Chapitre I. Présentation du règlement des mystères d’Andania
p. 49-63
Texte intégral
Découverte de l’inscription et premières éditions
1La Messénie possède deux plaines : la plaine inférieure, constituée par les alluvions du Pamisos, dans lequel Strabon reconnaît le fleuve le plus important du Péloponnèse et qui, dans l’Antiquité, était navigable de Thouria jusqu’à la mer, et, la plaine supérieure, que le Géographe appelle Stényclaros. La première, où s’étendaient les territoires de Thouria et de Pharai (cette dernière, à l’emplacement de Kalamata) était probablement, dans l’Antiquité, en grande partie marécageuse et donc sans grand intérêt agricole. La seconde, en revanche, constitue le cœur de la Messénie ; c’est elle qui avait suscité, à l’époque archaïque, la convoitise des Spartiates et c’est là qu’Épaminondas implanta la capitale du nouvel État messénien en 370/369, sous la protection de l’Ithôme. Limitée au nord par les montagnes d’Arcadie (qui alimentent l’Alphée, la Néda et le Pamisos avec ses affluents), à l’ouest par les monts de Kyparissia dont le massif de l’Ithôme constitue l’avant-poste et à l’est par la chaîne du Taygète qui l’isole de la plaine laconienne, la plaine supérieure bénéficie d’un climat et d’une fertilité qui en font l’un des terroirs agricoles privilégiés de Grèce continentale. En quittant l’Arcadie, le voyageur d’aujourd’hui découvre du haut de la passe de Dervéni un océan de verdure où dominent les verts sombres des champs de maïs et des vergers de figuiers, paysage qui contraste vivement avec l’aridité et la pauvreté agricole de la plaine de Mégalopolis1.
2C’est sur la bordure occidentale de cette plaine, au pied des premiers contreforts du Lycée que fut découvert fortuitement en 1858 le règlement des Mystères d’Andania ; le lieu de trouvaille se situe non loin du carrefour où se croisaient la route, qui, d’ouest en est, joignait Kyparissia à la plaine de Stényclaros et celle qui, depuis Messène, conduisait à Mégalopolis. Aujourd’hui, la route de Kyparissia suit d’abord le lit de la rivière côtière, la Kυπαρισσεις, puis passe entre les Monts Tétrazio (qui appartiennent au massif du Lycée), au sud de l’Arcadie et le massif des Monts de Kyparissia (l’antique Aigaléos)2 ; c’était assurément le tracé de la route antique, car la topographie l’impose3. La route Messène-Mégalopolis qui passe par Andania emprunte, depuis la porte d’Arcadie à Messène, le pont antique dit de Mavrozouménos qui enjambe deux affluents du Pamisos, près de l’actuelle Méligala4.
3Le texte est gravé sur deux blocs de calcaire ; ils ont été exhumés en septembre 1858, “à dix minutes au sud du village de Kônstandini, dans un endroit appelé Kamarais ou Képhalovrysis”5. Ce lieu-dit se trouve dans le village actuel de Polichni, autour de la source de Divari que N. Valmin identifia avec la source appelée Hagna dans le règlement des Mystères (l. 84).
4La première stèle porte (d’après H. Sauppe) les lignes 1 à 54, la seconde, les lignes 53 à 184 ; les lignes 117 à 184 sont gravées sur le côté droit. On discute pour savoir si les deux pierres appartenaient originellement à la même stèle (c’est l’avis de Fr. Sokolowski6) ou si elles étaient distinctes, comme le laisse penser la répétition fautive de deux lignes à la fin de la première et au début de la seconde (c’est le point de vue de H. Sauppe et son argument emporte l’adhésion)7.
5Immédiatement après leur découverte8, les deux stèles ont été remployées et scellées symétriquement dans le porche de l’église de Kônstandini (dont dépendait, à l’époque de la découverte, le hameau de Polichni) ; elles s’y trouvent encore aujourd’hui, disposées de telle sorte que le texte apparaît verticalement ; la première partie, à droite du porche, est bien conservée, la seconde un peu moins lisible.
6La première pierre est presque intacte, mis à part le coin supérieur gauche, mais on restitue facilement les quelques lettres manquantes au début des quatre premières lignes. Quelques fissures ou accidents postérieurs au premier déchiffrement ont rendu les lignes 20-21 et 37 partiellement illisibles ; à partir de la ligne 44, les caractères sont un peu effacés, sur la partie droite de la pierre surtout.
7Il semble que les deux pierres ont été retaillées pour être remployées : actuellement, la ligne 51 est la dernière inscrite sur le premier bloc (on lit aussi les deux tiers de la ligne 52 et un quart de la ligne 53) et la ligne 57, la première entièrement lisible sur le second (on lit aussi le début des lignes 55 et 56).
8Ce dernier est abîmé par de nombreuses fissures ; il est cassé sur le bord gauche, au début des lignes 63-68 et 95 à 116 ; de plus, une lacune affecte les lignes 95-98. A la ligne 98, après δραχμν, il manque une somme qui n’a pas été gravée.
