : je peux vous dire qu’il était fameux”.
Le droit de bris
3Les Îles-Grandais ne faisaient qu’exercer leur droit de bris, droit de varech, droit de lagan (ou “pensé”, comme on dit à Ouessant). On n’en connaît pas l’origine et ça n’a pas d’importance, mais en Bretagne, au Moyen Âge et plus tard, on est bien documenté sur un droit donnant au seigneur laïc ou ecclésiastique du lieu de l’échouage la propriété des épaves, débris, cargaisons des navires naufragés – ils sont en France aujourd’hui censés appartenir à l’État (mais que ferait-il du whisky ?). En fait, ce droit de bris a fait l’objet de négociations et d’entorses sans doute fort nombreuses. Dans la plupart des cas, les populations respectaient le moins possible ce privilège seigneurial. Et, à chaque naufrage, des centaines d’habitants (ou des milliers, dit-on) se précipitaient des paroisses alentours pour participer à la récupération de tout ce qui se trouvait échoué avant l’intervention de l’autorité seigneuriale ou de l’amirauté. Que ce soit les effets de l’équipage (et les bijoux...), les cargaisons de vêtements, de vivres, de métaux précieux évidemment, l’ameublement des cabines, et – denrée rare – tout le bois possible. Fûts, tonneaux sont immédiatement mis en perce et partagés entre les pilleurs. De tels regroupements pouvaient tourner en énorme beuverie ! C’est certainement effet de calomnie, n’est-ce pas, que de lire que des villageois sont morts d’avoir bu trop d’eaude-vie d’un seul coup !
4Tempêtes, en certains points du littoral, bancs rocheux près des côtes, la perte de navires était fréquente ; ainsi, entre 1700 et 1792, le trafic colonial nantais comptait-il trois naufrages par an sur un total de 292. Cette régularité explique que les naufrages apportent des ressources en nature ou en produits commerciaux (sans parler des à-côtés : salaires des villageois réquisitionnés pour garder les débris, les tonneliers, charpentiers, menuisiers qui procèdent à des réparations), bref que ces produits, ces matières premières, ces biens faisaient beaucoup de bien à l’économie locale, la stimulaient. Le droit de bris est une véritable bénédiction pour des zones côtières qui vivaient le plus souvent dans une grande misère. Comme le droit de ramasser le goémon, comme ailleurs le braconnage, la récupération de ce qui s’échoue sur le littoral représente une cueillette naturelle pour ceux qui n’ont pas grand-chose... Malgré les efforts de la puissance publique : Monarchie, Empire ou République, pour mettre fin à ce “privilège”, le phénomène persiste encore aujourd’hui par exemple lors des pertes de conteneurs en mer.
Sous d’autres cieux : du Trégor en Méditerranée orientale
5“Animer l’économie locale”, façon contemporaine d’euphémiser une pratique, certes passive en comparaison de l’agression piratique par exemple, mais à laquelle il convient de redonner sa vraie signification : se saisir des biens d’autrui ; même en ne comptant que sur l’intervention de la “bonne fortune” (ou de Bonne Fortune), cela n’en constitue pas moins une véritable prédation. Il suffit certes que le vent et les rochers s’allient. Et, dans ce domaine, on peut compter sur les coups de vent violents qui jettent au rivage les navires ; ces brusques dépressions sont célèbres en Méditerranée orientale6. Un écho de ces coups de vent chez Homère, déjà, un écho qui nous éloigne de la Bretagne en nous approchant tout près de la Crète.
Dans la brume des mers, aux confins de Gortyne, il est un rocher nu, qui tombe dans le flot ; le Notos contre lui jette ses grandes houles, qui le prennent en flanc du côté de Phaistos, et ce caillou tient tête à cette vague énorme : c’est là qu’atterrissant, les hommes à grand peine évitèrent la mort ; mais le ressac sur les écueils brisa (eaxan, ao. d’agnumi) les coques (Chant III 293-299 trad. V. Bérard).
6Tous ceux qui ont vécu de ces passages très venteux, très inquiétants, d’île en île dans l’Égée savent à quel point aussi bien Borée que Notos sont les ennemis du navigateur. Dût-on à la dite Bonne Fortune, à Poséidon, “le fils de Kronos qui règne sur les abîmes des mers”, à Aphrodite Pontia, à Glaucos, à Nérée, à Mélicerte, fils d’Inô, “et [aux] dieux de Samothrace7” de pouvoir néanmoins mettre pied à terre, qu’il faut d’emblée penser aux habitants aussi, qui peuvent être à craindre, comme ceux de Sériphos8. L’épitaphe du tombeau de Pharnacès et de Myron d’Amisos à Rhénée les accuse : ces malheureux avaient été poussés sur l’île par la tempête de Borée, mais ce n’est pas sa furie qui a causé leur mort (ôlese), ce sont les coups des épées des paysans de l’île (agroikôn xipheessi9) (c. 150 p.C. ; EAD XXX 475 ; A. Wilhelm, JOAI IV (1901) Beiblatt, 18-9 ; GVI 633)10.
De quelques littoraux à naufrage
7Parmi les facteurs contribuant aux naufrages il y a bien sûr la topographie des littoraux. C’est le cas des hauts fonds comme ceux du district de Salmydessos dans le Pont qu’évoque Xénophon (Anab., 7.5.12) (voir infra), celui des récifs comme ceux du cap Malée (Tite Live 34.32 ; cf. AP, 7.27511) qui favorisent grandement une telle activité. Si la nature tend des pièges aux navigateurs, comment passer sous silence que des hommes savent parfois cyniquement en tirer parti en les instrumentant ? C’est le cas du côté du détroit entre le cap Kaféréa (Kapharée), à l’extrémité sud-est de l’Eubée, et Andros, qualifié du plus dangereux de l’Égée. Au ier s. p.C., selon Dion Chrysostome, les gens du littoral s’y livrent à cette activité funeste en ajoutant la tromperie aux éléments.
