Le taureau sauvage en Crète ancienne
p. 25-36
Texte intégral
1Tant que les premières écritures crétoises demeureront indéchiffrées, notre connaissance de la religion minoenne s’apparentera à la visite d’un musée dont les riches collections – statuettes, vases décorés, fresques, etc. – seraient présentées au public sans explication. De ce musée atypique, la “tauromachie” figurée sur les peintures et les sceaux crétois, où l’on voit de jeunes gens effectuer de spectaculaires acrobaties au-dessus d’un taureau agressif et dangereux, constitue l’une des galeries les plus énigmatiques : à l’interprétation traditionnelle qui en fait la représentation réaliste de jeux préfigurant les corridas ou les rodéos modernes, on a objecté qu’il pourrait tout aussi bien s’agir de rites sacrificiels, ou de cruelles scènes d’exécution de condamnés à mort livrés à la furie d’un taureau – à moins d’y voir de simples variations iconographiques sur le thème de la légende du Minotaure, sans rapport avec la vie quotidienne des anciens Crétois1. L’importance symbolique et sans doute religieuse du taureau n’est pas propre au monde crétois puisqu’on en retrouve l’expression à des époques variées dans d’autres civilisations méditerranéennes ou moyen-orientales2, mais le phénomène connut sur l’île un développement remarquable : outre les scènes de tauromachie, l’animal est fréquemment représenté dans l’art minoen et occupe une place centrale dans le cycle des légendes crétoises. Pourquoi le taureau fascinait-il tant les Minoens ?
2La réponse se trouve peut-être, en partie, dans l’histoire de la grande faune crétoise et dans la possible présence, aux temps préhelléniques, d’un énorme bovidé sauvage sur l’île – le fameux aurochs (Bos primigenius), ancêtre du bœuf domestique, qui vivait autrefois de part et d’autre des rives de la Méditerranée avant que l’homme ne l’y extermine (fig. 1). Sa taille3 et sa férocité faisaient de lui le parfait candidat pour des jeux taurins qui auraient pu, à leur tour, inspirer la légende du Minotaure. Mais y avait-il seulement des aurochs en Crète ?
Une question de taille
3Dans les conditions ordinaires d’une fouille archéologique, il est difficile, voire impossible de distinguer à coup sûr les ossements d’un animal domestique de ceux de son ancêtre sauvage. Les critères de différenciation se limitant, pour l’essentiel, à la taille et aux proportions anatomiques, l’étendue des variations intra-spécifiques, le mauvais état de conservation des fossiles et le nombre limité des échantillons disponibles interdisent presque toujours de formuler des conclusions définitives sur tel ou tel fragment isolé. Par conséquent, et à moins de découvrir un squelette à peu près complet, l’identification formelle de restes d’aurochs en Crète ne paraît guère envisageable que pour les périodes antérieures à l’apparition des bovins domestiques sur l’île4. À l’heure actuelle, les plus anciens ossements de bovidés crétois d’une taille comparable à celle de Bos primigenius proviennent de contextes anthropiques qui ne remontent pas au-delà du VIIe millénaire a.C. : des ossements variés à Héraklion (c. 6500 a.C.), et des cornes à Poros (Héraklion), Haghia Triada, Chania et Knossos (c. 1600 a.C.)5. En dépit des réserves exprimées plus haut, certains os sont si grands qu’il paraît difficile de les attribuer à des individus domestiques, tel un radius (Knossos, c. 6500 a.C.) de 10 cm de large6 ou une corne découverte dans le palais même de Knossos dont la circonférence à la base dépasse 30 cm7. Si les cornes sont peut-être des objets de prestige importés d’outremer, l’explication paraît beaucoup moins vraisemblable en ce qui concerne les éléments du squelette postcrânien. À la rigueur, les plus sceptiques pourraient n’y voir que des pièces de boucherie également importées, mais l’idée que les Crétois aient fait venir régulièrement par mer de la viande d’aurochs paraît difficile à croire – même si elle est théoriquement possible – et à moins de découvrir un squelette entier in situ, l’objection vaudrait pour tous les ossements d’aurochs découverts ailleurs en Grèce continentale, où l’on sait pourtant que l’espèce était présente.