9Enfin, les lignes 117 à 194 ne peuvent plus être consultées puisqu’elles se trouvent sur la tranche de la pierre dissimulée par le mur.
10La gravure est très soignée et très régulière : on voit encore les lignes de réglage ; (pour les lignes longues) le nombre de lettres ne varie que de deux ; pour les lignes gravées sur la tranche, le nombre oscille entre 13 lettres (l. 148 et 152) et 20 lettres (l. 179) ; la gravure respecte la coupe syllabique (sauf sur la tranche de la pierre).
11La forme des lettres avait permis à elle seule d’établir que l’inscription datait du Ier s. a.C. La plus notable est celle des omicron et de certains ôméga9, plus petits que les autres lettres ; les A, Z, Θ, N, Σ, T, et Ω portent de petits traits qui sont plus petits que des apices. Le style de la gravure est proche de celui des décrets pour Aristoclès et du relevé de l’oktôbolos eisphora (IG, V.1, 1432 et 1433) – ce qui avait conduit Ad. Wilhelm à les dater de la même époque10.
12Malgré l’absence d’intitulé, la date du texte peut être sûrement établie, puisqu’est mentionnée à plusieurs reprises la date de la première institution des hiéroi : “la 55e année” (l. 10-11, 52, 54 [restitution qui est certaine], 90). Les premiers commentateurs ont compris qu’il s’agissait de l’ère macédonienne ou de l’ère achaienne. En fait, lorsqu’elles devinrent autonomes à la suite de la dissolution du koinon achaien par les Romains, les cités péloponnésiennes qui le composaient (Messène y compris) adoptèrent l’ère achaienne11 dont le point de départ était traditionnellement fixé en 146/145. J.-L. Ferrary suggère de le repousser en 145/14412 : on aboutit donc pour notre texte à la date de 92/91 (selon la première hypothèse) ou de 91/90 a.C. (d’après la seconde, qui semble préférable).
13Le règlement a manifestement été gravé à l’occasion d’une réforme ou d’une restauration du culte. Cette hypothèse paraît fournir une explication plausible à l’exceptionnelle longueur de l’inscription. En effet, la plupart des règlements cultuels que nous connaissons touchent, chacun, seulement à quelques aspects du culte : les uns énumèrent les conditions de pureté rituelle requises pour y participer, les autres prescrivent le contenu des sacrifices, la tenue vestimentaire des participants, le comportement à adopter dans le sanctuaire13. Le règlement d’Andania, lui, décline toutes les rubriques qu’autorise le genre. Dans la mesure où il vise à règler tous les détails de la fête qu’il appelle “les sacrifices et les Mystères” (l. 39, 74, 75, 85-86, 183-184), il se rapproche de certaines fondations hellénistiques ou impériales dont les règlements sont également très développés, comme la fondation d’Épictéta à Théra ou celle des Démosthéneia à Oinoanda14. Cependant, l’idée qu’il s’agirait d’une fondation est à rejeter car c’est la cité qui finance la réforme des Mystères et leur célébration à l’avenir ; après avoir fixé les taxes qu’elle retirera des Mystères et évalué les dépenses qui restent à assumer (l. 48-52, 55-57, 59-64), le rédacteur du règlement s’assure que la fête ne coûtera pas d’argent à l’État, mais prévoit, tout au contraire, qu’elle lui en rapportera (l. 45-46, 57-59, 63-64). W. Larfeld l’appelle “Tempelordnung” et le compare au règlement du sanctuaire d’Athéna Aléa à Tégée (début du ive s. a.C.) ou à celui de l’Amphiaraion d’Oropos (première moitié du ive s. a.C.)15.
Le lieu de découverte de l’inscription : le Carneiasion
14Le règlement des Mystères désigne explicitement le Carneiasion comme le lieu où se déroulent “les sacrifices et les Mystères” et Pausanias précise qu’ils sont accomplis dans un bois sacré (ἄλσος) appelé Carneiasion16 ; le Carneiasion cependant n’est pas nommé comme tel dans l’inscription : ce fait ne doit pas étonner car le mot n’est attesté dans le sens précis de “bois sacré” (c’est-à-dire propriété d’un sanctuaire) que dans les sources littéraires et non dans les textes épigraphiques17. En revanche, le Périégète rattache le Carneiasion à Andania et il n’y a guère de doute sur l’interprétation de ces deux témoignages : ils font l’un et l’autre référence au même sanctuaire dédié à Apollon Carneios, théâtre, d’après le diagramma, des Mystères des Grands Dieux et, chez Pausanias, de Mystères des Grandes Déesses18. La Périégèse décrit l’itinéraire qui mène au sanctuaire depuis Messène : il faut emprunter la route de Mégalopolis, qui au-delà de la porte d’Arcadie se dirige vers le nord, puis franchit le triple pont, dit de Mavrozouménos (dans l’actuel bourg de Méligala), et conduit au bois sacré en longeant le cours du Charadros (toujours vers le nord). En fait, dans l’Antiquité il n’existait pas une seule route, mais deux pour relier Messène et Mégalopolis ; naturellement, l’une et l’autre partaient de la porte d’Arcadie à Messène et passaient par l’actuelle Méligala. C’est là qu’elles divergeaient, la première suivant l’affluent du Pamisos dont le cours est orienté à peu près nord-sud, la seconde, passant plus à l’ouest, se poursuivait jusqu’à la passe de Dervéni19.
