VII - Les abords de la cité, par terre et par mer
p. 189-201
Texte intégral
1Les abords de la cité de Smyrne sont décrits par Aelius Aristide : ils révèlent d’emblée le succès du kosmos de la cité. Les murailles posent néanmoins des problèmes spécifiques : leur but pratique est d’abord défensif, alors qu’Auguste a établi la paix dans le monde romain ; les autorités romaines et impériales apparaissent fréquemment dans leur construction ou l’autorisation de leur construction, comme le montre le dossier des murailles de Nicée en Bithynie. Les particuliers sont le plus souvent exclus de leur financement et de leur mise en œuvre, sauf dans le cas d’une porte urbaine à Laodicée du Lycos. Avec les invasions gothiques qui affectèrent directement toute l’Asie mineure occidentale à partir du milieu du iiie s., les murailles revêtirent de nouveau une importance cruciale pour les cités : il s’agit même parfois d’une question de survie. La chronologie constitue donc ici un critère décisif de l’étude. Il faut également dresser un bilan de l’importance de l’intervention impériale et des institutions impliquées dans ces constructions à la fois coûteuses et sensibles sur le plan stratégique1.
“L’ornement et la défense de la cité”
2Malgré leur conception à l’origine utile sur le plan militaire2, les murailles ne sont jamais apparues comme étrangères ou même contraires à l’idée de l’ornement de la cité. À Béroia en Macédoine à la fin du iie s. a.C., ou après l’invasion mithridatique de 87 a.C., Harpalos est honoré pour avoir continué par ses actions la gloire héritée de ses ancêtres, “songeant aux commandements militaires et aux munificences de ses aïeuls et à tout ce qu’ils avaient construit pour l’embellissement et la défense de la cité”, πρὸς κόσμον καὶ πρὸς φυλακὴν (l. 14)3.
3Pendant la paix romaine que l’on peut étendre pour la région de l’époque d’Auguste au milieu du iiie s., il paraît logique que cette vision l’emporte désormais sur les enjeux militaires. À Rhodes détruite par un tremblement de terre en 142, Aelius Aristide s’écrie4 : “Mais la merveille, au-dessus de toutes et avant toutes, ne produisant pas de satiété pour les yeux, est le circuit des murs et la hauteur et la beauté des tours qui s’y insèrent, qui étaient comme des flambeaux pour ceux qui naviguaient dans leur direction, de sorte qu’il n’était possible pour ceux qui débarquaient à Rhodes et les considéraient, que d’aussitôt grandir spirituellement. Le plus beau de tout était que le circuit n’était pas séparé du reste de la cité et qu’il n’y avait pas d’espace vide entre les deux, mais qu’il était attaché à la cité, comme une couronne encerclant une tête”. Le “circuit des murs”, ὁ τν τειχν κύκλος, avec ses tours, πύργοι, est la beauté la plus éminente de la cité. Selon un processus que l’on retrouve dans La salle de Lucien, cette beauté, κάλλος, est à l’origine d’un gain spirituel : la contemplation de la beauté a des conséquences morales, et une salle (un bouleutèrion, probablement) comme les murailles d’une cité peuvent être à l’origine d’une élévation de l’âme. Il serait tout à fait caricatural et appauvrissant sur un plan historique de considérer ces remarques comme des jeux rhétoriques, qui ne renverraient pas à des élaborations intellectuelles cohérentes. Elles structurent la perception du paysage urbain pour les habitants des cités d’Asie à l’époque romaine.
4Florus fit l’éloge des murailles de Cyzique5 qui comportent des “tours de marbre”. Strabon évoque6 l’enceinte de Smyrne (τὸ τεχος) près de laquelle coule la rivière Mélès : “Leur cité est la plus belle de toutes, une partie de ses fortifications étant bâtie sur la montagne, et la plus grande partie dans la plaine, près du port et près du Métrôon et du gymnase”. Encore dans l’Antiquité tardive, l’appréciation esthétique des murailles ne disparaît pas. Ainsi dans la Vie de Saint Néophyte de Nicée7 (Néophyte serait mort pendant la persécution de Dioclétien), Nicée est louée pour son site, son climat, ses vignes et ses oliviers, ses fortifications, ses cinq églises, ses fondateurs et l’abondance de produits de toutes sortes. Les remparts sont cités comme un motif de fierté dans le paysage urbain par le contradicteur imaginaire de Grégoire de Nazianze, qui vient de Constantinople8.
Appréciation des portes et faubourgs
5Les portes urbaines constituent un repère topographique majeur dans les cités. Souvent elles sont nommées d’après le nom de la grande ville où mène la route dont elles marquent le départ : par exemple, à Smyrne, Aelius Aristide fréquente un établissement balnéaire “près des portes d’Éphèse”9, πρὸς τας πύλαις τας εἰς Ἔφεσον φερούσαις. À Éphèse, la porte de la cité qui conduit au sanctuaire d’Artémis a pour nom la porte de Magnésie, τὴν διὰ τν Μαγνητικν κάθοδον10. Les portes ne sont pas nécessairement intégrées à des murailles urbaines, comme à Hiérapolis par exemple après le tremblement de terre de 60 et la reconstruction des années 80. Dans ce cas leur conception ne s’attache donc pas à une fonction défensive ; sans doute ont-elles une signification religieuse11 ; mais avant tout leur présence marque la qualité de l’espace urbain, et la différence entre l’espace à l’intérieur et l’espace à l’extérieur d’une ligne imaginaire qu’elles délimitent (à Hiérapolis, la nécropole est repoussée au-delà de la porte). L’apôtre Philippe arrivant à Hiérapolis n’entre pas réellement dans la ville avant d’avoir franchi cette porte12 : “Lorsqu’ils arrivèrent à l’emplacement de la ville, voici que deux grands dragons se trouvaient devant la porte de la ville, l’un à droite, l’autre à gauche, montant la garde devant tout étranger qui voulait entrer dans la ville”. La simplicité de leur décoration n’est pas contraire à cette fonction. La mention répétée de faubourgs dans la description de Smyrne suggère un espace extra-urbain délimité comme extérieur aux murailles. Il faut prendre garde que ces espaces que nous appelons “faubourgs” faute de mieux ne sont pas exclus du beau paysage urbain. Aelius Aristide s’exclame dans son discours sur Smyrne prononcé en 157 que “l’on n’est jamais repu de contempler les faubourgs de la cité”13. Ce point de vue depuis les faubourgs est également proposé dans la Monodie : “en regardant à partir des faubourgs (…) c’était avant d’entrer”, ἐκ προαστείων (…) τατα μὲν τὰ πρὶν ἐντυχεν. Libanios à propos d’Antioche exprime la même fierté14 : “Qu’on examine donc aussi les quartiers devant les portes de la ville. On ne pensera pas avoir affaire à des auberges, mais à des sections de la cité, telles cependant qu’elles ne puissent appartenir qu’à cette seule cité d’Antioche. Tant les quartiers extérieurs correspondent exactement à la gloire de la ville intérieure, par le luxe, les bains, les boutiques de métiers, la densité de la population !”
