III - L’empereur et l’ornement des cités
p. 459-488
Texte intégral
1Le κόσμος de la cité était un idéal culturel et civique, permettant à l’hellénisme de s’exprimer selon des modalités adaptées à la paix romaine, et à la cité de mener des débats sur des sujets désormais jugés essentiels et par où elle manifestait aussi sa cohésion et son identité. La construction de temples du culte impérial à un niveau provincial était ainsi un moyen d’acquérir une illustration supplémentaire et pour les autres cités du koinon de se réjouir ensemble de cet accroissement de beauté pour leur région. Analyser la vague de construction d’époque romaine en partant des valeurs de l’hellénisme et de l’observation de la vie civique ne permet donc pas de confirmer l’hypothèse d’une présence administrative paralysante et qui aurait tout contrôlé, ou donné une nécessaire impulsion à nombre de travaux. L’ornement de la cité était le résultat d’un processus impliquant d’abord et avant tout des enjeux et des intervenants de niveau civique, en particulier grâce à la rivalité entre les notables et au désir de la cité de garantir son statut et son renom par l’acquisition de beaux monuments publics. Dans ce jeu interne à la cité, la figure du gouverneur et la législation impériale n’ont pas paru très présentes avant le dernier tiers du iiie siècle. Le personnel administratif provincial prend alors le relais de la construction publique et reçoit des éloges de la part des cités en des termes traduisant une grande continuité culturelle, sinon de la vie politique civique, avec le Haut-Empire.
2La figure de l’empereur agit de manière encore différente. J.-P. Martin a montré comment il était naturel aux Grecs de concevoir le princeps romain “comme le souverain hellénistique auquel il a succédé” et “l’instrument de la Providence envoyé sur terre pour le salut de l’humanité ; il est ‘vertueux’ et sauveur”1. Le décret du κοινόν d’Asie sur l’adoption du calendrier julien exprime librement, sans qu’Auguste la leur ait dictée, cette conception selon laquelle l’empereur assure le bon ordre du monde, manifeste une bienveillance supérieure, est le garant de la paix et de la prospérité futures. Ce bon ordre garanti par l’empereur correspond, à un niveau supérieur, au bel ordre, au κόσμος de leur cité. L’harmonie du monde garantit la stabilité de la cellule civique. Les habitants de l’Asie mineure occidentale conçoivent spontanément les bienfaits et la paix que le souverain doit leur apporter en héritiers de l’époque hellénistique, et non pas d’abord en fonction de la diffusion d’une idéologie augustéenne : “le bon roi – ou tout simplement le roi par opposition au tyran – est, en tant que tel, un bienfaiteur” – ces mots de Ph. Gauthier2 valent également pour l’époque impériale, aussi lorsque l’on songe que pour les Grecs le basileus est aussi bien l’empereur que le roi. P. Veyne rappelle par ailleurs que dans le style monarchique qui était celui des rapports entre l’empereur et ses sujets, tout ce qu’il faisait passait pour un bienfait, y compris la formalité administrative la plus banale3. Aussi la présentation de l’empereur comme sauveur et fondateur dans les cités grecques doit-elle être exactement évaluée. Les inscriptions où très concrètement un financement impérial est attesté sont en réalité assez peu nombreuses en Asie. L’activité de l’empereur revêt essentiellement d’autres formes qu’une action en faveur de l’ornement des cités. On ne conçoit pas que l’empereur doive intervenir souvent, ou que l’ornement de la cité soit le résultat de son action personnelle, bien au contraire4.
3Cette apparition de l’empereur sous un jour bienfaisant mais lointain contribue à lui donner un rôle particulier aux yeux des habitants des cités de culture grecque. À cause de leur culture hellénique, un type particulier de rapport politique et symbolique existe donc dans ces cités avec l’empereur, figure extérieure dispensatrice de bienfaits et garante de bonnes conditions propres à assurer la continuité de l’hellénisme et de la vie civique. La cité d’Aphrodisias constitue à cet égard un cas-limite éclairant, où l’empereur n’a jamais financé aucune construction d’ampleur5 et où sa figure et la représentation que les habitants se font de l’empire sont néanmoins exposées dans l’espace urbain et particulièrement instrumentalisées dans le débat civique. L’idéologie impériale a donc des points de rencontre avec l’idéal civique d’époque romaine, car tous deux servent, aux yeux des Grecs d’Asie mineure occidentale, la continuité et le bonheur dans leur cité, tandis que pour les autorités romaines cet idéal d’illustration civique par l’ornement du paysage urbain est conforme aux valeurs d’un groupe de notables exerçant un pouvoir oligarchique, qui leur paraît sûr. Ce constat permet de préciser comment les empereurs ont pu seconder les entreprises de construction dans les cités d’Asie, sans que l’on puisse parler systématiquement ni même souvent de politique d’urbanisme ni de rôle moteur.
Le financement de constructions par l’empereur
4La politique impériale de construction dans les provinces d’Asie mineure a été examinée en détail par E. Winter6. La première partie de son travail indique les raisons de l’intervention de l’empereur : au premier chef, il s’agirait de l’épanchement de la libéralité impériale, après des catastrophes naturelles ou lors de sa visite dans des provinces7. La maiestas imperii et l’utilité publique sont également invoquées. Il faut donc évaluer précisément, à partir des inscriptions et des sources littéraires, les interventions réelles des empereurs dans les cités d’Asie – sans partir du présupposé qu’une “politique” impériale en la matière exista continûment ni qu’elle fut la même partout. Les lettres de Pline le Jeune lors de sa légation en Pont-Bithynie doivent aussi être utilisées très prudemment. Le bain de Claudiopolis, par exemple, construit grâce aux sommes versées par les bouleutes entrés au Conseil sur décision de Trajan d’en augmenter le nombre, est considéré par Pline comme un bienfait impérial, munus tuum8. Dans ces lettres nous ne pouvons prendre connaissance, en réalité, quasiment uniquement que de cas de financement civique ou privé ; elles sont cependant toutes citées par E. Winter dans le sens d’une participation impériale importante, voire d’un financement impérial9.
5Le tableau proposé par E. Winter à la fin de son ouvrage sur la participation impériale à la contruction publique dans les cités d’Asie mineure10 peut ainsi donner une impression fausse, si l’on s’en sert pour évaluer l’intervention réelle de l’empereur pour construire des monuments publics dans les cités d’Asie mineure : à côté des cas assurés, essentiellement connus par des inscriptions, il indique également les occasions où l’empereur n’a fait que donner son accord sur la requête expresse des cités, sans rien financer (les temples néocores), et des cas qui ne sont que des présomptions très incertaines11. On ne peut donc arriver à des conclusions solides qu’en identifiant clairement les monuments où le nom de l’empereur apparaissait au nominatif et qui étaient donc en position de manifester une idéologie impériale, et la manière dont cette intervention est perçue par les habitants des cités grecques.
Quelques idées fausses
L’interprétation des sources
6L’idée d’une intervention récurrente de l’empereur dans les cités peut naître d’une appréhension inexacte des types de sources et de leur contexte dans l’Antiquité. Sous les Flaviens, une fontaine monumentale de Milet fut restructurée. Seuls des fragments d’inscription subsistent, portant le nom de M. Ulpius Traianus, proconsul d’Asie en 79-80, à l’accusatif. L’intervention de l’empereur Titus dans ce cadre reste donc une hypothèse non étayée12. Éphèse obtint sous Domitien une néocorie impériale. M. Tigellius Lupus, secrétaire du peuple, a alors participé à la rénovation des bâtiments anciens, pour qu’ils conviennent “aux nouvelles grandeurs des bâtiments augustes”13, τος νέοις τν Σεβαστείων ἔ[ρ]γων μεγέθεσιν (l. 11-12). À Cibyra les “bâtiments augustes” désignent peut-être, dans l’inscription en l’honneur du légat Q. Veranius, des bâtiments financés en partie sur fonds impériaux. Mais le contexte est différent : à Cibyra, la cité se remet d’un tremblement de terre, et c’est un légat qui est chargé de la responsabilité de la construction de ces bâtiments. Dans le cas de la néocorie d’Éphèse, le temple de Domitien a été financé comme il est normal par le koinon14, tandis que le gymnase du port, appelé “gymnase auguste”, a été construit, d’après les sources épigraphiques, par des particuliers, probablement également sur fonds civiques. Il est possible que l’empereur ait participé par des dons de colonnes ou une somme d’argent, comme à Smyrne au moment de l’obtention de sa deuxième néocorie sous Hadrien. Mais la cité n’a pas été remodelée par un ensemble de bâtiments de grandes dimensions qui seraient uniquement dus à une générosité impériale. L’expression “bâtiments augustes” peut se rapporter, sur le modèle de certains bâtiments dénommés d’après un nom impérial, à des constructions sur fonds civiques auxquelles les autorités de la cité donnent cette appellation. Ainsi “l’aqueduc Domitien”, ὕδωρ Δομιτιανόν, a-t-il été, sans aucune ambiguïté, construit sur fonds publics, et inauguré en 92-93 par le proconsul d’Asie :
ὁ δμος ὁ Ἐφεσίων
ὕδωρ Δομιτιανὸν εἰσή-
γαγεν ἐπὶ Καλουεισίου
4 Ῥούσωνος ἀνθυπάτου το
καὶ φροντίσαντος τς [εἰ]σα-
γωγς καὶ καθιερώσαντος
[[ ]]
8 [[ ]]
“Le peuple d’Éphèse a réalisé l’adduction de l’aqueduc Domitien, sous le proconsul Caluisius Ruso, qui a aussi conçu la conduite et a fait la dédicace [[-]]”.
7Le rôle du proconsul a été important, mais quel qu’ait été le contenu de la phrase martelée, le début de l’inscription est sans détours : c’est bien le peuple d’Éphèse qui a financé l’adduction d’eau15. Par ailleurs, une autre inscription comportant le nom et la titulature de Domitien, en latin, au nominatif, datant de 86, est interprétée par H. Halfmann16 comme le financement de la construction d’une rue par l’empereur à Éphèse : il est plus vraisemblable qu’il s’agisse d’une route, où l’implication impériale est normale et attendue. Au total, il n’existe donc aucune attestation d’un financement par l’empereur d’une construction dans la capitale d’Asie à l’occasion de l’obtention de la première néocorie, et encore moins donc d’un remodelage d’Éphèse sur des plans impériaux17.
8Quelques inscriptions citant l’empereur au nominatif doivent également être replacées dans un contexte précis. À l’époque augustéenne, une inscription de Métropolis, bilingue, porte le nom d’Auguste au nominatif, indiquant qu’il a effectué une restauration dont la cura a été confiée à Gn. Domitius Corbulo18. Sous Hadrien, une stèle à fronton mentionne la titulature impériale au nominatif19. Selon E. Winter, il s’agit de travaux dans un temple20. Selon les commentaires de J. Keil et A. von Premerstein, cette stèle commémore peut-être des travaux sur une rue ; R. Merkelbach, J. Nollé et S. Şahin21 suggèrent de manière plus convaincante qu’il s’agit de travaux routiers, entre Éphèse et Smyrne22. Cette interprétation nous paraît la mieux assurée pour les deux inscriptions de Métropolis, celle de l’époque augustéenne et celle d’Hadrien. Par ailleurs, l’intervention supposée de l’empereur pour les portiques d’une petite cité d’Asie, Apollonia du Rhyndacos23, est tellement en dehors des cas que nous avons rencontrés jusqu’à présent, qu’il faut nous semble-t-il abandonner cette hypothèse et interpréter l’inscription comme celle de Métropolis, à moins qu’il ne s’agisse encore d’un autre travail (par exemple, un aqueduc, ce qui rend moins surprenante quoiqu’encore très inhabituelle l’intervention impériale24).
9Enfin, des inscriptions sans rapport avec des constructions, mais se trouvant sur un bâtiment daté à grands traits de l’époque concernée, ne peuvent être considérées comme des attestations d’un moyen de financement ou d’une initiative impériale. Le cas du temple de Zeus à Aizanoi est exemplaire. Il est communément admis que l’empereur Hadrien participa financièrement à la construction, ou qu’il en fut l’initiateur, car des lettres où il règle le problème de la propriété des terrains de Zeus ont été gravées sur le temple25. Les remarques de S. Price, selon lequel le temple fut commencé dès l’époque de Domitien, nous semblent beaucoup plus convenables au regard des sources numismatiques26. La volonté d’Aizanoi de participer au Panhellènion ne peut donc plus être considérée comme la cause de la construction du temple27 à la suite d’une impulsion impériale : la volonté de la cité de posséder un aspect monumental nouveau, conforme aux critères de l’hellénisme d’époque romaine tel qu’il se développe en Asie mineure occidentale, forme une raison suffisante.
10Peu de lettres impériales attestent donc véritablement l’octroi de financements directs pour des constructions : les lettres d’Hadrien affichées au temple de Zeus à Aizanoi concernent le règlement du conflit sur les terrains sacrés et ne peuvent servir comme argument en faveur d’un financement impérial du temple. La lettre de Caracalla à Philadelphie, indiquant l’obtention d’une néocorie de la part du prince, sur une stèle gravée en forme de fronton de temple, et portant l’acclamation “Antoninus t’a fondée”, Ἀντωνενός σ’ ἔκτιζε, n’indique pas non plus la construction effective du temple, et encore moins un financement de la part de l’empereur28 : elle signale tout simplement l’octroi d’une néocorie impériale et l’importance de ce privilège pour la communauté civique. Au chapitre des lettres impériales ayant longtemps jeté la confusion dans le débat historiographique, figure en bonne place la lettre d’Antonin le Pieux aux Éphésiens sur P. Vedius Antoninus29 : l’empereur n’y réprouve pas un hypothétique désaccord des Éphésiens avec la politique menée par P. Vedius Antoninus30, mais au contraire les félicite de posséder un tel évergète, et renouvelle son soutien à sa politique d’ornement de la cité, réclamé par ce notable31. L’empereur seconde ses efforts sur un point précis : la lettre aux Éphésiens la plus complète parle d’“aide pour l’ornement des bâtiments”, βοηθεία [εἰς τὸ]ν κόσμον τν ἔργων (l. 10-11) ; une deuxième, plus courte, indique qu’il “a aussi employé les dons obtenus de moi pour l’ornement de la cité elle-même”, ὅ[ς] γε κα[ὶ τὰ]ς παρ’ ἐμο χάριτας εἰς τὸν [κόσ]μον α[ὐτς] τς πόλεως [κα]τέθετο (l. 13-14)32. En se rapportant au vocabulaire habituellement employé dans les dédicaces de monuments publics, on peut identifier l’aide demandée et obtenue par P. Vedius Antoninus : non pas un soutien à l’encontre de la population éphésienne comme on l’a longtemps estimé, ni même de l’argent (jamais le nom de l’empereur n’apparaît autrement que dans la forme habituelle au datif dans les dédicaces du bouleutèrion et des bains construits par ce personnage), mais sans doute du marbre provenant de carrières impériales pour toute la décoration des surfaces et la décoration sculptée (κόσμος étant employé comme dans le texte des dédicaces monumentales, “avec tout son ornement”, c’est-à-dire “avec toute la décoration en marbre”, voir II. 1)33. Un autre type de problème est dû au fait que les auteurs d’époque byzantine, l’auteur du Chronicon Paschale, Malalas, ou même Georges Cedrenus, ne citent toujours, comme commanditaires des constructions qu’ils décrivent, que l’empereur. À l’occasion d’un tremblement de terre, cette assertion peut être avérée. En revanche, le récit par Malalas de la construction d’un bain public à Éphèse, comme à Nicomédie et Césarée de Palestine, par Antonin le Pieux, bains auxquels il donna son nom, doit susciter la prudence34. Tout d’abord, aucun édifice thermal en Asie (ou dans le Pont-Bithynie), n’a, à notre connaissance, été construit par un empereur35. D’autre part, la construction de bains à Éphèse à l’époque d’Antonin le Pieux est avérée, ce sont les bains construits au Koressos par Vedius Antoninus (on ignore la date exacte de la construction du gymnase de l’Est). On peut ici supposer une confusion36.
Identification du rôle exact de l’empereur
11L’empereur disposait certes de pouvoirs immenses. Mais une vision mécanique de son rôle tout autant que des cités grecques conduit à surestimer son intervention réelle dans la vie des cités tout en négligeant la lettre même des sources. E. Winter consacre ainsi un chapitre au thème des voyages impériaux et l’inclut comme motif de construction par l’empereur dans son tableau récapitulatif final. Cependant, l’examen des sources montre que dans les cités d’Asie, les traces de financement d’un monument public de la part de l’empereur dans une telle occasion sont extrêmement rares. Les voyages d’Auguste en Asie le conduisirent surtout à Samos ; son passage éventuel dans la capitale d’Asie aurait eu lieu après Actium37, il est donc difficile d’y rattacher les entreprises de construction d’aqueduc à Éphèse lors de son association au pouvoir avec Tibère, entre 4 et 14. Agrippa se rendit en Asie, mais nulle trace ne subsiste d’un éventuel financement de sa part de constructions de monuments publics. Vespasien fit halte, lors de son voyage d’Alexandrie à Rome en 70, en Lycie, mais il ne visita pas l’Asie mineure occidentale.
