I - Règles et style de la commémoration du kosmos dans la cité
p. 223-267
Texte intégral
1À première vue, les pratiques de l’évergétisme, source désormais prépondérante dans le financement des entreprises publiques – depuis la fin de la basse époque hellénistique – vont à l’encontre de l’idée d’entente et d’union par la compétition créée au sein de la classe des notables et par la différenciation évidente avec ce que pouvait faire un simple citoyen. Néanmoins, les sophistes énoncent sans relâche que les constructions ne sont pas destinées à satisfaire l’orgueil de quelques-uns ou la vanité de la cité, créant ainsi la discorde au sein du corps civique ou entre cités voisines. Au contraire, investir la construction de valeurs civiques est essentiel : elle doit être le résultat d’un projet commun, auquel toute la communauté civique a donné son appui, dans l’idée que la cité en sortirait embellie, augmentée. Il s’agit évidemment d’un idéal ou d’une norme : bien sûr les rivalités politiques jouèrent quand des chantiers ambitieux furent entrepris. Mais avant de les examiner, il convient d’en tracer le cadre d’énonciation, d’énoncer les règles du jeu : notre hypothèse est que leur non-respect, un comportement contrevenant par exemple ouvertement à une retenue de bon ton, aurait risqué de ruiner ipso facto les tentatives de l’évergète pour se faire bien voir de ses concitoyens. L’affichage, même cynique, de quelques valeurs de base (encore une fois, une telle enquête n’est pas naïve – il est évidemment impossible de sonder le secret des cœurs – mais elle doit renseigner sur ce qui réglait les relations au sein de la cité) convenait en particulier à l’évergétisme édilitaire, qui fut intégré par les sophistes au comportement de l’homme de bien à l’époque impériale, ce qui ne fut jamais le cas de l’édition de jeux. L’importance non seulement de l’acte, mais aussi de l’allure du don et du comportement général est réelle : Plutarque rappelle que “l’homme de valeur n’est pas arrogant ni insupportable, et le sage n’est pas un homme suffisant”, οὐ γὰρ αὐθάδης οὐδ’ ἐπαχθὴς ὁ χρηστός, οὐδ’ αὐθέκαστος ἐστιν ὁ σώφρων ἀνήρ1.
2C’est dans le détail des documents officiels, émis par la cité – c’est-à-dire dans les sources épigraphiques issues des organes publics de la cité ou validées par eux – que l’on peut essayer de trouver la structure du discours public sur de tels actes d’évergétisme. L’analyse du vocabulaire épigraphique officiel qui commémorait les constructions dans des dédicaces ou des inscriptions honorifiques, relativement à ce qu’il est possible de connaître des projets par l’archéologie, et en comparaison avec d’autres provinces, peut donner des indices sur l’efficacité de l’idée de participation à un idéal civique, quand des constructions étaient décidées et réalisées. Derrière l’apparente banalité des formules, il s’agit de voir de quoi il était précisément question dans chaque dédicace : des notations vagues et soumises à l’arbitraire individuel ou bien un langage clair, impliquant des relations particulières entre concitoyens. Les caractéristiques du vocabulaire épigraphique traduisent les types de rapports entretenus dans la cité entre les évergètes et le reste du corps civique. Par exemple, l’étude remarquable de Fr. Jacques sur les évergètes récalcitrants a permis de montrer que, même ténus, des détails sur le retard dans l’accomplissement des promesses des évergètes existaient bel et bien – et que si les historiens mirent longtemps à comprendre de quoi il retournait derrière les mentions de sommes ajoutées, les contemporains n’étaient pas dupes. Qu’en est-il en Asie et dans le cadre de l’épigraphie de langue grecque ? La précision des sources épigraphiques dans la description des monuments, leurs silences et ce qu’elles mettent en valeur donnent des indices sur le ton et la qualité de la communication au sein de la cité, entre les notables qui finançaient les monuments et y apposaient leur nom, et le reste de la cité (les autres notables, le dèmos), sans oublier les étrangers de passage, qui pouvaient être des représentants de l’administration impériale, voire, en théorie du moins, l’empereur lui-même. De la précision de la description de l’ampleur de la construction, de ses décors, de son financement, découlent la pertinence du vocabulaire de l’éloge dans les inscriptions honorifiques et la valeur des honneurs accordés. Il faut en effet qu’il y ait une mesure entre l’acte accompli et les honneurs décernés, sans quoi la vie politique civique perdrait toute cohérence. La répétition de formules creuses utilisées sans discernement pour tout bienfaiteur viderait de son intérêt l’affichage public des inscriptions honorifiques, même s’il est évident que le discours public tend à gommer les conflits.
3Il s’agit donc de savoir s’il y avait des marges de manœuvre qui auraient permis au constructeur ou au restaurateur d’un monument de se vanter d’un travail qu’il n’avait pas réellement financé, ou fait faire de façon disgracieuse, bâclée. Le ton utilisé vire-t-il à la vantardise, par l’affichage ostentatoire des sommes dépensées ou bien préfère-t-on faire preuve de retenue sur ce sujet ? A-t-on appliqué des formules stéréotypées, toutes faites, de manière systématique et aveugle pour décrire un monument public et l’action de l’évergète, ou au contraire le discours épigraphique indique-t-il des échanges précis au sein de la cité, tout en manifestant une sensibilité plus vive à certains détails, par le choix de mettre en valeur certains aspects du monument construit ? Cette dernière question peut également se poser pour les institutions publiques, lorsqu’elles finançaient des constructions. L’évaluation de la cohérence du vocabulaire épigraphique doit donc être menée sur plusieurs points. Ils sont envisagés dans l’ordre logique de la construction du bâtiment, depuis sa conception jusqu’à sa réalisation, avec l’étude des rares détails techniques présents dans les inscriptions, de la mention du décor des bâtiments et de leur coût, des modalités de leur achèvement, de leur inauguration et de leur dénomination.
Conditions et limites de la mise en lumière des questions techniques
Architectes et conception des bâtiments
4Lucien racontant de manière plaisante sa vocation pour l’éloquence plutôt que pour la sculpture montre parfaitement le mépris pour l’artisan, pour l’homme spécialisé dans une technique, même si son œuvre suscite l’admiration. L’incarnation de l’éducation, Παιδεία, lui remontre qu’il restera inconnu, “courtisera celui qui saura parler”, τὸν λέγειν δυνάμενον θεραπεύων, qu’il sera “un artisan, un vil ouvrier, qui vit du travail de ses mains”, βάναυσος καὶ χειρναξ καὶ ἀποχειροβίωτος, quand bien même il aurait le talent d’un Phidias ou d’un Polyclète2. Le sort de l’architecte ne diffère pas3 : il maîtrise une τέχνη4 plutôt qu’une science théorique, ce qui tend à lui ôter toute dignitas aux yeux des commanditaires de monuments5 ; ils “ne devaient pas jouir d’une grande considération sociale, ni d’un pouvoir réel, étant de toute façon mal distingués de la classe des artisans spécialisés, dont ils étaient issus”6. À l’époque romaine, malgré quelques cas d’enrichissement personnel attestés par des monuments funéraires remarquables7, au moment de la commémoration de l’œuvre accomplie leur figure reste toujours en retrait8. Tout cela est commun aux Latins et aux Grecs : aussi ne s’étonnera-t-on point de l’absence de commémoration de l’architecte.
5Un petit corpus épigraphique peut en revanche être distingué, faisant référence à des hommes de bien, des notables, maîtrisant l’architecture comme l’un des acquis de leur paidéia, ou à des architectes en passe de devenir des notables. On peut citer à Dorylée, Praxitèle fils de Ménophantos qui reçut l’honneur d’une double citoyenneté, “d’Amorion et de Dorylaion”, et qui “a été l’architecte du pont” près de Dorylée, τὴν γέφυραν ἠρχιτεκτόνει (l. 5-6)9. À Pergame, au iie s., Iulius Nikodémos Nikôn “a sécurisé en le renforçant et orné pour tous le portique situé sur l’agora, par excellence personnelle ; durant la vie, il y a une seule belle œuvre : bien faire”10. En vers isopséphiques, à la première personne du singulier, cette inscription atteste un petit talent de versificateur de la part de Nikodémos. Outre son éducation soignée, d’autres détails montrent son niveau social élevé : sa richesse et la proclamation publique de ses qualités morales. Il est l’architecte, mais aussi le commanditaire, des travaux exécutés sur le portique de l’agora, comme le montrent les verbes utilisés. Il a fait preuve par cet acte d’une qualité caractéristique de la noblesse : la φιλοτιμία, excellence personnelle. Cet ensemble de qualités est mis en œuvre et résumé dans le jeu de mots du dernier vers : sa plus belle œuvre (jeu de mot sur ἔργον, qui dans les inscriptions désigne fréquemment un bâtiment, et se rapporte également aux actions), est de “bien faire”, εὐποιία, à la fois dans un sens concret pour l’architecte, et dans un sens moral, la bienfaisance, pour l’homme de bien qu’il est (il se qualifie lui-même au début de l’épigramme comme ἄγαθος). Le père de Galien, Aelius Nikôn, appartenait à cette catégorie d’architectes, un art qu’il devait exercer plus par goût que par nécessité. Il est l’auteur d’un hymne au Soleil en vers isopséphiques11. À Nysa, cité importante de la vallée du Méandre où Strabon fit ses études, M. Aurelius Aphrodisios fils d’Onésimos fut honoré d’une statue par ses fils, à la fin du iie ou au début du iiie s.12. Bouleute, il a accompli toutes les magistratures (l. 3-4). Il n’a pas jugé indigne d’être architecte (l. 4), et même ses fils sont fiers de le préciser : “lui qui a donné dans de nombreux bâtiments antérieurs des preuves (d’expertise) en tant qu’architecte quand il était responsable des adjudications”, ἀρχιτέκτονα ἐν πολλος καὶ φθάνουσιν ἔργοις δοκιμεα δόντα ἐπὶ τας ἐργοδοσίαις (l. 4-7). Alors qu’il était chargé par la cité de contrôler les adjudications de travaux pour des chantiers publics, ses talents furent utiles à tous ; aussi, “à présent, responsable de si grands bâtiments, il a acquis de la renommée, chargé d’adjudications si importantes”, καὶ νν ἐπὶ τος τηλικούτοις ἔργοις εὐδοκιμήσαντα ἐπὶ τας τηλικαύταις ἐργοδοσίαις (l. 7-10). En tant qu’adjudicateur, il devait choisir des entrepreneurs compétents et surveiller l’exécution du chantier dans les délais à un prix acceptable. L’ensemble de ces tâches, importantes pour la communauté, a pu être accompli en tant qu’ergépistatès.
6Reste le cas ambigu de la dédicace du temple d’Hadrien à Cyzique, inauguré en 138, qui subit un tremblement de terre et ne fut pas dédié avant 16613. L’origine de l’épigramme transmise par Cyriaque pose problème14 ; son biographe et contemporain, Scalamonti, assurait qu’il l’avait copiée sur le temple de Cyzique15. Cette assertion a été confirmée quand un nouveau manuscrit contenant des extraits du journal de Cyriaque a été publié en 1940 ; il comportait une copie, estimée fidèle à l’original, d’un dessin du temple avec l’inscription s’y reportant16. Bernard Ashmole conclut donc à l’authenticité de l’épigramme et la date du iie s. estimant qu’une “bizarrerie” telle qu’une épigramme dédicatoire ne détone pas à cette époque dans cette région. Il rejette donc l’idée d’un prélèvement dans un recueil d’épigrammes byzantines proposée notamment par Th. Reinach en 189017. Il est vrai que la lacune à la fin du premier vers18 suggère plutôt une copie sur le bâtiment lui-même ; néanmoins, l’épigramme ne date très probablement pas du iie s. : ce n’est qu’au ive s. que les épigrammes dédicatoires connurent un succès remarquable dans l’ancienne province proconsulaire d’Asie19. M. Donderer20 a montré que cette forme de signature d’architecte pour l’époque concernée est un hapax ; cette impossibilité de la mettre en série avec d’autres documents pose problème. Pour notre part, nous concluons donc à une variation par un poète de l’Antiquité tardive sur le thème de la dédicace : conformément au goût pour les merveilles architecturales qui se développe à cette époque, le rôle de l’architecte a alors pu être mis en avant, tandis que la dédicace au iie siècle aurait plus volontiers mentionné le commanditaire (le koinon d’Asie) et la divinité bénéficiant d’un culte dans le temple (Hadrien). Le résultat de cette réélaboration poétique a alors pu être gravé sur le temple, au-dessus de la porte principale21.
7Le cas des architectes pose des problèmes particuliers à partir du moment où se répandit l’usage des épigrammes honorifiques : pendant longtemps, les épigrammes où des gouverneurs étaient célébrés pour leurs qualités de constructeurs passèrent pour des textes en l’honneur d’architectes. L. Robert a montré comment la construction et la restauration de murailles, de théâtres, de fontaines, était l’un des thèmes les plus fréquents dans ces éloges, associé à celui de la justice et de l’intégrité22. Une épigramme en particulier se signale par son ambiguïté, en l’honneur de Scaurianus à Éphèse23. Tout repose sur l’interprétation du terme ἡγεμονεύς (vers 3), “maître” du groupe de personnes qui ont décidé de lui élever une statue, ποικιλομται ἀρίφρονες ἡγητρες (vers 5), “les guides très prudents et pleins de ressources”. Pour L. Robert, il s’agissait d’un architecte honoré par des contremaîtres ; au dernier vers, sa τεκτοσύνη est d’ailleurs mentionnée, son talent de charpentier, de constructeur. Mais on peut désormais identifier ce personnage avec celui connu par une inscription en latin, provenant d’Éphèse, où il est dit exercer la fonction de procurateur d’Asie24. L’inscription en latin, en l’honneur de l’épouse de Scaurianus, est élevée par Iulius Heraclius, centurion de la légion XIa Claudia. Cette légion était basée en Mésie inférieure25. Or, les lettres de Pline à Trajan montrent que du personnel militaire qualifié dans des domaines techniques (des experts-géomètres, des architectes) était envoyé de Mésie inférieure en Bithynie si besoin était. Quand Pline se propose de joindre le lac de Nicomédie à la mer, Trajan lui suggère ainsi de demander un librator (quelqu’un qui sait prendre des niveaux)26 à Calpurnius Macer, alors gouverneur de Mésie inférieure. En une autre occasion, pour protéger Byzance des excès des gens de passage, Trajan y envoie un centurion détaché des troupes commandées par Calpurnius Macer27. Dans le cas de Scaurianus, il ne paraît pas impossible d’envisager une situation comparable à celle de Pline demandant des experts géomètres pour des travaux sortant de l’ordinaire. Scaurianus a dirigé l’intervention ἐφ’ἡμετέροισι (…) [τ]είχεσιν (vers 1-2), “sur nos murs”. Secondé par un personnel qualifié dans la construction de défenses militaires, aurait-il supervisé la réfection des murailles d’Éphèse pendant la deuxième moitié du iiie s.28 ? L’emploi du terme ἡγεμονεύς indiquerait une fonction technique, de contremaître, qui convient en même temps à un procurateur29. Un centurion venu de Mésie inférieure, Iulius Heraclius, aurait fourni une aide technique avec des contremaîtres experts appelés dans le grec du terme vague d’ἡγητρες (ils seraient les “guides” des ouvriers). Cela suggère une intervention dans les années 26030, lors des invasions des Goths en Asie. Cette inscription serait alors à verser au dossier des rares attestations épigraphiques de constructions de murailles en Asie mineure occidentale à cette époque, à côté des inscriptions de Nicée, plus explicites, datant de Claude le Gothique31.
8Il arrive donc que l’on fasse l’éloge des compétences techniques de l’homme de bien ou de l’administrateur quand elles rendent service à la communauté. Dion de Pruse rappelle qu’il s’est donné du mal pour “métrer, mesurer, calculer, afin de réaliser quelque chose qui ne fût ni laid ni inutile”, ἔπαθον μετρν καὶ διαμετρν καὶ λογιζόμενος, ὅπως μὴ γένοιτο ἀπρεπὲς μηδὲ ἀχρεον, et qu’il a même “parcouru les montagnes” (pour trouver le marbre convenable ?)32 : ainsi rendit-il service à sa cité. Il ne manque d’ailleurs pas de rappeler qu’en ce qui le concerne, il est “plus qualifié pour d’autres activités peut-être plus dignes d’intérêt et plus susceptibles de [lui] assurer la gloire”, c’est-à-dire la rhétorique33. Les sources provenant d’Asie mineure occidentale montrent donc que comme ailleurs, l’architecte est en général anonyme ; elles présentent la figure particulière du notable-architecte.
9Le problème des architectes se pose encore d’une autre manière, à partir des lettres échangées entre Pline et Trajan34 (ou les bureaux du Palatin). Pour des missions spécifiques et bien délimitées, du personnel militaire spécialisé pouvait venir aider à la conception de certains monuments. Mais ces occasions restent rares : Trajan lui-même rappelle à Pline à deux reprises qu’il devrait pouvoir trouver des architectes et des ingénieurs dans sa province35. La seule requête à laquelle il accède est l’envoi d’un géomètre de Mésie inférieure pour le projet de canal entre le lac de Nicomédie et la mer36. Cette entreprise, comme les routes entre cités et les dispositifs militaires, concerne en toute province le ressort administratif impérial, non les cités37 ; il est donc impossible d’y déceler le signe d’une incompétence grecque ou d’une ingérence impériale, tandis que les tentatives de Pline pour faire intervenir des techniciens romains paraît couramment vouée à l’échec. Il fut lui-même curator aluei Tiberis et riparum et cloacarum urbis, entre 105 et 107, et il avait donc déjà assumé une fonction technique qui le rendait excessivement sensible aux problèmes de constructions38. Il est possible que par ses goûts, Pline donne un aperçu assez déséquilibré des fonctions habituelles d’un gouverneur, car il s’intéressait tout particulièrement aux questions architecturales ; il paraît de plus très soucieux de montrer son admiration pour le génie romain en la matière, plutôt que de reconnaître une dette à l’égard des Grecs.
10Pour le reste (nom de l’architecte, délai de réalisation, présence éventuelle d’équipes non locales, voire de techniciens romains), l’effacement de l’espace public des questions techniques et de conception permet comme ailleurs de faire ressortir le rôle du commanditaire, dont la gloire est dès lors sans partage39. La technique de l’architecte est toujours considérée comme inférieure à la paidéia dont a bénéficié le commanditaire. Cette manière de concevoir le véritable “auteur” d’un bâtiment – celui qui le finance pour la communauté, c’est-à-dire, presque toujours, un membre de cette communauté civique – invite dans une histoire culturelle et politique du paysage urbain à revaloriser le cadre d’interprétation civique, horizon habituel des commanditaires.
L’attention aux matériaux
11L’utilisation d’un vocabulaire précis, bien que relativement peu fréquent, dans les inscriptions comme dans les sources littéraires laisse transparaître la sensibilité grecque au décor, tandis que le plan ou l’apparence d’ensemble des bâtiments, voire les matériaux utilisés, sont moins précisément mentionnés. Il faut s’interroger sur le sens des détails concernant les matériaux de construction, le décor du bâtiment et des parties telles que les portes ou le toit.
Matériaux de construction
12Dans les inscriptions et dans les discours de rhéteurs, la description des matériaux utilisés – briques, tuiles, éléments en bois, blocs de pierre – et la description des techniques de construction, certaines étant identifiées comme d’origine romaine par les historiens de l’architecture, restent très sommaires40. Les inscriptions et les discours de rhéteurs restent silencieux sur tous les aspects techniques d’élévation des murs, malgré l’utilisation de techniques nouvelles, créant de nouvelles possibilités. En revanche, les parties en marbre des murs, que le mur soit uniquement en pierres de taille comme le naos du temple de Zeus à Aizanoi, ou revêtu de placage de marbre, sont coûteuses, ont un bel effet et leur paiement peut être signalé par le commanditaire. Seul Pline en Asie mineure occidentale mentionne l’association de la brique et de la pierre de taille41 : pour l’aqueduc de Nicomédie, il propose d’employer de la pierre de taille, lapis quadratus, reprise à l’aqueduc qui avait été commencé et laissé inachevé, et de la brique, testaceum, moins chère. Arrien à Trapézonte mentionne que le temple d’Hadrien est en pierres de taille, λίθου τετραγώνου42, d’une qualité correcte. Les πλίνθοι à Délos désignent bien les briques. Mais, dans des sources épigraphiques d’Asie mineure occidentale, ce terme indique des “parpaings” ou des “pierres de taille en carreau” : les parpaings sont “les pierres occupant toute l’épaisseur du mur, c’est-à-dire ayant deux parements visibles”43, tandis que les pierres de taille en carreau sont utilisées comme parement. Πλίνθος désigne des blocs de pierre dans une inscription d’Éphèse : la souscription pour la maison de douanes des pêcheurs sous le règne de Néron comporte le don de tels blocs (un ou deux) par trois personnes (col. II, l. 30-35). D’un montant de 20 à 25 deniers, ce sont des dons assez modestes.
13Les couvertures des bâtiments font partie de leur structure même44 et ne rentrent pas à proprement parler dans sa décoration, sauf raffinement exceptionnel. Une inscription d’Apollonia de la Salbakè commentée par L. Robert datant du iie-iiie s.45 et l’inscription de Smyrne d’Apollônios Sparos au ier s.46, décrivent les deux phases de construction d’une toiture pour un petit temple : élévation de la charpente, ἐξυλωμένος (l. 18 à Smyrne) et ξυλώσαντες (l. 6 à Apollonia), puis couverture en tuiles, κεκεραμωμένος (l. 18-19 à Smyrne), κεραμώσαντες (l. 6-7 à Apollonia) ; Apollônios Sparos a également fait faire la couverture en tuiles du portique devant le logement des hiérodules (l. 28). À Aphrodisias de Carie, Iasôn en achevant le grammatophylakion s’est occupé “d’installer les poutres”, δεδοκσ[θαι]47, “couvrir de tuiles et faire le plafond (ou le toit48 ?)”, κεκεραμσθαι καὶ ὠροφσθαι (l. 29), de tout le péristyle49. En Phrygie, dans les années 90, un esclave impérial, Dokimos, a offert, en même temps qu’une contribution de 12 deniers, 10 tuiles, [κ]εραμεδας50. Les poutres porteuses du toit sont également mentionnées dans l’inscription, qui possède peut-être un caractère contractuel, mentionnant un ensemble de travaux précis, probablement au sanctuaire d’Artémis d’Éphèse51 (l. 10). Comme l’a montré M.-Chr. Hellmann pour Délos, στέγη et ὀροφή52 s’appliquent au toit, à la couverture53, στέγη se rapportant toutefois rarement au plafond. Ce terme est employé dans l’énumération précise des différentes opérations se rapportant à la construction d’un logement pour le “gardien de la clé” par Posittos fils d’Apellès, au ier s. à Panamara54. La couverture en tuiles est mentionnée pour la couverture du théâtre d’Aphrodisias de Carie à l’époque julio-claudienne par Aristoklès Molossos : τ[ὴν ? κατασ]τέγασιν (l. 6)55. À Labraunda, T. Flauius Néon a fait faire la couverture d’un portique56. La femme du prophète Aelius Granianus Ambeibios Macer, dans le courant du iiie s., fait faire la couverture du portique qui entoure la maison du Prophète à Didymes, τὴν στ[οὰν τς προ]φητικς ἐστέ[γ]ασεν57 (vers 9-10). Les acrotères, τὰ ἀκρωτήρια, qui décorent le toit sont cités une fois, dans l’inscription d’Aristoklès Molossos à Aphrodisias, sur des travaux exécutés au théâtre58.
