I - Les documents
p. 23-38
Texte intégral
1Soixante-deux des soixante-six textes retenus ont été rédigés en latin. Seules quatre inscriptions sont écrites en grec : deux en Bretagne (no 20, 21) et deux en Narbonnaise (no 31, 38). Ce n’est guère étonnant, puisque, sauf en Gaule, où J.-Cl. Decourt a recensé environ cent soixante-neuf textes1, les documents épigraphiques en grec sont très peu nombreux dans les provinces occidentales2. C’est, me semble-t-il, un indice assez fort qu’en Occident les praticiens ne venaient pas aussi souvent du monde grec qu’on a pu le penser, car il est fort probable que des hellénophones auraient utilisé leur langue maternelle pour ces textes privés. Porteurs de noms grecs ou grécisés (Hermogenes, Antiochos ( ?), Pompeios E [---], Pompeios Fortounatos, Phoibos), les cinq auteurs d’inscriptions en grec, étaient donc très vraisemblablement des hellénophones. J’essayerai de revenir sur cette question dans l’étude des catégories juridiques.
2Voici le tableau chronologique récapitulatif des soixante-six inscriptions, où j’ai essayé de faire figurer le maximum de renseignements sur les médecins recensés. Pour des renseignements complémentaires, je me permets de renvoyer aux notices du Corpus qui sont classées par provinces romaines en suivant l’ordre géographique du CIL (tableau no 1).
La répartition chronologique
3Longtemps assez peu prise en compte, car il est très difficile d’établir de solides critères chronologiques, la datation des inscriptions est maintenant devenue l’un des soucis primordiaux des épigraphistes, car un texte épigraphique non daté perd l’essentiel de sa valeur historique, même s’il est évident qu’il garde sa valeur documentaire. En l’absence très fréquente de critères formels de datation comme l’année consulaire (no 56, 64), le surnom impérial d’un numerus (no 63), l’appartenance à une unité légionnaire (no 52, 59), le contexte archéologique (no 24, 53, 54, 66), il faut tenter de trouver d’autres éléments chronologiques en se fondant sur l’analyse des supports (nature de la pierre, typologie du document, éléments du décor)3 et l’étude des caractères internes du texte (onomastique, formulaires funéraires et votifs, inclusions, ligatures, ponctuation, paléographie ?). D’une importance fondamentale dans la constitution de séries contemporaines à l’intérieur d’une chronologie relative pour un site donné, une ville, voire une cité, les critères analytiques externes sont d’un maniement beaucoup plus délicat dans le cas des corpus thématiques où les documents ont des origines géographiques très diverses, car comme l’écrivait P. Le Roux “il n’est d’épigraphie que locale”4. Les critères internes – récemment revus par M. Dondin-Payre et M.-Th. Raepsaet-Charlier5 – sont plus généraux et ont permis des avancées non négligeables dans la voie d’une datation assez assurée des épitaphes à condition de retenir de larges plages chronologiques (demi-siècle ou, à défaut, siècle), mais la chronologie des dédicaces aux dieux reste beaucoup plus difficile à établir, malgré les beaux travaux de M.-Th. Raepsaet-Charlier et de S. Cibu6. Les trois tableaux ci-dessous sont très largement inspirés des recherches de mes prédécesseurs.