8Ils allument des feux sur les hauteurs afin de tromper les navires par des signaux lumineux (purseuein) afin qu’ils s’échouent (ekpiptôsin12) sur les rochers (Euboïque, 7.32.5-7).
9Pour revenir à l’appréciation de tout à l’heure, comment ce qu’on appelle aujourd’hui l’économie, l’eubéenne locale en l’occurrence, ne s’en trouverait-elle pas “vivifiée” ? Ainsi, ce particulier proche des lieux que Dion accuse sans le nommer et dont on peut dire que sa fortune est née et s’est développée à partir de son activité de naufrageur :
10J’imagine même qu’il ne se prive pas de piller les épaves à chaque naufrage (tôn nauagiôn apekhesthai tôn ekastote ekpiptontôn), puisqu’il habite au-dessus – ou peu s’en faut – des Kaphérides13. Comment se serait-il sans cela procuré des terres de tant de valeur ? Disons mieux : des villages entiers et une telle masse de bétail, d’animaux de trait et d’esclaves ! (Ib. ; trad. P. Mazon, BAGB Suppl., Lettres d’humanité, II (1943) p. 68).
11Les juristes, toujours soucieux de reconnaître une évolution du droit parallèle à celle des “civilisations”, se sont attachés à déterminer quel était, en cette matière, le droit qui était appliqué par les différentes communautés antiques de la Méditerranée. Peu sensibles aux réalités humaines, la question qu’ils placent au cœur de leur taxinomie est celle de la propriété de l’épave14. Et les réponses sont à la fois variées et contradictoires. 1 – Les dépouilles reviennent à ceux qui les trouvent15. 2 – Elles sont saisies et reviennent à la communauté (ou à son représentant) ayant autorité sur la côte16. 3 – Elles restent la propriété de l’ancien détenteur17. La théorie historisante la plus répandue chez les historiens du droit consiste à opposer une pratique “primitive” et “barbare” qui a été peu à peu éradiquée à la faveur des progrès de la “civilisation” (dont on fait soi-même partie) (on s’y attendait). J. Rougé va jusqu’à écrire que “la pratique du droit de naufrage a disparu […] quand les Grecs ont remplacé les Phéniciens sur les routes du grand trafic méditerranéen”, et cela au bénéfice du maintien en propriété de l’ancien possédant sur les biens naufragés18. Ah ! La douceur grecque ! Positivisme angélique, idéalisation que tant de pratiques démentent de l’Antiquité (la grecque incluse) jusqu’à nos jours…
Le pillage d’épaves aux époques classique et hellénistique
12Nous devons à Xénophon dans son Anabase, à propos des pratiques de populations thraces à l’extrême fin du ve siècle, la plus complète et la plus précise relation de cette activité.
[Dans le district de Salmydessos], beaucoup de navires (neôn pollai), à leur entrée dans le Pont, abordent (okellousi) et s’échouent (ekpiptousi) sur la côte, celle-ci n’étant sur une très large étendue que hauts fonds rocheux. Les Thraces qui habitent dans ces parages ont posé des stèles qui servent de bornes (stêlas horisamenoi), et tous les groupes pillent (lêizontai) les épaves qui s’échouent (ekpiptonta) dans leur zone ; avant l’établissement de ces limites, disent-ils, beaucoup s’entretuaient dans ces pillages. Sur la grève, on trouvait beaucoup de lits, beaucoup de coffres, beaucoup de papyrus couverts d’écriture et tous les autres objets que les gens de mer emportent dans des caisses de bois19 (7.5.12-14) (trad. Masqueray mod.).
13On doit d’abord s’enquérir de trouver quelque vérification aux dires de Xénophon avant de revenir éventuellement aux apports de ce texte. La notice du Périple du Pont-Euxin (88 [ou 25.2.2]) n’en constitue pas vraiment une puisqu’il apparaît qu’elle n’est pas fondée sur une tierce source, mais est directement issue du texte de Xénophon20 lui-même. Pour cela, cependant, on dispose de deux inscriptions de nature et de provenance différentes mais qui, toutes deux, viennent en quelque sorte confirmer sa relation. D’abord, un document qui enregistre un traité entre le roi des Odryses, Sadalas, et la cité de Mésembria (Nesebar)21. En effet, en ce début du iiie siècle (281-277), les habitants de la cité de Mésembria (à peu de distance au nord de Salmydessos) se voient dépossédés de la propriété d’éventuelles épaves échouées sur leur côte au profit du roi Sadalas, l’autorité royale prétendant exercer son pouvoir de propriété éminente – toutefois, les Mésembriens recevront comme dédommagement, en contrepartie, une somme proportionnelle ( ?) pour chaque navire échoué (ekpiptonti) (mention de monnaies : statêras et hémistatêro[n])22. Ce processus de dépossession des riverains des richesses venues de la mer au profit d’une autorité (désormais ?) suffisamment présente est bien connu ailleurs. Mêmement, c’est en raison et en vertu de sa propriété éminente sur le littoral que le roi Ziaélias de Bithynie, vers le milieu du iiie siècle, en même temps qu’il accorde l’asylie à la cité de Cos, comme bien d’autres souverains et cités, et qu’il promet aux marins de l’île qui viendraient à naviguer sur ses côtes d’assurer leur sécurité lorsqu’ils aborderaient ses territoires et de veiller à ce qu’ils ne subissent pas de pillage s’ils venaient à s’échouer (prospesein) par accident (ptaimatos = ptaismatos) sur le rivage23. Ce “Mieux vaut prévenir que guérir” s’explique peut-être par le fait qu’environ un siècle et demi plus tôt les habitants de la côte de Bithynie, entre Héraclée Pontique et Byzance, avait déjà été mis en cause par Xénophon en raison d’usages similaires, particulièrement brutaux :
Il n’y a que des Thraces Bithyniens [dans cette région] et ceux des Hellènes qu’ils prennent, jetés à la côte (ekpiptontas) par naufrage ou de tout autre façon, ils les traitent, dit-on, avec cruauté (hubrizein) (Anabase, 6.4.2 ; trad. Masqueray mod.).
