I- Les épigrammes de Martial et Plutarque
p. 11-38
Texte intégral
1Chercher à déceler des rapports entre Plutarque, sa biographie et son œuvre, et les Épigrammes paraîtra sans doute une gageure, si grandes et évidentes sont les différences qui séparent les deux hommes et les deux écrivains. Pourtant, nés tous deux aux alentours de l’an 40, ils ont eu une relation commune, importante, plus qu’on ne croit, pour l’un et pour l’autre : Terentius Priscus, à qui Plutarque dédia vers 100 son traité De defectu oraculorum ; Martial, dans la vie et l’œuvre duquel il a pu tenir une place importante, a dû savoir pourquoi.
2Les productions des deux auteurs ne sont sans doute pas contemporaines : le livre XII de Martial est écrit en 101 et 102 (il meurt vers 103-104), tandis que les écrits de Plutarque ne paraissent qu’à l’extrême fin du i er siècle au plus tôt, et n’ont pu être lus par Martial – à supposer qu’il en ait eu l’idée. Les deux hommes ont pu se rencontrer à l’occasion d’un des séjours Romains de Plutarque, mais c’est improuvable, et d’intérêt tout anecdotique. Ce qui l’est moins, c’est que Plutarque a préparé longtemps ses publications par des entretiens et des conférences, dont certaines données à Rome : Martial a pu en avoir connaissance par l’intermédiaire d’une relation comme Terentius Priscus, ou directement, car il était homme à fréquenter les auditoria et à y puiser ce qu’il appelle illam iudiciorum subtilitatem, illud materiarum ingenium, “cette finesse de jugement, cette ingéniosité des sujets” – dont il parle dans sa lettre à Priscus ; on peut donc parfois rencontrer dans une épigramme tel “écho” d’un propos qui ne paraîtra dans un écrit que plusieurs années après qu’il eut fourni à l’épigrammatiste son thème, sa materia. La manière dont Martial s’adresse à l’ami commun dans son livre XII invite à réévaluer la place qu’il occupe dans les livres antérieurs : on pourra y trouver quelque explication de la dédicace du traité “Sur la disparition des oracles”, et la trace d’un épisode de la vie du philosophe. D’autre part – le fait est bien différent – il peut arriver que dans un traité éventuellement postérieur à la disparition de Martial se rencontre un développement de nature à éclairer, sous l’angle prosopographique, une série d’épigrammes restées énigmatiques. Enfin, le cercle des amis Romains philhellènes de Plutarque, dont Terentius Priscus faisait partie, peut avoir inspiré quelques épigrammes allusives. L’enquête portera sur des personnages : nous proposerons plusieurs identifications nouvelles, en utilisant parfois l’usage que fait Martial des noms. Il procède souvent par mises en scène allusives : situation et personnages sont fictifs, mais font allusion à une réalité historique, comiquement transposée ; les noms réels peuvent être respectés, transformés mais encore reconnaissables, ou remplacés par des pseudonymes. Nous en étudierons en guise de “prolégomène”, un cas qui nous paraît révélateur de cette technique ; l’étude suivra en quatre parties très inégales.
3Une brève épigramme du livre III (no 25) dédiée à Faustinus pourrait bien évoquer allusivement une actualité politique brûlante. La plaisanterie sur l’eau froide et l’eau chaude n’est pas neuve, mais elle ne paraît pas dériver d’un modèle grec1 :
Si temperari balneum cupis fervens,
Faustine, quod vix Iulianus intraret,
roga lavetur rhetorem Sabineium:
Neronianas is refrigerat thermas2.
4Deux personnages sont en cause : Iulianus, habitué des bains chauds ; le “froid” rhéteur Sabineius, capable de refroidir les thermes de Néron dont la chaleur est proverbiale. Les noms, qui n’apparaissent pas ailleurs dans les Épigrammes, et ont dès lors quelques chances d’être peu ou prou ceux de personnages historiques précis dont Martial déformerait la situation, méritent au moins autant d’attention que la boutade : si Iulianus est un cognomen banal, Sabineius, un gentilice formé sur le cognomen très fréquent Sabinus, est beaucoup plus rare. Le premier, quoique apparemment habitué à la chose, aurait peine à entrer dans le bain fervens, que le rhéteur pourrait rafraîchir en s’y baignant. Fervere (brûler) s’emploie de manière imagée pour qualifier un sentiment ardent ; mais une autre métaphore l’applique à l’ardeur des combats et des déplacements guerriers3 : un “bain bouillant”, c’est Waterloo4 ; même un général habitué à mener de chaudes affaires pourrait hésiter à s’engager dans certaines mêlées.
5À l’automne 88, semble-t-il, le légat de Domitien Tettius Iulianus, remportait la grande bataille de Tapae : cette victoire réparait les graves revers subis par les forces Romaines depuis le début de la guerre danubienne5 : ils avaient commencé par le désastre du légat de Mésie, défait et tué en 85 lors de l’invasion de sa province par les Daces. Martial fait de son nom, C. Oppius Sabinus, “Sabineius”, et de ce consulaire malchanceux, un rhéteur “glaçant”. Si la chaleur caractérise ce qui est vivant, voire brûlant (fervens), le frigus connote les idées d’indifférence, d’échec, et bien entendu de mort6.
6La bataille de Tapae est difficile à dater ; les historiens s’accordent pour la placer à l’automne de 88. Depuis l’étude de L. Friedländer, dans son Martialis, on date la publication du livre III de Martial de l’année 87 – certains précisent en septembre-octobre 877. Si l’épigramme III. 25 est bien la fiction allusive que nous pensons, et si la bataille de Tapae a bien eu lieu à l’automne 88, la datation du livre III est à retarder d’au moins un an.
Un écho d’une conférence romaine de plutarque
7Dans l’épigramme VIII.23, écrite en 93 – la publication du livre est de la fin 93 ou du début 948 – Martial répond à Rusticus, qui lui reproche d’être trop gourmand et cruel (il fait fouetter son cuisinier), par une boutade :
Esse tibi videor saevus nimiumque gulosus
qui propter cenam, Rustice, caedo cocum.
Si levis ista tibi flagrorum causa videtur,
ex qua vis causa vapulet ergo cocus ?9
8La situation est fictive, mais “Rusticus” peut évoquer une personnalité réelle.
9Le motif du cuisinier battu, traité comiquement, est classique dans la littérature “mimique”10 ; mais il pouvait donner matière à réflexion – sur le traitement des serviteurs et sur l’enchaînement des passions et des vices11. Rusticus, en moraliste, dénonce l’alliance de deux d’entre eux, dont le moyen terme est la colère : la gula (la gourmandise, “péché capital”) provoque chez le sensuel, quand elle est frustrée, la colère, qui le rend cruel : il fera donner les verges à son cuisinier pour une peccadille. Cet enchaînement gula>ira>saevitia est analysé dans le De ira cohibenda de Plutarque, dialogue conduit par le sénateur philhéllène Minicius Fundanus12, un colérique qui s’est réformé13 ; l’exemple du cuisinier occupe une place notable dans son exposé14.
10L’épigramme met sans doute en scène un personnage réel (c’est la seule occurrence du nom Rusticus dans les Épigrammes) dans une confrontation fictive avec Martial : un personnage en vue en 92-93 ? Il ne peut pas s’agir d’Antistius Rusticus, en poste en Cappadoce dans ces années15, mais, le cognomen Rusticus étant rare dans l’onomastique sénatoriale16, sans doute de (Q. Iunius) Arulenus Rusticus, membre éminent du “parti des philosophes” au sénat et l’une des principales victimes de la purge de l’automne 93 ; il avait pourtant été consul suffect dans le dernier nundinum de 92. Comme Minicius Fundanus, c’était un ami et protecteur de Plutarque17, qui l’évoque – le passage est célèbre18 – dans le De curiositate19 : alors qu’il donnait à Rome une conférence, un soldat (un prétorien ?) apporta pour Rusticus un message de l’empereur. Le sénateur voulut attendre pour en prendre connaissance que le conférencier ait terminé son propos, ce qui fit que “tous admirèrent la dignité de cet homme” : c’était un bel exemple de maîtrise de soi. On date hypothétiquement l’épisode de 92, année où, pour la troisième fois ( ?) Plutarque vint à Rome20 ; C. P. Jones place la conférence au cours de l’année du consulat de Rusticus, peut-être des mois où il fut en fonctions (septembre à décembre)21.
11Plutarque ne précise pas quel était le thème de sa conférence ; nous supposons qu’il traitait (entre autres ?) De cohibenda ira, donnant l’exemple que mentionnera plus tard Minicius Fundanus du cuisinier fouetté “pour un rôti brûlé”22. Des considérations morales appuyées d’exemples concrets étaient de nature à intéresser un public Romain, et en particulier l’excellent Minicius Fundanus, qui pouvait23 se trouver dans l’auditorium comme Arulenus Rusticus : le De ira cohibenda dont il sera le protagoniste n’est pas un traité théorique définissant la colère, mais, pour une part, une étude de comportement qui par instant confine à l’autobiographie de Fundanus24. La conférence que mentionnera le De curiositate aurait préparé, en 92, la publication à paraître bien plus tard du De cohibenda ira.
12Les échos de l’actualité sociale et culturelle (ce serait en l’occurrence le cas), comme ceux de l’actualité politique, ne se font pas attendre des années dans l’œuvre de Martial : la pièce sur Iulianus et “Sabineius” a été écrite en 88 “sous le coup” de l’annonce de la victoire de Tapae. L’épigramme VIII.23 dut l’être au début de 93 ou à la toute fin de 92, alors que la publication du livre VII, en décembre, était arrêtée ; quand elle paraîtra, Rusticus aura disparu, ce qui n’empêchait nullement la publication. Quant à la manière dont Martial a connu les propos tenus par Plutarque dans sa conférence, c’est un point indéterminable : il a fort bien pu être dans l’assistance25 ; il a pu aussi les connaître par un ami comme Terentius Priscus, ou par la fama : nul doute que l’attitude du sénateur Rusticus, sa “dignité” ou sa liberté, ait fait du bruit26.
Plutarque, Terentius Priscus et Martial
Aretulla et son frère
13En dédiant son De defectu oraculorum à Terentius Priscus27 Plutarque, prêtre d’Apollon à Delphes et comme tel expert en matière Pythique28, était peut-être animé d’un secret espoir : les “oracles” et signes divinatoires avaient-ils totalement disparu ? Martial a donné par anticipation une réponse encourageante à cette supposée question dans une épigramme narrative consacrée à une femme qu’il nomme Aretulla (VIII.32, de 93) :
Aëra per tacitum delapsa sedentis in ipsos
fluxit Aretullae blanda columba sinus.
Luserat hoc casus, nisi inobservata maneret
permissaque sibi noluit abire fuga.
Si meliora piae fas est sperare sorori
et dominum mundi flectere vota valent,
haec a Sardois tibi forsitan exulis oris
fratre reversuro nuntia venit avis29.
14Le nom Aretulla semble une création de Martial30, formé sur celui de la ville d’Aretium très régulièrement31. Un nom de ce type, dans une famille, peut refléter une relation avec la ville étrusque, et précisément une origine32. Une femme originaire d’Arezzo serait toute désignée pour être la bénéficiaire d’un signe, interprété “à l’étrusque”33, donné par un vol d’oiseau34 : elle le reçoit dans la position augurale, assise35 ; le comportement de l’oiseau est surprenant : c’est un prodige36, pouvant présager le retour prochain de son frère, adressé à Aretulla depuis “les rivages de la Sardaigne” par un exilé. Ni ce dernier, ni le frère – qui ne se confondent pas37 – ne sont nommés par Martial.
15Terentius Priscus, riche Romain dont Martial enseigne qu’il voyagea, devait être intéressé, et peut-être concerné par la divination, si la dédicace que lui fait Plutarque du De defectu oraculorum n’est pas une politesse formelle38 à l’égard d’une vague relation39. C’était un Tarraconais ; Martial, qui lui dédie en 101-102 son dernier livre, le montre revenant au pays, où il se trouve lui-même, après six ans d’absence40 ; dans l’épigramme XII.14 il évoque sa pratique du sport, très prisé de la gentry de Tarraconaise, de la chasse à courre au lièvre sur un veredus41 : il se livre avec trop de fougue à cette pratique en elle-même violente42. Mais cela ne prouve pas que son ultima origo soit espagnole : une famille descendant de colons immigrés d’une ville italienne peut avoir fait souche dans une cité de Tarraconaise devenue sa patria43 et conserver des attaches avec son pays d’origine lointaine, susceptibles de se traduire dans l’onomastique de tel de ses membres : un compatriote de Martial qui, lui, est “indigène”, pouvait ressentir l’Etrurie comme sa terre non pas natale, mais ancestrale. Ç’aurait été le cas de Terentius Priscus. Martial aime à évoquer la figure de Mécène44, pour la dernière fois dans l’épigramme XII.3 adressée à Terentius Priscus, qui fut son Mécène ; il y cite le premier vers des Odes d’Horace : “Ce que pour Flaccus (Horace) et Varius et le grand Maro45, fut Mécène, cheva1ier issu d’une lignée de rois, tu l’as été pour moi, Terentius Priscus : la renommée bavarde le dira aux nations et aux peuples, et mon poème devenu vieux”46. En Terentius Priscus se réincarne le généreux Tuscus eques47. De cet éloge, peut-être excessivement flatteur mais ingénieux, on est tenté de déduire deux conséquences : que Terentius Priscus était d’origine étrusque48, et que c’était, non un sénateur de rang inférieur, comme cela a été proposé (non sans vraisemblance)49, mais un chevalier.
16L’épigramme VIII.45 (de 93 comme VIII.32) annonce avec exultation à Flaccus, retenu à Chypre, le retour de Priscus “des rivages de l’Etna” :
Priscus ab Aetnaeis mihi, Flacce, Terentius oris
redditur : hanc lucem lactea gemma notet !50
17Mihi... redditur : l’expression implique sans doute, comme le redderis... nobis de l’épigramme qui salue le “retour à la vie” de Sura alors qu’il avait “presque bu l’eau du Léthé”51, que Priscus était retenu sur les rivages de l’Etna52 contre son gré ou par un devoir contraignant, librement consenti, comme un exil volontaire de comes exulis ; l’année 93 fut riche en occasions de dévouement53. Martial louera Terentius Priscus, en XII.3, d’avoir “sous un prince cruel et en des temps mauvais, osé être bon” ; il ne doit pas s’agir seulement de bonté du patron envers le poète – patronner le conformiste Martial ne supposait pas de courage : peut-être y a-t-il là allusion à un comportement politiquement courageux. C’est, en des termes comparables que dans deux pièces de l’année 9254 il avait fait l’éloge de son ami Q. Ovidius qui, à la fin du règne de Néron – le prince était cruel et les temps mauvais – avait suivi dans son exil en Sicile le grand ami de Sénèque Caesonius (dans Tacite Caesennius) Maximus, osant braver la furie d’un despote et, quand Néron condamnait Maximus, “condamnant Néron” : sed tu damnare Neronem/ausus es et profugi fata, non tua, sequi55 ; de même Maximus, sous un autre despote (Caligula) avait suivi son ami Sénèque dans son exil en Corse. Martial a placé immédiatement après les deux épigrammes à Q. Ovidius une pièce humoristique adressé à un patron du nom de Priscus, qui pourrait bien être Terentius Priscus : non qu’il ait prophétisé en 92 ce que serait en 93 la conduite de ce dernier, mais il a pu vouloir rapprocher deux amis qu’il connaissait pour être généreux et courageux ; au demeurant, l’épigramme à Priscus est sans relation thématique avec les éloges de Q. Ovidius. – Les rivages de l’Etna de VIII.45 ne sont pas les rivages Sardes de VIII.32 ? – mais un exul banni en Sardaigne peut recevoir l’autorisation de s’installer en Sicile par adoucissement de sa peine – et y être suivi par son comes.
18L’épigramme sur la colombe d’Aretulla ne prend pas fait et cause pour un proscrit et ne sollicite rien : elle donne voix aux espérances d’une sœur et à ses vota. Au reste, si Martial “ose” évoquer le rappel d’un banni, c’est qu’il sait que la décision est acquise, et que le “maître du monde”, dominus et deus, ne déteste pas être prié56. Le frère d’Aretulla, selon nous Terentius Priscus, n’est d’ailleurs pas le proscrit qui envoie le message de la colombe, mais son comes. Le comportement de l’oiseau symbolise sa situation d’exilé volontaire ; inobservata, donc libre, la colombe demeure là où elle s’est posée, se refusant à prendre la fuite – peut-être message double, jouant sur les deux sens de fuga, la fuite et l’exil : elle s’est réfugiée, venant de Sardaigne, dans les bras d’Aretulla, qu’elle refuse de quitter : le frère va rentrer ; mais aussi peut-être ( ?) elle ne fuira pas l’exil, alors qu’elle le peut (permissa sibi fuga). Aretulla espérait meliora, une amélioration : un transfert de l’exilé en Sicile, annonçant un rappel, est enviable pour qui vient de Sardaigne, dont la réputation était très mauvaise, ne serait-ce qu’en raison de son climat57. Relégué par Auguste à Tomis, Ovide suppliait en vain d’être rappelé ou du moins transféré en un lieu moins inhospitalier58 ; sous Domitien, le sénateur de rang prétorien Valerius Licinianus, poursuivi pour complicité avec la grande Vestale Cornelia, sauva d’abord sa tête par des aveux “politiques” et fut assigné à résidence en un lieu “agréable”59, puis autorisé par Nerva à s’établir en Sicile60, où il ouvrit une école de rhétorique latine61 et, quoique n’ayant plus le droit de porter la toge, annonça dans son premier cours : Latine declamaturus sum62. L’ami de Terentius Priscus ne dut pas séjourner longtemps dans la grande île, puisqu’on voit son comes regagner bientôt l’Italie63. L’épigramme VIII.32 a été écrite (ou est donnée pour telle par Martial) alors que le banni se trouvait encore “sur les rivages sardes”, mais savait que son élargissement progressif était décidé ; c’est lui qui adresse son message à Aretulla (peut-être s’y connaît-il en la matière). Martial ne le nomme pas : son identification suppose l’examen préalable de toutes les épigrammes de Martial qui peuvent concerner le comes.
