Récit de voyage et voyage de l’âme : des Éthiopiques à la Princesse de Clèves
p. 285-295
Texte intégral
1Le récit de voyage est au soubassement de la littérature grecque antique, et lorsque, au début de notre ère, les cités hellènes réactivent leur identité, les romans grecs viennent à la même époque conjuguer l’hypertexte homérique à un nouveau mode. Le roman grec est ainsi, quasiment par essence, attaché au voyage : si l’on excepte Daphnis et Chloé, le genre représente invariablement une odyssée, dont il transpose les motifs1. Ce faisant, ses auteurs renouvellent la fiction, créent un genre qui doit autant à l’historia qu’à la poiesis. De cette étrange conjugaison, la littérature européenne de fiction tire ses caractéristiques et ses formes premières : elle doit à une triangulation où interagissent la thématique du voyage, l’héritage de l’hellénisme classique et un nouveau mode fictionnel. Le roman viatique est ainsi la matrice des formes qu’adopte la narration moderne à sa renaissance. Pour vérifier cette hypothèse, l’analyse se propose ici de confronter deux romans que tout semble éloigner a priori : Les Éthiopiques d’Héliodore et La Princesse de Clèves. Que Mme de La Fayette ait lu Héliodore ne fait pas de doute : l’ouvrage est abondamment diffusé dans la France du Grand Siècle – en témoigne l’hommage vibrant que rend Pierre-Daniel Huet à l’œuvre d’Héliodore, dans la Lettre sur l’Origine des Romans2, publiée la même année que La Princesse de Clèves. Si, comme le suggère Yves Tadié, “l’immense cimetière des romans à succès et des auteurs trop heureux s’étend des rives de la Grèce jusqu’au trottoir des bouquinistes de 1980, d’Héliodore à Guy des Cars”3, il apparaît pourtant que Les Éthiopiques, ce prétendu défunt, continue de survivre dans la fiction moderne, et même après que le roman précieux a eu fini de jeter ses derniers feux. Car si l’on évalue ce que le roman moderne doit au traitement dramatique de l’aventure dans le roman grec, il devient manifeste que la fiction moderne procède par la concrétion de son modèle.
2Si la nouvelle historique de Mme de La Fayette ne représente pas de voyage, mais plutôt une héroïne statique, son accointance avec Les Éthiopiques apparaît dans les motifs qui structurent le récit. De l’un à l’autre de ces romans – si l’on peut utiliser cette dénomination I. Dejardin, in : Nouveaux horizons sur l’espace antique et moderne, p. 285-295 générique –, les mêmes motifs réapparaissent en effet, qui correspondent à autant d’étapes dans l’aventure, qu’elle soit viatique ou intérieure. Le premier d’entre eux ménage l’entrée de l’héroïne dans la diégèse, et repose sur l’image des pierres précieuses :
“Je me promenais un jour dans la ville et employais mes loisirs à acheter des objets que l’on ne trouve que difficilement en Grèce. Je suis abordé par un inconnu à l’air grave, au regard brillant d’intelligence. [...] Il tire alors une petite bourse qu’il portait sous l’aisselle et me montre un choix merveilleux de pierres précieuses. Il y avait des perles de la grosseur d’une noisette, parfaitement rondes, d’une eau très pure et brillantes, des émeraudes, des hyacinthes, les unes vertes comme blé au printemps, lisses et luisantes comme des gouttes d’huile d’olive, les autres de la couleur de la mer au pied d’une roche escarpée, lorsque la surface frissonne légèrement et que l’eau profonde prend des teintes de violette. Bref, c’était un mélange, une harmonie de couleurs dont les yeux étaient charmés”. [Le jeune homme propose ces pierres précieuses en présent à Chariclès, mais lui fait en échange prêter serment : il devra protéger une toute jeune fille...] “Je prêtai serment comme il l’exigeait. Il me conduisit alors chez lui et me montra une jeune fille d’une beauté merveilleuse et divine. Il me déclara qu’elle avait sept ans”. (Héliod. 2.30.1-6)
“Le lendemain qu’elle fut arrivée, elle alla pour assortir des pierreries chez un Italien qui en trafiquait par tout le monde. Cet homme était venu de Florence avec la Reine, et s’était tellement enrichi dans son trafic que sa maison paraissait plutôt celle d’un grand seigneur que d’un marchand. Comme elle y était, le prince de Clèves y arriva. Il fut tellement surpris de sa beauté qu’il ne put cacher sa surprise”. (Mme de La Fayette, La Princesse de Clèves, 1ère partie)
3Dans les deux cas, le motif est porté par un marchand, un voyageur “par tout le monde” : la protagoniste, telle une gemme, est ainsi jetée dans l’espace de la circulation, espace complexe que sa pureté ne la prédispose nullement à affronter, ce que souligne dans les deux passages son “extrême jeunesse”. Une deuxième étape structurante met en scène la rencontre entre cette héroïne et celui qui devient à l’instant même, et selon le lexique classique, son “amant” :