4Il y avait donc très probablement des aurochs en Crète dès le VIIe millénaire a.C. Cela paraît d’autant plus vraisemblable que les artistes minoens ont représenté des scènes de chasse à l’aurochs : le veau blessé d’une flèche (fig. 2) ou l’énorme taureau que plusieurs hommes tentent d’abattre (fig. 3) ne sauraient être de simples bovins domestiques, pas plus que les bœufs sauvages des célèbres coupes de Vaphio (Laconie), dont la plus ancienne est vraisemblablement minoenne, et la plus récente d’inspiration crétoise (fig. 4)8.
5Comment expliquer la présence de l’aurochs en Crète ? L’espèce n’apparaissant dans les séquences fossiles qu’au Néolithique en même temps que l’homme, la plupart des spécialistes rejettent l’hypothèse d’une population endémique : la Crète aurait été trop éloignée du continent pour permettre la colonisation naturelle de son territoire, et les seuls aurochs jamais présents sur l’île seraient ceux que l’homme avait décidé, pour une raison ou pour une autre, d’y introduire.
6On ne saurait exclure a priori que les anciens habitants y aient introduit, au début du Néolithique, des individus capturés dans les pays voisins9 – Égypte, Grèce continentale, Asie Mineure – dont certains auraient pu s’échapper pour faire souche localement10 – ou bien encore que du bétail domestique ensauvagé ait fini par récupérer, au fil du temps, certaines des caractéristiques de son ancêtre11. De telles hypothèses se heurtent néanmoins à plusieurs objections de taille. En contexte insulaire, les grands mammifères développent une tendance au nanisme et non au gigantisme : on s’explique mal pourquoi le bétail domestique aurait fait, en Crète, exception à une règle biologique aussi universelle12. En outre, s’il a bien existé au Néolithique et à l’âge du Bronze une population de bœufs sauvages, celle-ci avait disparu dès l’époque historique, et peut-être même dès l’époque mycénienne. Dans le cas d’individus échappés – sauvages ou domestiques – ayant réussi à faire souche, il nous faudrait imaginer le scénario peu crédible d’éleveurs crétois introduisant puis laissant prospérer sur l’île un nouveau gibier avant de l’exterminer brutalement à la fin de l’âge du Bronze… Dans le cas d’une colonisation naturelle de la Crète par l’aurochs dès le Pléistocène, l’histoire de sa relation avec l’homme serait plus cohérente, et somme toute assez banale. Lorsque les Minoens bâtirent leurs premiers palais vers 2000 a.C., le bœuf domestique (Bos taurus) était devenu, après des millénaires d’élevage et de sélection, un paisible ruminant. Dans les marécages, les forêts encore intactes et les hautes montagnes de Crète aurait vécu son ancêtre sauvage, l’aurochs13. Les artistes minoens se seraient plu à représenter un gibier aussi noble que redouté, et les rois à le chasser ou à le capturer pour leurs jeux taurins. Lorsque les Mycéniens débarquèrent à leur tour sur l’île pour la conquérir au xve s. a.C., ils connaissaient bien l’animal, qu’ils chassaient déjà dans leurs terres du Péloponnèse. Dans cette île brûlée par le soleil et vouée au surpâturage, les défrichements, la concurrence alimentaire avec le bétail domestique et le goût prononcé des Mycéniens pour la chasse aux grands fauves auraient entraîné le déclin, puis la rapide extinction de l’espèce. L’éléphant avait déjà subi le même sort : présent en Crète dès le Pléistocène, il semble avoir disparu de l’île au début du Néolithique, très certainement victime de la chasse et de la concurrence alimentaire avec le bétail domestique14.