Terentius Priscus dans les Épigrammes
19En 93 ou au tout début de l’année suivante, Priscus retrouve sa sœur ; en 91 il avait perdu un proche, mort en Espagne, Saloninus64 :
Sancta Salonini terris requiescit Hiberis
qua melior Stygias non videt umbra domos.
Sed lugere nefas : nam qui te, Prisce, reliquit
vivit qua voluit vivere parte magis65.
20Si l’on rapproche cette funéraire de l’épigramme IX.51 sur la mort de Lucanus, l’un des deux “frères Curvii”66, on songera à voir dans Saloninus, plutôt qu’un ami très proche, un frère, comme lui un être bon : Martial est attaché au motif catullien de l’amour fraternel67, qu’il aime figurer par le couple des Dioscures68. On ne trouve pas trace dans les Épigrammes d’autres attaches familiales pour Terentius Priscus. Une brève pièce de deux distiques69 adressés à un Priscus – mais est-ce lui ? – traite humoristiquement des relations qu’un mariage avec une riche épouse entraîne : on y reconnait le type comique de l’uxor dotata, et le trait satirique est de peu de conséquence. La question du mariage, abordée dans un tout autre esprit, intéressait Plutarque et ses amis Romains70 ; l’épigramme VIII.12, conventionnellement misogyne, n’est pas de nature à inclure dans ce cercle “Priscus”.
21Terentius Priscus aurait été pour Martial Mécène : (XII.3, 1-4). Si une comparaison flatteuse a quelque sens, et elle doit en avoir un71, elle implique que Priscus fut son patron dès les débuts de sa carrière ; on ne reconnaîtrait pourtant sa présence dans les Épigrammes qu’à partir du livre VI (année 89) ? Un distique du livre I, à notre sens volontairement ambigu, est adressé à un Priscus patron :
Cum te non nossem, dominum regemque vocabam :
nunc bene te novi : iam mihi Priscus eris72.
“Quand je ne te connaissais pas, je t’appelais ‘ seigneur et roi’ ; aujourd’hui je te connais bien : désormais, pour moi, tu seras Priscus”.
22Comprenons, avec M. Citroni, que Martial, client d’un Priscus (fictif), et ayant appris à connaitre sa ladrerie, s’abstiendra de l’appeler “seigneur et roi”, selon l’usage social des relations d’un client à son patron ; il sera “Priscus”, et le lien de clientèle est rompu. Comprenons aussi que, client d’un patron réel, Terentius Priscus, auquel il donnait les titres protocolaires de “seigneur et roi”, ayant appris à connaître l’homme qu’il est, l’appellera désormais par son cognomen, l’élément le plus individuel d’une nomenclature73 : déclaration d’amitié, sentiment rare entre un client et son patron, mais dont il est quelques exemples fameux, comme celui d’Horace ami de Mécène74. Un patron, dans la société des animaux, c’est le lion, redoutable, mais parfois débonnaire, comme celui de l’épigramme I.60, qui, nemorum dominus rexque, dédaigne de dévorer le lièvre qui le provoque (parce qu’il se nourrit de plus nobles proies...). Cette épigramme inspirée par un spectacle de l’amphithéâtre éclaire la pièce XII.92 que Martial adresse à un Priscus, le même que celui de I.112 – Terentius Priscus :
Saepe rogare soles qualis sim, Prisce, futurus
si fiam locuples simque repentepotens.
Quemquam posse putas mores narrare futuros ?
Dic mihi, si fias tu leo, qualis eris ?
“Tu me demandes souvent, Priscus, quel homme je serais si je devenais riche et acquérais soudain un grand crédit. Crois-tu qu’on puisse jamais dire quel caractère on peut avoir un jour ? Dis-moi, si tu deviens jamais lion, quelle espèce de 1ion seras-tu ?” – Sans doute un bon lion75.
23Bon patron, Terentius Priscus était assurément un homme riche, mais Martial ne donne pratiquement aucune indication sur ce que pouvaient être ses activités, s’il en avait. Il voyageait76 et l’on peut supposer chez ce chevalier une vie occupée de negotiator, banquier, homme d’affaires. Sur un ton plus recueilli qu’il n’est habituel chez lui, surtout dans un poème de Saturnales, Martial célèbre la fête du vieux dieu de l’âge d’or, qui ramène dans sa demeure de Tarraconaise Terentius Priscus, après six ans d’absence : il rentre de Rome77 ; manifestement, Martial a assisté aux festivités. Priscus semble avoir été un dévot de Saturne, ce qui s’accorderait bien avec de lointaines origines italiques78 : en l’honneur du dieu d’un temps qui ne connaissait pas le travail, ni le commerce, ni la navigation, d’un monde antique et mythique qui n’était pas encore entré dans l’histoire, l’homme supposé actif est revenu prendre des vacances dans sa patrie et a organisé chez lui pour les Saturnales (17-19 Décembre 101 ?) une réception : moment de bombance offert à ses hôtes par le maître de maison, homme économe et bon “père de famille” (peut-être célibataire) : et pater et frugi sic tua sacra colit79. Les victuailles surabondent et les jetons d’une loterie témoignent d’une opulence qui réjouit le dieu, car ce sont largesses d’un homme ménager de son bien ; conduite dont les origines sont religieuses : pour honorer le dieu anti-économique qu’est Saturne, on dépense pendant trois jours, d’autant plus volontiers qu’on est un homo economicus.
24Terentius Priscus était aussi un intellectuel intéressé par les questions littéraires et philosophiques, et un écrivain. En 93 Martial moque un Priscus (Terentius ?) sur une tentative poétique dans l’épigramme VII.46 : voulant offrir à son protégé un poème, comme il est normal qu’un patron offre un munus à un client, Priscus a voulu surpasser “le poète de Méonie” ; mais sa Thalie n’est pas Calliope, et se tait ; il se met et met Martial au supplice. Ce dernier l’invite à garder les poèmes et les élégies sonores pour les riches, et à offrir aux pauvres des cadeaux plus prosaïques80. L’épigramme est malicieuse, nullement inamicale. Horace n’aurait pas parlé sur ce ton à Mécène de ses productions poétiques ; mais les relations de Martial avec ses patrons étaient parfois très familières81.
25En 98, il prend Priscus pour juge dans une querelle qui le soucie ; un poète ami du mystère et de l’anonymat veut lui faire porter la paternité de méchants vers qui pourraient lui faire grand tort : témoigner de son innocence, que Pline, qui le connaît fort bien, garantit82, suppose des compétences en matière de littérature. Il doit s’agir de Terentius Priscus. En 101, revenu à Bilbilis depuis 98 et resté depuis lors silencieux, Martial lui adresse la lettre-préface de son dernier livre, une superbe page de critique littéraire où il s’explique auprès d’un connaisseur sur les raisons de sa “paresse” de trois années ; il y analyse ce qui, à Rome, avait alimenté sa création épigrammatique : propos qui ne peuvent intéresser un patron et ami que s’il est lui-même quelque peu homme de plume.
26Pour ce qui est de la philosophie, Martial avait écrit en 94 l’importante épigramme IX.77 où il faisait l’éloge des pages éloquentes que Priscus83 avait consacrées au meilleur type de banquet – un sujet qui par excellence relève de la littérature “symposiaque” :
Quod optimum sit disputat convivium
facunda Prisci pagina
et multa dulci, multa sublimi refert
sed cuncta docto pectore.
Quod optimum sit quaeritis convivium?
In quo choraules non erit84.
27Quoique docto pectore puisse aisément s’appliquer à un poète, disputat suggère plutôt qu’il s’agissait d’un essai en prose. La littérature consacrée au banquet étant, en Grec surtout, très riche et multiforme, il serait vain de spéculer sur ce que pouvait être la disputatio de Priscus : le sujet, très général, pouvait être traité sous des angles très divers ; il pouvait fournir la matière de nombre de “questions” du genre de celles que Plutarque réunira dans ses Symposiaka (“Propos de Table”) : neuf livres de Quaestiones Convivales dédiés à Sosius Senecio ; on y trouve débattues des questions85 comme celle de savoir “s’il convient de se couronner dans les banquets”86. Une autre, de sujet beaucoup plus important, et susceptible d’éclairer la boutade du vers 6 de l’épigramme de Martial, expose longuement “que l’on doit particulièrement se garder des plaisirs que procure” dans les banquets “une mauvaise musique, et de quelle manière”87. La discussion est présidée par Callistratos, aimable et savant ami de Plutarque et éminent Delphien qui avait été épimélète des Amphictyons lors des Jeux Pythiques, qu’il présida à une date imprécisée entre la fin du règne de Néron et le début de celui de Domitien : un personnage dont on retrouve le nom, et sans doute plus que le nom, dans l’épigramme IX. 95b sur Athénagoras88. Depuis Platon, la philosophie méditait sur l’influence que peut avoir sur l’âme le jeu de la flûte – accompagnement habituel des banquets. L’incident qui fournit dans Plutarque le point de départ de la discussion sur la musique est créé par l’arrivée d’un choraulète89 que Callistratos, président des Pythia, avait exclu du concours de flûte pour cause de retard90, mais néanmoins invité au banquet qui le suit.
28Le jeu du choraulète peut illustrer l’effet délétère que la musique, selon les modes, les tons, les intervalles, peut avoir sur l’âme humaine : il en est de diaboliques, œuvre des Sirènes et non plus des Muses qui doit être proscrite du banquet. Priscus, membre d’un cercle débattant de ce genre de question bien avant la publication du livre VII des Symposiaka, la traitait sans doute dans sa facunda pagina. Martial s’empare du thème en épigrammatiste, sans se préoccuper de sa dimension philosophique ou éthique, et exprime sarcastiquement son peu de sympathie pour une profession qu’il dédaigne (ou affecte de dédaigner) et jalouse91. Pétrone, dans son Banquet – la Cena Trimalchionis – avait fait une place considérable à la symphonia dont les stridences accompagnent la montée ad summam nauseam du malaise des convives92. Martial paraît connaître Trimalcion93.
L’exilé de l’épigramme VIII.32 à Aretulla
29Pour répondre à la “question” (non exprimée en ces termes) de savoir comment s’explique la disparition des oracles – plusieurs réponses y seront apportées dans le De defectu oraculorum par Plutarque – l’auteur, après la dédicace à Terentius Priscus, fait apparaître plusieurs figures de grands voyageurs, dont l’expérience peut amorcer le débat.
30C’est d’abord le Lacédémonien Cléombrotos, esprit curieux de philosophie mais dénué de sens critique, qui renseigne sur le sanctuaire du dieu Hammon en Égypte et sur la visite qu’il rendit à un “barbare” des bords de la mer Étythrée94 ; puis le grammairien Démétrios de Tarse qui arrive de Bretagne, d’où il a mené, sur mandat de l’empereur, une enquête sur une île voisine. Après que ces deux étrangers ont été accueillis par deux proches de Plutarque, d’autres personnages se joignent au dialogue, d’abord le Cynique Didyme le Planétiade (le Vagabond), toujours en déplacement, et surtout l’historien Philippe qui raconte l’histoire de la voix mystérieuse entendue par le pilote Thamous, annonçant “le grand Pan est mort”95 – un récit de voyage par mer qui présente les caractères d’un document objectif : la chose aurait eu lieu sous Tibère, au cours d’une traversée entre la Grèce et l’Italie (une route bien connue de Plutarque). Les origines de ces personnages, leurs expéditions lointaines, inscrivent le traité dans une expérience “planétaire”, où la dédicace à Terentius Priscus trouve son sens. C’était un homme en déplacement, dont on connait avec certitude par Martial et Plutarque au moins trois ports d’attache : la Tarraconaise, Rome, et Delphes. C’est comme voyageur qu’il reçoit la dédicace du traité ; également, et plus encore, comme frère d’Aretulla.
31La dédicace, qui prend la forme très discrète d’une simple apostrophe liminaire – ὦ Τερέντιε Πρῖσκε – est intégrée à l’exposé d’une tradition du sanctuaire de Delphes : partis “des extrémités de la terre” pour en atteindre le centre, deux aigles et deux cygnes s’y rencontrèrent au lieu dit Pythô et vinrent se poser auprès de l’Omphalos – le “Nombril” du sanctuaire, et du monde. Quoique on ne doive pas, avertit Plutarque, scruter ce mythe comme un tableau à l’expertise96, on doit noter qu’il est raconté à un homme dont la sœur Aretulla avait reçu l’“oracle” le concernant sous la forme d’un vol de colombe, et qu’il réunit deux cygnes – oiseaux d’Apollon, dieu oraculaire – et deux aigles – oiseaux auguraux de la tradition italique et précisément étrusque97.
32L’interprétation du prodige de la colombe comme présage du retour de Terentius Priscus a fait l’objet d’une lecture dont on ne peut préciser quel fut l’auteur : Aretulla, qui reçoit le message dans la position de l’augure, paraît suggérer Martial ? Terentius Priscus rentré en Italie – car l’épigramme qui n’est pas document historique ni compte-rendu technique, a dû être écrite a posteriori ? L’exilé lui-même, peut-être expert, que le texte présente comme l’origine du message ? Quoi qu’il en soit, les exégètes ne disposaient que d’un indice : le nom de l’oiseau, columba, qui pouvait avoir valeur ominale (“nomen omen”) pour qui savait que Priscus se trouvait en Sardaigne et être signe de l’origine du vol : au nord-est d’Olbia, à l’angle nord-est de l’île, le Promuntorium Columbarium (Capo di Ferro) est bien situé “sur les rivages de la Sardaigne”98 ; en revanche la petite île de Columbaria, à l’angle nord-est de l’île d’Elbe, trop petite pour être île pénale, et très éloignée des côtes de Sardaigne, ne peut être en cause. Le poète courtisan, dans un livre dédié à l’empereur, ne se serait d’ailleurs pas soucié de désigner si précisément un lieu de bannissement.
33Dans son traité Sur l’exil, postérieur à la mort de Domitien, Plutarque consacre un long développement (cinq pages) au charme de la solitude dans les petites îles et à l’agrément d’une vie retirée, même dans l’exil : entre autres avantages, elle permet de recevoir la visite de fidèles amis : “dans une île ne viennent que les meilleurs de nos proches et de nos amis, conduits par l’affection et le désir de nous voir”99. Il écrit en philosophe, dont le point de vue paraît paradoxal : il a de ce qui tourmente les autres une vision sereine et par moments souriante ; mais là, c’est aussi l’homme qui parle, surchargé qu’il a été de tâches et de responsabilités, aspirant à prendre pour un temps quelque distance vis-à-vis de la vie publique. Et quelle importance la taille du lieu où l’on doit vivre peut-elle avoir ? “En quoi une vaste étendue de terre peut-elle contribuer au bonheur de la vie ?”100. Horace disait apparemment la même chose à Bullatius dans son Épître 1.11101, alors qu’il s’était peut-être rétiré, comme exilé, dans la petite Lébédos102 ; mais ce n’était qu’un temps du poéme, dépassé par le finale : la vraie vie est ici, non là-bas ; mais ici est partout si l’on a trouvé l’égalité de l’âme. Plutarque, pour sa part, défendra des îles de dimensions modestes, comme Thasos, contre les dénigrements que leur vaut l’aridité prétendue de leurs paysages. En homme de l’orient héllénique il évoque, quand il traite des îles pénales, la petite Gyaros103 et les Cyclades plutôt que Pandateria ou Pontia, qui parleraient moins à ses lecteurs grecs ; mais il connaît certainement les mers qui entourent l’Italie.
34Point pour notre propos important, il mentionne avec quelque détail la Sicile, dont l’étendue considérable ne lui paraît pas préférable à celle d’une petite île : il précise qu’il faut quatre jours pour en faire le tour ; Thucydide ayant indiqué que pour une circumnavigation il fallait presque huit jours à un navire de charge, et Strabon, citant Ephore, cinq jours et cinq nuits, il y a de bonnes chances pour que la durée donnée par Plutarque, sensiblement inférieure à celles qu’il pouvait trouver dans des sources livresques, corresponde à une expérience personnelle104.