12Hadrien est généralement considéré comme l’empereur dont l’action est la plus caractéristique en Orient, au cours de ses voyages38. C’est bien à des liens particuliers avec la cité de Smyrne, grâce au rhéteur Polémon et à son séjour dans la cité, qu’elle dut d’obtenir une deuxième néocorie en 123 ; mais il ne faut pas oublier que l’obtention de ce titre est d’abord le résultat d’une requête exprimée par la cité (le verbe ἐπιτυγχάνειν employé dans la souscription d’après 123 rappelle39). Le mouvement premier se fait de la cité vers l’empereur, la cité ne recevant pas, sans l’avoir demandé, le droit de construire un temple et de rendre un culte à l’empereur, sans l’aide du koinon. Les bienfaits de l’empereur furent inattendus à cette occasion : alors qu’à Éphèse rien n’atteste un don impérial lors de l’obtention de la première néocorie, Smyrne d’après Philostrate, comme d’après la souscription datant de peu après l’obtention de la néocorie, reçut de l’argent et des dons de matériaux. Cette action de grande ampleur en faveur de Smyrne explique que l’empereur soit appelé “sauveur et fondateur” d’après des dédicaces en son honneur40. D’après Philostrate41, M. Antonius Polémon42 obtint d’Hadrien dix millions de drachmes, qui servirent à achever un “entrepôt à grains, un gymnase, le plus magnifique de ceux qui sont en Asie, et un temple visible de loin, sur le promontoire”, ἀφ’ ν τά τε το σίτου ἐμπόρια ἐξεποιήθη καὶ γυμνάσιον τν κατὰ τὴν Ἀσίαν μεγαλοπρεπέστατον καὶ νεὼς τηλεφανὴς ὁ ἐπὶ τς ἄκρας. Ce passage de Philostrate concorde en partie avec les indications fournies par la souscription réunissant plusieurs riches Smyrniens pour l’embellissement de leur cité peu après l’obtention de la deuxième néocorie. Les liens privilégiés établis entre la cité et l’empereur grâce au voyage d’Hadrien et surtout à Antonius Polémon permirent effectivement l’obtention de ces bienfaits43 : “une deuxième décision du Sénat, en vertu de laquelle nous sommes néocores pour la deuxième fois, un concours sacré, une atélie, des théologues, des hymnodes, 1 500 000 deniers, des colonnes pour l’aleiptèrion, 72 de marbre de Synnada, 20 de marbre de Numidie, 6 de porphyre”44.
13La visite d’Hadrien à Cyzique fut également suivie de la construction d’un temple néocore de l’empereur45. Plusieurs sources relatent cette fondation par Hadrien46 : ces sources d’époque byzantine, comme pour toutes les constructions, tendent à en attribuer le mérite unique à l’empereur. Malalas écrit : “Hadrien fonda dans la cité de Cyzique un temple tout à fait grand, qui est l’une des merveilles”47. Il n’y a pas de raison de douter que la source de financement fut le koinon d’Asie48 ; le verbe ktizein employé par Malalas indique tout simplement l’octroi par le prince de la néocorie à Cyzique et donc le droit d’y construire un temple49. Comme à Smyrne, il paraît de toute façon peu envisageable que l’empereur ait fait des dons pour un temple en son propre honneur. La bienveillance générale d’Hadrien envers l’Ionie pour des raisons culturelles et religieuses et les bienfaits qui s’ensuivirent, sous la forme d’octroi de néocories ou d’autres droits, eurent pour conséquence que de nombreuses cités lui attribuèrent le titre de sauveur, fondateur, ou bienfaiteur50. Il n’est pas possible de conclure que les bienfaits de cet empereur envers les cités prirent systématiquement la forme d’une intervention dans l’espace urbain51.
14Le cas de Lucius Verus à Érythrées a également été considéré comme ambigu. L’allusion à un “nouvel Érythros” dans une épigramme gravée sur un bloc de marbre provenant de la grotte de la Sibylle à Érythrées fait probablement allusion à la visite de Lucius Verus52. Elle fut l’occasion pour un notable de la cité, M. Claudius P[-], de rénover la grotte et la source53. Mais cela ne permet pas de mesurer une réelle implication, ni même une incitation, impériale54, en faveur de la construction publique. L. Robert commentant ce passage indique que la visite à Érythrées de l’empereur doit apporter la justice et la richesse, “ces mots reflétant le futur état bienheureux de la ville qui refleurira, sont ceux par lesquels les autorités d’une ville signifient qu’une année fut heureuse”55. Il n’est donc pas possible d’utiliser cet ensemble de documents provenant d’Érythrées en 162 comme l’indice d’un encouragement à la construction de la part de l’empereur, alors qu’il renseigne sur la conception par les Grecs du rôle de l’empereur et de sa place dans le monde, destiné à garantir son bon fonctionnement.
15Les voyages impériaux ne sont donc pas une occasion décisive pour l’empereur de marquer de son empreinte le paysage urbain56. Les statues élevées en l’honneur d’Hadrien, le qualifiant de sauveur, fondateur, évergète, ont sûrement un rapport avec son passage dans la région et plus sûrement avec sa politique empreinte de philhellénisme, car d’autres empereurs n’en bénéficient pas ; mais ces titres n’indiquent pas précisément la manière dont il a manifesté son amitié aux cités. Dans les cités d’Asie la liberalitas princière n’a pas pour exutoire de prédilection la construction. On attendait de l’empereur d’autres bienfaits, notamment de nature juridique, et c’est pour eux en particulier qu’on le remerciait. La construction à l’occasion de la visite de l’empereur, cette fois de la part des notables, ou des cités elles-mêmes, sera examinée plus loin : mais d’ores et déjà, la présence de l’empereur comme motif pour orner la cité paraît surévaluée57. Il faut enfin revenir sur les conséquences en matière d’urbanisme de la politique de “poliadisation” de la part de l’empereur.
16Sous les Flaviens, plusieurs communautés obtinrent un statut civique58. Hadrien participa activement à l’“urbanisation” (au sens de poliadisation) de la Mysie : Dion Cassius rapporte comment il fonda Hadrianouthérai59. Il s’intéressa également à la la Lydie60. Stratonicée, à l’entrée de la vallée du Caïque, reçut d’Hadrien le statut de cité61. Une lettre de l’empereur à la nouvelle cité indique qu’il lui accorde ce que ses envoyés réclamaient, car lui semble-t-il, cela est “juste et nécessaire pour une cité nouvellement créée”, δίκαια ἀξιον μοι δοκε τε καὶ ἀναγκαα ἄ[ρ]τι γεινομένῃ πόλει (l. 8-9). Il leur affecte donc les revenus du pays et la maison de Ti. Claudius Sokratès, dans la cité, qui tombe en ruines62. Cela ne relève pas d’une politique d’urbanisme sous l’impulsion de l’empereur : les magistrats de la nouvelle cité sont entièrement maîtres de décider de l’emploi de l’argent. L’urbanisation (c’est-à-dire l’octroi du statut de cité, polis) de certaines régions ressort directement aux compétences impériales, et doit être soigneusement différenciée des opérations d’urbanisme, qui sont le résultat d’un effort civique, des institutions politiques de la cité comme de ses habitants. Même si cela est possible, il est réducteur d’envisager que chaque communauté promue par l’empereur au rang de cité reçut également des dons pour construire des monuments publics : rien ne l’atteste et les communautés non civiques, nous l’avons vu (I), étaient dotées – par agrément et surtout pour ressembler à une polis – des monuments les plus courants.
L’intervention directe de l’empereur (injonction et financement) dans l’urbanisme
Le retour à la paix de l’époque augustéenne
17Lors du retour à la paix après des décennies de conflits violents, suscités par les guerres intestines romaines dont souvent le théâtre d’opérations fut le bassin égéen et l’Asie mineure, Auguste par diverses mesures encouragea la reconstruction de cités détruites. L’Asie a particulièrement bénéficié d’un ensemble de mesures de la part d’Auguste pour la restitution aux temples et aux cités de biens volés ou de revenus détournés. Le premier empereur a également pu fournir des sources de financement, de manière ponctuelle, pour certaines opérations. L’expédition de Labienus en 40-39, puis les déprédations d’Antoine63, causèrent des dommages qu’Octave-Auguste voulut réparer. Sous le proconsul Sex. Appuleius, en 26-25, Auguste restitua des propriétés à Artémis, dont les revenus financèrent la rénovation d’une section de la rue des Courètes à Éphèse64. C’est la seule évergésie impériale attestée, qui soit directement liée à un contexte d’après-guerre. Comme pour les tremblements de terre, sont attestées d’autres formes d’interventions. En 38 a.C., Octave écrivit ainsi aux Éphésiens pour qu’ils rendent une statue dorée d’Éros, volée à Aphrodisias, offerte par Jules César au sanctuaire d’Artémis ; il a également demandé le recouvrement par la cité, qui a souffert de la guerre contre Labienus, de ses propriétés publiques et privées65. En 31, Octave écrivit aux Mylasiens pour les plaindre de la destruction de leur cité par les Parthes de Labienus, rapportée également par Strabon66, neuf années auparavant. Beaucoup de citoyens sont morts, et “la cruauté des ennemis ne ménageait ni les temples, ni les sanctuaires les plus sacrés”67. Cependant, la fin de la lettre d’Octave est perdue et l’on ignore les mesures qu’il prit en faveur de la cité : il n’est donc pas possible, comme le fait E. Winter, d’affirmer qu’Octave s’est occupé de restaurer les monuments urbains68. R. K. Sherk remarque que Strabon, décrivant Mylasa, quelques années après sa destruction, dit qu’à son époque la cité “est parfaitement ornée de portiques et de temples”69, et qu’Hybréas après son retour la redressa (ἀνέλαβεν)70. Une autre inscription fait prendre connaissance en termes peu précis de l’action impériale en faveur des sanctuaires cariens. Elle se trouve sur le linteau de la porte d’accès au péribole du temple d’Hécate à Lagina71, vante la piété d’Auguste et suggère la restitution de biens ou le retour à l’état de pureté antérieur du sanctuaire, après sa profanation (τς θες Ἑκάτης ἀσεβηθείσης). Enfin, à Stratonicée de Carie, le culte de M. Agrippa est attesté encore sous le règne d’Antonin le Pieux72. Agrippa recevait probablement ce culte avec des empereurs romains dans le temple au-dessus du théâtre de Stratonicée. Il est possible que ce culte – tandis qu’un autre membre de la famille impériale, Drusus César, est honoré comme “évergète issu d’évergètes” – indique une aide particulière reçue par la cité après l’invasion parthe, dont cette région avait particulièrement souffert73.
18Une loi d’Auguste, connue par une lettre du proconsul Vinicius aux magistrats de Kymè en 27 a.C., indique des dispositions en faveur de la restitution des biens volés aux temples dans les cités grecques après les guerres civiles, et notamment les méfaits d’Antoine en Orient. La lettre de Vinicius fait connaître le cas de Kymè où un sanctuaire de Dionysos doit être restitué par Lysias fils de Diogénès à la cité74. Par suite de la même loi, Strabon indique qu’Auguste restitua à la cité de Rhoitéion, où se trouvent la tombe et un sanctuaire d’Ajax, une statue de ce héros, qui avait été volée par Antoine et emmenée en Égypte : “il la rendit aux habitants de Rhoitéion, comme il le fit pour d’autres statues, à d’autres cités”, ἀπέδωκε τος Ῥοιτειεσι πάλιν, καθάπερ καὶ ἄλλοις ἄλλους75. À Éphèse, en 6-5 a.C., Auguste fut à l’origine de de la restauration du mur d’enceinte de l’Artémision et du Sébastéion attenant, d’après une inscription bilingue76, indiquant que l’opération a été faite “à partir des revenus sacrés de la déesse”, [ἐκ] τν ἱερν τς θεο προσόδων (l. 6). Un légat, Sex. Lartidius, contrôla le déroulement du chantier. Il a également supervisé la restauration des bornes des cours d’eau et des routes appartenant à Artémis77 : cette mesure permet à Artémis de recouvrer des revenus injustement détournés, mais il ne s’agit pas d’une implication impériale directe en faveur de la construction de monuments publics. Cet ensemble de mesures en faveur des temples est en revanche tout à fait conforme au résumé de sa politique religieuse qu’Auguste propose dans les Res Gestae Diui Augusti : “une fois vainqueur, je replaçai dans les temples de toutes les cités de la province d’Asie les ornements que celui avec qui j’avais été en guerre s’était appropriés à titre privé après avoir dépouillé les temples”78, [εἰ]ς ναοὺς πασν πόλεων τς Ἀσίας νεικήσας τὰ ἀναθέ[ματα ἀπ] οκατέστησα, [ἃ] κατεσχήκει ἱεροσυλήσας ὁ ὑπ’ἐμο καταγωνισθεὶς πολέ[μιος].
Des interventions liées au statut des cités et à leurs relations avec Rome
19Éphèse concentre ce type d’interventions où l’empereur décide de financer une construction dans une cité, à cause de son statut. Cet honneur est toujours destiné à des cités entretenant des relations particulières avec Rome, et dont le statut n’interdit pas les interventions impériales, comme Aphrodisias, cité libre. Auguste finance ainsi dans la capitale d’Asie la construction de l’aqua Iulia d’après une inscription en latin79 et, avec Tibère, entre 4 et 14, la construction de l’aqua Throessitica, d’après une inscription bilingue80. De nouveau Éphèse est concernée sous Néron par une évergésie d’origine impériale. Il a rénové un aqueduc, ἀποκατέστησεν81 (son nom apparaît au nominatif). Il est possible de rattacher cette intervention impériale aux séquelles d’un tremblement de terre : sous Tibère, la cité a souffert d’un tel événement, et une action de restauration, plutôt que de construction, est bien adaptée à ce contexte.
20Trajan, d’après l’historien du xie s. Georges Cedrenus, offrit les portes du temple d’Artémis à Éphèse, qui se trouve à son époque au sénat de Constantinople ; il en offre une description détaillée82 : ce fait précis, bien qu’aucune autre source à notre connaissance ne vienne l’étayer, doit être mis en parallèle avec le financement par cet empereur de travaux au sanctuaire de Didymes et avec l’envoi de statues au sanctuaire des Néméseis de Smyrne83. Cette faveur pour Didymes s’explique par des raisons dynastiques : d’après une allusion dans Dion de Pruse, Trajan reçut à Didymes la prédiction qu’il accèderait un jour à l’empire, peut-être durant le proconsulat de son père, en 7984. En 102, Trajan fut prophète d’Apollon ; vers la fin de son règne, il fut stéphanéphore de Milet. Dans le contexte de cette prêtrise, il fit rénover la voie sacrée en 101-102, qui fut achevée sous la direction d’un légat propréteur d’Auguste qu’il nomma spécialement à cet effet. L’inscription indique, d’après C. P. Jones, que l’empereur accorda d’autres bienfaits à la cité85. L’empereur aurait ainsi ménagé la susceptibilité des autres grandes cités d’Asie en octroyant des droits ou des dons à leurs grands sanctuaires. Hadrien pour sa part, d’après une dédicace du Conseil et du peuple d’Éphèse, contribua au désensablement du port, et au détournement du Caÿstre qui l’obstruait86. La cité, d’après une autre inscription datant de 120, entreprit des travaux pour endiguer le fleuve Manthitès, “sur ordre d’Auguste”, κατὰ τὴν το Σεβαστο διαταγὴν(l. 8-9)87. L’intervention pour maintenir dans un bon état de fonctionnement le port de la cité n’a pas eu pour seul motif cette visite impériale : le souci stratégique et l’importance du port d’Éphèse à l’échelle de la Méditerranée orientale forment des explications suffisantes.
21Le cas de la Troade se distingue également, à cause du lien entre le passé mythique de la région et l’idéologie augustéenne. Auguste est ainsi cité au nominatif sur l’architrave de la façade orientale du temple d’Athéna à Ilion88. À Alexandrie de Troade, C. Fabricius Tuscus, un chevalier, a exécuté des travaux dans la colonie iussu Augusti. Sans autre précision, il n’est pas certain que le financement ait bien été d’origine impériale89, mais la main-d’œuvre pour les travaux, du moins, a été fournie par l’empereur sous la forme d’une cohorte commandée par Fabricius Tuscus. Un événement particulier peut néanmoins avoir déterminé l’intervention de l’empereur : selon D. Magie, le tremblement de terre de 26-25 a.C. peut avoir conduit à une action spécifique du prince, du moins à Ilion, car dans cette cité Auguste est honoré comme sauveur, patron, et évergète90. Alexandrie de Troade est une colonie et son cas diffère donc de ceux des autres cités : l’intervention impériale n’y a pas le même sens que dans une cité pérégrine. D’après Philostrate, Hérode Atticus utilise l’argument de l’ancienneté d’Alexandrie de Troade pour que le tribut d’Asie finance la construction d’un aqueduc et d’une fontaine dans la cité91. Il ne s’agit pas ici à proprement parler d’une évergésie impériale : Hadrien donne l’autorisation, mais le financement vient d’abord du tribut de l’Asie, et, à cause du montant excessif des dépenses, d’Hérode Atticus lui-même. À Ilion, d’après Philostrate également, Hadrien s’occupa de la restauration de la tombe d’Ajax92. Macrin, en 217-218, laissa lui aussi une trace à Ilion en faisant la dédicace de ce qui peut être une statue93. Dioclétien et Maximien enfin offrirent une statue de Zeus, et une autre d’Asklépios94, dans le sanctuaire d’Athéna Ilias. Ces interventions modestes prouvent néanmoins l’intérêt continu des empereurs pour la région.
22Pour Hadrien comme pour Auguste avant lui, on peut sans doute parler d’une véritable politique à l’égard des cités grecques d’Asie, qui s’étendit au domaine édilitaire. L. Robert indique que le titre porté par Hadrien de Panionios atteste que l’empereur “avait répandu ses bienfaits sur l’Ionie dans son ensemble, et c’est la confédération ionienne qui a dû le nommer Panionios, sans doute à l’imitation du titre de Panhellénios donné en 132 lors de la création du Panhellènion”. Hadrien, à la fin de son règne, a de la sorte restauré le temple de Dionysos à Téos95 et celui d’Apollon à Claros (il avait été prytane de Colophon avant 128)96. Ces deux cas présentent l’exemple rare d’être des attestations directes et sans détours de l’intervention impériale, des architraves monumentales portant la dédicace d’un monument, où l’empereur est cité au nominatif97. L’antiquité et le caractère vénérable de l’Ionie ont suscité l’intérêt de l’empereur philhellène – selon Philostrate il aurait également financé l’achèvement d’un temple ancien de Smyrne, sur le promontoire Mimas.