14Liés à la couverture du bâtiment ou à sa structure et ne possédant pas de but décoratif, les éléments en bois sont parfois mentionnés : des architraves en bois, ξύλινα ἐπιστύλια, sont attestées dans une inscription de Mylasa et dans l’inscription d’Éphèse que nous venons de citer. L’inscription de Mylasa paraît être, comme celle d’Éphèse, un devis, ou avoir un caractère contractuel à cause du nombre de termes techniques employés, dont il est difficile cependant de préciser le contexte59. Des éléments en bois liés à la toiture paraissent être mentionnés dans l’inscription de Posittos à Panamara60. Dans une inscription de Tralles sur la construction du toit d’un portique61, dans l’inscription d’Éphèse où le Conseil décide de dépenses de constructions au sanctuaire d’Artémis62, le terme δοκός est utilisé. “Le reste de l’équipement en bois pour les activités théâtrales”, τὴν λοιπὴν [ξ]υλικὴν παρασκευὴν τν θεατρικν (l. 6-8) du théâtre d’Éphèse désigne en revanche probablement non pas des parties de la structure du théâtre, mais des éléments tels que des planchers, des mâts pour le uelum, ou d’autres accessoires. Il fait partie d’un ensemble d’interventions de détail dans le théâtre dans la deuxième moitié du iie s. financées par la cité : uelum, proscenium, plancher, rideaux, portes, parties en marbre63. Il est rare qu’une attention soit portée à ces opérations dans les dédicaces de travaux. Elles sont plutôt mentionnées dans des documents de nature particulière, contractuels64.
— Les matériaux coûteux : les différentes sortes de marbre, le bronze
15Le signalement de la qualité du marbre utilisé, sans être fréquent, n’est pas rare65. Les sources d’approvisionnement ne sont pas également prestigieuses. Plusieurs cités possèdent sur leur territoire ou à proximité des carrières de marbre blanc, dont elles se servent couramment pour leurs bâtiments, comme Éphèse66 et Aphrodisias67. Mylasa possède une carrière de marbre blanc vantée par Strabon68 : “Mylasa est située dans une plaine très opulente ; une montagne la domine, près d’un pic, où se trouve une très belle carrière de marbre blanc. Celle-ci n’est pas peu utile, car elle a des matériaux de construction pour les bâtiments en grande quantité et tout près, et en particulier pour la construction des temples et des autres édifices publics ; ainsi la cité, s’il en est, est parfaitement ornée de portiques et de temples”. L’auteur grec met l’exploitation de cette carrière directement en relation avec la réussite du kosmos civique. D’autres carrières sont exploitées dans les domaines impériaux, où la grande qualité du marbre lui assure une diffusion d’ampleur méditerranéenne. Son utilisation, coûteuse (à moins que l’empereur ne décide d’offrir des colonnes ou des blocs provenant de ses carrières, ce qui apparaît rarement dans les inscriptions d’Asie), est signalée par l’évergète de manière probablement systématique au vu des prix pratiqués ou de la faveur obtenue si elle vient de l’empereur. En effet la réputation de ces marbres est telle que des notables spécifient sur leur sarcophage l’emploi d’un marbre si précieux69. Les carrières de Phrygie, avec le marbre de Synnada, Dokiméion (où était extrait le pavonazetto)70, Aizanoi, sont particulièrement réputées. Claudien71 parle de la Phrygie pretiosaque picto marmore purpureis caedunt quod Synnada uenis, “précieuse par le marbre coloré que taille Synnada dans les filons pourpres”. Cependant, en 235-236, le marquage des blocs par des agents impériaux est subitement suspendu72. Téos en Ionie abrite aussi une carrière impériale ; son marbre est peu utilisé en Asie mineure occidentale et aurait été exporté avant tout vers l’Italie et l’Afrique73. Près de Cyzique l’île de Proconnèse abrite une carrière impériale ouverte également au commerce privé, produisant un marbre blanc. Elle aurait été intégrée au domaine impérial par Hadrien74. Malgré son faible coût, le marbre de Proconnèse est mentionné par Aelius Aristide dans son discours sur le temple d’Hadrien à Cyzique75. Mais c’est ici l’exploit technique du volume de marbre déplacé plutôt que la beauté du marbre lui-même ou son origine que met en valeur Aelius Aristide.
16Les attestations épigraphiques de l’utilisation de marbre peuvent donc être classées en fonction du caractère précieux du matériau, dont l’édit du maximum de Dioclétien fournit une indication. Le pied de porphyre rouge égyptien y est ainsi compté à 250 deniers, de marbre de Numidie à 200 deniers de même que celui de Dokiméion, le pied de marbre de Proconnèse à 40 deniers ; un autre marbre (de la région frontalière de Bithynie et Phrygie), appelé Ποταμογαλληνόν, coûte le même prix76.
Tableau 1. Attestations écrites de l’emploi du marbre77
λίθεος, λίθειος, λίθινος “marbre”, “pierre fine”
Reynolds 1991, 22 no 1, pour des éléments du théâtre d’Aphrodisias à l’époque julioclaudienne ; Didyma, 381, des piliers en marbre dans le temple d’Artémis au début de l’époque impériale ; Fabricius 1894, 918, à Hyllarima pour le pronaos et la crépis du temple, entre 138 et 161 ; Philostr., VS, 2.23 [605], à Éphèse, le portique qui relie la cité au temple d’Artémis ; Herrmann 1993a, mention l. 10, restituée, à Sardes, pour “l’ornement” de l’aleiptèrion en 211.
marmoreus, μαρμάρεος, μαρμάρινος “en marbre”
Tours du port de Cyzique d’après Florus (Epit., 1.40.15) ; pavement de marbre de la platéia de Cyzique (Chronicon Paschale, p. 475) ; pavement des rues à Éphèse au ive s. (IK, 14-Ephesos, 1304 ; SGO I, 03/02/10) ; à Smyrne môle du port (AP 9.670 ; SGO I, 05/01/19).
λευκολίθος “en marbre blanc”
IK, 16-Ephesos, 2113, le mur de soutènement au stade sous Néron ; IK, 49-Laodikeia, 15 et 83, le “stade amphithéâtre” en 79-80 ; IK, 21-Stratonikeia, 112, à Panamara, des parties du logement du gardien de la clé du temple au ier s. ; IK, 49-Laodikeia, 82, l. 13-14, pavement “devant Zeus” (temple ou statue ?) par Q. Pomponius Flaccus (ier -iie s.) ; ILabraunda, 23, stylobate du portique de Mausole reconstruit entre 102 et 114, et “l’ornement qui se trouve au-dessus des colonnes” ; Pugliese-Caratelli 1987, 151-154, à Iasos en 135-136 les sculptures de l’épistyle du portique est de l’agora ; CIG 2782 l. 29, le montant des portes de l’aleiptèrion à Aphrodisias (dans les années 130 ?) ; Boulanger 1914, 49 no 2, à Aphrodisias, l’ornement “au-dessus des colonnes” des portiques est et ouest des bains d’Hadrien ; MAMA VIII, 498, l. 24, à Aphrodisias, la décoration ( ?) du bâtiment des archives achevé dans le courant du iie s. ; IK, 16-Ephesos, 2039, éléments ( ?) dans le théâtre, après 130 ; IK, 21-Stratonikeia, 229a, le pavement de l’agora au iie s. ; IK, 12-Ephesos, 437, l’“ornement” du prytanée.
Marbre de Proconnèse
Temple d’Hadrien à Cyzique (Aristid., Or., 27.17).
ποικίλος associé à un nom (λίθος, κείων) “marbre polychrome”, “veiné”, “moucheté”, sans attestation de la provenance
IK, 36.1-Tralleis, 148, le décor de la salle chaude des bains en 96-98 ; ILabraunda, 23, les colonnes du portique entre 102 et 114 ; IK, 22.1-Stratonikeia, 684 et 685, le revêtement du mur d’un portique entre 150 et 200.
σκούτ[λῃ] ῥαντ “placage en marbre veiné”
IK, 17.1-Ephesos, 3065 l. 11, revêtement des murs d’un portique à l’agora commerciale au ier s.
λίθωι Φωκαικι “en marbre de Phocée”
IK, 11.1-Ephesos, 20, col. I, l. 15-18, pavement de 100 coudées de l’hypèthre de la maison de douane des pêcheurs sous le règne de Néron et pavement du tétrastyle “près de la stèle” (où est gravée l’inscription ?) (ibid., col. I, l. 22-24).
Φρυγίῳ λίθῳ “en marbre phrygien”
Philostr., VS, 2.23 [605], à Éphèse, “ornement” de la salle de banquet (ἑστιατήριον) du temple d’Artémis.
λίθος Δοκιμήνος marbre de Dokiméion
IK, 13-Ephesos, 661, “le reste des colonnes de 25 pieds et demi dans le gymnase auguste” vers 140-150 ; Ritti 1985, 108, à Hiérapolis, “l’ornement du premier et du deuxième étage” du théâtre, en 206-207.
Marbre de Kymbella (désigné par le toponyme)
IK, 24.1-Smyrna, 697, 52 colonnes pour le bosquet de palmiers, après 123.
Marbre de Synnada (désigné par le toponyme)
IK, 24.1-Smyrna, 697, 72 colonnes pour l’aleiptèrion données par Hadrien, après 123.
Marbre de Numidie (désigné par le toponyme)
IK, 24.1-Smyrna, 697, 20 colonnes pour l’aleiptèrion données par Hadrien, après 123.
Porphyre
IK, 24.1-Smyrna, 697, 6 colonnes pour l’aleiptèrion données par Hadrien, après 123.
17À Aphrodisias et Éphèse où apparaissent plusieurs mentions de marbre blanc, le matériau peut provenir des carrières exploitées par la cité. L’emploi du terme μαρμάρεος, μαρμάρινος, est spécifique aux statues et au langage poétique : on le trouve volontiers dans les épigrammes du ive s. D’après la mise en série des attestations que nous possédons, τὰ ἐν τ θεάτρῳ λευκόλιθα qui ornent le théâtre d’Éphèse78 sont plus probablement des éléments de placage en marbre que des statues79, qui ne sont pas associées à cet adjectif en Asie mineure occidentale. Le marbre de Phrygie suscite l’admiration, pour sa qualité, sa couleur et sa beauté, encore à l’époque byzantine. Philostrate rapporte également que le marbre de Phrygie utilisé par Flauius Damianos pour orner la salle de banquet du temple d’Artémis à Éphèse est un “ornement indescriptible”, λόγου κρείττω κόσμον, et que cette veine n’avait jamais encore été exploitée80. Il s’agissait là d’un marbre multicolore, appliqué en placage sur les murs, comme à Tralles et Lagina, et à Hiérapolis pour le marbre de Dokiméion. Les colonnes données par Dionysios fils de Niképhoros à Éphèse méritent une mention particulière, car peu de particuliers peuvent s’offrir le luxe de telles évergésies. Les seules autres attestations d’emploi de marbre coloré, non pas en placage mais pour des éléments architecturaux (le plus grand volume impliquant un coût plus élevé), proviennent de dons impériaux, à Smyrne81. Le don fait par Politès à Labraunda de colonnes en marbre polychrome paraît remarquable ; il peut s’agir de marbre du Latmos, Ἡρακλειωτικόν, mentionné dans l’édit des prix de Dioclétien à 75 deniers le pied ; de même à Lagina pour Épainétos père et fils. À l’époque de Néron, le pavement en marbre de Phocée de certaines parties de la maison des pêcheurs de la capitale de l’Asie, mentionné parmi les premiers dons de la liste de souscription, accompli par des Éphésiens citoyens romains, indique également une évergésie d’un certain faste82. Le matériau peut donc être mentionné pour son effet décoratif, qu’il s’agisse de blocs, de dalles, d’architraves ou de colonnes, éléments architecturaux volumineux et donc coûteux, ou de simples placages également appréciés. Ce second cas est signalé par l’utilisation du terme σκούτλωσις, terme technique qui désigne un décor mural (exceptionnellement sur le sol). L’utilisation d’un matériau, en placage ou massif, de bonne qualité, signale la générosité du commanditaire, orne la cité et permet même d’inscrire de manière plus lisible et durable le nom de l’évergète et les différentes mentions de l’inscription, comme le montre le compte-rendu par Arrien de sa visite à Trapézonte83 (des autels ont été construits, “mais d’une pierre grossière, aussi les caractères gravés n’y sont-ils pas bien visibles”).
18Un autre matériau coûteux dont l’utilisation est parfois mentionnée est le bronze. Au début de l’époque impériale, à Didymes, une bienfaitrice “a offert à ses frais les portes de bronze du temple d’Artémis”, ἀναθεσα δὲ [ἐκ τ]ν ἰδίων καὶ τὰς χαλκς θύρας το [ναο τ]ς Ἀρτέμιδος (l. 6-8). Il est précisé que les éléments architecturaux de la porte étaient en marbre84. À Lagina, au iie s., le prêtre Phanias “a fait voter les portes en bronze pour la déesse [Hécate] et il a été responsable de leur installation”, ἐψηφίσ[α]το τοὺς χαλκέους πυλνας τ θε καὶ ἐργε[πε] στάτησεν αὐτν : elles ont donc été financées sur les fonds du sanctuaire ou de la cité de Stratonicée85. Enfin, des bronziers sont encore mentionnés dans un contexte similaire, celui d’un grand sanctuaire, dans une inscription d’Éphèse d’époque impériale, malheureusement fragmentaire, où l’on devine que le Conseil, s’étant tenu dans le sanctuaire d’Artémis, a décidé de travaux au temple : des bronziers doivent intervenir (l. 3), des éléments architecturaux (colonnes pour le propylée, épistyles en bois) sont mentionnés à la fin de l’inscription86. L’emploi de portes de bronze dans un contexte civil est connue par seulement deux attestations. À Smyrne, après l’obtention de la seconde néocorie en 123, L. Vestinus a offert des portes en bronze pour le bouleutèrion sur l’agora87. Ensuite, au ve s., le gouverneur Euthéios, à Stratonicée de Carie, a, d’après une inscription gravée sur l’architrave de la porte en question, “fait attacher les portes de bronze que voici à l’entrée” (du bureau des magistrats), χαλκ ἐπιζεύξας τάσδ’ ἐπίπροσθε θύρας (vers 6)88.
Portes et colonnes : des précisions nombreuses
19Les portes ne sont pas seulement mentionnées quand elles sont en bronze. Elles sont fréquemment évoquées dans les sources, ce qui peut d’abord surprendre. La terminologie est complexe :
Tableau 2. Éléments des portes.
ἡ θύρα, θυρόω, ἡ παραθύρα “porte”, “mettre une porte”, “porte secondaire”
IK, 28.1-Iasos, 22, pour l’agoranomion ; IPergamon, 237 et 239 (époque augustéenne), pour le nomophylakion ; IK, 21-Stratonikeia, 112 (à Panamara, au ier s.), pour le logement du kleidophylakès ; IK, 24.1-Smyrna, 753, l. 19, au ier s., pour un temple ; IK, 24.1-Smyrna, 697, l. 12-13, après 123, pour le bouleutèrion ; IK, 16-Ephesos, 2039 (après 130), au théâtre.
τὰ θυρώματα “le portail à double battant” (Hellmann 1992, 166)
IK, 12-Ephesos, 437, pour le prytanée ; IK, 34-Mylasa, 502, pour le vestibule d’un temple ; IK, 28.1-Iasos, 102 en 4 pour un propylée d’un monument indéterminé ; IPergamon, 237 et 239 à l’époque augustéenne, en même temps que les portes secondaires du nomophylakion ; MAMA VIII, 498, à Aphrodisias, pour le grammato-phylakion.
ἡ παραστάς89 (en général employé au pluriel) Jambage de porte (Hellmann 1992, 323)
IPergamon, 237 et 239, à l’époque augustéenne, pour le nomophylakion ; CIG, 2782 (l. 29) à Aphrodisias (dans les années 130 ?) dans le gymnase de Diogénès ; IK, 49-Laodikeia, 23, restitution possible de ce mot au pluriel à l’époque sévérienne.
τὸ περιφλίωμα Encadrement de porte
MAMA VIII, 498, l. 12, encadrement des portes pour le grammatophylakion d’Aphrodisias.
ἡ πυλίς “petite porte, guichet” (Hellmann 1992, 360, sur ἡ πύλη)
CIG 2749 et p. 1109 (Aphrodisias), pour le lieu d’exposition des statues.
ὁ πυλών pylône-propylée (Hellmann 1992, 352)
IK, 12-Ephesos, 437, pour le prytanée ; IK, 28.2-Iasos, 621 et 623, à Bargylia ; IK, 28.1-Iasos, 102 en même temps que le cadre et le portail à double battant ; IPergamon, 236, à l’époque augustéenne, pour la scène du théâtre, avec son abri, τὸ ἐμπέτασμα.
τὸ σταθμόν Montants de porte (Hellmann 1992, 422)
Didyma, 381, montants en marbre pour les portes en bronze du temple d’Artémis.
ἡ στυλοπαραστάς Pilastre, ante ?
IK, 28.1-Iasos, 22, pour l’agoranomion.
20On trouve la mention de la mise en œuvre de portes dans trois contextes en particulier : au théâtre, pour le bâtiment de scène ; dans les petits bâtiments servant de bureaux et de lieu de réunion autour de l’agora, qui doivent pouvoir fermer ; les temples sont soumis à la même contrainte. Parfois ces portes peuvent avoir des montants en marbre, ou être en bronze, ce qui marque un effort particulier dans l’ornement. Très souvent, les détails les plus précis dans les opérations techniques de construction (toiture, charpente, portes) apparaissent dans des sanctuaires. On peut mettre cette acribie en relation avec un passage de l’inscription en l’honneur d’Épié de Thasos, qui permet de comprendre de quoi il retourne dans cette mention insistante des portes : “elle a maintenant l’intention de construire le propylée de l’Artémision à ses frais, avec des colonnes de marbre, des entablements, des portes, car dans l’état actuel certaines ouvertures sont murées, d’autres sont sans vantaux”, νυνί τε τὸ πρόπυλον το Ἀρτεμισίου κατασκευάσαι ἐκ τν ἰδίων βουλέται λιθίνοις κείοσιν καὶ ἐπιστυλίοις καὶ θυρώμασιν, ἐπειδὴ ἃ μὲν ἐνοικοδόμηται, ἃ δὲ ἄθυρά ἐστιν (l. 10-13)90. Fr. Salviat commente : “cet état de l’accès au sanctuaire était donc assez mauvais, soit par délabrement, soit plutôt parce que des travaux engagés n’ont pas été poursuivis, peut-être faute d’argent pour mener à bien le projet initial”91. Il n’y a sans doute pas lieu de soupçonner derrière chacune des dédicaces où sont mentionnées des portes un problème d’achèvement du projet antérieur ; mais il y a certainement le désir conscient de marquer que l’on a bel et bien achevé le bâtiment, en s’occupant du bâti mais aussi des huisseries.
21On retrouve un souci du détail comparable dans les très nombreuses mentions des différents éléments de colonnes qui sont mis en œuvre et financés par le commanditaire. On peut présumer un même souci dans la rédaction des dédicaces et des inscriptions honorifiques : montrer que l’on s’est attaché aux finitions du bâtiment entrepris ou que si l’on a donné simplement quelques colonnes, elles ne furent pas livrées brutes.
Tableau 3. Élévation de la colonne92
ἐκ θεμελίων μέχρι γείσους “des fondations jusqu’à la corniche”
CIG 2782 l. 23, à Aphrodisias, pour désigner l’intégralité de la construction d’un bâtiment donnant sur une avenue, sur toute son élévation.
σὺν τας σπείραις καὶ τας κεφαλεσιν, σπειροκέφαλον “avec la base et le chapiteau” (Flemberg 1996)
ILabraunda, 23, au portique de Mausole, en 102-114 ; IK, 24.1-Smyrna, 697, l. 19-20, pour le χαριστήριον et les colonnes en marbre de Kymbella par Claudia Aurelia (l. 28-29), peu après 123 ; Jacopi 1939-40, 227 no 8, Mendel 1906, 172 a et 173 b et Haussoullier 1920, 74 à Aphrodisias, pour des colonnes des “bains d’Hadrien” ; CIG 2713, 2714 et Rumscheid 1999, 34-35, pour des colonnes du temple de Zeus à Eurômos ; TAM V, 1, 693, à Iulia Gordos, entre 177 et 180 ; IK, 12-Ephesos, 465 (inscription fragmentaire).
ὁ στυλοβάτης stylobate
Didyma, 264, l. 8-9 et l. 13-14, au début du iie s., pour la construction d’une pièce ( ?) de la basilique ; ILabraunda, 23, pour le portique de Mausole, en 102-114 ; Pugliese-Caratelli 1987, 151-154, à Iasos pour le portique est de l’agora ; IK, 12-Ephesos, 437, accompagnant les 14 poteaux pour le prytanée.
ἡ κρηπίς soubassement à degrés
Fabricius 1894, 918 à Hyllarima, krèpis offerte en même temps que le pronaos entre 138 et 161.
ὁ τρίβασμος trois marches
IPriene, 159, à l’entrée du naos d’Athéna (inscription connue par Ch. Newton, Society of Dilettanti 1881, 30), époque augustéenne.
ὁ [ῥ]ιζαος base
Partie de la colonne monolithe du temple d’Artémis après 17 à Sardes (Sardis, 181 ; SGO I, 04/02/02).
ὁ βωμός93 base
IK, 17.2-Ephesos, 3852, à Titeiphyta d’Hypaipa, deux colonnes avec leur base.
τὸ βωμοσπείρον94 base (en forme d’autel)
CIG 2782 l. 31 à Aphrodisias, colonnes avec leur base (et leur chapiteau) dans l’aleiptèrion du gymnase de Diogénès ; IK, 17.2-Ephesos, 3851, deux colonnes avec leur base et leur chapiteau à Titeiphyta d’Hypaipa.
ἡ σπερα tore (base moulurée de colonne)
Sardis, 181, partie de la colonne monolithe du temple d’Artémis après 17 ; Didyma, 264, l. 10, mention dans une inscription fragmentaire du début du iie s., pour la construction d’une pièce ( ?) de la basilique ; Pugliese-Caratelli 1987, 151-154 à Iasos avec les colonnes du portique est de l’agora en 135-136 ; TAM V, 1, 695, à Iulia Gordos ; IK, 17.2-Ephesos, 3852, deux colonnes avec leur base (βωμός) et leur épistyle à Titeiphyta d’Hypaipa.