Onomastique et dénomination (tableau no 2)
Critères de datation | Plage chronologique |
duo nomina première manière (prénom + gentilice) | rarissimes après le milieu du ier siècle |
duo nomina seconde manière (gentilice + surnom) | à partir des années 150 |
abréviation du gentilice | à partir des années 150 |
sobriquet | à partir du iie siècle |
l(ibertus) | ier siècle |
lib(ertus) | à partir de la fin du ier siècle |
Formulaire funéraire (tableau no 3)
Critères de datation | Plage chronologique |
défunt au nominatif | ier siècle |
défunt au datif | ier siècle |
h(ic) s(itus/a) e(st) | ier siècle |
invocation des D(is) M(anibus) | à partir du iie siècle |
invocation des dieux Mânes et de la mémoire éternelle | 150-250 |
dédicace sous l’ascia | à partir du courant du iie siècle |
Formulaire religieux (tableau no 4)
Critères de datation | Plage chronologique |
nom du dédicant suivi du nom du dieu | sans doute ier siècle |
in honorem domus diuinae | à partir de 150 |
deo, deae, avant ou après le nom du dieu | à partir de 150 |
4Au terme d’une analyse des textes fondée sur ces divers critères de datation, nous pouvons risquer le tableau chronologique récapitulatif suivant (tableau no 5), où nous avons retenu des plages chronologiques (demi-siècle ou siècle) plus larges que pour la datation des notices individuelles des médecins :
Séquence chronologique | Nombre d’inscriptions | Pourcentage |
1-50 | 9 | 13,6 % |
1-100 | 11 | 16,7 % |
50-100 | 12 | 15,2 % |
100-150 | 5 | 7,6 % |
100-200 | 7 | 10,6 % |
150-200 | 9 | 13,6 % |
150-250 | 11 | 16,7 % |
200-250 | 2 | 3 % |
indéterminés | 2 | 3 % |
Total | 66 | 100 % |
5Retrouvé dans la capitale de la Narbonnaise, le texte le plus ancien (no 36) date du début de notre ère, peut-être même des dernières années du Ier siècle a. C., s’il faut en croire M. Christol7. Le plus récent (no 62) a été gravé à Niederbieber, dans la cité des Mattiaques (Germanie supérieure), pendant le règne de Gordien III (238-244). Notre documentation s’étend donc sur un peu plus de deux siècles et demi. Comme toujours, nous n’avons, semble-t-il, aucun texte postérieur à 250, date où les couches moyennes de la population des provinces occidentales cessent quasiment d’utiliser les services du lapicide. Avec trente inscriptions (46,9 %), les médecins sont sensiblement moins attestés au ier siècle que dans les années 100-250 (trente-quatre occurrences, soit 53,1 %), où le volume global des textes épigraphiques a tendance à augmenter partout8.
6Les résultats de l’analyse de la répartition par provinces doivent être maniés avec prudence, car les chiffres sont très faibles, mais, comme le montre le tableau suivant (tableau no 6), ils ne sont guère surprenants.
Provinces | 1-100 | 100-250 | Total |
Lusitanie | 6 | 2 | 8 |
Bétique | 6 | 1 | 7 |
Citérieure | 1 | 3 | 4 |
Bretagne | 1 | 4 | 5 |
Narbonnaise | 8 | 5 | 13 |
Aquitaine | - | 2 | 2 |
Lyonnaise | 1 | 2 | 3 |
Belgique | 1 | 3 | 4 |
Germanie sup. | 4 | 10 | 14 |
Germanie inf. | 2 | 2 | 4 |
Total | 30 | 34 | 64 |
7Logiquement, les médecins sont déjà très présents dans la péninsule Ibérique et en Narbonnaise au ier siècle, alors qu’en Gaule du Nord et en Germanie, ils sont surtout bien attestés dans les années 100-250. En Bretagne, le seul médecin du ier siècle est un soldat ; c’est le cas de quatre des six médecins des Germanies.
La répartition géographique
8La répartition des inscriptions de médecins par provinces est globalement conforme à celle des documents épigraphiques dans les provinces occidentales, même si l’Hispanie (huit occurrences en Lusitanie, sept en Bétique, quatre en Citérieure) est un peu sous-représentée, alors que les provinces germaniques (quatorze occurrences en Germanie supérieure, quatre en Germanie inférieure), la Bretagne (cinq occurrences) et les Trois Gaules (deux occurrences en Aquitaine, quatre en Lyonnaise, quatre en Belgique) sont plutôt sur-représentées. La Narbonnaise (quatorze occurrences) est à sa place. En Bretagne (surtout) et dans les Germanies, la sur-représentation des médecins s’explique par le nombre très élevé de médecins de l’armée romaine (carte).
9Il va de soi que cette répartition géographique des inscriptions ne présume en rien que les médecins qui pratiquaient dans ces provinces en étaient originaires. C’est évident pour les cinq hellénophones. Peut-être en est-il allé de même pour certains autres médecins qui pourraient s’être installés en dehors de leur cité et même de leur province pour exercer leur profession ; c’est une pratique bien connue dans le monde grec. Si les oculistes attestés sur les cachets étaient itinérants, rien ne prouve que c’était le cas des médecins de ce Corpus. L’indication de l’origo est rarissime (no 15).
10Les inscriptions ont très majoritairement été retrouvées dans les villes les plus importantes (capitales provinciales ou chefs-lieux de cités), même en Bretagne, où les médecins de l’armée sont les seuls attestés (cinq occurrences), et dans une moindre mesure en Germanie. Avec cinq occurrences (Lusitanie, Bétique, Belgique et Germanie supérieure), les médecins sont très peu présents dans les autres agglomérations urbaines, mais nous retrouvons les médecins de l’armée dans les forts du limes rhénan (neuf occurrences) et de Bretagne (une occurrence). Des trois inscriptions de médecins retrouvées “à la campagne”, deux (no 10, 27) étaient des épitaphes ; il est difficile de savoir si ces médecins exerçaient en dehors des villes, dans de petits bourgs ruraux, ou s’ils travaillaient en ville et avaient souhaité être enterrés sur le domaine qu’ils avaient acheté pour affirmer leur promotion sociale. La troisième (no 48) provient d’un sanctuaire rural, où le médecin était venu s’acquitter d’un vœu.