Construction et rénovation de murailles et de portes urbaines
6En cette matière plus encore peut-être que pour tout autre bâtiment, la question devrait être abordée en termes d’héritage par rapport aux époques classique et hellénistique. Malheureusement, les études archéologiques et la bibliographie sur ce point donnent très peu d’éléments de repère. Prenons l’exemple des fortifications en Carie : à constater l’état actuel des fortifications par exemple à Héraclée du Latmos15 ou à Alinda, il est évident que ces constructions de l’époque hellénistique marquaient, de manière souvent grandiose, le paysage de ces cités (certes modestes) de l’époque romaine. Halicarnasse conserve également une porte urbaine (récemment restaurée) qui marquait la direction de Myndos. Les murailles de Priène restaient spectaculaires. Or, il n’existe ni remarque des auteurs anciens, ni étude historique ou archéologique permettant de donner des précisions sur ces murailles à l’époque romaine. La problématique de l’héritage, architectural mais aussi symbolique, de ces murailles dans ces cités est donc quasiment impossible à traiter. Iasos est presque la seule cité pour laquelle nous puissions étudier les évolutions sur une longue période, entre l’époque hellénistique et l’époque romaine.
Tableau 1. Attestation d’interventions sur les murailles de cités16
Cité | Date | Commanditaires | Intervention réalisée | Référence |
Hiérapolis | 85-86 | Cité ? | Construction de la porte nord et de la porte sud sous la direction du proconsul Sex. Iulius Frontinus | IK 59, 169 |
Laodicée du Lycos | 85-86 | Ti. Claudius Tryphôn | Construction de la “porte syrienne” | IK, 49-Laodikeia, 24 ; IK 59, 170 |
Abydos ou Alexandrie de Troade ? | Fin du iiie s. ? | Cité | Travaux sur une portion de muraille, comprenant une tour, exécutés sous la direction de l’ergépistatès Eutychidès fils d’Eutychidès | Hellmann 1994, 165-166, no 46 |
Éphèse | Fin du iiie s | Sous la direction de Scaurianus | Rénovation des murs de la cité | IK, 12-Ephesos, 452 ; SGO I, 03/02/19 |
Aphrodisias | ive s. | Sous la direction du praeses Cariae, Flauius Quintilius Éros Monaxios | Construction de la porte ouest | Roueché [1989] 2004, 19 |
Aphrodisias | ive s. | Sous la direction du praeses Cariae, Flauius Constantius | Construction du mur d’enceinte de la cité | Roueché [1989] 2004, 22 |
Sardes | ive s. | Sous la direction d’Acholios, vicaire d’Asie | Construction d’une “enceinte de liberté” | Sardis, 83 ; SGO I, 04/02/06 |
Smyrne | 395 | Sous la direction du proconsul Anatolios | Construction des murs de la cité | IK, 24.1-Smyrna, 845 ; SGO I, 05/01/07 |
De la fin de l’époque hellénistique aux premières menaces
7À Éphèse la porte de Magnésie s’ouvre dans la muraille de Lysimaque ; à cet endroit le gymnase de l’Est prend appui sur la muraille (la rue conduit ensuite assez rapidement à l’agora civile). D’après les fouilles, l’embellissement de la porte date de la deuxième moitié du ier s. a.C. Dans le courant du iiie s., les tours qui étaient abandonnées furent rénovées à la hâte17. Ce constat de semi-abandon au Haut-Empire semble aller à l’encontre de l’admiration suscitée par les murailles de Smyrne ou de Rhodes : peut-être n’étaient-elles pas entretenues dans les temps de paix romaine, car à Éphèse le statut de capitale provinciale faisait de l’entretien d’une muraille un sujet sensible. En tout cas, il semble que la partie de la muraille sur les pentes de l’Acropole ait été démantelée au Haut-Empire. Dans les autres cités, les indications restent également très éparses18. À Alexandrie de Troade, où fut déduite une colonie entre 43 et 38, sur des plans remontant à César19, C. Fabricius Tuscus fut honoré par les décurions de la cité ; il a notamment été “préfet des travaux exécutés dans la colonie par ordre d’Auguste”20, praef(ectus) (…) operum quae in colonia iussu Augusti facta sunt (l. 2-5). Selon St. Mitchell, il est possible que cet homme, à la tête de la cohors Apula, ait réalisé parmi ses travaux non spécifiés une muraille en rapport avec le statut colonial de la cité21. À Iasos, la problématique de l’héritage des murailles hellénistiques s’enrichit du constat que le bouleutèrion de la cité fut construit au Haut-Empire en s’appuyant sur la muraille, qui à cette époque n’avait donc plus de fonction défensive, ni réellement ornementale. Une porte monumentale fut même construite, permettant l’accès depuis le port à l’agora. L’invasion des Hérules au milieu du iiie s. impose en revanche la reconstruction de l’enceinte. La porte monumentale d’accès depuis le port à l’agora est alors murée (de même que la porte donnant accès au sanctuaire d’Artémis)22.