35Plutarque ne souffle mot de la Sardaigne ; il est néanmoins le proscrit accompagné par Terentius Priscus dans son exil : sans doute n’aurait-il pas écrit ces pages, paradoxales voire provocantes pour l’opinion commune, si elles n’étaient justifiées par son expérience vécue. Présent à Rome en 92, il s’y trouvait encore, ou à nouveau, l’année suivante, lorsque eut lieu la seconde vague des expulsions de philosophes et d’astrologues105 ; son exil peut avoir été antérieur à l’affaire sénatoriale de l’automne 93 et à l’exécution de son patron Arulenus Rusticus. Cette donnée complète un peu la connaissance que l’on a de sa biographie à la fin du i er siècle, contribuant en particulier à expliquer l’hostilité dont il fait preuve envers les Flaviens106. Elle intéresse aussi une partie non négligeable de l’œuvre de Martial : si Terentius Priscus, qui porte bien son nom, fut pour Martial Mécène, il n’est pas indifférent d’apprendre que pour Plutarque il semble avoir été Pylade107.
Epponina et les siens
L’Amatorius de Plutarque : Epponina et ses fils
36Le dialogue sur l’amour de Plutarque peut dissiper le mystère qui entoure l’identité de la destinataire de l’épigramme IV.31 :
Quod cupis in nostris dicique legique libellis
et nonnullus honos creditur iste tibi,
ne valeam si non res est gratissima nobis
et volo te chartis inseruisse meis.
Sed tu nomen habes averso fonte sororum
impositum, mater quod tibi dura dedit,
quod nec Melpomene, quod nec Polyhymnia possit
nec pia cum Phoebo dicere Calliope.
Ergo aliquod gratum Musis tibi nomen adopta:
non belle semper dicitur “Hippodame”108.
37Quel est le verum nomen109 de cette femme ? Si l’épigramme est un arc bandé plus ou moins longuement pour décocher au dernier vers un trait – la flèche110 – amusé (ce doit être le cas ici) ou ravageur, lorsque l’exégèse fait difficulté – certaines sont d’apparence hermétique –, il convient de s’intéresser d’abord au trait, qui condense souvent l’essentiel du sens.
38L’inconnue est invitée à adopter, pour remplacer son vrai nom, une dénomination acceptable, et poétiquement “possible” : elle ne doit pas choisir “Hippodamè”, porté par plusieurs héroïnes fameuses de la mythologie, mais qui pourrait inspirer les amateurs d’équivoques gauloises. Un autre nom prestigieux, Andromachè, sans doute interprété par Martial comme celui d’une femme “qui combat comme un homme”, donne lieu à une plaisanterie très crue encore plus explicite : Hectoreo quotiens sederet uxor equo111. L’épigramme irrespectueuse (c’est le propre du genre) est un mélange original de sympathie (les deux premiers distiques sont plutôt amicaux) et d’ironie : elle n’attaque pas une personne, mais glose comiquement sur un nom.
39“Hippodamè”, à éviter, aurait au demeurant été un bon substitut du “nom réel” porté par la destinataire ; lequel, à en croire Martial, ne pouvait entrer dans un poème : ni les Muses ni Apollon lui-même n’auraient pu surmonter la difficulté qu’il présentait. C’est une galéjade : Martial exagère à plaisir l’aporie (métrique évidemment) à laquelle il se heurte, parce qu’il le veut bien ; elle ne doit exister que dans la forme qu’il a choisie, et choisie précisément pour elle : le “vrai nom” ne pouvait entrer métriquement dans le distique élégiaque. Il présentait donc soit la séquence d’une syllabe brève entre deux longues (et alors l’impossibilité était celle à laquelle s’était heurté Ovide avec le nom de son ami Tuticanus, dont il se tire par une série de licences désinvoltes112 – soit la succession de trois brèves : maxima difficultas comme dit Pline avec componction à son compatriote de Côme qui avait entrepris une épopée (en Grec ?) sur les guerres daciques113 : les noms “barbares” des Daces présentaient de telles séquences114. Martial, en règle générale, ne pratique pas la licence poétique115 et en l’occurrence il n’a aucune envie de le faire : s’il ne peut pas écrire le nom qui fait difficulté, c’est qu’il ne le veut pas.
40Ce nom était sans doute un barbarum et ferum nomen, comme dit Pline, que la malheureuse devait à une dura mater. C’est clair si l’on se souvient que mater peut désigner la “terre natale”116 : la destinataire était native d’un pays “barbare” (ni grec ni latin de langue), d’une terre qui pouvait sembler rude : c’est de cette origine qu’elle tirait un nom incompatible avec la métrique dactylique.
41Pour identifier et la terre et le nom, on ne dispose que de la morphologie d’“Hippodamè”, équivalent grec à écarter, mais déterminant, du nom recherché. Le radical du cheval, évidemment en cause (Hippodamè étant étymologiquement “dompteuse de chevaux”), hippo en grec, est en celtique Ep(p) o, qui a donné le nom de la déesse Epona, protectrice des mulets et des chevaux très populaire dans le monde romain des écuries117 ; la déesse est représentée par une figure féminine chevauchant un petit équidé ; de son nom dérive le théophorique féminin Epponina (ˉ ˘ ˉ ˘) : ce doit être le nom “barbare” de l’héroïne de Martial. Il avait été porté par l’épouse du prince gaulois (Lingon) Iulius Sabinus qui tenta d’usurper l’empire en 69-70 ; son exécution en 79, et celle d’Epponina, avaient eu du retentissement. Martial, dix ans après, écrit son épigramme : c’est une commémoration discrète, où l’on comprend qu’il n’ait pu ni voulu faire apparaître “en clair” le nom réel, et dont la tonalité – sympathie mais sarcasme – assez ambiguë s’explique par la personnalité et l’histoire de la dédicataire défunte : une figure héroïque modèle de fidélité conjugale et de virtus muliebris, et une rebelle118.
42Tacite, dans le récit des événements de l’année 69, rapporte la défaite de Sabinus et sa survie précaire, soutenue par des amis “constants” et par son épouse Epponina119 ; il annonce qu’il relatera le moment venu (année 79) la suite de l’aventure, qui dura neuf années, et sa fin ; ce récit s’est perdu avec la suite des Histoires. Plutarque, dans son traité “Sur l’amour”120 termine son propos par quelques pages consacrées à l’amour conjugal ; il fait de deux Gauloises, la Galate Camna et la Lingone Epponina des parangons de fidélité et apporte des renseignements précieux sur la dernière, qu’il nomme Empônè, ce qui selon lui signifierait “Héroïne”. Les époux Lingons s’étaient réfugiés dans un monument funéraire souterrain et vécurent “chez Hadès” pendant presque tout le règne de Vespasien ; au cours de sa vie recluse, Epponina-Empôné donna le jour à des jumeaux, “deux lionceaux” (c’était une lionne).
43L’un d’eux, Sabinus comme son père, devait rendre visite à Plutarque à Delphes, et a dû être pour lui un informateur de premier ordre : le récit des événements qui suivirent la défaite de Iulius Sabinus est étonnamment détaillé chez Plutarque ; en particulier il mentionne nommément à deux reprises un affranchi du prince, Martialis – donc un Iulius Martialis121 – qui joua un rôle de messager entre Sabinus (père) et Epponina : par son dévouement et son activité il permit aux deux époux de se retrouver dans l’hypogée ; il fit sans doute partie des amis sûrs dont parle Tacite. Aprés l’épisode mouvementé où il a la vedette, il disparaît de la narration de Plutarque, où tout est désormais centré sur Epponina et ses fils. Il n’est pas exclu qu’il ait survécu et qu’après quelques années de “retraite”, il ait repris une vie normale, pas forcément au pays des Lingons. Plutarque ne mentionne aucune mesure prise à son encontre – et atteste que les fils d’Epponina, dont le cas était évidemment différent, ne furent pas inquiétés : l’un des deux devint officier dans l’armée Romaine. À Rome, “peuple de la fides”, celle d’un affranchi envers son patron, même rebelle et mis hors-la loi, est une vertu majeure, qui pouvait valoir absolution d’un acte d’insoumission.
44Plutarque vint à Rome en 89, vingt ans après la révolte de Sabinus dix ans après l’exécution de Iulius Sabinus et d’Epponina. C’est de cette année que date l’épigramme IV. 31 sur cette dernière ; c’est cette année que selon nous on voit apparaître dans le même livre IV un personnage, à coup sûr jusque là absent des Épigrammes sous ce nom : Iulius Martialis (la nomenclature est très banale) ; cette conjonction chronologique doit être signifiante, sans qu’on soit en mesure de déterminer dans quel sens se sont exercées influences ou interventions éventuelles. On rappellera seulement que des contacts entre Plutarque et Martial pouvaient être établis au moins indirectement par Terentius Priscus, et que Plutarque a pu s’intéresser à Epponina et aux siens bien avant d’en parler dans son Amatorius (postérieur à la mort de Domitien en 96).
Iulius Martialis, ami de Martial
45La nomenclature “Iulius Martialis”, indistinctive, ne peut à elle seule permettre une identification du personnage qui apparaît chez Martial avec l’épigramme IV.64. On identifie généralement122 cet ami dont Martial célébre l’hospitalité dans cette pièce remarquable avec Lucius Iulius, le “meilleur ami” du poéte : quand il prendra congé de ce dernier dans le “memento” qu’est XII. 34, Martial rappellera qu’ils ont été liés pendant trente-quatre ans (de 64 à 98). On crée ainsi un *Lucius Iulius Martialis à notre avis artificiel. À défaut de preuve irréfutable, divers indices plaident en faveur d’une distinction entre Lucius Iulius d’une part, Iulius Martialis d’autre part.
- Antérieurement à l’année 89, trois épigrammes sont adressées à un ami (sans doute le même) dont le gentilice est Iulius : I.15, I.107 et III.5 ; dans aucune n’apparaît le cognomen Martialis – parce qu’il ne pouvait entrer dans ces pièces en distiques élégiaques, dira-t-on. Mais pourquoi Martial, s’il s’adressait à un *Lucius Iulius Martialis, aurait-il choisi, dans les trois premières pièces qui le concerneraient, de le faire dans la forme métrique qui lui interdisait de faire usage du cognomen ?
- Iulius, en III.5, semble habiter au Champ-de-Mars, zone N123, alors que la délicate villa (ou domus) de Iulius Martialis est située au Monte Mario, dominant le Tibre, le pont Mulvius et le départ de la via Flaminia ; III.5 est de 88, IV.64 de 89. Ce n’est pas totalement inconciliable, mais la mention, avec localisation assez précise, de deux habitations pour le même personnage est improbable.
- L’évolution de la relation amicale avec Iulius Martialis suit une courbe régulière nettement tracée. L’épigramme IV.64, très élaborée et très sociale, est un long éloge qui présente, dans son cadre raffiné, le propriétaire désigné cérémonieusement par sa nomenclature complète au premier et au dernier vers du poème – mode de désignation repris en VII.17 pour l’envoi, à la bibliothèque de la même villa, des sept premiers livres des Épigrammes. Après cette présentation, l’expression de l’amitié progresse en s’approfondissant, jusqu’en 98 : “Iulius Martialis” de l’introduction du personnage en 89 devient care Martialis en V.20 de l’année 90, où la relation élective est établie, in primis mihi care Martialis en VI.l, l’un des meilleurs amis de Martial, mais non le premier comme l’était apparemment Iulius en I.15, iucundissime Martialis en X.47, sans doute écrite en 98, où l’étroitesse de l’association amicale est la plus marquée ; la tonalité de cette amitié fondée sur l’agrément est la même dans une épigramme du livre XI, adressée à Flaccus fin 96 : quid gaudiorum est Martialis et Baiae ! Martialis est pour Martial synonyme de charme et de joie. La relation qu’il a établie avec Lucius Iulius et son épouse est de tonalité assez différente : la note est celle d’une affection comme familiale, ancienne et éprouvée qui n’exclut ni les reproches (I.107.2 : desidiosus homo es, “tu es un paresseux”) ni les nuages (XII.34.3 : dulcia mixta sunt amaris, “les douceurs furent mêlées d’amertumes”)124.
46Iulius Martialis a été d’abord pour Martial un hôte parfait : l’épigramme IV.64, “lettre de château” quoique non épistolaire, doit être un remerciement pour une invitation ; l’éloge est dans le principe assez comparable à certaines Silves de Stace125. Martial vise aussi à faire connaître un homme et le domaine qui l’a accueilli, étroitement liés par la disjonction des éléments de nomenclature qui encadrent les “quelques arpents” de sa propriété : Iuli iugera pauca Martialis ; l’allitération Iu(li) iu(gera) fond d’emblée l’hôte et le domaine en une unité expressive qui sera reprise dans le dernier vers, quand le poème, clos comme peu d’épigrammes le sont, se refermera sur sa perfection. Iulius Martialis, fortuné et généreux, était roi d’un petit paradis, tel un Alkinoos126 ou, réincarnation plus humoristique, un Molorchos – le berger qui reçut Hercule dans sa chaumière127 – “devenu riche” ; sa villa est comme lui simple, accueillante, “libérale”128. Il y mène une vie comme elle délicate : à deux reprises, quand il évoque cette campagne, “bel vedere” sur la Ville et la verdure qui l’environne, Martial emploie l’adjectif delicatus129. Homme de culture, il y dispose d’une bibliothèque, apparemment riche en ouvrages de poésie, à laquelle Martial adressera l’épigramme VII.17 : Ruris bibliotheca delicati, variation sur Iuli iugera pauca Martialis, reprise au dernier vers dans l’écho Iuli bibliotheca Martialis. Sans être lui-même poète, Martialis avait quelque compétence en la matière, puisque Martial lui avait, un an plus tôt, envoyé et dédié son livre VI :
Sextus mittitur hic tibi libellus
in primis mihi care Martialis,
quem si terseris aure diligenti
audebit minus anxius tremensque
in magnas domini venire manus130.
47L’amitié des deux hommes ne reposait pas seulement sur le partage des plaisirs d’une vie opportune, elle vivait aussi d’échanges littéraires : les livres d’Épigrammes adressés à la bibliothèque par VII. 17 seront amendés de la main de l’auteur – ce qui donnera du prix à l’hommage –, et en VI. 1 la dédicace prend la forme d’une demande de correction131 : Iulius Martialis était un lettré.
48Richesse, distinction et culture sont très compatibles avec un statut d’affranchi ; c’est dans cette catégorie sociale, souvent très cultivée, que les empereurs choisissaient parfois les responsables, éminents personnages, des bibliothèques du Palatin, tel C. Iulius Hyginus, éditeur de plusieurs œuvres d’Ovide. Martial ne manquera pas de courtiser un haut fonctionnaire de la chancellerie comme Sextus132.
49Aussi riche et peut-être influent qu’il ait été, l’Alkinoos de IV. 64 était comme Martial un dépendant ; l’épigramme V. 20 lui conte un rêve du poète : celui d’une vie où tous deux, et ensemble, vivraient pour eux-mêmes :
Si tecum mihi, care Martialis,
securis liceat frui diebus,
si disponere tempus otiosum
et verae pariter vacare vitae,
nec nos atria nec domos potentum
nec litis tetricas forumque triste
nossemus nec imagines superbas
sed gestatio, fabulae, libelli,
campus, porticus, umbra, Virgo, thermae,
haec essent loca semper, hilabores.
Nunc vivit necuter sibi, bonosque soles
effugere atque abire sentit
qui nobis pereunt etimputantur.
Quisquam, vivere cum sciat, moratur ?133
50Aucune obligation professionnelle ne pèse sur Martial : c’est la condition de client qui lui est à charge. Il doit en être de même pour Iulius Martialis et il n’est sans doute pas nécessaire de lui supposer une activité juridique comme celle d’avocat134 pour expliquer litis tetricas forumque triste parmi les contraintes dont les deux amis voudraient être libérés pariter ; l’affranchi, tant que son patron vit ou a une descendance, reste lié par des officia, comme le devoir d’escorter et d’assister en justice. Si Iulius Martialis est bien l’affranchi dont Plutarque atteste l’existence dans son Amatorius, son statut juridique était inférieur à celui de Martial, mais sa supériorité financière rétablissait l’équilibre : ils sont pares amici135. Dans la dernière épigramme qu’il adresse au iucundissimus Martialis, Martial énumère les conditions d’une vie heureuse : entre autres et en bonne place figurent l’égalité dans les amitiés et la volonté d’être ce qu’on est et rien de plus136. L’épigramme qui suit immédiatement (X. 48) invite à une cena six amis, dont plusieurs sont des sénateurs ; Martialis est exclu par son cognomen, qui ne peut figurer dans une pièce en distiques élégiaques – exclusion soigneusement compensée à l’avance par celle qui la précède ; mais elle a peut-être été aussi commandée par des raisons sociales.
51Que Martial ait pu se lier d’une amitié étroite avec un affranchi Gaulois surprend : mais qui a pu commanditer l’épigramme sur Epponina137 ? Et, pour anticiper un peu, par qui a-t-il connu ses fils138 ? Martial connaissait peut-être la Narbonnaise, et certaines cités où il a parfois sûrement des relations : la pulchra Vienna – d’où venait du vin à la poix commercialisé par Romulus139 –, Narbonne où il connaît M. Votienus, Toulouse, patrie de M. Antonius Primus140 ; mais les trois Gaules et leurs cités semblent lui être étrangères : à l’exception de Burdigala, dont le nom lui paraît “épais”141, et le pays Lingon142 ; celui des Santons (Saintes) ne figure que sous la forme de l’adjectif Santonicus qualifiant le bardocucullus, une cape gauloise à capuchon143.