23L’empereur n’apparaît donc comme commanditaire qu’à Éphèse, pour des travaux importants, essentiellement liés à l’approvisionnement en eau de la cité et à l’entretien du port, et dans des cités où les liens dynastiques avec le passé mythique de la région sont puissants. Trajan n’oublia pas cette province où il avait suivi son père lorsqu’il était proconsul : on note son attention pour Apollon de Didymes, les Néméseis de Smyrne ou Artémis d’Éphèse. À Téos, à Claros, sans doute aussi à Smyrne pour le temple de Zeus Akraios, Hadrien manifesta son philhellénisme par ses interventions sur des temples prestigieux. Beaucoup d’événements de la vie des cités pourtant en rapport avec l’empire n’impliquent pas d’intervention impériale concrète et directe, contrairement à une première impression. Le rôle des empereurs dans l’urbanisme des cités à l’occasion de l’octroi d’une néocorie est ainsi habituellement surévalué, au regard de ce que disent réellement les sources. L’obtention d’une néocorie est l’aboutissement d’un processus impliquant les cités, le Sénat et l’empereur ; lors des opérations d’urbanisme qui s’ensuivent, le rôle de la cité récipendiaire et du koinon est primordial. L’intervention impériale dans ce domaine reste rare, en dehors de contextes précis, en général liés à des crises, comme des tremblements de terre. Dans le cours normal de la vie des cités d’Asie, l’empereur n’est pas le commanditaire de constructions98 ; il n’a pas fait construire de théâtre, de bain ni d’agora99.
Les conséquences des tremblements de terre100
24Nous avons eu l’occasion de montrer que l’empereur romain intervient régulièrement à la suite d’un tremblement de terre, pour faciliter la reconstruction des cités et ainsi écarter la menace qui pèse alors sur leur survie. De temps en temps, cette intervention valut à l’empereur le titre de ktistès, sans que pour autant elle prenne systématiquement la forme d’une subvention pour la construction de bâtiments publics ; il faut pour comprendre ce titre le replacer dans le contexte plus large d’une politique en faveur d’une ou plusieurs cités, comme Hadrien en mena. Il nous importe de revenir ici non sur ce titre101, mais sur les modalités de l’aide fournie par l’empereur aux cités dans ces circonstances.
25Agathias de Myrina rapporte avoir vu de ses propres yeux une base dans un champ près de Tralles, où devait se dresser une statue. L’inscription rappelle l’action d’un notable pour sauver sa cité en 26-25102 :
Κλασθείσας πάτρας σεισμ ποτε, Κάνταβριν ἐς γν
Χαιρήμων ἔπτα, πατρίδα ῥυσόμενος.
Καίσαρι δ’ εἱλιχθεὶς περὶ γούνασι τὰν μεγάλαυχον
Ὤρθωσε Τράλλιν, τὰν τότε κεκλιμέναν·
Ἀνθ’ ν συγγενέες τοτο βρέτας, ὄφρ’ ἐπὶ βωμ,
Οα δίκα κτίσταν, τάνδε φέροιτο χάριν.
“Après la destruction de Tralles par un séisme, Chérémon s’envola vers la terre des Cantabres, pour sauver la patrie. Ayant saisi les genoux de César, “redresse l’orgueilleuse Tralles, qui a été détruite” ; pour cette raison des parents ont dressé cette image, pour qu’elle soit sur la base, elle qui porte remerciement au fondateur”.
26Strabon confirme l’aide reçue de l’empereur, alors que le gymnase et plusieurs parties de la cité s’étaient effondrés, ainsi qu’à Laodicée du Lycos103. Agathias indique également qu’Auguste envoya sept anciens consuls pour superviser le travail, et qu’ils reconstruisirent la cité, ἀναδομσαι τὴν πόλιν. Auguste aurait également envoyé des colons, sans donner à la cité le rang de colonie. La cité porta le nom de Kaisaréia, au moins jusqu’à l’époque de Néron104. L’action impériale ne revêt pas toujours cette forme : sont attestés des discours au Sénat en faveur des villes détruites, comme Tibère, alors simplement collègue d’Auguste, le fit pour Laodicée et Thyatire105. L’empereur peut également compenser la perte du Sénat quand il effectue une remise de tribut : en 12 a.C., Dion Cassius rapporte que l’Asie fut frappée par un tremblement de terre, et qu’Auguste paya au trésor public sur sa fortune personnelle le montant annuel du tribut106.
27En 17, les cités d’Asie furent frappées par un tremblement de terre violent. Là encore, l’empereur intervient dans une province qui n’est normalement pas de son domaine : le Sénat déduit des sommes du tribut des cités d’Asie, et Tibère, d’après Dion Cassius, leur donne également de l’argent107. Parmi toutes les cités frappées, Sardes en particulier a attiré l’attention de l’empereur. Strabon déplore le sort de cette ancienne capitale achéménide puis séleucide, cité antique et prestigieuse108 : “Récemment elle a perdu beaucoup de ses bâtiments à cause des tremblements de terre. Cependant, la prévoyance de Tibère, notre maître actuel, a, par ses évergésies, restauré non seulement cette cité, mais beaucoup d’autres, qui avaient partagé le même malheur à la même occasion”. La restauration des cités après une catastrophe naturelle est une entreprise vraiment impériale, qui se révèle être la seule occasion où l’empire se projette réellement dans l’espace urbain. Auguste a établi les fondements d’une tradition que ses successeurs reprennent : selon Strabon, Tibère a redressé Sardes et les autres cités de Lydie sur le modèle d’Auguste relevant Tralles et Laodicée du Lycos109. Sardes fut ainsi profondément remodelée après le séisme de 17, notamment par le tracé de grandes voies à colonnades110. Sous Tibère et sous Claude Sardes porte le nom de Kaisaréia, comme les autres villes de la région éprouvées par le tremblement de terre111. Kymè et Hyrcanis se nomment encore ainsi respectivement sous Nerva et sous Domitien. Philadelphie s’appela Néokaisaréia Philadelphia de Tibère à Claude112. La petite cité d’Apollonis porta également le nom de Kaisaréia, d’après une inscription récemment publiée113. En plus du titre de “fondateur”, Tibère fut honoré d’une statue à Rome de la part des cités qu’il avait aidées114. Une base de Pouzzoles copie l’inscription qui accompagnait cette statue, tandis que l’en-tête d’un décret retrouvé à Sardes citait treize cités, probablement en rapport avec le colosse de Rome115. Surtout P. Herrmann montre qu’une quinzaine d’années après le tremblement de terre, Tibère fut honoré par des inscriptions au formulaire identique, connues à Sardes116, Aigai117, Mostène118, Kymè119 : il “a fondé la cité, lui qui est le fondateur en une seule occasion de douze cités”, κτίστης ἑνὶ καιρ δώδεκα πόλεων τὴν πόλιν ἔκτισεν (l. 10-13 de l’inscription attribuée à Mostène par P. Herrmann). Un culte civique de Tibère est même établi, qui subsiste encore presque un siècle après les faits120.
28En 23, après le tremblement de terre de Cibyra, Tacite indique que “des sénatus-consultes furent pris à son initiative pour venir en aide aux cités de Cibyra en Asie et d’Aigion en Achaïe, ruinées par un tremblement de terre, en leur accordant une remise de tribut pour trois ans”121. L’initiative impériale est déterminante, mais en l’occurrence c’est bien le Sénat qui se retrouve en position d’aider concrètement la cité par une remise de tribut. Une base de statue dédiée par P. Petronius122, gouverneur d’Asie, qualifie Tibère de “sauveur et fondateur” de la cité123. Éphèse fut également frappée par un tremblement de terre en 23 ; une souscription de cette époque a peut-être un lien avec cet événement124. Cependant seuls des donateurs d’origine éphésienne sont mentionnés, et rien n’indique l’intervention impériale dans la capitale de l’Asie, bien qu’elle soit possible125. Sous Claude126, un passage de Malalas indique qu’Éphèse, Smyrne et beaucoup d’autres cités d’Asie souffrirent d’un tremblement de terre, et que l’empereur “leur offrit beaucoup pour leur redressement”, ἐχαρίσατο πολλὰ εἰς ἀνανέωσιν127. Comme souvent, il n’y a pas trace dans la cité concernée de la générosité de l’empereur envers un monument ou un quartier précis. Mais la construction d’un bain par Cn. Vergilius Capito à Milet au début des années 50 peut s’inscrire dans ce contexte de reconstruction après un tremblement de terre128, ainsi que, peut-être par le même personnage, la construction du bâtiment de scène sous Néron129. Il est également possible que le financement par Claude d’un aqueduc à Sardes fasse partie des opérations consécutives au tremblement de terre de 17 et, plus largement, du remodelage de la cité qui s’y déroulait depuis lors. Un aqueduc et une fontaine furent offerts par l’empereur, cité au nominatif ; l’ergépistatès fut un citoyen romain d’origine grecque, Ti. Claudius Apollophanès130. Cet homme qui a, le premier de sa famille, acquis la citoyenneté romaine (il se dit fils de Démétrios), peut avoir obtenu ce statut pour des services rendus lors de la reconstruction de Sardes131. Les opérations de reconstruction étaient longues : à Cibyra comme à Sardes, sous le règne de Claude, on continue d’effacer les traces des tremblements de terre de l’époque de Tibère. Entre 43 et 48, un chargé de mission par l’empereur, le légat d’Auguste propréteur Q. Veranius, est encore en fonction à Cibyra où il est honoré “pour s’être occupé des bâtiments augustes”132. Après Tibère, Claude fut honoré du titre de fondateur de la cité dans cette inscription. Cibyra associe de plus à son nom celui de Sebastè. Sous Antonin le Pieux, une dédicace porte le nom de “Césarée Cibyra” : malgré la variation entre Sebastè et Kaisaréia, s’agit-il toujours d’une référence à l’aide apportée lors du tremblement de terre de 23133 ? En définitive, il n’y a pas que sur l’île de Samos que l’intervention du prince est attestée, directement en lien avec un tremblement de terre : Claude y fit restaurer le temple de Dionysos, par suite de sa vétusté et d’un séisme134.
29Sous les Flaviens, plusieurs interventions eurent lieu, qui permettent de préciser les conditions de l’intervention impériale. E. Winter interprète une scholie d’Aelius Aristide comme l’attestation de la construction d’un palatium à l’initiative de Vespasien à Cyzique, peut-être après un tremblement de terre135. Pourtant cette mention semble devoir être considérée avec les plus grandes réserves. Tout autre exemple d’un tel bâtiment dans les régions d’Asie mineure occidentale est inconnu jusqu’aux interventions de Dioclétien à Nicomédie. Il ne nous semble donc pas, comme le fait M. Dräger de manière anachronique136, que l’on puisse parler de “subvention” pour la construction dans cette cité de la part de Vespasien. Si des constructions ont bel et bien eu lieu après un tremblement de terre (ce dont nous n’avons aucune preuve, malgré un passage de Suétone qui concerne tout l’empire137), il ne s’agit pas de “subvention”, et le premier bâtiment construit ne serait sûrement pas un palais, bâtiment tout à fait incongru dans le paysage urbain d’Asie mineure occidentale138, jamais évoqué dans les inscriptions ni dans les sources littéraires (les éloges de cités notamment).
30En revanche, il est possible que Laodicée et Hiérapolis aient été secourues sous les Flaviens, alors que, de manière choquante aux yeux de Tacite, Néron n’avait rien entrepris en leur faveur après un tremblement de terre en 60139. Sous Domitien, Sex. Iulius Frontinus, en 85-86, alors qu’il est proconsul, fait construire les portes et les tours de Hiérapolis, d’après une inscription qui le mentionne au nominatif sur les portes nord et sud de la cité140. La source de financement n’était pas indiquée explicitement ; comme nous l’avons vu, il semble qu’à la demande de Frontin, le Sénat opéra une remise de tribut partielle pour la cité lui permettant de trouver les ressources nécessaires. Domitien a pu encourager cette initiative141. À Aphrodisias, une dédicace à “l’empereur”, les Théoi Sebastoi Olympioi et Aphrodite, “ancêtre de la race des Augustes” indique qu’un bain fut construit “par l’obtention de la faveur des Augustes et à partir des matériaux provenant des bains d’Eusébès et des fonds donnés par Attalis fille de Ménékratès”, ἐκ τς ἐπιτραπείσης ὑπὸ τν Σεβαστν χάριτος καὶ ἐκ τς ὕλης το Εὐσεβιανο βαλανείου καὶ ἐκ τν Ἀτταλίδος τς Μενεκράτους χρημάτων (l. 3-6)142. J. Reynolds date ce texte de l’époque flavienne, la discrétion de la formule pour désigner l’empereur s’adaptant bien à Néron ou à Domitien. Le bain d’Eusébès a été détruit par un tremblement de terre sous le règne de Claude, des matériaux de construction y furent ensuite récupérés. La “faveur impériale” doit concerner la fourniture de marbre ou la mise à disposition de moyens pour construire le bain (argent, ingénieurs, main d’œuvre ?), plutôt qu’une autorisation accordée par l’empereur, dans la cité libre d’Aphrodisias.
31Sous Hadrien, d’après Malalas, Cyzique fut frappée par un tremblement de terre143 ; “il offrit alors beaucoup à la cité et la redressa ; aux citoyens survivants, il offrit de l’argent et des droits”, καὶ πολλὰ τ αὐτ πόλει ἐχαρίσατο καὶ ἀνήγειρεν αὐτήν·καὶ τος ὑπολειφθεσι πολίταις ἐχαρίσατο χρήματα καὶ ἀξίας. Ces indications sont confirmées par la métonomasie de la cité, souvent associée à une aide reçue dans ces circonstances : elle prit le surnom d’Hadrianè144. En 142145, se produisit un terrible séisme en Asie. Pausanias en parle, ainsi que de la générosité dont Antonin le Pieux fit preuve à cette occasion146 : “Les cités de Lycie et de Carie, ainsi que Cos et Rhodes, avaient été bouleversées par un violent temblement de terre qui s’était abattu sur elles. L’empereur Antonin aussi les restaura, au prix de dépenses énormes et grâce à son ardeur pour la reconstruction”. Aelius Aristide exhorte les Rhodiens à reprendre confiance : l’une des raisons est l’aide probable de l’empereur147. Une aide impériale très concrète est décelable à Stratonicée de Carie : Léôn fils de Panaitios est allé en ambassade auprès de l’empereur à Rome et “250 000 deniers ont été données à la cité par l’empereur”, κ(αὶ) ἐδόθησαν τ πόλ[ει] μυριάδες κε’ ὑπὸ το βασιλέως (l. 10-11)148. En 147 ou 148, se produisit un tremblement de terre qui affecta Lesbos et la côte d’Ionie149, notamment Éphèse. Peut-être en lien avec cet événement150, le Conseil et le peuple honorèrent Antonin le Pieux, “leur propre fondateur”151, tandis qu’un particulier lui adressa une dédicace, à lui “le fondateur de la cité des Éphésiens”152. Enfin, à Cibyra, Antonin le Pieux fut appelé par le Conseil et le peuple de la cité “leur sauveur et évergète”153. Ces titres forment une base mal assurée pour attester la nature d’une intervention impériale en faveur des monuments de la cité après un tremblement de terre154. L’intervention pour la cité put prendre la forme d’un discours au Sénat, d’envoi de techniciens, comme de dépenses personnelles. Ces modalités différentes de l’aide impériale qui ont des conséquences inégales dans le paysage urbain procèdent en revanche toutes de la bienfaisance impériale, attendue et normale. D’après Aurelius Victor, Marc Aurèle aida Éphèse à se relever après un séisme155. Après un tremblement de terre de 161, une lettre de la correspondance de Fronton indique en effet que Marc Aurèle sitôt empereur parla en faveur de la cité au Sénat156. Fronton fait l’éloge de l’habileté et de l’efficacité du discours de l’empereur, qui a ému les sénateurs : il fallait que la cité paraisse digne de “la compassion et de l’aide du Sénat”. Cette lettre confirme qu’en Asie, province sénatoriale, il n’est pas spécifiquement attendu de l’empereur qu’il agisse par des dons d’argent ; cette province relevant du Sénat doit avant tout obtenir de l’aide de ce dernier, par une remise de tribut notamment, le prince se contentant de donner son appui, décisif, à cette requête, et de parler en sa faveur. La puissance et l’efficacité de sa parole peuvent justifier de le qualifier de “fondateur”, ou de “sauveur”.
32Mais l’événément le plus marquant et le mieux connu est le tremblement de terre de 177 à Smyrne. Aelius Aristide obtint des empereurs une aide pour la cité157 : Marc Aurèle et le jeune Commode envoyèrent sur place un légat propréteur pour superviser la reconstruction158. Le discours XIX d’Aelius Aristide, adressé aux empereurs, permet de détailler à partir d’une source grecque ce qui était attendu de l’empereur dans un cas semblable. D’emblée, l’aide impériale est placée sous le signe de l’intérêt que les empereurs doivent trouver à cette action : en effet, une cité comme Smyrne est “le diadème des empereurs”, βασιλέων διάδημα159. Relever Smyrne doit placer les empereurs devant les plus grands rois160 :
Devenez les fondateurs de la cité, dès le commencement faites-la paraître nouvelle (…). Quels fondateurs, quelle sorte de rois n’allez-vous pas rejeter dans l’ombre ? quelles bornes de la libéralité n’allez-vous pas dépasser, en faisant advenir en une seule fondation, ce qui avec le temps et progressivement a été construit dans la cité ?