τὸν πρόαντα s.v. πρόαντα)
rangée de colonnes en façade (ce terme n’est attesté qu’à l’accusatif, LSJ IK, 21-Stratonikeia, 200, à Panamara, rangée de colonnes en façade au temple d’Héra au iie s.
τὰ διάστυλα entrecolonnements
IK, 17.2-Ephesos, 3865A, dans les environs d’Hypaipa, deux entrecolonnements pour le Kaisaréion (début de l’époque impériale) ; MAMA VIII, 498, l. 14-19, à Aphrodisias au iie s. transport de 8 entrecolonnements du portique oriental vers le portique sud, et de 8 autres du vieux portique, et un du portique occidental, pour le grammatophylakion ; IK, 12-Ephesos, 444-5, et IK, 16-Ephesos, 2076, 2078-2080 et Knibbe 1985, 71-77 no 1 et 2, pour des associations ; Roueché [1989] 2004, 10, à Aphrodisias deux entrecolonnements dans le second quart du ive s.
ὁ κίων fût de colonne ou colonne entière
Reinach 1906, 220 nos 122-4, à Aphrodisias, dans le temple d’Aphrodite ; IK, 34-Mylasa, 326, rangée de 8 colonnes pour le temple de Zeus Osogo, au début de l’époque romaine ; Malay, Researches, 24, à Thyatire, pour un portique à l’époque augustéenne ; Milet, VI. 1, 330 et p. 211, colonnes du portique sud des bains de Milet sous Néron ; IK, 17.2-Ephesos, 3851-2, à Titeiphyta d’Hypaipa, quatre colonnes au ier s. ( ?) ; IK, 36.1-Tralleis, 145, au ier s. 20 colonnes pour l’agora ; IK, 15-Ephesos, 1988a, 25 colonnes pour le gymnase du port ; ILabraunda, 23 pour le portique de Mausole, des colonnes polychromes, en 102-114 ; IK, 15-Ephesos, 1618, au début du iie s., colonnes pour le “nouveau gymnase” ; IK, 24.1-Smyrna, 697, l. 19, colonne pour le χαριστήριον et 52 colonnes en marbre de Kymbella (l. 28-29), en 123 ou peu après ; Jacopi 1939-40, 227 no 8, Mendel 1906, 172 a et 173 b, Haussoullier 1920, 74, colonnes pour les bains d’Hadrien à Aphrodisias ; CIG 2782, l. 31, à Aphrodisias colonnes dans l’aleiptèrion du gymnase de Diogénès(dans les années 130 ?) ; CIG 2713-4 et Rumscheid 1999, 35, colonnes pour le temple de Zeus à Eurômos à l’époque d’Hadrien ; Pugliese-Caratelli 1987, 151-154, à Iasos, colonnes pour le portique est de l’agora en 135-136 ; Reynolds 1991, 22 no 1, dans le théâtre d’Aphrodisias sous Antonin le Pieux ; MAMA VIII, 498, l. 25 à Aphrodisias, colonnes d’une pièce dans le grammatophylakion au iie s. ; TAM V, 1, 693, à Iulia Gordos “les dix premières colonnes”, entre 177 et 180 ; SEG, 52, 1202 en Mysie, deux colonnes avec une voûte et un toit ; MAMA VI, 370 à Synnada deux colonnes, entre 209 et 211, avec des statues ; IK, 12-Ephesos, 462, colonnes dans le prytanée, devant une niche (θαλάμη) au Haut-Empire ; IK, 12-Ephesos, 465 dans un contexte inconnu et 528, colonnes au prytanée ; IK, 14-Ephesos, 1384, dans le sanctuaire d’Artémis, prévision de constructions lors d’une réunion du Conseil ; IK, 28.2-Iasos, 256, colonnes “jusqu’au portique de Damaiôn” ; IK, 34-Mylasa, 505, 508 et 511, inscriptions relatives à des colonnes ; IK, 36.1-Tralleis, 150, liste de donateurs de colonnes à Tralles à une date inconnue.
22Colonne (le support de l’inscription étant la colonne elle-même suffit à désigner ici l’objet dont il s’agit)
Edhem Bey 1906, 419b et Laumonier 1934, 298-299, à Alabanda, colonnes du portique dans le téménos du temple d’Apollon (début de l’époque impériale selon Rumscheid 1999, 43-44) ; MAMA VIII, 450, à Aphrodisias dans le temple d’Aphrodite, ier s. et dans le portique de Tibère, sur trois colonnes (IAph2007 4.1), au iiie s. ; Robert L. & J. 1954, 280-281 no 160 et 161, à Apollonia de la Salbakè ; IK, 28.2-Iasos, 256 ; IK, 36.1-Tralleis, 151 ; Roueché [1989] 2004, 29 et 30 à Aphrodisias, au ive s.
ὁ σφόνδυλος tambour de colonne
MAMA VIII, 498, l. 22-23, à Aphrodisias, ajout de tambours à 5 colonnes pour le portique du grammatophylakion d’Aphrodisias au iie s.
ὁ στλος colonne, poteau
IK, 12-Ephesos, 437, avec les stylobates pour le prytanée.
ἡ στύλις colonnettes
Didyma, 264, l. 9, dans une inscription fragmentaire du début du iie s., pour la construction d’une pièce ( ?) de la basilique.
τὸ ἐπιστύλιν, τὸ ἐπιστύλιον architrave, épistyle
IK, 12-Ephesos, 434, pour un Bacchéion un épistyle (date inconnue) ; MAMA VIII, 498, l. 19, à Aphrodisias, ajout de l’architrave aux colonnes du péristyle du grammatophylakion au iie s. ; MAMA VIII, 439-441, Reinach 1906, 224 no 127-128, à Aphrodisias, à chaque fois épistyle offert avec l’ornement qui va au-dessus pou un monument non identifié ; IK, 12-Ephesos, 528, au prytanée au Haut-Empire ; IK, 17.2-Ephesos, 3852 à Titeiphyta d’Hypaipa, avec deux colonnes.
ἡ κεφαλή chapiteau
IK, 17.2-Ephesos, 3851, à Titeiphyta d’Hypaipa, deux colonnes avec base et chapiteau au ier s. ( ?) ; Didyma, 264, l. 9, 22 chapiteaux ( ?) dans une inscription fragmentaire du début du iie s., pour la construction d’une pièce ( ?) de la basilique ; CIG 2782 l. 31 à Aphrodisias, colonnes avec leur chapiteau (et leur base en forme d’autel) dans l’aleiptèrion du gymnase de Diogénès (dans les années 130 ?) ; MAMA VIII, 498, l. 19, à Aphrodisias, ajout du chapiteau aux colonnes du péristyle du grammatophylakion au iie s. ; IK, 12-Ephesos, 528, au prytanée.
τὸ γεισεπίστυλον architrave et corniche ( ?)
MAMA VI, 370 à Synnada en 209-211, avec deux colonnes et des statues.
τὸ γεσος corniche (au-dessus de l’entablement, sous la couverture)
Didyma, 264, l. 10, [γ]είσεσιν γλυ[πτος], dans une inscription fragmentaire du début du iie s., pour la construction d’une pièce ( ?) de la basilique ; MAMA VIII, 498, l. 20 à Aphrodisias, ajout de corniches aux colonnes du péristyle du grammatophylakion au iie s.
ὁ θρνος “assise de couronnement” (Hellmann)
MAMA VIII, 498, l. 21-22, à Aphrodisias, pour le portique du grammatophylakion, au iie s.
ὁ εἰδοφόρος, ὁ ζωφόρος frise à relief
Didyma, 264, l. 10, mentionnée dans une inscription fragmentaire de Didymes du début du iie s., pour la construction d’une pièce ( ?) de la basilique ; MAMA VIII, 498, l. 20, à Aphrodisias, ajout de frises à relief aux colonnes du péristyle du grammatophylakion au iie s.
ἡ τρίγλυφος triglyphe seul ou frise dorique entière (Hellmann 1992, 263)
Milet, VI. 2, 907, au ier s.
τὰ ἐπιφερόμενα ensemble de ce qui se trouve sur les colonnes, l’ entablement95
IK, 21-Stratonikeia, 113, à Panamara, pour le temple d’Héra, “avec l’ensemble des éléments architecturaux (ou ornementaux ?) qui se trouvent dessus” ( ?), au ier s. ; ILabraunda, 23, τὸν ἐπιφερόμενον κατ’αὐτν λευκόλιθον [κόσμον –] avec les colonnes pour le portique de Mausole au début du iie s. ; IK, 21-Stratonikeia, 200, à Panamara, sur la rangée de colonnes du temple d’Héra “l’ensemble des éléments (architecturaux) qui se trouvent au-dessus” au iie s.
23Ces nombreuses mentions s’expliquent également par un nombre considérable de dons individuels de colonnes ou d’éléments de colonnes : ce don permettait à des personnes qui n’étaient pas forcément des notables de participer à l’“ornement de la cité”. Dans les autres cas, prévaut le souci de souligner que le travail a été achevé entièrement.
Le décor
24Le décor comporte les éléments en usage sous l’empire indiqués par L. Robert dans son étude sur la synagogue de Sardes96 : mosaïques sur le sol, placage de marbre97 sur les murs, peintures ainsi que toute la décoration, y compris sculptée (chapiteaux, frises). Nous allons suivre ces indications pour étudier les différentes composantes du décor – décoration des surfaces et sculptée en bas-relief – dans les bâtiments publics en Asie mineure occidentale, en ajoutant les quelques passages d’œuvres littéraires comportant des appréciations esthétiques de sa mise en œuvre. Le texte de Lucien, La salle, montre une grande sensibilité aux aspects de la décoration intérieure98.
25En revanche, l’ordre architectonique est à notre connaissance mentionné deux fois seulement dans une inscription à l’époque impériale : à Mylasa, une inscription dont le texte est lacunaire comporte la mention de “colonnes corinthiennes cannelées”, [– κίονας] Κορινθίους ἐξυστρωμένο[υς-] (l. 3)99. À Tralles, un péristyle dorique est peut-être mentionné dans l’inscription des agoranomes Artémidôros et Diogénès, qui offrent une promenade couverte sur l’agora, avec τὸ περίστυλον δώρ<ι>ον (l. 3-4)100. Selon M. -Chr. Hellmann, le grec ancien utilise peu ces précisions, et ce sont des termes “éminemment vitruviens”, élaborés par Vitruve à partir de traités grecs d’architecture, aujourd’hui perdus101. On trouve à Cyzique une inscription du iie-ier s. a.C.102 mentionnant un “portique Dorique”, ἡ στοὰ ἡ Δωρική. À Didymes une inscription de la même époque mentionne un “chapiteau ionique”, κεφαλὴ ἰωνική (l. 53)103. L’absence d’autres mentions épigraphiques ou de remarques à ce sujet dans les textes littéraires suggère qu’il ne s’agissait pas d’un élément déterminant dans la perception du paysage urbain et l’ordonnancement des valeurs le concernant104.
Le vocabulaire de la décoration sculptée
26Les précisions sur la décoration sculptée en bas-relief105 sont relativement peu abondantes, sauf en ce qui concerne la mention du kosmos du bâtiment.
Tableau 4. Décoration sculptée en marbre, d’après les sources épigraphiques106
ἡ γλυφ sculpture en bas-relief
CIG 2782 l. 30, arc sur des piliers, avec leur sculpture, dans l’aleiptèrion du gymnase de Diogénès à Aphrodisias, dans les années 130 ( ?).
τὰ εἴδη décoration sculptée (dont le thème n’est pas donné)
Didyma, 264, l. 13, au début du iie s., pour une pièce ( ?) de la basilique.
ὁ εἰδοφόρος, ὁ ζωφόρος frise à relief
Didyma, 264, l. 10, au début du iie s., pour une pièce ( ?) de la basilique ; MAMA VIII, 498, l. 20 à Aphrodisias, frises à relief pour les colonnes du péristyle du grammatophylakion au iie s.
τὰ ζῴδια petite décoration sculptée
IK, 12-Ephesos, 437, ζῳδίοις γ [εγραμμένοις] pour l’entrée du prytanée ; IK, 12-Ephesos, 528, pour des réparations au prytanée ; IMagnesia, 251, pour une fontaine.
ὁ κόσμος 1. ordre, frise (Hellmann 1992, 231-233)
Milet, VI.2, 907, se rapportant à un triglyphe au ier s. ; MAMA VIII, 439-441, Reinach 1906, 224 no 127-128, à Aphrodisias, décoration sculptée sur l’épistyle (ἐπ’αὐτο) ; ILabraunda, 23 pour le portique de Mausole au début du iie s. ; Boulanger 1914, 49 no 2, à Aphrodisias, don du kosmos “en marbre blanc qui va au-dessus des colonnes et des chapiteaux”, sur le portique est des bains d’Hadrien ; Reynolds 1991, 26 no 1 à Aphrodisias, kosmos “sur les colonnes” du théâtre sous Antonin le Pieux ; IMagnesia, 118 + p. 296, souscription avec dons d’“une colonne et de l’ordre” (parfois sans) ; IK, 28.2-Iasos, 256, colonnes d’un portique “avec l’ordre achevé” ; IK, 36.1-Tralleis, 147, pour les colonnes d’un portique.
2. “l’ornement (sculpté)” (Hellmann 1992, 231-233)
IK, 12-Ephesos, 463, pour des parties d’une palestre entre 41 et 54 ; IK, 35-Mylasa, 952, à Hydisos, pour un temple ( ?) ; IK, 17.1-Ephesos, 3005, entre 85 et 96, une exèdre “avec son ornement” ; Engelmann 2004, 71-72 à Éphèse, pour le propylée du stade avec des statues ; IK, 12-Ephesos, 424 et 424A, entre 102 et 114, pour des fontaines ; IK, 12-Ephesos, 429, pour le temple de la rue des bourètes ; IK, 22.1-Stratonikeia, 664, pour l’atrium du gymnase du haut ; IK, 12-Ephesos, 438 en 146-147, gymnase de Vedius construit “avec tout son ornement” ; IK, 15-Ephesos, 1491, dans la lettre d’Antonin le Pieux à Éphèse sur Vedius, aide pour “l’ornement des bâtiments” (la décoration sculptée ?) ; OGIS II, 525, à Halicarnasse au iie s. maison des douanes et “tout son ornement” ; IK, 30-Keramos, 19, au iie s., un bain “avec son ornement” ; IK, 21-Stratonikeia, 289, dans le bouleutèrion, au iie s., tout l’ornement avec les chapelles de dieux ; Yegül 1986, 170 no 3, à Sardes ornement “en marbre” de l’aleiptèrion en 211 ; Ritti 1985, 108, à Hiérapolis, “tout l’ornement” du bâtiment de scène en 206-207 ; TAM V, 1, 758, en Lydie, en 230-231, le portique d’un bain “avec tout son ornement” ; Milet, I. 7, 200, pronaos pour Sérapis “avec tout son ornement” ; IK, 12-Ephesos, 437, dans un contexte inconnu, avec d’autres éléments décoratifs ; IK, 17.2-Ephesos, 3757, à Dios Hiéron, un temple et “l’ornement à l’intérieur” ; TAM V, 2, 1352, à Magnésie du Sipyle, un temple avec tout son ornement ; Roueché [1989] 2004, 20, à Aphrodisias sous le règne de Julien, l’ornement tout autour du tétrastôon devant le théâtre, τὸν περικειμένον σύμπαντα κόσμον.
τὸ κυμάτιον, ὁ κατάγλυφος “moulure verticale à profil renflé”, décoration en relief (Hell-mann 1992, 245-246)
Blümel 2004, 3-5 no 5 (Bull. 2005, 36), à Mylasa, peut-être pour un temple de Dionysos ; Pugliese-Caratelli 1987, 151-154, à Iasos motifs sculptés sur les colonnes du portique est de l’agora en 135-136 ; IK, 36.1-Tralleis, 147, don pour le portique “des kymatia manquants” soit “les parties manquantes de la moulure” (Hellmann 1992, 245).
27Tous les donateurs d’éléments architecturaux ont participé au choix d’une décoration, d’un ordre architectonique : pourtant cette mention est rare. Les dédicaces comportent moins de précisions que les inscriptions honorifiques : comme elles se trouvaient sur le bâtiment même, les dédicants ne jugeaient pas utile de souligner par l’écriture ce qui était visible ; les inscriptions honorifiques en revanche (voir celle de M. Ulpius Carminius Claudianus à Aphrodisias, de Iasôn dans la même cité, des prêtres de Panamara, qui sont parmi les inscriptions les plus détaillées) peuvent rappeler avec davantage de détails les opérations effectuées, bien que ce ne soit pas une règle, mais plutôt une tendance. On ne constate donc pas d’hypertrophie du langage dans les inscriptions, ni de recherche délibérée d’un certain flou dans les formules employées, afin de laisser entendre davantage qu’il n’aurait effectivement été réalisé.
28Le détail technique de la décoration réalisée, lorsqu’il est mentionné, est digne de confiance. On trouve encore en Asie, en particulier à Aphrodisias, le sens traditionnel de kosmos comme “ordre” ou “frise”107. Parallèlement, l’expression “avec tout son ornement” désigne en général, désormais, l’ensemble des décorations sculptées. L. Robert avait précisé à propos de la synagogue de Sardes et de celle d’Akmonia que l’emploi du terme κόσμος concernait la décoration sculptée108, parfois de manière explicite par l’ajout d’un adjectif tel que λίθινος, “en marbre”, ou quand il est indiqué en rapport avec une colonne. Dans les autres cas, κόσμος signale seul la décoration sculptée en marbre, un rapport implicite s’établissant entre la dédicace et le monument sur lequel elle se trouvait. La dédicace du temple construit par P. Quintilius Valens Varius à Éphèse dans la rue des Courètes manie ce type d’euphémisme avec élégance et efficacité109 :
1 [Ἀρτέμιδι Ἐφεσίᾳ καὶ Αὐτοκράτορι Καίσα]ρι Τραιανι Ἁδριανι Σεβαστ [ι] καὶ τι νεωκόρωι Ἐφεσί[ων δήμ]ωι Πόπλιος Κυιντίλιος Ποπλίου υἱὸς Γαλερία
2 [Οὐάλης Οὐάριος – σὺν – τ γυναι] κὶ καὶ Οὐ[α]ρίλλῃ θυγα[τ]ρὶ τὸν ναὸν ἐκ θεμελίων σὺν παντὶ τι κόσμωι καὶ τὸ ἐν αὐτ[ ἄγαλμα ἐκ] τν ἰδίων ἀνέθηκεν, ἐπὶ ἀνθυπάτου Σερβαίου Ἰννόκεντος, γραμματεύοντος το δήμου τὸ β’
3 Ποπλίου Οὐηδίο[υ Ἀν]τωνείνου ἀσιάρχου, ὑποσχομένου δὲ ἐπὶ Τί(βερίου) Κλαυδίου Λουκκ[ειανο γραμματέω]ς το δήμου.
“À Artémis d’Éphèse, à l’empereur César Trajan Hadrien Auguste et au peuple néocore d’Éphèse, Publius Quintilius Valens Varius, fils de Publius, de la tribu Galeria, avec sa femme [-] et sa fille Varilla, a offert le temple à partir de ses fondations avec tout son ornement et la statue qui se trouve à l’intérieur, à ses frais, sous le proconsul Seruaeus Innocens, alors qu’était secrétaire du peuple pour la deuxième fois Publius Vedius Antoninus l’asiarque, la promesse ayant été faite alors qu’était secrétaire du peuple T. Claudius Lucceianus”.
29La dédicace donne les informations qui ne peuvent être déduites de l’observation du bâtiment : le nom du commanditaire, la date, les parties du temple effectivement financées. La divinité concernée n’a donc pas lieu d’être mentionnée dans la dédicace, puisque la “statue à l’intérieur” la représente, et peut-être même le buste féminin de Tychè sur l’architrave110. L’expression “avec tout son ornement”, vague pour le lecteur d’un catalogue d’inscription, est lumineuse pour le promeneur qui passe devant le temple et prend le temps de la lire : il s’agit des pilastres et des colonnes avec leur chapiteau corinthien, de l’architrave et de la frise sculptée en façade, du fronton du temple et de tous les raffinements à l’intérieur du temple, en plus de la statue de culte. Quant à l’ensemble de l’élévation, elle a évidemment été financée également par Valens Varius, comme l’indique la formule “à partir des fondations”.
30À Sardes, la cité a fait exécuter l’aleiptèrion dans les bains de la cité et l’inaugure entre février et décembre 211. La dédicace se trouvait sur l’architrave en marbre du premier étage de ce que l’on appelle aujourd’hui “la cour de marbre”, et était répartie sur deux fasces en lettres de 0,09 m sur le registre supérieur, et de 0,07 m sur le registre inférieur. Après la dédicace au datif “aux dieux de la patrie, à l’empereur César Marc Aurèle Antonin Pieux Auguste et à l’empereur César Publius Septimius Géta Auguste et à Iulia Auguste, mère des camps et mère des empereurs, à toute la maison des Augustes et au saint Sénat, au peuple romain”, vient la mention de la cité de Sardes avec l’ensemble de ses titres, puis de ce qu’elle a commandité : τὸ ἀλειπτήριον ἐκ θεμελίων σὺν παντὶ τ [λιθίνῳ κόσμῳ] κατεσκεύασεν (l. 10-11), “elle a fait construire à partir de ses fondations, avec tout l’[ornement en marbre], l’aleiptèrion”111. La restitution des termes λιθίνῳ κόσμῳ est, pour l’adjectif, probable, pour le nom, assurée. La mention d’un autre type de décoration, la dorure, à la fin de l’inscription, indique de toute façon qu’il s’agit bien dans la première partie de l’inscription de la décoration sculptée, en marbre. L’arrivée dans l’aleiptèrion indique aussitôt de quel ornement il s’agit : les colonnes et pilastres à chapiteaux ioniques et corinthiens, les fûts de colonnes à cannelures torsadées, les architraves, les frises, les corniches, le fronton à architrave arquée, aux sculptures en bas-relief, probablement les statues qui se trouvaient dans les niches et le placage de marbre sur l’appareil mixte de briques et pierres superposées qui constitue les murs de cet ensemble.
31Dans un contexte comparable en Asie, on ne trouve pas l’expression latine cum omni ornatu112. Cette formulation reste par ailleurs exceptionnelle dans les provinces occidentales en latin et dans le monde hellénophone en grec, sauf en Asie mineure occidentale. Elle a donc une valeur régionale pour indiquer l’achèvement de la décoration et l’appartenance au bâtiment des éléments en marbre ainsi désignés. Derrière l’apparente banalité des formules, la précision et la concision caractérisent donc le vocabulaire épigraphique du Haut-Empire : elles s’entendent dans un sens légal (le commanditaire ne triche pas sur ce qu’il a effectivement réalisé) et moral (le bavardage, la vantardise, l’incontinence de la parole sont mal vus).