7La première raison avancée contre la venue naturelle de l’aurochs en Crète – pas d’ossements d’aurochs au Paléolithique, donc pas d’aurochs sur l’île à cette époque – est un argument e silentio de très faible valeur. Il suffit pour s’en convaincre de comparer avec le cas d’Homo sapiens. Aucun reste humain n’ayant été découvert pour les époques antérieures à la première occupation de Knossos (c. 8000 a.C.), on pensait que l’homme n’avait colonisé la Crète qu’au début du Néolithique. En 2003 cependant, une industrie paléolithique repérée en surface dans la région de Sfakia fit soupçonner la présence beaucoup plus ancienne d’Homo sapiens sur l’île, hypothèse devenue une certitude après la découverte au sud-ouest de la Crète15, en 2008 et 2009, de pierres taillées dans un contexte stratigraphique imposant pour leur datation un terminus ante quem de respectivement 100 000 et 130 000 a.C.16. De ce grand mammifère qui vivait et prospérait sans doute sur l’île à la fin du Pléistocène, l’archéologie n’a donc pas permis, jusqu’à présent, d’identifier le moindre fragment osseux sur un intervalle chronologique d’au moins cent mille ans – et peut-être bien davantage... Le cas d’Homo sapiens devrait nous inciter à la plus grande prudence concernant les autres espèces de mammifères – aurochs inclus17.
8La localisation des ossements d’aurochs découverts jusqu’ici en Crète prouve d’ailleurs en elle-même que les données archéologiques sont biaisées. Les sites ayant livré jusqu’à présent des ossements identifiés comme ceux de Bos primigenius sont, on l’a vu, exclusivement de nature anthropique : il serait pourtant absurde d’en conclure que l’espèce était commensale de l’homme, car l’aurochs était un animal territorial, agressif et dangereux, qui tolérait mal la présence de ce dernier et ne se laissait pas apprivoiser18. Les ossements retrouvés en contexte anthropique proviennent par conséquent d’individus que les anciens Crétois avaient utilisés dans un but précis, soit pour se nourrir de leur chair, soit pour les croiser avec le bétail domestique19. Quand bien même l’espèce n’aurait été introduite par l’homme qu’au Néolithique, que sont devenus les centaines de milliers de squelettes des aurochs qui, entre 6500 et 1600 a.C., vécurent à l’état sauvage en Crète et y moururent de leur belle mort ? La plupart ont disparu sous l’action conjuguée des nécrophages, autrefois très nombreux sur l’île – vautours, corbeaux, rongeurs – et des micro-organismes ; d’autres, miraculeusement préservés du pourrissement et de l’érosion, attendent encore d’être découverts là où ils gisent, dans des sites généralement difficiles d’accès, où l’animal agonisant avait choisi de se retirer pour mourir – c’est-à-dire loin de tout habitat humain, et des artefacts chers aux prospections archéologiques… Si aucun reste d’aurochs n’a encore été identifié pour le Pléistocène, c’est peut-être précisément parce que les habitats humains du Paléolithique demeurent, à l’heure actuelle, introuvables.
Une île inaccessible ?
9L’isolement de l’île aurait-il pu empêcher sa colonisation naturelle par Bos primigenius ? Dans la synthèse la plus récente et la plus complète consacrée à l’aurochs, le jugement de Van Vuure paraît sans appel : “Les seuls grands mammifères capables d’atteindre les îles lointaines de la mer Méditerranée étaient de bons nageurs tels que les éléphants, les cerfs et les hippopotames. L’aurochs, lui, ne parvint jamais à atteindre des îles comme Chypre, la Crète ou Malte, alors que ces bons nageurs y parvinrent”20. Passons sur l’argument e silentio, dont nous venons de voir la faiblesse. Mais l’aurochs était-il seulement mauvais nageur ? De la Russie à l’Angleterre, de nombreux témoignages d’époques médiévale et moderne le décrivent comme un habitant typique des marais, passant sa journée dans l’eau en ne laissant émerger que sa tête21, à l’image du buffle d’eau asiatique, Bubalus arnee, proche parent de l’aurochs22, et excellent nageur. De nombreux bovidés actuels, sauvages ou domestiques, savent aujourd’hui traverser des fleuves ou des lacs, comme le gnou (Connochaetes taurinus), le buffle d’Afrique (Syncerus caffer), ou encore les taureaux de Camargue et de la Maremme, deux descendants directs de l’aurochs parfaitement adaptés à la vie dans les deltas et les plaines marécageuses23. Être bon nageur ne suffit pas, néanmoins, pour rejoindre