ἀλλ’ ὑμες οἰκισταὶ τς πόλεως γένεσθε, ὑμες νέαν ἐξ ἀρχς ἀποδείξατε (…). τίνας οἰκιστὰς, ποίους βασιλέας οὐκ ἀποκρύψετε ποίους οὐχ ὑπερβαλεσθε ὅρους μεγαλοψυχίας, ἃ χρόνῳ καὶ καθ’ ἕκαστον ἐκτήθη τ πόλει, ταυθ’ ἑνὸς οἰκοσμο ποιήσαντες γενέσθαι;
33Plutôt que de κτίστης, Aelius Aristide fait usage du terme οἰκιστής, comme dans la Palinodie sur Smyrne, discours prononcé alors que la reconstruction de la cité est en cours161. En plus du rôle de fondateur, on trouve à maintes reprises dans les propos d’Aelius Aristide, comme dans les inscriptions indiquant les titres décernés à des empereurs, celui de sauveur162 : “sauvez tout son ordonnancement”, τὸ πν σχμα σώσαντες. La Palinodie donne quelques détails sur l’aide apportée par les empereurs163. Elle comporte des modalités que nous avons déjà examinées, l’aide fournie par l’administration romaine pour que la cité recouvre des revenus qu’elle a perdus ou dont elle a été dépossédée et l’octroi d’honneurs individuels pour les évergètes les plus remarquables :
“Comme s’ils prenaient part à l’administration de la cité elle-même, ils ont désigné des sources de revenus, ont séduit ceux qui recherchent les honneurs en leur donnant l’espoir d’en obtenir, et ont promis l’aide des ouvriers, si nous le voulions, mais si nous ne le souhaitions pas, ils ne nous troubleraient pas ; et si en plus de cela nous voulions quelque chose d’autre, ils nous ont demandé de le leur dire, pour qu’ils puissent nous en gratifier”.
ὥσπερ ἐν αὐτ τ πόλει πολιτευόμενοι χρημάτων τε πόρους ἀπεδείκνυσαν καὶ τοὺς φιλοτιμησομένους ὑπ’ ἐλπίδων ἐκήλουν καὶ εἰς χειρν βοήθειαν ἐκάλουν καὶ ἐπηγγέλλοντο βουλομένους, οὐκ ἐθέλοντας δὲ οὐκ ἐνοχλήσειν, κἂν αὐτίκα πρὸς τούτοις ἕτερόν τι βουλώμεθα, λέγειν ἐκέλευον, ὡς χαριούμενοι.
34La volonté des empereurs, mise en valeur par Aelius Aristide, de préserver l’apparence d’autonomie de la cité, même dans des circonstances difficiles, est remarquable. L’habileté du gouvernement impérial envers les cités grecques à cette occasion est très grande. Un peu plus loin, Aelius Aristide précise l’ensemble des gains réalisés par la cité après le tremblement de terre qui a été l’occasion favorable d’attirer l’attention des empereurs et leur sollicitude164 : “En plus du redressement de notre patrie, nous avons reçu les plus belles choses, de l’argent, des ornements, des sujets d’honneur, des empereurs fondateurs et conseillers”, ἡμν δὲ ὁμο τ κομιδ τς πατρίδος χρήματα, κόσμοι, φιλοτιμίαι, βασιλες οἰκισταί τε καὶ σύμβουλοι, πάντα ὁμο γέγονε τὰ κάλλιστα. De plus, de même que Cyzique avait été défendue au Sénat par Marc Aurèle, Marc Aurèle et Commode “se firent nos ambassadeurs au Sénat romain, lui demandant de voter des décrets qu’aucun de nous n’aurait osé réclamer”165. L’intercession des empereurs en faveur de la cité auprès du Sénat est décisive, car il “accepte les mesures proposées par ses maîtres avec plaisir, et se montre plein de sollicitude pour Smyrne”166. Ce n’est que par la Chronique d’Eusèbe traduite par Jérôme que nous connaissons la nature exacte de l’aide apportée sur la requête de l’empereur par le Sénat à Smyrne : ad cuius instaurationem decennalis tributorum immunitas data est167.
35Le discours réclamant de l’aide aux empereurs insiste sur l’ancienneté de la fidélité de Smyrne à Rome et sur la bienveillance dont elle-même fit preuve, lors d’épreuves comparables, pour des cités d’Asie168. L’énonciation des mérites de la cité, qui donnent des raisons fortes pour lui apporter de l’aide, montre qu’Aelius Aristide ne conçoit pas le pouvoir impérial comme un dispensateur de bienfaits aveugle à l’identité et aux qualités des cités aidées. Le système des relations entre l’empereur et les cités est précis et dépend de la valeur et de la place hiérarchique reconnues à la cité. Cela rend moins vaines les luttes pour les titres et la grandeur, en même temps qu’une telle conception restitue un sens politique réel aux relations entre les cités et l’empereur : il n’aide pas des sujettes dénuées de toute capacité et volonté, selon son bon plaisir. La fiction d’un rapport politique équilibré est maintenue avec soin. Par ailleurs, la description de la générosité impériale emploie un vocabulaire conforme à celui de l’éloge des qualités morales des bienfaiteurs au sein de la cité : fonder de nouveau Smyrne est pour les empereurs “la plus belle occasion de montrer de l’honneur”, τὴν καλλίστην φιλοτιμίαν169. Mais, comme l’a montré l’énumération des bienfaits reçus de la part de l’empereur, leur aspect le plus concret est l’intervention impériale en faveur de la cité au Sénat, plutôt qu’une dépense personnelle des empereurs ; cela explique l’absence dans les cités de dédicaces où l’empereur apparaîtrait au nominatif et qui seraient attribuables à l’aide aportée après un séisme, à part de rares exceptions comme à Samos sous Claude. Ce mode d’aide, tout en étant très efficace, ne formait donc pas l’occasion d’un assujettissement plus marqué des cités à l’autorité impériale, ou d’une empreinte impériale plus profonde. Comme en temps normal, les cités supervisaient avant tout l’emploi des revenus qui étaient dégagés en leur faveur par le Sénat ou fournis par des fonctionnaires impériaux. La dédicace du portique ouest de l’agora de Smyrne en 178 respecte un formulaire habituel dans le cas d’un financement civique170 ; elle est exactement contemporaine de la Palinodie :
1 [ἡ λαμπροτάτ]η καὶ [πρώτη πόλεων τ]ς Ἀσί[ας καὶ δὶς νεωκόρος τν Σεβαστν Σμυρναίων πόλις] θεας Νε[μέσεσι – καὶ θεος πσι καὶ πά]σαις κα[ὶ Αὐτοκράτορι] Καίσ[αρι –]
“L’illustre et première des cités d’Asie, deux fois néocore des Augustes, la cité de Smyrne, aux déesses Néméseis [- à tous les dieux] et déesses et à l’empereur César [-]”.
36Le recours à l’empereur, dans la pleine conscience de son pouvoir immense171, et la joie de l’aide reçue n’annihilent pas le sentiment de sa propre valeur et du caractère remarquable de la cité au sein d’un ensemble culturel précis. Concrètement, l’immunité du tribut reçu par Smyrne lui permet d’utiliser son propre argent pour sa reconstruction : ainsi figure-t-elle au nominatif dans la dédicace de l’agora.
37En 243, Gordien III eut recours à une méthode éprouvée par ses prédécesseurs, la force du verbe impérial : cette fois, il s’adressa aux Aphrodisiens pour les exhorter à aider les Laodicéens frappés par un tremblement de terre172. Enfin Hiérapolis subit un séisme sous Sévère Alexandre, d’après un Oracle Sibyllin173 : il est possible qu’une commission de sénateurs, envoyés extraordinaires de la part de l’empereur, ait alors été dépêchée174. Dans ce cas, il s’agirait d’attestations d’une action continuée de l’empereur en faveur des cités frappées par des tremblements de terre après le iie s., par le moyen dont l’empereur faisait habituellement usage, c’est-à-dire envoyer des représentants sur place et parler en faveur des cités au Sénat175.
38Dans les cas où l’action impériale vise bel et bien à la reconstruction d’une cité par des dons d’argent, ces derniers sont donc le plus souvent mis à la disposition des institutions et des magistrats de la cité, éventuellement secondés par un chargé de mission de l’empereur pour leur utilisation. C’est pourquoi dans les dédicaces qui en résultent, la faveur impériale, bien que souvent réelle pour secourir les cités après un séisme, n’eut pas des traductions clairement énoncées dans leur paysage urbain ; presque aucun monument n’est directement attribuable à une générosité princière après un tremblement de terre. En règle générale, l’empereur agit d’abord en créant un contexte favorable pour la reconstruction, en parlant au Sénat, en envoyant des techniciens : il agit alors pour sauver la cité, action qui ne passe pas seulement par la restauration de la ville. Ce type d’action peut lui valoir le titre de “fondateur”, de même que les notables qui ont mérité ce titre ont préservé l’autonomie de la cité et défendu ses intérêts à l’extérieur, sans qu’il y ait de lien direct entre ce titre et le financement personnel de monuments publics176.
Conclusion partielle : de l’époque hellénistique au Haut-Empire
39Pour bien comprendre l’intervention de l’empereur après un séisme, il est nécessaire encore une fois de se replacer dans la perspective de l’époque hellénistique. C’était en effet une action traditionnelle de la part des rois que de venir en aide aux cités lors de catastrophes naturelles177. Selon L. Robert, “la plupart des mentions épigraphiques sont relatives aux réparations ou reconstructions consécutives aux catastrophes ; elles se répartissent à travers toute l’époque hellénistique et l’époque impériale”. Le rôle des fonctionnaires royaux à l’époque hellénistique était déterminant ; désormais, “l’intervention de l’empereur est attendue et normale”178. Auguste définit en effet comme une mission de l’empereur de relever les cités affligées de catastrophes naturelles179. Pour l’époque hellénistique, le cas du séisme de Rhodes vers 227 est à la fois bien connu et exemplaire : les rois rivalisèrent pour aider la cité, ce qui inspire des réflexions amères à Polybe sur la moindre ampleur des cadeaux royaux à son époque (avant 146)180. L’afflux des bienfaits vers Rhodes s’explique par le rôle géostratégique essentiel de la cité, dans sa lutte contre les pirates et comme plaque tournante du commerce méditerranéen, d’où l’intérêt des rois pour elle. Dans un monde commun comme l’empire où les grandes puissances autres que Rome n’existent plus, on comprend que les dons impériaux soient moins munificents que ceux des rois des années 220 pour une cité aussi importante que Rhodes. Mais pour l’époque hellénistique également, Ph. Gauthier avertissait de considérer le cas de Rhodes comme extrême, mais non singulier181 : les rois manifestaient leur euergésia envers les cités grecques qui en échange valorisaient leur don par leur reconnaissance et les titres qu’elles leur octroyaient, notamment sauveur et évergète182. Il était attendu de la part d’une puissance – qu’elle fût maîtresse de la cité ou non – qu’elle manifeste sa grandeur par ses dons. Strabon rappelle qu’en 88 Mithridate VI donna cent talents pour la restauration d’Apamée de Phrygie en ruines après un tremblement de terre183. Il convient néanmoins de souligner qu’avec l’hégémonie romaine, l’aide aux cités prit des formes différentes, et contre toute attente, affichant un respect plus grand de l’autonomie civique : on l’a vu avec le cas de Smyrne en 177. Les efforts des empereurs pour ne rien imposer aux Smyrniens contre leur gré, alors que leur ville est à terre, sont remarquables.
40On attendait toujours de l’empereur qu’il manifestât sa bienveillance. Ménandre le Rhéteur pose comme une évidence la préoccupation des empereurs lors de telles catastrophes, dans ses recommandations pour la composition d’un discours d’accueil des gouverneurs : “et tu rappelleras en particulier tout ce dont l’existence apporte utilité et vie, et dont les empereurs ont l’habitude de se préoccuper, comme les bains effondrés, les aqueducs détruits, l’ornement de la cité ruiné”, καὶ μάλιστα ἐκείνων μνημονεύσεις ἃ πρὸς τὴν χρείαν καὶ τὴν ζωὴν συμβάλλεσθαι πέφυκε, καὶ ν εἰώθασιν οἱ βασιλες προνοεσθαι, οον ὅτι λουτρὰ συμπέπτωκεν, ὑδάτων ὀχετοὶ διεφθάρησαν, κόσμος ὁ τς πόλεως συγκέχυται184. Cette bienveillance prend des formes variées et nouvelles, dans le cadre normalisé des relations entre les cités et le pouvoir central : la remise de tribut est une forme privilégiée d’intervention, au détriment des dons directs amplement attestés pour l’époque hellénistique, de manière beaucoup plus lisible que pour la période postérieure185. Une double conclusion se dessine : il faut certes remonter à l’époque hellénistique pour comprendre le vocabulaire employé par les cités à l’égard des empereurs bienfaiteurs ainsi que la manière que l’on avait de les concevoir ; mais il faut également s’écarter de certitudes toutes faites inclinant à croire que les dons impériaux sont plus nombreux et mieux attestés que les dons royaux, ainsi que facilement explicables. Pour l’Asie, il n’en est rien et c’est plutôt d’un nombre finalement restreint d’attestations qu’il faut rendre compte, ainsi que de dédicaces impériales qui n’avaient rien de courant.
41Après trois siècles de paix, l’Asie fut durement touchée par les invasions gothiques. Selon l’Histoire Auguste, Gallien prit des mesures pour faire fortifier les cités d’Asie, de Bithynie et du Pont186. De ces mesures de construction, on connaît l’intervention sur les murailles de Nicée, dédiées en 269 par Claude le Gothique187, et peut-être, bien qu’elle soit de datation incertaine, l’entreprise à Éphèse de Scaurianus, un procurateur – donc directement sous l’autorité de l’empereur188. Les autres inscriptions de construction conservées pour cette époque tardive ne permettent pas de discerner la figure de l’empereur commanditaire, dans un contexte réglant les relations entre les cités et l’administration romaine désormais différent.
La politique impériale vis-à-vis de l’“ornement de la cité”
42L’empereur n’apparaît donc pas de manière récurrente en tant que commanditaire de monuments publics en Asie. Il faut maintenant envisager l’attitude impériale vis-à-vis de la construction de monuments publics dans les cités, sur fonds privés ou civiques.
L’encouragement apporté par l’empereur
43Sur sollicitation des cités en général, nous avons connaissance d’un ensemble de documents, en général des lettres impériales, indiquant le contentement de l’empereur et l’approbation face aux politiques menées à un niveau civique. Les lettres adressées par les bureaux de Trajan à Pline vont dans ce sens : il ne s’agit jamais d’empêcher la construction d’un bâtiment public, même quand trouver les sources de financement se révèle un exercice difficile. Les initiatives des cités ne sont jamais contrariées par Pline ; son action consiste plutôt à exercer son autorité sur des entrepreneurs malhonnêtes ou à conseiller des cités peu avisées. La politique impériale en Asie189 ne va donc pas à l’encontre des aspirations des cités à accroître leur ornement en matière de bâtiments publics. C’est au deuxième siècle que l’on trouve son expression la plus nette.
44Dion de Pruse dit avoir obtenu le soutien de Trajan dans ses entreprises de construction190. Des exemples de lettres d’encouragement sont connus de la part d’Hadrien et d’Antonin le Pieux ; en général, les cités font connaître les travaux entrepris chez elles, et l’empereur apporte son soutien (qui reste avant tout moral et politique, sans nécessairement se traduire par des dons). Dion indique que “l’Empereur mandait par lettre qu’il voulait que votre cité gagne en importance à tous égards”, καὶ τὸν αὐτοκράτορα τοιατα ἐπιστέλλοντα τύχῃ τινί, ὅτι βούλεται πάντα τρόπον αὔξεσθαι τὴν πόλιν ὑμν191. Le vocabulaire de l’“accroissement” de la cité est récurrent dans les lettres impériales : il apparaît déjà dans la réponse envoyée de Bononia (Boulogne-sur-Mer) en 4 p.C. par Tibère aux Aizanites, en réponse à leur ambassade de félicitation pour sa désignation comme collègue par Auguste. Il précise qu’il essaiera “de participer à votre croissance dans toutes les occasions où vous estimerez devoir obtenir de l’aide”, συν[αύξειν ἐν πσι και] ρος ος ἀξιοτε τ[υχεν βοηθείας]192. Ce type de vocabulaire n’est pas utilisé normalement dans le contexte civique pour parler de nouvelles constructions ajoutées à la cité ; quand Aelius Aristide parle du nouvel aqueduc de Pergame, il évoque bien l’ajout d’un nouvel ornement à la cité, mais sans employer des composés du verbe αὔξειν193. L’“accroissement” de la cité, de même que les nouveaux “fondateurs”, ont donc une action plus globale, et moins directement visible dans le paysage urbain, qu’uniquement la construction de monuments publics. La lettre de Tibère ne fait pas la promesse de constructions futures dans la cité d’Aizanoi. En revanche, si l’empereur a une politique favorable à la cité et améliore son statut, ses privilèges, ses ressources194, la construction de bâtiments publics de la part de la cité et des notables de la cité conforte la bonne volonté impériale, comme le montrent les discours de Dion à Pruse. Les “dons”, δωρεαί, qu’Aelius Aristide mentionne de la part des empereurs envers les cités sont donc à la fois des dons financiers, mais surtout, si l’on prend le cas de l’Asie mineure occidentale, des signes de considération et de bienveillance, des statuts favorables, des privilèges ou des arbitrages195.