32L’Antiquité tardive et les changements dans l’habitus épigraphique, observables à partir de 250113, se traduisirent par une renonciation à la précision technique dans l’énumération des bienfaits des grands personnages. D’une manière générale, les formules comportant l’idée d’ornement se multiplient, le κόσμος désignant dès lors à la fois l’emploi du marbre et la beauté offerte à la communauté civique. Les trois épigrammes commémorant les travaux de Festus sur la source miraculeuse de Didymes, qui a jailli pour sauver de la soif les habitants réfugiés dans l’enceinte du sanctuaire114, celles célébrant la rénovation des bains de Faustine par Makarios également dans le dernier tiers du iiie s., où il est question “d’ornement prodigieux offert par Makarios, (…) pour la gloire supérieure de la cité”115, où il est rappelé qu’il “a donné à la cité un ornement”, la commémoration de la construction par Antonius Tatianos, praeses Cariae, du tétrastyle à l’est du théâtre d’Aphrodisias en 360-364116, l’épigramme rappelant à Éphèse qu’Eutropios a “orné la patrie de rues bien pavées en marbre”117, une autre épigramme rappelant dans la même cité, entre le ive et le vie s., la rénovation d’un bain avec des “colonnes en marbre”, κείοσι λαινέοις (vers 4), par un proconsul venu d’Italie118, la rénovation de la grotte de la Sibylle à Érythrées par Eutychianos et son fils qui “ont orné l’eau brillante par des peintures ainsi que la grotte” (vers 3-4)119, attestent l’emploi de ce terme comme périphrase élégante pour une décoration en marbre ou par des mosaïques ou des fresques120, et comme rappel d’une action plus ample d’ornement de la cité. Les inscriptions sont moins informatives, non seulement pour la carrière des personnages honorés121, mais aussi pour le détail des opérations effectuées. Le terme κόσμος est ici affecté d’une polysémie recouvrant à la fois le type de matériau, l’emploi qui en est fait, et l’impression générale produite.
La décoration des surfaces
33La décoration des surfaces comporte les mosaïques sur les sols122, les pavements raffinés, les enduits sur les murs, le placage de marbre sur les parois désignées en grec par le terme σκούτλωσις, défini par L. Robert123 mais revu justement par Ph. Bruneau124, les peintures, les dorures, les stucs. Cette décoration comporte parfois des couleurs chatoyantes, qui rompent avec le ton souvent uni des marbres ou du placage de marbre125. Dans certains cas cependant, la frontière entre la décoration et l’utilitaire est ténue, car l’enduit, les stucs, ont par exemple pour premier but d’assurer l’imperméabilité des surfaces126.
Tableau 5. Décoration des surfaces.
στρσις, στρμα pavement (extérieurs ou intérieurs ; ici seulement des interventions dans un bâtiment)
IK, 12-Ephesos, 448, l. 7-8, cuisines publiques avec “le pavement du sol”, σὺν καὶ τ στρώσει το ἐδάφους ; IK, 12-Ephesos, 462, l. 2, pavement du sol pour le prytanée ; IK, 24.1-Smyrna, 697, pavement de la basilique, après 123 ; Didyma, 280, l. 7, pavement du sol du macellum au iie s. ; Robert L. & J. 1954, 317 no 168, à Sébastopolis de Carie, pavement de l’exèdre du tétrastyle du gymnase en 116-117.
τὸ σύστρωμα pavement
À l’extérieur d’un bâtiment : IK, 17.1-Ephesos, 3009, pavement devant la bibliothèque de Celsus en 230. Dans un bâtiment : Reynolds 1991, 23-24 no 2, l. 3, à Aphrodisias, dans le théâtre, à l’époque julio-claudienne.
τὸ κατάστρωμα pavement
Engelmann 2004, 71-72, à Éphèse, pavement devant le propylée du stade.
ψηφοτίθημι, ἡ ψηφοθεσία réaliser des mosaïques
IK, 21-Stratonikeia, 281, l. 19-21, à Panamara, mosaïques des sols du temple et du pronaos d’Héra ; IK, 24.1-Smyrna, 733, mosaïques du Bacchéion à l’époque des Sévères.
μουσόω réaliser des mosaïques
IK, 36.1-Tralleis, 145, l. 14, pour une exèdre au ier s.
χρίω appliquer un badigeon, un enduit ou un vernis
IK, 21-Stratonikeia, 112, l. 6, à Panamara, enduit du logement du gardien du temple au ier s. ; IK, 21-Stratonikeia, 267, l. 6, à Panamara, enduit d’un portique au ier s. ; IK, 21-Stratonikeia, 200, à Panamara, enduits dans le temple d’Héra, au iie s. ; Robert L. & J. 1954, 281 no 162, à Apollonia de la Salbakè, pour un sanctuaire, fin du iie ou début du iiie s. ; Didyma, 302-303, enduits pour la colonnade qui entoure la maison du prophète (début du iiie s.) ; Robert L. & J. 1954, 363 no 185, à Kidrama en Carie, enduit d’un monument ; IK, 28.1-Iasos, 22, l. 11.
ζωγραφέω peindre
Robert L. & J. 1954, 281 no 162, à Apollonia de la Salbakè, pour un sanctuaire, après l’exécution de l’enduit, fin du iie ou début du iiie s. ; IK, 28.1-Iasos, 22, l. 12-13.
γραφçh peinture murale
Robert L. & J. 1954, 363 no 185, l. 4, à Kidrama ; SGO I, 02/12/06, vers 5, à Hiérapolis dans le théâtre, au ive s. ; SGO I, 03/07/06, vers 4, à Érythrées dans la grotte de la Sibylle, au ive ou au ve s.
πλάζω stuquer (Robert L. & J. 1954, 364)
IK, 21-Stratonikeia, 200, l. 7, à Panamara reliefs en stuc au temple d’Héra, au iie s.
τὰ φυραματικça décoration en stuc
MAMA VIII, 498, l. 26, à Aphrodisias au iie s. dans le grammatophylakion.
λευκουργέω placage de marbre blanc
Robert L. & J. 1954, 281 no 162, à Apollonia de la Salbakè, pour un sanctuaire, fin du iie ou début du iiie s., le λευκουργός étant associé à la dédicace ; CIG 2749 et p. 1109, l. 5, pour le lieu d’exposition des statues à Aphrodisias.
η σκούτλωσις placage pariétal de marbre
IK, 36.1-Tralleis, 145, l. 14, au ier s. pour une exèdre qui comporte également des mosaïques ; IK, 17.1-Ephesos, 3065, l. 9-11, sur les murs d’un portique, ier s. ; IK, 17.1-Ephesos, 3005, pour un portique menant à l’agora commerciale entre 85-96 ; IK, 15-Ephesos, 1545, l. 12-13, pour un portique vers 100 ; IK, 12-Ephesos, 430, l. 25, pour un portique dans le gymnase du port, en 130-131 (l’inscription se trouvait sur des fragments de marbre multicolore) ; CIG 2782, l. 27, à Aphrodisias, placage dans l’embasilikon dans le gymnase de Diogénès (dans les années 130 ?) ; Didyma, 280, l. 7-8, pour le macellum, iie s. ; IK, 21-Stratonikeia, 281, l. 23-24, à Panamara au iie s. pour le portique du gymnase “Hadrianéen Antonien”, “du sol au plafond”, ἀπὸ ἐδάφους μέχρις ὀρόφου ; Reynolds 1991, 26 no 1, à Aphrodisias, “le placage du mur et du sol”, τὴν σκούτλωσιν το τοίχου καὶ το ἐδάφους, au théâtre, entre 138 et 161 ; IK, 22.1-Stratonikeia, 684, l. 9 et 685 l. 11-12, à Lagina pour les murs du portique d’un bain (le bain Hadrianéen de Stratonicée ?), “en marbre multicolore”, entre 150 et 200 ; TAM V, 2, 982, l. 18, à Thyatire vers 170 placage des parois de l’oikobasilikos de l’Hadrianeum ; Ritti 1985, 108, le premier étage de la scène du théâtre de Hiérapolis, en 206-207 ; Sardis, 63, peu après 212, placage de marbre dans l’oikobasilikos ; Reynolds 1991, 28, à Aphrodisias, “changement du placage du podium du théâtre”, τὴν μετασκούτλωσιν το πεδαλίου το θεάτρου, sous Caracalla ; Robert L. & J. 1954, 323 no 173, à Sébastopolis de Carie, placage du tétrastyle (de l’agora ?).
χρυσόω réaliser une dorure127
MAMA IV, 293, don pour la dorure du plafond à caissons, εἰς τὴν χρύσωσιν το παθνωματικο en 90 pour le sanctuaire d’Apollon Lairbénos en Phrygie ; IK, 24.1-Smyrna, 697, l. 16-17, pour le plafond de l’aleiptèrion de la gérousie après 123 ; Philostr., VS, 2.26 [613], à Smyrne, dorure pour une fontaine à huile dans le gymnase d’Asklépios ; Herrmann 1993a, l. 14-15, à Sardes, pour l’aleiptèrion en 211.
34La décoration des surfaces comme l’indique L. Robert, a connu de grands raffinements dans les édifices chrétiens, aux ve et vie s.128 ; les attestations du vocabulaire de la mosaïque paraissent plus nombreuses dans les églises, comme dans l’inscription sur l’église de Laodicée Katakékauménè, rénovée vers 340 par M. Iulius Eugénios, bouleute et évêque : il s’est notamment occupé “des peintures et des mosaïques”, ζωγραφι[ν] καì κεντέσεων (l. 16)129. Pourtant ces décors étaient peut-être plus fréquents auparavant que ne le suggèrent les attestations, en particulier dans les bains. Grégoire de Nazianze rappelle dans son discours XXXIIII le luxe de ces édifices130 : “nous ne pouvons pas nous enorgueillir d’avoir (…) des bains construits avec élégance et splendeur, des marbres précieux, des peintures et des mosaïques brillantes d’or et multiples d’aspect, imitant presque la nature”. Quelques mentions comparables existent pour le Haut-Empire : emploi de marbres rares à Tralles grâce à Chresimus, dorure de parties des bains de Sardes. Lucien dans la description de La salle parle des ors qui resplendissent, des peintures chatoyantes131. Ces décors sont ceux qui créent l’impression de πoλυτελεία, de luxe132 : cette impression est un effet de couleurs et de jeux de lumière, plutôt que le résultat du type de décoration employé. Ainsi La salle “accueille le soleil dès qu’il se montre, elle s’emplit de lumière à satiété par les baies grandes ouvertes”133, et la lumière joue sur les ors des plafonds, qui ne sont pas là pour impressionner le visiteur par la somme d’argent dépensée, mais pour servir la beauté du lieu : “l’emploi mesuré des ors donne la noblesse sans susciter l’envie en allant contre l’utilité” ; “on peut voir qu’ici ces dorures ne sont pas sans effet ni répandues avec les autres ornements pour le seul agrément : elles projettent une sorte de lumière plaisante et colorent toute la salle de leurs reflets rouges. Car lorsque la lumière tombe sur l’or, s’y applique et se fond avec lui, ils lancent ensemble une sorte d’éclair et font doublement briller la pureté de la couleur rouge”134. La lumière appartient à l’agrément de cet édifice dont les salles s’ornent de placages de marbre de Phrygie, de Laconie, de Numidie135 : “la salle intérieure est très belle, remplie d’une lumière abondante et comme colorée de pourpre”. Les peintures, les dorures, la lumière, se conjuguent pour créer un effet de beauté variée. Ce type de luxe dans la sphère privée est fustigée par les auteurs chrétiens136.
35Le décor des bâtiments, essentiellement en marbre, est donc régulièrement mentionné dans les inscriptions ; une sensibilité à ces éléments perdure encore au ive siècle. Kόσµoς désigne dans ce contexte non pas l’ensemble du paysage urbain et l’effet créé par les monuments publics, mais la décoration de marbre sur chacun d’entre eux, témoignant d’un goût de l’ornementation et du beau détail. Le décor de marbre suscite un discours technique, diffusé auprès du public, contrairement aux autres phases de la construction qui n’apparaissent pas dans les inscriptions. Cette technicité circonscrite à une seule étape de la construction dans sa diffusion publique montre les raffinements auxquels les habitants des cités se montraient le plus attentifs. De plus, la mention de ces éléments décoratifs permet de souligner l’achèvement du chantier entrepris.
Le remploi
36Le remploi a fait l’objet d’une législation visant à le limiter dans l’Antiquité tardive, avant tout en Afrique et en Italie137. Dans quelle mesure l’Asie mineure occidentale fut-elle également concernée ? Des murailles138 furent construites avec des matériaux de remploi, parfois sous l’effet d’une urgente nécessité, et les portiques de marbre sur la voie qui va d’Aizanoi au sanctuaire des Mères phrygiennes comportent des éléments d’autres bâtiments139. À Éphèse, à Sardes, plusieurs bâtiments furent restaurés grâce aux matériaux tirés de la destruction des temples “païens”140 ; par exemple à Éphèse, les colonnades sud de l’agora tétragone furent refaites à la fin de l’Antiquité avec des colonnes du temple de Domitien141 ; les panneaux de l’autel des Parthes furent réutilisés, sans ordre, probablement après la destruction du monument par un tremblement de terre dans les années 350-360, pour la fontaine monumentale créée avec la façade de la bibliothèque de Celsus142.
37Cette pratique est ancienne. M.-Chr. Hellmann indique que “la romanisation de la Grèce fut marquée par des programmes édilitaires qui ont eu amplement recours à des matériaux de récupération, retravaillés. On imagine mal, cependant, à quel point les anciens Grecs avaient eux-mêmes l’habitude de remployer des blocs façonnés pour un édifice précédent”143. Pausanias144 raconte que les habitants de Myonte, lorsqu’ils se réfugièrent à Milet à cause de l’ensablement du golfe du Latmos et de la prolifération des moustiques, emportèrent avec eux des matériaux de construction, que l’on retrouve dans le bâtiment de scène du théâtre de Milet (d’après la date d’abandon de Myonte, cette réfection du théâtre date du troisième quart du iie siècle)145. À Aphrodisias, entre l’époque flavienne et le début du iie s., la cité fit réaliser un édifice balnéaire grâce aux dons d’Attalis fille de Ménékratès “à partir des matériaux provenant des bains d’Eusébès”, ἐκ τς ὕλης το Εὐσεβιανο βαλανείου (l. 4-5)146. Ces derniers avaient probablement été détruits dans un tremblement de terre survenu en 41. La mention du remploi est rare : on la retrouve dans les rescrits de Marc Aurèle et Lucius Verus sur les statues des empereurs en 162-163 à Éphèse147 ; des matériaux précieux récupérés grâce aux ordres de Dioclétien et Maximien ont permis de faire la statue de Zeus et une autre d’Asklépios pour Athéna, à Ilion148. Une autre sorte de remploi est le déplacement de colonnes d’un bâtiment à l’autre. À Aphrodisias, pour les travaux du grammatophylakion, huit entrecolonnements, soit neuf colonnes avec leurs architraves, sont réutilisés149 : διάστυλα ὀκτὼ μετενηνοχότα150, “il a transféré huit entrecolonnements”. Ces pratiques sont rarement mentionnées dans les inscriptions ; à cet égard, Aphrodisias, avec deux attestations, témoigne d’une franchise épigraphique rare par ailleurs. Le remploi de matériaux n’est donc pas volontiers spécifié (de même d’ailleurs que l’origine des matériaux est, somme toute, rarement mentionnée)151.
Conclusion : la réserve adoptée dans le vocabulaire épigraphique
38Les raffinements décoratifs étaient appréciés par les habitants des cités d’Asie mineure occidentale (encore que les mosaïques, ou le placage de marbre polychrome, soient rarement mentionnés). Mais le vocabulaire utilisé pour les commémorer était en général simple, précis, élogieux sans excès pour le commanditaire. Des inscriptions affectant une simplicité extrême montrent l’efficacité de cette modestie. La dédicace du propylée de l’Asklépiéion de Pergame par A. Claudius Charax est ainsi formulée, sur un bouclier dans le fronton, en lettres de 7,5 centimètres152 :
Κλ.
Χάραξ
τὸ πρό-
πυλο[ν].
“Claudius Charax153 (a fait faire) le propylée”.
39Pourtant la position sociale de Charax est éminente et le bâtiment offert beau et prestigieux, en marbre blanc, se présentant comme une cour entourée sur trois côtés par une colonnade de style corinthien, tandis que le quatrième côté était occupé par le propylée proprement dit formé de quatre colonnes corinthiennes portant un fronton. Le coût estimé par P. Barresi pour les parties en marbre de ces propylées est de 33 000 deniers154. L’affichage orgueilleux de ce que l’on avait dépensé ne paraissait donc pas propre à gagner l’estime de ses concitoyens. Dans aucun éloge ou discours rentrant dans le genre de la description des cités et montrant l’importance de la parure publique (il faut donc exclure les lettres de Pline et quelques discours de Dion sur ses constructions à Pruse qui sont des lettres administratives et des discours politiques pour l’assemblée, rentrant dans un débat vif), les coûts ne sont mentionnés ; les décorations coûteuses le sont avec retenue. S’il était bien vu de faire des dépenses pour sa cité, et si les bâtiments construits paraissent montrer parfois une grande magnificence, la commémoration se qualifiait par un esprit de réserve. Seul l’empereur a offert, en une occasion, du porphyre et d’autres marbres précieux, à Smyrne : mais c’est un évergète par nature différent. L’ostentation en matière d’évergétisme immobilier avait donc des limites, du moins dans le discours : des normes culturelles et sociales encadraient la commémoration des cadeaux faits à la cité. Ce constat jette le soupçon sur l’idée d’une vie civique ayant perdu toute tenue, de foules dépolitisées et aimantées uniquement par les plaisirs offerts par les thermes, les stades, les théâtres. L’existence d’un code de communication politique entre l’évergète et ses concitoyens est attestée par cette retenue facilement observable dans les inscriptions : tout n’était pas permis pour faire effet, sinon il est difficile de comprendre pourquoi au moment de faire graver le commanditaire d’un bâtiment se serait privé de détails aussi impressionnants que le montant la dépense réalisée ou le détail des décors mis en œuvre une inscription. Finalement, la lecture des inscriptions fait connaître un vocabulaire épigraphique précis, relativement simple ; la mention de détails architecturaux paraît liée à la pratique épigraphique de quelques cités (Aphrodisias) ou à des types de sites (Didymes, Panamara, tous deux de grands sanctuaires), où l’on avait pris l’habitude d’ajouter quelques détails sur les constructions réalisées. En liaison avec la construction de monuments publics, on observe donc un ensemble de comportements de la part des notables de la cité comme de leurs concitoyens, de nature culturelle (une éthique qui conduit l’homme de bien à orner le paysage de sa cité et à le rappeler en termes choisis) et politique (le don de monuments publics débouche naturellement sur des rapports politiques au sein de la cité, entre cité et administration romaine, et avec l’empereur). Leur expression et leur but ne sont pas exactement les mêmes entre les différents bassins culturels dans l’empire.
40On peut donc observer à travers ces dédicaces155 que l’arrogance et les comportements ostentatoires, dans la commémoration de ce type d’évergétisme, ne sont pas de mise. Ce point est déterminant et on peut rapprocher le style des inscriptions des exhortations incessantes à la concorde dans les discours des sophistes. L’étude du détail des inscriptions relatives aux constructions permet d’envisager la nature des relations entre les constructeurs et la communauté civique, aucune partie n’écrasant l’autre (d’un côté par son excessive richesse, de l’autre par ses requêtes pressantes) et visant de ce fait à donner l’apparence d’une cité fonctionnant bien. La “concorde”, la “confiance mutuelle”, sont des valeurs hautement prisées dans les cités grecques d’Asie mineure occidentale. Ce sont bien des idéaux : en conséquence, les dysfonctionnements constatés ne peuvent servir de preuve que ces valeurs n’existaient pas.
L’achèvement des projets
41Les projets inachevés156, comme les inscriptions spécifiant justement qu’un bâtiment a été achevé, par l’héritier du commanditaire originel ou dans des conditions inhabituelles, sont des indices qui montrent que porter à son terme un projet architectural n’était pas toujours facile. La construction du temple de Zeus à Eurômos a été achevée, mais sa décoration n’a pas été entièrement réalisée157 : le côté ouest du bâtiment, pour lequel comme pour le côté nord, des particuliers ont financé des colonnes, n’a pas été terminé, des colonnes corinthiennes n’ont pas été cannelées à la différence de leurs voisines. Le temple de Didymes est un autre exemple célèbre de bâtiment resté inachevé158. Selon E. Pagello, la décoration des portiques nord et sud de l’agora d’Iasos n’a pas été menée à terme159. D’une manière générale, la longue durée d’un projet important impliquait la présence pendant quelques décennies, voire un siècle, dans les centres urbains, de monuments en cours de construction : selon Fr. Rumscheid, les différences stylistiques observées au temple d’Aphrodite à Aphrodisias montrent que la construction a duré de la fin de l’époque hellénistique à la fin du ier s.160 Nous n’étudions pas l’impression esthétique et ses conséquences, que créaient sur leurs usagers ces bâtiments en cours de construction ou visiblement inachevés : il importe néanmoins de souligner que de vastes édifices comme les grands bains de Sardes ou le gymnase auguste à Éphèse furent des chantiers durables, voire permanents.
42Il existe également des exemples de bâtiments commencés, puis détruits par des séismes ou d’autres accidents, et jamais restaurés ou reconstruits. Le temple pseudo-diptère découvert à Sardes, au pied de la face nord de l’Acropole, a été détruit entre 140 et 150 d’après les découvertes monétaires161, peut-être par un incendie consécutif à un tremblement de terre. Le temple ne fut pas restauré ; avant sa destruction, il n’était pas encore complètement achevé. L’abandon d’un temple (supposé du culte impérial par Chr. Ratté, Th. Howe et Cl. Foss) est surprenant : une explication serait l’obtention de la seconde néocorie et l’installation du culte d’Antonin et Faustine dans le temple d’Artémis à Sardes, où se seraient alors concentrées les interventions architecturales. Le site de Magnésie du Méandre présente un cas comparable : cette cité qui comporte par ailleurs un théâtre, construit à l’époque hellénistique et qui fit l’objet de travaux au iie s.162, entreprit dans le courant du ier s. un autre édifice de forme grossièrement théâtrale, mais qui n’était pas adapté à des représentations. Un siège de proédrie avait été prévu dans la façade entre la cauea et l’orchestra, haute de 1,77 mètres. La cauea n’était pas achevée, ni d’autres parties de l’édifice, quand un glissement de terrain le recouvrit163. En ce qui concerne les temples, M.-Chr. Hellmann avertit de ne pas analyser dans des termes nécessairement négatifs cet inachèvement chronique : “un chantier toujours en cours devait alors apparaître comme un témoignage concret de la piété des fidèles, et non comme un site plus ou moins abandonné, ainsi que nous avons tendance à l’imaginer aujourd’hui”164.