et coloniser une île : franchir un bras de mer exige d’avoir un cœur apte à oxygéner les muscles pendant plusieurs heures d’effort intense et ininterrompu, sous peine de se noyer. L’aurochs en étaitil capable ? Je n’ai pas connaissance de témoignage sur le sujet dans la littérature antique ou médiévale24, mais les données archéologiques attestent que plusieurs espèces fossiles de bovidés parvinrent à coloniser des îles méditerranéennes aussi éloignées du continent que la Corse et la Sardaigne (espèces classées dans le genre Nesogoral), et l’aurochs lui-même fit souche sur la petite île de Pianosa au large des côtes italiennes en mer Adriatique25. Le niveau des mers a considérablement varié en Méditerranée au cours du Pléistocène : au plus fort de la glaciation de Riss vers 150 000 a.C., il se trouvait de 120 à 150 mètres en-dessous de son niveau actuel26. La baisse des eaux transformait alors les hauts-fonds marins en de longs chapelets d’îles fraîchement émergées, offrant aux espèces pionnières du continent un pont naturel vers des terres insulaires jusque-là inaccessibles. L’étude du relief bathymétrique en Méditerranée montre que la colonisation de la Crète à partir du sud du Péloponnèse n’était guère plus difficile que celle de la Corse ou de la Sardaigne à partir de l’Italie (fig. 5 et 6) : avec une hypothèse “haute” pour la baisse des eaux – moins 150 mètres – deux îles apparaissent entre la Crète et Anticythère (alors reliée au continent), permettant un passage en trois temps avec des traversées à la nage de successivement 5, 16 et 9 km, à comparer aux 9 km séparant alors la Corse de l’Italie27. Espèce thermophile, Bos primigenius était contraint de migrer vers le sud afin de fuir les effets de la glaciation, au moment même où surgissaient des ponts naturels vers les terres les plus australes : le froid a pu inciter certains individus, voire certaines hardes à s’aventurer de plus en plus loin dans les eaux marécageuses du littoral, jusqu’à rejoindre des terres nouvellement émergées, puis à “sauter” d’île en île au fil des générations, selon un processus répété et cumulatif débouchant, à terme, sur la colonisation naturelle de l’Eldorado crétois28.
10L’hypothèse qu’un grand bovidé ait pu franchir à la nage dix ou vingt kilomètres d’eaux marines peut sembler très optimiste29. Mais comment expliquer autrement la présence, à partir du Pléistocène supérieur, de deux espèces de buffles sauvages endémiques (Anoa depressicornis et Anoa quarlesi30) à Sulawesi, une île ceinturée de fosses marines profondes d’un kilomètre, et qui fut toujours séparée de Bornéo par un bras de mer d’au moins 50 km, même au plus bas des eaux31 ? De nombreuses espèces de mammifères réussirent d’ailleurs à coloniser la Crète au Pléistocène : de “bons nageurs” certes comme les éléphants, les hippopotames et les cerfs, mais également des animaux de taille beaucoup plus modeste tels que les rats, les souris et les musaraignes. Quelle que soit la façon exacte dont les uns et les autres sont parvenus en Crète32, on notera le caractère très hétéroclite de ces espèces colonisatrices, depuis la minuscule musaraigne crétoise (Crocidura zimmermanni) jusqu’aux trois tonnes de l’éléphant de Crète (Elephas antiquus), en passant par des animaux de taille intermédiaire comme la loutre (Lutrogale cretensis), le cerf (Candiacervus, qui comptait au moins huit espèces distinctes) ou l’hippopotame nain de Crète (Hippopotamus creutzburgi) : difficile, dans ces conditions, d’échapper à la conclusion que la Crète fut, au plus fort des glaciations, reliée au Péloponnèse par un pont naturel d’îles suffisamment rapprochées les unes des autres pour rendre possible la migration de nombreux mammifères – aurochs inclus.
11Puisque la colonisation naturelle de la Crète par Bos primigenius était possible au Pléistocène, rien ne s’oppose à ce que les taureaux furieux des jeux minoens aient été de véritables aurochs. Après tout, les Grecs et les Romains s’amusaient eux aussi à faire combattre ces monstres dans l’arène. Une épitaphe découverte à Tomis (actuelle Constanţa en Roumanie) raconte que le vieux bestiaire Attalos fut tué dans l’arène par un “bœuf sauvage” :
“Écoute, passant : moi, Attalos, je repose ici. J’étais chasseur, et mes coups ont fait périr bien des taureaux dans les arènes, jusqu’à ce bœuf sauvage que je suis venu affronter, et qui m’a tué33”.