45Hadrien approuva la construction d’un aqueduc à Alexandrie de Troade, à la demande d’Hérode Atticus ; mais cette approbation répondait à une requête peu courante. De manière plus conforme au fonctionnement du gouvernement impérial, il répondit aux magistrats aphrodisiens, en 125, pour approuver la décision qu’ils avaient prise d’affecter les sommes versées par les grands-prêtres du culte impérial civique, lors de leur entrée en fonction, à l’adduction d’eau, et même pour les féliciter de cette proposition (ἐπαιν τὴν γνώμην). Il leur permit également d’examiner si vraiment le manque de ressources était bien le motif du refus d’assumer cette fonction par certains de leurs concitoyens. Enfin, les ergépistatai de l’aqueduc pourraient trouver “conseil et aide pour les points sur lesquels ils en auront besoin auprès de mon procurateur Pompeius Seuerus”, averti également par une lettre d’Hadrien, περὶ ν ἂν γνώμης δέονται καὶ συλλήψεως δυνήσονται τ ἐπιτρόπῳ μου Πομπηίῳ Σεβήρῳ ἐντυνχάνειν196.
46C’est sous le règne d’Antonin le Pieux qu’un ensemble de documents prouve le plus clairement la faveur de l’empereur pour les constructions de monuments publics. La lettre adressée aux Éphésiens sur P. Vedius Antoninus comprend une déclaration très nette197 sur l’intérêt de ces dépenses, meilleures pour la communauté que les distributions ou les spectacles. Antonin envoie des lettres félicitant également Opramoas de ses générosités pour des constructions, plutôt que pour des concours. Quelques points de législation de son époque appuient cette politique198. Enfin, Modestin se fait également le relais de la vision d’Antonin le Pieux des obligations de chacun envers sa patrie. Elle a des points de rencontre avec la conception idéale du rôle des notables dans leur cité. Le don volontaire est l’occasion pour eux de faire la preuve de leur qualité d’âme. Ainsi, d’après une lettre adressée par Antonin le Pieux au koinon d’Asie, même si des philosophes bénéficient d’exemptions, ce ne serait pas une attitude philosophique de leur part que de se refuser à faire partager leur richesse à leur patrie199. Dans ces années, en 150-160, Parion aurait reçu le legs de Peregrinus, en tout 15 talents, soit 900 000 deniers ; à l’annonce de ce bienfait, il est acclamé par ses concitoyens (ses motivations ne sont cependant pas seulement philanthropiques)200. A. Claudius Charax, qui a offert le propylée de l’Asklépiéion de Pergame à la même époque, était un proche de Marc Aurèle et se distinguait comme philosophe201. L’idéal de la vie civique était ici conforté par ces recommandations impériales, de même qu’à Aphrodisias où Hadrien félicite les magistrats de leur initiative pour construire un aqueduc dans la cité.
47Les documents connus au iiie s. continuent de faire l’éloge de la construction et du bel aspect des villes. Une lettre de Iulia Domna aux Éphésiens qui accompagnait celle de son fils Caracalla leur accordant une néocorie d’Artémis, les félicite de leur cité, “à cause de grandeur et de sa beauté”, διὰ [τὸ μέγεθος] καὶ κάλλος202. Nous avons vu l’importance pour Smyrne de se voir reconnaître le titre de “plus belle et plus grande d’Asie”, par l’empereur et le Sénat, et la portée réelle de ce titre qui n’est pas qu’une consolation203. La politique impériale envers les cités d’Asie mineure occidentale, c’est-à-dire quand l’empereur était non pas en position de financer un monument public, mais d’exercer une action coercitive ou une pression sur certaines entreprises, paraît donc avoir été favorable au mouvement de construction publique, l’avoir même secondé et aplani parfois des difficultés204. Ce rôle contribue à faire de l’empereur aux yeux des habitants des cités une figure favorable au développement de l’hellénisme tel que sa conception évolue à l’époque romaine : l’empereur agissait comme adjuvant, au besoin, à ces entreprises civiques205.
La question de relais informels entre l’empereur et les cités
48Dans l’espoir de n’ignorer aucun des moyens éventuels d’action de l’empereur sur les cités, et bien qu’en matière de construction publique l’idée même d’un recours à des arcanes du pouvoir nous paraisse d’abord peu utile, il faut à présent envisager le rôle éventuel de proches et amis de l’empereur, comme relais informels de la volonté impériale206. Ils peuvent être divisés en trois catégories : les membres de la famille impériale, qui, à l’instar d’Agrippa et de son épouse ont séjourné en Asie mineure ; les sophistes, dont les plus renommés d’entre eux entretinrent souvent des rapports étroits avec l’empereur ; enfin, à un niveau inférieur, les affranchis impériaux, considérés parfois comme des agents de la romanité.
49À Cyzique, Antonia Tryphaina, qui compte parmi ses ancêtres Marc Antoine et le rhéteur Zénon de Laodicée, épouse de Cotys VIII de Thrace, fit régner une grande dévotion envers la maison impériale. Elle a des raisons personnelles pour le faire : Caligula accorda les royaumes de Thrace, du Pont et d’Arménie mineure à ses trois fils, Rhoémétalcès, Polémon et Cotys207. La cité a également tout intérêt à clamer sa piété pour la dynastie augustéenne208 : en 25, soit treize années avant l’inscription en l’honneur de Tryphaina, elle avait perdu sa liberté pour avoir négligé le culte d’Auguste et permis des violences envers des citoyens romains209. Ainsi les travaux entrepris par Tryphaina sont-ils décrits comme un “projet digne de sa piété envers l’empereur”, “elle a manifesté encore une fois sa reconnaissance envers lui en lui consacrant la restauration de notre ville” (peut-être après un tremblement de terre), τὴν τς πόλεως ἡμν ἐπισκευὴν χαριστριον το Σεβαστο καθωσίωκεν. De plus, “elle a rouvert, collaborant avec la paix accordée par l’empereur, le détroit210 qu’on avait comblé précédemment par crainte de la guerre, restaurant ainsi, pour le compte du très grand et très illustre dieu (Gaius) César, une ville antique, néocore de sa famille depuis plusieurs générations” τά τε συνχωσθέντα τν εὐρείπων πρότερον φόβοις πολέμου τ το Σεβαστο συνανοίγνουσ[α] εἰρήνῃ μεγίστῳ καὶ ἐπιφανεστάτῳ θε [Γαΐῳ] Καίσαρι ἀρχαίαν καὶ προγονικὴν το γένους αὐτο νεωκόρον ἐπανακτωμένη πόλιν (l. 7-10). Alors que cette inscription date de l’époque de Caligula, on y trouve des thèmes caractéristiques de l’époque augustéenne : le rétablissement de la paix, la manifestation de la piété envers la famille impériale. D’autres opérations urbanistiques similaires, exprimant aussi clairement les valeurs du régime impérial, par des personnalités d’envergure, sont difficilement décelables en Asie.
50Parmi les sophistes et autres personnages, nous ne retenons que ceux pour lesquels un lien est reconnu de manière explicite dans les sources anciennes avec l’empereur. L’analyse des inscriptions et des textes se rapportant à leur action indique que leur motivation est rarement de se faire le relais d’une volonté impériale, implicite ou explicite ; comme presque n’importe quel notable, orner leur cité est avant tout conforme à leur morale d’homme de bien, cultivé, digne représentant d’une éducation grecque, et à l’idée qu’ils se font de leur cité. En réalité, l’idée même de relais de la politique impériale auprès de cellules civiques nous paraît dans la très grande majorité des cas incertaine. En particulier la construction par des affranchis impériaux doit être lue comme le résultat de motivations d’ordre social (manifester au moins ce critère de notabilité qu’est la générosité pour une cité), et de politique civique (conforter le statut de la cité), plus que celui d’une impulsion venue d’en haut211. En Asie mineure occidentale, les exemples d’une telle implication des affranchis impériaux restent d’ailleurs extrêmement ponctuels212 : nous avons déjà constaté leur mise à l’écart à partir de la fin du ier siècle et leur faible rôle global. Reste à voir pour les uns comme pour les autres si ponctuellement, au début du Haut-Empire leur activité peut être mise en relation avec une impulsion impériale délibérée.
51À Pergame, au début de l’époque augustéenne, Apollodôros fut associé à deux constructions, pour l’embellissement du nomophylakion et au théâtre213 : ce rhéteur était l’ami d’Octavien dont il avait été le professeur. Mais l’ornement du théâtre, monument ancien de Pergame, et l’embellissement d’un bureau de magistrat n’ont pas grand-chose à voir avec le crédit dont il dispose auprès de l’empereur. Apollodôros est simplement l’un de ces grands bienfaiteurs de l’époque hellénistique définis par Ph. Gauthier, qui se sont retrouvés en situation de rendre des services multiples et souvent vitaux à leur cité dans une période troublée. Nous avons détaillé l’action de C. Iulius Zôilos, affranchi d’Octavien-César, à Aphrodisias214 : il est intervenu de manière avérée au théâtre et au temple d’Aphodite. A-t-il de la sorte traduit le souhait d’Auguste “désireux de promouvoir des centres romanisés à côté des antiques cités grecques côtières, dans une Asie mineure fort éprouvée par les guerres mithridatiques et les guerres civiles”215 ? Octave déclare veiller particulièrement à ce qu’il n’arrive aucun dommage à Aphrodisias en 39 ou 38216 ; il rappelle qu’il a déclaré la cité libre et que Zôilos, originaire de cette cité, est l’un de ses proches. Les possibilités nouvelles offertes à la cité par la rencontre entre l’origine de la dynastie julio-claudienne et son passé mythique, ainsi que le désir des habitants de la cité de la voir s’accroître, suffisent à expliquer, à la lumière des sources épigraphiques, le mouvement de construction à Aphrodisias. Le dirigisme impérial – ou même une simple impulsion – en matière d’urbanisme, même en vue d’étoffer le réseau urbain de l’arrière-pays carien, ne paraît pas nécessaire pour expliquer la large participation des notables aphrodisiens à l’ornement de leur cité. Les constructions à Aphrodisias à cette période sont dues à un groupe de particuliers, originaires de la cité, très actifs. Pour Zôilos, cette action fut accompagnée d’une carrière civique prestigieuse (il a été stéphanéphore dix fois de suite217), à la différence d’autres affranchis impériaux.
52À Éphèse, Mazaios et Mithridatès, affranchis impériaux, firent ériger la porte sud de l’agora commerciale en 3 a.C. Le texte de la dédicace est bilingue218. Alors que le texte latin est adressé à Auguste et Livie, et à Agrippa et Julie, le texte grec, qui se trouve dans la partie centrale de l’attique, ne correspond qu’à la partie finale du texte latin :
Μαζ[αο]ς καὶ Μιθριδάτης
2 [τος] πά[τ]ρωσι καὶ τι δή[μωι.]
“Mazaios et Mithridatès, à leurs patrons et au peuple”.
53Des statues impériales ornaient l’attique de la porte219. Le texte grec place à égalité leur loyauté envers la famille impériale et envers la cité. H. Halfmann analyse la manière dont est ainsi exprimée la double identité de ces personnages, grecque et romaine, tandis que la fonction de l’édifice se dédouble également, formant le passage pour une agora, et en même temps un arc honorifique220. Les constructions de C. Sextilius Pollio s’inscrivent dans la même ambivalence, comme le montre la formulation de la dédicace de la basilique de la place civile d’Éphèse. Auguste le choisit comme ergépistatès du pont de l’aqua Throessitica221, ce qui est assurément une marque de confiance et de proximité. Néanmoins, son cas reste tout à fait isolé et exceptionnel, à l’image de la place d’Éphèse dans le réseau administratif romain et de la période singulière de retour à la paix où son action se déroula. À Laodicée du Lycos en 84-85, Ti. Claudius Tryphôn, affranchi impérial, offrit la “porte syrienne”, inaugurée par Sex. Iulius Frontinus222. Contrairement aux inscriptions d’Éphèse du début du siècle, le grec prédomine nettement, seul le nom de l’empereur et du proconsul étant en latin, tandis que le grec comporte la dédicace à Zeus, à l’empereur, le nom du dédicant, l’objet construit, et d’autres précisions encore, perdues dans la lacune. L’action d’autres affranchis impériaux à la fin du siècle, à Tralles ou à Éphèse223, s’inscrit dans cette évolution : désormais, leur don correspond au désir d’adopter un comportement conforme aux critères de la notabilité et de participer à la construction de l’un des plus grands projets du moment. Après cet ensemble d’attestations de constructions par des affranchis impériaux à la fin du ier s., leur intervention dans l’espace urbain se réduit drastiquement.
54L’expression d’une double identité par certains constructeurs à Éphèse s’estompe au iie s., au profit de l’identité grecque : par exemple, Ti. Iulius Celsus Polemaeanus, qui a lancé le projet de la bibliothèque portant son nom près de la porte de Mazaios et Mithridatès, a obtenu les plus grandes magistratures romaines, et la lettre d’Hadrien en grec sur la façade de la bibliothèque prouve leurs bons rapports224. Pourtant dans sa patrie d’adoption (sa famille venait de Sardes), le bâtiment qu’il fait construire se rattache avant tout aux valeurs culturelles de l’hellénisme. Seul le résumé de sa carrière romaine, sur la base de l’une des deux statues équestres devant la façade, est en latin225. La construction de ce type de bâtiment favorise le rôle de capitale intellectuelle reconnue quelques décennies plus tard par Iulia Domna à la capitale de l’Asie226. Ti. Claudius Aristiôn quant à lui avait été acquitté par Trajan du chef d’accusation selon lequel il se comportait en princeps Ephesiorum227. Ses constructions à Éphèse paraissent davantage être le reflet de l’emprise sur la cité d’un réseau familial et amical, et d’une grande ambition pour Éphèse en y faisant faire la construction gigantesque du gymnase du port, plutôt que d’une intervention à distance de l’empereur. À Éphèse Ti. Claudius Piso Diophantos “le premier a demandé et obtenu du dieu Hadrien” la deuxième néocorie de la cité, ὃς πρτος ᾐτήσατο παρὰ θεο Ἁδριανο καὶ ἐπέτυχεν (l. 6-7). Cela lui valut une statue honorifique de la part du Conseil et du peuple228. On connaît le rôle de M. Antonius Polémon à Smyrne229, celui de C. Antius A. Iulius Quadratus, qui comme Celsus a été consul et proconsul d’Asie, à Pergame, rivale d’Éphèse, sous Trajan230. Bien qu’amis du prince, ces personnages se distinguent par leur éducation et leur volonté d’afficher l’amour de leur petite patrie. Ces motifs, explicites, ainsi que l’approbation de leurs concitoyens attestent qu’il est superflu de former l’hypothèse – que rien ne soutient – d’une volonté impériale qu’ils auraient relayée auprès de compatriotes peu intéressés. A. Heller a montré l’intérêt réel que représentait pour ces cités l’obtention d’un titre de néocorie et l’acharnement politique et diplomatique dont elles firent preuve pour arriver à leurs fins231. Les sources ne permettent pas de présumer de la passivité des cités en la matière ni de supposer une nécessaire impulsion venue de l’extérieur.
55L’étude récente par B. Puech des orateurs et sophistes grecs d’époque impériale confirme, à partir du cas de M. Antonius Polémon, que ces personnages de la plus haute élite intellectuelle, politique et sociale dans les grandes cités d’Asie232, qui par leur prestige et leur mérite étaient connus et appréciés des empereurs, ne perdaient jamais de vue les valeurs civiques et la défense du statut de la cité. Ainsi, B. Puech montre, à propos d’une inscription indiquant que M. Antonius Polémon a fait élever une statue d’une cité sœur à Smyrne, “la cohésion idéologique de l’univers de la seconde sophistique, où, du ier au iiie siècle, les mêmes thèmes majeurs sont en vedette” ; cette inscription “assure que les discours des sophistes, loin d’être des paroles creuses ou des rêveries utopiques, étaient constamment inspirés par l’actualité”233. Apaiser la stasis, la discorde, mener avec succès des ambassades pour la cité auprès des empereurs, sont des rôles qui conviennent à un orateur, citoyen smyrnien, de cette époque, à l’idée qu’il se faisait de son devoir et de sa cité. Ces motivations sont suffisamment puissantes et il n’est pas besoin de faire l’hypothèse qu’en obtenant une néocorie pour Smyrne il aurait été délibérément un vecteur de romanisation ou le relais d’une politique impériale.
Construction et réception de l’empereur ?
56Ce constat conduit également à réévaluer l’idée selon laquelle la visite de l’empereur dans une cité susciterait les entreprises de construction de la part des particuliers234, cette idée étant absente de tous les documents épigraphiques dont nous disposons. Les rapprochements proposés sont souvent impossibles à corroborer235. Seul un cas peut véritablement être envisagé : il s’agit de celui de T. Flauius Damianos. Une inscription honorifique indique qu’“il a exercé avec éclat la fonction de secrétaire, en offrant une ration de 201 200 médimnes de blé, pour 13 mois entiers, et il a assuré pendant ce temps l’accueil des troupes qui revenaient de la victoire sur les Parthes, et il a assumé la panégyrie, au même moment, des Grandes Éphésies avec zèle, et ayant promis comme bâtiment dans la même année une salle dans le gymnase de Varius avec la construction et tout l’ornement, il a produit un excédent à partir des revenus de sa charge personnelle de secrétaire, pour la cité, de 127 816 drachmes”236. La promesse de construire une salle dans les bains de Varius a été faite au moment de son secrétariat, l’année même du voyage de retour de Lucius Verus après sa victoire sur les Parthes. Cette promesse paraît davantage propre à accroître l’ornement de la cité, qu’à satisfaire le prince – si cela avait été pour lui plaire, T. Flauius Damianos aurait dû exécuter les travaux pour son arrivée. L’amour de Damianos pour sa patrie est bien connu par Philostrate ; c’est “un notable généreux, moins intéressé par les triomphes de salles de conférences que par la mise en valeur de ses vastes domaines et l’embellissement de sa cité”237. Aussi, le lien formel établi par H. Halfmann entre la visite de l’empereur et l’ensemble des constructions de Damianos nous paraît-il peu assuré, et ne pas correspondre aux motivations exactes du sophiste grec quand il orne sa cité. Selon le savant allemand, on assisterait entre 163, date à laquelle Lucius Verus se marie à Éphèse, et 166, date de son retour victorieux, à “une phase d’identification plus forte entre Lucius Verus et Éphèse”, qui est “le contexte le plus vraisemblable dans lequel il est possible de placer l’activité de construction revendiquée pour Damianos”238. La lecture des inscriptions comme celle de la vie de Damianos dans Philostrate, ainsi que le contexte culturel et social qui préside à la construction de monuments publics de la part de cette élite grecque cultivée, ne nous paraissent nullement indiquer que la présence impériale a été un déclencheur nécessaire. Il y avait bien d’autres manières d’honorer l’empereur et de le recevoir, autrement qu’en faisant des constructions – surtout dans ce cas où elles furent réalisées après son dernier passage dans la cité.