43Dans quelle mesure le vocabulaire épigraphique rend-il compte de ces difficultés d’achèvement et des éventuels compromis réalisés ? Le temple pseudo-diptère de Sardes comportait une inscription dont un fragment a été retrouvé, portant le nom de la cité d’Adramyttion, ce qui a conduit les éditeurs à supposer une implication du koinon et donc à l’hypothèse que l’on se trouve face à un temple du culte impérial. Cette inscription est malheureusement lacunaire. Elle prouve cependant que l’état d’inachèvement partiel du temple n’empêchait pas qu’il porte une dédicace, alors que les colonnes non cannelées du temple de Zeus à Eurômos sont vierges, contrairement à celles dont l’ornementation a été achevée et qui comportent une tabula ansata avec le nom du commanditaire. Un projet pouvait être interrompu par la mort du premier commanditaire ; à Laodicée du Lycos Nikostratos165 a offert le stade-amphithéâtre à ses frais, ἐκ τν ἰδίων ἀνέθηκεν ; Nikostratos son héritier et neveu “a terminé les parties inachevées du bâtiment”, τὰ προσλείψαντα το ἔργου τελειώσαντος, et la dédicace du bâtiment a été réalisée par M. Ulpius Traianus, proconsul d’Asie, en 79. Le verbe τελείω se retrouve dans plusieurs inscriptions impliquant plusieurs commanditaires successifs : reprennent-ils à leur compte un projet laissé inachevé ? Plusieurs inscriptions laissent effectivement voir un retard dans l’achèvement des projets ; son expression diffère profondément de celle découverte par Fr. Jacques sur les évergètes récalcitrants africains : l’interprétation qui en est faite ne peut donc être la même.
Tableau 6. Retard dans l’achèvement des projets.
ἀπαρτίζω
Bibliothèque de Celsus à Éphèse (IK, 17.2-Ephesos, 5101, 5102 et 5113) : indication répétée, avec des variantes mineures, selon laquelle “les héritiers d’Aquila ont achevé le bâtiment, sous la responsabilité de Ti. Claudius Aristiôn trois fois asiarque, conformément au testament”, ἀπαρτισάντων τν το Ἀκύλα κληρονόμων τὸ ἔρ [ν, ἐπιμεληθέ]ντος κατὰ διαθήκην Τιβ(ερίου) Κλαυδίου Ἀριστίωνος, τρὶς [ἀσιάρ]χου (IK, 17.2-Ephesos, 5113, l. 22-24) ; en latin, consummauerunt heredes Aquilae (IK, 17.2-Ephesos, 5103).
Velum du théâtre d’Éphèse, en 206-207 (IK, 16-Ephesos, 2040) : la cité d’Éphèse “a fait réparer le uelum du théâtre entièrement détruit, et elle l’a achevé à partir du reste des revenus et de ceux qu’a trouvés le proconsul Tineius Sacerdos, clarissime”, τὸν πέτα[σ]ον το θεάτρου διαφορηθέν[τ]α ὅλον ἐπεσκεύασεν καὶ ἀπήρτισεν ἔκ τε ἄλλων πόρων καὶ ν ε ρεν ὁ λ [αμ] πρότατος ἀνθύπατος Τινέιος Σακέρδως (l. 6-11).
προσαπαρτίζω
À Hyllarima pour le sanctuaire dédié à Zeus Hyllos et Antonin (Fabricius 1894, 918) : Ti. Claudius Héraklitos et Claudia Aristogénis ont commencé la construction, “Claudia Aristogénis l’ayant parachevée avec Claudius Aristonikos leur petit-fils”, προσαπαρτίσασα Κλαυδία Ἀριστογενὶς μετὰ Κλ(αυδίου) Ἀριστονίκου το υἱωνο αὐτν (l. 2).
τελέω
Colonne pour le sanctuaire d’Apollon à Alabanda (Edhem Bey 1906, 419b) : Ti. Claudius Napès avait entrepris de dresser une colonne du sanctuaire d’Apollon, Claudius Napès son petit-fils l’“a achevée et réinstallée”, ἐτελίωσεν καὶ ἀποκατέσστησεν (l. 13-14). Début de l’époque impériale.
Pavement de l’Embolos sous Domitien (IK, 17.1-Ephesos, 3008) : la cité d’Éphèse a fait faire à ses frais le pavement de l’Embolos ; la dédicace a été exécutée par le proconsul M. Atilius Postumus Braduas, “M. Tigellius Lupus, philokaisar, secrétaire du peuple, ayant administré et achevé”, πολειτευσαμένου καὶ τελειώσαντος Μάρκου Τιγελλίου Λούπου φιλοκαίσαρος το [γ]ραμ[ματέως το] δήμου (l. 17-22).
Théâtre d’Éphèse, par T. Flauius Montanus (IK, 16-Ephesos, 2061 et Add. p. 21-22) entre 103 et 116 : le Conseil et le peuple ont honoré T. Flauius Montanus “qui a achevé le théâtre et fait la dédicace pendant sa grande-prêtrise”, τελειώσαντα τὸ [θ]έατρον [κα]ὶ κα[θιερ]ώσαντα ἐν τ [ἀ]ρχιεροσύνῃ (l. 8-9).
Grammatophylakion d’Aphrodisias (MAMA VIII, 498), iie s. : Iasôn fils de Ménodotos “a achevé à ses frais le grammatophylakion”, τετελειωκότα [δὲ καὶ] ἐκ τν ἰδίων το γραμματοφυλακίου (l. 8-9). Également l. 27 et l. 29-30, συντε[τελει] σθαι.
συντελέω
Bains à Aphrodisias entre 69 et le début du iie s. (Reynolds 1997b) : construction par “le peuple d’Aphrodisias”, “étant commissaires à la construction de ces bains et de l’atrium T. Flauius Ménandros, fils de Zénon, de la tribu Quirina – tâche achevée à sa place par son fils Flauius Attalos – et Lysimachos fils d’Attalos fils de Pythéas, – tâche achevée à sa place par ses frères Attalos et Pythéas, fils d’Attalos fils de Pythéas…”, ἐργεπιστατησάντων το βαλανείου καὶ το ἀτρείου Τίτου Φλαβίου, Ζήνωνος υἱο, Κυρείνα Μενάνδρου ὑπὲρ ο Φλάβιος Ἄτταλος, ὁ υἱὸς αὐτο, συνετέλεσεν καὶ Λυσιμάχου το Ἀττάλου το Πυθέου οἱ ἀδελφοὶ αὐτο συνετέλεσαν (l. 6-11).
Aqueduc d’Aizanoi (MAMA IX, 10), entre 138 et 161 : “la cité d’Aizanoi a fait construire l’aqueduc” (l. 3), “l’adduction d’eau ayant été achevée [-] par L. Claudius Seuerinus, archinéocore”, συντελεσθείσης τς το ὕδατος εἰσαγωγ[ς - c. 21 - Λου]κίου Κλαυδίου Σεβηρίνου το ἀρχινεωκόρο[υ uac. ?] (l. 5-6).
Port d’Éphèse par M. Aurelius [-], sous Sévère Alexandre (IK, 17.1-Ephesos, 3071) : il a “donné à l’occasion de sa grande-prêtrise pour le dragage du port vingt mille deniers, a été responsable pour les travaux les plus importants de sa patrie, les a achevés et livrés”, δόντα καὶ ἐν τ καιρ τς ἀρχιερωσύνης εἰς τὴν ἀνακάθαρσιν το λιμένος δηναρίων μυριάδας δύο, καὶ ἐπιστάντα ἔργοις τς πατρίδος τος πρωτεύουσιν καὶ συντελέσαντα καὶ παραδόντα (l. 10-15).
Achèvement du portique autour de bains en Lydie, dans la katoikia des Hyssènoi, par Aurelia Aelia Phoebè en 230-231 (TAM V, 1, 758), avec ses enfants et des membres de sa famille. A. A. P. a “fait construire” le bain, κατεσκεύασεν (l. 6-7) ; la mention “le bain ayant été achevé sous le proconsul Amicus”, συντελεσθέντος το ἔργου ἐπὶ ἀνθυπάτου Αμείκου (l. 12-13) indique sans doute un délai dans l’achèvement final.
44Quoique le cas d’Aurelia Aelia Phoebè ne soit pas absolument clair, συντελέω marque l’achèvement d’une tâche entreprise par d’autres personnes ou une autre entité, comme pour l’aqueduc d’Aizanoi, commencé sur fonds civiques, achevé sur fonds privés. Τελείω paraît avoir le même sens : aussi l’inscription de Iasôn fils de Ménodotos à Aphrodisias, curieuse à bien des égards, s’éclaire-t-elle peut-être dans l’hypothèse qu’Iasôn a achevé les travaux d’un bureau de magistrats, le grammatophylakion, après qu’ils furent entrepris par d’autres que lui (sur fonds publics ?), incapables de mener l’opération à son terme, ou qu’il a achevé ce bâtiment en utilisant à la fois des fonds publics et des fonds privés. Cela pourrait expliquer les détails donnés sur l’ensemble de la procédure de construction dans l’inscription honorifique due au Conseil et au peuple de la cité. La formulation même de l’inscription intrigue, dans la mesure où τελείω est suivi d’un génitif, ce qui n’est pas normal : il est possible qu’Iasôn ait achevé une partie seulement du grammatophylakion. La formule τετελειωκότα [δὲ καὶ] ἐκ τν ἰδίων το γραμματοφυλακίου n’est en tout cas pas adéquate pour indiquer qu’Iasôn a construit à ses frais tout le bâtiment. Elle désigne une autre procédure : probablement l’intervention à un moment ou l’autre d’autres commanditaires. Ἀπαρτίζω et προσαπαρτίζω indiquent également l’intervention d’un commanditaire n’ayant pas participé au début des travaux : la bibliothèque de Celsus en est un exemple, avec l’intervention des héritiers d’Aquila, à cause du décès du fils de Celsus ; de même pour le théâtre où la cité a achevé des travaux avec d’autres fonds que ceux prévus à l’origine pour la réparation du uelum du théâtre (argent par legs testamentaire et dont la source est trouvée par le proconsul). À Hyllarima, comme pour la bibliothèque de Celsus, le décès du premier commanditaire a conduit à l’achèvement des travaux par d’autres personnes, les héritiers se trouvant ici dans la famille.
45Ces cas montrent que l’emploi des verbes τελεν, συντελεν, ἀπαρτίζειν et προσαπαρτίζειν n’est pas inutilement redondant avec “construire”, κατασκευάζειν. Une complication imprévue dans la procédure de la construction est survenue, décès du premier commanditaire, manque de fonds de celui-ci, provoquant l’intervention de personnes qui n’avaient pas prévu de le faire dans le projet initial. Les constructions prévues par le testament de la personne décédée correspondent donc à un autre cas de figure, également mentionné dans les inscriptions (Aristoklès Molossos au théâtre d’Aphrodisias effectuant les constructions promises par le testament de son père Molossos166 ; Ti. Iulius Aquila exécutant les volontés de son père Celsus pour faire construire une bibliothèque, lui-même ensuite décédé avant l’achèvement du projet167). Comme pour le vocabulaire de la décoration, le vocabulaire épigraphique sur les conditions de l’achèvement des projets est précis et sans détours, et possède une dimension légale. Les rebondissements inattendus dans le projet initial, qui ont trouvé solution, sont mentionnés ; a contrario, l’achèvement d’un projet par le même commanditaire que celui qui avait initialement lancé le chantier est spécifié par l’expression apparemment anodine ἐκ θεμελίων, “à partir des fondations”. Les exemples sont nombreux et il est inutile de les mentionner tous ; des étrangetés apparentes peuvent néanmoins de la sorte trouver un sens précis. L’inscription d’Iasôn fils de Ménodotos à Aphrodisias livre une nuance intéressante : alors qu’il “a achevé (une partie du) grammatophylakion”, lui-même et sa femme Iulia Paula ont fait faire “toute la partie en marbre du péristyle du portique orienté au sud, à partir des fondations, et la pièce qui se trouve dans ce portique”, το περ[ιστώ]ου στος μεσημβρινς ἀπὸ θεμελίων τὸ [λιθι]κὸν πν καὶ τὸν ἐν αὐτ οκον (l. 10-12)168 ; la différence est clairement établie entre ce que Iasôn a continué de faire construire et ce qu’il a financé depuis le début. À Hiérapolis en 206-207 alors que Q. Tineius Sacerdos était proconsul, la cité a financé “depuis les fondations” le premier étage de la scène du théâtre, “avec tout l’ornement”169. Cette mention ne sert donc pas seulement à indiquer l’ampleur des travaux accomplis (à Hiérapolis, on comprend ainsi que le précédent bâtiment de scène qui existait au moins depuis Hadrien a été détruit), elle indique également que le premier commanditaire a financé intégralement les travaux. Comme pour les décors, le vocabulaire épigraphique concernant les conditions de l’achèvement des bâtiments est précis et honnête. Les mérites et les retards de chacun sont clairement définis.
46On trouve encore ces précisions dans des inscriptions tardives d’Aphrodisias : entre 355 et 360 Eros Monaxios, praeses Cariae, fit faire “à partir des fondations” la porte ouest de la ville. Sous le règne de Julien, Antonius Tatianos, également praeses Cariae, entreprit le tétrastyle “depuis les fondations”. Ces deux inscriptions170 se distinguent par le fait qu’elles ont un formulaire conforme à celui du Haut-Empire, ce qui n’est pas le cas des épigrammes. On ne trouve pas dans les formes en vers les mentions légales que l’on peut trouver aussi bien dans des inscriptions honorifiques (comme celle d’Iasôn à Aphrodisias), que sur des dédicaces de monuments.
47Outre les précisions sur les personnes ayant achevé un bâtiment après des péripéties, un certain nombre d’inscriptions donne des indications sur les coûts des édifices. Les conditions légales dans lesquelles le coût précis est indiqué peuvent ainsi être examinées.
48Ce tableau montre que peu de sommes sont mentionnées en dehors d’un contexte contractuel ou légal précis. Trois inscriptions conservent le montant de fondations élevées (il ne faut pas se laisser abuser par les chiffres : la fondation de la bibliothèque de Celsus ne prend pas en compte le coût de la construction de l’édifice, elle doit servir à la finition et l’entretien de ce dernier, qui a donc coûté beaucoup plus). Des sommes, extrêmement diverses, peuvent être versées en vue de l’obtention d’une magistrature ou d’une prêtrise174 ou en cours de magistrature175. Le cas d’Héraclée de la Salbakè est peu clair selon J. et L. Robert176 : “Sans en être assurés, nous suggèrerions volontiers qu’il y a un de ces virements que l’on constate à l’occasion dans les affaires compliquées de la summa honoraria : la somme due pour telle besoin est affectée à tel autre usage”. Parmi les cas incertains, l’inscription de Philadelphie de Lydie énumère un ensemble de dons faits par le même évergète, Aurelius Hermippos. Le don n’a pas été fait explicitement ob honorem, encore qu’avant la liste de ses dons d’argent, soit spécifié “qu’il a accompli toutes les magistratures et toutes les liturgies en son nom et au nom de ses enfants”177 : cela suggère qu’il a exécuté cette dépense au cours de l’une de ses magistratures. Les cas de T. Flauius Montanus et surtout de Caius Octauius à Blaundos font penser à des évergésies libres, en dehors de toute fonction publique. Le cas de Dokimos se situe à une autre échelle : probablement y a-t-il eu une souscription de plusieurs personnes pour la dorure du plafond à caissons du sanctuaire. Les deux souscriptions dont nous avons conservé la liste sont toutes deux classées par ordre décroissant des sommes données178 (à la fin de celle de Smyrne, on trouve la mention des dons de l’empereur, qui ne rentrent pas dans la catégorie des dons précédemment cités), compte tenu du coût des dons faits aussi non directement en argent, mais par le financement d’une partie d’un monument (colonne, blocs). La souscription de Smyrne rassemble les personnages les plus importants de la cité, celle d’Éphèse des membres de couches sociales différentes, y compris des personnes modestes.
49La mention des sommes données pour la construction de monuments faite presque uniquement (sauf deux cas) dans un cadre légal qui explique cette mention, et presque jamais dans le cas d’évergésies libres, contribue à démontrer le caractère légal du vocabulaire des dédicaces et des inscriptions honorifiques. On constate d’ailleurs que rien n’obligeait à spécifier le montant de la somme donnée même dans le cadre de l’obtention d’une magistrature : le nombre d’attestations reste faible. Comme pour les péripéties dans l’achèvement des projets, la lecture attentive des inscriptions et la mise en série des cas prouvent le caractère précis et crédible du vocabulaire épigraphique.
La dédicace
50Après la conception du bâtiment, les décors et les conditions de l’achèvement du monument, un autre élément du processus de construction apparaissant dans les inscriptions correspond à la réception des travaux par la communauté. Ce moment est particulièrement marquant pour les bâtiments construits par un particulier, éventuellement sur un terrain privé : ils passent alors de la sphère privée à la sphère publique. La commémoration de la dédicace dans les inscriptions honorifiques passe le plus souvent sous silence les réjouissances auxquelles elle a pu donner lieu dans la cité179.
La réalisation de travaux courants sans dédicace
51La rareté de la mention de certains types de travaux amène à s’interroger sur les conditions de leur commémoration. Les travaux d’entretien, de consolidation, de restauration partielle, qui étaient sans doute financés sur fonds publics faute de trouver des financements privés pour le faire, faisaient sans doute l’objet de procédures et d’appels d’offres conservés dans les archives publiques, mais pour lesquels personne ne voyait l’utilité de dépenser ensuite de l’argent pour les commémorer dans l’espace public. Dans les inscriptions, la difficulté à assurer la solidité et la pérennité des monuments publics est révélée par quelques rares attestations de travaux de consolidation, grâce à des murs de soutènement : un παρατείχισμα ὑδραγωγίου, un “mur de soutènement de la conduite d’eau” a été construit par Marcus fils de Ménandros à Thyatire180. Un mur soutient deux rangées de sièges ajoutées au stade à Éphèse par Stertinius Orpex, σὺν τ κατακερκίζοντι τοί[χῳ]181. Au théâtre de Nysa quatre astynomes ont été honorés pour avoir fait faire un mur de terrassement pour contenir les écoulements de la pente dans la cauea, ὁ σπίλος182. Au théâtre d’Éphèse au ive s. la voûte nord forme un “appui solide pour le théâtre”, τὴν βριαρὴν ἀψδα, τὸ καρτερὸν ἕρμα θεάτρου (vers 1)183 après l’intervention du proconsul d’Asie Messalinus. Enfin des inquiétudes sur la solidité des constructions entreprises peuvent expliquer en partie les protestations des ouvriers du théâtre de Milet en 120 : le décès de l’ἐργεπιστάτης induisant un changement de responsable et donc une rupture dans le suivi des travaux, ils ont été soucieux d’obtenir la certitude que les difficiles travaux techniques entrepris devaient être menés à terme, “jeter et lancer les arcs et les voûtes pyramidales au-dessus des colonnes”, τὰ εἰλήμα[τα κ]αὶ τὰ τετ[ρ]άετα κατὰ τν κειόνων περιειλσιν, καὶ ἐνεγκούσ[ιν] (vers 5-7)184. Ces travaux sont donc attestés pour des monuments se caractérisant par une forte élévation grâce au système de voûtes en opus caementicium importé par les Romains en Asie mineure185, et pour lesquels Pline avait remarqué des défauts de construction pendant sa légation en Bithynie : des théâtres (et un stade, qui exigeait des techniques comparables), un aqueduc. Ces interventions de consolidation étaient sans doute courantes, mais elles sont rarement commémorées – ou de manière très allusive – et probablement furent souvent financées par la collectivité. La gravure d’une inscription publique n’aurait alors profité à personne et même la communauté civique ne pouvait vraiment s’enorgueillir de les avoir accomplis.
Le vocabulaire des dédicaces
52Quand une dédicace existe, l’emploi de deux verbes doit être éclairci, si possible : ἀνατίθημι et καθιερόω. P. Barresi a proposé des hypothèses intéressantes186, bien qu’il ait, à notre sens, cherché trop systématiquement les équivalents latins des deux termes, proposant ainsi pour ἀνατίθημι faciendum curare et pour καθιερόω dedicare, essentiellement à partir de l’inscription bilingue de Didymes selon laquelle Trajan a fait faire la voie sacrée187 et de l’inscription d’Éphèse portant la dédicace bilingue de l’aqueduc par C. Sextilius Pollio, à l’époque augustéenne188. Pour le premier des deux verbes, la traduction semble peu adéquate, car elle fait insuffisamment penser au don fait à la communauté par un financement personnel. En ce sens “offrir” conviendrait mieux : plusieurs inscriptions portant la dédicace de groupes de statues dans le gymnase du port d’Éphèse proposent comme équivalent pour ἀνέθηκεν dedit dedicauit189, ce qui indique un sens alliant une idée de don, d’offrande, et un transfert de propriété vers la sphère publique. Il apparaît en tout cas que la recherche de la solution en partant du présupposé de l’existence d’un équivalent en latin est vouée à l’échec, puisqu’au même mot correspondent non pas un, mais plusieurs termes : le monde de la dédicace latine n’a pas d’équivalent strict en grec et on ne peut se fonder sur ce qui existe en Occident pour comprendre la terminologie grecque. Pline le Jeune l’écrit à Trajan, à propos du temple de Cybèle à Nicomédie, et Trajan prend acte du fait que sur le sol d’une cité étrangère, il n’y a pas d’acte de consécration comme en droit romain190. Il faut donc mener notre enquête à partir d’inscriptions dissociant les deux termes en grec plutôt que de chercher les équivalents en latin, et voir à quelle action correspond chaque terme employé, pour essayer ensuite d’examiner de quel acte il s’agit dans les inscriptions où le terme se rencontre seul.