Inscriptions de Scythie Mineure, II, 340
12Le “bœuf sauvage” qui tua Attalos était très certainement un aurochs puisque c’est ainsi que les Anciens désignaient l’espèce34, à la différence du bison qui portait, lui, un nom spécifique – bonasos, bisôn ou encore monops selon les régions et les époques. Dans son Histoire naturelle (8.38), Pline décrit “les bisons à crinière et les aurochs (uri), qui l’emportent sur tous les autres en force et en vitesse, et à qui la foule ignorante donne le nom de bubales (bubali)”, surnom que ces derniers reçurent dans les jeux du cirque puisque Martial évoque dans une épigramme deux jeunes taureaux (geminos juvencos) vaincus par un rhinocéros, dont l’un est un bison et l’autre un “bubale”35 – signe qu’il était sans doute plus facile de capturer de jeunes aurochs pour les arènes36.
13Mais rien ne s’oppose non plus à ce que de grands bovins domestiques ou des hybrides aient également participé aux jeux crétois, comme le laisse supposer la robe multicolore de certains taureaux sur les fresques (fig. 7)37.
14Bos primigenius ou Bos taurus pour les jeux de Minos ? Taureau sauvage ou taureau ensauvagé ? En ces temps où l’homme s’efforçait encore de maîtriser et d’apprivoiser le règne animal, la frontière entre le sauvage et le domestique était, à n’en pas douter, plus floue qu’aujourd’hui, et nous ne connaîtrons sans doute jamais la réponse à une question qui relève davantage de la génétique moderne que de l’esprit des Anciens : consolons-nous à l’idée que les Minoens ne se la posèrent peut-être pas. Il n’en demeure pas moins que si, comme j’ai tenté de le montrer ici, il existait alors en Crète une population endémique d’aurochs, animal aussi impressionnant que dangereux, et concurrent de l’homme et de ses troupeaux, on s’expliquerait mieux la fascination exercée par le taureau sur les Minoens, et leur désir de mettre en scène dans leurs arènes la défaite du monstre – ou de sa doublure domestique.
Bibliographie
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 On trouvera un résumé commode de ces différentes théories dans Russell 2012, 47.
2 Même si les études consacrées au phénomène ont parfois cédé à une forme d’obsession taurine, dont Conrad 1961 est l’exemple le plus célèbre : voir à ce sujet la contribution d’Éric Baratay dans le présent ouvrage.
3 S’il ressemblait de façon générale à son descendant, il était beaucoup plus haut sur pattes – de 1,60 m à 1,90 m au garrot chez le mâle, parfois plus – et sans doute deux fois plus lourd que ce dernier, et il possédait également d’immenses cornes de plus d’1,50 m d’envergure. Sur l’aurochs dans l’Antiquité gréco-latine, voir Pierrot 2014.
4 Ne serait-ce que parce que les ossements des grands taureaux domestiques atteignent et dépassent les
5 dimensions mesurées chez les petites femelles d’aurochs : Van Vuure 2005, 169. Nobis 1996, 265-268.
6 99 mm à son extrémité distale : Nobis 1996, 267 (Tabelle 21.1).
7 Nobis 1996, 265.
8 On trouvera l’étude la plus complète de ces coupes dans Davis 1974 et surtout Davis 1977.
9 Nobis a fait remarquer à juste titre que la chose paraît moins impossible si l’on imagine le transport par navire de jeunes aurochs : Nobis 1996, 268.
10 Comme le sanglier en Floride à l’époque moderne, le chien viverrin en Europe centrale, etc.
11 Selon un processus analogue à celui qu’on imagine par exemple pour le dingo d’Australie, le mouflon de Corse, etc. – sans oublier la fameuse chèvre “sauvage” de Crète.