8En Phrygie, à Hiérapolis, la ville fut détruite par le violent tremblement de terre de 6023 et la muraille hellénistique s’effondra24. Sex. Iulius Frontinus, proconsul d’Asie en 85-86, dirigea plusieurs travaux de reconstruction, notamment ceux de la porte nord de la cité : deux inscriptions bilingues de chaque côté de la porte rappellent que “Sex. Iulius Frontinus s’est occupé de faire faire la porte et les tours”, portam et tu[rres faciendas cur] auit Sex(tus) Iul[i]us Front[inus]. La formulation en latin indique que Frontin a dirigé l’entreprise ; il ne l’a bien évidemment pas financée personnellement ; en revanche la formule en grec peut prêter à confusion : τὴν πύλην καὶ τοὺς πύ[ργους ἐποί] ησεν. Cette porte comporte trois passages et deux tours latérales, rondes. Les lettres des inscriptions latines sont plus grandes que les lettres des inscriptions grecques (10 centimètres et 6 centimètres)25. Au sud se trouve une autre porte qui délimite l’espace urbain, mais dans une zone moins bien fouillée. Sa décoration est comparable à celle de la porte du nord26. Entre les deux, s’étend une grande avenue qui faisait partie du plan de reconstruction. Laodicée du Lycos fut frappée par le même tremblement de terre ; une porte monumentale y fut également construite l’année du proconsulat de Sex. Iulius Frontinus : l’inscription en latin est dédiée à Domitien, avec la mention à l’ablatif absolu de la dédicace réalisée par le proconsul ; l’inscription grecque indique que Tryphôn, affranchi impérial, “a offert les tours et le tripylon”, τοὺς πύργους καὶ τὸ τρίπυλον ἀνέθηκεν27. Cette inscription se trouve sur la “Porte Syrienne”, comme l’appelle Philostrate28. Tryphôn a financé la construction, et le proconsul lors de sa tournée dans la région a présidé les cérémonies d’inauguration. À Tripolis enfin, en Phrygie également, un bloc de marbre comporte la dédicace bilingue de tours et d’une porte29 : cette cité, proche géographiquement de Laodicée et Hiérapolis, en Lydie près des confins de la Phrygie, a connu des interventions semblables30.
9À Stratonicée de Carie la muraille de la cité aurait été reconstruite après un tremblement de terre qui d’après L. Robert date de 13931 : des blocs comportant une dédicace à Antonin le Pieux et à la patrie, à la suite d’un séisme, et qui se trouvaient dans la muraille de la cité, sont en réalité des spolia d’une tombe hellénistique (ils comportent également des reliefs représentant une course de chars). Ces blocs auraient été choisis à cause de la célébration de la restauration des murs de la cité avec des courses de chars32. La porte nord de la cité daterait selon l’étude d’H. Mert, pour des raisons stylistiques, de l’époque sévérienne33.
Les murailles et les portes dans l’Antiquité tardive
10Chronologiquement, les événements de 262 furent déterminants en Asie mineure occidentale. Les invasions des Goths incitèrent les habitants à se protéger : de nombreuses murailles furent restaurées, ou construites. La violence qui s’abattit alors sur ces régions est évoquée par Zosime34. Des constructions eurent souvent lieu à la hâte, comme le suggèrent les modes de construction et l’utilisation de matériaux de remploi. À Kéramos, les murailles dataient de l’époque hellénistique. Elles furent cependant renforcées lors de l’invasion des Goths en 26235. À cette occasion, Milet36, Pergame, Sardes et Aphrodisias construisirent aussi des murailles. Des villes plus modestes, comme Dorylée, entreprirent des travaux comparables avec des matériaux de remploi37. Deux inscriptions seulement se rapportent peut-être à ce contexte du iiie siècle. L’inscription mentionnant les travaux effectués par Aurelius Théophilos de Mytilène, architecte, découverte aux environs de Çanakkale et provenant d’Abydos ou Alexandrie de Troade, incomplète, mentionne une portion de muraille comprenant une tour, exécutée “sous la direction de l’honorable Eutychidès fils d’Eutychidès, maître d’œuvre”, ὑπὸ ἐργεπιστάτην τὸν ἀξιολογώτατον Εὐτυχίδην Εὐτυχίδου38. Le titre du personnage suggère une intervention au iiie s., mais ce n’est qu’une hypothèse. Par ailleurs un certain Scaurianus reçut l’éloge des habitants d’Éphèse en même temps qu’une statue, pour avoir rénové les murs de la cité39, dans la deuxième moitié du iiie s.40. À Pergame, U. Wulf fait l’hypothèse d’une reconstruction de la muraille vers 27041. Elle aurait suivi le tracé des fortifications construites par Philétaïros. La ville basse dont l’extension date de l’époque romaine ne serait donc pas incluse : la muraille aurait servi de refuge temporaire au temps des invasions gothiques. Il est notable que peu de marbres de remploi furent utilisés dans la muraille : aucun grand monument public ne fut détruit pour sa construction. À Didymes pendant les invasions des Goths les Milésiens trouvèrent refuge dans le domaine du temple, protégé par de hauts murs42.
11Les commémorations épigraphiques des constructions de murailles dans l’Antiquité tardive datent cependant plus volontiers du ive s., dans un contexte militaire apaisé. Les murailles respectent alors l’étendue originelle de la cité. Comme ailleurs dans l’empire, il est alors douteux que ces interventions soient liées à des problèmes de sécurité. À Aphrodisias, le mur d’enceinte de la cité (dont proviennent nombre d’inscriptions du Haut-Empire : sa construction a donc produit un changement sans doute assez visible dans le paysage urbain) fut construit par Flauius Constantius, praeses Cariae, peut-être à la fin des années 36043, en suivant les limites de la cité du Haut-Empire, puisque les nécropoles se trouvent à plusieurs endroits juste hors des murs44. L’inscription se trouve sur un linteau de marbre, la hauteur des lettres est celle d’une grande dédicace monumentale (entre 7 et 8 centimètres) ; il ne s’agit pas, contrairement à la plupart des inscriptions de l’Antiquité tardive que nous avons eues à commenter, d’une épigramme honorifique sur une base, mais d’une inscription honorifique sur le monument même qui est dédié : “Le Conseil et le peuple45 (ont honoré) Flauius Constantius, clarissimus praeses, qui, ainsi que d’autres travaux, a fait faire le mur”, Φλ(άουιον) Κωστάντιον τὸν λαμπρότατον ἡγεμόνα ἡ βουλὴ καὶ ὁ δμος μετὰ τν ἄλλων ἔργων καὶ τὸ τε χος ἀναστήσαντα46. Une porte, antérieure de quelques années, a été incluse dans ce mur. S’ouvrant à l’ouest, elle est décorée d’un grand nombre de sculptures en réemploi, et fut élevée sous la direction du praeses Flauius Quintilius Éros Monaxios47.