53Dans le cas du stade-amphithéâtre de Laodicée du Lycos, en 79, Nikostratos a offert le bâtiment, ἀνέθηκεν, qui a été achevé par son héritier. Le proconsul a effectué la dédicace, καθιερώσαντος Μρκου Οὐλπίου Τραιανο το ἀνθυπάτου191. Dans la même cité, on retrouve un partage identique entre le commanditaire qui offre le bâtiment et un proconsul qui procède à la dédicace : Ti. Claudius Tryphôn, affranchi impérial, “a offert les tours et le tripylon”, et Sex. Iulius Frontinus a fait la dédicace, καθιέ[ρ]ω[σεν]192. De même le fait de faire construire, κατασκευάζω, n’est pas exactement la même chose qu’offrir à la communauté : à Aphrodisias, Ti. Claudius Zélos “a fait construire à ses frais et a offert les colonnes et l’ornement qui s’y rapporte, ainsi que le placage sur le mur et sur le sol”193, τοὺς κείονας καὶ τὸν κατ’αὐτν κόσμον καὶ τὴν σκούτλωσιν το τοίχου καὶ το ἐδάφους ἐκ τν ἰδίων κατεσκεύασεν ἀνέθηκεν. Ti. Claudius Aristiôn qui fait construire un aqueduc à Éphèse mentionne dans la dédicace plusieurs étapes : il a fait réaliser l’adduction d’eau et 210 stades de la conduite, et “l’a offert à ses frais, avec tout l’ornement”, ὕδωρ [εἰσ]αγαγὼν δι’ο κ[ατεσκεύασεν ὀχ]ετο διακοσίων καὶ δέκα σταδίων καὶ τὸ ὑδρεκδοχον σὺν παντὶ τ κόσμ ἀνέθηκεν ἐκ τν ἰδί[ων]194. P. Vedius Antoninus “ayant fait construire le gymnase depuis les fondations à ses frais avec tout l’ornement, l’a offert”, d’après la dédicace du gymnase datant de 146-147195. À Panamara, T. Flauius Ainéas et sa femme énumèrent les constructions qu’ils ont accomplies au temple d’Héra (le crépis, les reliefs en stuc, la rangée de colonnes en façade), avant de préciser qu’ils ont “offert” cela “à Zeus Carien et à Héra”, ἀνέθηκαν Διῒ Καρίῳ καὶ Ἥρᾳ196. On constate la même décomposition des opérations pour les statues : à Thyatire, la descendante de Ti. Claudius Amphimachos, Seuerina Stratonikéia, “construit” la base de la statue renversée par un tremblement de terre et “restaure la statue”, avant de préciser qu’elle a offert cela à ses frais, ἐκ τν ἰδίων ἀνέθηκεν (l. 16-17)197. À Aphrodisias, après avoir accompli divers travaux d’adduction d’eau et fait restaurer et construire des bâtiments, Adrastos fils d’Apollônios “les a offerts aux dieux sus-dit, et au peuple, à ses frais”, ἀνέθηκε τος προγεγρ[αμμένοις θεος καὶ τι] δήμωι ἐκ τν ἰδίων (l. 8)198. Dans ces cas, ἀνέθηκεν est le verbe principal dont dépendent les participes décrivant les autres actions199.
54Ainsi ἀνατίθημι a-t-il un emploi relativement souple, facultatif, mais dont le sujet est nécessairement le commanditaire du monument, qui a financé une construction puis transféré ce bien à la communauté civique. Il est donc logique que soit désigné de la sorte un particulier, et jamais la cité. Ce verbe ne se rattache pas à un type précis de construction (il s’est éloigné du vocabulaire de l’offrande religieuse). À Assos en Troade, le prêtre d’Auguste Quintus Lollius Philétaïros a “offert un portique au dieu César Auguste et au peuple [-]” et sa femme, Lollia Antiochis, un bain “à Aphrodite Iulia et au peuple”200. On retrouve cette expression pour la construction par Pollis fils de Hiéroklès d’une série de colonnes pour le temple de Zeus Osogo à Mylasa, au début de l’époque augustéenne201 ; pour la construction de trois socles de murs avec des marches pour un portique, par Nikomédès à Smyrne, au ier-iie s.202 ; à Tralles, les agoranomes Artémidôros et Diogénès ont offert “le cryptoportique de l’agora, l’agoranomion et le péristyle dôrion (…) et les ateliers-boutiques” (l. 2-5)203 ; dans la même cité, M. Aurelius Andreas et sa femme “ont offert à leurs frais 18 Éros et 2 Victoires avec leur base”204. À Aphrodisias, la décoration d’un portique des “bains d’Hadrien” est offerte par la déesse Aphrodite (c’est-à-dire sur les revenus du temple)205. Dernier cas possible, après des bâtiments religieux ou à caractère civil206, des statues207, des décorations208 ou des objets : M. Ulpius Carminius Claudianus “a offert (à Aphrodite) des sommes d’argent pour la construction de cadeaux éternels (…) et il a offert à la cité 105 000 deniers pour la construction de bâtiments éternels”, ἀνέθηκεν χρήματα εἰς αἰ[ων]ίων ἀναθημάτων κατασκευάς, (…) καὶ τ πόλει δὲ μυριάδας δέκα <ἥ>μισυ ἀναθέντα εἰς αἰωνίων ἔργων κατασκευάς (l. 16-19)209 : ce terme désigne ici une fondation.
55Καθιερόω renvoie à un contexte plus officiel : dans deux exemples précédents, le proconsul procède à l’inauguration sans avoir été pour rien dans le projet initial. De plus, à Éphèse, le proconsul M. Atilius Postumus Braduas a fait la dédicace du pavement de l’Embolos financé par la cité210, [κα]θι[ερώσα]ντος Μάρ[κου Ἀτ]ειλ[ίου Πο]στο[ύμου] Βραδο[ύα] ἀνθυπάτου (l. 13-16) ; en 92-93, le proconsul Caluisius Ruso a procédé à la dédicace de l’aqueduc de Domitien construit par la cité211 ; T. Flauius Montanus “a achevé le théâtre et a fait la dédicace alors qu’il était grand-prêtre”212. Entre 337 et 350 le proconsul Caelius Montius à Éphèse a fait restaurer une partie du nymphée puis en a fait la dédicace, καθιέρωσεν213 (c’est également lui qui a dirigé les travaux, à la différence des proconsuls qui sont intervenus à Laodicée du Lycos). Καθιερόω indique donc un acte officiel, mais n’a normalement rien à voir avec l’origine du financement. Ce verbe apparaît cependant dans la dédicace à Hadrien de la décoration du portique oriental de l’agora d’Iasos : [τοὺς στύλους σὺν τος στυλ]οβάταις καὶ σπείραις καὶ τος ἐπι[φ]ερομένοις λευκολίθοις καταγλύφοις ἐκ τν ἰδίων [κα]θιέρωσεν ἐπὶ Πομπωνίου Μαρκέλλου ἀνθυπάτου214. Le sujet de [κα]θιέρωσεν est bien ici celui qui a payé le décor, Dionysios fils de Théophilos, dont aucune qualité (magistrat, prêtre…) n’est signalée ni n’est rattachable à l’acte même de la dédicace. L’inscription au centre du portique, portant dédicace du portique lui-même par Hiéroklès, est construite sur le même principe, avec à la seconde ligne la mention du proconsul L. Venuleius Montanus Apronianus215. Dans cette inscription, le mot [κα]θιέρωσεν est difficile à expliquer : y a-t-il un lien avec la mention du proconsul, doit-on comprendre qu’il serait intervenu d’une quelconque manière dans la dédicace ? On trouve καθιερόω dans un contexte religieux avec la dédicace d’un temple par Apollônios Skytalas à Magnésie du Sipyle, pour une déesse216. Cet acte est mentionné dans une inscription honorifique en son honneur, par le Conseil et le peuple. Dans la dédicace d’un petit édicule à fronton, à Panamara, Ti. Flauius Iasôn Ainéas et sa femme “ont consacré (les statues de) Sérapis et Isis, leur temple et l’autel”, τὸν Σάραπιν καὶ [τὴ]ν Εσιν καὶ τὸν νεὼν αὐτν καὶ τὸν βωμὸν καθιέρωσα[ν]217. Cet emploi n’a rien de systématique : de nombreuses constructions de temples sont désignées par d’autres termes, κατασκευάζω, ἀνατίθημι notamment218.
56La consécration de sommes d’argent à un but précis est également signifiée par ce terme : à Éphèse sous Antonin le Pieux C. Iulius Pontianus a fait construire les statues des dieux et l’autel, il a orné le Mouséion219 “et il a fait la dédicace pour le Conseil”, τ βουλ καθιέρωσεν (l. 20-21), “de sorte que chaque année au cours du neuvième mois, celui de Maimaktèr, le sacrifice aux dieux ayant été accompli, 124 bouleutes et prêtres reçoivent chacun un denier, et il a consacré d’avance à ses frais la dépense pour le sacrifice public” (l. 21-28) : ὥστε κατ’ ἐνιαυτὸν τ θ’ἱστ(άμενου) μηνὸς Μαιμακτρος τς θυσίας τος θεος ἐπιτελουμένης ρκδ’220βουλευτὰς καὶ ἱερες λαμβάνειν ἀνὰ (δηνάριον) α’, καὶ τὸ εἰς τὴν δημοσίαν δὲ θυσίαν ἀνάλωμα ἐκ τν ἰδίων προσκαθιέρωσεν. Cette inscription honorifique sert donc également à l’enregistrement des bienfaits dus à C. Iulius Pontianus. À Éphèse, C. Stertinius Orpex et sa famille ont également “consacré au Conseil des Éphésiens et aux prêtres 5 000 deniers (…)”, καθιέρωσαν δὲ καὶ τ Ἐφεσίων βουλ καὶ ἱερεσιν πεντακισχείλια (l. 9-10)221. On trouve le même cas à Tralles : les revenus des ateliers-boutiques construits par Artémidôros et Diogénès sont consacrés “aux Augustes et au peuple pour une chorégie continuelle des deux portiques couverts et pour les dispositions qui ont été prises”, καθιέρωσαν τος Σεβαστος καὶ τι δήμωι εἰς τὸ διηνεκὲς χορήγιον τν δύο κρυπτν περιπάτων καὶ εἰς τὰ διατεταγμένα (l. 6-8)222. Enfin, alors que les particuliers “offrent” un bâtiment à la communauté civique, la communauté civique ou ses institutions, lorsqu’elles font construire un bâtiment, en réalisent plutôt la dédicace : la katoikia des Sélindènoi “a fait la dédicace du monument avec tout l’ornement qui s’y rapporte”, ἡ Σελινδηνν [κατ]οικία τὸ ἔργον σὺν [τ] περὶ αὐτ κόσμῳ καθιέρωσεν (l. 5-8)223.
57Pour καθιερόω, le nombre d’attestations d’époque flavienne de dédicace par des gouverneurs, comparativement aux autres époques, attire l’attention et incite à la prudence avant toute conclusion sur le rôle des gouverneurs. Ce dossier a été étudié par B. Rémy : selon lui la disparition de leur nom en tant que dédicant, dans les inscriptions, après cette époque, aurait un rapport avec l’interdiction formulée dans les textes juridiques de mentionner les gouverneurs dans les dédicaces de monuments224. Les textes législatifs invoqués ne sont cependant pas aussi catégoriques : dans la deuxième moitié du iiie s. Modestin recommande sans autre précision de ne pas ajouter le nom du gouverneur225. On n’avait pas le droit de dédier le monument à un autre que l’empereur226. Le gouverneur est donc mentionné quand il exécute la dédicace (et jamais en tant que destinataire de la dédicace, ni en tant que commanditaire). De là, plusieurs conséquences : d’abord, le gouverneur exécute rarement la dédicace malgré les tournées qu’il fait dans sa province, sinon cela serait mentionné plus fréquemment dans les inscriptions car c’est réellement un grand honneur fait à l’évergète et la cité – en cela, la lecture des inscriptions africaines semble indiquer une pratique différente ; ensuite, la dédicace est généralement effectuée par un magistrat que l’on ne prend pas la peine de mentionner, un magistrat ou un prêtre de la cité probablement (comme c’est le cas de T. Flauius Montanus à Éphèse : il a contribué à achever les constructions au théâtre, et en tant que grand-prêtre, il a exécuté la dédicace) ; enfin, en grec, seul καθιερόω traduit l’opération légale de la dédicace. Ἀνατίθημι ne renvoie pas à un acte légal lors de l’inauguration. Ce mot décrit simplement l’action de l’évergète qui a offert un bien à la cité, et ajoute à son ornement et à sa renommée.
58Le choix d’un terme plutôt que d’un autre peut être toutefois difficile à comprendre. La dédicace des portiques d’Iasos, l’emploi à Tralles de καθιερόω dans une inscription ne rentrent pas en série avec les autres attestations. Chresimus dans cette dernière cité “a fait la dédicace, après l’avoir ornée, de la salle chaude du gymnase des Tralliens en l’ornant de marbre”, καθιέρωσ[εν] étant employé alors que l’on aurait attendu ἀνατίθημι227 (puisque Chresimus, bien que procurateur des carrières, agit à titre privé, qu’il ne s’agit pas d’une consécration religieuse, et qu’il semble bien qu’il a lui-même financé l’ornement). Mais dans l’ensemble, ἀνατίθημι et καθιερόω, plus rare, sont employés dans des circonstances précises. Les autres verbes indiquant la construction ou la restauration, ἀνίστημι228 (élever, dresser, construire), κατασκευάζω, et les verbes indiquant une action concrète sur le bâtiment (le restaurer, le crépir, l’orner…) sont de compréhension aisée et n’appellent pas de remarque particulière. Ils sont très largement employés, notamment dans les inscriptions sur le monument même mentionnant la dédicace par la communauté229. Une autre solution assez largement adoptée, par les particuliers comme par la communauté civique lorsqu’elle a fait construire un monument230, est d’inscrire la dédicace sur le bâtiment sans employer de verbe. Cette souplesse n’empêche pas la précision : chaque verbe renvoie à une action précise, d’un particulier, d’un magistrat ou de la communauté. Mais l’emploi du verbe ἀνατίθημι par exemple n’a rien d’obligatoire : il souligne l’offrande faite par un particulier à la communauté ou à une divinité, mais on peut très bien s’en passer, et même une construction accomplie dans un contexte religieux, pour un sanctuaire ou un temple, peut être commémorée simplement par la description des actions concrètes réalisées (construire, orner, restaurer…). Καθιερόω en revanche a des emplois plus spécifiques : c’est uniquement lui qui marque, rarement, l’opération de dédicace par un magistrat.
59L’intervention d’un magistrat est normalement désignée sous ce terme en grec lors de la dédicace du monument, comme le montre le récit par Plutarque de la dédicace d’un temple par Scipion Émilien en tant que consul à Rome231. Dans la plupart des autres cas, l’inscription n’en garde pas le souvenir. Encore une fois, la figure du commanditaire donateur est centrale : elle l’est dans l’inscription, elle l’est au moment de l’inauguration du monument. Les sources épigraphiques apprennent qu’elle fut très rarement éclipsée par la présence de sommités de l’administration romaine lors de ces fêtes qui demeuraient un grand moment de réjouissance civique.
La postérité des inscriptions
Lisibilité et disposition des inscriptions de dédicace
60Plusieurs événements ont lieu après la cérémonie d’inauguration : l’inscription dédicatoire est apposée sur le monument, si elle ne l’était pas encore ; dans le cas des inscriptions honorifiques, le souvenir des bienfaits apportés à la cité se conserve pendant plusieurs années, voire dizaine d’années. Dans l’immédiat, la foule va passer et repasser devant le bâtiment, sans s’y attarder, ou y rentrer selon la fonction de l’édifice construit. Regarde-t-on alors les inscriptions, les lit-on ? Il faut d’abord garder à l’esprit que le contexte des inscriptions est essentiel pour les comprendre : W. Eck rappelait qu’une inscription honorifique232 n’est pas compréhensible si l’on oublie la statue qui l’accompagne, l’inscription dédicatoire sans le bâtiment sur lequel elle est apposée233. Les reliefs à sujet romain du Sébastéion d’Aphrodisias, c’est-à-dire les scènes impériales et les représentations de peuples soumis à Rome, étaient accompagnés d’inscriptions pour en faciliter la compréhension234 : le commanditaire s’attendait à ce que quelques curieux au moins regardent les statues et les apprécient. Ce souci de lisibilité apparaît dans la disposition des inscriptions, en particulier quand l’architecture à édicules crée des renfoncements et des pans de mur non visibles de face. Les séquences de l’inscription font alors face au lecteur potentiel (on peut penser également que l’inscription n’est pas sans attrait ornemental et qu’on cherche donc à la rendre visible), comme à Éphèse, à la bibliothèque de Celsus ou à Sardes dans l’aleiptèrion. Dans certains cas, des lettres de bronze étaient employées, comme pour la basilique d’Éphèse construite entre 11 et 14 par C. Sextilius Pollio et sa famille235 ; dans la même cité, la dédicace de la porte de Mazaios et Mithridatès était composée en lettres de bronze, retenues par un tenon central ; elles avaient une hauteur de 12 à 14 centimètres236. À Pergame, l’inscription sur l’architrave de la façade du temple ionique de la terrasse du théâtre fut composée en lettres de bronze, à l’époque de Caracalla237. Les lettres pouvaient également être peintes en rouge, comme ce fut le cas de l’inscription sur la base de la statue de “la sagesse de Philippe” au ive s. sur la façade de la bibliothèque de Celsus à Éphèse238.
61La disposition des inscriptions sur une surface plane (architrave d’un temple, d’un portique), classique, permet également de mettre en valeur des aspects du texte. L’inscription de C. Iulius Zôilos sur le proskènion du théâtre d’Aphrodisias239 comporte un premier groupe proclamant le nom de l’évergète, un deuxième rappellant ses mérites, puis un troisième l’objet des munificences, et un quatrième l’identité des destinataires. Les groupes sur les côtés ont une longueur moyenne de 2,25 mètres, et ceux du centre 5,45 mètres. Selon N. de Chaisemartin et D. Theodorescu, “transposé en termes de composition architecturale, cet arrangement est l’expression d’un crescendo raffiné des extrémités vers le centre. Il débute avec les colonnes isolées des avancées, se dédouble dans les aediculae à un entraxe qui surmontent les parties extrêmes de l’épigraphe, et forme, sur trois entraxes, un encadrement monumental pour le point fort de la composition, la niche monumentale et la porte royale”240. À Éphèse, la dédicace du temple construit par P. Quintilius Valens Varius dans l’Embolos se déploie de part et d’autre d’une figure féminine centrale, sur les trois fasces de l’architrave arquée. À Aphrodisias, le cas de l’inscription de M. Aurelius Menestheus Skopas, sous Caracalla, commémorant le nouveau revêtement sur le podium du théâtre, paraît particulier241. Elle est gravée en belles lettres d’une demi-douzaine de centimètres sur trois orthostates de marbre, éléments du placage du mur ceignant l’orchestra242 : elle est donc tout à fait invisible depuis la cauea du théâtre où se trouvent les spectateurs. Sa position suggère que l’on pouvait la voir en entrant dans le théâtre, ou lors de processions et d’occasions particulières. Enfin, les inscriptions bilingues243 témoignent souvent d’un traitement légèrement différencié des deux langues. Éphèse a livré plus d’inscriptions bilingues que les autres régions d’Asie. Les portes urbaines de Laodicée du Lycos comportent l’inscription bilingue côté campagne, et seulement en grec du côté de la cité à l’époque de Domitien, comme à Hiérapolis.
62La lisibilité des dédicaces244 était primordiale. Cette anecdote racontée par Arrien sur Trapézonte le montre245 : “Pour les autels, ils sont maintenant érigés, mais dans une pierre grossière, aussi les caractères gravés n’y sont-ils pas bien visibles ; et l’inscription en grec est de surcroît fautive, ayant été faite par des Barbares. J’ai donc décidé de faire élever les autels en marbre blanc et de graver les inscriptions en caractères qui fussent bien apparents”. Toutes les inscriptions n’étaient pas si bien loties. Le discours de Dion où il reproche aux Rhodiens de remployer sans discernement des statues honorifiques est connu246 : lors du remploi d’une statue, l’inscription qui l’accompagnait devait souvent disparaître ; ce type d’inscription n’était pas protégé par la loi comme l’étaient les dédicaces. De même les lettres impériales, malgré l’honneur pour la cité que représentait la réception de ces documents, n’étaient pas toujours disposées de manière à attirer le regard : J. Reynolds, éditant des lettres d’Hadrien à Aphrodisias, se demande si le texte des lettres, tel qu’il est disposé sur la pierre, était bien lisible247. Bien que peintes en rouge, les lettres sont disposées de manière ordonnée, quelque peu monotone. Le “mur des archives” d’Aphrodisias où sont gravées les lettres adressées par l’empereur à la cité tout au long des trois premiers siècles produit la même impression : il est de plus dans un passage étroit, menant de l’orchestra du théâtre à la place à portiques derrière le bâtiment de scène248. Ce qui compte aussi dans ces derniers cas est l’impression produite par l’accumulation de documents de même nature et d’une aussi prestigieuse origine, matérialisant le statut privilégié d’Aphrodisias.
Évolution dans l’Antiquité tardive
63La manière dont l’écrit s’insère dans l’espace public et commémore les hauts faits des notables change drastiquement entre 250 et 325249. Ch. Roueché a établi les principales caractéristiques de cette mutation250 : le style des lettres, auparavant standardisé, en majuscules, monumental, change pour devenir de plus en plus similaire à l’écriture cursive, selon un mode auparavant réservé à la catégorie des textes privés. Le public des inscriptions se réduit, au vu de l’usage croissant d’épigrammes en vers pour commémorer des bienfaiteurs (le plus souvent des gouverneurs au ive s.) : une culture littéraire et historique est désormais nécessaire pour comprendre les éloges qu’on leur décerne. La communication au sein de la cité change de nature : désormais, la cité décerne des honneurs en des termes compréhensibles uniquement par les membres de l’élite ayant reçu une éducation traditionnelle. Même si la nature des monuments qui subissent des interventions conserve une tonalité très civique voire populaire (le théâtre, les fontaines, les aqueducs, les bains), la commémoration de ces actes conduit à subordonner, en l’excluant de la communication politique, toute une partie de la communauté civique. L’identité hellénique continue d’être proclamée et vivante, mais par des vecteurs qui marquent le renforcement de clivages sociaux liés à la possibilité d’acquérir, ou non, une culture grecque traditionnelle. Dans la participation à l’idéal civique, une distanciation sociale renforcée du fait d’un nouveau mode épigraphique tend à exclure une grande partie des membres de la cité.