“Quand arriva par derrière une troupe de jeunes cavaliers, avec leur brillant capitaine, on vit bien que le spectacle de ce qui est beau efface tous les plaisirs de l’oreille. [...] quel que fût leur éclat, mon cher Cnémon, leur chef (c’était Théagène [...]) les éclipsait tellement et attirait si bien sur lui seul tous les regards, qu’on eût dit un éclair rejetant dans l’ombre tout ce qui brillait auparavant. Tel il nous apparut, étincelant de lumière. [...] “Mais quand parut l’aurore au doigt de rose,” comme eût dit Homère, quand sortit du temple de Diane la belle, la sage Chariclée, alors nous reconnûmes bien que Théagène lui-même pouvait être vaincu, en ce sens du moins que la beauté la plus parfaite a toujours moins de grâce et d’attrait chez l’homme que chez la femme. Elle s’avançait sur un char attelé de deux bœufs d’une entière blancheur ; un manteau de pourpre, semé de rayons d’or, l’enveloppait jusqu’aux pieds. [...] se voir et s’aimer ne fut qu’un pour ces jeunes gens, comme si dès la première rencontre leurs âmes eussent reconnu qu’elles se ressemblaient ; on eût dit que, se sentant parentes par la noblesse, elles s’élançaient l’une vers l’autre. [...]. En un mot, mille transformations s’opérèrent en un moment sur leur visage, mille changements de couleur et de physionomie trahirent l’agitation de leur âme”. (Héliod. 3.3-4)
“Elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer, pour se trouver le soir au bal et au festin royal qui se faisait au Louvre. Lorsqu’elle arriva, l’on admira sa beauté et sa parure ; le bal commença [...]. Elle se tourna et vit un homme qu’elle crut d’abord ne pouvoir être que M. de Nemours, qui passait par-dessus quelques sièges pour arriver où l’on dansait. Ce prince était fait d’une sorte qu’il était difficile de n’être pas surpris de le voir quand on ne l’avait jamais vu, surtout ce soir-là, où le soin qu’il avait pris de se parer augmentait encore l’air brillant qui était dans sa personne ; mais il était difficile aussi de voir Mme de Clèves pour la première fois sans avoir un grand étonnement. M. de Nemours fut tellement surpris de sa beauté que, lorsqu’il fut proche d’elle, et qu’elle lui fit la révérence, il ne put s’empêcher de donner des marques de son admiration. Quand ils commencèrent à danser, il s’éleva dans la salle un murmure de louanges. Le Roi et les reines se souvinrent qu’ils ne s’étaient jamais vus, et trouvèrent quelque chose de singulier de les voir danser ensemble sans se connaître”. (Mme de La Fayette, La Princesse de Clèves, 1ère partie)
4Venus d’horizons différents, inconnus l’un de l’autre, les futurs amants sont présentés dans leur perfection, ils s’éprennent instantanément l’un de l’autre, et cet amour est d’emblée placé sous les regards du monde, qui exercent leur contrainte irrépressible autant que fatale. Aussi l’amour sera-t-il contrarié, et c’est le troisième motif concurrent. Héliodore peint ainsi le désespoir de Chariclée – la jeune femme s’effraie alors du mariage qu’elle doit subir, hors de son consentement et alors qu’elle a perdu son amant Théagène :
“Cependant Chariclée s’était retirée à l’écart, et était retournée à sa chambre habituelle. Là, elle s’enferme solidement, pour être bien assurée que personne ne la troublera, et, comme transportée des fureurs de Bacchus, elle dénoue ses cheveux avec rage, les laisse flotter en désordre et déchire ses vêtements : ‘ Eh bien, soit, dit-elle ; et nous aussi, célébrons en l’honneur du Dieu maître de nos destinées, un chœur selon ses goûts : des gémissements pour chant, pour danse des lamentations. Que les ténèbres y répondent ; brisons à terre cette lampe, et que l’obscurité de la nuit préside à nos mystères. Voilà donc la chambre nuptiale qu’il m’a préparée, voilà la couche qu’il réservait à mon hyménée. Il me tient solitaire, sans époux ; veuve, hélas ! de celui qui n’était le mien que de nom ! Cnémon se marie, et Théagène est errant ; il est captif, peut-être enchaîné ! [...]’”. (Héliod. 6.8.3)
“L’impatience et le trouble où elle était ne lui permirent pas de demeurer chez la Reine ; elle s’en alla chez elle, quoiqu’il ne fût pas l’heure où elle avait accoutumé de se retirer. Elle tenait cette lettre avec une main tremblante ; ses pensées étaient si confuses qu’elle n’en avait aucune distincte ; et elle se trouvait dans une sorte de douleur insupportable, qu’elle ne connaissait point et qu’elle n’avait jamais sentie. [...] Quelle vue et quelle connaissance pour une personne de son humeur, qui avait une passion violente, qui venait d’en donner des marques à un homme qu’elle en jugeait indigne et à un autre qu’elle maltraitait pour l’amour de lui ! Jamais affliction n’a été si piquante et si vive [...] et ce mal, qu’elle trouvait si insupportable, était la jalousie avec toutes les horreurs dont elle peut être accompagnée”. (Mme de La Fayette, La Princesse de Clèves, 2e partie)