14Vous me direz, tout cela est quand même bien loin, bien peu crétois…
Et la Crète…
15Larguons les amarres maintenant pour la grande île. Pour cela, dans l’Antiquité, et si l’on n’avait pas froid aux yeux, on pouvait éventuellement emprunter un de ces brigantins qui s’y rendaient pour des trafics peu licites et que la morale réprouve. Pour nous, il ne s’agira que de naviguer par l’entremise d’un roman – mieux encore, d’un roman d’amour. Khairéas l’amoureux avait perdu celle qu’il aimait, Kallirhoé. Était-elle morte ? Pourtant, dans son tombeau qu’on avait ouvert, point de cadavre – ou : plus de cadavre ? Quant au sort des riches offrandes qu’on y avait déposées, même incertitude.
Les profanateurs du tombeau, après avoir vendu la part du butin la plus difficilement négociable, c’est-à-dire la femme [Kallirhoé], quittèrent Milet, puis se dirigèrent vers la Crète, sachant que c’était une île riche (opulente) et importante (eudaimona kai megalên) et ils espéraient que la vente de leur butin y serait facile.
16C’est l’auteur qui parle ainsi, puis il fait confirmer les faits en donnant la parole au coupable de la profanation qui, copieusement flagellé, avoue :
Quand je vis tous ces trésors enfermés dans le tombeau, je réunis des brigands-pirates (sunêgagon lêistas). Nous ouvrîmes le tombeau ; nous trouvâmes que la morte vivait ; après avoir tout raflé (panta sulêsantes), nous le plaçâmes sur notre vaisseau de course (kelêti) ; puis, nous étant rendus à Milet, nous vendîmes seulement la femme ; le reste nous le transportâmes vers la Crète…” (Chariton, Khaireas et Kallirhoé, III 3, 9 et 4, 13 ; trad. Grimal, mod.).
17J’entends d’ici les soupirs excédés des thuriféraires d’une moralité crétoise toujours en butte aux critiques (ah ! Polybe !), soutiens indéfectibles qui ne verront là que poncifs de roman d’aventure ! Des racontars ! Certes, selon le fin mot de l’histoire, c’est vrai, les offrandes funéraires, ces trésors de la tombe de Kallirhoé ne parvinrent jamais entre les mains de receleurs crétois, mais ce fut seulement en raison des vents qui poussèrent l’esquif vers la mer Ionienne, eux seuls sont en cause ; en revanche, ce n’est sans doute pas par hasard si la grande île constituait pour ces brigands-pirates la destination préférée comme débouché ou lieu de recel de leurs prises24 ou bien seulement que cela pouvait sembler vraisemblable au lecteur. Peu suspect de préventions “misocrétoises”, A. Chaniotis25 relie d’ailleurs avec raison cette évocation romanesque aux deux inscriptions crétoises qui vont maintenant nous occuper.
Abordons la Crète par le sud
18Au sud de la Messara, à environ 50 km au large, se situe l’île de Caudos (ou Gavdos26). Vers 250, la puissante cité de Gortyne a passé avec ses habitants ce que l’on a l’habitude d’appeler une convention si l’on interprète le texte en considérant que les deux communautés s’entendent sur un pied d’égalité, ou bien comme un règlement si l’on considère que Caudos s’y trouve de fait en position d’infériorité par rapport à Gortyne27, contentons-nous du mot accord. À la différence des parties B et C, la fraction de l’inscription28 qui nous occupe (A) ne donne pas trop de problèmes de lecture. Ce ne sont d’ailleurs que les lignes 18-19 qui nous intéressent directement ici. Il y est question de richesses, de biens, de récoltes, d’objets dont les habitants de l’île sont tenus par cet accord de livrer la dîme à l’Apollon Pythien de Gortyne29. Après les travaux de M. Guarducci, de K. Latte (j’y reviendrai) et de F. Gschnitzer sur ces lignes, Angelos Chaniotis en a donné le texte suivant : …
ὅ τι δέ κ’ἐσπέτηι ἐς τᾶν χωò [ρᾶν ἐθ] θαλάθθας ἦμεν τῶι Ἀπέλλωνι τῶ[ι Πυτ] ίωι τὰν δεκ[άταν]30…
19Un texte où le verbe crétois ἐσπίπτειν est le verbe dialectal pour l’ἐκπίπτειν commun, “rejeter”, “échouer”, verbe qui a été souligné depuis qu’il est cité dans cet article et dont le lecteur commence à avoir l’habitude. Ce qui donne : “Et de ce qui est rejeté par la mer au rivage, la dîme doit revenir à l’Apollon Pythien”. Pour le contexte, A. Chaniotis traduisait ainsi les lignes 18-19 : “Und was den Transport betrifft, soll es sein, wie auch über das Salz geschrieben steht. Und von dem, was vom Meer ans Land gespült wird, soll der Zehnte dem Apollon gehören” (p. 409), “Et en ce qui concerne le transport, cela doit être comme cela se trouve écrit à propos du sel. Et de ce qui est rejeté par la mer au rivage, la dîme doit appartenir à Apollon Pythien”. C’est surtout à K. Latte31 que l’on doit d’avoir mis les points sur les i pour donner tout son sens à cette phrase. Alors que M. Guarducci interprétait ekpiptein comme la “rente de la pêche”32, il rendait au verbe son sens le mieux attesté : “s’échouer”, tel qu’il est employé dans de nombreux textes littéraires et épigraphiques33. Pas de doute, les habitants de Caudos, comme ceux de Gortyne, probablement, pratiquaient bien une version du droit de bris dont le sanctuaire d’Apollon Pythien de Gortyne percevait une part. Ce texte témoigne plus d’un partage que d’une saisie par Gortyne des biens échoués et rien n’est dit de la façon dont les habitants de Caudos (une communauté dont le document atteste par ailleurs l’existence) utilisaient cette manne maritime. Je vois donc les choses ainsi : à la communauté des Caudiens34 revient la propriété éminente sur le rivage (tout le rivage ?) donc celle des biens échoués, quels qu’ils soient, à cette réserve près qu’elle doit en verser le dixième (en valeur sans doute) au sanctuaire d’Apollon Pythien à Gortyne.