57Les monuments concernés par la réception de l’empereur étaient en premier lieu le théâtre et les temples. Des monnaies montrent l’empereur accomplissant un sacrifice devant des temples, en particulier à Pergame, pendant la visite de Caracalla, et à Nicomédie sous Gordien III239. La cérémonie de réception avait en général lieu au théâtre240, l’agora pouvait être ornée de guirlandes et illuminée241. Ces mesures temporaires paraissent naturelles et faciles à mettre en œuvre. À la différence de la Bithynie avec Nicomédie ou de la Syrie avec Antioche, l’Asie ne fut pas touchée par le phénomène des véritables capitales secondaires de l’empire qui se développèrent au iiie s., dans le contexte de déplacements impériaux de plus en plus fréquents, quand des villes, souvent les mêmes, servirent désormais de lieu de séjour hivernal pour l’empereur et sa suite lors de ses voyages et campagnes militaires242.
Conclusion partielle
58Le paysage urbain est certes marqué par l’entrée dans la domination de Rome : des statues pour les empereurs sont érigées, des temples du culte impérial construits, signes les plus visibles du nouveau pouvoir. Mais tout cela reste du ressort des cités. Le paysage urbain ne porte pas des marques de domination ou de contrainte ; surtout, rien ne marque une “romanisation” imposée, de l’extérieur, en particulier sur l’impulsion des empereurs et de leurs proches. L’ornement de la cité était désirable pour des raisons avant tout conformes à l’hellénisme d’époque impériale. Il se trouve qu’il était de plus conforme à ce que les empereurs souhaitaient pour les cités et pour le maintien de la cohésion de l’empire243. Cela explique l’attitude de M. Antonius Polémon, l’obtention d’une seconde néocorie pour Smyrne renforçant l’image de la cité au sein de l’hellénisme et son statut vis-à-vis de ses voisines. Cette rencontre ne permet cependant pas d’assimiler les motifs pour lesquels les empereurs ne vont pas à l’encontre de la construction publique dans les cités, et ceux pour lesquels les cités et les notables sont prêts à financer des travaux importants. Il n’y a pas eu, non plus, d’imitation des premiers par les seconds. Les occasions où les uns et les autres faisaient des constructions différaient profondément. L’empereur intervient comme commanditaire dans une cité en raison du passé mythique de cette dernière, de sa volonté de se présenter comme empereur philhellène, ou de raisons personnelles extrêmement rares, impossibles à généraliser (Didymes et Trajan) ; ou bien il aide à se relever une cité frappée par un tremblement de terre. C’est pourquoi les motivations, les objets construits ou le sens général de l’évergétisme privé et de la construction sur fonds publics d’une part et les évergésies impériales d’autre part ne sont pas comparables244.
Conclusion
59L’examen des relations entre l’empereur et les cités à travers son implication dans leur ornement indique que son intervention directe reste rare en Asie : on ne trouve que très peu de mentions de l’empereur au nominatif indiquant qu’il a financé la construction d’un bâtiment précis ; des raisons particulières, comme des liens dynastiques, expliquent presque toujours cette implication directe. En réalité, en cas de don d’argent, il serait contraire à l’idée même d’empereur bienfaiteur qu’il pousse le dirigisme jusqu’à désigner l’emploi de son don. Ces dons d’argent pouvaient être utilisés de multiples manières par les cités245 : il n’y a donc pas d’ingérence de l’empereur dans les affaires locales, et l’empereur commanditaire reste une figure rare. De plus, l’aide impériale passe très souvent en Asie par la médiation d’un discours au Sénat : la remise du tribut par le Sénat, en cas de catastrophe naturelle, est l’une des premières hypothèses qui doivent être envisagées.
60La vivacité politique civique, le contrôle possible du gouverneur, essentiellement dans les cas de discorde et de litige, et l’éloignement de la figure impériale (sûrement plus indifférente à tout cela qu’on ne le considère en général) redonnent du sens aux bâtiments dans la cité : ils ne sont pas une simple parure plaquée là artificiellement, ils n’ont pas été imposés – ou recommandés – de l’extérieur, ils sont bien le résultat de conceptions culturelles et politiques actives au sein même des cités grecques d’époque romaine, dans un contexte impérial romain globalement favorable. Les citoyens et l’identité civique sont au cœur des initiatives de construction urbaine. Ces résultats naissent de la lecture des “discours” dus aux cités elles-mêmes, inscriptions et sources littéraires. C’est pourquoi un bilan fondé avant tout sur des analyses architecturales et planimétriques tend à déraciner de son ancrage profond dans la culture civique et hellénique la valeur prêtée au paysage urbain dans les cités d’Asie à l’époque romaine246. Les relations entre les empereurs et les cités comme facteur explicatif des politiques urbaines naissent d’un a priori surestimant l’importance du rôle de l’empereur en matière urbanistique dans les cités à l’époque romaine. Il conduit à supposer une aide directe de l’empereur derrière de nombreuses constructions, alors même qu’il n’existe que peu de témoignages explicites d’une telle implication247. L’idée selon laquelle un empereur aurait pu susciter des moyens privés trouve également peu de confirmations dans les sources248. Un autre facteur explicatif surévalué est, nous semble-t-il, la rivalité dans la démonstration de loyauté envers le pouvoir romain, en particulier quand la prospérité atteignit son apogée au iie siècle249. L’adoption d’une perspective romanocentrée conduit donc à sous-évaluer des motivations bien plus puissantes que le simple désir de plaire aux Romains250. Il est indispensable de prendre en considération des motivations civiques, d’ordre culturel et politique, qui étaient primordiales. Il faut partir de ce contexte originel pour interpréter les relations entre l’empereur et les cités, et l’implication des empereurs dans l’urbanisme civique.
61Aux yeux des habitants des cités grecques d’Asie mineure occidentale, il existe une analogie entre le kosmos civique et le bon fonctionnement du monde, dont l’empereur est garant. L’empereur apparaît comme la clé de voûte d’un système assurant la paix à tous. L’expression de l’identité civique et de la gloire de la cité dans son paysage urbain n’entre donc pas en contradiction avec la conscience de l’insertion dans l’empire et le caractère bienfaiteur de l’empereur. L’idéologie civique et les thèmes impériaux ne s’opposent pas, mais ils ne se rencontrent pas vraiment non plus : le κόσμος civique est indifférent à la majesté de l’empire, par exemple. Une certaine incompréhension subsiste de part et d’autre. L’Empire romain apparaît ainsi en toile de fond comme un contexte favorable à l’accroissement de l’ornement des cités. Les réussites urbanistiques, la beauté de la cité et de ses monuments publics, sont ressenties comme le résultat de l’éducation et des qualités morales des notables, et du souci de défendre la grandeur et l’illustration de sa cité, à ses propres yeux et aux yeux des voisins grecs avant tout. La situation, d’après ce que l’on peut voir dans les discours sur les monuments publics, est assez exactement celle que décrit P. Veyne, car la réalité du rapport politique est bien celle de la domination d’un empire251 : “Il ne reste plus à une identité vaincue qu’à rester elle-même, en affectant d’ignorer celle de son vainqueur”. Cependant, rester soi-même n’a pas signifié en Asie contempler tristement sa grandeur passé252 ; au contraire dans ces régions, l’hellénisme a mis en avant des valeurs déjà présentes à l’époque hellénistique et défini des capacités d’illustration tirant au mieux profit des possibilités du temps. Comme le dit Aelius Aristide, maintenant l’Ionie se surpasse elle-même.
62Après les difficultés du règne de Marc Aurèle, dans la manière même de montrer son identité grecque, des mutations importantes se firent jour. Le sentiment d’appartenance à un monde commun devint plus vif. Les passages plus fréquents des empereurs dans la région ne sont peut-être pas indifférents à cette évolution, puis les menaces rapprochées à cause des guerres en Orient, enfin celles des invasions des peuples scythes253. Cette ouverture ne dissout pas l’hellénisme, mais contribue sans doute à tracer le chemin de l’intervention des fonctionnaires impériaux dans les cités d’Asie mineure occidentale en situation de traumatisme visible, profond, durable, après les années 260. Les institutions civiques se révèlent beaucoup moins vivaces qu’au Haut-Empire ; mais bien qu’un recul politique ait eu lieu, la puissance culturelle des cités grecques et de l’idée de l’ornement civique reste toujours importante. L’éloge des proconsuls et des vicaires en termes épiques flattait leur ambition, tout en montrant la gloire conservée de l’hellénisme et encore une fois sa capacité d’adaptation à de nouvelles conditions. Dans ce nouveau contexte, la manière dont la figure impériale est ressentie doit être évaluée selon des perspectives qui restent à définir exactement. Dans la région et sur le sujet examinés, si le gouverneur se fait plus présent, l’intervention du prince, d’après les sources, disparaît presque.
Notes de bas de page
1 Martin 1982, 90-92, et 18 sur la manière dont le souverain hellénistique “regroupe en lui la justice, la paix, l’ordre et la concorde”.
2 Gauthier 1985, 40.
3 Veyne 2002, 68.
4 Nous allons donc à l’encontre de plusieurs analyses de Winter 1996, notamment quand il étudie l’idéologie impériale de la construction publique, dont les traces sont en réalité ténues en Asie, et de Halfmann [2001] 2004, en particulier dans l’introduction et la conclusion où la politique impériale et le lien entretenu entre la cité et l’empereur apparaissent comme des facteurs déterminants de la construction, sur fonds privés, dans les deux grandes cités d’Éphèse et de Pergame.
5 Seule une intervention très ponctuelle est connue : un particulier d’Aphrodisias, Adrastos Grypos, fils de Péreitas, avait légué une somme d’argent à Trajan, qui l’utilisa pour faire élever dans la cité, par l’intermédiaire du frère du donateur qui fut ergépistatès des travaux, un groupe de statues représentant le Cyclope (Reynolds 1982, 55).
6 Winter 1996. Les indications de Mitchell 1987 nous paraissent beaucoup plus nuancées et exactes ; il est possible d’y ajouter des références et de nuancer ses conclusions en ce qui concerne la seule province d’Asie (encore une fois, la politique impériale n’était semble-t-il pas la même partout ; Athènes à l’évidence forme un cas particulier).
7 Winter 1996, 24-53.
8 Plin., Ep. Tra., 10.39.
9 Winter 1996, no 75-85 du tableau final.
10 Winter 1996, 338-359.
11 Activités de construction constatées à l’époque augustéenne à Héraclée du Latmos et Priène, rapprochées de l’accomplissement de fonctions civiques par l’empereur dans ces mêmes cités (no 18 et 19). La restructuration de l’Asklépiéion de Pergame est également associée à une implication personnelle de l’empereur : l’état actuel des sources épigraphiques ne permet pourtant de prendre connaissance d’aucun financement impérial.
12 Contra Winter 1996, 346 no 60. La restitution qu’il propose de l’inscription (p. 318 no 26) est différente de l’état proposé dans Milet, VI. 1, p. 3-4 et p. 196. Quoi qu’il en soit, il est impossible d’affirmer que le nom de Titus se trouve au nominatif dans l’inscription, ni que cet édifice a quoi que ce soit à voir avec le culte impérial.
13 IK, 12-Ephesos, 449.
14 Voir II. 2, et les références aux sources épigraphiques.
15 Il n’y a donc guère de raison à ce que cette construction apparaisse dans le tableau final de Winter 1996, 346 no 64, parmi les constructions où une implication impériale est décelable ; Winter 1996, 73, explique bien qu’il s’agit d’un bâtiment financé sur fonds civiques.
16 Halfmann [2001] 2004, 62.
17 P. Gros parle au contraire de la contrainte exercée sur les notables éphésiens pour embellir leur cité à cette époque et de la domination de Domitien pesant sur cette cité, au moment de l’octroi de la première néocorie : voir Gros 2005b, 197-199.
18 IK, 17.1-Ephesos, 3409. Winter 1996, 338 no 7.
19 IK, 17.1-Ephesos, 3433.
20 Winter 1996, 350 no 91.
21 Dans IK, 17.1-Ephesos, 3433.
22 C’est pourquoi nous ne retenons pas l’inscription en latin provenant d’Euménéia, citant l’empereur Septime Sévère au nominatif, car il a réparé après un tremblement de terre un camp, castra. Cela était normal, tout ce qui concerne le domaine militaire relève de l’empereur (pourtant indiquée par Winter 1996, 357 no 136).
23 LBW, 1068 ; commentaires de Winter 1996, 85, 143, et 351 no 97.
24 Hypothèse de Sartre 1991, 157.
25 Mitchell 1987, 344-345 ; Winter 1996, 89-90 et 351 no 100 ; Barresi 1997 qui parle de preuve archéologique de l’implication financière d’Hadrien dans la construction du temple. Il est possible que l’empereur ait fourni du marbre de ses carrières phrygiennes voisines (Waelkens 1982), mais cela n’atteste ni un rôle d’initiateur ni un financement.
26 Price 1982, 196-197. Voir III. 1.
27 Décrite par P. Gros pour cette raison comme une aspiration d’une élite romanisée allant à l’encontre des traditions civiques (Gros 2005b, 214).
28 IGR IV 1619 ; Winter 1996, 357 no 142. Déjà Mitchell 1987, 343-344 prévenait contre cette surinterprétation. Voir Pont 2007b pour le commentaire de ce vocabulaire de la “fondation”.
29 IK, 15-Ephesos, 1491 ; voir désormais l’édition, la traduction et le commentaire de Kokkinia 2003.
30 Voir II. 3.
31 IK, 15-Ephesos, 1491, l. 9-11.
32 IK, 14-Ephesos, 1492.
33 Quet 1993, 420 n. 94bis pour un exemple de fût de colonne retrouvé à Smyrne et où figurait la mention expresse (qui n’était pas destinée à rester visible dans le monument lui-même) qu’il s’agissait d’un don impérial.
34 Io.Mal. 11.281.7. Ἔκτισε δὲ καὶ ἐν Καισαρείᾳ τς Παλαιστίνης λουτρόν, καὶ ἐν Νικομηδείᾳ τς Βιθυνίας καὶ ἐν Ἐφέσῳ τς Ἀσίας ἅπερ δημόσια λουτρὰ εἰς τὸ ἴδιον ἐπεκάλεσεν ὄνομα.
35 Ainsi les bains de Faustine à Milet n’ont-ils probablement pas été financés par l’impératrice (contra Winter 1996, 356 no 128). Appelés τὸ λουτρὸν Φαυστίνης au iie s. dans une inscription commémorant l’ornement par Ménandros de “la troisième pièce du gymnase de Faustine” (Didyma, 84), et dans les épigrammes commémorant sa rénovation aux iiie, ive et ve siècles (Milet, I. 9, 339, 340, et 343), ce nom indique sans doute un hommage à la femme d’Antonin le Pieux ou de Marc Aurèle (voir sur Faustina maior ou minor, le bilan bibliographique dans Milet, VI. 1, p. 212) plutôt qu’une construction à l’initiative de l’impératrice et sur ses fonds personnels (il n’est cependant pas impossible qu’une impératrice ait fait un don utilisé pour les bains, manifestement déjà en cours de construction au milieu du iie s.) : voir I.4, où est fait le bilan sur les attestations de cet édifice.
36 Voir Pont 2008b sur ce que l’on peut attendre des auteurs d’époque byzantine au sujet de l’évergétisme édilitaire en Asie mineure au Haut-Empire. Il faut aussi rappeler que la dénomination impériale d’un bain, assez fréquente, n’indique rien sur ses sources de financement. Ce peut être l’origine d’une confusion par Malalas.
37 Pour l’identification des parcours des empereurs, voir Halfmann 1986. Sur Auguste, Magie 1950, 440.
38 Voir Winter 1996, 111-112.
39 IK, 24.1-Smyrna, 697, l. 33 ; commentaire après d’autres de Quet 2003, 422.
40 IK, 24.1-Smyrna, 623-625. Voir Pont 2007b sur le titre de “fondateur” décerné à l’empereur : il n’indique pas que l’empereur a fait construire dans une cité. Il est encore plus délicat de se fonder sur deux dédicaces en l’honneur d’Antonin le Pieux à Magnésie du Méandre, où aucun titre particulier ne lui est attribué, pour former l’hypothèse d’une intervention impériale en faveur de la cité (IMagnesia, 183-184 ; Winter 1996, 355 no 122a).
41 Philostr., VS, 1.25 [531].
42 Puech 2002, 396-406.
43 Voir l’hypothèse par E. Winter d’un lien entre la visite d’Hadrien à Milet et des interventions au temple d’Apollon (mais aucune attestation n’existe) : Winter 1996, 350 no 95. Selon Quet 2003, 430, “on peut penser que les colonnes de marbre rare (…) s’apparentaient, pour leur valeur symbolique, aux ornamenta de l’Urbs” (renvoyant à Thomas 1998). Les conclusions dégagées par Thomas 1998, 282-283, valent avant tout pour l’Antiquité tardive.
44 IK, 24.1-Smyrna, 697, l. 36-42 ; d’après la traduction proposée par Puech 2002, 398. Voir le commentaire de Robert 1950a, 86 ; Quet 2003, 423 pour l’explication de la fonction des hymnodes et des théologues.