12 La réduction de la taille s’expliquerait par l’adaptation à des ressources alimentaires plus limitées et, le cas échéant, à l’absence de prédateurs sur l’île – deux conditions réunies en Crète. De fait, le mammouth de Crète (Mammuthus creticus) et l’hippopotame de Crète (Hippopotamus creutzburgi) développèrent deux formes naines du genre. Si l’éléphant de Crète (Elephas antiquus) ne devint que légèrement plus petit que ses ancêtres continentaux sans atteindre le nanisme, l’exception est probablement due à la concurrence du cerf, très présent en Crète, et qui occupait déjà les niches écologiques correspondantes (van der Geer et al. 2010, 55).
13 Le climat de la Crète était plus humide qu’aujourd’hui aux époques préhistoriques et protohistoriques.
14 En 2007, les archéologues eurent la surprise de découvrir sur l’île de Tilos dans les Cyclades, des ossements d’éléphants (Elephas tiliensis) dont les plus anciens sont datés de 45 000 a.C. et les plus récents de l’âge du Bronze (3500 a.C.) ! L’espèce toisait deux mètres au garrot (van der Geer et al. 2010, 56-57).
15 Dans le secteur des gorges de Preveli, non loin de Sfakia. Une industrie paléolithique a également été retrouvée sur l’île de Gavdos, située à environ 40 km au sud de la Crète : Kopaka & Matzanas 2009.
16 Strasser et al. 2010. Certains de ces outils, qui ressemblent de très près à des pierres taillées africaines datées de 800 000 a.C., pourraient même suggérer une présence beaucoup plus ancienne de l’homme en Crète (Homo erectus).
17 C’est d’ailleurs un constat des plus banals en paléoanthropologie : souvent, seules les pierres taillées, exceptionnellement résistantes à l’érosion, trahissent la présence des hommes fossiles sur un territoire donné.
18 César tenait de ses informateurs germaniques que l’aurochs était un animal dangereux et impossible à apprivoiser : “[Les aurochs] sont très puissants et très rapides, et n’épargnent ni les hommes ni les bêtes qu’ils ont repérés […]. Pour ce qui est de les habituer à l’homme et de les apprivoiser, c’est chose impossible, même s’ils ont été capturés jeunes” (Caes. BGall., 6.28). Même jugement chez le naturaliste Anton Schneeberger, qui avait pu observer, dans la seconde moitié du xvie siècle, les derniers représentants de l’espèce en leur ultime bastion de la forêt de Jaktorów en Pologne : “Bien souvent, on a tenté de faire élever de jeunes aurochs, qui avaient été enlevés à leurs mères, par des vaches domestiques, mais en vain : tous ont en effet péri.” (lettre de Schneeberger, traduction dans Pierrot 2014, 327).
19 Les tentatives de croisement étaient cependant très hasardeuses si l’on en croit le témoignage du même Anton Schneeberger : “on chasse ceux qui ont été vus en train de s’accoupler avec des vaches domestiques : car si leur union avec les vaches domestiques est féconde, celle-ci ne produit que des avortons ou des rejetons non viables” : lettre de Schneeberger, ibid.
20 Van Vuure 2005, 51 (traduit de l’anglais).
21 Cités par Van Vuure 2005, 239-241.
22 Au point qu’Aristote (HA, 2.1 = Bekker 499a) semble avoir confondu les deux espèces dans sa description du “bœuf sauvage” : Pierrot 2014, 315.
23 Autrefois, les taureaux de Camargue devaient franchir les bras du Rhône à la nage, au moment de la transhumance ; aujourd’hui, on leur fait traverser chaque année, en souvenir du passé, le canal du Rhône à Sète, à Saint-Gilles.
24 La légende d’Io fuyant le taon qui la persécutait, et franchissant à la nage plusieurs bras de mer, dont le Bosphore, indique peut-être que les Anciens croyaient les bovins capables de ce genre d’exploit.
25 van der Geer et al. 2010, 334.
26 Hafemann 1966.
27 Je remercie pour tous ces savants calculs Hervé Bohbot, qui a généreusement accepté de réaliser les cartes présentées ici.
28 L’aurochs était très sensible au froid : “on dit que la cinquante-septième année [= en 1557], beaucoup d’aurochs ont péri à cause du froid extrême” (lettre de Schneeberger, traduction dans Pierrot 2014, 327).