20Ces infortunes de mer n’étaient-elles qu’accidentelles ? Il est impossible de répondre à cette question, donc gratuit d’accuser les habitants de Caudos de manœuvres comme celles des Kaphérides. Mais, pourquoi, particulièrement, des épaves à Caudos ? Deux éléments peuvent être appelés à apporter quelque lumière.
21D’une manière générale, d’abord, il faut rappeler ce passage de l’Odyssée cité au début de cette enquête à propos des confins de Gortyne, en face de Phaistos, avec ce “rocher nu, qui tombe dans le flot” et aussi le Notos qui y sévit, jetant “contre lui ses grandes houles”. Dans la fiction, si les hommes s’en tirèrent, “le ressac sur les écueils brisa les navires”. Avec des falaises tombant abruptement dans la mer, la côte méridionale de la Crète occidentale et centrale est particulièrement pauvre en ports de bonne qualité35. La même géomorphologie peut caractériser le littoral de Caudos.
22Par ailleurs, à l’inverse, localement, l’hinterland peut être assez riche, c’est le cas de Gortyne et de la Messara, pour attirer les navigateurs, avec cette plaine et ces cités qui se présentent à la fois comme acheteuses et vendeuses ; à cet argument s’ajoutent des rapports économiques avec la Cyrénaïque qui sont documentés pour certaines époques. D’où la nécessité, l’existence d’un trafic maritime, d’où les risques d’échouage.
23Ce que l’on ne peut assurer, c’est si ce rocher dont parle l’Odyssée pourrait avoir été quelque part sur le littoral rocheux de Caudos. Sans le prouver absolument, le récit de la tempête vécue par l’apôtre Paul au large de la côte sud de la Crète peut, en tout cas, y faire penser.
24XXVII 7 : Après avoir côtoyé [la côte orientale de la Crète] péniblement, nous arrivâmes à un endroit appelé Kaloi Limenes36, près duquel se trouve la cité (polis) de Lasaïa37. 9 Il s’était écoulé pas mal de temps et la navigation était désormais périlleuse… 11 Mais le centurion se fiait davantage au capitaine et à l’armateur qu’aux dires de Paul ; 12 Le port se prêtait d’ailleurs mal à l’hivernage. La plupart furent donc d’avis de partir et de gagner, si possible, pour y passer l’hiver, Phénix, un port de Crète tourné vers le sud-ouest et le nord-ouest. 13… Ils levèrent l’ancre et se mirent à côtoyer de près la Crète. 14 Mais bientôt, venant de l’île, se déchaîna un vent d’ouragan nommé Euraquilon. 15 Le navire fut entraîné et ne put tenir tête au vent ; nous abandonnâmes donc la dérive. 16 Filant sous une petite île appelée Cauda, nous réussîmes à grand peine à nous rendre maîtres de la chaloupe. … 18… Comme nous étions furieusement battus par la tempête, on se mit à délester le navire et… de leurs propres mains les matelots jetèrent les agrès à la mer. 20 Ni soleil ni étoiles n’avaient brillé depuis plusieurs jours, et la tempête gardait toujours la même violence ; aussi tout espoir de salut était-il désormais perdu pour nous (La Sainte Bible, Les Actes des apôtres, éd. du Cerf, 1953, trad. J. Dupont).
Une épave en litige : querelle crétoise38
25Parlons d’abord géographie et politique, on parlera bris ensuite.
26La distribution géographique des poleis des époques archaïque et classique le long du rivage occidental du golfe de Mirabello (Kolpos Mirampelou39) (ou d’Haghios Nikolaos) se présente ainsi : des petites cités s’égrainent en contigüité au long ou près de la mer, du sud au nord ; au fond du golfe, Minoa, puis Istron, puis vers le nord, Latô face à l’île de Pyrrha, puis Olonte (aujourd’hui Elounda), face à la presqu’île de Spinalonga (qu’il faut distinguer de l’îlot, plus au nord), toutes ces cités en position plus ou moins littorale. À mi-chemin entre Latô et Olonte, le village de Sta Lenika par où passait probablement la frontière entre les deux cités et où se trouvait l’arkhaion Aphrodision, devenu sanctuaire conjoint d’Arès et d’Aphrodite40 ; c’est là que fut découverte par H. van Effenterre et J. Bousquet l’inscription qui nous intéresse. Les cités de l’intérieur sont proches, en particulier Oléros au sud et Dréros au nord. Tous leurs territoires sont exigus, la montagne y était prépondérante, la part des terres arables réduite et leur mise en valeur fort difficile.
27Prenons un peu de hauteur. À partir du iiie siècle, une évolution, un mouvement général dans l’île dont nous ne saisissons bien ni la chronologie fine ni l’ampleur véritable, mais qui est particulièrement sensible en Crète orientale (l’effet de sources déforme peut-être notre vision), affecte les vieilles cités dont les chefs-lieux, comme Latô, sont assez haut perchés : une descente vers la mer. Cause et conséquence à la fois, elle correspond à l’intégration de plus en plus étroite de la Crète dans les courants d’échange si actifs du monde hellénistique : leur population descend vers les littoraux et, peu à peu, sanctuaires et bâtiments de vie collective reçoivent des doublets au bord de la mer ; les habitants, eux, vont même jusqu’à s’expatrier (entre autres exemples, on a l’émigration des Crétois de Milet, en Égypte, on a celui du nombre spectaculaire de mercenaires crétois dans les armées hellénistiques [voir le répertoire dressé par M. Launey41]). Et, selon notre documentation, ce mouvement est illustré par les changements qui affectent spécialement la Crète orientale, de Praisos vers ses ports, Stalai et Sétaia, de Lyttos vers Chersonèse et de Latô vers son port, Latô pros Kamara42. Ce dernier cas de dédoublement nous intéresse particulièrement. À l’extrême fin du iiie siècle, la Latô de la montagne et celle de la mer sont déjà distinctes pour les Téiens dans leurs ambassades pour la reconnaissance et la proclamation de leur asylie ; ils conservent en leurs archives un décret d’octroi de l’asylie de la part de chacune des deux Latô – les documents sont, il est vrai, fort semblables43. Le port de pros Kamara reçoit la visite de la marine rhodienne au iie siècle44. C’est la Latô du bord de mer qui s’entend avec Olonte vers 11545 puis avec Hiérapytna vers 11046 pour des conventions de partage de butin. L’inversion des centres semble effective à partir du milieu du iie siècle.
