Grèce ou non Grèce au Portonaccio
p. 29-37
Texte intégral
1Dans l’histoire de l’étruscologie moderne, la découverte de l’Apollon de Véies en 1916 semble évoquer celle de la Chimère d’Arezzo qui avait eu lieu presque quatre siècles auparavant ; l’image de ce dieu “qui marche” a gardé jusqu’à aujourd’hui une aura particulière dans le halo de mystère et d’altérité dont jouissent les Étrusques1 (fig. 1). En effet, cette statue étrusque d’Apollon a le mérite d’avoir relancé une réflexion critique qui avait perdu de son actualité et de son mordant, après les réponses mémorables de messer Giorgio aux questions posées par son Duc, puis après les variations du quatuor Winckelmann, Caylus, Heyne et Lanzi2. Il nous paraît révélateur qu’une étude de Marcello Barbanera3 sur l’étruscologie du début du xxe siècle ait été intitulée Lo studio dell’arte etrusca era fermo al volume di Jules Martha ; pourtant, ceux qui ont lu le manuel de Jules Martha savent bien qu’on n’y trouve presque aucune trace d’une véritable histoire de l’art ; de fait, le titre de l’article de M. Barbanera est une citation de Ranuccio Bianchi Bandinelli, qui se poursuit ainsi : “la notizia della scoperta dell’Apollo di Veio circolava… ma si discuteva se si trattasse di opera d’arte greca o etrusca”4. C’est cette question de Grèce ou non-Grèce que nous allons reprendre.
2Dans son traitement récent de l’état de la question5, Giovanni Colonna a dressé une généalogie de la sculpture véienne, qui débute par le grand torse masculin, nu et acéphale, attribué à un pionnier d’un peu avant la moitié du vie siècle, et qui s’achève par le Maître de l’Apollon, le véritable epistates de toute décoration en terre cuite du temple du Portonaccio. L’atelier de cet artisan avait réussi, entre 510 et 500 a. C., la synthèse des nombreuses acquisitions stylistiques dérivées de la grande époque “ionienne” du dernier quart du siècle. Dans la phase médiane, que Colonna a appelée “ionico-étrusque”, selon un classement qu’on trouve déjà dans le vocabulaire critique du début du xxe siècle, on doit placer, semble-t-il, la plus petite et la plus ancienne des deux têtes du dieu Turms, ainsi que le groupe Minerve et Hercule provenant du sanctuaire de Sant’Omobono de Rome, alors que le groupe du Portonaccio qui lui ressemble beaucoup doit être attribué à une date un peu plus récente que les acrotères du temple. D’après G. Colonna, la sculpture véienne est une expérience qui date d’après Démarate et son chef d’école Vulca – si l’on en croit la notice de Varron6 à propos de la commande par Tarquin l’Ancien d’une statue en terre cuite de Jupiter, peut-être sur un trône – ne peut avoir vécu après les années quatre-vingt ; cette tendance d’un langage de plus en plus ionien est à replacer dans le cadre du contexte politico-économique de l’après-Aléria. Nous voudrions aussi souligner que cette hellénisation d’origine gréco-orientale (c’est-à-dire phocéenne, milésienne et samienne) n’est pas seulement iconographique, mais qu’elle doit avoir aussi entraîné un phénomène de formalisation des cultes à l’intérieur des sanctuaires au point de favoriser l’accomplissement de processus d’anthropomorphisation du panthéon indigène et de construction de biographies mythologiques très compliquées.
3Mais voyons comment cette polarisation entre Grèce et Étrurie était en cours de définition à l’époque des fouilles sur le plateau du Portonaccio. Tout d’abord, revenons sur l’histoire des fouilles à partir de la première publication par Giulio Quirino Giglioli (pourvue d’une introduction de Giuseppe Angelo Colini et de Felice Barnabei) dans les Notizie degli Scavi de l’année 1919, puis grâce à l’essai sur Vulca du même Giglioli, dans la Rassegna d’arte antica e moderna de février 1920 – une version grand public de l’essai fut confiée à l’élégant magazine Emporium – et, enfin, par l’édition critique des terres cuites dans les Antike Denkmäler de 19267. Bien sûr, les fouilles, les découvertes du Portonaccio et les travaux de restauration des sculptures ne se terminèrent pas avec les campagnes de Giglioli et ils ont continué pendant les années trente, quarante et quatre-vingt-dix (et plus tard encore) ; je voudrais aujourd’hui m’intéresser seulement aux termes primitifs du problème critique et historico-culturel et je ne vais donc prendre en considération que les toutes premières études et commentaires.