52Cette rareté des mentions des pays Gaulois ne prouve rien ; Martial n’était pas d’une origine ethnique radicalement différente : c’est un Celtibère, d’origine indigène144, profondément romanisé mais très attaché à son pays d’origine ; il en aime les toponymes, rustica nomina qu’il égrène dans des épigrammes à des compatriotes145, et qui n’ont rien à envier à la crassa Burdigala et sont aussi “barbares” que le nom Epponina.
Varus, fils d’Epponina et de Iulius Sabinus
53Le frère du Sabinus qui rendit visite à Plutarque à Delphes “tomba en Égypte”146 – le mot implique qu’il servait dans l’armée. Cette mort serait indatable et le nom de Varus resterait inconnu, n’était une funéraire célébrant un centurion tombé “au pays de Lagos” – X.26, de 95 ou 98147 :
Vare, Paraetonias Latia modo vite per urbes
nobilis et centum dux memorande viris,
at nunc Ausonio frustra promisse Quirino,
hospita Lagei litoris umbraiaces.
Spargere non licuit frigentia fletibus ora
pinguia nec maestis addere tura rogis;
sed datur aeterno victurum carmine nomen;
numquid et hoc, fallax Nile, negare potes?148
54Cette funéraire solennelle, ambitieuse, reste assez personnelle. L’invective un peu conventionnelle contre le “Nil trompeur” du vers 8 suggère que ce fut à la suite de quelque traîtrise dans un incident peut-être tout local, plutôt qu’au combat, que Varus tomba, d’une mort plus pathétique que glorieuse149. L’épigramme, en plusieurs endroits, fait néanmoins écho à la Pharsale ; au vers 1, Latia... vite rappelle ceux par lesquels Lucain présente l’héroïque centurion césarien Scaeva150 ; Paraetonias aussi vient de Lucain151 ; le vers 4 mentionnant “le rivage de Lagos” sur lequel gît “l’ombre étrangère” se souvient de la mort par traîtrise de Pompée (à laquelle Martial avait consacré l’épigramme V. 74) – et l’adjectif Lagoeus est emprunté à l’épopée ; hospita peut renvoyer à deux expressions de Lucain152 ; et la promesse d’une survie du nom de Varus combine sans doute les souvenirs de deux passages de la Pharsale : la laudatio funebris du centurion Scaeva, et l’affirmation par le poète de la pérennité de son œuvre : Pharsalia nostra vivet et a nullo tenebris damnabitur aevo (IX.985-986).
55Varus occupait un rang modeste dans l’armée de Rome ; mais Martial hausse à l’épique le ton de son épigramme, parce que la mort d’un être jeune à la guerre est source d’un pathétique rappelant les déplorations par de vieux parents (Martial assume le rôle d’un père) de jeunes gens tués au combat : ainsi les plaintes de la mère d’Euryale et d’Évandre, père de Pallas, dans l’Énéide ; il culmine dans le non licuit du vers 5, inspiré des vers 486-487 du chant IX de l’Énéide : “et moi, ta mère, je n’ai pu ni mener tes funérailles, ni fermer tes yeux, ni laver tes blessures…” : Martial imite et innove. Il n’aurait cependant pas consacré une épigramme funéraire de cette tonalité héroïque à un jeune officier qui aurait été un personnage socialement insignifiant : la facture tient pour une part aux lieux où le jeune homme est tombé et aux souvenirs qui s’y attachent ; elle tient aussi à l’origine de Varus, fils du rebelle de l’année 69, voué dès l’origine, dirait-on, à la tragédie.
56Le grade, honorable mais subalterne, que le pouvoir lui a permis d’occuper est “emblématique” de ce qu’était la pax Romana : le fils de l’usurpateur a conservé ses droits civiques et l’ordre impérial lui a fait une place, modeste au moins au départ, dans l’armée ; et naturellement il a été affecté à un poste très éloigné de sa Germanie Supérieure natale.
Sabinus fils d’Epponina et sa couronne de roses
57Identifier Sabinus le jeune dans les Épigrammes est une tâche beaucoup moins aisée que de reconnaître son frère Varus dans l’officier mort en Egypte : Varus n’apparaît que dans X.26 tandis que le cognomen Sabinus, d’une banalité à première vue décourageante, est porté par au moins cinq destinataires153. Martial avait un ami et protecteur important, C. Caesius Sabinus de Sarsina, auquel il destine indubitablement deux épigrammes : on a assez naturellement pensé154 que toutes les épigrammes où apparaît un Sabinus concernaient cet ami ; ce serait en particulier la cas du Sabinus de IX.60 qu’on juge identique au dédicataire l’épigramme toute voisine IX. 58, qui est C. Caesius de Sarsina : phénomène de duplication à courte distance dont l’œuvre de Martial présente bien des exemples155.
IX.60 “envoie” une couronne de roses à Sabinus :
Seu tu Paestanis genita es seu Tiburis arvis
seu rubuit tellus Tuscula flore tuo
seu Praenestino te vilica legit in horto
seu modo Campani gloria ruris eras,
pulchrior ut nostro videare Sabino
de Nomentano te putet esse meo.
“Que tu sois née dans les champs de Paestum ou dans ceux de Tibur, que la terre de Tusculum ait rougi sous tes fleurs, qu’à Préneste la fermière t’ait cueillie dans le jardin ou que tu aies été tout-à-l’heure la gloire des campagnes de Campanie, afin que tu paraisses plus belle à mon ami Sabinus, qu’il croie que tu viens de mon domaine de Nomentum”.
58L’épigramme fait partie d’un groupe de quatre pièces en distiques élégiaques (IX.58 à IX.61)156, délimité par un encadrement d’épigrammes en hendécasyllabes (IX.57 et IX.62). Au premier abord, il est composé de deux parties presque égales et parallèles : d’un côté une brève épigramme de quatre distiques (IX.58) adressée à la Nymphe du lac de Sarsina à laquelle C. Caesius Sabinus avait dédié un petit temple suivie d’une longue pièce de onze distiques (IX.59) décrivant les déambulations d’un nommé Mamurra dans les Saepta ; de l’autre l’envoi à Sabinus de trois distiques suivi de la longue pièce IX.61, de onze distiques, exactement égale à IX.59 : elle est consacrée au platane gigantesque qu’avait jadis planté César dans une domus hospitalière de Bétique.
59Cette organisation, aussi visible qu’elle soit, ne traduit pas la structure essentielle : la régularité n’est qu’approximative, IX.58 et IX.60 étant de taille légèrement inégale ; or, dans un ensemble aussi manifestement concerté, la moindre dissymétrie doit être significative ; les deux épigrammes courtes n’ont en commun que d’être adressées l’une et l’autre indirectement à son destinataire humain, la première par l’intermédiaire de la Nymphe honorée par C. Caesius Sabinus, la seconde par la couronne de roses, objet de l’envoi à Sabinus ; pour le reste tout les distingue, sujet et traitement. Il en ressort que les deux destinataires sont différents : le Sabinus de IX.60 n’est pas C. Caesius Sabinus.
60Les deux épigrammes longues IX.59 et IX.61, exactement parallèles, présentent, en dépit de l’évidente différence des sujets, de frappantes similitudes formelles dans leur ouverture : au hic ubi de IX.59.2 correspond le qua de IX.61.2 ; les deux textes commencent par une localisation (In Saeptis/In Tartesiacis... terris) et exposent le même thème de l’opulence : de part et d’autre or et richesse. Ces deux poèmes, qui présenteront à plus ample examen, une profonde parenté d’inspiration, encadrent l’envoi des roses à Sabinus : là est la structure de l’ensemble significative, tripartite et non bipartite ; l’épigramme à la Nymphe de Sarsina, ironique et aux antipodes de l’inspiration de l’envoi des roses, est à cet égard une fausse fenêtre.
61L’inspiration des deux épigrammes qui encadrent la vignette centrale est césarienne : c’est la clef de l’identification de Sabinus. C’est très évident pour IX.61 sur le platane de Bétique ; mais, d’une tout autre manière, l’épigramme sur Mamurra est “césarienne” et ce personnage fictif, véritable “caractère” qui a pu inspirer La Bruyère, porte un nom qui, pour tout lecteur de Catulle, évoquait la conquête des Gaules et César. Le cadre dans lequel il déambule est fourni par les Saepta, c’est-à-dire les Saepta Iulia, que César avait fait reconstruire et somptueusement embellir157.
62C’est entre IX.60 (envoi à Sabinus) et IX.61 que les relations les plus précises et les plus étroites ont été ménagées. Le motif de la couronne de roses, cœur de IX.60, reparaît aux vers 17-18 de IX.6l ; au rubuit tellus de IX.60.2 fait écho le rubor de IX.61.17 ; à la couronne envoyée à Sabinus (corona, IX.60.5) font pendant les couronnes des fêtes qui se donnaient sous le platane de César : leurs pétales, au matin, jonchaient l’herbe : hesternisque rubens + delecta + est herba coronis (IX.11.17). L’épigramme à Sabinus est tout entière bâtie sur une incertitude : quel que soit le lieu de naissance des roses, que Sabinus croie (putet) qu’elles sont nées dans le domaine du poète. Le questionnement n’a-t-il aucune relation avec la légende que Iulius Sabinus avait fait courir sur son origine ? Il se prétendait descendant de César et s’était fait saluer “César” lors de sa tentative d’usurpation158.
63C’est en Bétique que le conquérant, hospes invictus, planta le platane au cœur d’une domus ; mais en regard de ce “César en Espagne” qu’est IX.61, Martial a placé, “en miroir” pour ainsi dire, un “Mamurra aux Saepta” : il suggère un “César en Gaule” – la Gaule où aurait eu lieu l’épisode inventé159 sur l’origine de Sabinus le père. C’est à la conquête qu’est attaché le nom de Mamurra, en raison des violentes attaques de Catulle contre “le banqueroutier de Formies”, terreur de la Gaule et de la Bretagne : timent<que> Galliae hunc, timent Britanniae160. Le carmen 29 ne vise pas seulement le pillage des richesses de la Gaule, mais aussi les exploits sexuels de celui qui perambula(ba)t omnia cubilia / ut albulus columbus, complice de César dans ce domaine également161. Martial ne souffle évidemment pas mot des origines légendaires de Sabinus et préfère questionner les roses sur leur lieu de naissance : seu... seu... seu … seu : l’illusion que le dernier distique suggère à la couronne, et qui ne peut exister pour Sabinus que comme donnée textuelle162, rendrait pour lui les roses plus belles, parce ce que le cadeau semblerait plus amical : “pour que, ô couronne, tu sembles plus belle à mon cher Sabinus, laisse-lui croire que tu viens de mon domaine de Nomentum”.
64L’encadrement de l’envoi permet d’interpréter l’ensemble des trois épigrammes et d’identifier Sabinus : il doit s’agir du second fils d’Epponina.
Iulius Sabinus le prince Lingon dans une fiction allusive
65Un Gaulois Lingon, unique Gaulois des Épigrammes, figure dans la pièce VIII.75 qui met en scène un curieux fait divers. Le personnage, anonyme, récemment arrivé à Rome de son pays natal163, alors qu’il regagnait de nuit son 1ogis, se foule la cheville et reste immobilisé ; son esclave, chétif, étant incapable de porter son maître gigantesque164, il supplie quatre inscripti165 qui portaient un cadavre au bûcher de le secourir : chargé dans une sandapila166, il se fait ainsi brancarder jusque chez lui. La chute de l’épigramme, qui est adessée à un Lucanus, joue sur une expression familière du monde de la gladiature : l’invective “ mortue Galle” par laquelle le rétiaire provoque le mirmillon, coiffé d’un casque Gaulois ; le Lingon était entre tous l’homme à qui on pouvait adresser le sarcasme “Gaulois déjà mort”.
66Que l’anecdote ait été inventée par Martial (un peu laborieusement) ou qu’elle soit empruntée à l’actualité de la Ville, une allusion nous paraît probable au prince Lingon Iulius Sabinus, “porté sur le pavois”167 par ses compatriotes lors de la révolte de 69, qui se terra dans un hypogée où il vécut neuf années “chez Hadès”, passant pour mort168. Le Lucanus auquel Martial adresse l’épigramme pourrait être Domitius Lucanus, l’un des deux “frères Curvii”169, nouveaux Dioscures : Martial lui adressera peu après, aux Enfers, l’épigramme XI.51. Mais il était sans doute encore vivant au moment où Martial écrit VIII.75. De sorte qu’il nous semble qu’un autre Lucanus aurait des titres supérieurs à faire valoir : le poète Lucain dont la Pharsale inspirera profondément l’épigramme funéraire de Varus, X.26. Il n’était pas étranger au monde de la gladiature, car le munus qu’il avait donné au peuple lors de sa questure avait fait date170, et son œuvre poétique171 témoigne de son intérêt pour celui des Enfers : la Vie de Vacca mentionne un poème (perdu) sur l’univers souterrain, Catachtonion172, et la Pharsale révèle sa fascination étrange pour les confins de la vie et de la mort, dans la longue scène de nécromancie à laquelle se livre la sorcière Erichto173. La mise en scène par Martial de la mésaventure, comiquement transposée, du “mort-vivant” de l’hypogée, si c’est bien de cela qu’il s’agit, l’aurait pris assez naturellement pour témoin “chez Hadès” : elle avait comme une sorte de précédent dans l’épopée du Bellum Civile.
Athenagoras
67“Athénagoras”, nom donné par convention à un personnage apparemment fictif, qui peut faire allusion à un être réel, n’apparaît que dans deux épigrammes. Dans la première, de 93, qui comprend deux distiques, il est trois fois nommé (trois nominatifs) (VIII.41) :
“Tristis Athenagoras non misit munera nobis
quae medio brumae mittere mense solet.”
–An sit Athenagoras tristis, Faustine, videbo:
me certe tristem fecit Athenagoras174.
68Le dialogue entre Faustinus, qui parle dans le premier distique, et Martial qui lui répond dans le second, joue sur les deux sens de tristis : “en deuil” (sens objectif) et “affligé” (sens subjectif). A son patron qui fait valoir qu’Athénagoras, en deuil, ne lui a pas envoyé cette année les traditionnels présents de Saturnales (qu’il transmettait à son client), ce dernier, déçu dans ses attentes, rétorque qu’en tout cas c’est lui, Martial, qui est “endeuillé”.
69L’adjectif tristis et le substantif correspondant (tristitia ou tristities) peuvent s’appliquer à toutes sortes de deuils, mais particulièrement, chez Martial, au veuvage – parce que la dualité de sens permettait des traits de satire faciles sur le mariage175. Faustinus, l’interlocuteur de Martial, est un personnage très réel, qui avait déjà reçu la fiction allusive III.25 sur Iulianus et Sabineius, et la triple nomination d’Athénagoras est une invitation à chercher une personne réelle derrière le masque du pseudonyme. La curiosité du lecteur ainsi piquée, Martial récidive dans le livre suivant et livre en deux temps de nouvelles “pistes” :
Alfius ante fuit, coepit nunc Olfius esse
uxorem postquam duxit Athenagoras IX.95
Nomen Athenagorae quaeris, Callistrate, verum.
Si scio, dispeream, qui sit Athenagoras.
Sed puta me verum, Callistrate, dicere nomen :
non ego, sed vester peccat Athenagoras IX.95 b176.
70Ces deux épigrammes indissociables, quoique de métrique différente, écrites en 94, doivent s’interpréter conjointement. Pour ce qui est de IX.95, nous ne retiendrons pas la suggestion de Calderini, à laquelle se rallie D.R. Shackleton Bailey, selon qui Olfius serait en rapport avec olere, qui ne nous paraît convaincante ni du point de vue de la forme, ni pour le fond177. H.C. Schnur178 a proposé une explication bien préférable : Olfius s’explique par Ὄλβιοϛ, équivalent du latin beatus (fortuné, riche) : Athénagoras s’est enrichi par son mariage179 ; il devient Olfius, d’Alfius qu’il était auparavant. Ce dernier nom, contrairement à Olfius qui est créé par Martial, est bien attesté180, et surtout c’est dans l’Épode II d’Horace181 celui que porte l’usurier qui pendant 65 vers fait un éloge lyrique des charmes de la vie simple de la campagne182 “Beatus ille qui procul negotiis...”, que suit la conclusion d’Horace (vers 66-70) : “Aussitôt que, ayant ainsi parlé, l’usurier Alfius, si pressé de devenir campagnard, a eu fait rentrer aux Ides tout son argent, il cherche un placement pour les Calendes”183. Alfius (Athénagoras), double du chantre du Beatus ille est devenu beatus vir en se mariant. IX. 95 est à propos de ce mariage un jeu épigrammatique sur le poème “iambique” d’Horace, que Martial admirait beaucoup et qu’il a imité dans la grande épigramme III. 58 sur l’idyllique Baiana villa de... Faustinus.