28La querelle évoquée dans le sous-titre a opposé Latô à sa voisine septentrionale Olonte installée en face de l’isthme de Spinalonga. Avant la publication de H. van Effenterre, on connaissait déjà une partie d’un dossier d’inscriptions assez épais dont les pierres étaient dispersées, il en comptait quatre qui avaient d’abord été rassemblées dans le Corpus de Crète de Margarita Guarducci (IC I Lato47, 3 (118), 4A (116) et 4B (116), 5, 18) puis republiées dans l’ouvrage d’A. Chaniotis sur les traités crétois. Les textes 3, 4A et 4B avaient été trouvés à Délos et déjà publiés dans Inscr. Délos no 1513A et B et 1514 (Roussel-Launey) ; le 5, d’origine crétoise, mais sans plus de précision, avait été transporté à Venise, le 18, de Latô. A. Chaniotis les a repris : IC I Lato 3 = no 54, 318 ; 4A 1-42 = no 55, p. 321 ; 4B = p. 322 ; van Effenterre ll. 43-61 = testimonium a, p. 327 ; van Effenterre ll. 63-75 = testimonium b, p. 329. Pour la chronologie, voir Chaniotis, no 51-56.
29Comme l’écrivait van Effenterre, l’ensemble des documents disponibles se composait d’une convention d’arbitrage (où interviennent et Délos et Rome), d’une prorogation du délai imparti aux arbitres du conflit, d’une décision arbitrale et d’une confirmation de celle-ci (p. 38). Jusqu’à sa découverte de la version de Sta Lenika du dossier (dite aussi de Déra), il manquait l’objet, et, de fil en aiguille, la raison du litige entre ces cités.
30Détaillons maintenant le contenu du jugement (krima) final des arbitres cnossiens sur ce sujet, daté de 115. Il y a d’abord un, ou plutôt des litiges territoriaux. Il y a une terre – simplement une khôra – (“ein Gebiet”, traduit Chaniotis), mais, comme le dit van Effenterre, il semble bien qu’elle fût appelée Krêsa (l. 9) ; il y a un sanctuaire (hiaron), appelé Déra : τῶ ἱαρῶ τῶ Δέραι ; et tous les temenê sacrés qui en sont proches (“alle heilige Bezirke, die an das Heiligtum angrenzen”, Chaniotis) : καὶ τ [ῶν] θιγγανόντων τῶι ἱαρῶι τòεòμενίω πάντων (“les territoires sacrés attenants”, van Effenterre) ; enfin il y a une île, l’île de Pyrrha (aujourd’hui Haghioi Pantes, Nicolo-Nisi ou île Saint-Antoine, elle se trouve en face de Latô-sur-mer (Haghios Nikolaos)) et, proche d’elle, un écueil48 (“an Insel Pyrrha und die daneben gelegene Klippe”, Chaniotis) : καὶ τᾶς νάσω Πύρρας καὶ τῶ ποτιόντος σκοπέλω (“l’île de Pyrrha et l’îlot qui est auprès”, van Effenterre). Cette terre émergée est de petite taille certes, mais le jugement la qualifie de skopelos et son sens ne fait aucun doute : “récif”, “écueil”, “rocher élevé”, “promontoire”… On retrouve mention de certains lieux cités ici dans la description des frontières de cités de Crète orientale dans un arbitrage romain (après 112/111) : l’île de Pyrrha, son îlot et une terre appelée Krêsa (IC I Lato 18 = testimonium e, p. 332, Chaniotis).
31Puis vient le passage du jugement des Cnossiens qui nous intéresse le plus : καὶ τᾶς ναὸς τετρήρεος καὶ τῶ[ν] ἐςò τᾶς [ν] αὸς ἀργυρωμάτων καὶ ἀ [ργ] υòρò[ίω] νòοòμòίσμòαòτος καὶ χαλκωμά[των] καὶ ἄλλων σκευῶν παντοδαπῶν καòὶò σωμάτων τῶν πραθέντων ἐλευθέρων δòύòων καὶ οἰκέτα ἑνός. Ce que Chaniotis traduit ainsi : “und das vierrudrige Schiff und über Silberwaren aus dem Schiff und das Silbergeld und die Bronzewaren und das andere Gerät aller Art und die verkauften Menschen, zwei Freie und einen Sklaven” (p. 328). Soit : “… et d’un navire à quatre rangs de rames et à propos de l’argenterie du bateau et de monnaies d’argent et d’objets de bronze et d’autres équipements de toute sorte et des personnes (mises) en vente, deux libres et une esclave”49.
32Héritiers de nos devanciers, on se demande comment ils ont compris cela. La taille du navire a poussé van Effenterre à imaginer une “campagne de piraterie” montée par de “hardis corsaires”, qui aurait eu pour conséquence (si l’on comprend bien) l’échouage de ce bateau. Cette thèse serait soutenue par l’existence d’une convention de partage de butin entre les deux cités selon le modèle classique à cette époque en Crète50 (IC I Lato 5 = Chaniotis no 61 ; de c. 110-108). Ce serait dans l’application de ce texte (qui parle de campagne commune) que se serait levé ce différend. Notons 1-que la convention est postérieure au jugement des Cnossiens ; 2-qu’un tel scénario constituerait un cas rarissime dans notre documentation : les pirates n’attaquent pas les navires de pleine mer pour les couler (et comment le feraient-ils, avec quels moyens offensifs ?). Avant publication, van Effenterre avait d’ailleurs abandonné cette thèse sur les conseils de L. Robert qui lui avait suggéré – “en accord avec les termes mêmes de l’inscription” – de voir dans cette querelle “une rivalité de pilleurs d’épaves” (p. 39). On peut discuter les termes employés, mais, comme c’est mon cas, se trouver en accord avec l’interprétation générale. Certes, pas de verbe ekpiptein dans les textes, mais d’autres raisons existent qui font croire que ce navire de guerre s’échoua sur le littoral du golfe.