4Dès 1913, un projet d’exploration systématique du site de l’ancienne Véies – dont Properce, Giuseppe Micali et George Dennis avaient évoqué la désolation de façon pittoresque8 – fut encouragé par le directeur général des antiquités, Corrado Ricci, et par Alessandro Della Seta9. La direction était partagée entre le directeur même du musée, c’est-à-dire G. A. Colini (qui mourut en décembre 1918), pour les nécropoles, et Ettore Gabrici, qui s’occupa au début du site de l’ancienne ville, mais qui céda sa place, tout de suite, à Giglioli. Gabrici s’aperçut de l’existence d’un ensemble prometteur de restes archéologiques découverts au lieu-dit Cannetaccio qui semblait être tombé du haut du plateau de Portonaccio, une zone peut-être sacrée, sur la rive d’un affluent du Crémère : Giglioli mena sa fouille sur ce plateau en 1914-1915 et il y vérifia l’hypothèse de l’existence d’un sanctuaire. Natale Malavolta, dont Giglioli reconnut plusieurs fois les mérites, était le chef des travaux du chantier. La photographie célèbre (fig. 2) des fragments d’acrotères sculptés, émergeant progressivement d’une tranchée à peine creusée et parallèle au mur du temenos – avec M. Malavolta apparaissant à son tour, à l’arrière-plan – a été prise par Giglioli lui-même le 19 mai 191610. Ensuite, Giglioli, qui était aussi nationaliste et interventionniste que Della Seta, présenta une demande officielle – ce sont ses mots – pour “tornare a combattere alla fronte… fino alla vittoria finale”11, et faire place à son collègue Enrico Stefani pour diriger les fouilles.
5On ne doit pas s’étonner de cet élan patriotique qui plaçait l’urgence de la guerre avant toute curiosité scientifique et avant le prestige de la découverte, étant donné ce que Giglioli lui-même a écrit, dans son article d’Emporium, de ces images de divinités apparues comme une sorte de prophétie post eventum : des “nunzie di vittoria, durante la nostra aspra e gloriosa guerra nazionale”12. Mais le plus important, c’est que le “bell’iddio veiente” et les autres statues, après avoir été assemblés de façon sommaire par Lucia Morpurgo13, avaient été gardés et bien cachés dans les entrepôts de la Villa Giulia, en attendant le retour de celui qui les avait découverts14. De fait, Giglioli rentre en janvier 1919 et la première véritable restauration de l’Apollon est réalisée par Cesare Falessi15.
6À l’époque des cinq études de Giglioli, réalisées entre 1919 et 192616, les sculptures en terre cuite du Portonaccio qui avaient été, au moins partiellement, rassemblées, exposées et introduites dans le débat scientifique, ne sont que trois : d’abord l’Apollon, devenu personnage principal et véritable mattatore même pour l’auditoire élargi des non-spécialistes, puis le groupe de l’Hercule – dont on ne connaissait encore ni le torse ni la tête, récupérés plus tard, respectivement en 1944 et en 1949 – avec la biche Cérynite ; et la tête de Mercure (ou plutôt Turms), avec un fragment qui provenait peut-être du drapé de son vêtement. Il y a ensuite des références répétées à des “miserrimi frammenti” d’une figure féminine17, qu’on aurait aimé pouvait être Artémis – tandis que, pour reconstituer la prétendue Latone, avec son petit Apollon dans ses bras, il faudra attendre les fouilles de 1939-1940 et l’étude (très importante, mais peut-être pas définitive) de Massimo Pallottino, parue dans le tome d’Archeologia Classica de 195018. On ajoutera à cette liste les antéfixes modelées à la main, que les Denkmäler19 ont mises en vedette dans une discussion sur leur attribution.