Les types de documents
11Comme le montre le tableau suivant, les inscriptions mentionnant des médecins sont assez variées (tableau no 8) :
12À l’exception de la Bretagne et des deux Germanies, où les médecins – surtout ceux de l’armée – sont plus mentionnés dans des dédicaces aux dieux, dont ils sont les auteurs, que dans des épitaphes, dans toutes les autres provinces les documents concernant des médecins sont majoritairement des textes funéraires. En Bétique, en Citérieure et en Aquitaine, je n’ai même recensé que des épitaphes. Dans l’ensemble du Corpus, elles l’emportent largement (quarante-deux occurrences, soit 63,6 %), mais la part globale des autres documents n’est pas négligeable (36,4 %), surtout celles des dédicaces aux dieux (24,3 %, près d’un sur quatre).
Les épitaphes
13Dans trois cas seulement, un médecin a pris en charge l’épitaphe d’un proche : à Mérida (no 3), au ier siècle, c’est sans doute à l’occasion du décès d’Eucharis, une esclave, sœur de Mandata, son affranchie et peut-être sa concubine ou épouse, que Q. Aponius Rusticus a fait graver, de son vivant, l’épitaphe commune de la défunte, de Mandata et de lui-même ; à Astigi, en Bétique (no 9), V(alerius ?) Eros a fait celle de son épouse défunte (mais non la sienne). À Lyon (no 43), Bononius Gordus, médecin du camp de la treizième cohorte urbaine, s’est occupé avec deux compagnons d’armes de celle du responsable de la prison de la garnison.
14Dans toutes les autres épitaphes, le médecin est le défunt ou le “futur défunt”, car l’une des particularités de l’épigraphie funéraire latine est de prévoir sa propre épitaphe de son vivant. Elle peut être rédigée à l’occasion du décès d’un proche ; ainsi à Mérida (no 3), comme nous venons de le voir. Ce fut aussi le cas de deux femmes de médecins : à Narbonne (no 34), où Kaninia Attice a fait de son vivant (uiua), au ier siècle, l’épitaphe de P. Lucceius Menes (son très probable compagnon) et la sienne, et à Vieu-en-Valromey (no 49), entre 150 et 250, où à la mort de G. Rufius Eutactus, Caesiccia Ianuaria, son épouse, a élevé une stèle double avec sa propre épitaphe et celle de son mari défunt. Elle peut aussi avoir été gravée par simple anticipation. Deux médecins de Narbonnaise le disent clairement (uiuus) : à Narbonne, au ier siècle (no 35), L. Pomponius Diocles l’a fait pour lui et son épouse ; à Nîmes, au iie siècle (no 30), C. Terentius Atticus pour lui seul. M. Fulvius Icarus (no 15), médecin ophtalmologiste à Ipagrum, semble avoir bâti pour lui et sa famille un mausolée de belle taille dans la première moitié du ier siècle. Il se pourrait aussi que l’on retrouve la même démarche d’anticipation dans deux épitaphes du iie siècle d’Augst (no 55) et de Metz (no 46), où il n’y a pas de nom de dédicant. Ce n’est pas le cas des trois textes sans dédicants, où la durée de la vie est indiquée [no 10, à Chiclana de la Frontera ; no 23, à Vercouicium ; no 63, à Cologne], ni de l’épitaphe de Flavia Hedone (no 29) qui a été érigée à Nîmes ex testamento. Le legs de cette femme médecin était grevé d’une charge, d’une conditio (Digeste, 35, 1, 14 ; 35, 1, 17, 4...). L’exécuteur testamentaire devait prélever sur son héritage la somme nécessaire aux obsèques et à la construction du monument funéraire.
15Cinq autres épitaphes découvertes en Narbonnaise et dans la péninsule Ibérique ne comportent que le nom du mort et une formule funéraire, mais sans la mention uiuus. Comme elles ont été rédigées dans la première moitié du ier siècle (no 12, 14, 18, 36) ou dans le courant de ce siècle (no 11), époque où les textes funéraires sont le plus souvent très courts, rien ne permet d’affirmer qu’elles ont été gravées par anticipation.