33Il y a le parallélisme qui s’établit à la lecture de l’expression “toutes sortes d’équipements” (allôn skeuôn pantodapôn) du navire et la description de ce que récupèrent les Thraces dans le récit de Xénophon pour Salmydessos : “beaucoup de lits, beaucoup de coffres, beaucoup de papyrus couverts d’écriture et tous les autres objets que les gens de mer emportent dans des caisses de bois” ; viennent jusqu’au rivage des objets qui flottent : ustensiles en bois et aussi tout ce qui voyage dans des coffres, ce qui flotte surtout : monnaies, objets de bronze et d’argent, comme pourraient l’être aujourd’hui du vin et du whisky !
34Plus convaincante est la question de la propriété sur des biens allogènes. Quelle que soit la raison de l’échouage des navires, sages étaient les Thraces de Salmydessos qui avaient résolu ce problème et ainsi avaient rétabli la paix entre eux. Ils avaient “posé des stèles [sur le rivage] qui servent de bornes (stêlas horisamenoi), et tous les groupes pillent (lêizontai) les épaves qui s’échouent (ekpiptonta) dans leur zone ; avant l’établissement de ces limites, disent-ils, beaucoup s’entretuaient dans ces pillages”.
35Olontiens et Latiens en sont-ils venus à la violence ? On ne nous en dit rien. Mais il est sûr que le bruit a dû se répandre très vite de l’échouage d’un pareil bâtiment, et attirer les populations voisines, comme ces Bretons qui arrivaient sur les lieux des naufrages en provenance des paroisses alentours. D’où des bagarres.
36Tournons-nous de nouveau vers le jugement des arbitres cnossiens pour enregistrer leur décision.
37L’île Pyrrha, le récif voisin, la terre nommée Krêsa, le sanctuaire de Déra et tous les saints temenê et les sanctuaires voisins, tout cela revient aux Latiens. Tout ce qui touche donc aux revendications de Latô en matière foncières est entériné par les arbitres : “sont déclarées valables pour eux les anciennes frontières”. En revanche, tous les biens meubles qui proviennent du naufrage, certains de grand prix – les monnaies et les êtres humains – reviennent aux Olontiens. Qu’est-ce à dire si l’on se pose la question de la propriété des lieux où ces objets ont atterri ?
38Il est fort probable que l’écueil, qui revient plusieurs fois dans le texte, a été le lieu du choc entre le navire et le rocher, que celui-ci a coulé à proximité, peut-être même au pied. Je considère que si les richesses flottantes avaient atterri sur le littoral de Pyrrha ou sur celui, incontesté, de la cité de Latô, il n’y aurait même pas eu matière à différend. Par ailleurs, si les Olontiens avaient eu quelque raison de se plaindre, c’est probablement parce que ces biens ont dû dériver (ou une partie d’entre eux ont dû dériver) quelque peu pour aboutir sur le littoral d’Olonte – au-delà de la frontière alors reconnue par les Olontiens. Il était donc nécessaire de bien préciser à qui appartenaient les territoires évoqués, de bien délimiter la frontière entre les cités – donc, aussi, la propriété des temenê et du sanctuaire principal en position limitrophe – avec satisfaction aux Latiens et de se conformer à l’idée que l’institution qui détient la propriété éminente sur la portion de littoral où se déposent les biens échoués en est propriétaire. J’ajouterais que la cause directe du naufrage n’a rien à voir avec cela : que ce soit la nature seule que les hommes puissent accuser ou que des hommes aient pu aider la nature…
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Notes de bas de page
2 Adresse à la Vierge Marie.
3 Saint patron de l’île principale, Molène, de l’archipel du nord du Finistère qui s’étend du Conquet à Ouessant.
4 Cf. http://0-gallica-bnf-fr.catalogue.libraries.london.ac.uk/ark:/12148/bpt6k5782538p/f324.image.r=Molene.langFR où l’on trouvera une page du périodique l’Universel. Magazine hebdomadaire illustré (sept. 1903, p. 317) qui cite cette prière. Suggestif aussi pour notre propos ce passage du roman d’Ernest Capendu, Le chat du bord (s. d.) : “La mer est une vache qui met bas pour nous. Ce qu’elle dépose sur la plage nous appartient”.
5 Tout cela est tiré de la préface que cet ami et collègue avait rédigée pour le volume d’hommages qui lui était dédié, Esclavage, guerre et économie en Grèce ancienne, textes réunis par Brulé & Oulhen 1997, 13-15.
6 La liste serait longue depuis l’apôtre Paul entre la Crète et Malte jusqu’à Chateaubriand dans ses Martyrs. On reparlera de la première.
7 Depuis Glaucos, autant de divinités que le survivant d’un naufrage, ayant tout perdu, remercie de l’avoir tiré d’affaire en leur offrant sa chevelure (épigramme de Lucien, Anth. Pal., 6.164).
8 Beaucoup moins compatissants que ceux de Siphnos qui vinrent au secours d’habitants de Syros lors d’une attaque de pirates au ier siècle p.C. (IG XII 5, 563).
9 Voir Robert 1973, 470-471, à propos de la valeur de l’expression.
10 Dans un procès en moralité des Sériphiens, qui n’a pas grand-chose à faire ici, P. Brun veut que ces insulaires souffrissent d’une “légende noire” entretenue depuis les comiques athéniens et que l’accusation de cette épitaphe témoigne d’une “déviation intellectuelle” de la part de son auteur (Brun 1996, 209). D’ailleurs, ajoute-t-il, le pillage d’épaves n’est pas une spécialité sériphienne. Certes ! Mais le massacre de naufragés est quand même bien moins fréquent.