71L’épigramme IX.95b prolonge et relance le jeu : VIII.41 faisait naître des questions sur l’identité d’Athénagoras ; IX.95 b n’a pas éclairé Callistrate, qui demande “quel est le vrai nom d’Athénagoras”. Martial répond en deux temps : d’abord par une dénégation ironique : “du diable si je sais qui est Athénagoras”, puis, par une apparente concession (vers 3), immédiatement suivie par une pirouette où il joue sur deux sens de peccare : “faire erreur” et, dans la langue érotique, faire une fausse route (le verbe valant alors pedicare).
72“Athénagoras” : Martial est coutumier, quand il emploie des noms grecs, d’allusions étymologiques plus ou moins fantaisistes184 ; dans l’épigramme V.35, il interprète comme signifiant “à la bonne clef” le nom Euclide qu’il prête à un personnage fictif qui veut se faire passer pour le maître d’une grande maison et qui, en laissant échapper une clef de son vêtement, révèle qu’il n’en est que le portier ou l’intendant ; Hippodamè conviendrait à une femme aux pratiques cavalières (IV.31) ; Athénagoras, nom très réel, à un homme qui parlerait (le grec) comme un Athénien (Ἀθην- + ἀγοράω) ; Martial pouvait en affubler un Romain hellénophile et/ou hellénophone.
73C’était le cas de Sosius (“monnaie métrique” d’Alfius/Olfius) Senecio, grand ami de Plutarque185 ; originaire d’Asie Mineure, descendant selon R. Syme d’une famille dynastique de Cilicie186, il pouvait avoir le grec pour langue maternelle. Il connaissait très vraisemblablement le Callistratos187 ami Delphien de Plutarque, qui apparaît à plusieurs reprises dans les “Propos de table” et qui préside le banquet du livre VII 706 E au cours duquel est traitée la question de la “mauvaise musique”. Martial ne devait ignorer ni l’existence de Senecio, ni au moins de nom celle de Callistratos qui a pu accompagner Plutarque dans un ou plusieurs de ses voyages Romains et qui était fort bien placé pour interroger (fictivement) Martial, au nom d’un groupe d’amis de Plutarque (ce que suggère le “ vester” Athenagoras de IX.95b. 4), sur le verum nomen de ce dernier. Quant à la plaisanterie sur le peccatum d’Athénagoras188, la comparaison avec l’épigramme XI.78 sur le mariage de Voconius Victor plaide en faveur de l’interprétation que nous retenons (elle est ancienne) : la chose est aux yeux de Martial une peccadille, elle est de pure fantaisie en l’occurrence, et ne pouvait offenser ni froisser personne189.
74L’identification d’Athénagoras avec Sosius Senecio est compatible avec la chronologie de la vie et de la carrière du sénateur. Les épigrammes qui concernent “Athénagoras” se rapportent à son ou ses mariages ; en 93, il est tristis – veuf, vraisemblablement190 ; en 94 il se (re) marie. Sosius Senecio, à peu près contemporain de Pline, né en 62, doit avoir vu le jour vers 60 ; sa questure en Achaïe, au cours de laquelle il rencontra Plutarque à Patras, à Chéronée et à Athènes, s’est placée entre 85 et 88191. Pour les étapes ultérieures de son cursus on dispose des fourchettes suivantes : le tribunat entre 90 et 92, la préture entre 93 et 94 – peut-être la même année que Pline, qui correspondra plus tard avec lui192. Les épigrammes de Martial en cause sont contemporaines de cette étape essentielle dans la carrière d’un sénateur : elle le qualifie pour des légations impériales. Peu de temps après, Senecio est nommé au commandement de la Ia Minervia, la légion de Bonn, dans la province de Germanie Inférieure alors gouvernée par L. Licinius Sura, un des grands protecteurs de Martial193. La suite de la carrière de Senecio, qui devient trés brillante à partir de 97, ne concerne plus Athénagoras.
75Frontin, grand ami de Martial, choisit Sosius Senecio pour gendre à une date non précisée ; que cette alliance date de 94 serait satisfaisant : Senecio peut être désigné pour son commandement légionnaire ; sur le même front, en 69-70, Frontin s’était illustré, sous le commandement de Q. Petillius Cerialis194, à la tête d’une légion imprécisée, en recevant la reddition de 70.000 Lingons en armes195. Un grand sénateur, homme de guerre et de lettres, aurait choisi pour gendre, alors qu’il était jeune praetorius, Senecio dont la vocation s’accordait à la sienne ; il ne manqua en tout cas pas de flair : ce gendre, intime de Plutarque, sera l’un des meilleurs généraux de Trajan dans les guerres daciques196.
76Le gendre aurait eu environ 35 ans : c’est tard pour le premier mariage d’un sénateur197 ; peut-être se serait-il agi d’un remariage. Tout “comme Athénagoras” en tout cas Senecio, en épousant Iulia Frontina198, acquit une riche héritière pour femme : Fortunatus ille… Frontin possédait, entre autres biens considérables, une villa maritime à Anxur-Terracine, où il se distrayait avec Martial à des jeux d’écriture poétique199 : homme au demeurant le plus sérieux et même austère du monde200. Les distractions communes avec l’épigrammatiste confirmeraient au besoin que Martial n’a pas d’intention vraiment satirique dans la pièce IX. 95b, dont le dernier vers apporte simplement le “grain de sel” attendu dans une épigramme romaine ; il vise à faire rire le marié, son uxor dotata, et le beau-père201.
Épilogue
77Que diverses rencontres puissent apparaître entre les Épigrammes et l’entourage de Plutarque ne signifie nullement que Martial se soit senti proche du cercle de ses amis – Terentius Priscus mis à part –, ni, plus généralement, qu’il exprime dans son œuvre de la sympathie pour l’hellénisme : ce serait surprenant de la part de l’ami de Juvénal, dont la diatribe in Graecos de la troisième satire, sans doute largement déterminée par la persona du satirique, doit pour une part exprimer les sentiments de l’auteur. Il serait aisé de récolter dans les Épigrammes un florilège de traits hostiles à ce qui était ou passait pour “être grec” dans le domaine des mœurs. Ce n’est assurément pas le cas des épigrammes sur Athénagoras, où ce sont avant tout des noms qui sont en jeu : ils peuvent renvoyer à des réalités prosopographiques, mais établissent envers elles une distance amusée. Terentius Priscus a certes pu tisser des liens indirects entre deux de ses amis, mais sans les rapprocher pour autant.
78On voit cependant Martial en 90 (V.25) prendre avec une chaleur inhabituelle la défense d’un personnage – fictif – au nom grec, Chaerestratos, qui se voit expulsé, au théâtre, de la place qu’il avait occupée dans la partie des gradins réservée aux chevaliers – un édit de l’empereur ayant réactivé les dispositions de la lex Roscia Othonis202 de 67 avant n. è. qui leur attribuait les quatorze premiers rangs de sièges. Martial, petit chevalier très fier de cette noblesse, n’est ordinairement pas fâché de voir remis à leur place les plébéiens qui usurpaient ce privilège ; mais il s’émeut lorsque la victime de la discrimination est un homme de lettres distingué – même et surtout Grec : de sa place “réservée”, il apostrophe les sénateurs assis, eux, dans l’orchestra : “ne se trouvera-t-il personne, parmi eux, pour soulager la pauvreté de Chaerestratos et s’immortaliser par un don généreux ?” : appel au mécénat, qui assurerait le fameux cens de 400.000 sesterces, pour une fois en faveur d’un tiers. Mais c’est que le nom de Chaerestratos est l’incarnation d’un monde culturel, celui de la comédie nouvelle grecque, et que c’est comme qui dirait Arlequin chassé du théâtre ; il ne figure donc nullement Plutarque, qui d’ailleurs était sans doute chevalier Romain203. Mais c’est bien au théâtre, lieu de culture où se reflétait l’organisation sociale204, que Martial, qui ne pouvait s’en passer205, pouvait rencontrer le philosophe de Chéronée, car Plutarque, quand il était à Rome, s’y rendait parfois206.
Annexe
Annexe
Le platane de César (IX.6l)
Les épigrammes IX.59 et IX.61 permettent d’identifier le Sabinus qui reçoit une couronne de roses de Martial comme l’un des deux fils d’Epponina et du Lingon Iulius Sabinus ; nous n’en avons pas pour autant fini avec le platane de César, ou plutôt avec les questions qu’il convient de se poser à son propos : dans quelle domus de Bétique César a-t-il pu le planter ? Où Martial a-t-il pu trouver la notice, autrement inconnue, où il a puisé son information ? Et quel lien peut-il exister entre ces deux questions ?
La domus notissima où César, alors hospes invictus, planta l’arbre était située dans une ville (le mot domus l’implique) proche de Corduba dans la vallée du Baetis (Guadalquivir). L’épigramme “espagnole” IX. 61 présente dans ses premiers vers comme un reflet du début de l’épigramme “romaine” IX. 59 : on est incité à mettre le vers 2 de la seconde (qua dives placidum Corduba Baetin amat) en regard – “effet de miroir” – du vers 2 de la premère (hic ubi Roma suas aurea vexat opes). La locution familière hic ubi est en soi banale, et figure plusieurs fois chez Martial207, mais la place qu’elle occupe dans le vers (“en face” lui répond le qua dives... Corduba) suggère qu’un nom de ville pourrait bien “se cacher” derrière elle ; on pense à Ucubi, proche de Corduba : deux importantes familles sénatoriales en proviennent, dont celle des Annii ; elle fut une des origines de la dynastie Antonine208 ; M. Annius Verus, suffect en 97, grand-père de Marc-Aurèle, était “ notissimus” ; la domus au platane était aussi notissima à l’époque de Martial, mais pouvait ne l’avoir pas été autant à l’époque césarienne. La domus (d’Ucubi ?) appartenait vraisemblablement à une famille entrée dans l’ordre sénatorial au i er siècle.
On cherche l’origine précise (très vraisemblablement espagnole) de Mucien (C. Licinius Mucianus) dont on sait le rôle dans l’avènement de Vespasien quand il était légat consulaire de Syrie. Dans ses travaux d’“antiquaire”209 il avait consigné des notices érudites sur les sujets les plus divers, recueillies au cours de sa carrière de sénateur : sur l’Asie, où il avait été en quasi-exil sous le règne de Claude, sans doute à Cyzique (d’où des renseignements très précis sur les huîtres de la région) ; en Lycie, dont il avait été gouverneur sous Néron. Ses notices sont connues par l’Histoire Naturelle de Pline l’Ancien dont il fut l’une des sources210. Il s’intéressait entre autres aux arbres : Pline apprend que lorsqu’il était légat prétorien de Lycie211, il avait organisé pour son état-major un dîner ou pique-nique dans un gigantesque platane de sa province : c’était l’une des curiosités (mirabilia) glanées pour ses Notes de voyage212.
Son origine est énigmatique213 ; selon R. Syme il était vraisembrablement Tarraconais ; mais il n’excluait pas la possibilité d’une ville de Bétique – sa tribu, la Sergia, l’autoriserait214 : on songe évidemment à Ucubi et à la domus notissima de l’époque de Martial ; Mucien aurait connu le platane devenu gigantesque dans la maison de ses origines. Quand il fut en Lycie, sa curiosité lui aurait fait découvrir un spécimen comparable dans sa province, qui était alors boisée. Il aurait pris plaisir à y organiser la party que rapporte Pline l’Ancien – les grands arbres offrent aujourd’hui encore un refuge contre la forte chaleur : on y installe la “çardak”, à deux mètres du sol, qui peut accueillir de nombreuses personnes. À moins que quelque croyance superstitieuse ne l’ait incité à honorer cet arbre gigantesque comme un présage de sa grandeur future215. Sous le platane de César, à Ucubi ( ?), se donnaient de mystérieuses fétes bacchiques. – Ucubi était une colonie césarienne, fondée par l’imperator et portait le nom de Claritas Iulia216 ; ses citoyens étaient inscrits dans la Galeria, comme ceux de Corduba217 ; mais la Sergia y est bien attestée par l’inscription d’Urso CIL II. 1404218.
D’où Martial peut-il tenir cette donnée isolée ? Il est bien improbable qu’il ait lu les travaux d’antiquaire de Mucien reflétés par “l’enquête sur la nature” de Pline l’Ancien ; moins improbable qu’il ait dans sa jeunesse visité la Bétique, d’où provient l’un de ses proches amis, le poète (fabuliste ?) Canius Rufus de Gadès219 ; mais surtout il a fréquenté la demeure d’un grand personnage, énigmatique comme Mucien, lui ressemblant par bien des points (ni épouse ni descendance) et qui hérita de ses dossiers220. Ce pourrait bien être de cet héritier de Mucien que Martial a tiré l’information qu’il met en œuvre dans l’épigramme IX.61.
Ce point a en lui-même son intérêt ; mais cette première conclusion conduit à une seconde conjecture, de plus de portée, sur l’origine de L. Licinius Sura et sa relation à Mucien dont il était peut-être le parent et qui lui légua fichiers et influence politique. On connaît avec une quasi-certitude l’origine espagnole (Tarraconaise) de Sura : la colonie de Celsa, une fondation de Lépide221 assez proche de Bilbilis, inscrite dans la tribu Sergia (dont relevait aussi Mucien) alors que les Bilbilitains relèvent de la Galeria. Bilbilis, par ailleurs, était la patria d’un parent ou ami proche de Sura, important orateur dont Martial fait l’éloge, Licinianus ; il avait, comme Sura, des attaches étroites avec la Lacétanie ou Lalétanie, région côtière au nord de Barcino222 ; Licinius Sura a laissé d’importantes traces épigraphiques dans la région de cette dernière ville et de Tarraco223. Licinianus, lorsqu’il renonce à la carrière sénatoriale et se retire, apparemment définitivement “au pays”, reçoit de son compatriote Martial le poème I. 49 qui abonde en toponymes celtibères. On identifie généralement avec lui le “Lucius”224 à qui le poète adresse l’importante épigramme IV. 55, en raison des ressemblances évidentes, nombreuses et précises, qui rapprochent les deux pièces en matière de géographie et de toponymie celtibères : il ne fait pas de doute que, si Licinianus est un homme de Bilbilis, Lucius est aussi, pour une part au moins, un Celtibère. R. Syme, dans les passages de ses Roman Papers où il mentionne Licinianus de Bilbilis, ne renvoie qu’au propempticon I. 49 ; son silence sur le “Lucius” de IV. 55 encourage à estimer que ce dernier pourrait bien être, plutôt que Licinianus, l’orateur plus fameux que fut L. Licinius Sura225.
La patrie de Sura était donc Celsa ; mais il ne faut pas oublier les mères. Pour une part essentielle, l’épigramme IV. 55 s’inspire de l’ode d’Horace I. 7 à L. Munatius Plancus, le césarien fondateur des colonies de Raurica (Augst) et de Lugdunum (Lyon), dont la patria était Tibur. Horace y dit, avant de donner à Plancus des conseils et des encouragements – ce grand politicien avait, malgré ses succès publics, des raisons de connaître des moments de tristesse (il avait, en 43, laissé proscrire et exécuter un frère) – son amour pour Tibur, sa patrie d’élection, où il possédait le domaine que lui avait donné Mécène. Lucius est salué par Martial comme la “gloire de son époque” – un nouveau Cicéron – alors que Licinianus n’était que ( !) “louange de notre Celtibérie”. En outre Martial semble au vers 3, dans l’ouverture de son épigramme – la partie la plus nettement inspirée de la lyrique horatienne – synthétiser (non pas confondre) sous le nom d’Arpi la patrie de Cicéron, Arpinum et la Lucanie d’Horace – Arpi était proche de Venouse, où il était né226.
Nous avancerons donc l’hypothèse suivante : Lucius (= Sura) serait par sa mère un Celtibère de Bilbilis, comme Martial et Licinianus l’étaient de père227 ; sa patria proprement dite a été fixée à Celsa par R. Syme, non loin de la Celtibérie, mais non Celtibère. Or le poème sur le platane de César dans la domus d’Ucubi ( ?) comporte au vers 10 une vraisemblable allusion à la colonie tarraconaise de Celsa : le platane, dans la maison de Bétique ; pousse ses branches jusqu’aux astres élevés : sic viret et ramis sidera celsa petit, tel un “arbre généalogique” (stemma) : de la domus de Bétique dériverait une branche – une filiation – vers la colonie de Tarraconaise. C’est au moins un indice ; il en est un autre sans doute plus probant.
Dans l’épigramme à Lucius on constate que la longue série de sites dotés de toponymes aux consonnances typiques de la Celtibérie, qui avait commencé par Bilbilis, aboutit à un nom propre, l’unique anthroponyme, très latin, qu’elle présente : elle pourrait bien mener de l’origine maternelle (Bilbilis) au nom du père (selon la nature), à savoir un Manlius :
et qui fortibus excolit iuvencis
curvae Manlius arva Vativescae
“et Manlius qui cultive avec de puissants taureaux les terres de la creuse Vativesca”.
Le nom de Manlius n’est pas pour surprendre dans cette région : il doit dériver de concessions de citoyenneté de L. Manlius, proconsul de Narbonnaise en 78 avant n. è., qui opéra en Espagne du Nord-Est en cette année228. Sura, qui pouvait bien être un polyonyme229 serait né d’un père, un Manlius, descendant d’un colon venu de Vativesca – site inconnu croyons-nous, sans doute proche de Celsa – lors de la fondation de cette colonie par Lépide : il y aurait possédé des terres de labour passées ensuite dans sa famille ; une fondation coloniale recrute très normalement des citoyens dans les collectivités de la région. Sura pouvait être de naissance un L. Manlius Sura230.