45 L’Histoire Auguste donne donc, comme on peut s’y attendre, un compte rendu imprécis et résumé à grands traits de l’activité de construction d’Hadrien : per Asiam iter faciens templa sui nominis dedicauit (SHA, Hadr., 13.6). Le point de vue de l’auteur, Romain ayant vécu à la fin du ive s., explique l’attribution du financement de constructions à l’empereur : la réalité du iie s. et la connaissance de la vie des cités à cette époque ne relèvent pas de son propos et on ne peut attendre de sa part des précisions sur ce point.
46 Winter 1996, 350-351, no 96a.
47 Io.Mal. 11.279 : ἔκτισε δὲ ὁ αὐτὸς Ἀδριανὸς ἐν τ αὐτ Κυζίκῳ ναὸν μέγαν πάνυ, ἕνα ὄντα τν θαυμάτων. Burrell 2003 a montré qu’il s’agissait bien d’un temple du culte impérial, sans association à Zeus.
48 Voir les références en II.2. Cependant, Magie 1950, 614, pense qu’Hadrien donna de l’argent pour la construction du temple.
49 Le Panégyrique sur Cyzique indique que le temple est en marbre de Proconnèse : l’empereur a-t-il offert une partie du matériau ? Aelius Aristide n’en souffle mot (Or., 27.17). Voir Pont 2008b sur l’absence de crédibilité du scholiaste de Lucien, Icar., 24 affirmant qu’Hadrien contribua à la construction du temple (contra Burrell 2004, 87).
50 Pont 2007b.
51 D’où le caractère parfois inexact du répertoire proposé par Winter 1996, 338-359, où à côté d’interventions assurées apparaissent également les inscriptions où l’empereur est désigné par ce titre de fondateur, qui peut indiquer tout aussi bien le don de privilèges, de concours, d’argent utilisé à un autre effet que la construction publique.
52 IK, 1-Erythrai, 224.
53 IK, 1-Erythrai, 225.
54 Contra Winter 1996, 357 no 132.
55 Robert 1981a, 354-355 et n. 79 : la qualification de nouvel Érythros s’appuie sur le parcours de Lucius Vérus, identique à celui du héros : il débarquait à Érythrées, venant de Chios, comme l’avait fait le fondateur.
56 L’entretien des routes relève normalement des services de l’empire. D’après E. Winter, il est possible de constater une augmentation significative des actions d’entretien au moment des voyages d’Hadrien en Asie mineure (Winter 1996, 109-110).
57 Nous pensons qu’il n’est pas possible d’étudier, sous le chapitre de l’implication de l’empereur dans les entreprises d’urbanisme dans les cités, les constructions offertes par l’empereur en même temps que celles qui ont lieu lors d’une visite impériale, mais sur fonds civiques ou privés (Winter 1996, 110, d’après l’expression de sa problématique considère que les deux phénomènes sont indissociables). De plus, l’épigraphie ne donne guère d’indice, en Asie mineure occidentale, de constructions précisément revendiquées en rapport avec une visite de l’empereur (ce que reconnaît Winter 1996, 110 : “Obgleich nur wenige Zeugnisse explizit eine Verbindung zwischen dem Kaiserbesuch und einem Engagement im Bauwesen herstellen, ist sie evident”, ce que nous contestons).
58 Bilan complet dans Magie 1950, 570.
59 D.C. 79.10 ; Cedrenus, 1.437.16-18 ; SHA, Hadr., 20.13.
60 Magie 1950, 616-617.
61 Magie 1950, 616.
62 Radet 1887b.
63 Str. 13.1.30.
64 IK, 12-Ephesos, 459 ; IK 59, 148. Winter 1996, 338 no 3.
65 Reynolds 1982, no 12.
66 Str. 14.2.24.
67 RDGE, 60 ; IK, 34-Mylasa, 602, en particulier l. 15-17 : τς τν πολεμίων ὠμότητος οὐδὲ τν ναν οὐδὲ τν ἱερν τν ἁγιωτάτων ἀποσχομέ[ν]ης ; Canali de Rossi 2000 (AE, 2000, 1438), propose de dater cette lettre de 39 a.C.
68 Tableau final de Winter 1996, 339 no 16. Les documents cités en appui traitent des conséquences aussi bien des rapines d’Antoine, à Aphrodisias, que des destructions dues aux Parthes.
69 Str. 14.2.23, τοιγάρτοι στοας τε καὶ ναος, εἴ τις ἄλλη, κεκόσμηται παγκάλως.
70 Str. 14.2.24.
71 IK, 22.1-Stratonikeia, 511 (Αὐτοκράτωρ Κασαρ θεο υἱὸς θεὸς Σεβαστὸς πατὴρ πατρίδος καὶ εὐσεβείᾳ ἅπαντας διενένκας, προενόησεν ὥστε κεκομίσθαι [πα]ρ’ αὐτο καὶ αὐτὴν τὴν ἀπὸ τς ἀρχ[ς] ἐν τ βίῳ περὶ θεν ἐν ἀνθρώποις ἀληθιν[ὴν π] ρόληψιν). Présentation tronquée de l’inscription par Winter 1996, 75-76 et 339 no 16. L. Robert remarque simplement : “le ton de cette phrase s’adapte exactement au thème essentiel de la politique religieuse d’Auguste, et elle peut fort bien être empruntée à une lettre d’Auguste à Stratonicée” (Robert 1937, 521 n. 4).
72 Şahin 1997, 91-93 no 10 : deux fragments d’une stèle inscrite en l’honneur d’Héraklitos Eudèmos Démétrios et de Tatarion Polynikè Apphia ; l. 11-12 : “ayant été prêtres à vie de M. Agrippa de manière pieuse envers les dieux”. Cette inscription est assez similaire à IK, 22.1-Stratonikeia, 527.
73 D.C. 48.26.3-4 : Stratonicée, Alabanda et Mylasa en particulier ont opposé une résistance farouche à Labienus.
74 IK, 5-Kyme, 17. Winter 1996, 339 no 14.
75 Str. 13.1.30.
76 IK, 15-Ephesos, 1522 ; IK 59, 150. Winter 1996, 338 no 2.
77 IK, 15-Ephesos, 1523. Winter 1996, 338 no 2a.
78 RGDA, 24 (éd. et trad. J. Scheid, Paris, 2007) ; ἀναθέ[ματα] correspond au latin ornamenta
79 IK, 12-Ephesos, 401 (aquam Iuliam adduxit) ; Winter 1996, 338 no 5.
80 IK, 12-Ephesos, 402 ; IK 59, 153. Winter 1996, 338 no 5. Il n’y a aucune ambiguïté sur la source de financement, d’après la formulation de l’inscription : aquam Throessiticam induxerunt, τὸ Θροεσσειτικὸν ὕδωρ εἰσήγαγο[ν].
81 Knibbe & Iplikçioğlu 1984, 121 (inv. 4237). Winter 1996, 345 no 51. L’inscription est fragmentaire, les circonstances de l’intervention restent inconnues.
82 Cedrenus, 1.565.7 (CSHB XIII). Winter 1996, 92 n. 779 ; 347 no 69.
83 Sur ce dernier point, D.Chr. 40.14.
84 D.Chr. 45.4 ; voir Jones 1975.
85 Didyma, 55-57 ; IK 59, 162, pour les attestations se trouvant à Didymes. À Milet, à l’autre extrémité de la voie sacrée, Milet, II. 3, 402 (Milet, VI. 1, 402, p. 149-150 et p. 217). L’intervention est datée de 101-102 par Ehrhardt & Weiss 1995 (des privilèges furent également accordés aux Milésiens).
86 IK, 12-Ephesos, 274.
87 Knibbe et al. 1993, 122-123 no 12.
88 IK, 3-Ilion, 84. Winter 1996, 339 no 11. L’inscription est fragmentaire.
89 IK, 53-Alexandreia Troas, 34. Winter 1996, 339 no 12.
90 IK, 3-Ilion, 81 et 82 ; Magie 1950, 1332 n. 9.
91 Philostr., VS, 2.1 [548]. Alexandrie de Troade est une ἀρχαίαν πόλιν, au sens noble, à la différence des cités récemment fondées par Hadrien dans la région.
92 Philostr., Her., 8.1. Winter 1996, 352 no 102 pour Alexandrie de Troade et no 103 pour Ilion. La visite pleine de dévotion de Caracalla sur la tombe d’Achille n’implique cependant pas une remise en état du lieu (contra Winter 1996, 357 no 141), apparemment bien entretenu : d’après Hérodien, “après avoir visité tous les vestiges de cette cité, il vint au tombeau d’Achille, qu’il orna de couronnes et de fleurs magnifiques” (Hdn. 4.8.4).
93 Rose 1998, 96-97.
94 IK, 3-Ilion, 96 et 97. Ils ont également offert des statues de Zeus et Létô à Didymes (Didyma, 89-90).
95 Robert 1946, 86-89 ; inscription reprise par Ferrary 2000, 376, puisque les cas de Claros et de Téos présentent des similitudes. Winter 1996, 351 no 101.
96 Ferrary 2000, 370-376, restitution de la façade p. 374.
97 Voir Mitchell 1987, 358, sur la faiblesse de ces dons en Ionie, comparativement aux bienfaits accordés à Athènes et la Grèce. Voir ici I.1. sur l’achèvement du temple sur le promontoire de Mimas à Smyrne.
98 L’affirmation de Pausanias, selon laquelle Antonin le Pieux entreprit de nombreuses constructions de bâtiments, ἔργων κατασκευάς, “en Grèce, en Ionie, à Carthage et en terre syrienne”, sujets dont “d’autres auteurs ont traité avec la plus grande exactitude”, fait allusion à des entreprises dont nous ne trouvons aucune trace en Ionie, s’il s’agit d’entreprises différentes de celles engagées en réparation des tremblements de terre (Paus. 8.43.4).
99 Aucune source ne l’indique du moins à ce jour, malgré le nombre de documents concernant l’Asie.
100 Bilan détaillé, avec la bibliographie et les sources, dans Winter 1996, 94-108. Comme nous l’avons déjà signalé, nous reprenons ce bilan du point de vue des cités grecques et des rapports qu’elles entretiennent avec l’empereur.
101 Nous laissons donc de côté les attestations du titre de “fondateur” où la remise en contexte précise n’est pas possible – ces cas sont évoqués dans Pont 2007b.
102 Agath. 2.17.6-8 ; IK, 36.1-Tralleis, 70 ; SGO I, 02/02/02 ; voir Winter 1996, 340 no 20. Cette épigramme peut-elle être une réécriture poétique, de l’Antiquité tardive, d’une inscription honorifique, de même qu’il paraît probable que l’épigramme sur le temple de Cyzique est une réécriture de la dédicace du Haut-Empire ? L’épigramme n’est pas un genre courant au Haut-Empire dans l’épigraphie officielle (à moins que cette inscription ne soit dans un contexte funéraire).
103 Str. 12.8.18.
104 Broughton 1935, 22, et n. 14.
105 Suet., Tib., 8.
106 D.C. 54.30.3 (Winter 1996, 340 no 21) : ἐπειδή τε ἡ Ἀσία τὸ ἔθνος ἐπικουρίας τινὸς διὰ σεισμοὺς μάλιστα ἐδετο, τόν τε φόρον αὐτς τὸν ἔτειον ἐκ τν ἑαυτο χρημάτων τ κοιν ἐσήνεγκε.
107 D.C. 57.17.7 ; Tac., Ann., 2.47.1-4 : “en frappant le plus durement les habitants de Sardes, le fléau attira sur eux le plus de piété : César leur promit dix millions de sesterces et les déchargea pour cinq ans de tout ce qu’ils payaient au trésor ou au fisc”. Il donne également la liste des cités touchées par la catastrophe : outre Sardes, Magnésie du Sipyle, Temnos, Philadelphie, Aigai, Apollonis, Mostène, Hyrcanis, Myrina, Kymè, Tmolos.
108 Str. 13.4.8, νεωστὶ ὑπὸ σεισμν ἀπέβαλε πολλὴν τς κατοικίας. Ἡ δὲ το Τιβερίου πρόνοια το καθ’ ἡμς ἡγεμόνος καὶ ταύτην καὶ τν ἄλλων συχνὰς ἀνέλαβε τας εὐεργεσίαις, ὅσαι περὶ τὸν αὐτὸν καιρὸν ἐκοινώνησαν το αὐτο πάθους ; voir également Str. 12.8.18 : “l’empereur redressa (les cités frappées par le tremblement de terre) par des contributions d’argent”, ἐπηνώρθωσε δ’ ὁ ἡγεμὼν χρήματα ἐπιδούς.
109 Str. 12.8.18.
110 Bejor 1999, 21 suggère un modèle antiochéen.
111 Voir les commentaires de Robert 1974a, 485. Sur une émission monétaire l’empereur relève la Tychè de Sardes, agenouillée (RPC I, 2991).
112 Habicht 1975, 75. À partir de Vespasien, la cité s’appelle Flauia Philadelphia, jusqu’à la fin du règne de Domitien et de nouveau sous les Sévères, voir Robert 1967a, 73-78.
113 Malay, Researches, 52-53 no 45.
114 Herrmann 1995 ; Phleg., FGH, 257 F 36.13, sur ce colosse.
115 Sardis, 9 ; Herrmann 1995, 26. Mostène, Cibyra, Magnésie du Sipyle, Apollonis, Hiérocésarée, Hyrcanis, Myrina, Temnos sont explicitement citées (les noms d’Aigai, Philadelphie, Kymè, Tmôlos, sont restitués dans les lacunes).
116 Herrmann 1995, 27-29. La longueur totale de l’inscription serait de huit mètres, les lettres ont une hauteur de 0,09 à 0,10 mètre. Le texte est bilingue. Les fragments de l’inscription ont été trouvés dans le secteur de la synagogue. L’inscription de Mostène est la plus complète.
117 Bohn 1889, 50 no 1. L’inscription provient de sept blocs d’épistyles, avec des lettres d’une hauteur d’environ 0,18 m. D’après l’éditeur, la longueur de l’épistyle suggère que le bâtiment était un portique, et il propose les restitutions suivantes : [Ti. Caesar diui Aug. f. diui Iuli n. Aug. P.] M. tr. p[ot. XXXVI Imp. VIII] cos. V conditor uno tem[pore XII urbium] terrae motu ue[xatarum porticum restituit]. Winter 1996, 312 no 13 indique templum restituit, sans préciser l’origine de la restitution.
118 Herrmann 1995, 28.
119 IK, 5-Kyme, 21. Il s’agit de bases de statues, dont les inscriptions bilingues sont dans un état très fragmentaire.
120 Sardis, 47. L. Iulius Libonianus qui a accompli cette prêtrise a également été grand-prêtre d’Asie : d’après Campanile 1994, no 99, il vécut à l’époque de Trajan.
121 Tac., Ann., 4.13.1. Winter 1996, 343 no 39.
122 PIR² P 269.
123 IK, 60-Kibyra, 3.
124 IK, 15-Ephesos, 1687 ; nouveaux fragments dans Engelmann et al. 1989, 198 no 37 + SEG 53, 1280bis. Halfmann [2001] 2004, 44-45.
125 Peut-être la restauration d’un aqueduc par Néron s’inscrit-elle encore dans les suites du tremblement de terre, longtemps après les faits (Knibbe & Iplikçioğlu 1984, 121).
126 Nous n’incluons pas ici la remise de tribut pour 5 ans à Apamée de Phrygie touchée par un séisme en 53, car telle que la raconte Tacite, il n’y va que de l’initiative du Sénat : “enfin, aux habitants d’Apamée, ruinés par un tremblement de terre, fut accordée la remise de tribut pour cinq ans” (Tac., Ann., 12.58.2). Il est possible cependant qu’elle eut lieu à la suite d’un discours du jeune Néron (voir Ann., 12.58.1). Rien dans ce paragraphe ne fait allusion à Éphèse, ni à une aide impériale pour la cité (contra Winter 1996, 344, no 42).
127 Io.Mal. 10.246. En l’absence d’autres précisions et attestations, il est impossible d’associer comme le fait E. Winter ce tremblement de terre à une intervention précise dans une cité (à Smyrne il indique un lien avec la rénovation du théâtre, voir Winter 1996, 344 no 43).
128 Milet, I. 9, 328 ; voir Milet, VI. 1, 328.
129 Milet, VI. 2, 928.
130 L’inscription est bilingue. Sardis, 10 ; IK 59, 165. Winter 1996, 344 no 47 (qui parle cependant d’une restauration alors qu’il s’agit probablement d’une construction).
131 De manière comparable Q. Veranius Philagros a probablement reçu la citoyenneté romaine sur recommandation de Q. Veranius, le légat qu’il aurait efficacement secondé dans la restauration de la cité (IK, 60-Kibyra, 41 et 42 ; voir Salomies 1993, 135-136 n. 49 et Mitchell 1987, 350-351).
132 IK, 60-Kibyra, 36. Robert 1937, 89 et n. 2, associe directement le financement de travaux par l’empereur au fait qu’il est honoré comme “fondateur”. Le lien de cause à effet n’est pas assuré.
133 IK, 60-Kibyra, 12.
134 IG, XII, 6, 1, 483.
135 Winter 1996, 81-82 et n. 683 ; voir également Mitchell 1987, 355 : “a doubtful but probably reliable source”. Il s’agit de Schol. in Aristidem, 1.391.7 Dindorf : Οὐεσπασιανὸν λέγει αὐτο γὰρ ἔργον ἡ βασίλειος ἐν Κυζίκῳ αὐλή. La compréhension même du terme grec αὐλή pose problème.
136 Dräger 1987, 69 (il compare la construction du palais aux privilèges concernant les médecins et les rhéteurs, comme le signe d’une politique généreuse envers l’Asie mineure) et 87-88, n. 69.