7Quels sont les résultats de la réflexion de Giglioli ? Dès le début, son interprétation paraît s’appuyer sur les céramiques athéniennes autant que sur le célèbre casque De Luynes (conservé à la Bibliothèque Nationale à Paris), qui provient d’une tombe de Vulci20. Malgré le caractère très incomplet (à ce moment-là) du groupe de l’Hercule, il arrive à déterminer avec une grande clarté le sujet de la querelle pour la biche, mais l’épisode bien connu du trépied delphique le pousse à évoquer le “mito misterioso” d’une biche de Delphes pourtant inconnue21, qui continue malgré tout d’être évoqué dans la bibliographie de nos jours22. D’une manière cohérente, Turms est placé juste derrière Hercule, son protégé, tous les deux étant disposés de gauche à droite et s’opposant à Apollon et à sa sœur jumelle qui, dans la reconstruction proposée par le peintre Odoardo Ferretti (fig. 3), était représentée – d’une façon très discutable – d’après le type archaïsant ou mieux encore arcaistico, comme nous disons en italien, de l’Artémis de Pompéi23. On saisit très bien le caractère graphique, comme dans un dessin, d’une composition qui aligne ces statues selon une séquence de profils – alors qu’elles sont en ronde-bosse –, mais, pour notre opinion d’aujourd’hui, la restitution du podium parallélépipédique d’un donarium est une erreur. Giglioli, qui avait justement écarté à la fois la fonction de statues de culte et l’hypothèse d’un fronton fermé à la manière grecque, refusait aussi leur emplacement comme acrotères au sommet des tympans, sans pouvoir imaginer qu’elles pouvaient se trouver sur le columen, ce qui correspond à la réalité. Mais cette idée n’a été émise que par Pallottino en 1944, grâce aux entailles demi-circulaires des bases24.
8L’analyse du style s’appuie sur des comparaisons au sein du courant ionien de l’archaïsme grec – étudié aussi dans ses aspects plus spécifiquement athéniens de l’époque des Pisistratides –, et elle souligne en particulier les ressemblances avec l’ensemble des sculptures du Trésor des Siphniens – comparaison suggérée par la discussion à propos du trépied –, de sorte que, dès 1919, il tranche déjà dans sa conclusion : “greco dunque il mito, greco il tipo artistico”25. Donc, un langage très grec mais à définir dans le contexte étrusco-italique de cette “seconde phase” du décor en terre cuite des édifices sacrés, que Della Seta venait de décrire de façon magistrale dans son Guide du Musée de Villa Giulia26. Cette dialectique permanente s’exprime sous forme interrogative : le maître de l’Apollon était-il “un Greco venuto in occidente” ou “un Etrusco o un Italico ammaestrato alla scuola dei Greci ?”27. À l’origine de ce phénomène assez compliqué, il y avait eu les trois spécialistes de terre cuite corinthiens après Démarate – Giglioli cherche à italianiser, coûte que coûte, leurs noms, en les appelant un Buonformatore et un Buondipintore, tous deux collaborant avec un Perforatore28 – ; mais il restait le problème soit de Vulca à la datation controversée soit de l’hypercriticisme de ceux qui, comme Ettore Pais, abaissaient la chronologie du temple capitolin au ive siècle, métamorphosant le grand artisan de Véies en un double fictif du dieu Vulcain29. Au contraire, Vulca est lié par Giglioli au dernier des Tarquins et présenté comme un “grande artista”, auteur de “vere statue e non opere decorative”, qui auraient ouvert “un nuovo capitolo nella storia dell’arte arcaica della nostra patria”30.