5Chez Mme de La Fayette, le désespoir de la princesse, on s’en souvient, tient à une lettre dont l’auteur est prétendument M. de Nemours et qui attesterait sa relation amoureuse avec une autre dame de la Cour : l’éloignement des cœurs, quoique selon un schéma inverse, motive le désespoir et cette plongée dans l’intériorité du personnage. Un quatrième motif repose sur l’intervention de la reine, autre obstacle à l’amour : Héliodore consacre un dixième de son roman à la mise en scène d’Arsacé, épouse du satrape, qui s’est éprise de Théagène ; la souveraine alterne les assauts de séduction, les ambassades et les menaces pour parvenir à ses fins et assouvir sa passion. Chez Mme de La Fayette, le motif revient, sous une forme atténuée qui doit autant à l’économie du récit qu’à la subtilité de la référence ; toutefois, le récit de Nemours souligne le pouvoir exclusif et impérieux qu’entend exercer la reine à son endroit – à l’évocation de “la puissance immense et de l’autorité” dont jouit Arsacé chez Héliodore succède dans le roman français la récurrence d’un syntagme menaçant, “je veux” :
“Il fallut bien alors que Cybèle se décidât à parler plus clairement à Théagène et à lui faire connaître sans détour l’amour d’Arsacé. Après lui avoir promis des biens sans nombre pour prix de sa condescendance : ‟Que signifie, ajouta-t-elle, cette défiance, d’où vient cet éloignement pour les plaisirs de l’amour ? Un jeune homme si beau, si vigoureux, repousser une femme qui lui ressemble et qui se consume pour lui ! [...] Aucun empêchement ne vous arrête de votre côté : vous n’avez ici ni fiancée, ni épouse ; et pourtant, il en est beaucoup qui ont passé par-dessus de pareils obstacles, jugeant fort sensément que, sans faire par là aucun tort aux leurs, ils y gagneraient, eux, un accroissement de richesses et la jouissance du plaisir”.
En terminant, elle mêla quelques menaces à ses instances : “Une femme de cœur, dit-elle, une fois qu’elle aime, devient cruelle et implacable si elle se voit repoussée ; elle se venge avec raison d’un dédain, comme d’une injure. Songez de plus qu’elle est Perse et du sang des rois, comme vous l’avez déclaré vous-même ; que la puissance immense et l’autorité dont elle est environnée lui permettent d’honorer qui la sert et de châtier en toute sécurité qui lui résiste ; tandis que vous, vous êtes étranger, isolé, sans aucun protecteur. Ayez donc pitié de vous-même, ayez pitié d’elle aussi ; elle le mérite par l’ardeur de la passion frénétique que vous lui avez justement inspirée [...]”. (Héliod. 7.20)
“Depuis que je suis à la Cour, la Reine m’a toujours traité avec beaucoup de distinction et d’agrément, et j’avais eu lieu de croire qu’elle avait de la bonté pour moi ; néanmoins, il n’y avait rien de particulier, et je n’avais jamais songé à avoir d’autres sentiments pour elle que ceux du respect. [...] – Je veux vous parler, me dit-elle ; et vous verrez, par ce que je veux vous dire, que je suis de vos amies. Elle s’arrêta à ces paroles, et me regardant fixement : – Vous êtes amoureux, continua-t-elle, et parce que vous ne vous fiez peut-être à personne, vous croyez que votre amour n’est pas su ; mais il est connu, et même des personnes intéressées. [...] je pris le parti de ne rien avouer à la Reine [...] – Vous ne me répondez pas sincèrement, répliqua la Reine ; je sais le contraire de ce que vous me dites. Je veux que vous soyez de mes amis, continua-t-elle ; mais je ne veux pas, en vous donnant cette place, ignorer quels sont vos attachements. Voyez si vous la voulez acheter au prix de me les apprendre : je vous donne deux jours pour y penser ; mais, après ce temps-là, songez bien à ce que vous me direz, et souvenez-vous que si, dans la suite, je trouve que vous m’avez trompée, je ne vous le pardonnerai de ma vie. [...]
Au bout des deux jours que la Reine m’avait donnés. [...] Je la trouvai dans la galerie où était son secrétaire et quelqu’une de ses femmes. Sitôt qu’elle me vit, elle vint à moi et me mena à l’autre bout de la galerie. – [...] je désire que vous soyez attaché entièrement à moi. [...] Souvenez-vous donc que c’est sur la parole que vous me donnez, que vous n’avez aucun engagement, que je vous choisis pour vous donner toute ma confiance. Souvenez-vous que je veux la vôtre tout entière ; que je veux que vous n’ayez ni ami, ni amie, que ceux qui me seront agréables, et que vous abandonniez tout autre soin que celui de me plaire”. (Mme de La Fayette, La Princesse de Clèves, 2e partie)
6Reste un dernier motif, et non des moindres : le sacrifice, qui ferme la diégèse chez Mme de La Fayette comme chez Héliodore. Dans Les Éthiopiques en effet, c’est un sacrifice cultuel qui menace les amants : captifs de guerre, ils sont à ce titre les victimes désignées de la cérémonie qui sanctionnera la victoire du roi éthiopien, Hydaspe ; mais, après s’être fait reconnaître comme fille de celui-ci, Chariclée manigance une ruse : elle sera l’officiante du sacrifice que Théagène doit subir. En réalité, la manœuvre lui permet in extremis de soustraire le jeune homme à son destin : Chariclée a ainsi préservé son amour. Le motif se retrouve dans La Princesse de Clèves : l’héroïne sacrifie son amant pour préserver la pureté de leur relation. Déplacé sur le plan moral, le sacrifice présente la même distribution – la sacrifiante est autant la victime de la cérémonie que le sacrifié – et la même motivation. Il a de surcroît une dimension spirituelle dans les deux œuvres : chez Héliodore, il s’agit d’en finir avec une pratique barbare ; chez Mme de La Fayette, le sacrifice permet à l’héroïne de préserver son intégrité morale.