Dénomination des bâtiments
64La dénomination des bâtiments251 est un autre aspect de la postérité des inscriptions. La toponymie de la cité est-elle liée à ses caractéristiques physiques, topographiques (“le gymnase sur la colline, près du stade” par exemple), ou trouve-t-on plutôt des indices attestant la survie du nom du commanditaire, quand il s’agit d’un particulier (et non de l’architecte, ce qui serait plutôt une tendance contemporaine : “la tour Eiffel”, par exemple) ? Dans le deuxième cas, la mémoire du nom de celui qui a fait construire un bâtiment est directement liée à sa présence dans la dédicace sur le monument en question. À Éphèse, nous avons déjà parlé du nom de “bibliothèque de Celsus” : en 230, plus d’un siècle après la construction de la bibliothèque, la cité fit faire un pavage “devant l’auditorium et la bibliothèque de Celsus”, πρὸ το αὐδειτωρίου καὶ τς Κέλσου βιβλιοθήκης (l. 3-5)252. À Pergame, le temple rond de Zeus Asklépios dans l’Asklépiéion fut construit sous le règne d’Hadrien par L. Cuspius Pactumeius Rufinus253, consul ordinaire en 142254. Une épigramme de l’Anthologie Palatine mentionne le Ῥουφίνιον ἄλσος comme l’une des merveilles du monde255 : le lieu a gardé le nom du bienfaiteur qui l’avait fait construire, plusieurs siècles après l’événement. À Aphrodisias, M. Ulpius Carminius Claudianus intervient au milieu du iie s. sur le “gymnase de Diogénès”, un bienfaiteur de l’époque de Tibère256 ; la dédicace d’un bain à l’empereur, les dieux Augustes et Aphrodite, à l’époque flavienne ou au début du iie s., par le peuple d’Aphrodisias, mentionne également le remploi de matériaux provenant du bain d’Eusébès, ἐκ τς ὕλης το Εὐσεβιανο βαλείου (l. 3-4)257. À Stratonicée de Carie, au iiie s., le prêtre Flauianus fils d’Hékatodôros, avec sa femme, a donné de l’argent “pour la construction du portique appelé Flauianus”, ἐπὶ τ κ[α]τασκευ στος τς κα[λου]μένης Φλαβιανς (l. 7-9)258. Parfois des monuments construits par des particuliers peuvent porter d’autres types de noms. À Stratonicée le prêtre Ti. Flauius Eudémos “a fait construire la fontaine appelée Virginale à ses frais”, [κατασκευάσας τὴν κ]ρήνην τὴν λεγομένην Παρθενικὴν ἐκ τν ἰδίων (l. 12-14)259, renvoyant peut-être à Athéna. La liste des fontaines de Sardes, de l’époque des Sévères260, donne plusieurs exemples de dénominations : elles naissent souvent de leur position topographique dans la cité, “la fontaine en face du gymnase de la gérousie” (l. 2-3), “la fontaine en face des deux mystères” (l. 3-4), “la fontaine en face du mystère d’Attis” (l. 7), “la fontaine de la synagogue” (l. 8), “la fontaine devant l’Odéon” (l. 9), “la fontaine de l’androphylakion” (l. 11). Elles portent également des noms de particuliers : “la fontaine de Domitia” (l. 4-5), “les fontaines qu’ont construites Rufus et Lepidus”, κρ[ναι ἃς κατεσκεύασαν] Ῥοφος καὶ Λέπιδο[ς]261 (l. 19-20). Le nom de l’empereur n’apparaît finalement que dans les dédicaces faites par la communauté civique : par exemple, l’“aqueduc de Trajan” à Smyrne réparé en 110-111262 (où il y a ambiguïté entre le nom de l’empereur et le nom de son père, proconsul d’Asie en 79-80, et dont le nom apparaissait sur la dédicace263 de l’aqueduc) ; à Apamée de Bithynie, la construction d’un balineum Hadrianeum, sur fonds publics264 ; Pline suggère que le nouveau bain de Pruse pourrait porter le nom de l’empereur265 (il serait construit sur un terrain que l’empereur donnerait ou restituerait à la cité, et selon toute vraisemblance construit sur fonds publics de la cité). Le “gymnase auguste” à Éphèse266 a quant à lui bénéficié de fonds civiques, mais aussi de plusieurs particuliers.
65Ces pratiques, dues à la considération générale dont bénéficie l’évergète constructeur au sein de la cité, sont également conformes à la législation impériale. Il existe en effet une législation précise sur le nom que l’on doit inscrire sur les monuments : il s’agit de celui de l’empereur, cité au datif au début de l’inscription en général267, et de celui ou ceux qui ont financé la construction268. La législation protège le donateur du monument, même après son décès ou en cas de restauration ou ajout (notamment décoration) sur le bâtiment qu’il a fait construire. Le nom du donateur peut alors facilement passer dans l’usage commun, à moins que le donateur choisisse lui-même, comme à Stratonicée de Carie, de donner un autre nom au monument qu’il construit. Quelques exemples confirment la conservation des noms sur des longues durées.
Conclusion
66Les diverses mentions portées dans les dédicaces de monuments et les inscriptions honorifiques permettent donc de préciser les caractéristiques du discours épigraphique. Loin d’être une rhétorique creuse reprenant fastidieusement les mêmes formules d’une inscription à l’autre, il paraît au contraire divers et précis malgré une première impression d’uniformité banale. Sans décrire toute la réalité (qui a fait les plans du bâtiment, combien a coûté le monument…) – ce n’est d’ailleurs pas le but recherché269 – le vocabulaire épigraphique permet de connaître l’identité du commanditaire du monument et les personnes qui ont pu contribuer ultérieurement à une partie de sa construction. Il est d’une grande précision sur les circonstances de la construction du bâtiment ; des mentions apparemment anodines comme la construction des portes ou l’expression “à partir des fondations” signalent en réalité clairement et précisément l’achèvement de l’édifice. Les retards dans l’accomplissement des constructions sont consignés précisément, sans qu’ils apparaissent comme le résultat de la mauvaise volonté d’un évergète mais comme la conséquence de péripéties survenues dans l’accomplissement du chantier. Bien loin d’une logorrhée épigraphique, la mise en série des documents nous paraît donc révéler ici la précision et la crédibilité des inscriptions, selon des règles non écrites mais généralement pratiquées. Le caractère public des inscriptions a donc un ensemble de conséquences précises. Leur structure met systématiquement en valeur le constructeur (qu’il s’agisse d’un particulier ou de la communauté civique), l’idée de don, d’ornement ajouté à la cité, et invite à réfléchir, après l’étude du caractère légal de certaines mentions, à l’expression de valeurs civiques et à la recherche de l’honneur d’une classe sociale, dans certaines circonstances qui interdisent de la considérer comme toute-puissante au sein de la cité. Par exemple, l’affichage des coûts seulement dans des inscriptions qui sont des souscriptions, ou pour préciser le montant d’une summa honoraria ou d’une promesse supplémentaire faite au cours de l’exercice d’une magistrature, ou dans des fondations, montre que certains comportements trop arrogants n’étaient pas acceptés. On trouve donc ici, dans l’épigraphie édilitaire de l’Asie, une application concrète de la règle énoncée par Plutarque selon laquelle “l’homme de valeur n’est pas arrogant” – du moins, pas dans la sphère publique.
67Le ton des relations entre les différents membres de la cité n’est donc pas dénué de retenue, d’après les documents concernant ces dons considérables que sont les constructions, marquant un effort général pour faire ressortir une entente et une concorde en rupture avec des positions dominantes trop clairement énoncées. Ainsi l’idéal civique réalisé à travers le beau paysage urbain est-il largement lisible au Haut-Empire ; modestement, d’autres personnes que les notables peuvent y participer. Dans l’Antiquité tardive, le style des inscriptions évolue et nombre de mentions à caractère légal disparaissent, tandis que l’idéologie civique et les références à la culture hellénique subsistent, voire se renforcent. Le caractère élitiste de cet idéal apparaît clairement ; l’expression du patriotisme local n’est plus possible que pour quelques-uns dans la cité.
Notes de bas de page
1 Plut., Moralia, 823A.
2 Luc., Somn., 9.
3 Hellmann 2002, 50-53. Il faut comprendre, dans un passage de Quintilien (Inst., 3.7.27 : “on fait aussi l’éloge des monuments publics, en faisant valoir, selon l’usage, leur magnificence, leur utilité, leur beauté, leur auteur ; par exemple, on loue les temples pour leur magnificence, les murs pour leur utilité, et les uns et les autres pour leur beauté et leur auteur”) “auteur”, auctor, comme commanditaire plutôt qu’architecte.
4 Plut., Moralia, 802 A (anecdote athénienne).
5 Gros 1983b. M.-Chr. Hellmann souligne que l’architektôn, en tant que responsable de chantier, n’avait pas de travail manuel à exécuter ; il devait avoir des connaissances en géométrie et en astronomie pour mener à bien les travaux (Hellmann 2002, 35-49).
6 Hellmann 1994, 178.
7 Hellmann 2002, 52.
8 Barresi 2003, 56-59, reprend la documentation épigraphique et se sert également de Vitruve et Plutarque. Il tente de déterminer ce qui relève de la décision de l’architecte dans la construction d’un monument : le choix de l’ordre architectural et de la décoration lui paraissent ainsi relever de sa compétence, ainsi que la proposition d’un plan (p. 55). P. Gros montre à partir de l’exemple de la Maison Carrée de Nîmes que l’architecte a conçu la construction, dirigé le chantier et mis en œuvre l’ordre corinthien avec les artisans sculpteurs (Gros 1983b, 440-442).
9 Hellmann 1994, 155 no 15 ; Donderer 1996, A 68 ; Hellmann 1999, 96 no 37.
10 IPergamon, 333 (IGR IV, 504). Voir Hellmann 1994, 155 no 13 et Donderer 1996, A 51.
11 Voir en dernier lieu SGO I, 06/02/27.
12 Ramsay 1883, 270-272 no 14 ; Donderer 1996, A 18.
13 Barattolo 1995, 72.
14 Voir en dernier lieu Burrell 2002, 31-50 ; le texte du journal de Cyriaque ne comporte effectivement pas cette épigramme (Bodnar & Mitchell 1976, 62 n. 33).
15 Bodnar & Mitchell 1996, § 83.
16 Ashmole 1956, 186-187.
17 Reinach 1890 ; voir également Colin 1981, 555.
18 Reinach 1890, suivi par R. Merkelbach et J. Stauber (SGO, II, 08/01/30), propose ἐκ δαπέδου μ’ὤρθωσεν ὅλλης Ἀσίας [δαπάνῃσιν] ἀφθονίῃ χειρν δος Ἀριστένοτος, tandis qu’Ad. Wilhelm puis P. Herrmann ont préféré παρεχούσης (Herrmann 1993b, 69-70). Preger 1889, suivi par Barattolo 1995, propose une autre restitution : [μέγα θαμα ?].
19 Robert 1948a.
20 Donderer 1996, C 3. En revanche M.-Chr. Hellmann se rallie à l’hypothèse de Th. Reinach, selon qui cette épigramme serait le témoignage de l’admiration un peu trop appuyée des contemporains d’Aristénotos (Hellmann 1994, 166 no 47, d’après Reinach 1890, 531).
21 La position et surtout la taille qui sont les siennes dans l’illustration du manuscrit (Ashmole 1956, pl. a) ne paraissent en revanche pas avoir été notées dans un souci de réalisme.
22 Robert 1948a, 60 et 64 ; pour Smyrne, voir Feissel 1998a. Plus exactement, ces épigrammes sont des épigrammes descriptives (épidictiques), qui font l’éloge de l’auteur du bâtiment (Feissel 1998a, 127).
23 IK, 12-Ephesos, 452 ; SGO I, 03/02/19. Robert 1948a, 73-74 l’identifie comme un architecte.
24 Knibbe & Engelmann 1984, 140 inv. 4365 (AE 1988, 1022) ; Feissel 1998a, 130-131.
25 Sartre 1991, 250.
26 Plin., Ep. Tra., 10.42.
27 Plin., Ep. Tra., 10.77.
28 Selon Knibbe & Engelmann 1984, 141, “nicht unwahrscheinlich ist, dass die unter der militärischen Führung des Iulius Heraclius stehenden Soldaten der Vexillatio unter der Oberleitung des Scaurianus am Mauerbau beteiligt waren”.
29 Sur les procurateurs dans les inscriptions, voir Eck 1999b.
30 Date proposée par Knibbe & Engelmann 1984, 140-141 et par Haensch 1997, 648, réf. B III 3 a α.
31 IK, 9-Nikaia, 11 et 12.
32 D.Chr. 40.7.
33 Les réflexions de Lucien sur les architectes dans Hippias sont conformes à cette conception : Hippias se distingue par sa maîtrise de la théorie, est rompu à l’éloquence et n’est pas seulement un artisan.
34 Incompétence des constructeurs de l’aqueduc de Nicomédie, Plin., Ep. Tra., 10.37 ; des constructeurs du théâtre et du gymnase de Nicée, et de ceux du bain de Claudiopolis, Plin., Ep. Tra., 10.39. Sur Ep., 10.39 et l’échec de la tentative d’adopter une technique romaine, voir Mansuelli 1980, 1382.
35 Plin., Ep. Tra., 10.18.3 et 40, 3.
36 Plin., Ep. Tra., 10.41 et 42.
37 Alcock 1993, 120-124.
38 Lui-même a fait construire un temple à ses frais à Tifernum Tiberinum (Ep., 4.1.6).
39 Voir III.3 le cas particulier de l’intervention impériale après un séisme. Des techniciens sont fournis par l’empereur essentiellement à cette occasion (Winter 1996, 79-83).
40 Sur l’importation de techniques romaines en Asie, voir Waelkens 1987 et 1989 ; Hellmann 2002, 106-118, sur les matériaux et techniques des murs en architecture grecque ; Adam 1995, 114-123 sur les techniques de la pierre de taille et l’emploi du grand appareil et sur l’utilisation de la brique (p. 157-163).
41 Plin., Ep. Tra., 10.37.
42 Arr., Peripl.M.Eux., 2.
43 Définitions d’après Ginouvès & Martin 1985, 53 et 56 ; Adam 1995, 117-118, et étude du terme πλίνθος d’après l’épigraphie délienne dans Hellmann 1992, 342.
44 Voir Hellmann 2002, 264-325, sur les techniques mises en œuvre.
45 Robert L. & J. 1954, 281 no 162.
46 IK, 24.1-Smyrna, 753.
47 Hellmann 1992, 111-113.
48 Sur cette ambiguïté, Hellmann 1992, 309-312 ; les deux verbes précédents désignant le toit, il paraît logique qu’il s’agisse ici du plafond.
49 MAMA VIII, 498.
50 MAMA IV, 293 ; Ritti et al. 2000, inscr. D1.
51 IK, 14-Ephesos, 1384.
52 Ce mot est entièrement restitué dans l’inscription portant la dédicace de la partie sud du portique ionien dans les bains de Milet, voir Milet, VI. 1, p. 211 (époque de Néron).
53 Hellmann 1992, 382.
54 IK, 21-Stratonikeia, 112.
55 Reynolds 1991, 22 no 1 et photographie de la pierre fig. 1 p. 22, commentaire p. 16-18.
56 ILabraunda, 21.
57 Didyma, 302.
58 Reynolds 1991, 22 no 1, l. 4.
59 IK, 34-Mylasa, 507 et IK, 14-Ephesos, 1384.
60 IK, 21-Stratonikeia, 112.
61 IK, 36.1-Tralleis, 147, l. 4 et l. 7-8. Les poutres, δοκοί, sont ici recouvertes de peinture, ἀπογεγραφέναι.
62 IK, 14-Ephesos, 1384.
63 IK, 16-Ephesos, 2039.
64 Un fragment très mutilé du début de l’époque impériale, provenant de Mylasa, présente des caractéristiques comparables pour la précision des prescriptions relatives à la construction (Blümel 2004, 3-5 no 5), sans que l’on soit sûr du contexte : il s’agit peut-être d’un temple de Dionysos (M. Sève, Bull. 2005, 36).
65 Voir III.3 la fourniture de marbre des carrières impériales, à titre gracieux ou non, par l’empereur.
66 Voir Barresi 2003, 108 ; Winter 1996, 87 n. 731 avec la bibliographie.
67 Barresi 2003, 106.
68 Str. 14.2.23.
69 Par exemple, du marbre de Synnada, dans l’inscription de Flauia Au[-] et Ménékr[atès], membre de la gérousie d’Éphèse (IK, 16-Ephesos, 2524).
70 Voir la bibliographie dans Fant 1985, 655.
71 Claud., 19.272-273 (cité par Robert 1961-1962).
72 Fant 1989, 178 ; Christol & Drew-Bear 1991a, 119 et n. 30 ; mais les auteurs signalent (p. 173) que l’historiographie des carrières de marbre de Phrygie fait sans cesse des progrès par la découverte de nouvelles inscriptions, et que l’interruption en 235-236 est surprenante car l’administration impériale ne donne alors aucun signe de déficience. Cette interruption “ne peut être versée au dossier de la crise du iiie s.”.
73 Dion décrit ce marbre comme λίθων εὐχρόων καὶ ποικίλων (D.Chr. 79.2).
74 Voir Ward-Perkins 1980 sur l’exploitation et la commercialisation des marbres de Phrygie, Troade et Proconnèse.
75 Aristid., Or., 27.17.
76 Barresi 2003, 157-158.
77 Comme pour les tableaux suivants, les attestations sont classées dans l’ordre chronologique, dans la mesure du possible. Par souci de concision, l’origine de l’attestation est mentionnée seulement quand elle n’est pas explicite d’après la référence épigraphique donnée.
78 IK, 16-Ephesos, 2039.
79 Hypothèse dans IK, 16-Ephesos, p. 26.
80 Philostr., VS, 2.23 [605].
81 Claudia Aurelia donne des colonnes en marbre de Kybella : ce marbre provient peut-être de la presqu’île érythréenne (voir IK, 24.1-Smyrna, p. 376).
82 Le marbre de Phocée est également cité dans une inscription funéraire de Smyrne, où M. Libius Tyranniôn décrit avec force détails les divers ornements de son tombeau, réalisés de son vivant, dont un pavement en marbre de Phocée pour l’horloge solaire (IK, 23-Smyrna, 191, l. 7). Par ailleurs les offrandes d’Apollônios Sparos à Hélios Apollon Kisauloddénos se distinguent par la multiplicité et la qualité des marbres utilisés (IK, 24.1-Smyrna, 753) : une table en marbre de Lesbos, un encensoir avec du marbre de Téos, un autel en marbre de Phocée. Il s’agit de petits objets qui ne peuvent être mis en série avec les données réunies dans le tableau, qui concernent essentiellement des parties de bâtiments.
83 Arr., Peripl.M.Eux.,, 1.1.
84 Didyma, 381.
85 IK, 22.1-Stratonikeia, 658.
86 IK, 14-Ephesos, 1384.
87 IK, 24.1-Smyrna, 697 (l. 12-13). On ignore si ces portes sont destinées au bouleutèrion ou à la basilique dont il réalise le pavement.
88 IK, 22.1-Stratonikeia, 1018 ; SGO I, 02/06/11.
89 Ce terme a le sens de pilastre de soutien dans l’inscription d’Éphèse où l’agoranome Timôn offre à Artémis et au peuple le pavement derrière l’Horologion avec la parastas, en 66 a.C. (IK, 17.1-Ephesos, 3004) ; dans l’offrande à Zeus Kersyllos à Hadrianoi décrivant une statue entre 100 et 150 (IK, 33-Hadrianoi-Hadrianeia, 1), où la parastas est le pilastre sur lequel se trouve la statue de Zeus, de même à Smyrne dans l’inscription d’Apollônios Sparos (IK, 24.1-Smyrna, 753). Voir ibid. p. 324-325 pour στυλοπαραστάς. Sur ces deux mots, avis différent de Levi 1967-8, 563, pour qui il s’agit d’exèdres.
90 Salviat 1959.
91 Salviat 1959, 368.
92 Vocabulaire classé du bas en haut de l’élévation : crépis, colonne, entablement. Quand aucune date n’est donnée, il est difficile de préciser au cours du Haut-Empire.
93 Ce terme désigne également la base d’une statue honorifique ou un autel accompagnant la base, voir Smith 1998, 67 et Robert 1978, 404 (“par bômos j’entends non point un autel indépendant et anonyme, mais la base de la statue avec le sens de “base, soubassement” que le mot a si souvent dans les inscriptions funéraires”).
94 Sur ce terme, voir Haussoullier 1920, 72-74 et de Chaisemartin 1989, 45 (pour qui ce terme signifie “dé mouluré placé sous les colonnes du portique”)
95 Voir Hellmann 1992, 231-232.
96 Robert 1964, 51.
97 Ginouvès & Martin 1985, 143, avertissent que le terme d’“incrustation” (utilisé par L. Robert) désigne normalement en français un placage “ne couvrant pas l’ensemble de la surface de la paroi, enfoncé dans une maçonnerie de moindre qualité”.
98 Dans Hippias, les appréciations portent plutôt sur les qualités spatiales et architecturales que sur le décor (voir Yegül 1986, 133 n. 1).
99 IK, 34-Mylasa, 508 ; des colonnes cannelées également mentionnées dans Blümel 2004, 3-5 no 5.
100 IK, 36.1-Tralleis, 146.
101 Selon Hellmann 2002, 122, “les adjectifs δωρικός et ἰωνικός sont pour le moins rares en grec” ; Hellmann 1992, 116-117, seul Pausanias utilise δώριος (5.10.2).
102 CIG 3655 (l. 24).
103 Didyma, 39.
104 Voir Hellmann 2002, 169-177, sur le corinthien avant l’époque augustéenne : la valeur éventuellement idéologique de son usage n’est pas mise en avant.
105 Il ne nous appartient pas de traiter les statues et groupes statuaires dans les bâtiments eux-mêmes. Sur les bains, on trouvera un aperçu dans Manderscheid 1981 ; sur les théâtres, Schwingenstein 1977.
106 Nous répétons à dessein la catégorie de la frise à relief.
107 Voir Hellmann 1992, 231-232 sur l’histoire de ce mot et son sens, traditionnel, à Délos.
108 Robert 1964, 52 ; Robert 1980, 247 : “tout ce qui n’est pas le gros œuvre architectural et qui est normalement en marbre”. Nous voulons montrer ici le contexte dans lequel cette mention était comprise, son caractère précis, voire légal.
109 IK, 12-Ephesos, 429. Voir I. 1 pour la divinité honorée dans le temple.
110 Voir I. 1 et fig. 3.
111 Yegül 1986, 170 no 3 (SEG 36, 1094) ; Herrmann 1993a. Le nom de Géta fut par la suite martelé.
112 On la trouve employée seulement en relation avec la dédicace d’un groupe statuaire au gymnase du port à Éphèse au début du iie s., où elle traduit l’expression σὺν παντὶ τ κόσμῳ : voir IK, 13-Ephesos, 858. L’ornatus a une valeur précise et légale en latin (voir Thomas 1998), qui présente des affinités avec le kosmos mais n’est pas inscrite dans le même système ni exprimée de la même manière.
113 Roueché 1997, 354.
114 SGO I, 01/19/37.
115 SGO I, 01/20/16, II, l. 2 et III l. 6.
116 Roueché [1989] 2004, 20.
117 SGO I, 03/02/10.
118 SGO I, 03/02/25.
119 SGO I, 03/07/06.
120 Dans un sens technique dans une inscription en prose sur un sarcophage à Laodicée Katakékauménè en 340, pour la rénovation d’une église : un évergète rappelle la restauration d’une église en des termes encore comparables à ceux employés pour les monuments publics des siècles précédents : il a “reconstruit à partir des fondations tout l’ornement de l’église, c’est-à-dire l’ornement des portiques, des tétrastyles, des peintures…” (MAMA I, 170, l. 14-15).
121 Roueché 1997, 356.
122 Attestation rare pour les monuments publics dans la région qui nous occupe. Le terme ψηφολογέω, “faire un pavement en mosaïque”, employé à Délos à l’époque hellénistique, est absent des inscriptions d’Asie mineure (Hellmann 1992, 439). Les verbes ψηφοτίθημι et μουσόω se retrouvent dans des inscriptions sur des mosaïques dans un contexte privé, ou chrétien (voir par exemple à Nacoleia, au ive s., AE 1997, 1446).
123 Robert 1964, 50-51 : ce mot vient du latin scutula, il désigne les incrustations en marbre sur les murs. Voir Ginouvès & Martin 1985, 143 : il vaut mieux traduire par “placage”. L’inscription de Ménestheus Skopas au théâtre d’Aphrodisias, indiquant un changement de la skoutlôsis, inscription qui se trouve sur le placage qui a été restauré, entièrement en marbre blanc, confirme que l’idée de polychromie n’était pas contenue dans la notion de skoutlôsis (voir fig. 5). Un adjectif doit préciser que le placage joue de différentes couleurs de marbre (il peut alors s’agir d’opus sectile, mais pas systématiquement).