12À Sardes, sur la base de la statue du vicaire Acholios, une épigramme commémore la construction des murailles de la cité : il a construit “une enceinte de liberté” pour les habitants (vers 6), ἐλευθερίης τέμενος48. À Smyrne enfin, une épigramme commémore (en 395 ?) la construction de murs : “ces murs, qui portent le nom de l’empereur Arcadius, le célèbre et sage Anatolios, proconsul, les a réalisés”, Ἀρκαδίῳ βασιλι ἐπώνυμα τείχη ἔτευξεν κλεινὸς ὅδ’ ἀνθυπάτων πάνσοφος Ἀντόλιος49. La désignation τείχη reste vague et il pourrait s’agir des murs d’un autre monument ; mais il est possible qu’il s’agisse bel et bien de murailles pour la cité, qui auraient été plutôt que construites, rénovées. Comme le montre le sort de la muraille de Chalcédoine, la construction et la possession de murs étaient un signe du statut de la cité. En 365, sa muraille fut détruite par Valens, car selon Ammien Marcellin, la cité s’était rangée du côté de l’usurpateur Procopius. Les pierres furent transportées à Constantinople pour servir de matériau pour un bain. Les murailles de la cité sont qualifiées par Ammien Marcellin de “murs anciens”, ueteres muri50. Au ive s. comme au Haut-Empire, la possession de murailles ou de portes urbaines est un signe de prestige, et concourt à la beauté de la cité, sans en être néanmoins un point essentiel. Les constructions liées aux invasions gothiques, réalisées dans la précipitation, apparaissent davantage comme un épiphénomène, peu conservé dans la mémoire épigraphique des cités51. En revanche, le discours épigraphique commémore le gain de beauté réalisé par la cité à l’occasion de la construction de murailles, essentiellement au ive siècle.
Κ'oσμοι ιιαραλ'ιας, “ornements de la côte”, des ports et des rivages
13La vocation maritime de l’Ionie est ancienne et revendiquée. À l’époque romaine, un site portuaire qualifie les plus belles cités. Point d’émerveillement sur Sardes, peu sur Pergame, alors que Smyrne est unanimement renommée être la plus belle cité d’Asie, et l’une des plus belles du bassin méditerranéen. L’auteur de l’Expositio totius mundi et gentium décrit ainsi l’Asie52 : “Et voici la très grande Asie, qui se distingue parmi toutes les provinces et possède d’innombrables villes. Elle en a certes de très grandes, dont beaucoup sont au bord de la mer ; parmi elles, il est nécessaire d’en citer deux : Éphèse, qui, dit-on, possède un port remarquable, de même pour Smyrne qui est, elle aussi, une ville splendide”. Cependant le port d’Éphèse connaît des problèmes d’ensablement : aussi est-ce finalement Smyrne qui suscita le plus d’admiration. La beauté de la cité paraît presque proverbiale. Strabon et Lucien par exemple la reconnaissent comme la plus belle de toutes les cités53, pour différentes raisons, dont le site portuaire. Apollonios de Tyane lui-même accordait que Smyrne “était la plus belle des cités qui sont sous le soleil”54. Cette appréciation rentre dans une conception globale de la cité comme un tout, dont aucune partie, même périphérique ou vouée aux activités commerciales, n’est jugée indigne d’une action d’embellissement et de l’intervention des évergètes.
14Les ports, dédiés à l’utilité publique, sont d’abord mis en valeur comme des signes de richesse et d’abondance. Ménandre le Rhéteur préconise de décrire l’aspect des cités (τὸ σχμα τς πόλεως) en parlant “des portiques, des sanctuaires, des ports, de la prospérité, de l’abondance, des biens qui arrivent de la mer”55, στοάς, ἱερά, λιμένας, εὐετηρίας, ἀφθονίαν, τὰ ἐκ τς θαλάσσης ἐπεισαγόμενα ἀγαθά. L’association des ports aux autres monuments publics dans les réflexions de Ménandre le Rhéteur constitue un premier argument en faveur de l’étude des ports parmi les monuments publics. Pour donner un exemple rapide de ce que l’on doit louer dans une cité, il invite à mentionner les ports56 : “j’ai longtemps attendu (de voir) ces gymnases, ces théâtres, les beautés des sanctuaires et des ports de cette cité”, ἐπόθουν μὲν πάλαι καὶ γυμνάσια καὶ θέατρα τατα καὶ ἱερν κάλλη καὶ λιμένων τσδε τς πόλεως. Flavius Josèphe décrit en ces termes la construction par le roi Hérode du port de Césarée57 : “Se heurtant partout à l’hostilité du terrain, il défia la difficulté, en faisant que la solidité de la construction fût à l’épreuve des attaques de la mer, et que, pour la beauté, elle fût parée comme s’il n’y avait eu aucun obstacle”. Nombreuses sont les cités de cette région qui ont reçu une notice élogieuse chez un auteur ou l’autre pour leur site portuaire. Florus décrit Cyzique comme l’une des perles du littoral asiatique : Cyzicum, nobilis ciuitas, arce, moenibus, portu turribusque marmoreis Asiaticae plagae litora inlustrat58. Strabon qualifie Lampsaque de cité εὐλίμενος, c’est même le cœur de la brève appréciation qu’il lui consacre. Cnide “possède deux ports, dont l’un se ferme, reçoit des trières, et est une station navale pour vingt navires”. Une île jointe au continent par deux jetées possède à son tour deux autres ports59.
15Strabon après une description assez longue de la beauté de Smyrne, ajoute qu’il est encore une construction, κατασκευή, qui ajoute à son ornement, le port60. Il présente l’avantage de pouvoir se fermer en cas de besoin. Les ports de cette cité suscitent également l’admiration d’Aelius Aristide. Une vingtaine d’années avant la destruction de la cité par un tremblement de terre, Aelius Aristide choisit plusieurs points de vue pour décrire la cité dont plusieurs célèbrent son port : “elle s’étend devant la mer”, “en se tenant sur l’Acropole, on voit la mer s’agiter en bas, et les faubourgs y jeter leur ancre”, “tout, jusqu’au rivage, resplendit de gymnases, d’agoras, de théâtres, d’enceintes de sanctuaires, de ports…”61. Dans la Monodie sur Smyrne, écrite peu après janvier 17762, Aelius Aristide associe étroitement le paysage urbain à la mer qui le borde63 :
“La plus belle des choses apparaissait, la cité surgissant éclatante tout à coup, lorsque l’on se trouvait du côté opposé, en regardant à partir des faubourgs, des bras de mer, de la haute mer, de la terre, de la mer. Cela, c’était avant d’entrer. (…) Ports désirant l’étreinte de leur très chère cité, beauté indescriptible des gymnases, grâces des temples et des enceintes, en quel endroit de la terre vous êtes-vous enfoncés ? Ornements de la côte (κόσμοι παραλίας), tous ces rêves.”