On connait un C. Manlius Valens231, d’origine imprécisée, dont la carrière ne s’interprête pas aisément : sénateur partisan de Galba – recruté peut-être en Tarraconaise par ce légat consulaire lors du déclenchement du mouvement qui le portera au pouvoir – il commandait la Ia Italica à Lugdunum dans l’hiver 68-69. Un quart de siècle plus tard, il fut choisi par Domitien pour le consulat ordinaire ouvrant la dernière année du règne. Ce choix très étrange d’un presque nonagénaire, qui mourra dans l’année, est expliqué de manières très différentes : tentative pour se concilier les bonnes grâces de la Haute Assemblée en lui donnant ce gage d’apaisement232, ou affront délibéré à la dite assemblée par un prince dont les facultés mentales étaient obscurcies en ces derniers mois de règne233. Si l’on interprète le choix comme un geste conciliant ( ?), on se demandera si le vieux sénateur n’était pas le père selon la nature de Sura : né en 6 de notre ère, quand Sura naquit soit en 40 soit dans la décennie suivante234, il était en tout cas largement d’âge à être le père (un peu oublié) du grand orateur qu’était devenu son fils : il aurait été choisi pour une sorte d’hommage tardif (il avait servi dans ses débuts la dynastie), peut-être parce que Sura allait revêtir, en 97, son propre consulat suffect.
Reste le gentilice Licinius porté partout par Sura : il s’expliquerait par une adoption par le puissant Mucien. L’hypothèse rendrait bien compte des ressemblances si frappantes entre les deux hommes, leurs personnalités et leurs carrières, et ne se heurte, nous semble-t-il, à aucun obstacle juridique235 ; mais elle se heurte au silence total des sources sur ce point, essentiel dans le cas d’un personnage si éminent dès le règne de Domitien et surtout sous celui de Trajan dont il fut le bras droit et dont il écrivait les discours ; il avait même, selon certains, fait quelque peu figure de faiseur d’empereur en 97, comme en 69 Mucien. Ce silence, s’il est explicable, ne pourrait l’être que par la prudence : le platane de César aurait pu servi des ambitions politiques, et la place qu’il occupe dans les épigrammes à côté de l’envoi à Sabinus le fils du Lingon nous semble témoigner de ce que Martial n’en était pas absolument inconscient236. Nous ne saurions expliquer plus précisément le mutisme des sources sur l’adoption supposée ; au terme de cette Annexe consacrée au platane de César (ou de Mucien) doit subsister un doute. Peut-être avons-nous affaire à un cas particulier d’héritage sous la condicio nominis ferendi, qui se serait accompagné de l’abandon définitif du gentilice d’origine.
Mucien dut disparaître peu de temps après la “dramatic date” – 75 – du Dialogus de oratoribus, où sont mentionnés ses recueils d’Acta et d’Épistulae, documents sur la vie oratoire de la fin de la République ; le père selon la nature, dépossédé de la paternité (juridique) sur son brillant fils, se serait vu in extremis indemnisé de cette dépossession par l’étrange consulat de 96 : ainsi cette année décisive porterait-elle sur les Fastes de la res publica, à tout jamais, le nom de Manlius.
Notes de bas de page
1 Cf. l’appendice II, “Martial and the Greek epigram”, de J. P. Sullivan, Martial : the unexpected classic, Cambridge, 1991, p. 322-327 (p. 325).
2 “Si tu veux, Faustinus, rafraîchir un bain brûlant, où même Iulianus aurait peine à entrer, demande au rhéteur Sabineius de s’y baigner : il refroidit jusqu’aux Thermes de Néron”.
3 Virgile, Énéide VIII. 676-677 : totumque instructo Marte videres / fervere Leucaten (“et l’on pouvait voir tout Leucate bouillonner sous l’appareil de Mars”) ; Lucrèce, De R.N. II. 40-41 : legiones per loca campi / fervere cum videas belli simulacra cientis (“quand tu vois les légions au travers du Champ-de-Mars bouillir et donner le branle à l’image de la guerre”).
4 Victor Hugo, Les Châtiments, V, L’expiation II. 2-4 : “Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine... la pâle Mort mêlait les sombres bataillons”.
5 Sur la chronologie des campagnes de 85 à 89, R. Syme, Danubian Papers, Bucarest, 1971, 158-159 ; A. S. Stefan, Les guerres daciques de Domitien et de Trajan, Rome, 2005, p. 399-424.
6 L’expression “le froid de la mort” apparaît dans Lucrèce, de R.N. III. 401 : et gelidos artus in leti frigore linquit (“et elle [l’âme] abandonne les membres glacés au froid de la mort”) ; cf. Virgile, Énéide XII.951 : Ast illi (Turnus mourant) solvuntur frigore membra (“mais pour lui ses membres se rompent dans le froid”) ; Martial X.26.5 : spargere non licuit frigentia fletibus ora (“il ne m’a pas été donné d’inonder de pleurs ton visage glacé”) ; etc.
7 J. P. Sullivan, o. c., p. 319.
8 Id., ibid., p. 320 (Janvier 94 ?)
9 “Tu me trouves cruel et trop gourmand parce que, pour un mauvais dîner, Rusticus, je fais donner les verges à mon cuisinier. Si tu estimes qu’il n’y a pas là de quoi faire donner des coups à quelqu’un, pour quel motif donc veux-tu que l’on fouette un cuisinier ?”
10 Cf. la mise en scène de Trimalcion dans la Cena, XLIX-L : le cuisinier, qui a prétendument oublié de vider un porc, va être fouetté en public et a déjà été dépouillé de ses vêtements ; les invités intercèdent.
11 Une vertu se contient en elle-même ; un vice déborde sur d’autres.
12 R. Syme, “Minicius Fundanus from Ticinum”, RP VII, p. 602-619, part. p. 606 sur ses préoccupations philosophiques, p. 618-619 sur ses relations avec Plutarque.
13 Plutarque, De cohibenda ira 453 C : Sylla, dialoguant avec Fundanus, l’invite à décrire comment il s’y est pris : “et toi... décris-nous cette sorte de traitement médical dont l’usage t’a permis de rendre ton humeur docile aux rênes, délicate, douce et soumise à la raison”.
14 Les principaux passages où est traitée la question des mauvais procédés inspirés par la colère sont les suivants (dans la traduction de l’édition de la CUF) : 457 B : “Ce qu’il y a de plus irritable, c’est... le gourmand envers son cuisinier” ; 459 F-460 : “Lequel d’entre nous est assez redoutable pour fouetter et châtier un esclave, parce que quatre ou neuf jours plus tôt il a laissé brûler le rôti, a renversé la table ou obéi trop mollement ?” ; 461 C : ‘‘Ce n’est pas terrible, pour commencer par la nourriture... de ne pas servir à ses amis et à soi-même ce plat peu ragoûtant qu’est la colère... quand pour un plat brûlé, qui sente la fumée ou soit trop peu salé, pour un pain trop rassis on bat ses serviteurs et injurie sa femme”. Voir aussi 459 B sur l’occasion que les serviteurs donnent à leur maître de s’exercer à dominer la colère, qui comme toutes les passions appelle un entraînement “qui dompte en quelque sorte et soumette par l’exercice l’élément irrationnel et indocile de l’âme”.
15 Voir R. Syme, “Antistius Rusticus”, RP IV, 278-294 ; W. Eck, Chiron 12, 1982, p. 320-321.
16 R. Syme, RP VII, p. 582.
17 C. P. Jones, Plutarch and Rome, Oxford, 1971, p. 51 relève que “there is no sign that Plutarch knew Rusticus well” ; la relation était certainement bien différente de celle qu’il entretenait avec Minucius Fundanus ; Rusticus était plutôt pour lui un modèle.
18 Montaigne, grand lecteur de Plutarque, le mentionne dans les Essais II, 4 (“À demain les affaires”).
19 522 D-E.
20 C. P. Jones, o. c., p. 23 avec note 25 ; le séjour de Plutarque en 92 ne se confond pas avec son voyage de 89 ; R. Syme, RP VII, p. 619, considère que les deux séjours (88 et 92) sont assurés.
21 Hypothèse de R. H. Barrow, Plutarch and His Times, 1967, p. 38, accueillie avec faveur sinon adoptée par C. P. Jones, ibid., écartée, selon nous à tort, par J. Geiger dans sa recension du livre de ce dernier (Studia Classica Israelica I, 1974 (p. 129-146), part. p. 129 avec n. 3).
22 De cohibenda ira 460.
23 D’après le peu que l’on connaît sur les débuts de sa carrière (voir R. Syme, RP VII, p. 611), Minucius Fundanus, entré au Sénat comme questeur ca 90, et atteignant la préture en 97 ( ?), pouvait être à Rome à la fin de l’année 92.
24 En particulier dans la fin de son exposé, 463 C sq.
25 Cf. supra, p. 11.
26 Si le message de Domitien apporté pendant la conférence de Plutarque s’adressait bien à Arulenus Rusticus consul (septembre à décembre 92), il venait du front du Danube, d’où l’empereur ne regagnera Rome que le 1er ou le 2 janvier 93.
27 Sur la date (vers 100) du traité, C. P. Jones, JRS 56, 1966, p. 70. La théorie, alors très largement répandue, selon laquelle il existerait dans Martial deux Terentius Priscus (le père et le fils) est à juste titre abandonnée par lui dans Plutarch and Rome, Oxford, 1971, p. 60, n. 74.
28 Les trois dialogues pythiques (De E De1phico, De Pythiae oraculis, De defectu oraculorum) sont publiés dans la CUF (Plutarque, Œuvres Morales, tome VI) par R. Flacelière, Paris, 1974.
29 “Glissant à travers l’air silencieux, une douce colombe est venue se poser dans le sein même d’Aretulla assise. C’eût été un jeu du hasard si elle n’était restée là, bien que libre de ses mouvements, et si elle ne s’était refusée à prendre une fuite que nul n’empêchait. S’il est permis à la plus dévouée des sœurs d’espérer un sort meilleur et si les prières peuvent fléchir le maître du monde, cet oiseau est peut-être venu à toi des rivages de la Sardaigne en messager de l’exilé : ton frère est sur le point de rentrer”.
30 Il n’est enregistré ni dans les Latin Cognomina d’I. Kajanto ni dans le Repertorium nominum gentilium et cognominum latinorum de H. Solin et O. Salomies, 1994. Seul est connu le cognomen Arretinus/a (CIL V. 4405 ; XI. 1844 – à Arezzo), et le gentilice Aretius (CIL VI. 31537).
31 Il peut s’interpréter soit comme une suffixation en-ullus/ a, qui a donné un grand nombre d’appellatifs, soit, s’il a existé un praenomen *Areto, comme un diminutif de cette forme : ainsi Antullus/a est un diminutif de Anto.
32 Voir I. Kajanto, The Latin Cognomina, Helsinki, 1965, p. 189-190.
33 Dans Tite-Live, Tanaquil (venue de Tarquinii) interprète pour son mari Lucumon, le prodige-présage de l’aigle : accepisse id augurium laeta dicitur Tanaquil, perita, ut volgo Etrusci, caelestium prodigiorum mulier (I.34.9). La disciplina Etrusca, en fait, était affaire de spécialistes.
34 La modalité du vol de l’oiseau et son comportement sont essentiels : la colombe d’Aretulla arrive en glissant silencieusement dans l’air ; l’aigle de Tanaquil était arrivé doucement “en vol plané” (suspensis leniter demissa alis).
35 C’est la position de Numa dans la scène de son inauguratio sur l’arx (Tite-Live I. 18.6-7), celle de Tanaquil assise sur son chariot à côté de Lucumon (I.34.8).
36 R. Bloch, Les prodiges dans l’Antiquité classique, Paris, 1963.
37 Fratre reversuro est un ablatif absolu.
38 Les dédicaces de Plutarque sont souvent très clairement liées au contenu de l’œuvre, comme le De ira cohibenda est confié à un colérique ; les Propos de Table sont dédiés à un commensal familier, Senecio ; de même, le De defectu oraculorum est selon toute vraisemblance en rapport, peut-être de plusieurs manières, avec le dédicataire.
39 C. P. Jones, dans son Plutarch and Rome, Oxford, 1971, p. 63, minimise l’importance de Terentius Priscus comme relation de Plutarque.
40 XII. 62.7-8.
41 Lors de ses séjours en Lacétanie, Licinianus, de Bilbilis comme Martial, laissera à son vilicus la chasse aux cerfs (qui se prennent avec des filets) et forcera sangliers et lièvres sur un robuste cheval (I.49.24-25).
42 XII. 14.1-2 : Parcius utaris moneo rapiente veredo, / Prisce, nec in lepores tam violentus eas. Le mot veredus est emprunté au gaulois ; le composé paraveredus, cheval d’appoint, a donné le français “palefroi” ; cf. Ernout-Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, 4e éd., 1985, s.v.
43 XII.62.7 : reducem patriae ; la cité en question n’est pas connue.
44 Incarnation bien entendu du mécénat – mais aussi de l’ami généreux du poète.
45 Le cognomen Maro de Virgile est d’origine étrusque – maru, titre d’un magistrat. Le peuplement de Mantoue était partiellement d’origine étrusque ; cette origine ethnique a marqué son œuvre.
46 XII.3.1-4 : Quod Flacco Varioque fuit summoque Maroni / Maecenas, atavis regibus ortus eques, / gentibus et populis hoc te mihi, Prisce Terenti, / fama fuisse loquax chartaque dicet anus.
47 VIII.55.9. La femme de Mécène était une Terentia.
48 On ne peut tirer en faveur de cette hypothèse la moindre conséquence du fait que Martial lui suggère de préférer la chasse à l’affût des “sangliers étrusques” à la course aux lièvres : “si te plaisent les dangers qui demandent du cœur, tendons des pièges – le courage est ici plus en sûreté – aux sangliers étrusques” (si te delectant animosa pericula, Tuscis / – tutior est virtus – insidiemus apris). Tuscus est une épithète d’excellence : tout vrai sanglier est “étrusque”.
49 C. P. Jones, o. c., p. 60, avec n. 74 : du fait de son absence en Sicile (VIII. 45) “conceivably as proconsul or legate” (cf. W. Eck, Chiron 13, 1983, p. 227, avec point d’interrogation). Mais il n’excluait pas la possibilité alternative.
50 “Des rivages de l’Etna, Flaccus, Terentius Priscus m’est rendu : qu’une gemme blanche comme le lait [une perle] marque ce jour”.
51 VII.47.3-4 : redderis – heu quanto munere fatorum – nobis / gustata Lethes paene remissus aqua.
52 Il faut sans doute tenir grand compte de la place de ab Aetnaeis… oris, dans le premier vers de l’épigramme VIII.45 : VIII.32 annonçait le retour du frère d’Aretulla a Sardois... oris dans son dernier distique.
53 Les exils furent nombreux à partir de la crise de l’automne au Sénat ; par exemple celui de Iunius Mauricus, frère d’Arulenus Rusticus ; mais le détail chronologique est incertain ; des expulsions ont pu avoir lieu plus tôt dans l’année.
54 VII.44 et 45.
55 VII.44.3-4.
56 Voir K. Scott, The imperial cult under the Flavians (1936 ; réimpr. 1975, Arno Press, New York, p. 133 sq : “Domitian and Jupiter”).
57 Strabon V.2.7 (C 225) : l’île est malsaine l’été ; cf. l’épigramme IV. 60 sur la mort de Curiatius (le Maternus du Dialogus), vers 5-6 : cum mors/venerit, in medio Tibure Sardinia est.
58 Voir entre autres pièces des Pontiques la deuxième lettre à sa femme III.1.3-4 : Ecquod erit tempus quo vos ego, Naso, relinquam / in minus hostilem iussus abire locum ? ; et 29-30 :... non igitur mirum... altera si nobis usque rogatur humus.
59 L’information essentielle sur cette affaire dans Pline, Epist. IV.11.
60 Plus salubre que la Sardaigne, de haute culture, et de langue grecque.
61 C’était l’un des premiers avocats de Rome.
62 Son “mot” célèbre sur les jeux de la Fortune, facis... ex senatoribus professores, ex professoribus senatores (de sénateurs tu fais des professeurs, de professeurs des sénateurs) est repris par Juvénal avec une variante (satire VII 197-198).
63 Martial parle de lui comme d’un exul (VIII.32.7), mais il s’agissait sans doute d’une rélégation, non d’un exil au sens strict du terme (l’exilium entraîne la perte des droits civiques et la confiscation des biens). Pline, quoique avocat, se conforme à l’usage de la langue commune : voir A. N. Sherwia-White, The letters of Pliny, Oxford, 1966, 94 et 184. – Il est impossible de calculer précisément l’espace de temps qui sépare l’exil, l’annonce de la colombe et le retour de Priscus de Sicile ; tout doit s’être passé en quelques mois.
64 Ce cognomen assez fréquent n’est pas caractéristique d’une origine : peut-être, à côté de Salonas et Salonitanus, un ancien ethique qui n’a pas survécu mais s’est conservé comme cognomen (I. Kajanto, o. c., p. 46-47).