9On ne perçoit aucune contradiction entre ce mot-clé de “patrie” et la catégorie de l’art “ionico-étrusque”, où l’on fait entrer aussi, par une étroite parenté, la Louve du Capitole, pour compléter la liste des chefs-d’œuvre du chapitre le plus ancien d’une histoire de l’art italien. Alors que la conclusion des Notizie degli scavi avec son rappel aux “numi della Patria, quei fictiles dii per i quali dai padri antichi religiose iurabatur”31 est surtout rhétorique, il faut souligner, sept ans plus tard, l’existence de quelques “unverkennbare Charakterzüge” (sans autre précision), qui décelaient “eine ethnische Bestimmung” et même “den gewaltigen Ausdruck einer Rasse”32 : d’une race non grecque, cela va sans dire, mais “barbare”. C’est justement cette grécité manifeste de l’inspiration extérieure qui paraît à Giglioli avoir favorisé le surgissement d’une anima en soi non grecque : déjà, dans son article d’Emporium, revue de vulgarisation, où il ne lui était pas possible de nuancer son propos, il rappelait ce temps “quando da noi l’arte era tutta sotto l’influenza ellenica e solo lo spirito, l’anima, era data… dalla diversità di stirpe, di ideali, dalla perfetta individualità di questi nostri padri, che, sotto la guida di Roma, si apprestavano a diventare padroni del mondo”33.
10Comme je crois l’avoir montré ailleurs34, ce patriotisme devenait nationalisme et emprisonnait la critique d’art dans une sorte de téléologie identitaire qui prétendait que la culture figurative d’une communauté était nécessairement une expression ethnique et que l’ethnicité se caractérisait à son tour par sa stabilité immanente et métahistorique. Ce nationalisme fut une composante très importante d’une pseudo-historiographie de propagande du régime fasciste et il suffira, pour s’en convaincre, de relire quelques pages ridicules de Giuseppe Cultrera35. On convient pourtant que cette espèce de nationalisme devance chronologiquement le fascisme et qu’il s’enracine dans l’expérience politico-idéologique du Risorgimento, dont la Grande Guerre avait été vue, en Italie, comme un accomplissement juste et victorieux mais malheureusement trahi.
11L’enthousiasme pour les terres cuites de Véies, surtout pour l’Apollon – la statue la mieux “lisible”, dès sa première exposition publique – rapprocha des archéologues un éventail large et varié d’intellectuels, journalistes, critiques et artistes engagés. J’ai traité ce sujet, il y a dix ans36 ; je me contenterai ici de remarquer que l’ethnicité y trouvait un développement tout à fait exagéré. Pour plusieurs artistes italiens qui visaient à une véritable refondation de la forme, soit plastique soit picturale – mais la forme picturale était aussi conçue en termes plastiques –, contre l’académisme du xixe siècle et tout en se plaçant dans le sillage d’une tradition nationale de très longue durée, la formule de Mario Sironi, “l’obeso è un capolavoro etrusco e non conosce origini greche” ; ainsi que le trait d’esprit bien-connu d’Arturo Martini (“gli etruschi facevano le statue come le nostre donne fanno i ravioli”) manifestaient d’une façon auto-ironique un sentiment très fort d’appartenance. La bouche “impassible” (d’après la description de Giglioli) de cet Apollon qui avait impressionné tout le monde (y compris Carlo Anti) parce qu’il “marchait” – comme si dans l’art grec toutes les figures étaient toujours inexorablement plantées comme des piquets… – devint, pour Alberto Savinio, un “sourire de loup”, expression chargée d’une inquiétude qui correspond tout à fait au xxe siècle37.
12Face à tant de nouveauté, le langage de la critique d’art révèle un très grand retard. Della Seta lui-même, qui était à cette époque le savant italien le plus doué pour l’interprétation des formes, ne peut trouver mieux que de faire appel au vocabulaire habituel de la “corporéité”, de l’“expressivité” ou de l’“exagération” étrusques, des notions et des mots auxquels il n’est pas difficile d’attribuer des origines winckelmanniennes38 ; en 1930, un article remarquable d’Anti, tout en reconnaissant des innovations de méthode dans les essais de deux espoirs de l’archéologie, Ranuccio Bianchi Bandinelli et Guido von Kaschnitz-Weinberg, se contente d’unir, très habilement, art étrusque et art romain sous l’expression de “cycle” commun de l’art italique39. Mais il demeurait difficile de se débarrasser du préjugé ethnique, comme allait le démontrer l’œuvre même de Bianchi Bandinelli et de Kaschnitz-Weinberg : le premier parvient au résultat assez frustrant d’un déclassement de l’art étrusque en art vernaculaire, et le second à la conversion métahistorique du Kunstwollen en Struktur40.