“Ces mots ne suffirent pas encore à Hydaspe pour démêler la vérité : “Je t’approuve, dit-il, ma fille, de ta générosité ; il est convenable à toi de prendre en pitié et de songer à sauver un étranger, un Grec de même âge que toi, ton compagnon de captivité, uni à toi par les liens d’une longue familiarité sur la terre étrangère. Mais il n’y a aucun moyen de l’exempter du sacrifice : outre qu’il y aurait impiété à abolir ainsi complètement la coutume antique des sacrifices d’actions de grâce, le peuple ne le permettrait pas ; car c’est à grand-peine si la bonté des Dieux a pu lui inspirer de te faire grâce à toi-même.– Ô roi, dit Chariclée, (car peut-être ne m’est-il pas permis de vous donner le nom de père), si la bonté des Dieux a sauvé mon corps, il serait de la même bonté de sauver aussi mon âme, celui qu’ils savent être mon âme véritable, puisque ainsi l’ont réglé leurs décrets. Que si cependant ce vœu se trouve contraire à la volonté des Destins, s’il faut nécessairement que cet étranger serve par sa mort à l’ornement du sacrifice, accordez-moi une seule faveur : ordonnez que j’immole moi-même la victime ; remettez-moi l’épée comme un don inestimable, afin que je me signale par mon courage aux yeux des Éthiopiens”. (Héliod. 10.20)
“Je sais bien qu’il n’y a rien de plus difficile que ce que j’entreprends, répliqua Mme de Clèves ; je me défie de mes forces au milieu de mes raisons. Ce que je crois devoir à la mémoire de M. de Clèves serait faible s’il n’était soutenu par l’intérêt de mon repos ; et les raisons de mon repos ont besoin d’être soutenues de celles de mon devoir. Mais, quoique je me défie de moi-même, je crois que je ne vaincrai jamais mes scrupules et je n’espère pas aussi de surmonter l’inclination que j’ai pour vous. Elle me rendra malheureuse et je me priverai de votre vue, quelque violence qu’il m’en coûte. [...]
Il est vrai, répliqua-t-elle, que je sacrifie beaucoup à un devoir qui ne subsiste que dans mon imagination. [...] Ayez cependant le plaisir de vous être fait aimer d’une personne qui n’aurait rien aimé si elle ne vous avait jamais vu ; croyez que les sentiments que j’ai pour vous seront éternels et qu’ils subsisteront également, quoi que je fasse. Adieu, lui dit-elle [...]”. (Mme de La Fayette, La Princesse de Clèves, 4e partie)
7Mme de La Fayette a ainsi repris à Héliodore les motifs qui structuraient Les Éthiopiques, et jalonnaient l’ordre dramatique, organisant une matière-fleuve par cette ponctuation forte. Mais la convergence joue aussi sur le plan thématique. Ainsi du traitement de l’amour, qui soutient l’aventure. Certes, l’amour entre les jeunes gens n’est pas interdit dans le roman grec ; et pourtant, son traitement romanesque fournit les paramètres essentiels de sa représentation moderne. Dans La Princesse de Clèves comme dans Les Éthiopiques, les amants sont idéalisés ; ils demeurent également cachés – une unique scène d’amour les réunit chez Héliodore, scène transposée sur un mode fantasmé par Mme de La Fayette. Dans les deux œuvres, de surcroît, le traitement de l’amour joue du contrepoint, qui participe à l’hypostase d’un sentiment ainsi démontré dans toute sa pureté : les récits enchâssés et les personnages d’arrière-plan, victimes de passions funestes parce que prédatrices, sont autant d’instruments discursifs pour souligner la pureté de l’amour héroïsé. Cet usage du contrepoint complique le paysage romanesque dans l’une et l’autre œuvres : au thème érotique se substitue ainsi, se superpose ou s’oppose le thème politique ; les jeux de cour et les guerres métaphorisent ainsi la passion et ouvrent la fiction sur son exploration. Dans Les Éthiopiques, cet arrière-plan politique perturbe le parcours des jeunes gens, ballottés par des événements qui les dépassent et qu’ils subissent en toute passivité ; chez Mme de La Fayette, les remous de la Cour murent la Princesse dans un silence prudent, autre forme de cette passivité. Les mouvements du cœur s’affrontent ainsi aux mouvements du monde, dans une dialectique constante parce qu’elle est insoluble.