124 Bruneau 1988, 37 : ce type de décoration ne concerne pas seulement les murs.
125 Notre tableau tente de suivre un ordre logique pour l’examen des décorations des surfaces, de bas en haut : décoration des sols, des murs, des plafonds, dans la mesure du possible. Pour les murs, il faut différencier le traitement mural le plus nécessaire et le plus répandu (imperméabilisation) et le plus décoratif (revêtement des surfaces de marbre coloré). Au sein de chaque catégorie, nous avons tenté de suivre un classement par ordre chronologique. Pour les traductions des termes, voir Hellmann 1992 et Ginouvès & Martin 1985, sauf mention contraire.
126 Hellmann 1992, 38-42.
127 Cette décoration est inconnue à Délos, pour des époques antérieures, d’après Hellmann 1992.
128 Robert 1961-1962, 37 no 81.
129 MAMA I, 170. L’emploi de ces deux mots se retrouve dans une inscription de Smyrne, du ive s., probablement pour une riche demeure privée (Fontrier 1892, 389 no 3).
130 Gr.Naz., Carm., 33.7 : οὐ μεγαλαυχομεν (...) λουτρν χάρισι καὶ λαμπρότησι, καὶ μαρμάρων πολυτελείαις, καὶ γραφας καὶ κεντήσεσι χρυσαυγέσι τε καὶ πολυειδέσι μικρο μιμουμέναις τὴν φύσιν. Il parle de sa patrie d’origine.
131 Luc., Dom., 1.
132 Luc., Dom., 4 ; extrait de Grégoire de Nazianze cité. Ce mot, relevé par L. Robert, est également employé par Strabon pour décrire les marbres de Synnada et leur emploi par les Romains (Robert 1961-1962, 13 ; Str., 12.8.14).
133 Luc., Dom., 6.
134 Luc., Dom., 7 et 8 (éd. et trad. J. Bompaire, Paris, CUF, 2003).
135 Luc., Hipp., 6.
136 Bruneau 1988, 65. Voir par exemple Gr. Naz., Carm., 14.16-17 et 33.7, déjà cité ; Ast. Am., Hom. 1 (De diuite et Lazaro, PG 40.169a) : Ἐκε λέοντες καὶ παρδάλεις, ἄρκτοι καὶ ταροι καὶ κύνες· ὕλαι καὶ πέτραι, καὶ ἄνδρες θηροκτόνοι καὶ πσα ἡ τς γραφικς ἐπιτήδευσις μιμουμένη τὴν φύσιν. Ἔδει γὰρ μὴ τοὺς τοίχους αὐτν μόνον, ὡς ἔοικεν, καὶ τὰς οἰκίας κοσμεσθαι, ἀλλ’ ἤδη καὶ τοὺς χιτνας καὶ τὰ ἐπ’ἐκείνοις ἱμάτια. Selon Ph. Bruneau (loc. cit., p. 66), l’archéologie confirme que la mosaïque était réservée aux notables.
137 CTh. 15.1.1 en 357 au proconsul d’Afrique ; CTh. 15.1.14 en 365 adressé au préfet du prétoire d’Italie ; CTh. 15.1.19 en 376 qui concerne Rome ; CTh. 15.1.37 et 43 tous deux adressés au préfet du prétoire d’Italie, en 398 et 405. Voir la traduction française dans Janvier 1969.
138 Voir I. 8.
139 Rheidt 1997.
140 Voir I. 1.
141 Bauer 1996, 275.
142 Bauer 1996, 279-282.
143 Hellmann 2002, 118-120.
144 Paus., 7.2.11.
145 Altenhöfer & Bol 1989.
146 Reynolds 1997b (AE 1995, 1522).
147 IK, 11-Ephesos, 25, l. 13. Il est interdit de transformer les anciennes statues impériales en statues de Marc Aurèle ou de Lucius Verus.
148 IK, 3-Ilion, 96 et 97.
149 Décompte confirmé par les remarques de Hellmann 1992, 216.
150 MAMA VIII, 498, l. 15.
151 Ces usages sont à replacer dans le contexte légal décrit par Thomas 1998 : en tant que tel, le déplacement des “ornements” au sein d’un patrimoine public ne pose pas de problème en droit romain.
152 IAsklepieion, 141. Voir Fig. 8.
153 D’origine pergaménienne, il fut consul suffect en 147 (PIR² C 831).
154 Barresi 2003, 198. Cependant les calculs de P. Barresi pour estimer le coût des décorations reposent sur une suite d’hypothèses qui ne permet d’aboutir qu’à une estimation, alors que ses résultats sont présentés de manière très précise au contraire, comme des certitudes (sur la critique de calculs comparables, voir Christol & Drew-Bear 1991a, 115 n. 6 : un ordre de grandeur vaut mieux qu’une “précision apparente” et “pseudo-scientifique”).
155 Veyne 1976 (rééd. 1995), 239 constate le “style bien plus civique qu’oligarchique” inscriptions honorifiques, à l’époque hellénistique comme à l’époque romaine : “les manières grecques et le ton grec ont toujours eu quelque chose d’égalitaire et de démocratique” (p. 241), les réalités des relations au sein des cités étant les mêmes dans toutes les cités de l’empire. L’idée de cette uniformité peut être discutée, à partir du constat de l’existence d’idées différentes sur l’intérêt des monuments publics et du beau paysage urbain d’une région à l’autre de l’empire.
156 Les lettres de Pline ont été souvent utilisées pour souligner cet aspect (Plin., Ep. Tra., 10.39).
157 Pülz 1989, 451-453 et Rumscheid 1999, 32-33.
158 Sur le problème du financement et de l’inachèvement des temples antiques, voir Rumscheid 1999. Selon lui, la multiplicité des sources de financement, comme au temple de Zeus à Eurômos, accentuait le risque d’inachèvement.
159 Pagello 1987.
160 Rumscheid 1999, 28.
161 Ratté et al. 1986, 67-68.
162 Bingöl 1998, 73-75.
163 Selon Bingöl 1998, 79-85, le théatron de Magnésie aurait pu servir pour des cérémonies religieuses : devant le temple de Pessinonte se trouvent des gradins pour un édifice qui serait comparable.
164 Hellmann 2002, 59.
165 IK, 49-Laodikeia, 15.
166 MAMA VIII, 435 et 436, et Reynolds 1991, 23-24 no 2.
167 IK, 17 .2-Ephesos, 5113.
168 MAMA VIII, 498.
169 Ritti 1985, 108 ; datation de Demougin 1994, 328-331.
170 Roueché [1989] 2004, 19 et 20.
171 Le tableau ne reprend que les inscriptions où le montant est explicitement signifié. Dans chaque catégorie, nous avons classé par ordre décroissant les sommes en jeu. Nous laissons de côté la grande souscription d’Éphèse de 23, dont rien n’atteste qu’elle est bien destinée à des constructions (IK, 15-Ephesos, 1687 et SEG 39, 1176 (Migeotte 1992, 70) ; fragment supplémentaire publié par Engelmann 2000, 79 et nouveaux rapprochements dans SEG, 53, 1280bis) ; voir Halfmann [2001] 2004, 44-45.
172 Dans la colonne “coût” est bien évidemment indiqué le montant du capital de la fondation.
173 E. Varinlioğlu, dans IK, 30-Keramos, p. 28, trouve la somme faible et propose 1800 deniers.
174 Même pour l’Orient romain, on emploie couramment le vocable summa honoraria, “cadeau d’inauguration” de la charge selon Sartre 1991, 140. Voici la définition de Robert 1937, 550 : “Dans le système municipal de l’époque, à l’acceptation de toute fonction honorifique, magistrature, prêtrise, correspond le versement d’une somme par le nouveau dignitaire, qu’il promet en entrant en charge”. Néanmoins, la rareté de ce mot ou d’un équivalent grec dans les inscriptions d’Asie nous conduit à préférer une périphrase certes plus lourde, mais qui évite de transposer telles quelles des réalités occidentales ou latines dans le contexte grec. L’usage par M. Sartre ou L. Robert ne correspond d’ailleurs pas tout à fait à la définition établie par Fr. Jacques pour l’Occident, sur la base de documents épigraphiques beaucoup plus précis : la summa honoraria n’y est pas un acte évergétique, puisqu’il s’agit d’une somme obligatoirement versée lors de l’entrée en charge dans les magistratures, dont le montant est fixé légalement dans chaque cité (d’où le nom, aussi, de summa legitima).
175 Voir III.1, l’analyse du fonctionnement des institutions civiques et des conséquences politiques des dons. Jacques 1984, 689-690 donne les définitions essentielles de ces différents types d’évergésies ob honorem, pour l’Afrique ; même si elles sont spécifiées moins clairement dans les inscriptions d’Asie mineure occidentale, on peut discerner des promesses de dépenses supplémentaires en cours de charge, plutôt que l’accomplissement tardif de la summa honoraria (interprétation de L. Robert pour Ti. Claudius Aristéas Ménandros et Aelia Glykinna à Stratonicée de Carie, dans Robert 1937, 550). Il ne nous semble pas possible, comme nous le verrons en III. 1, de discerner dans les inscriptions d’Asie mineure occidentale des “évergètes récalcitrants” (Jacques 1975). Les cas rassemblés dans ce tableau 22, où des sommes payées sont spécifiées, ne sont pas comparables aux exemples expliqués par Fr. Jacques pour l’Afrique (Jacques 1975, 167-180), qui impliquent en général des promesses de statues.
176 Robert L. & J. 1954, 174.
177 LBW, 648, l. 9-12.
178 Des lignes 20 à 26, les dix personnages mentionnés ont donné ensemble 10 000 deniers, et non pas chacun une telle somme ; la mention du don de Murdius Caecilianus, de 20 000 deniers, avant l’énumération des bienfaits reçus d’Hadrien, surprend.
179 Pour ces fêtes, voir II. 2.
180 TAM V, 2, 991.
181 IK, 16-Ephesos, 2113 ; Engelmann 2004, 71-72 (AE, 2004, 1408).
182 Blümel 1995, 60-61 no 31 ; commentaire sur ce mot et traduction dans Herrmann 1997, 145-147.
183 IK, 16-Ephesos, 2044 ; SGO I, 03/02/15.
184 Traduction de Hellmann 1999, no 47.
185 Hellmann 2002, 266-277 sur les voûtes utilisées par les Grecs.
186 Barresi 2003, 145-149 (à partir cependant d’un tableau largement contestable).
187 IK 59, 162.
188 IK, 17.1-Ephesos, 3092 ; IK 59, 152.
189 IK, 12-Ephesos, 509 ; IK, 12-Ephesos, 517, où l’on a en latin d(edit dedicauit ?), et en grec ἀνέθηκεν ; IK, 13-Ephesos, 857. Cas particulier de IK, 13-Ephesos, 858 : fecit en latin et en grec ἀνέθηκεν.
190 Plin., Ep. Tra., 10.49 et 50.
191 IK, 49-Laodikeia, 15.
192 IK, 49-Laodikeia, 24.
193 Reynolds 1991, 26 no 1.
194 IK, 12-Ephesos, 424.
195 IK, 12-Ephesos, 438, sous le proconsulat d’Antonius Albus (daté par Eck 1972).
196 IK, 21-Stratonikeia, 200.
197 TAM V, 2, 974.
198 MAMA VIII, 449.
199 Nous mentionnons ici seulement quelques exemples. Voir également le cas particulier de la dédicace d’un bâtiment par plusieurs personnes à Héraclée de la Salbakè, “l’ayant fait construire à partir des fondations ainsi que tout l’ornement qui s’y rapporte”, “il a offert à la patrie” (l’inscription passe curieusement d’un nominatif pluriel pour le participe de la l. 1, à un singulier pour ἀνέθηκεν à la l. 2) (MAMA VI, 98 et Robert L. & J. 1954, 166 no 46).
200 IK, 4-Assos, 15 et 16. Un autre portique fut “offert” par un particulier “à Dionysos et à l’empereur César Trajan Hadrien Olympien”, à Akmonia en Phrygie (Legrand & Chamonard 1893, 273 no 65).
201 IK, 34-Mylasa, 326. D’autres colonnes furent offertes en ces termes par Artémôn fils d’Adrastos à Aphrodisias (Mendel 1906, 172 no a) ; par Nestor et Zénôn dans les bains d’Hadrien à Aphrodisias également (Mendel 1906, 173 no b) ; de même pour une colonne par Adrastos dans la même cité (Haussoullier 1920, 74).
202 IK, 24.1-Smyrna, 683.
203 IK, 36.1-Tralleis, 146.
204 IK, 36.1-Tralleis, 21.
205 Boulanger 1914, 49 no 2. Voir également un portique offert à ses frais par Péreitas Attalos fils de Zénôn (Mendel 1906, 168 no 1).
206 La dédicace du temple de l’Embolos à Éphèse par P. Quintilius Valens Varius (IK, 12-Ephesos, 429) ; un propylée et des ateliers offerts à Blaundos par C. Mummius Macer au ier s. (von Saldern 2006, no 9) ; le bain offert par Cn. Vergilius Capito à Milet (Milet, I. 9, 158 no 328) ; la partie sud du portique des bains par Ti. Claudius Sophanès Candidus à Milet (Milet, VI. 1, no 330 et p. 211).
207 Voir aussi les statues d’Asklépios, Hygie et Hypnos offertes par C. Stertinius Orpex au gymnase, à Éphèse (IK, 17.2-Ephesos, 4123) ; Molossos offre une fontaine et une statue d’Hermès, à Nysa (Kontoléon 1886, 520 no 19) ; Atticianus offre des statues avec des éléments architecturaux à Synnada (MAMA VI, 370).
208 Voir également le revêtement mural d’un portique dans le gymnase du port à Éphèse, offert par G. Claudius Verulanus et sa famille, IK, 12-Ephesos, 430.
209 CIG 2782 et p. 1112 ; Laum, Stiftungen, 108.
210 IK, 17.1-Ephesos, 3008.
211 IK, 12-Ephesos, 415 ; 419 ; 419 A.
212 IK, 16-Ephesos, 2061 et Add. p. 21-22.
213 IK, 14-Ephesos, 1316.
214 Pugliese-Caratelli 1987, 151-154.
215 Pugliese-Caratelli 1987, 151-154.
216 TAM V, 2, 1352.
217 IK, 21-Stratonikeia, 207.
218 Voir nos commentaires en I.1.
219 IK, 13-Ephesos, 690.
220 IK, 13-Ephesos, 690 est fautif, donnant le chiffre (impossible) πκδ, alors que la photographie et la transcription de Keil indiquent ρκδ’.
221 IK, 17.2-Ephesos, 4123.
222 Laum, Stiftungen, 98 ; IK, 36.1-Tralleis, 146.
223 Keil & von Premerstein 1908, 13 no 20.
224 Rémy 1985, 45 avec mention des textes concernés (Mod., dig., 50.10.4 ; C. Iust. 8.11.10 ; CTh. 15.1.31. pr). Il faut néanmoins utiliser avec réserve les textes de lois de la fin du ive s. pour éclairer les pratiques du Haut-Empire : le contexte est très différent, nous y reviendrons en III.2.
225 Mod., dig., 50.10.4 : nec praesidis quidem nomen licebit superscribere. “Et il ne sera même pas permis d’y inscrire le nom du gouverneur” (trad. Janvier 1969, 89).
226 Rémy 1991, 165 n. 85.
227 IK, 36.1-Tralleis, 148.
228 Malay, Researches, 40 no 24 à Thyatire pour un portique ; IK, 17.2-Ephesos, 3852 à Titeiphyta d’Hypaipa pour deux colonnes.
229 Par exemple, à Hiérapolis, le premier étage de la scène du théâtre a été construit et a reçu un revêtement mural de la part de la communauté (Ritti 1985, 108) ; la cité de Sardes “a construit” l’aleiptèrion de Sardes (Herrmann 1993a).
230 Par exemple, une fontaine et ses sculptures par la cité à Magnésie du Méandre, IMagnesia, 251 ; à Mylasa, la dédicace par le peuple du temple d’Auguste et de Rome (IK, 34-Mylasa, 31).
231 Plut., Moralia, 816 C : “C’est ainsi qu’à Rome Scipion fut critiqué parce qu’il n’avait pas invité son collègue Mummius au banquet qu’il offrait à ses amis pour la dédicace du temple d’Hercule”, ὁ γον Σκιπίων ἤκουσεν ἐν Ῥώμῃ κακς ὅτι, φίλους ἑστιν ἐπὶ τ καθιερώσει το Ἡρακλείου, τὸν συνάρχοντα Μόμμιον οὐ παρέλαβε.
232 Voir aussi sur les inscriptions honorifiques Stephan 2002, 90-114.
233 Eck 1999a.
234 Smith 1987, 88-138.
235 Édition complète dans Knibbe et al. 1993, 148 no 80 (AE 1993, 1498).
236 IK, 17.1-Ephesos, 3006.
237 IPergamon, 299.
238 IK, 17.2-Ephesos, 5110.
239 Reynolds 1982, App. V, p. 161 doc. 36 a et fig. 7 p. 160-161 pour un schéma du bâtiment de scène. Voici l’inscription : Γάιος Ἰούλιος Ζωΐλος θεο Ἰουλίου υ[ἱ]ο Καίσαρος ἀπελεύθερος, στεφανηφορήσας τὸ δέκατον ἑξς, τὸ λογήιον καὶ τὸ προσκήνιον σὺν τος ἐν αὐτι προσκοσμήμασιν [πσιν, Ἀφροδίτῃ καὶ τι] Δήμωι.
240 de Chaisemartin & Theodorescu 1991, 42.
241 Reynolds 1991, 28.
242 Voir Fig. 5.
243 Voir le recueil complet de R. A. Kearsley (IK, 59).
244 Sur l’origine des dédicaces sur les architraves, voir Umholtz 2002. La clarté et la visibilité de ce type d’inscriptions, comparativement aux inscriptions funéraires et votives, sont des buts évidents. L’auteur conclut par un aspect qui est essentiel encore à l’époque que nous étudions : les dédicaces expriment avant tout la responsabilité financière du commanditaire (p. 289).
245 Arr., Peripl.M.Eux. 1.1 (trad. A. Silberman, Paris, 1995).
246 D.Chr. 31.9-10. Dion décrit le martelage de l’ancienne inscription, et la gravure d’une nouvelle : ε τα τς μὲν πρότερον οὔσης ἐπιγραφς ἀναιρεθείσης, ἑτέρου δ’ὀνόματος ἐγχαραχθέντος, πέρας ἔχει τὸ τς τιμς.
247 Reynolds 2000, 8 (AE 2000, 1441).
248 Voir le plan dans Reynolds 1982, p. xvi.
249 Périodisation également décrite par Ameling 1998. L’auteur souligne le pic du nombre de textes entre 150 et 250, puis un déclin, avant une reprise à partir de la seconde moitié du ive s. Dans le domaine qui nous occupe, les inscriptions sont les plus nombreuses entre l’époque flavienne et le milieu du règne d’Antonin, puis sous les premiers Sévères.
250 Roueché 1997.
251 Quelques exemples sur le nom des bâtiments hérité de celui de leur commanditaire, Robert 1937, 542.
252 IK, 17.1-Ephesos, 3009.
253 Aristid., Or., 50.28 (“Sont dus à la générosité de Rufinus de grandes offrandes et le temple aux nombreux ornements”, Ῥουφνον, ο τὰ μεγάλα ἀναθήματα καὶ νεὼς ὁ πολυειδής).
254 Halfmann 1979, no 66.
255 AP 9.656, vers 14 (voir Robert 1968b, 597-599 ; Robert 1984b, 481).
256 CIG 2782.
257 Reynolds 1997b.
258 IK, 21-Stratonikeia, 226.
259 IK, 21-Stratonikeia, 220, l. 11-14 et Şahin 2005.
260 Sardis, 17.
261 Herrmann 1993a, 257, identifie Rufus et Lepidus comme les deux fils de l’oncle paternel du destinataire de l’inscription qu’il étudie.
262 IK, 24.1-Smyrna, 681.
263 IK, 24.1-Smyrna, 680.
264 CIL III, 6992.
265 Plin., Ep. Tra., 10.70.
266 On trouve cette dénomination notamment dans IK, 13-Ephesos, 633, c. 100 ; IK, 13-Ephesos, 661 (c. 140-150) ; IK, 13-Ephesos, 621 (fin du iiie s.).
267 Macer, dig., 50.10.3.2 : inscribi autem nomen operi publico alterius quam principis aut eius, cuius pecunia id opus factum sit, non licet. “Il n’est pas permis d’inscrire sur un ouvrage public d’autre nom que celui du prince ou de la personne avec l’argent de laquelle cet ouvrage a été exécuté” (trad. Janvier 1969, 89).
268 Ulp., dig., 50.10.2. pr. et 2 (ne eius nomine, cuius liberalitate opus exstructum est, eraso aliorum nomina inscribantur et propterea reuocentur similes ciuium in patrias liberalitates, praeses prouinciae auctoritatem suam interponat, “le gouverneur de la province doit faire intervenir son autorité pour empêcher qu’on efface le nom de quelqu’un dont la libéralité a permis de construire un ouvrage, qu’on inscrive les noms d’autres personnes, et qu’à cause de cela des citoyens soient détournés de semblables libéralités envers leur patrie”) ; Call., dig., 50.10.7.1 : Si quis opus ab alio factum adornare marmoribus vel alio quo modo ex uoluntate populi facturum se pollicitus sit, nominis proprii titulo scribendo : manentibus priorum titulis, qui ea opera fecissent, id fieri debere senatus censuit. Quod si priuati in opera, quae publica pecunia fiant, aliquam de suo adiecerint summam, ita titulo inscriptionis uti eos debere isdem mandatis cauetur, ut quantam summam contulerint in id opus, inscribant, “si quelqu’un a promis de faire orner, avec des marbres ou de toute autre manière au gré du peuple, l’ouvrage exécuté par un autre, pourvu qu’on mette dans l’inscription son propre nom, le Sénat a décrété qu’on doit le faire en laissant subsister les titres des premières personnes ayant exécuté ces ouvrages. Que si des particuliers, pour des ouvrages faits avec des fonds publics, ajoutaient quelque somme à leurs frais, il est stipulé dans ces mêmes prescriptions qu’ils devraient utiliser l’inscription en y faisant figurer le montant de la somme qu’ils auraient consacré à cet ouvrage” (trad. Janvier 1969).
269 Fagan 1996 sur Thomas & Witschel 1992 : leur thèse est que la description des bâtiments reconstruits est largement symbolique, et ne reflète pas la réalité physique du monument en mauvais état. Les données de l’archéologie ne confirmeraient pas les inscriptions. G. G. Fagan au contraire souligne qu’il ne faut pas attendre de l’épigraphie un discours sur la réalité archéologique.
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