13À ce point de notre exposé, il me semble bon de faire un pas en avant jusqu’à l’année 1945, quand une plaquette de Pallottino intitulée La scuola di Vulca41 parut chez le même éditeur Danesi qui avait publié le Guide du Musée de Villa Giulia de Della Seta. Il s’agissait d’une mise au point de la problématique tout entière du Portonaccio avec des ajouts, le plus important d’entre eux consistant à intégrer une statue de déesse qui, d’après Pallottino, ne pouvait être qu’une Latone fuyant la menace du terrible Python en emportant son divin enfant. Notons que l’hypothèse alternative d’une Niobé fuyant Apollon ou/et Artémis, que Pallottino avait déjà formulée et aussitôt repoussée42, vient d’être tout récemment relancée par Jenifer Neils, mais sans arguments qui me paraissent vraiment valables43.
14La discussion de Pallottino est, comme d’habitude, d’une admirable lucidité. La définition d’une “école” de Vulca, qui s’est développée à Véies tout le long du vie siècle, lui paraît d’un intérêt historique plus important qu’une chronologie précise de l’artiste ainsi nommé ; dans la bibliographie antérieure, il distingue clairement les deux courants critiques qui nous intéressent : celui de l’“originalità del mondo artistico degli Etruschi” et celui des “affinità con i prodotti del gusto ionico insulare… tra la fine del vi e il principio del v secolo a. C.”44. Avec la prudence imposée par une documentation (également de milieu grec) lacunaire et inégale, il analyse de nouveau tous les termes traditionnels de comparaison – de la frise du Trésor des Siphniens aux Nikai, aux korai de l’Acropole, aux kouroi du vie siècle tardif, en contrepoint de monuments étrusques tels que les lames repoussées de Castel San Mariano, les cippes de Chiusi, certains petits bronzes votifs et les peintures de la Tombe des Lionnes ; il introduit, je crois pour la première fois, le rapprochement avec les hydries de Caeré, placées juste “ai limiti fra la produzione ionico-orientale e quella ionico-etrusca”45. De ce point de vue, il me paraît très instructif de renvoyer au passage de l’article plus récent où Pallottino, soulignant le caractère essentiellement pictural de l’Apollon, nous rappelle que “il mezzo più facile di trasmissione delle composizioni greche in ambiente etrusco è evidentemente la pittura”46.
15Mais revenons à La scuola di Vulca et à la prose déjà très riche d’un Pallottino pourtant âgé de seulement trente-cinq ans et apprécions son détachement par rapport au déterminisme ethnique de ses maîtres romains : en effet, Pallottino souhaitait “correggere le affrettate impressioni di quei critici che… cercarono spunti di linguaggio originale nella costruzione delle figure, nella corporeità, nel movimento ed in altre caratteristiche non soltanto comuni al gusto ionico-etrusco, ma già presenti nel mondo artistico ionico-orientale : e però erroneamente valutate come sintomi di una sensibilità ‘ non greca’”47. Cela ne l’empêche de reparler de “corporéité” et d’“expression”, au sens de “ufficio… fisiologico della linea” qui ne contredit pas, mais qui, au contraire, exalte la “gagliardia volumetrica”, dans le cas, par exemple, de la “sventagliante muscolatura dei polpacci”48.
16L’originalité du Maître de l’Apollon, daté jusqu’à 520 a. C.49 et identifié à Vulca – mais cette identification ne paraissait plus cruciale –, ne doit pas être recherchée dans un Kunstwollen (comme disent les Viennois) étrusco-italique, dont il serait le représentant emblématique ; mais plutôt hors de ce Kunstwollen, c’est-à-dire dans la capacité de faire un choix individuel et même “révolutionnaire”50. Il est évident que la structure idéologique de cette représentation dérive de la pensée néo-idéaliste de Benedetto Croce. On peut se demander dans quelle mesure cet espace de liberté, que le Maître de l’Apollon a réussi à se tailler à l’intérieur du courant “ionico-étrusque” de sa formation – en 1950, on utilisera la formule géniale de “esperienza circumellenica”51 –, ressemble, bien plus tard, à celui du Maître de Trajan, d’après le modèle critique de Bianchi Bandinelli52. Bianchi Bandinelli… Pallottino ne le mentionne pas, mais l’allusion polémique, dans la conclusion de son essai, à ceux qui décrivent l’art étrusque en termes d’écarts qualitatifs (et d’une qualité assez bonne, quelquefois), le jugeant incapable de faire naître de véritables “écoles”, avait, je crois, un destinataire qui pouvait être aisément reconnu.