8Le déplacement du chronotope, largement ouvert dans Les Éthiopiques, au contraire marqué par la fermeture sur un tout petit monde dans La Princesse de Clèves, ne saurait ainsi oblitérer ce que Mme de La Fayette doit à Héliodore4. Les romanciers grecs jouent tout particulièrement sur trois topoi. Le premier est évidemment l’érotisme, qui constitue une motivation dramatique de premier ordre. L’aventure en procède, deuxième topos qui naît de la confrontation entre l’amour et le monde, un monde qui, comme nous l’avons vu, exerce une double pression coercitive et corruptrice sur l’idéalité amoureuse. Un troisième topos, enfin, repose sur l’exotisme : le voyage, et c’est une loi commune à la plupart des romans grecs, confronte les héros à des espaces autres et des mœurs étrangères, qui tous étonnent et désarçonnent5. Chez Mme de La Fayette, ces mêmes éléments se retrouvent, déplacés : l’aventure, non point subtilisée, se nourrit à la même source, dans l’opposition entre la contrainte séculière et l’amour hypostasié ; l’exotisme, quant à lui, se change en un regard moraliste porté sur une Cour soumise au jugement du lecteur comme un objet externe, malgré l’appartenance aristocratique qui réunit l’auteur, son personnage et son lectorat – Mme de La Fayette use à cet égard d’un procédé comparable à celui de La Bruyère : le regard distancié souligne les imperfections du monde.
9La transposition est cependant complexe. Car le roman d’Héliodore s’inscrit dans une géographie bien réelle. La description y abonde, qui doit à Strabon autant qu’à Hérodote, et aux explorations des terres africaines au début de notre ère. Nullement fantasmé, le périple offre ainsi au lecteur des données concrètes, répertoriées et étayées par les travaux des géographes et des historiens. Cette traction exercée par le réel sur la fiction est l’une des caractéristiques qui éloigne le roman grec de son architexte homérique : contrairement à l’épopée, la narration viatique de l’époque hellénistique ne sème ni monstres ni chimères sur le chemin de ses héros, mais des guerres, des pirates, des barbares. Le matériau romanesque s’ancre donc dans les realia, et prend au réel ce qui nourrit le fantasme – au lieu, à la manière du voyage épique, de projeter le fantasme sur le réel. Si le roman, comme le propose Jean Sgard, est “une usine à rêves, une mythographie”6, c’est au réel que le romancier prend le matériau initial. Est-ce à dire que le réalisme vienne alors distinguer le roman de l’épopée ? Nullement, car ce réel fait l’objet, notamment chez Héliodore, d’une distillation qui recharge le chronotope d’une vertu sémantique inséparable du discours auctorial. Et c’est précisément dans ce processus de distillation que La Princesse de Clèves rejoint Les Éthiopiques.
10Qu’elle soit effective ou feinte, l’hétérochronie exerce sa puissance sur le matériau dramatique, dans chacune de ces deux œuvres. Comme le souligne Thomas Pavel7, le classicisme aime à se déplacer dans des espaces-temps autres que le sien – et à cet égard, les “histoires fabuleuses”, comme l’on nomme les romans grecs au xviie s., satisfont à ce goût. Or, si ces espaces exercent une telle attraction sur un siècle qui s’est distingué par son appétence rhétorique, c’est moins par leur faculté à être autres que pour leur capacité à dire autrement : la géographie des romans antiques, et tout particulièrement chez Héliodore, fait l’objet d’une interprétation symbolique qui recharge le chronotope. Le voyage de Chariclée la mène en effet de Delphes à Méroé, un chemin qui épouse donc celui que dessinait Eschyle :
“Puisque vous en avez une telle envie, je ne me refuserai pas à vous dire tout ce que vous désirez savoir. À toi d’abord, Io, je révélerai tes courses agitées ; inscris-les dans les fidèles tablettes de ta mémoire. Quand tu auras traversé le courant qui sert de limite aux continents, marche vers le lever flamboyant du soleil jusqu’au moment où, après avoir traversé la mer mugissante, tu arriveras aux plaines gorgonéennes de Kisthénè, où habitent les Phorkides, trois vierges antiques, au corps de cygne, qui n’ont pour leur triple usage qu’un œil, qu’une seule dent, qui ne voient jamais les rayons du soleil ni l’astre de la nuit. Près d’elles sont trois sœurs ailées, à la toison de serpents, les Gorgones, abhorrées des mortels, qu’aucun homme ne peut voir sans expirer. Voilà des monstres dont je te recommande de te garder. [...] Tu arriveras alors au pays lointain d’un peuple noir qui habite près des sources du soleil, à l’endroit où coule le fleuve Aithiops.8 ” (Eschl., Pr., 786-809)
11La référence à Eschyle recharge ainsi l’aventure de Chariclée, nouvelle Io. Et l’espace devient figuration du temps : la jeune héroïne remonte le Nil pour retrouver le lieu de sa naissance ; ce faisant, elle suit le mouvement du Soleil, procède symboliquement du soir au matin. L’incipit du roman, dont on a beaucoup dit qu’il devait à l’Odyssée par son procédé in medias res, participe surtout à ce symbolisme : un tableau initial présente une orgie barbare dans le delta du Nil ; peu après, Chariclée et Théagène sont enfermés dans une grotte ; enfin, au début du livre 2, la jeune fille passe pour morte. Le propos est clair qui fait procéder la diégèse depuis la mort jusqu’à la naissance de son héroïne : Chariclée suit une anabase, dont le parcours épouse le Nil, fleuve reçu dans l’Antiquité comme métaphore de la vie. La poiésis à l’œuvre dans Les Éthiopiques entre ainsi en concurrence avec l’historia ; et cette concurrence est féconde. Car les espaces du réel deviennent les étapes qui marquent le progrès de l’héroïne. Au contraire du voyage épique, qui révèle l’héroïsme sans modifier le héros, le voyage chez Héliodore conditionne une découverte de soi. C’est précisément cet usage de la narration viatique qui motive l’innutrition dont La Princesse de Clèves est une conséquence : les mêmes étapes réapparaissent, comme nous l’avons vu, mais désincarnées, débarrassées de leur apparat géographique ; le voyage s’intériorise, la quête identitaire demeure.