11 “L’île de Pélops, la mer difficile de Crète et ses écueils aveugles m’ont fait périr, moi, Astydamas, fils de Damis de Kydonia. Depuis longtemps j’ai assouvi la voracité des monstres marins, et sur leur rivage mes concitoyens m’ont érigé un tombeau menteur. Qu’y a-t-il là d’étonnant, dans un pays de mensonges, en Crète, où se trouve le tombeau de Zeus ?”.
12 Ce soulignement, pour distinguer ce verbe dont on constatera plusieurs fois l’importance dans notre documentation.
13 Récifs, îlots rocheux, l’histoire des naufrages et des naufrageurs bégaye. Comment ne pas penser au passage de l’Odyssée sur la côte méridionale de la Crète cité plus haut et aussi à ce Guyomarc’h de Léon (Bretagne) qui se réjouissait au xiiie s. de posséder “la plus précieuse des pierres”, un rocher où venaient se briser les navires et qui lui rapportait 100 000 sous par an (Darsel 1966, 47).
14 Dans une telle perspective, où ranger la piraterie que subissaient les boat people en mer de Chine ?
15 Des témoignages jusqu’à l’époque moderne, parmi les plus anciens, citons le Talmud : “Sous le rapport des trouvailles il a été enseigné : l’objet sauvé des griffes d’un lion ou d’une bande armée ou d’une tempête en mer ou de l’inondation d’un fleuve ou perdu sur la voie publique ou sur une grande place vous appartient”. (Talmud de Jérusalem, Sehequalim, VII 2 ; trad. Schwab, V, p. 314) et aussi : “On a enseigné : ce qu’un individu sauve du pillage, d’une horde de brigands ou de l’incendie ou du reflux de la mer ou du débordement d’une rivière lui appartient”. (Ibid., Bada Qama, I 2 ; trad. Schwab, X p. 79). L’inventeur garde tout.
16 Cette règle apparaît précocement aussi dans un texte de 680-669 a.C. qui est un traité entre le roi d’Assyrie Assarhaddon et le roi de Tyr Baal, dans lequel ce dernier concède au premier le libre usage des ports et des routes de Phénicie ainsi que son droit d’épaves (Borger 1956, 130).
17 Sur cet aspect du phénomène, voir Rougé 1966, 1467-69 et Rougé 1966b, 335-43. On notera l’absence d’une quatrième solution, celle du partage (inégalitaire, on peut s’y attendre) entre l’inventeur de la trouvaille et la communauté politique éminente (quelque forme qu’elle prenne) ; une certaine variante de cet arrangement apparaît sans doute en filigrane d’un document crétois examiné plus loin.
18 Rougé 1966b, 1471-73. Vision idéaliste commune issue du positivisme. P. Ducrey abonde dans le même sens : “À l’époque hellénistique, les progrès de la civilisation en ce domaine furent particulièrement remarquables dans ces régions” (la côte thrace) (Le traitement des prisonniers de guerre dans la Grèce antique…, Paris, 1968, 190).
19 Ce qui explique qu’on pût les récupérer. À propos du même littoral, dans son Périple du Pont-Euxin, 88, Arrien reprend la même information en citant Xénophon (ekpiptei ta ploia).
20 … εἰς Σαλμυδησσὸν… καὶ περὶ τῆς ἀλιμενότητος τοῦ χωρίου πολλὰ ἀνέγραψεν, ὅτι ἐνταῦθα ἐκπίπτει τὰ πλοῖα χειμῶνι βιαζόμενα, καὶ οἱ Θρᾷκες οἱ πρόσχωροι ὅτι ὑπὲρ τῶν ναυαγίων ἐν σφίσι διαμάχονται.
21 IGBulg, I² 307 = H. H. Schmitt, Die Verträge der griechisch-römischen Welt…, Munich, 1969, no 556 ; entre 281 et 277) (ll. 17-20) ; à propos d’éditions successives de ce texte et de sa date, cf. J. et L. Robert, BE, 1948, 15 ; 1952, 134 ; 1953, 133.
22 ll. 7-16 vacat ὁμολογία Σαδαλα καὶ Μεσσαμβριανῶν· αἴ τινές κα ἐκπίπτωντι Μεσσαμβριανῶν [ποτὶ τ] ὰòνò Σαδαλα, ἀποδιδόντες τῶν l. 20 ναύλò[λων---στα] τòῆòρòαòςò
23 Datée de 242, trouvée dans l’Asklépiéion de Cos : MDAI(A) 30 (1905) 173-182 ; Syll.3 456 = C. B. Welles, Royal Correspondence in the Hellenistic Period, New Haven, 1934, 25 = Kent J. Rigsby, Asylia : Territorial Inviolability in the Hellenistic World, Berkeley, Los Angeles et London : University of California Press, 1996, no 11, ll. 40-4 : v καὶ τῶν πλειόντων τὴν θάλασσαν 35 ὅσοι ἂν τυγχάνωσιν τῶν ὑμετέρων προσβάλλοντες (“se jeter contre”) τοῖς τόποις ὧν ἡμεῖς κρατοῦμεν, φροντίζειν ὅπως ἡ ἀσφάλει[α] αὐτοῖς ὑπάρχῃ ∙ κατὰ ταὐτὰ [δὲ] 40 καὶ οἷς ἂν συμβῇ πταίματός [τι] νος γενομένου κατὰ πλοῦν προσπεσεῖν (?) πρὸς τὴν ἡμετέ[ραν]…
24 J’ai consacré une enquête à cette question dans ma Piraterie crétoise à l’époque hellénistique : Brulé 1978, 16-29, à partir d’une analyse du contenu des traités que Milet passe avec Cnossos, Gortyne et Phaistos, et par leur entremise avec, respectivement dix-neuf, quatre et deux autres cités crétoises, traités qui visent à faciliter le rachat de prisonniers ; s’y trouve aussi évoquée la question de la réalité d’une doulopolis en Crète.