Notes de bas de page
1 Une image de l’Apollon de Véies a ainsi été placée par un touriste dans le temple hindou du Dieu-Soleil de Galtaji, à Jaipur (Rajasthan). Il est déstabilisant, pour ceux qui aiment s’occuper de la religion des Étrusques, de découvrir que la divinité titulaire s’appelle justement… Surya.
2 Pour une synthèse, voir tout dernièrement Harari 2012b, passim.
3 Barbanera 2009.
4 Ibid., 17.
5 Colonna 2008.
6 Chez Plin. 35.157.
7 Giglioli 1919 ; 1920a ; 1920b ; 1926.
8 Prop. 4.10.27-30 ; Micali 18422, 210 ; Dennis 19072, I, 83.
9 Della Seta était alors fonctionnaire au Musée de Villa Giulia, mais il visait une chaire à l’Université de Gênes. Voir le profil biographique et intellectuel de Della Seta dans les actes d’une rencontre au musée de Casteggio : Beschi et al. 2001.
10 Giglioli 1920a, 64, fig. 11.
11 Giglioli 1920b, 39.
12 Giglioli 1920a, 69.
13 Giglioli 1919, 16.
14 Du reste, de précautions pareilles (à Villa Giulia ainsi que dans d’autres musées) sont toujours en vigueur, d’habitude avec des motivations beaucoup moins nobles et beaucoup moins patriotiques…
15 Giglioli 1919, 16.
16 Supra, note 7 (à ajouter aussi : Giglioli 1922).
17 Giglioli 1920b, 40.
18 Réimprimé dans Pallottino 1979, 1037-1092 (avec bibliographie précédente).
19 Giglioli 1926, 64-65.
20 Cf. Hus 1971, 84, pl. 6 et couverture ; et Cherici 1994, 40-41.
21 Giglioli 1919, 24-25 ; 1920a, 65.
22 Par ex., chez Boitani 2004, 42.
23 Giglioli 1920a, 65, fig. 22.
24 La scuola di Vulca, réimprimé dans Pallottino 1979, 1005-1006.
25 Giglioli 1919, 28.
26 Della Seta 1918, 132.
27 Giglioli 1919, 29.
28 Giglioli 1919, 29-30.
29 Giglioli 1919, 31-33.
30 Giglioli 1919, 29.
31 Giglioli 1919, 37.
32 Giglioli 1926, 56.
33 Giglioli 1920a, 65.
34 Harari 2012a.
35 Cultrera 1927.
36 Harari 1993.
37 Toutes les citations sont tirées de Harari 1993, passim.
38 Harari 2001, 50-52.
39 Anti 1930.
40 Harari 1993, 738-739.
41 Supra, note 24.
42 Surtout dans son article de 1950 : Pallottino 1979, 1045-1047.
43 Neils 2008 (l’article m’a été aimablement signalé par Antonio Corso).
44 Pallottino 1979, 1007.
45 Pallottino 1979, 1012.
46 Pallottino 1979, 1077.
47 Pallottino 1979, 1013.
48 Pallottino 1979, 1013-1014.
49 Mais, en 1950, Pallottino revint à la datation plus tardive de Giglioli, 500 a. C. Cf. Pallottino 1979, 1019 et 1082.
50 L’adjectif est toujours de Pallottino. Cf. Pallottino 1979, 1019.
51 Pallottino 1979, 1091-1092.
52 Bianchi Bandinelli 2003 (mais 1938 : réimprimé).
Auteur
Università di Pavia ; maurizio.harari@unipv.it
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