16Dans son analyse des agréments respectifs de Pergame, Smyrne et Éphèse, Smyrne apparaît encore surgissant de la mer, et ses ports sont cités avec ses temples, ses bains, ses rues. Éphèse connaît quant à elle une grande accessibilité grâce à ses ports, entre autres moyens qui permettent de s’y rendre ; mais Smyrne l’emporte par sa beauté64.
17Dans le traité d’urbanisme de Julien d’Ascalon, les ports constituent une vue qu’il ne faut pas gêner par des constructions, car elle procure un vif agrément65 : “Si ce dernier [qui dispose d’une vue directe] voit un port, une côte, ou même dans le cas des villes et des villages ne disposant pas d’un port complet, de simples mouillages pour les bateaux, son voisin ne peut absolument pas gêner ou supprimer une telle vue. Vif est en effet l’agrément que font naître de tels spectacles. S’il ne voit que de loin la pleine mer, alors nous ne comptons pour rien cette vue”. Le port, avec ses bâtiments, arsenaux, entrepôts et ses activités commerciales incessantes, constitue donc l’un des motifs de fierté et d’ornement des cités. Le vocabulaire de l’intervention architecturale pour ces ensembles monumentaux est identique à celui des autres édifices publics.
Travaux entrepris dans les ports66
Tableau 2. Travaux dans les ports et à leur abord.
Cité | Date | Commanditaires | Intervention réalisée | Référence |
Cyzique | 38 | Antonia Tryphaina | Dégagement des ports et des canaux comblés précédemment | Joubin 1893, 8 |
Éphèse | 54-59 | Groupe de particuliers | Construction d’une maison de collecte des taxes sur la pêche et la vente du poisson, τὸ τελωνον τς ἰχθυικς | IK, 11-Ephesos, 20 |
Éphèse | 103-116 | T. Flauius Montanus | 75 000 deniers pour la construction du port | IK, 16-Ephesos, 2061 |
Smyrne | Entre 26 et 123 | Souscription publique | “pour la construction du port” | IK, 24.1-Smyrna, 696 ; Migeotte 1992, no 66 |
Éphèse | Début du iie s. | C. Licinius Maximus Iulianus | A donné de l’argent pour le port | IK, 17.1-Ephesos, 3066 |
Éphèse | c. 120 | Cité | Construction d’une jetée pour contrôler le Manthitès | Knibbe et al. 1993, 122-123 |
Éphèse | c. 120 | Hadrien | Détourne le Caÿstre qui ensable le port | IK, 12-Ephesos, 274 |
Halicarnasse | iie s. | Les agents de M. Aurelius Myndios Matidianus Pollio | Construction de la maison des douanes avec son portique | ILS II, 2, 8858 ; OGIS II, 525 |
Éphèse | Fin du iie s. | T. Flauius Damianos | Construction d’îles artificielles dans le port | Philostr., VS, 2.23 [606] |
Éphèse | Sévère Alexandre | M. Aurelius [-] | Don de 20 000 deniers pour draguer le port | IK, 17.1-Ephesos, 3071 |
Éphèse | Sévère Alexandre | M. Fuluius Publicianus Niképhoros | Construction de la porte sud du port grâce à son legs | IK, 17.1-Ephesos, 3086 |
Éphèse | Entre 242 et 245 | ? | Travaux sur la porte nord du port | IK, 17.1-Ephesos, 3091 |
Éphèse | 218-22267 ? | Valerius Festus | Agrandissement du port | Knibbe & Iplikçioğlu 1984, 130-131 |
Smyrne | ive s. | Sous la direction du proconsul Ambrosius de Mylasa | Construction d’un phare | SGO I, 05/01/18 |
Smyrne | ive s. ou ve s. | Sous la direction du proconsul Venetius | Construction d’un môle avec une fontaine dans le port de la cité | SGO I, 05/01/19 |
18Dans le port de Cyzique, Bacchios a dirigé en 38 les opérations pour “déblayer les ports, le marais et les canaux et bâtir les jetées qui se trouvent en avant”, ἐπὶ τς ὀρυχς τν λιμένων καὶ τς λίμνης καὶ τν διορύγων καὶ τς ἐποικοδομίας τν προκειμένων χωμάτων (l. 2-5). Pour cela il a reçu un éloge et une couronne du Conseil et du peuple68. Antonia Tryphaina a financé cette opération dont Bacchios a été l’un des ingénieurs69 : “elle a rouvert, collaborant avec la paix accordée par l’empereur, le détroit qu’on avait comblé précédemment par crainte de la guerre”. Les guerres mentionnées ici seraient les opérations qui eurent lieu en Thrace entre 21 et 26 sous le règne de Rhoemétalcès II. Le détroit serait donc resté fermé une dizaine d’années. Le décret de consolation pour la mort d’Apollonis, du deuxième quart du ier s., comporte que cette bienfaitrice aura “le droit d’être enterrée dans les tombeaux de famille de son mari qui se trouvent sur le grand port” (l. 49-50), ἐπὶ το μεγάλου λιμέν[ο]ς. Cette notation paraît doublement intéressante : pour des raisons topographiques d’abord, commentées par M. Sève70, ensuite parce qu’elle montre que c’était un honneur d’être enterré dans cette zone de la cité71. L’agora était d’après les descriptions des auteurs anciens un lieu d’échanges commerciaux et de rencontre qu’un lieu du débat politique. Cette association d’activités se retrouve ici : le port n’est pas en marge de la cité. L’usage du “Grand Port” de Cyzique est même moins probablement militaire que commerciale, selon M. Sève : “une telle appellation peut tenir à l’importance commerciale ou à la dimension de l’installation”.
19À Smyrne, entre l’obtention de la première et de la seconde néocorie, donc entre 26 et 123, la cité a organisé une souscription publique “pour la construction du port”, εἰς τὴν το λιμένος κατασκ[ευήν-] (l. 6-7)72. Le reste de l’inscription est malheureusement perdu. Selon L. Migeotte κατασκευçh signifie une transformation complète. La différence avec la maison de collecte des douanes des pêches à Éphèse est qu’ici la cité apparaît clairement comme l’organisatrice de la souscription, tandis qu’à Éphèse il s’agissait plutôt d’une initiative de particuliers. Au ive s., le proconsul Ambrosius de Mylasa construisit le phare de Smyrne73. Au ive ou au ve s., Venetius, vraisemblablement un proconsul d’Asie74, est loué pour avoir construit un môle avec une fontaine dans le port de la cité, si bien qu’à peine sortis de leur navire, les marins peuvent se ravitailler en eau douce. L’épigramme décrit l’émerveillement suscité par la construction : “Qui a transformé la terre ferme ? qui a bâti au milieu des vagues, en blocs de marbre, un promontoire qu’entourent les flots ?” (vers 1 à 3)75.