29 C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la plupart des auteurs préfèrent situer la phase de colonisation de la Sardaigne par Nesogoral dès l’épisode messinien de la “crise de salinité” de la Méditerranée (vers - 5 500 000), quand la mer avait pour ainsi dire disparu – et ce en dépit du fait que les plus anciens fossiles actuellement connus de Nesogoral ou de son ancêtre supposé (Gallogoral) sont postérieurs à l’épisode messinien de deux à trois millions d’années...
30 Ces animaux pèsent environ 200 kg (jusqu’à 300 kg pour Anoa depressicornis, la plus grande des deux espèces).
31 Van den Bergh 1999, 175 : “étant donné le contexte géologique régional, il est hautement probable que les ancêtres des différents genres [de mammifères] identifiés dans les faunes fossiles ou (sub) récentes ont atteint Sulawesi en franchissant au moins une barrière maritime […] La distance minimale entre Sulawesi et la côte est de Bornéo a pu être réduite à c. 50 km durant les époques de basses eaux. Une telle distance entre dans les capacités natatoires des éléphants modernes” (traduit de l’anglais). Colonisée par d’excellents nageurs comme l’éléphant – diverses espèces aujourd’hui éteintes – ou l’étrange Babiroussa, connu pour sa capacité à nager d’île en île en pleine mer, Sulawesi demeura à jamais inaccessible à l’orang-outan de Bornéo et Sumatra, aussi agile dans les arbres que pathétique dans l’eau.
32 On explique généralement l’arrivée des micromammifères sur les îles au Pliocène et au Pléistocène par l’hypothèse des “radeaux naturels” flottants, sortes d’arches de Noé dérivant au gré des courants.
33 Ἄτταλος ἐνθάδ’ἐγὼ κεῖμαι, παροδεῖτα, κυνηγός / πολλοὺς [ἐν] σταδίοις πλήξας βόας, ἰò[ς φθι] μένους δὲ / ἤλυθον [ἀνσχόμενο] ςò βòοῦν ἄγριον, ὅς με κ [ατέκτα].
34 Nous devons la plus ancienne description grecque de l’aurochs à Hérodote, qui désignait déjà l’espèce comme un simple “bœuf sauvage” de Thrace : “Il y a [en Péonie et en Crestonie] beaucoup de lions et beaucoup de bœufs sauvages, dont les cornes, immenses, sont celles que l’on fait venir en Grèce” (Hdt. 7.124-126). Même constat, un siècle plus tard, sous la plume d’Aristote : “les bœufs sauvages diffèrent des bœufs domestiques comme les porcs sauvages diffèrent des porcs domestiques : ils sont noirs, puissants d’allure, leur museau est convexe, et leurs cornes se redressent en s’écartant davantage” (Arist., HA, 2.1 = Bekker 499a). Il n’existait aucun terme spécifique en grec pour désigner l’aurochs : Pierrot 2014, 315.
35 “D’un coup de tête, [le rhinocéros] souleva sans peine deux jeunes taureaux,/Et ni le féroce bubale ni le bison ne lui résistèrent”. (Sur les spectacles, 22-23, v. 8-10).
36 En revanche, en ce qui concerne la célèbre taurokathapsie de Thessalie attestée par diverses inscriptions, rien ne permet d’affirmer, à ma connaissance, qu’on utilisait de véritables aurochs pour ces jeux taurins.
37 Chez l’aurochs, la robe était toujours unie : “À la naissance, le mâle a des poils de couleur châtaigne (brun-noir, brun foncé, ou noir cendré ; les Polonais disent ‘plowy’), mais au bout de six mois ils deviennent entièrement noirs, à l’exception d’une ligne dorsale, large de deux doigts, qui conserve de façon définitive une couleur plus claire. Les femelles gardent toujours la couleur que nous avons décrite ci-dessus, même si l’on rencontre, très rarement, des femelles noires” (lettre de Schneeberger, traduction dans Pierrot 2014, 326).
Auteur
Maître de Conférences, Université Paul-Valéry Montpellier, C.R.I.S.E.S.
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