12Et c’est en effet cette question de l’identité, considérée dans une perspective à la fois ontologique et métaphysique, qui fait se rejoindre en profondeur Les Éthiopiques et La Princesse de Clèves. Chez Héliodore, cette question est traitée sous ses deux aspects majeurs : l’autre d’une part, le soi d’autre part. L’altérité fait ainsi l’objet d’un traitement phénoménal : elle se résume sous le trait de barbarie, et s’incarne en une galerie de personnages – brigands, qu’ils soient organisés ou en débandade, satrapes perses qui gouvernent des cours viciées et des armées peu fiables. Conformément à leur éthos traditionnel9, ces barbares sont impulsifs, versatiles, malléables, sensibles à la flatterie, et toujours captifs de la convoitise. Chez Héliodore, ils incarnent ainsi la labilité de l’être, ses errements – aussi sont-ils la plupart du temps associés à la nuit et à l’orgie, ou bien au luxe bling bling, version diurne et tout aussi fatale de la finitude de l’être. Leur éthos génère l’épreuve pour qui les rencontre, soit qu’ils exercent leur violence spontanée, soit qu’ils oppriment le héros de leur concupiscence. Chez Mme de La Fayette, point de barbares, mais une cour également oppressante, soumise aux passions, et que le discours narratif n’épargne pas davantage. Dans les deux cas, cette perspective critique qui sous-tend constamment la représentation de l’Autre exhibe la dialectique constante qui l’oppose au moi. Ainsi s’élabore depuis l’épopée une généalogie de l’altérité : dans l’Odyssée, l’altérité radicale s’incarne dans les monstres, que les barbares supplantent dans le roman grec, tandis que le roman classique la figure par des êtres prisonniers de leur passion. La tératologie recule devant l’analyse, mais la dimension axiologique demeure, intacte : l’Autre est à la fois figure et source de chaos.
13À cette hypostasie du mal répond celle de la vertu, que la princesse de Clèves incarne, tout comme Chariclée dans Les Éthiopiques. L’une et l’autre doivent lutter contre la pression de cette altérité, se préserver de la contamination qu’elle ne manque pas d’exercer, et engager par conséquent la lutte de l’identité. Chez Héliodore, cette lutte passe par le voyage : il s’agit pour Chariclée de remonter, on l’a dit, aux sources de son identité, en même temps que de surmonter les épreuves que le voyage occasionne. L’auteur des Éthiopiques a repris là le propos majeur du roman grec en général et fait ainsi allégeance à la koinè ; mais c’est pour la dépasser : Héliodore centre son récit sur Chariclée, et modifie la motivation du voyage, qui n’a plus pour but de rentrer chez soi après en avoir été expulsé, mais de remonter vers une destination inconnue. Le voyage s’affranchit alors de la circularité qui le définissait chez Homère ; il n’est plus retour. Et si la nostalgie est toujours active, elle change de nature : il ne s’agit pas de restaurer l’ordre établi par le retour, selon le principe homérique, mais de parvenir à une stabilité cosmique en découvrant ses origines. Libéré de l’orbe, le voyage est désormais un progrès. Chez Mme de La Fayette, il n’est pas question d’autre chose : la nouvelle historique est histoire de l’être. L’époque, rappelle Jean Sgard, cherche à “évoquer l’intériorité, le débat de conscience, l’évolution d’un personnage devant l’épreuve de la réalité”10. Dans le “siècle de saint Augustin”, Mme de Clèves se débat contre la ténuité de l’identité face à la pression de la cité humaine. Et c’est cette même intériorisation qui fait la ténuité et la subtilité d’un roman a priori fortement éloigné de la poétique bavarde d’Héliodore. Et pourtant... Aux côtés d’un héros pâle, la Princesse accomplit le même chemin que Chariclée : elle s’interpose entre son amour et le monde, et celle que sa mère introduisait dans le monde au début du roman fait chemin seule vers sa vérité. L’interrogation identitaire domine ainsi chez Mme de La Fayette, comme elle présidait au voyage des Éthiopiques : intériorisée, la narration viatique continue d’explorer la définition de l’être. Dans ces conditions, l’amour devient une matrice féconde, mais non une thématique autotéleute : il permet l’opposition entre le sublime – l’amour pur et vierge de deux amants – et la bassesse des passions. Son traitement est ordalique : l’aventure d’amour fait intervenir la capacité de la fidélité, qui engage la résistance de l’être au monde. C’est bien pourquoi le mariage entre éros et odos est un mariage heureux chez Héliodore ; et Mme de La Fayette, dans l’extrême économie de son roman, superpose l’un à l’autre pour retenir du roman grec les jalons qu’il a posés sur le cheminement de l’âme.