20Le port d’Éphèse est connu pour les mesures de protection et d’entretien ordonnées par les proconsuls76. Plusieurs particuliers ou la cité elle-même y ont également entrepris plusieurs actions de grande ampleur. Tout d’abord un groupe de professionnels, des pêcheurs et des poissonniers, οἱ ἁλιες καὶ ὀψαριοπλαι, ont entrepris entre 54 et 59 de construire une maison de collecte des taxes liées à la pêche et la vente du poisson, τὸ τελωνον τς ἰχθυικς (l. 9)77. La nature du bâtiment pourrait inciter à penser qu’il ne s’agit pas d’un bâtiment public. Mais la collecte des taxes est une activité publique ; et surtout, le vocabulaire de la construction, de la dédicace, est le même que dans les autres inscriptions (“ils ont fait construire à leurs frais et ont offert”, κατασκευάσαντες ἐκ τν ἰδίων ἀνέθηκαν, l. 10 ; la dédicace est adressée à la cité d’Éphèse, à l’empereur et sa famille, au peuple des Romains). De plus, ces souscripteurs “ont reçu le terrain par un décret de la cité”, τὸν τόπον λαβόντες ψηφίσματι ἀπὸ τς πόλεως. Certains soucripteurs se sont occupés d’un élément architectural précis : des colonnes (l. 14, l. 21, l. 26, l. 28, l. 31, l. 34, l. 36, l. 39 etc.), “le pavement de l’espace découvert en marbre de Phocée sur 100 coudées” (l. 18), το ὑπαίθρου στρσαι λίθωι Φωκαικι πήχεις ρ’, “le pavement en marbre de Phocée du tétrastyle qui se trouve près de la stèle” (l. 22-24), στρσαι τὸ τετράστυλον τὸ παρὰ τὴν στήλην λίθωι Φωκαικι, “deux colonnes près du Samothrakion78 avec leur base” (l. 70-71), κείονας β’τοὺς παρὰ τὸ Σαμοθρᾴκιν σὺν τος ὑποκειμένοις βωμος, des tuiles, des briques. Les autres donnent des sommes d’argent. La liste des souscripteurs n’inclut pas seulement de modestes pêcheurs, mais aussi des citoyens romains. La noblesse des matériaux choisis, les marbres renommés, l’architecture en marbre plutôt qu’en bois et l’utilisation de colonnes qui doivent former des façades à portiques créant une uniformité avec les bâtiments alentour, montrent qu’un soin particulier fut accordé à cette pêcherie. La perception de la douane d’Asie à Éphèse explique peut-être le soin apporté à la construction ; mais seuls apparaissent dans cette inscription des particuliers d’Éphèse, représentatifs de l’ensemble de la société éphésienne, non le proconsul ni l’un de ses subordonnés.
21Au début du iie s., T. Flauius Montanus fut honoré pour avoir donné 75 000 deniers “pour la construction du port” (l. 14-15), εἰς τὴν το [λιμέ]νος κατασκευήν79. C. Licinius Maximus Iulianus a entre autres bienfaits donné de l’argent pour le port, au début du iie s.80 à l’occasion de sa prytanie : εἰς τὴν τ[ο] λιμένος κατασκευήν (l. 14-15). Vers 120, la cité entreprit de construire une jetée d’environ 18 mètres pour contrôler le Manthitès, sur ordre de l’empereur. Cette action était coordonnée avec le programme inauguré par Hadrien pour canaliser le Caÿstre, afin de protéger les ports de la cité de l’ensablement81. Enfin, à la fin du iie siècle, le sophiste T. Flauius Damianos construisit des îles artificielles dans le port d’Éphèse pour que les grands navires de commerce puissent y débarquer leur chargement sans risque de s’échouer82. Sous Sévère Alexandre, M. Aurelius [-] est honoré entre autres raisons pour “avoir donné, à l’occasion de sa grande-prêtrise, pour draguer le port, 20 000 deniers”, δόντα καὶ ἐν τ καιρ τς ἀρχιερωσύνης εἰς τὴν ἀνακάθαρσιν το λιμένος δηναρίων μυριάδας δύο (l. 10-13)83. À la même époque, grâce au legs de M. Fuluius Publicianus Niképhoros, la porte sud du port fut construite (l’inscription se trouvait sur la façade orientale de la porte sud du port, sur l’architrave) : [- κατεσκε]ύ[α]σ[ε]ν ἐκ κληρονομίας [Μάρ]κου Φουλβί[ου Ποπλικιανο Νε]ικηφόρου ἀσιάρχου [–]. L’héritage aurait donc été laissé à la cité pour qu’elle accomplisse la construction qui, d’après R. Heberdey, devait être appelée en grec πρόπυλον84. La porte nord portait une inscription conservée de manière très fragmentaire, mentionnant le proconsul L. Egnatius Victor Lollianus85. Vers 250 les orfèvres d’Éphèse honorèrent Valerius Festus qui a dirigé l’agrandissement du port : τὸν δὲ λιμένα μείζονα Κροίσου ποιήσαντα (l. 12-13)86. La référence à Crésus est remarquable : le roi lydien avait vers 560 conquis la cité, encouragé la construction du temple d’Artémis et réalisé un synœcisme à l’emplacement actuel de la cité, alors que les habitants grecs habitaient jusqu’alors sur l’Acropole. On attribue donc à Festus un mérite supérieur à celui de Crésus, un des fondateurs historiques de la cité. Festus est également honoré pour ses prestigieuses origines : il est “de rang proconsulaire depuis ses ancêtres”, τὸν ἐκ προγόνων ἀνθυ (πατικόν). L’intervention dans le port d’Éphèse suscite l’intérêt d’évergètes qui ont également voulu embellir le paysage urbain de leur cité par des constructions de portiques, à l’agora ou entre la cité et le temple d’Artémis à Éphèse, comme T. Flauius Damianos.