16La plupart des épitaphes de médecins sont le fait de leurs proches. Il s’agit le plus fréquemment du conjoint : époux (no 5) ou, plus souvent, épouses, soit seules (no 34, 39, 44, 49, 58 ?), soit avec une fille (no 19), soit avec un affranchi (no 4) ; viennent ensuite les enfants (no 7, 16, 17, 27), un frère (no 8) et une mère (no 60). À Mérida (no 6), en exécution des dispositions testamentaires du médecin, M. Didius Postumus, neveu et héritier de P. Sertorius Niger, a fait les épitaphes du médecin, de son père, de son épouse, de sa sœur et élevé sa propre statue sur ou près de la tombe familiale, ce qui atteste qu’il avait prévu de s’y faire déposer. Les obsèques de Sex. Iulius Felicissimus (no 25), un alumnus, ont été assurées par Sex. Iulius Felix qui était son père adoptif plutôt que son patron, et par Felicitas, qui pourrait avoir été sa sœur ou, moins sûrement, sa mère adoptive.
17Comme les y obligeaient les stipulations de l’acte d’affranchissement, les affranchis ont pris soin de l’épitaphe de leur ancien maître. À Nîmes (no 28), Syneros s’est chargé de l’épitaphe de C. Antistius Anti[---] et d’Antistia Ir[---], son épouse. À Emerita (no 4), G. Domitius Restitutus s’est acquitté de cette obligation avec l’épouse du défunt. Assez curieusement, Lepos, l’affranchi d’Heraclides, un médecin affranchi (no 33), a fait enterrer son patron avec Iacchus, un de ses propres esclaves, mais il est vrai qu’il appartenait à la même familia. À Cordoue (no 13), [---] Nymphius partageait une épitaphe collective fragmentaire avec le mari ou le patron de l’auteure de l’inscription et des affranchis et affranchies qui sont probablement ceux du défunt.
18Deux patrons ont pris en charge l’épitaphe de leurs affranchis. Nous avons déjà vu le cas de Q. Aponius Rusticus (no 3) ; Ti. Claudius Atticus a fait enterrer Ti. Claudius Hymnus (no 52), un médecin militaire “contractuel”, et son épouse, Claudia Quieta. Un maître, Iulius Hermes, s’est occupé des funérailles de Dionysius (no 26), son alumnus, qui était très vraisemblablement resté esclave.
19Il n’est pas possible de se prononcer sur quatre épitaphes : deux de Narbonne (no 32 ?, 37), une de Metz (no 47) et une de Bordeaux (no 40), dont le texte est beaucoup trop mutilé.
20Le formulaire funéraire ne se distingue en rien de celui des autres inscriptions funéraires des provinces occidentales (nom du défunt au nominatif, au datif, puis invocation, en abrégé, des dieux Mânes). Nous retrouvons les habitudes locales ; ainsi, à Narbonne, l’initiale O de obitus ou Θ de θ [ανών] au début de deux textes du ier siècle (no 33, 34). Les épitaphes sont rédigées dans une langue très correcte, parfois avec quelque recherche ou originalité (no 4, 5). Celle de Sex. Iulius Felicissimus d’Aix-en-Provence (no 25) est en héxamètres quelque peu fautifs.
21Avec neuf occurrences (trois au ier siècle ; six au iie), l’indication de l’âge au décès est assez peu courante. Les médecins sont morts à dix-neuf (no 25), vingt-cinq (no 23), trente (no 63), trente et un (no 8), trente-six (no 39), quarante-cinq (no 5, la seule femme), quarante-sept (no 10), cinquante et un ( ?) (no 40) et cinquante-cinq ans (no 4). Les épithètes affectives ou laudatives sont assez peu nombreuses. À Limony (no 27), Apronia Clodilla qualifie ses parents d’optimis.
22Dans les autres textes, les éloges sont encore beaucoup plus appuyés : à Mérida (no 5), le mari de Iulia Saturnina rend hommage à trois des fonctions ou rôles de la femme dans la famille et la société antiques ; il vante les qualités de l’épouse (incomparabilis), de la femme (sanctissima), mais aussi du médecin (optima), ce qui est plus rare, et globalement les mérites de la défunte (ob meritis). De même à Tarragone (no 19), l’épouse et la fille de Tib. Claudius Apollinaris célèbrent ses vertus de médecin (artis medicine doctissimus), de mari (bene merenti) et de père (pientissimus). À Mayence (no 60), Cominia Faustina, sa mère auteure de l’épitaphe, loue, en termes émouvants, les qualités de médecin (consummate peritiae) et de fils (mirae pietatis) de Peregrinius Heliodorus, décédé prématurément, et se qualifie elle-même d’infelicissima, ce qui est assez peu courant dans l’épigraphie funéraire. À Aix-en-Provence (no 25), Sex. Iulius Felix et Felicitas ont consacré deux poèmes à la mémoire de Sex. Iulius Felicissimus et font un bel éloge du défunt médecin qui fut aussi le compagnon des chasseurs d’ours, des uictimarii et des coronarii. En Hispanie, nous trouvons des périphrases à Astigi (no 9), Sabina, l’épouse du médecin, était pia in suis (une formule courante dans la région) et à Chiclana de la Frontera (no 10), Albanius Artemidorus, karus suis.