14Les motifs qui structuraient le voyage dans le roman grec retrouvent leur vitalité dans le roman classique ; seulement, ils sont déplacés. L’idéalisation romanesque laisse place à l’idéalité ; la perfection des amants devient perfection d’une âme. Chez Héliodore, on remonte le Nil jusqu’à l’Ethiopie solaire ; dans une transposition toute cartésienne, le soleil devient vérité chez Mme de La Fayette. Le premier mettait en scène la dialectique constante du moi contre l’Autre ; la seconde la transporte sur le terrain intime, où elle devient débat intérieur. Et chez les deux romanciers, le voyage est accès à la lumière : Chariclée atteint l’éclat de Méroé, la princesse de Clèves émerge de l’enfance pour atteindre la suprême liberté de l’être et approcher de la lumière divine. Tout au long de ce parcours, et dans les deux romans, les mentors enfin disparaissent, qui laissent le champ libre au libre arbitre. La similitude entre les deux romans doit sans doute à une orientation philosophique commune, d’obédience platonicienne. Le voyage illustrerait ainsi le combat athlétique que l’âme doit mener tout au long de sa vie, selon la comparaison exposée par Plutarque :
“C’est un seul et même argument, qui fonde à la fois la providence divine et la permanence de l’âme humaine [...]. Si l’âme existe après la mort, il est plus vraisemblable encore qu’elle reçoive récompense et châtiments. Elle lutte comme un athlète toute sa vie ; une fois la lutte terminée, c’est alors qu’elle obtient ce qu’elle mérite11 ”. (Plut., De sera num. uind., 18)
15Et Plutarque reprend ici à Platon la métaphore du Phèdre :
“Si donc, la partie la plus noble de l’intelligence remporte une si belle victoire, et les guide vers la sagesse et la philosophie, les deux amants passent dans le bonheur et l’union des âmes la vie de ce monde, maîtres d’eux-mêmes ; réglés dans leurs mœurs, parce qu’ils ont asservi ce qui portait le vice dans leur âme et affranchi ce qui y respirait la vertu. Après la fin de la vie ils reprennent leurs ailes et s’élèvent avec légèreté, vainqueurs dans l’un des trois combats que nous pouvons appeler véritablement olympiques ; et c’est un si grand bien, que ni la sagesse humaine ni le délire divin ne sauraient en procurer un plus grand à l’homme. Mais s’ils ont choisi un genre de vie moins noble, contraire à la philosophie, mais non pas à l’honneur, il ne manquera pas d’arriver, qu’au milieu de l’ivresse ou de quelque autre négligence, leurs coursiers indomptés, ne trouvant pas leurs âmes sur leurs gardes, les conduisent de concert vers un même but ; alors ils prennent le parti le plus digne d’envie aux yeux de la multitude, et s’attachent simplement à jouir. Quand ils se sont satisfaits, ils renouvellent plus d’une fois encore leurs jouissances, mais seulement de loin en loin. Leurs actions ne sont pas approuvées par l’intelligence toute entière. Leur liaison est douce encore, quoique moins forte que celle des purs amants, tant que dure leur passion ; et quand elle a cessé, comme ils croient s’être donné le gage le plus précieux d’une foi mutuelle, ils ne se permettent pas d’en délier les nœuds pour faire place à la haine. À la fin de la vie leurs âmes sortent du corps sans ailes à la vérité, mais ayant déjà poussé quelques plumes, de sorte qu’ils sont encore bien récompensés de s’être abandonnés au délire de l’amour ; car ce n’est pas dans les ténèbres et sous la terre que la loi envoie ceux qui ont déjà commencé le voyage céleste ; au contraire, elle leur assure une vie brillante et pleine de bonheur, et lorsqu’ils reçoivent leurs ailes, ils les reçoivent en même temps, à cause de l’amour qui les a unis. Tels sont, ô jeune homme, les grands, les divins avantages que te procurera la tendresse d’un amant. Mais le commerce d’un homme sans amour, tempéré par une sagesse mortelle, occupé par des soins frivoles, ne faisant germer dans l’âme de l’objet aimé qu’une prudence servile qui peut bien être une vertu aux yeux de la multitude, la fait errer pendant neuf mille ans sur la terre et sous la terre privée de raison12 ”. (Plat., Phaed., 256a-257a)
16“Les deux amants”, s’ils demeurent purs, “à la fin de la vie […] s’élèvent avec légèreté, vainqueurs dans l’un des trois combats que nous pouvons appeler véritablement olympiques”. La métaphore, qui survient ensuite, des “coursiers indomptés”, laisse entendre la valeur thématique d’un voyage que l’écriture de Mme de La Fayette a transposée sur le mode de l’abstraction.