22Enfin, au sud de la province d’Asie, à Halicarnasse, à la fin du iie s., Kalokairos et Eutychès, les agents (πραγματευταί) de M. Aurelius Myndios Matidianus Pollio, fermier général de la douane d’Asie pendant trente ans, “ont fait construire la maison des douanes avec son portique, avec tout son ornement, à partir des fondations”, τὸ τελώνιον κα[ὶ] σὺν αὐτ στοὰν σὺ[ν] τ παντὶ κόσμῳ ἀ<π>[ὸ] τν θεμελίων κατεσκεύασαν (l. 10-14)87. Comme à Éphèse, cette construction s’harmonise avec le reste de l’environnement urbain grâce au portique.
Conclusions
23Les sources épigraphiques et littéraires convergent pour indiquer que le port fait pleinement partie de l’ornement de la cité. À part l’intervention attendue des gouverneurs à la fin de l’Antiquité, et une réglementation au Haut-Empire édictée par le gouverneur d’Asie en particulier à propos du port d’Éphèse, ce sont les particuliers, groupes de particuliers ou la cité elle-même qui financent les travaux. Ils sont très coûteux : Adimante, dans le Navire ou les Souhaits de Lucien88, se plaisant à imaginer ce qu’il ferait s’il devenait riche grâce au commerce maritime, énumère les largesses et constructions qu’il ferait à Athènes : “distribution de cent drachmes par mois à chaque citoyen, et la moitié à chaque métèque, construction de théâtres et de bains publics de toute beauté. La mer arrive jusqu’au Dipyle, où je creuse un port dans lequel l’eau est amenée par un grand canal, afin que mon vaisseau puisse mouiller près de chez moi et qu’on le voie du Céramique”. Horace qualifiait la construction des ports d’opus regis89 : “Nous pouvons creuser des ports pour abriter nos vaisseaux contre les vents : c’est une œuvre digne d’un roi”. L’ampleur des travaux justifie ce jugement ; mais surtout, Horace écrit à Rome, alors qu’Auguste monopolise désormais les entreprises édilitaires. En Asie, les particuliers qui entreprennent de grands travaux au port, comme Antonia Tryphaina, T. Flauius Montanus ou T. Flauius Damianos se distinguent néanmoins par des évergésies particulièrement fastueuses.
Notes de bas de page
1 Voir Mitchell 1987, 339-342.
2 Vitr. 1.3.1. Cette vision des murailles est déjà dépassée à l’époque à laquelle écrit Vitruve
3 IBeroeae, 2.
4 Aristid., Or., 25.7.
5 Flor., Epit., 1.40.15.
6 Str. 14.1.37.
7 Halkin 1982, 2-5.
8 Gr.Naz., Carm., 33.6.
9 Aristid., Or., 50.20.
10 Philostr., VS, 2.23 [605].
11 De Bernardi Ferrero 2002, 3.
12 A.Phil. 13.3 (Bovon & Geoltrain 1997, 1287 et n. 3).
13 Aristid., Or., 17.17. Les faubourgs sont désignés par le terme τὰ προάστεια. Voir également 23.21.
14 Lib., Or., 11.231 (traduction Festugière 1959) : ἀθρείτω δή τις καὶ τὰ πρὸ τν πυλν οὐ γὰρ ἀξιώσει γε πανδοκεα προσειπεν, ἀλλὰ φυλὰς πόλεως, ἀλλ’ ὡς ταύτης εναι μόνης · οὕτως ἠκρίβωται πρὸς τὸν εἴσω ζλον τὰ ἔξω καὶ τρυφ καὶ λουτρος καὶ τέχναις καὶ τ συνοικεσθαι. Voir également 11.232 : “quand on sort de la ville, on croirait voir sous un modèle plus petit ce qu’on vient de quitter, et que, pour qui entre dans la ville, le faubourg hors les murs donne à l’avance une idée de la ville intérieure”, ἐξελαύνων φήσεις ἐν βραχυτέρῳ τύπῳ θεωρεν ἃ ἀπολέλοιπας, καὶ εἰσελαύνοντι προμεμήνυται τος ἔξω τὰ εἴσω.
15 Voir fig. 10.
16 Sur les gouverneurs ayant concouru à la rénovation ou la construction de murailles, voir III. 2 ; pour les références prosopographiques, le tableau 2 de ce même chapitre.
17 Informations archéologiques sur la porte de Magnésie et la muraille de Lysimaque : Scherrer 2000, 66-69.
18 Il faut exclure le cas d’une inscription de Cyzique qui a été interprétée comme la dédicace d’un arc à Claude, alors qu’il s’agit probablement d’un autel : seule la première lettre du nom du monument subsiste (A [-]). Le bloc sur lequel se trouve l’inscription est “un piédestal rectangulaire d’un peu plus d’un mètre de haut” selon G. Perrot, aussi la dédicace en latin à Claude comportant le nom du monument dédié est-elle probablement inscrite sur ce monument même, de l’avis du premier éditeur (Perrot 1876, 100, restitue a [ram] à la l. 5 tandis que dans CIL III, 7061 la restitution arcum est préférée).
19 Sartre 1995, 140-141.
20 IK, 53-Alexandreia Troas, 34.
21 Mitchell 1987, 339 (il donne l’exemple également en Asie mineure de la colonie d’Antioche de Pisidie).
22 Parapetti 1987, 117.
23 Voir les sources littéraires rassemblées à ce sujet par Ritti 1985, 24.
24 Gros 1996b, 52.
25 Mesures d’après Judeich 1898, n. 5a et 5b ; voir IK 59, 169 qui tient compte des améliorations apportées par Eck 1970, 77-81.
26 De Bernardi Ferrero 2002, 18.
27 IK, 49-Laodikeia, 24 ; IK 59, 170.
28 Philostr., VS, 1.25 [543].
29 MAMA VI, 52 (selon l’éditeur, la pierre aurait pu être déplacée de Hiérapolis).
30 De Bernardi Ferrero 2002, 17.
31 Robert 1978, 402.
32 Berns & Mert 1999, 198-203 no 1, et ill. planche XV.
33 Mert 1999, 309-313.
34 Zos. 1.34.3 et 1.35.
35 Spanu 1997, 82-90.
36 von Gerkan 1935, 126-127.