23Avec deux occurrences [une dédicace sous l’ascia à Vieu-en-Valromey (no 19), une représentation à Aix-en-Provence (no 25)], ce symbole funéraire encore inexpliqué est fort peu présent, même en Gaule. Les autres décors symboliques sont aussi fort rares (voir p. 35-36).
Les dédicaces aux dieux
24Avec seize occurrences (24,3 %), le nombre de dédicaces aux dieux n’est pas négligeable. Nous y reviendrons (voir p. 58), mais il faut d’ores et déjà noter qu’elles ne sont pas attestées en Bétique, en Espagne Citérieure, en Aquitaine (où, avec deux occurrences, les inscriptions de médecins sont très peu présentes) et peut-être en Narbonnaise, où il est loin d’être certain que le texte mutilé (no 39) mentionnant [---] Phoibos soit une dédicace.
Les autres types de documents
25La place des autres types de documents (une inscription honorifique, une donation, trois en-têtes de lettres, un rapport militaire) est marginale.
26À Narbonne (no 31), une inscription, en grec, a été gravée en l’honneur d’Antonin le Pieux par deux médecins hellénophones ; à Lyon (no 42), Metilia Donata a fait une donation indéterminée sur un emplacement donné par décret des décurions. Les fouilles des camps de Vindonissa en Germanie supérieure (no 53, 54) et de Valkenburg en Germanie inférieure (no 66) ont livré trois en-têtes très fragmentaires de lettres adressées à des médecins de l’armée romaine. À Vindolanda (no 24), un texte difficile à lire mentionne le médecin d’une cohorte auxiliaire.
27Enfin, un texte latin très incomplet de Mayence (no 59) reste indéterminé. Au vu de son décor (pomme de pin), il pourrait s’agir d’une épitaphe.
Les types de supports
28Pendant longtemps les épigraphistes se sont uniquement intéressés au contenu des inscriptions et n’ont tenu à peu près aucun compte ni de la paléographie des textes, ni des supports des inscriptions. Ce fut le cas des auteurs du Corpus de Berlin (CIL). Précurseur, en ce domaine comme en bien d’autres, C. Jullian avait pourtant consacré un chapitre au support des inscriptions de Bordeaux dans le second volume de son recueil, paru en 18909. Après la publication en 1914 de la dernière édition du Cours d’épigraphie latine de R. Cagnat10, où le sujet est totalement ignoré, l’étude du support monumental des documents épigraphiques est restée très marginale. Il fallut quasiment attendre la parution du livre de G. Susini, Il lapicida romano11, en 1966, pour que les épigraphistes commencent à poser le problème de la typologie des monuments et à étudier l’inscription, l’écriture et le support. Malgré les beaux travaux du regretté J.-N. Bonneville, bien trop tôt disparu12, ce n’est pas encore toujours le cas13, mais les épigraphistes sont cependant de plus en plus sensibilisés à la question.
29Inscriptions et supports forment un ensemble indissociable. L’analyse du matériau (encore très peu fréquente)14 et du support peut fournir des critères de datation non négligeables, mais permet aussi de repérer des ateliers de lapicides, de dégager des courants commerciaux et de distinguer, au moins grossièrement, les différentes catégories sociales. Pour la classification des monuments, j’ai globalement repris la terminologie de J.-N. Bonneville.
30Comme le montre le tableau suivant, les supports des inscriptions de médecins sont très variés (tableau no 9) :
31La nature du support de huit inscriptions perdues ou très fragmentaires (no 7, 9, 16, 29, 32, 40, 44, 52) reste indéterminée. Pour les cinquante-huit autres, nous notons sans surprise la nette prépondérance des stèles (quinze occurrences) et des autels funéraires et votifs (quinze occurrences).