65 VI.18 : “L’ombre vénérable de Saloninus repose au sol de l’Hibérie et il n’en est pas de meilleure qui voie les demeures du Styx. Mais le pleurer serait impie : car celui qui t’a quitté, Priscus, vit par cette part de lui-même par laquelle il aurait voulu le plus vivre”.
66 Incarnation de la pietas fraternelle : V.28.3.
67 Carmen 65.10 : vita frater amabilior.
68 IX.51.7-8.
69 VIII.12 ; cf. sans doute IX.10.
70 Ainsi qu’il apparaît dans la Consolation à sa femme, sur la mort en bas âge de leur fille Philoxena (comme sa mère) : édition de la CUF par J. Hani, Œuvres Morales VIII, traité 45 (Paris, 1980) ; p. 173 sq sur la vie conjugale de Plutarque ; dans l’Amatorius, § 21-26. Sur les amis Romains, les renseignements sont maigres : Minicius Fundanus était marié à Statoria M. f. Marcella ; ils avaient deux filles, dont la plus jeune, Minicia Marcella mourut à moins de 13 ans, après sa mère ; elles sont connues par l’urne funéraire de la jeune fille et une inscription, gravée par la même main (CIL VI. 16631= ILS 1030 ; 16632) : R. Syme, RP VII, p. 608. Minicius Fundanus mentionne “sa femme et ses petites filles” dans le De cohibenda ira 455 F : C. P. Jones, o. c., p. 58 et n. 64. Q. Sosius Senecio, ami proche de Plutarque, dédicataire de deux de ses plus grands ouvrages, épousa la fille de Frontin, Iulia Frontina ; leur fille, Sosia Polla, fut la femme de Q. Pompeius Falco (destinataire de Pline, Epist. IV.47 ; VII.22 ; IX.15).
71 Une flatterie par trop outrée nuit au flatteur ; il faut mettre à part celles qui s’adressent à Domitien.
72 I.112.
73 Ce n’est à vrai dire que très relatif.
74 Mais il s’agissait plus d’une relation personnelle que d’un lien de clientèle formel.
75 Nous regrettons de n’avoir pas lu A. Guarino,” La società col leone”, Labeo XVIII, 1972, p. 72-77.
76 Au moins entre Rome, la Sicile, la Tarraconaise.
77 XII, epistula, ligne 18 ; XII.62.8.
78 Virgile, Georg. II.173-174 : Salve, magna parens frugum, Saturnia tellus, magna virum ; “Je te salue, grande mère des moissons, terre de Saturne, grande mère de guerriers”.
79 XII.62.14. Sur l’âge d’or, cf. e. g. le couplet d’Hippolyte dans la Phaedra de Sénèque, 525-539.
80 VII.46.
81 Ses vingt épigrammes adressées à Stella en témoignent.
82 Epist. III.21.1 : Erat homo ingeniosus, acutus, acer, et qui plurimum in scribendo et salis haberet et fellis nec candoris minus : beaucoup de sel et de malice et une égale absence de noirceur. Martial X.3.9 : procul a libellis nigra sit meis fama : “que loin de mes écrits soit une renommée noire”.
83 Terentius Priscus ut videtur pour D. R. Shackleton Bailey, édition Teubner, index s.v. Priscus.
84 “Priscus disserte sur le meilleur genre de banquet et son éloquente page offre des développements pleins les uns de charme, d’élévation pour d’autres, mais toujours doctement inspirés. “Vous cherchez à savoir quel est le meilleur type de banquet ? Celui où il n’y aura pas de flûtiste”.
85 Cf. quaeritis IX.77.5.
86 Propos de table III.1 (645 D-648 A). La “question” engage plus de conceptions et de croyance que ne suggère son intitulé.
87 Ibid. VII.5 (704 C-706 E).
88 Supra, p. 31.
89 Flûtiste accompagnant un choeur, l’une des spécialités de la partie “musicale” des Pythia de Delphes, qui comme les autres concours panhelléniques de la “période”, comporte un concours “musical” à côté des épreuves hippiques et athlétiques. Il en ira de même pour les Capitolia, instituées par Domitien, le premier concours de la “nouvelle période”, où les choraulai sont connus par plusieurs documents : voir M. L. Caldelli, L’agôn Capitolinus, Rome, 1993, 69-71, 98 et catalogue no 10 (p. 28) et 22 (p. 133).
90 Chaque concours a son organisation et son règlement propres, très détaillés, prévoyant en particulier les cas de disqualification. Les innombrables concours locaux décalquent les leurs sur ceux d’un grand concours “sacré” et “panhellénique” : un concours organisé sur le modèle des Pythia est dit “isopythios”.
91 III.4.8 : ce dédain et cette jalousie (fondée sur des motifs financiers) appartiennent au personnage de poète pauvre et client, et sont matière à plaisanterie.
92 Cena Trimalchionis LXXVIII.5 : Ibat res ad summam nauseam.
93 III.82 présente la figure, pour une part comparable à celle de Trimalcion, d’un nommé Malchio.
94 De defectu oraculorum 409 F.
95 Ibid. 419 A-E. Pour l’interprétation de cette histoire célèbre (Rabelais, Pantagruel 4.28), voir l’introduction de l’édition de R. Flacelière (Dialogues pythiques – Œuvres morales, t. VI), Paris, 1974, p. 92-94). L’explication proposée par Salomon Reinach il y a un siècle (BCH 31, 1907, p. 5-19 ; Cultes, mythes et religions III, p. 1-15) résumée par R. Flacelière p. 94, était une des plus intéressantes.
96 De defectu oraculorum 409 F-410.
97 La prise des auspices par Romulus et Rémus met en jeu des voltures (vautours ou aigles), oiseaux de Jupiter ; Tite-Live I.7.1 (édition J. Heurgon, Erasme, Paris, 1970, avec note ad loc. p. 41). La colombe, sans être oiseau augural, est messagère de Vénus et donne des signes à Énée, son fils, chez le poète “étrusque” qu’est Virgile : deux colombes, dont il observe le cheminement et le vol (observans quae signa ferant, quo tendere pergant), le mènent aux gorges de l’Averne, et vont se percher sur l’arbre où il cueillera le rameau d’or annoncé par la Sibylle, qui lui donnera accès aux Enfers : tollunt se celeres liquidumque per aera lapsae/sedibus optatis geminae super arbore sidunt,/discolor unde auri per ramos aura refulsit (Énéide VI. 190-204).
98 Pline l’Ancien ne le mentionne pas dans l’exposé qu’il offre sur l’île NH III.84-85.
99 De exilio 604 A.
100 Ibid 603 A.
101 Épîtres I.11.25-26 : nam si ratio et prudentia curas,/non locus effusi late maris arbiter aufert...
102 Gabiis desertior atque/Fidenis vicus (vers 7-8).
103 Juvénal, satire I. 73.
104 Plutarque de exi1io 603 A (Thucydide V.1.2 ; Strabon VI.2.1 citant Ephore, fgt. 135).
105 St. Gsell, Essai sur l’Empereur Domitien, Paris, 1894, p. 75 sq ; B. W. Jones, The Emperor Domitian, Londres-New-York, 1992, p. 119-124.
106 C. P. Jones, Plutarch and Rome, Oxford, 1971, p. 25.
107 Cf. Martial VII. 45.8-9 sur Q. Ovidius.
108 “Tu désires que ton nom soit dit et lu dans mes vers et crois que l’honneur pour toi n’en sera pas nul ; que je perde la santé si ce n’est pas pour moi chose très agréable et si je ne veux pas te faire une place dans mes pages. Mais tu portes un nom qui te fut imposé en dépit de la source des neuf sœurs et que t’a donné une mère bien rude, un nom que ni Melpomène, ni Polhymnie ni la sainte Calliope assistée de Phébus ne pourraient prononcer. Choisis-toi donc un nom agréable aux Muses : il n’est pas joli de toujours dire “Hippodamè”.
109 Cf. IX.95b.1.
110 P. Laurens, L’abeille dans l’ambre. Célébration de l’épigramme, Paris, 1989, chapitre III, p. 97 sq.
111 XI.104.14.
112 Ovide, Pontiques IV.12.1-2 : Quo minus in nostris ponaris, amice, libellis,/nominis efficitur condicione tui. C’est la source principale de l’épigramme IV.31. – Sur Tuticanus, voir R. Syme, RP VII, p. 479.
113 Epist. VIII.4.3.
114 Quand ce ne serait que celui de Decebalus.
115 Il en est cependant quelques exemples, comme celui de la scansion Theōphila (fiancée de Canius Rufus) VII.69.1.
116 Ainsi Virgile, Énéide X.171-172 à propos de Populonia : Sescentos illi dederat Populonia mater / expertos belli iuuenes.
117 Juvénal, satire VIII.156-157 : iurat/solam Eponam et facies olida ad praesepia pictas.
118 L’abeille dans l’ambre IV.32 suit immédiatement le poème sur Epponina l’innommée : et latet et lucet... C’est l’ars componendi de Martial.
119 Tacite, Histoires IV.6 :... amicorum eius constantiam et insigne Epponinae uxoris exemplum suo loco reddemus.
120 Eroticus, édition R. Flacelière, Paris, 1953, 748 E -771 E. Dion Cassius appelle la princesse Peponilla (LXV. 16).
121 PIR 2 I 413.
122 Ainsi par M. Citroni, M. Valerii Martialis Epigrammaton Liber I, Florence, 1975, p. 61 sur I. 15 ; D. R. Shackleton Bailey, édition Teubner, index s. v. Iulius est moins affirmatif : “fortasse”.
123 F. Coarelli, Il Campo Marzio, Rome, 1997, p. 599 sq (p. 600, fig. 145 tirée de V. Jolivet, Les cendres d’Auguste. Note sur la topographie monumentale du Champ-de-Mars septentrional, in Arch. Laziale 9, p. 90 sq).
124 La distinction que nous proposons entre deux personnages différents paraît se heurter à une sérieuse objection : si l’on retire à Lucius Iulius toutes les épigrammes que l’on attribuera à Iulius Martialis, il ne reste qu’un nombre d’envois bien faible pour l’ami le plus ancien de Martial (I.15, I.107, III.5, IX.97, XII.34). Elle ne pourra être éventuellement écartée que par une étude plus détaillée du personnage de Lucius Iulius, que nous mènerons infra dans la IIIe Partie.
125 Mais Stace écrivait avec abondance et une étonnante rapidité : dans l’attente du dîner donné pour l’inauguration des thermes de Claudius Etruscus sujet de la Silve 1.5 ; en une journée les 111 vers de l’éloge de la villa tiburtine de Manilius Vopiscus (Silve 1.3).
126 Les jardins de l’Alkinoos homérique sont déjà chez Martial le symbole d’un monde paradisiaque (cf. X.94 et XII.31) ; dans la littérature chrétienne, l’image de l’Éden (F. Bussière, Les mythes d’Homère et la pensée grecque, Paris, 1973, p. 165, n. 44).
127 Peut-être cette comparaison a-t-elle été suggérée à Martial par l’origine sociale de son hôte ?
128 L’adjectif liberalis pouvait toucher particulièrement un libertus ; et de quoi la domus de l’hôte aurait-elle pu être invida (vers 27) ?
129 IV.64.10 et VII.17.1.
130 “C’est ici mon sixième petit livre que je t’envoie, mon très cher Martialis : si tu le corriges d’une oreille diligente, il sera moins anxieux et craintif en osant venir dans les grandes mains de César”.
131 De même L. Domitius Apollinaris, patron lettré de Martial, a “l’oreille Attique” (IV.86.1) : un poème se corrige à l’oreille.
132 Voir infra p. 219 n. 192.
133 “S’il m’était donné, cher Martialis, de jouir en ta compagnie de jours sereins, de disposer d’un temps exempt de charges et de vaquer en même temps que toi à la vraie vie, nous ne connaîtrions pas les antichambres ni les demeures des puissants, ni les affreux procès et le triste Forum, ni les orgueilleux portraits d’ancêtres ; mais la promenade, les conversations, les livres, le Champ-de-Mars, les portiques, l’ombre, l’Aqua Virgo, les thermes, ce seraient là nos quartiers, toujours, là nos travaux. En réalité aucun de nous ne vit pour lui-même, et chacun sent nos beaux jours de soleil s’enfuir et s’en aller, qui pour nous périssent mais nous sont décomptés. Est-il un qui sache vivre et qui ne se hâte ?”
134 M. Citroni, o. c., p. 61.
135 X.47.7.
136 Le dernier vers de l’épigramme X.47 est inscrit – seule citation de Martial sur 57 devises – sur une solive de la “librairie” de Montaigne : summum nec metuas diem nec optes.
137 Les épigrammes commémoratives de Martial répondent à des commandes : ainsi les pièces sur Lucain VII.21 et 22 ont été commanditées par sa veuve Argentaria Polla (cf. Stace, Silves II.7).
138 Tous deux identifiables dans les Épigrammes.
139 Peut-être un Passerius Romulus (non un Iulius) : R. Syme, RP VI, 223.
140 IX.99.3 : Palladia... Tolosa.
141 IX.32.6 ; cf. pour les crassiora nomina de Celtibérie l’épigramme à Juvénal XII.18.12.
142 Le Lingon de VIII.75 doit venir de Cisalpine. Une tissandière de la haute vallée de la Seine (Sequanica textrix) apparaît dans IV.19.1 à propos d’une endromis – nom Spartiate pour un survêtement gaulois... – que Martial envoie en cadeau de Saturnales à un jeune sportif anonyme.
143 Cf. XIV.128. Sur cette cape gauloise, E. Courtney, A Commentary on the Satires of Juvenal, Londres, 1980, p. 406 (sur Juvénal VIII.145). C’est sans doute le vêtement que portent plusieurs statuettes de bois figurant des dévots trouvées aux sources de la Seine.
144 Son gentilice Valerius l’indiquerait à lui seul.
145 Licinianus de I. 49 et Lucius de IV. 55, que nous n’identifierions pas.
146 Plutarque, Amatorius 771 B : ὁ μὲν ἐν Αἰγύπτῳ πεσὼν ἐτελεύτησεν.
147 Le cognomen fort banal peut évoquer, en raison de la destinée du défunt et du traitement épique du thème, le légat d’Auguste massacré avec ses trois légions dans la forêt de Teutberg.
148 “Varus, toi qui hier étais renommé par ton cep latin de par les villes Parétoniennes et commandant digne de mémoire de cent hommes mais à présent vainement promis au Quirinus Ausonien, tu gis, ombre étrangère, sur le rivage de Lagos. Il ne m’a pas été permis d’inonder de pleurs ton visage glacé et de verser un gras encens sur ton triste bûcher ; mais je te donne un nom qui vivra dans un poème immortel : cela aussi, Nil perfide, peux-tu le nier ?”
149 C. P. Jones, “Towards a Chronology of Plutarch’s Works”, JRS 56,1966, p. 66 discute les considérations de C. Cichorius, RS (1922), p. 406-411 sur les épisodes guerriers au cours desquels aurait pu “tomber” le fils d’Epponina : plusieurs sont plus ou moins sûrement attestés avant l’embrasement de l’Égypte en 116 (considéré comme terminus) ; en fait, il est strictement impossible de dater sur cette base l’Amatorius : voir R. Flacelière, édition du dialogue p. 11 avec n. 3 renvoyant à K. Ziegler Plutarch von Chaeronea, col. 79, qui était aussi fort sceptique.
150 Pharsale VI.144 sq ; Latia... vite vers 146.
151 Pharsale III.295 et X.9. Paraetonium, mentionnée par Ovide, Amores II.13.7 (invocation à Isis) et Pline, NH V.33 est située aux confins de l’Égypte et de la Cyrénaïque ; mais, par métonymie, toute ville égyptienne peut être dite “Parétonienne” : ainsi Alexandrie, dans le vers X.9 de la Pharsale sur l’entrée dans la ville de César : inde Paraetoniam fertur securus in urbem.
152 Lageus dans la Pharsale I. 684 ; litoris hospitium IX. 1093, cf. VII.822 sur le tombeau de Pompée.
153 VII.97 ; IX.58 et 60 ; XI.8 et 17. – Le Varus de VIII.20 (un distique) est tout fictif.
154 C’est l’opinion générale.
155 Ainsi e. g. deux épigrammes à Argentaria Polla VII.21 et 23.
156 L’heureuse disposition typographique des quatre poèmes dans l’édition Teubner de D. R. Shackleton Bailey p. 298-299 permet d’en percevoir d’un regard l’organisation.
157 Voir F. Coarelli, Il Campo Marzio, Rome, 1997, p. 552, fig. 140.
158 Tacite, Histoires IV.55 (et 67). Voir R. Syme, “Bastards in the Roman Aristocracy”, RP II, p. 510-517 (p. 515), et “No Son for Caesar ?”, RP III, p. 1236-1250 (p. 1248), où il suggère que le Brutus du “ tu quoque, mi fili” des Ides de Mars 44 n’aurait pas été M. Iunius Brutus, mais D. Brutus.
159 Id., ibid., p. 1248 : “Nor need words be wasted on Julius Sabinus, the Gallic insurgent who clamed descent from the proconsul”. Tacite est formel : vanitatem falsae stirpis (Histoires IV.55).