37 Sur Dorylée, Belke & Mersisch 1990, 77 et 238-241 ; Magie 1950, 1566-1568, pour la réunion de la documentation. Construction d’une muraille à Hiérapolis avec des matériaux de remploi à la fin du ive s. : Belke & Mersich 1990, 270.
38 Hellmann 1994, 165-166 no 46.
39 IK, 12-Ephesos, 452 ; SGO I, 03/02/19.
40 Sur l’identification de ce personnage, voir Knibbe & Engelmann 1984, 140-141 ; Feissel 1998a, 130-131.
41 Wulf 1994, 168-170 ; voir également Radt 1988, 73-82 et Radt 2001, 52.
42 SGO I, 01/19/37.
43 Voir le plan d’Aphrodisias (fig. 4).
44 Smith & Ratté 2004, 147.
45 C’est la dernière mention de ces institutions sous cette forme à Aphrodisias.
46 Roueché [1989] 2004, 22.
47 Roueché [1989] 2004, 19.
48 Sardis, 83 ; Robert 1948a, 35-37 ; SGO I, 04/02/06. Voir les commentaires de Foss 1976, 22.
49 IK, 24.1-Smyrna, 845 ; SGO I, 05/01/07.
50 Amm., 31.1.4-5.
51 Le cas de Laodicée du Lycos est ambigu, en l’absence de toute inscription : capitale de la Phygie Pacatienne, la construction des murailles peut être un signe du nouveau statut de la cité (sur les murailles, voir Gelichi & Negrelli 2000, 126-129), comme à Aphrodisias, nouvelle capitale de la province de Carie. En revanche à Hiérapolis de Phrygie la manière dont les murailles furent construites au début du ve s. lève toute ambiguïté : il s’agit d’assurer sa défense sur un noyau urbain replié. La nouvelle muraille coupe la grande agora et une partie de la platéia prévue par Sex. Iulius Frontinus vers le sud (Bejor 1999, 105 ; D’Andria 2001, 112). Au nord la porte de Frontinus ne marque plus la limite de la cité, désormais réduite.
52 Expos. mundi, 42.
53 Str. 14.1.37 et Luc., Im., 11.
54 Philostr., VA, 4.7.
55 Men. Rh. 2.386.
56 Men. Rh. 2.382.
57 Jos., BJ, 1.411. Voir aussi AJ, 15.13.
58 Flor., Epit., 1.40.15 : “Cyzique, ville célèbre, constitue, avec sa citadelle, ses remparts, son port et ses tours de marbre, un des fleurons du littoral asiatique”.
59 Str. 13.1.18 sur Lampsaque et 14.2.15 sur Cnide.
60 Str. 14.1.37.
61 Aristid., Or., 17.9-11.
62 Behr 1981, 358.
63 Aristid., Or., 18.5-6 : νν δὴ τὸ κάλλιστον εδος παρέσται δοκεν, τοτο μὲν ἐξαίφνης ἐκφανὴς ἐγγιγνομένη, τοτο δὲ ἀπαντικρὺ γιγνομένῳ, τοτο δ’ἐκ προαστείων, ἐκ πορθμν, ἐκ πελάγους, ἐκ γς, ἐκ θαλάττης. τατα μὲν τὰ πρὶν ἐντυχεν. (…) λιμένες ποθοντες τὰς τς φιλτάτης πόλεως ἀγκάλας, κάλλη γυμνασίων ἀμύθητα, ναν καὶ περιβόλων χάριτες, πο ποτε γς ἔδυτε κόσμοι παραλίας, πάντα ἐκενα ὀνείρατα.
64 Aristid., Or., 23.20 et 24.
65 Iul. Ascal., 52.3-4 (trad. Saliou 1996).
66 Ni dans les inscriptions ni dans les attestations littéraires n’apparaissent – sauf erreur de notre part – des arsenaux, τὰ νεώρια, alors que Dion de Pruse et Aelius Aristide mentionnent ceux de Rhodes et Athènes (Dion de Pruse cite ceux d’Athènes, 48.12 ; Aristid., Or., 25.3 et 64, en parle également, pour Rhodes)
67 Datation proposée par Knibbe fondée sur la mention de trois néocories des Augustes dans la titulature ; voir Heller 2006, 387-388 en ce sens.
68 Joubin 1894, 46-47 (il date la dédicace d’une époque contemporaine de celle de Tryphaina) ; Syll.3, 799 II.
69 Joubin 1893, 8 (édition, traduction, et commentaire du texte) et Joubin 1894, 45 (observations sur la pierre elle-même) ; Syll.3, 799.
70 Sève 1979 ; sur les ports de la cité, voir 349-351.
71 Des raisons historiques peuvent aussi expliquer cette attitude : Cyzique est une cité fière de sa flotte de guerre, qui lui avait valu l’alliance de Rome.
72 IK, 24.1-Smyrna, 696 et Migeotte 1992, 205-206, no 66.
73 AP 9.671 ; Feissel 1998a, 134 ; SGO I, 05/01/18.
74 Jones 1994, 220-222 pour l’étude de cette épigramme.
75 AP 9.670 ; SGO I, 05/01/19.
76 Voir III.2.
77 IK, 11-Ephesos, 20.
78 Selon Scherrer 2000, 151, il s’agissait d’un lieu du culte à mystère de Samothrace.
79 IK, 16-Ephesos, 2061 et Add. p. 21-22.
80 IK, 17.1-Ephesos, 3066.
81 Knibbe et al. 1993, 122-123.
82 Philostr., VS, 2.23 [606].
83 IK, 17.1-Ephesos, 3071.
84 IK, 17.1-Ephesos, 3086. Sur cette porte, voir Scherrer 2000, 178.
85 IK, 17.1-Ephesos, 3091. Erkelenz 2004 (AE, 2004, 1405) corrige les conclusions des éditeurs de l’inscription et établit à juste titre que la porte comportait simplement une statue et sa base inscrite, en l’honneur du gouverneur. Une autre porte (ou propylée) se trouvait encore dans le port d’Éphèse, la “porte du milieu”, qui daterait de l’époque d’Hadrien, et qui marque la jonction entre l’Arcadianè et les quais du port (Scherrer 2000, 178-179). Sur la datation du proconsulat de L. Egnatius Victor Lollianus, voir Loriot 1997.
86 Knibbe & Iplikçioğlu 1984, 130-131.
87 ILS II, 2, 8858 ; OGIS II, 525. Sur ce personnage, PIR² A 1559.
88 Luc., Nav., 24.
89 Hor., Ars, 65.
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