• Les stèles
32Quatorze des quinze stèles sont des monuments funéraires, mais une pierre de Deua (no 21) qui est incontestablement une stèle (structure verticale avec fronton triangulaire encadré de deux acrotères), sert de support à une dédicace à Asclépios, Hygeia et Panakeia. De taille variable (45 à 174 cm de haut), elles sont pour la plupart de faible épaisseur (égale ou inférieure au tiers du plus petit côté frontal), mais nous remarquons à Metz, Narbonne deux séries de monuments de structure verticale beaucoup plus épais qui semblent pourtant bien être des stèles. À Metz (no 46), le monument funéraire de M. Iunius Lunaris ne se distingue d’une stèle traditionnelle que par son épaisseur (38 cm). À Narbonne (no 33, 34, 37), les trois pierres se terminent par un sommet cintré, caractéristique de ce type de support au début de l’Empire.
33Neuf stèles portent des décors très variés : une rosette à quatre pétales à Villafranca-de-los-Barros (no 8), un lièvre couché à Housesteads (no 23), un oiseau à Nîmes (no 30), une grosse rosace à Narbonne (no 37), la représentation de la défunte drapée, debout de face à Metz (no 47), une rose à Augst (no 55), la façade d’un temple à trois colonnes avec fronton et architrave à Cologne (no 63), un décor indéterminé à Bingen (no 58). À Vieu-en-Valromey (no 49), la stèle double du médecin et de son épouse comporte deux frontons triangulaires moulurés accostés d’acrotères ; dans celui de gauche est sculpté un croissant de lune, dans celui de droite un disque solaire. Ces monuments sont attestés pendant tout le Haut-Empire.
• Les autels
34Sur les quinze autels, j’ai recensé huit ( ?) monuments votifs (no 2, 20, 38 ?, 50, 51, 57, 61, 65), six supports d’épitaphes (no 5, 10, 18, 25, 28, 43) et un monument indéterminé (no 59). De taille très variable, ils ont de 28 cm (no 39) à 150,5 cm de haut (no 50). Nous pouvons distinguer trois modules : moins de 50 cm ; de ca 50 cm à ca 90 cm ; plus de 90 cm. La plupart sont très simples (base et couronnement, le plus souvent moulurés), mais deux monuments votifs sont décorés : la dédicace à Venus Victrix de Mérida (no 2) a des tores arrondis décorés de rosettes en façade, une base ornée de deux moulures avec des rais de cœur en ciseaux ; un aigle aux ailes éployées est gravé en dessous de l’inscription. À Obernburg (no 57) sur le côté droit du dé, Neptune est debout sur une base ronde, nu, le manteau sur l’épaule gauche, tenant le trident de la main gauche et un dauphin de la main droite ; sur le côté gauche, buste de la Fortune, portant une corne d’abondance appuyée sur l’épaule droite. Devant elle, un bouclier rond est posé sur un trépied ( ?) ; du centre du bouclier, monte une corne d’abondance qui repose sur l’épaule gauche de la Fortune. Quatre autels funéraires sont décorés : à Mérida (no 5), sur le côté droit, est sculptée une patère avec manche ; sur le côté gauche, un vase sacrificiel (urceus). Un petit enfant emmailloté décore la face opposée à l’épitaphe ; à Aix-en-Provence (no 25), sur la face droite est gravée une ascia, qui sépare les quatre premières lignes du texte B du reste de l’inscription ; sur la face gauche, un niveau de maçon. À Großkrotzenburg-sur-le-Main (no 61), le fronton triangulaire est orné d’un croissant de lune ; enfin, à Mayence (no 59), sur le côté gauche, une pomme de pin ( ?) est entourée d’un cadre mouluré, ce qui pourrait laisser penser que le texte fragmentaire est une épitaphe.
35Les autels votifs sont datés entre la fin du ier siècle (no 2) et les années 150-250 (no 61). Sauf un autel de Denia (no 18) que le formulaire (nom du défunt au nominatif) date de la première moitié du ier siècle, et peut-être la pierre de Mayence (no 59), datée par le nom de la légion, les monuments funéraires sont tous au moins du iie siècle.
• Les plaques
36Même si elles étaient probablement toutes scellées sur un monument, il faut distinguer les neuf plaques funéraires (no 3, 4, 6, 11-14, 27, 36) de la plaque votive (no 56), d’autant qu’elles ont été mises en place à des dates très différentes. Au vu du formulaire, les premières sont toutes du ier siècle et même pour certaines de la première moitié (no 6, 12, 14, 36), tandis que la dédicace aux (dieux) bienfaisants d’Osterburken (no 56) est datée de 198 par les noms des consuls. Elles étaient de dimensions très variées ; deux (no 6, 36) devaient faire partie d’un mausolée. À en juger par la taille (62,5 x 147 x 6,5 cm) de la plaque et la hauteur des lettres de la première ligne (10 cm), le monument funéraire de P. Sertorius Niger à Mérida (no 6) devait être assez imposant.