25 Chaniotis 1999, 185.
26 Le Stadiasmos l’appelle Klaudia ; on trouve aussi Claudanesa ou Gaudonesi, que les Italiens ont corrompu en Gozo. “Cette île… est à l’ouest du cap Matala, au sud de la Crète et de Phénice, à vingt milles de distance de Sphakia” (Spratt 1865, 46).
27 Ce n’est pas ici le lieu de disputer après tant d’autres la nature juridique des rapports entre les deux communautés ; je renvoie à la littérature citée ici à propos de ce texte.
28 Sur le fr. A : M. Guarducci, RFIC, 1930472-4, 480 s = IC IV 184 (fr. A + C) = SGDI 5025. Cf. F. Gschnitzer, Abhängige Orte im griechischen Altertum, Munich, 1958, 38, n. 2 à propos des lignes 17 et suivantes ; Petropoulou 1985, 37, 86 et 236 et Chaniotis, 1996, 407-20, sp. 415, no 69 (fr. A, B, C).
29 Interessanterweise, la remarque d’A. Chaniotis (p. 415) a son prix : la dîme ne revient pas à Gortyne, c’est-à-dire à la cité, mais au sanctuaire d’Apollon Pythien, ce butin est sien (on retrouve cela dans le fameux accord Cnossos – Tylissos qui fixe les règles de partage du butin (Syll.3 56 = IC I Cnossos 4A et B et (trouvé à Argos) et IC I Tylissos 1 (trouvé à Tylissos) = Staastverträge…, II no 148 A, ll. 9-11, au profit des sanctuaires d’Apollon de Delphes (“les plus belles dépouilles”) et d’Arès à Cnossos (“le reste”)).
30 La suite manque malheureusement.
31 Latte 1946-1947, 64-75 (66-72 pour ce qui concerne la Crète : on retrouve cet article dans ses Kleine Schriften : Latte 1968, 294-312). Dans la lacune, il écrivait : ἐς (= ἐκ)] à la place de ἐθ.
32 RFIC, 1930, p. 477.
33 Aux exemples donnés ci-dessus, j’ajoute Hérodote 3.138, où il est question d’une flotte perse : “Partis de Crotone, les Perses furent jetés avec leurs navires (ἐκπίπτουσι) sur les côtes d’Iapygie ; là, réduits en esclavage, ils furent libérés par Gillos…”. Seul le prospesein qui figure dans la lettre de Ziaelias de Bithynie à propos de l’asylie de Cos (Syll.3 456), de même sens, fait exception par sa forme.
34 Strabon (17.3.22) parle à son propos de polis et de port.
35 Sur cette question des mauvais ports de la côte méridionale de la Crète, on consultera Delatte 1947 ; la Crète se trouve dans le premier itinéraire, p. 76-80.
36 Aujourd’hui Kali Limenes auquel l’îlot Saint-Paul fait face.
37 À propos de ce port important entre Lébéna et Matala, ports respectivement liés à Phaistos (mais qui fut détruite par Gortyne au milieu du iie siècle) et à Gortyne, voir la mise au point de Chaniotis 2000, 55-60 : “In the 2nd century B. C., the Asklepieion at Agia Kyriake [découvert lors de prospections archéologiques] was part of the Gortynian territory and that Lasaia was a dependent polis of Gortyn” (p. 59).
38 Mis au pluriel, c’est le titre d’un article d’Henri van Effenterre, “Querelles Crétoises”, publié en pleine Seconde Guerre mondiale, et qui avait surtout pour objet d’éditer et de commenter une longue inscription découverte sur les pentes du Kadiston, dans l’enceinte d’un temple dédié conjointement à Aphrodite et Arès, à la frontière entre Latô et Olonte (REA, 1942, 31-51), et consacrée à leurs différends ; heureusement et, au sens grec, pieusement republié par les soins de F. Ruzé dans un volume qui réédite avec des introductions l’œuvre de ce grand connaisseur de la Crète : van Effenterre 2013, 819-41. Historien débutant, j’ai tant brouté et métabolisé sa Crète… de Platon à Polybe que je lui devais bien ça.
39 Plusieurs cartes de détail sont disponibles, la plus complète est celle de Chaniotis 1996, tafel 7, in fine. Je regrette de n’avoir pas pu consulter le mémoire d’HDR de D. Lefèvre-Novarro, sous la direction d’A. Farnoux, soutenue en novembre 2012 sur les territoires des cités crétoises dans les régions du Mirabello et de la Messara.
40 Publication du temple Bousquet 1938, 386-408. À propos des divinités, voir Pirenne-Delforge 1994, 169 et Pirenne-Delforge 1999, 169-187 ; le couple Arès-Aphrodite est au cœur de la thèse de G. Pironti : Pironti 2007, 239 sq.
41 Launey 1987 (réimpr. avec mise à jour due à C. Orrieux, P. Gauthier et Y. Garlan).
42 La documentation et l’interprétation de ce mouvement sont données dans Brulé 1978, 148-156. Pour une étude systématique de Latô et de son doublet maritime à l’époque de ces faits, voir Bowsky 1989, 331-347.
43 Respectivement IC I Lato 2 et Lato 15.
44 IC I Lato 35 (dédicace à Athéna Lindia).
45 KrChron. 21 (1969) 11-15 (datation des éditeurs).
46 IC I Lato 5.
47 J’ai toujours préféré (et je continue, comme je l’ai fait aux notes précédentes) citer les Inscriptiones Creticae de M. Guarducci de cette façon, en nommant la cité concernée plutôt que le chiffre romain (ici, ce serait XVI) qui la symbolise, de sorte que le lecteur lisant la référence sait immédiatement à quelle cité il a affaire.
48 Van Effenterre 1942 donne (pl. II, fig. 1) une photographie de l’île de Pyrrha et d’un îlot qui est auprès.
49 Van Effenterre commente ainsi : “un navire à quatre rangs de rames et sa cargaison où figurent notamment des objets d’argent et de bronze, de la monnaie d’argent et trois personnes menées à la vente dont deux sont libres et une esclave” (van Effenterre 1942, 39).
50 Voir le dossier dans Brulé 1978, 106-115.
Auteur
Professeur émérite, Université Rennes 2, LAHM
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