Conclusion
17Le xviie s. avait identifié l’auteur des Éthiopiques comme l’évêque de Trikka : Héliodore lui-même aurait vécu la conversion que son roman met en scène. La confusion illustre la lecture que le Grand Siècle s’est offerte de ce roman13, une lecture avertie en ce qu’elle apercevait l’arrière-plan métaphysique qui nourrit la narration viatique dans cette œuvre. Il est fort probable en effet que le roman d’Héliodore ait eu à voir avec la pensée de Plotin, et que l’anabase ait été le secret d’un retour à l’Un. Et il est tout aussi probable que le néo-platonisme, dont on connaît l’influence sur la première modernité, ait échu en partage à Héliodore et à Mme de La Fayette, nonobstant leurs écarts. Mais ce serait l’objet d’un autre travail. Pour demeurer dans des limites utiles ici, gardons en tête cette déclinaison symbolique du voyage : elle devrait nous convaincre du caractère aussi imaginaire que théorique de la scission trop souvent opérée entre roman d’aventures et romans d’analyse.
Bibliographie
Bibliographie
Cioranescu, A. (1983) : Le Masque et le Visage. Du baroque espagnol au classicisme français, Genève.
Dejardin, I. (2010) : Visages antiques de la barbarie, Paris.
Huet, P.-D. (1678) : De L’Origine des Romans, Lettre de Monsieur Huet à Monsieur de Segrais, réédition Kessinger Legacy Reprints, Paris.
Pavel, T. (1996) : L’art de l’éloignement. Essai sur l’imagination classique, réédition Folio Essais, Paris.
— (2003) : La pensée du roman, NRF Essais, Paris.
Plazenet, L. (1997) : L’ébahissement et la délectation, réception comparée et poétique du roman grec en France et en Angleterre au xvie et au xviie siècle, Paris.
Prigent, M., éd. (2006) : Histoire de la France littéraire, tome 2, Paris.
Riou, D. (2006) : “Le roman, héritage et innovations”, in : Prigent 2006, 663-700.
Sgard, J. (2000) : Le Roman français à l’âge classique, 1600-1800, Références, Paris.
Tadié, Y. [1982] (2013) : Le Roman d’aventures, TEL, Paris.
Vernière, Y. (1974) : Plutarque, Oeuvres morales, VII, 2e partie, Paris.
Notes de bas de page
1 Cette relation entre le roman grec et le voyage a été largement étudiée, notamment par Plazenet 1997, 431, qui en pose clairement le principe : “L’aire du voyage est consubstantielle au sens du roman antique”.
2 “Tel qu’il est, [le roman d’Héliodore] a servi de modèle à tous les faiseurs de romans, qui l’ont suivi, et on peut dire aussi véritablement qu’ils ont tous puisé à sa source, que l’on peut dire que tous les poètes ont puisé à celle d’Homère” – Huet 1678, 55.
3 Tadié 2013, 26.
4 Que Mme de La Fayette ait connu Les Éthiopiques n’est pas douteux : réédité en 1534, traduit en français par Amyot en 1547 et parallèlement dans toutes les langues européennes, le roman d’Héliodore bénéficie d’une réception on ne peut plus positive aux xvie et xviie s. Cervantès considérait son auteur comme un rival dangereux, Shakespeare le cite, Racine le sait par cœur... Au xviie s., son influence est majeure sur le roman précieux — dans la lettre sur l’Origine des romans, Huet 1678, 52-55, lui rend hommage en ces termes : “jusqu’alors on n’avait rien vu de mieux entendu, ni de plus achevé dans l’art romanesque, que les aventures de Théagène et de Chariclée. […] on y remarque beaucoup de fertilité et d’invention. Les événements y sont fréquents, nouveaux, vraisemblables, bien arrangés et bien débrouillés. […] Tel qu’il est, il a servi de modèle à tous les faiseurs de romans, qui l’ont suivi, et on peut dire aussi véritablement qu’ils ont tous puisé à sa source”. Au nombre de ces émules, Huet compte notamment Honoré d’Urfé, mais aussi Mlle de Scudéry.
5 Ces trois topoi relèvent de cette “science des plaisirs” que Huet attribue en 1678 aux fables milésiennes, matrice supposée du roman grec.
6 Sgard 2000, 14. Dans ce premier chapitre, J. Sgard s’intéresse notamment aux origines du roman moderne, et à la forge conceptuelle qui l’a nourri.
7 “Les hommes du xviie s., grands experts en migrations symboliques, ne vivaient jamais tout à fait longtemps dans leurs propres temps et espace sans rendre visite à d’autres époques” – Pavel 1996, 23-24. L’auteur voit d’ailleurs le roman grec comme la source principale du roman moderne, thèse qu’il expose dans La pensée du roman, 2003.
8 Traduction É. Chambry, GF, Paris, 1964.
9 J’ai traité de cet éthos et de son élaboration dans Visages antiques de la barbarie en 2010.
10 Sgard 2000, 21 – “Le personnage romanesque est [désormais] aux prises avec des contradictions internes qui peuvent devenir insurmontables”, dans un processus associé à l’histoire du sujet, comme le montre Riou 2006, 674.
11 In Vernière 1974, ch. 18, 560F-561A.
12 Traduction de V. Cousin.
13 Cioranescu 1983, 397, remarque combien cette lecture a pu être nourrissante pour un siècle qui “copie respectueusement Héliodore”.
Auteur
CPGE Lycée Pothier, Orléans
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