• Les tablettes
37Il faut différencier les quatre tablettes de bois de Vindolanda (no 24), de Windisch (no 53, 54) et de Valkenburg (no 66) qui ont servi pour un rapport militaire et la correspondance dans le courant du ier siècle, des deux tablettes (en pierre) figurées dédiées à Esculape et à Salus à Binchester (no 22) et aux Mères augustes à Lyon (no 41). À Binchester (ca 200-250), les dieux sont debouts et se tiennent la main ; la main gauche d’Esculape est posée sur le cou d’un serpent enroulé. À Lyon (aux deux premiers siècles), trois déesses-mères sont assises de face. Celle de gauche tient deux fruits ; celle du milieu une patère dans la main droite et une corne d’abondance dans la main gauche ; deux fruits sont posés dans les plis de sa robe. La déesse de droite tient des deux mains une corbeille où sont placés trois fruits.
• Les blocs
38Deux des cinq ( ?) blocs portent une épitaphe. À Ibiza (no 17), au iie siècle, celle de L. Sempronius Apollonius est inscrite sur un bloc rectangulaire mouluré (44,5 x 54,5 x 37 cm), peut-être encastré dans un monument funéraire collectif. Haute de 165 cm, la pierre tombale de Bordeaux (no 39) comporte un grand entablement à sommet plat et une base moulurée. Au-dessous de l’inscription, un espace vide encadré de pilastres, surmontés d’une arcade, occupe les deux tiers du monument. Faut-il penser qu’il était destiné à recevoir le portrait du mort ? que le monument n’a jamais été terminée ou que la plaque fixée sur le monument a aujourd’hui disparu ?
39À Mirobriga (no 1), la dédicace-donation de C. Attius Ianuarius (54,7 x 51 cm) a été gravée entre 150 et 250. Nous ignorons son emplacement initial. De plus grandes dimensions, les deux autres blocs (no 42, 45), retrouvés à Lyon (60 x 229 x 77 cm) et à Hermes (36 x 64 x 40,5 cm), commémoraient deux actes d’évergétisme et devaient faire partie du monument offert par les deux médecins.
• Les piédestaux
40À Narbonne (no 31), les deux Pompei ont fait graver sur un petit piédestal (10 x 17 cm) de marbre une inscription en l’honneur d’Antonin le Pieux ; il était surmonté d’une statuette du Prince. À Niederbieber (no 62), pendant le règne de Gordien III, T. Flavius Processus avait choisi lui aussi un piédestal pour sa dédicace au Génie des capsarii. Sur le sommet du petit monument (20 x 20 x 8 cm), se voient encore les pieds d’une statuette du Génie ; à droite, nous apercevons les vestiges de deux autres pieds qui pourraient être ceux du dédicant. À Iversheim (no 64), en 145, M. Sabinianius Quietus a offert au Génie d’une vexillation de la première légion Mineruia un piédestal (55 x 45 x 22 cm), surmonté d’une statuette du Génie, aujourd’hui brisée.
• Le linteau
41À Ipagrum (no 15), l’épitaphe de M. Fulvius Icarus et de sa famille était écrite en lettres de bronze d’au moins dix centimètres de hauteur fixées sur le linteau en marbre noir de belles dimensions (41 x 162 x 20 cm), encastré au-dessus de la porte d’un mausolée construit dans la première moitié du ier siècle.
• Le sarcophage
42Jadis découvert à Mayence (no 60) et aujourd’hui perdu, le seul sarcophage attesté a été la dernière demeure de Peregrinius Heliodorus qui a sans doute exercé ses talents entre 150 et 250.
• Les supports divers
43À Tarragone (no 19), à en juger par le dessin de I. Boy, la tabula ansata – qui semble de bonne taille – où était inscrite une épitaphe, pourrait avoir été intégrée dans un mausolée. À Kreis Saarlouis (no 48), une colonne cylindrique servait de support à une dédicace au deus Apollon.
Les types de matériaux
44La plupart des inscriptions ont été gravées sur des pierres, sans doute même les treize (19,4 %) dont nous ignorons la nature du support. Dans cette vaste zone géographique, les lapicides ont utilisé des matériaux assez variés, mais comme les épigraphistes ne sont pas géologues et ont très rarement la possibilité de faire procéder à des analyses spécifiques en laboratoire (cathodoluminescence…), leurs identifications ont été peu précises15. Je n’avais pas la possibilité d’aller plus loin qu’eux et je me borne donc à des dénominations très générales (marbre, calcaire, grès). Le bois et le bronze ont été très peu employés.