137 Suet., Ves., 17.
138 Voir I. 8.
139 Tac., Ann., 14.27.
140 IK 59, 169.
141 À Laodicée c’est un affranchi impérial, Ti. Claudius Tryphôn, qui finance la reconstruction de la “porte syrienne”, le proconsul Frontin exécutant la dédicace.
142 Reynolds 1997b (trad. dans AE, 1995, 1522).
143 Io.Mal. 11.279. D’après le Chronicon Paschale, 475, il pava de marbre une avenue de la cité, sans que ce fait soit relié au tremblement de terre.
144 Magie 1950, 1473.
145 D’après Behr 1981, 371.
146 Paus. 8.43.4 : Λυκίων δὲ καὶ Καρν τὰς πόλεις Κν τε καὶ Ῥόδον ἀνέτρεψε μὲν βίαιος ἐς αὐτὰς κατασκήψας σεισμός βασιλεὺς δὲ Ἀντωννος καὶ ταύτας ἀνεσώσατο δαπανημάτων τε ὑπερβολ καὶ ἐς τὸν ἀνοικισμὸν προθυμίᾳ.
147 Aristid., Or., 25.56 : “et le plus important, c’est l’espoir mis dans le dirigeant de tous les hommes, auquel il plaira certainement de promptement, autant qu’il le pourra, relever la cité, de sorte que la plus belle de ses possessions ne gise pas à terre dans le déshonneur, et qu’à l’avenir, la condition de Rhodes ne soit pas rochers et poussière”.
148 IK, 22.1-Stratonikeia, 1009 ; Robert 1978, 401. Un particulier fait une construction dans la cité, après le séisme mentionné explicitement (IK, 22.1-Stratonikeia, 1029 ; voir Robert 1978, 402). D’autres sources alléguées ne permettent pas d’attester une intervention d’Antonin dans l’urbanisme des cités après leur destruction par le tremblement de terre (outre cette inscription de Stratonicée, citée par Winter 1996, 355 no 121a, une dédicace à Antonin par un particulier à Iasos, IK, 28.1-Iasos, 9, dans Winter 1996, 355 no 121b). À Smyrne, malgré les secours qui furent probablement envoyés par le prince (Winter 1996, 355 no 122b), aucune attestation ne subsiste, puisque le tremblement de terre sous Marc Aurèle affecta ensuite la cité plus violemment encore.
149 Magie 1950, 632.
150 Voir Winter 1996, 355 no 122d.
151 IK, 12-Ephesos, 282d ; IK, 16-Ephesos, 2050, par six tribus d’Éphèse.
152 IK, 15-Ephesos, 1504. Sur le sens du titre dans ces cas, voir Pont 2007b.
153 IK, 60-Kibyra, 12.
154 D.C. 70.4.1. sur un tremblement de terre en Bithynie sous Antonin le Pieux, dont aurait souffert Cyzique. Le temple d’Hadrien à Cyzique est alors détruit : d’où les travaux de reconstruction et l’inauguration en 166 à l’occasion de laquelle Aelius Aristide prononce le Panégyrique sur Cyzique (voir Barattolo 1995, 60).
155 Aur. Vict., Caes., 16.12. Winter 1996, 356 no 125 et no 129.
156 Fronto, Ant. 1.2.6 (trad. P. Fleury, Paris, 2003). Winter 1996, 356 no 127. Il n’est pas question, dans le Panégyrique sur Cyzique, de ces interventions des autorités romaines, Sénat, sénateurs chargés éventuellement d’une mission spécifique sur le terrain, ou empereurs.
157 Philostr., VS, 2.9 [582] insiste sur son rôle déterminant et rapporte qu’Aelius Aristide fut honoré comme fondateur de la cité, οἰκιστήν.
158 D.C. 71.32.3, καὶ αὐτὴν καὶ βουλευτ ἐστρατηγηκότι ἀνοικοδομσαι προσέταξεν.
159 Aristid., Or., 19.4 ; voir également 1 : Smyrne est “un ornement de votre hégémonie”, τς δὲ ὑμετέρας ἡγεμονίας ἐγκαλλώπισμα.
160 Aristid., Or., 19.4.
161 Aristid., Or., 20.5, 9 et 10 notamment.
162 Aristid., Or., 19.4.10 (cité ici), 11 et 12.
163 Aristid., Or., 20.8.
164 Aristid., Or., 20.9.
165 Aristid., Or., 20.10. αὐτοὶ πρέσβεις περὶ ἡμν πρὸς τὴν οἴκοι βουλὴν κατέστησαν ἃ μηδεὶς ἂν ἡμν ἐθάρρησεν αἰτσαι, τατ’ ἀξιοντες ψηφίσασθαι.
166 Aristid., Or., 20.11.
167 Hieron., Chron., 208.
168 Aristid., Or., 19.11-12.
169 Aristid., Or., 20.5.
170 IK, 24.1-Smyrna, 628.
171 Aristid., Or., 20.5 et 21.12.
172 Reynolds 1982, 21.
173 Orac. Sib., 12.279-281.
174 Voir III. 2.
175 St. Mitchell place une inflexion dans l’action impériale de construction dans les cités au milieu du iie s. (Mitchell 1987, 365).
176 Voir II. 3.
177 Des exemples sont donnés dans Robert 1937, 85-87 ; Robert 1960-517-519.
178 Robert 1978, 400-401.
179 RGDA, App. 4 : δωρεαί τε (…) πόλεσιν ἐν ἐπαρχείαις ἃ σεισμ καὶ ἐνπυρισμος πεπονηκυίαις. Texte latin : donata pecunia colonis, municipiis, oppidis terrae motu incendioque consumptis. Commentaire de Robert 1978, 401.
180 Plb. 5.90.5-8.
181 Gauthier 1985, 42.
182 Gauthier 1985, 49-53.
183 Str. 12.8.18.
184 Men. Rh. 2.423. Sans qu’il soit mentionné explicitement, le contexte paraît être celui d’un séisme – le vocabulaire de la destruction est employé à plusieurs reprises, comme dans ce passage.
185 Voir notamment les exemples réunis par Robert 1937, 85.
186 SHA, Gall., 6. Voir également Zos. 1.34-35 ; SHA, Gall., 13.7-8.
187 IK, 9-Nikaia, 11.
188 Voir II. 1 ; IK, 12-Ephesos, 452 ; SGO I, 03/02/19 et Knibbe & Engelmann 1984, 140 inv. 4365 (AE 1988, 1022).
189 Nous renvoyons à E. Winter pour un bilan plus large, mais qui parfois pose problème : ainsi le passage de la Vie de Sévère Alexandre dans l’Histoire Auguste (24.3), où Sévère Alexandre est loué pour avoir permis aux cités de toucher d’autres revenus pour la construction de monuments publics, est-il utilisé pour suggérer qu’il en fut ainsi en Asie mineure (Winter 1996, 59 et n. 495). En réalité le passage du texte concerne Rome ; il s’agit d’affecter le produit de l’impôt sur les souteneurs et les prostitués, non plus au trésor impérial, mais aux dépenses concernant les édifices de spectacle, à Rome. De plus l’auteur de la Vie veut ici opposer Élagabal et Sévère Alexandre : comme conclut A. Chastagnol, “il ne faut certes pas prendre au pied de la lettre toutes ces notations, élaborées de façon plus ou moins artificielle, car la fiction est partout présente dans la Vie” (Chastagnol 1994, 559).
190 D. Chr. 40.5.
191 D. Chr. 47.13.
192 Oliver 1989, 13.
193 Aristid., Or., 53.1-2 (“l’ajout d’ornements publics” : δημοσίων κόσμων προσγενομένων).
194 Les honneurs reçus de l’empereur doivent être mentionnés dans l’éloge des cités (Dion., Rh., 5.5).
195 Aristid., Or., 26.98.
196 Reynolds 2000 (trad. fr. AE, 2000, 1441).
197 D’après les restitutions proposées par Oliver 1989, 138 ; Kokkinia 2003 pour l’ensemble du texte, ici l. 14-18.
198 Le juriste Valens, qui écrit sous Hadrien ou Antonin le Pieux, limite également les fonds testamentaires que l’on peut mettre à disposition pour des jeux ou des spectacles (Val., dig., 50.8.6).
199 Mod., dig., 27.1.6.2 et 7.
200 Luc., Peregr., 15.
201 Halfmann [2001] 2004, 79.
202 Oliver 1989, 514 ; IK, 12-Ephesos, 212.
203 Voir II.2.
204 Cela diffère de l’idée selon laquelle l’empereur aurait aiguillonné la volonté défaillante des notables grecs dans ce domaine.
205 Le résultat de notre enquête diffère donc assez profondément des hypothèses et conclusions de Winter 1996 (voir par exemple, sur la manifestation fréquente de la liberalitas Principis dans les cités, p. 62).
206 Halfmann [2001] 2004 leur prête en général un rôle considérable.
207 Joubin 1893, 18.
208 “le peuple, admirant sa piété envers la maison impériale” (l. 10-11).
209 Tac., Ann., 4.25.
210 Il s’agit de l’étroit bras de mer qui séparait la côte d’Asie de l’île. Les guerres en question ici sont, selon A. Joubin, celles qui eurent lieu en Thrace de 25 à 26 sous le règne de Rhoemétalcès II. Tac., Ann., 3.38 et 39, signale en effet une révolte. Le détroit de Cyzique a dû rester comblé pendant une dizaine d’années. Tryphaina le fait déblayer.
211 Opinion différente dans Winter 1996, 222-225. Voir notre II. 3.
212 D’où la difficulté de parler de leur rôle décisif dans la romanisation de ces pays sous l’aspect de l’ornement des cités (Winter 1996, 225, qui renvoie à Robert 1969b, 326, qui parle des relations entretenues par les affranchis avec les classes les plus modestes de la population grecque, ce qui aurait contribué à leur romanisation).
213 IPergamon, 236 et 237. Sur Apollodôros, Str. 13.4.3 ; voir Halfmann [2001] 2004, 31.
214 Voir III. 1 et Pont 2008c.
215 De Chaisemartin 1989, 26.
216 Reynolds 1982, no 10 (Bull. 1983, 371).
217 Voir les inscriptions du théâtre, Reynolds 1982, App. V, no 36.
218 IK, 17.1-Ephesos, 3006 ; IK 59, 151.
219 Statue de L. César, IK, 17.1-Ephesos, 3007.
220 Alzinger 1974, 9 ; Spanu 1988 ; en dernier lieu, Halfmann [2001] 2004, 43-44.
221 Voir en dernier lieu l’édition complète dans IK 59, 154, pour la basilique ; IK, 17.1-Ephesos, 3092 ; IK 59, 152, pour le pont. Voir Halfmann [2001] 2004, 40-41. Voir III. 1.
222 IK, 49-Laodikeia, 24 ; IK 59, 170.
223 Voir II. 3, notamment les cas de Chresimus à Tralles (IK, 36.1-Tralleis, 148) et Ti. Flauius Épagathos à Éphèse (IK, 13-Ephesos, 858).
224 IK, 17.2-Ephesos, 5114.
225 Voir II. 1. Inscription en latin : IK, 17.2-Ephesos, 5103 ; IK 59, 73.
226 τὸ παιδ[ευτήριον], d’après IK, 12-Ephesos, 212. Halfmann [2001] 2004, 93-94, voit dans cet édifice davantage la marque d’un “notable impérial”.
227 Pline, Ep., 6.29-31.
228 IK, 12-Ephesos, 428. Cette statue fut probablement restaurée par un proconsul chrétien en 405-410, d’après Knibbe & Thür 1995, 100-102.
229 IK, 24.1-Smyrna, 697 ; Philostr., VS, 1.25 ; voir Quet 2003.
230 Halfmann [2001] 2004, 71-75. Il voit en lui une figure déterminante de la grande vague de construction à Pergame à l’époque de Trajan, dont il était l’ami.
231 Heller 2006.
232 Le terme de “citoyen cosmopolite” ne nous paraît pas être adéquat à la description de l’identité de ces personnages (employé par Halfmann [2001] 2004, 79, à propos d’A. Claudius Charax) ; bien qu’intégrés aux réseaux de pouvoir romains et amis avec les empereurs, ils n’en représentent pas moins sans ambiguïté la culture et l’identité grecque des cités dont ils sont originaires. Dion de Pruse serait un bon exemple également de ce type d’intellectuel, qui a évolué dans les cercles les plus élevés du pouvoir, tout en admonestant sans cesse les Grecs pour qu’ils défendent leur liberté par un comportement politique bannissant les disputes vaines dans la cité et entre cités.
233 Puech 2002, 396-406 sur M. Antonius Polémon ; sur la statue pour une cité sœur, p. 401-406 no 211 (IK, 24.1-Smyrna, 676) ; le passage cité ici est p. 406. Voir également Quet 2003, et notamment les conclusions, p. 440 : “nous ne connaissons pas les discours politiques que Polémon adressa aux Smyrniotes, mais nous pouvons raisonnablement penser que, traitant de la concorde et du comportement hellène le plus convenable (κοσμιώτατον), comme le faisait également Dion de Pruse, ses discours ne pouvaient être seulement rhétoriques”.
234 Idée développée par Winter 1996, 108-118, et Halfmann 1986, 130-132.
235 Par exemple, Sperti 2000, 53. Le bouleutèrion et les bains de Hiérapolis datent de l’époque d’Hadrien, qui a visité la cité en 129. La dédicace des bains permet de les dater de 135. Selon lui le voyage d’Hadrien aurait donc été l’occasion d’entreprendre la rénovation d’un édifice existant déjà sûrement, dédié quelques années plus tard.
236 IK, 13-Ephesos, 672 et IK, 17.1-Ephesos, 3080.
237 Puech 2002, 194.
238 Halfmann [2001] 2004, 108.
239 Harl 1987, chap. 6.
240 IK, 14-Ephesos, 1145.
241 Delmaire 1997.
242 Voir Christol 1997 pour le cas de Cologne ; Pont 2005 pour l’image différente de Nicomédie à partir de Dioclétien et Pont 2008b pour les incidences de cette notion sur la création d’un passé historique fictif à Byzance.
243 Il est donc inutile de supposer à toute force que les empereurs étaient réticents face aux constructions. Pline n’a pas été envoyé par Trajan pour arrêter les entreprises édilitaires, il a au contraire aidé à se réaliser toutes celles où il a été impliqué ; de même à Éphèse d’après les sources que nous conservons, qui seules permettent des conclusions fermes (contra Halfmann [2001] 2004, 127, selon lequel “aucune classe supérieure aussi riche et motivée soit-elle, n’était capable de réaliser un programme de construction contre la volonté de l’empereur”).
244 Nous ne comprenons donc pas l’a priori posé par H. Halfmann dans son étude de la construction à Éphèse et à Pergame (Halfmann [2001] 2004, 15) : “il est bien connu que, dans la tradition de cet évergétisme d’influence hellénistico-romaine, les empereurs considéraient le financement des édifices publics, et surtout les subsides variés accordés aux villes provinciales, comme l’expression éminente de la munificence et de l’assistance du prince. De ce fait, l’objet de leurs générosités ne se distingue en aucune manière de ce que les donateurs privés estimaient être utiles pour le bien-être de la communauté et le maintien de leur gloire, sinon par l’ordre de grandeur de leur munificence”. On peut aussi discuter l’idée que les plus grands bâtiments connus à Éphèse et Pergame aient été bâtis par l’empereur.
245 La présentation par Millar 1977, 420-434 des relations entre l’empereur et les cités sur le thème des beneficia paraît donc particulièrement juste : il ne part pas du présupposé que l’empereur serait souvent le commanditaire de monuments publics et n’identifie pas ce thème comme essentiel dans l’évergétisme impérial à destination des cités.
246 Voir les analyses de P. Gros sur les places civiques du début de l’empire. Si Éphèse constitue un cas particulier, les solutions adoptées à Iasos, Tralles, et surtout Aphrodisias ne nous paraissent pas pouvoir être interprétées comme subordonnées à l’expression du culte impérial (Gros 1996a). Voir également l’analyse des agoras-gymnases-stades comme aboutissement d’un processus d’hybridation fonctionnelle des espaces monumentaux marquant l’allégeance de la cité au pouvoir impérial (en particulier à partir du cas d’Aphrodisias, alors que le statut de liberté de la cité fut déterminant dans ses rapports à l’Empire romain) : Gros 2005a.
247 Voir les conclusions d’Halfmann [2001] 2004, 125-128 en particulier.
248 Développée par Halfmann [2001] 2004, 127.
249 Winter 1996, 54 et 60 ; idée reprise de manière beaucoup plus schématique par Barresi 2000.
250 Voir les remarques rapides, pourtant très justes, de W. Pleket à propos de Winter 1996 dans SEG 46, 2281 : le rôle d’initiateur de l’empereur dans les politiques urbanistiques a tendance à être surévalué par E. Winter. Le compte-rendu de cet ouvrage par Barresi 1997 va dans le même sens, et souligne que les traditions urbaines d’autonomie restèrent importantes, ce dont l’étude d’E. Winter ne rend pas compte (mais la thèse de P. Barresi tend pourtant à effacer toutes les particularités locales et la puissance de la culture civique, en surévaluant à son tour le rôle de l’empereur : voir à ce sujet, en particulier, les tableaux récapitulatifs des constructeurs de monuments publics dans Barresi 2003).
251 Veyne 1999, 532.
252 Voir Veyne 1999, 536 : “J’hésite également à accepter sans amendements ce qu’on dit souvent du rôle que jouait à cette époque la “mémoire” historique : les Grecs auraient alors été particulièrement obsédés par leur passé et ils y auraient cherché une compensation à la situation présente. (…) L’historiographie ou plutôt la rhétorique de la seconde sophistique aurait été l’opium d’une identité opprimée. Les faits ne corroborent pas cette interprétation et suggèrent presque l’inverse”.
253 K. Harl indique la même périodisation (Harl 1987, 71 et suivantes) ; Veyne 1999, 566 ; Inglebert 2002b, 248 à la fin.
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