Avant-propos
p. 11-12
Texte intégral
1La Crète tient dans l’imaginaire européen une place singulière, remarquable par la vigueur des images et des mots qui lui sont associés et par leur apparente unité. En grande partie, cette perspective a été façonnée au xixe siècle par la médiatisation des engagements pour la cause autonomiste et énosiste en 1866, en 1878 puis en 1896. Sous la plume d’un Victor Hugo, d’un Jules Verne et d’un Victor Bérard, la Crète est par excellence le bastion de l’hellénisme orthodoxe face à l’islam ottoman, une île toute résistante, riche en martyrs de la Liberté, montagnarde et pastorale, laborieuse et combattante. Réanimant les figures mythiques des pallicares de l’ère hamidienne et des partisans vénizélistes, les combats de 1941 puis la résistance à l’occupation allemande portèrent à leur apogée les représentations collectives, savantes ou non, d’une île insurgée. Si le développement touristique et l’intégration européenne ont quelque peu atténué cette image, elle n’en demeure pas moins vivace dans les romans et les auto-représentations d’une île rebelle, “hellénissime” et singulière. Une vision héroïque et complexe à laquelle ont fait parallèlement écho d’autres représentations savantes et monochromes, parfois très anciennes, du passé crétois : l’âge d’or minoen, pacifique, ouvert au grand large et harmonieusement ordonné ; la sagesse conservatrice des lois crétoises ; le singularisme montagnard sfakiote ; l’âge de fer du despotisme vénitien et des “mangeries ottomanes”. À cette exaltation de l’île insurgée est étroitement associée l’impression d’immobilisme, de retard et de marginalisation : immobilisme politique sur lequel s’interroge Aristote ; conservatisme technique dont l’archerie sfakiote, en plein xviiie siècle, semble l’illustration ; provincialisme géopolitique enfin, l’île apparaissant comme une marche, voire un simple district des empires lagide, romain, byzantin, vénitien et ottoman. Ces représentations, on le sait désormais, ne furent pas imperméables aux utopies politiques et sociales de leur temps et tendent à masquer la diversité culturelle et confessionnelle de la Crète, une diversité que l’on reconnaît plus communément à Chypre, l’autre grande île de Méditerranée orientale.
2L’objet du colloque international de l’Université Paul-Valéry Montpellier III en octobre 2013 fut de reconsidérer la genèse savante de ces représentations et des figures iconiques de la Crète : le taureau et la chèvre sauvages, la double hache, le dictame ou l’arc. À ces figures emblématiques, génératrices de légendes et de mythes tels que les origines minoennes de la corrida, fut consacrée la première partie des communications. Cette rencontre scientifique avait également pour ambition de revoir les composantes et fractions longtemps oubliées de la société indigène, dont la mémoire est désormais honorée ou rappelée dans les musées insulaires, tels les Arméniens de Crète ou les Crétois musulmans, si longtemps tenus pour des “renégats” opportunistes et qui sont les grandes victimes de l’unification à la fin du xixe siècle. Loin de n’être qu’un conservatoire de l’hellénisme, la Crète a aussi été le théâtre d’échanges et de circulations intenses entre l’Europe, l’Orient et l’Afrique. Simple province des empires maritimes en temps de paix ou d’hégémonie incontestée, l’île reprend toute son importance stratégique ou politique quand les centres de gravité impériaux sont affaiblis, ainsi au ixe siècle, au milieu du xviie siècle, à la fin du xixe siècle puis en 1941. Ce sont à certains de ces moments de compétition que le colloque montpelliérain d’octobre 2013 s’est enfin attaché par l’étude des combattants, des stratégies et des lieux de mémoire.
3Le présent volume réunit l’ensemble de ces contributions dont la publication aurait été impossible sans le concours financier et logistique du laboratoire C.R.I.S.E.S. et la confiance de la maison d’édition Ausonius. Que leurs responsables, Jean-François Thomas et Frédéric Rousseau (C.R.I.S.E.S.) et Olivier Devillers (Ausonius) en soient ici remerciés.
Auteurs
Maître de Conférences, Université Paul-Valéry Montpellier, C.R.I.S.E.S.
Maître de Conférences, Université Paul-Valéry Montpellier, C.R.I.S.E.S.
Maître de Conférences, Université Paul-Valéry Montpellier, C.R.I.S.E.S.
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