160 Catulle, carmen 29, vers 20.
161 Id, ibid., vers 6-8.
162 Que l’envoi à Sabinus soit fiction poétique, ou poésie accompagnant un envoi réel, l’illusion proposée à la couronne est… illusoire.
163 Il est arrivé à Rome par la via Flaminia : sans doute un Gaulois de Cisalpine.
164 Les Gaulois, comme les Germains, frappent les Romains “méditerranéens” par leur stature : les Atuatuques, dans le Bellum Gallicum de César, se gaussent de la petitesse des Romains (César, BG II.30.4) : (nam) plerumque omnibus Gallis prae magnitudine corporum suorum breuitas nostra contemptui est.
165 Les inscripti sont des esclaves fugitifs marqués au fer rouge (Quintilien, I.O. VII. 4.14), affectés aux tâches les plus pénibles.
166 La sandapila, cercueil grossier des pauvres : E. Courtney, o. c., p. 410, commentaire à Juvénal, satire III. 175 ; cf. J. Marquardt, Das Privatleben der Römer, Leipzig, 1886, I, 356, 2.
167 Tacite, Histoires IV.15 : impositus scuto dux eligitur.
168 Plutarque, Amatorius 771 A.
169 Les “Dioscures” Lucanus et Tullus (I.36, III.20, VIII.75), Curvii par la naissance, adoptés par Domitius Afer. Sur le testament de Tullus (Pline, Epist., VIII.18), voir R. Syme, The Testamentum Dasumii, RP V, p. 521-545.
170 Vita Lucani (Vacca) II.19.
171 Stace, Silves II. 7, vers 48-80.
172 Vita Lucani (Vacca) II.19.
173 Pharsale, VI. 667 sq.
174 “Athénagoras, en deuil, ne nous a pas envoyé les cadeaux qu’il a coutume de nous envoyer au milieu du mois du solstice” – “Qu’Athénagoras soit en deuil, Faustinus, je verrai cela. En tout cas moi il m’a endeuillé Athénagoras.”
175 Par exemple dans l’épigramme II.65 : “Cur tristiorem cernimus Saleianum ?”/ - “An causa levis est ?” inquis “extuli uxorem !” / “O grande fati crimen ! O gravem casum ! / Illa, illa dives mortua est Secundilla/centum decies quae tibi dedit dotis ? / Nollem accidisset hoc tibi, Saleiane”. “Pourquoi voyons-nous Saleianus un peu triste” – “La cause en est-elle légère ?” me dis-tu “j’ai enterré ma femme”. “Ô le terrible coup du sort ! Ô le lourd malheur ! Elle, elle, la riche Secundilla est donc morte, elle qui t’a apporté dix millions en dot ! Je regrette que ça te soit arrivé, Saleianus”. Les noms Saleianus et Secundilla mériteront une petite enquête (supra, Annexe II.3).
176 “Il s’appelait avant Alfius, il a commencé à être Olfius depuis qu’il a pris femme, Athénagoras” (IX.95) “Le nom d’Athénagoras, me demandes-tu, Callistrate, le vrai ? Que je meure si je sais qui est Athénagoras ! Mais imagine que je dis son vrai nom : ce n’est pas moi qui me trompe, c’est votre Athénagoras qui fait fausse route” (IX.95b).
177 D. R. Shackleton Bailey ne s’y est rallié qu’après avoir hésité.
178 “On a crux in Martial”, Classical Weekly 48, 1955, 51 sq (signalé par D. R. Shackleton Bailey, édition Teubner, app. critique ad loc.)
179 Ou remariage.
180 H. Solin et O. Salomies, Repertorium, p. 12.
181 Voir L. Duret, “Martial et le deuxième Épode d’Horace. Quelques réflexions sur l’imitation”, REL LX, 1977, p. 173-182.
182 Le motif est “lyrique”, la forme iambique.
183 Haec ubi locutus fenerator Alfius / iam iam futurus rusticus/omnem redegit Idibus pecuniam, / quaerit Kalendis ponere.
184 Le nom de Plutarque, dans Plutarque, Propos de table I. 2 (617 E) fait l’objet d’un jeu étymologique de Lamprias, qui traite son frère de radoteur : Πλοῦτος + ἀρχή.
185 Il est par exemple invité au mariage d’Autoboulos, fils aîné de Plutarque (Propos de table IV.3 ; 666 D) ; la “question” est “Pourquoi l’on invite aux noces tant de personnes pour le repas”). Plutarque lui dédie les neuf livres de Symposiaka et les Vies Parallèles.
186 RP III, p. 688 n. 3 ; V, p. 474 n. 193, etc. C. P. Jones, “Sura and Senecio”, JRS 60, 1970, pense plutôt à la Phrygie du sud.
187 Comme généralement tous les amis de Plutarque : C. P. Jones, Plutarch and Rome, Oxford, 1971, p. 60-61.
188 L’“épithalame’’de Violentilla et Stella VI.21, épigramme assez fantaisiste à comparer avec la Silve de Stace (I. 2), est peut-être plus impertinente qu’on pourrait croire : dare au vers 2, peccare au vers 4 sont équivoques. En tout cas Martial n’hésite pas à faire de Vénus et de Mars des époux, ce qu’ils ne sont nullement ailleurs.
189 Pour les “attitudes” de Martial en matière de sexualité, voir J. P. Sullivan, Martial : the unexpected classic, Cambridge, 1991, p. 185-210.
190 Cf. A. Balland, “Quelques relations aristocratiques de Martial”, REA 100, 1998 (p. 43-63), sur le remariage de Lupus VI.79 : Tristis es et felix..., p. 48.
191 C. P. Jones, ibid., p. 55.
192 Epist. I. 13 (sur les mœurs littéraires du temps) et IV.4 (demande d’un tribunat de six mois pour Varisidius Nepos).
193 I.49.40 ; VI.64.13 ; VII.47 ; peut-être IV.55.1.
194 Selon nous Faustinus.
195 Frontin, Stratagemata, IV.3, § 14 (le livre IV des Stratagemata est peut-être d’un continuateur, très bien informé).
196 Ne serait-ce pas lui, plutôt que Sura, qui apparaît sur le relief de la colonne Trajane reproduit par R. Bianchi-Bandinelli, Rome. Le centre du pouvoir, Paris, 1969, p. 227 ?
197 R. Syme, “Marriage Ages for Roman Senators”, Historia XXXVI, 1987, p. 318-332 = RP VI, 232-246.
198 PIR 2 I 669 ( ?)
199 X.58, vers 5-6.
200 Son testament dans Pline, qui lui succéda en 103 dans sa prêtrise (Epist., IX.19).
201 Callistratos était, nous l’avons dit, le nom d’un ami de Plutarque dont Martial a pu avoir connaissance, ou qu’il a pu même rencontrer. Mais il apparaît dans une série d’épigrammes reposant sur des pseudonymes grecs, et ç’en serait un très satisfaisant pour figurer Frontin, homme de guerre et auteur des Stratagemata, apparemment antérieurs à l’épigramme IX.95 b. – Le nom est par ailleurs flatteur, illustré qu’il avait été par l’orateur et homme d’état qui avait dominé la scène à Athènes en 336 et dont le prestige avait déterminé la vocation de Démosthène (Plutarque, Vie de Démosthène, V.1-5).
202 Juvénal, satire III.159, cf. XIV.324, : sic libitum vano, qui nos distinxit, Othoni. Protestation qui n’est pas plus égalitariste que celle de Martial.
203 Il n’en est pas de preuve décisive ; mais c’est une forte vraisemblance (C. P. Jones, o. c., p. 29-30).
204 Cf. Suétone, Divus Augustus XLIV.1 : réorganisation de la cavea du théâtre, miroir de la société du Novus Status.
205 XII, epistula à Terentius Priscus sur ce qui faisait sa vie à Rome : bibliothecas, theatra, convictus.
206 Cf. l’anecdote qu’il raconte dans le De soll. anim. 973 E-974 A d’une prestation qui se donna devant Vespasien au théâtre de Marcellus – en l’occurrence un spectacle de cirque ; elle révèle sans doute qu’il y avait assisté personnellement.
207 Ainsi dans la deuxième pièce des Spectacula et en IV.25.6.
208 Voir le tableau généalogique de la famille d’Antonin le Pieux et de Faustine l’aînée dans l’introduction à la vie d’Antonin de l’Histoire Auguste éditée et traduite par A. Chastagnol, Paris, 1994, p. 89.
209 Sur les travaux de Mucien et ses écrits, voir L. Duret, “Poètes et prosateurs mal connus de la latinité d’argent”, ANRW II, 32.5, 1986, p. 3306-3308. Plus importants littérairement que les curiosités variées recueillies au cours de ses voyages dans ses Commentaires étaient les travaux qu’il mena dans la fin de sa vie et qu’évoque Messala dans le Dialogus de oratoribus : avaient déjà paru en 75 onze volumes d’Acta (c’est à dire d’actiones, actions en justice, plaidoyers) et trois d’Epistulae de la fin de la République.
210 H. Bardon, La littérature latine inconnue, Paris, 1956, p. 180 donne la liste des emprunts de Pline aux écrits de Mucien.
211 Plus exactement sans doute de Lycie-Pamphylie : la Lycie – où les Licin(n)ii sont nombreux – ne semble avoir été constituée en province distincte de la Pamphylie et “autonome” que durant une très courte période de Galba (68) à Vespasien (70) ; c’est du moins ce que nous avons soutenu dans un article des Cahiers, 3 du Centre G. Radet de l’Université de Bordeaux 3, en 1983 (article dactylographié non paginé). Pline le donne pour légat de Lycie (R. Syme, RP II, p. 744).
212 Pour ce qui est de la Lycie, Pline trouvait, outre la notice relative au platane (XII.9), mention (XIII.88) d’une autre curiosité : Mucien avait lu dans un temple de sa province une lettre du mythique Sarpédon, qui conduisait dans la guerre de Troie le contingent des Lyciens alliés des Troyens.
213 R. Syme, “Senators, Tribes and Towns”, RP II, p. 585 et 591 ; “Pliny– the Procurator”, RP II, p. 773, n. 1 ; cf. Tacitus II, p. 791.
214 R. Syme, “Spaniards at Tivoli”, RP IV, p. 104 n. 59 regrettait, dans un article paru dans Ancient Society XIII-XIV, 1982-1983, que la Sergia n’eût pas fait l’objet d’une étude systématique.
215 Cf. infra, n. 236, sur les valeurs ominales de l’arbre. Le sentiment très ancien d’une symbiose entre l’homme et l’arbre n’a pas totalement disparu, même dans les sociétés les plus rationalistes.
216 Pline l’Ancien, NH III.12 : une des colonies jouissant de l’immunitas de la juridiction de la colonie d’Astigi (Augusta Firma) ; voir le commentaire de H. Zehnacker dans son édition du livre III dans la CUF, Paris, 2004, p. 104 pour la date de la fondation.
217 J. Kubitschek Imperium Romanum tributim discriptum, Prague-Vienne-Leipzig, 1889, p. 173 : Corduba colonia Patricia cognomine tribu Galeria.
218 Id., ibid., p. 182 : L. Vettius C. f. Ser(gia), centur(io) leg(ionis) XXX, IIvir iterum c (olonorum) c (oloniae) C (laritatis) Iuliae.
219 Un poète rieur (I.61.9 ; III.20.21) ; il est au nombre des invités de la cena X. 48.
220 R. Syme a consacré un Appendice de son Tacitus II, p. 790 sq à Mucien et Sura (cf. RP II, p. 773, n. 1 ; V, p. 606).
221 Sur cette colonie, Pline NH III.24 et commentaire de H. Zehnacker, p. 117 ; R. Syme, RP IV, p. 81 sq. et 109.
222 La Lacétanie est citée par Pline, NH III § 22 et 24 (également XXV § 17) : H. Zehnacker, p. 115 (§ 22) et 119 (§ 24). Martial semble la nommer Lalétanie.
223 Cf. l’article de la PIR 2 L 253.
224 Que ce personnage soit le Licinianus de I.49, qui aurait été – c’est l’opinion largement majoritaire – *L. Licinianus ou, comme nous croyons, L. <Licinius Sura>, son ami ou parent, l’appellation “Luci” en tête du poème est très remarquable par la proximité, qui n’est pas forcément familiarité, dont elle témoigne ; elle ne peut être sociale (Lucius est un grand personnage) mais affective, et, dans le cas où il s’agirait de Licinianus sans le moindre doute, elle reposerait sur une communauté de “patrie”. – On se demande si Martial n’aurait pas choisi de désigner le destinataire de son épigramme IV.55 par la partie de sa nomenclature – le prénom – qu’il avait en commun avec le destinataire de l’ode (I.7) d’Horace qui inspire l’ouverture de l’épigramme, à savoir le grand L. Munatius Plancus. – Au reste, le prénom Lucius dérive de lux : il désignait, originellement, l’enfant “né avec la lumière du jour” ; et l’adverbe luci vaut “en pleine lumière”, “en plein jour” ; tout porte à croire que Luci, gloria temporum tuorum désigne ce Lucius comme “un soleil”.
225 Sura n’est mentionné que trois fois, en dehors de IV.55,1, dans les Épigrammes : en I.49.40 où il est, pour Licinianus, Sura... tuus, et dans les deux poèmes qui lui sont adressés : en VI.64, en 91, il figure parmi les puissants protecteurs de Martial, Silius Italicus, Regulus, lui-même Sura, et... Domitien ; il est clairement couplé avec l’empereur : sa demeure de l’Aventin qui domine le Circus Maximus et d’où il peut voir les courses de char, fait pendant à la domus Flavia, de l’autre côté de la vallée Murcia, sur le Palatin ; on dirait presque les jumeaux Rémus et Romulus... réconciliés. En VII.47, de 92, il est salué comme le docte orateur dont l’éloquence ramène à Rome celle “de nos graves aïeux”, lors de son retour à la vie : il avait été jugé perdu et déjà pleuré. – C’est peu en quantité, mais ces mentions sont de poids, et il faut à nos yeux leur ajouter la longue épigramme IV.55 (29 hendécasyllabes) aussi importante que... problématique.
226 Cette synthèse nous paraît fondre en une profonde unité la patrie paternelle lucanienne (précisément, Venouse) et une quasi patrie maternelle, Tibur ; et sous la formulation géographique, l’éloquence du nouvel Arpinate Sura et la poésie du “Flaccus de Calabre” – Horace.
227 Sur la parenté des deux orateurs Licinianus et Licinius Sura, R. Syme, RP V, p. 109 (“perhaps”).
228 R. Étienne, “Les passages Transpyrénéens dans l’Antiquité”, article repris dans En passant par l’Aquitaine, Bordeaux, 1995 (125-146), p. 138-139.
229 R. Syme, RP V, p. 644-645 considère cette possibilité comme très vraisemblable.
230 Le cognomen Sura est attesté épigraphiquement à Celsa.
231 PIR 2 M 163.
232 Voir e. g. W. Eck, “Senatoren von Vespasian bis Hadrian”, Vestigia 13, 1970, p. 67.
233 R. Syme, “Domitian. The Last Years”, RP IV, p. 266.
234 La naissance de Sura, antérieurement estimée proche de celle de Tacite (55-56) a paru devoir être remontée d’une quinzaine d’années à la suite de l’attribution d’un horoscope (CCAG VII. 2.83) à Sura par T. D. Barnes, Phoenix XXX, 1976, p. 6 sq. Le sénateur en cause était né le 5 Avril 40. Cette datation a été adoptée par G. Di Vita-Evrard, “Des Calvisii Rusones à Licinius Sura”, MEFRA 99, 1987, p. 281-323, qui date le premier consulat (suffect) de Sura de 85 (p. 321-323). R. Syme était dubitatif (RP VI, p. 405).
235 La nomenclature – en particulier le prénom Lucius, pour un fils d’un C. Manlius Valens adopté par un C. Licinius Mucianus (double hypothèse) ne nous paraît pas en constituer un : C. Manlius Valens pouvait fort bien avoir prénommé son fils Lucius, et ce prénom être conservé après la supposée adoption par Mucien.
236 Un arbre exceptionnel, poussé dans une propriété familiale, est aisément considéré comme un prodige et peut être senti comme un omen (imperii en l’occurrence) ; quand, de plus, il a été planté par César... On pense à ce qu’ont représenté pour T. Flavius Sabinus I (père de Vespasien) les pousses successives d’un chêne centenaire sur une terre de la famille des Flavii (Suétone, Vespasien, V.2). Le “dynamisme Romain” (H. Wagenvoort, Roman Dynamism, Studies in ancient Roman thought language and custom, Oxford, 1947) établissait un lien comme biologique, et non seulement symbolique, entre l’arbre et l’être humain (cf. J. Frazer, The Golden Bough XI, p. 165 sq). Le platane “de César” pouvait être dangereux et servir des ambitions : sic viret et ramis sidera alta petit... Martial, inspiré par qui ( ?) a soigneusement “équilibré” les tentations qui pouvaient naître dans la domus de Bétique ou chez ses rejetons par une couronne de roses : Sabinus, jeune homme, sera Thaliarque, roi du banquet de la vie : il possède la plus belle des couronnes, et saura s’en contenter.
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