45Matériau noble, objet d’un commerce à plus ou moins longue distance, le marbre n’est attesté que dans la péninsule Ibérique (no 2-6, 8, en Lusitanie ; 10, 11, 15, en Bétique ; 18, en Citérieure), à Narbonne (no 31) et à Lyon (no 41). Ailleurs, il semble que les auteurs d’inscriptions aient surtout choisi des pierres provenant de carrières locales16. Ainsi, à Cordoue (no 12), la plaque où a été inscrite l’épitaphe de M. Aerarius Telemachus, est-elle en pierre rouge de la Sierra de Cordoue ; à Ibiza (no 17), l’épitaphe est sur un calcaire local. À Hermes (no 45), la dédicace-donation est gravée sur un calcaire jaune qui a très probablement été tiré des carrières situées au sommet du mont qui surplombe le village et qui sont exploitées au moins depuis l’époque gallo-romaine ; à Yverdon-les-Bains (no 50), le calcaire blanc de l’autel dédié à Mars auguste a été extrait de la carrière de La Lance, au bord du lac de Neuchâtel. Nous trouvons surtout du calcaire en Narbonnaise (no 25-28, 30, 33-37), du grès en Bretagne (no 20-23), en Belgique (no 46-48) et en Germanie supérieure (no 55-58, 61, 62). Le bois a servi de support à trois lettres adressées à des médecins de l’armée des Germanies (no 53, 54, 66) et à un rapport militaire à de Vindolanda (no 24).
Notes de bas de page
1 Voir IGF. Dans ce total, certains textes ne sont pas gaulois, comme, par exemple, IGF, 50 qui est sans doute d’origine italienne. Cependant, l’auteur a conservé dans son Corpus “toutes les inscriptions dont l’origine ne me paraît pas locale”.
2 Vingt-sept occurrences dans les grands recueils : sept en Hispanie (IG, XIV, 2538-2544) ; dix en Bretagne (RIB, 241 [sur un plat], 436, 706 [sur des bijoux], 758, 808, 1072, 1124, 1129, no 20, 21 [sur des pierres]) ; dix en Germanie (IG, XIV, 2562-2571). Il faudrait sans doute ajouter quelques textes découverts depuis.
3 Voir notamment R. Étienne, G. Fabre, P. et M. Lévêque, 1976, p. 207-221 ; J.-N. Bonneville, 1980, p. 75-98 ; Id., 1984, p. 117-152.
4 P. Le Roux, L’armée romaine et l’organisation des provinces ibériques, d’Auguste à l’invasion de 409, Paris, 1982, p. 28.
5 M. Dondin-Payre, M.-Th. Raepsaet-Charlier, 2001a, p. IX-XIV et 2006, p. XIII.
6 M.-Th. Raepsaet-Charlier, 1993 ; S. Cibu, 2003.
7 M. Christol, CCG, 7, 1996, p. 313-318.
8 Nous n’avons pas pris en compte les deux textes (no 38, 41) datés des années 1-200.
9 C. Jullian, Les inscriptions romaines de Bordeaux, vol. 2, Bordeaux 1890, p. 465-469.
10 R. Cagnat, Cours d’épigraphie latine, 4e éd., Paris, 1914.
11 G. Susini, Il lapicida romano. Introduzione all’epigrafia latina, Bologne, 1966.
12 J.-N. Bonneville, 1980 et 1984 (avec une étude historiographique).
13 Dans le manuel d’introduction à l’épigraphie grecque et latine écrit avec Fr. Kayser (B. Rémy, Fr. Kayser, Initiation à l’épigraphie grecque et latine, Paris, 1999), nous avons consacré une seule page au support (p. 10-11). J.-M. Lassère, Manuel d’épigraphie romaine, 2 vol., Paris, 2005, se contente d’un paragraphe (p. 33). Dans les nouveaux corpus régionaux d’inscriptions (ILA, ILN), la tendance est plutôt à faire une assez large place à la description du support (notamment par Fr. Wiblé dans les inscriptions de Genève des ILN, Vienne), tout comme dans les récents volumes du CIL.
14 Voir B. Rémy, D. Rival, D. Tritenne, “L’origine géographique des pierres où sont gravées les inscriptions de la province romaine des Alpes Graies”, BEPAA, 18, 2007, p. 189-196.
15 Les analyses scientifiques sont d’ailleurs souvent incapables de déterminer avec quelque précision l’origine précise des pierres.
16 On retrouve le même phénomène dans la petite province des Alpes Graies (voir B. Rémy, D. Rival, D. Tritenne, loc. cit.).
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