15Comme Pausanias affirme que le Carneiasion se trouvait à proximité d’Andania, les historiens pensaient, s’ils identifiaient le bois sacré, pouvoir situer facilement Andania qui n’était manifestement plus une cité à l’époque hellénistique et dont le Périégète n’avait pu voir que les ruines (4.33.6), mais qui était réputée comme la première capitale de la Messénie, le lieu de naissance du héros de la “Deuxième guerre” de Messénie, Aristomène, et comme le lieu originel des Mystères. Or, jusqu’à la découverte des pierres sur lesquelles est gravé le règlement des Mystères, on savait surtout qu’Andania se trouvait sur une route entre Messène et Mégalopolis, puisque, en 192/191 a.C., Flamininus y rencontra le stratège achaien Diophanès qui dut renoncer à soumettre Messène20. Avec comme documents essentiels les mentions incidentes d’Andania chez Polybe, Tite-Live, Strabon21, mais sans beaucoup tenir compte de l’itinéraire décrit par Pausanias pour se rendre au Carneiasion, les savants du xixe s. avaient cru pouvoir la situer dans la plaine de Stényclaros, à proximité de la passe de Dervéni, l’accès principal depuis la Messénie à la plaine de Mégalopolis22.
16Cette identification semblait confirmée par l’existence d’un village du nom de Sandani, situé à mi-chemin entre Méligala et la passe de Dervéni, distant de cinq kilomètres environ du lieu de trouvaille du règlement des Mystères. Ce toponyme était en effet interprété comme le résultat phonétique de (εἰ)ς Ἀνδανίαν an comme Istanbul s’explique par εἰς τὴν πόλιν. A la suite de W. Gell, qui avait suggéré cette étymologie, E. Curtius crut identifier les ruines d’Andania près du village de Sandani ; cette hypothèse (que ne confirmait la trouvaille sur place d’aucune inscription) fut reprise par K. O. Müller23 et connut suffisamment de succès pour que le village prenne le nom d’Andania qu’il porte encore aujourd’hui. Sandani-Andania se trouve près de l’affluent le plus oriental du Pamisos, que ces savants identifiaient donc comme le Charadros, cité par Pausanias dans son itinéraire de Messène au Carneiasion (4.33.3). Au-delà de Sandani, en poursuivant son chemin en direction de Mégalopolis, on atteignait la passe de Derveni et on rencontrait au nord-est de la plaine de Stenyclaros un promontoire appelé Helléniko (surplombant la gorge d’Isari), où se dressent effectivement des fortifications qui semblent contrôler le passage vers Dervéni24 : c’est le site que Fr. Hiller von Gaertringen et H. Lattermann identifièrent comme l’ancienne Andania25.
17Le résultat de leur démonstration fut mis en doute par N. Valmin, qui explora, entre autres, la plaine supérieure de Messénie à la recherche d’un autre site possible. Il lui semblait, en effet, que le lieu de trouvaille du règlement des Mystères révèlait sans aucun doute le site du Carneiasion ; or l’identification proposée par les deux savants (et qui reposait surtout sur l’existence de vestiges archéologiques) supposait que les deux lourdes stèles avaient été déplacées sur cinq kilomètres. Il est surprenant qu’ils aient maintenu cette identification, résultant d’hypothèses formulées exclusivement à partir de minces témoignages littéraires, alors que la découverte des stèles la ruinait.
18Comme N. Valmin l’affirme de manière convaincante, en alléguant le poids des stèles (400 kg selon lui), il faut se rendre à l’évidence : leur lieu de trouvaille révèle sans conteste le site du Carneiasion, bois sacré que Pausanias dit appartenir à Andania (aussi bien dans les chapitres historiques que dans la partie topographique du livre IV). Le Périégète est notre seule source sur ce point et – pour des raisons qui lui sont propres et sur lesquelles nous aurons à revenir26 – il a tendance à surévaluer le rôle d’Andania dans l’histoire messénienne. Les indications topographiques qu’il fournit sont donc probablement très fiables d’autant qu’il a manifestement visité le Carneiasion par intérêt personnel pour les Mystères – contrairement à d’autres sites ou sanctuaires messéniens pour lesquels le trajet indiqué, réduit à une vague orientation, voire la description elle-même trahissent l’ignorance de celui qui n’a pas lui-même visité les lieux et parle par ouï-dire (elle est flagrante pour le fameux sanctuaire d’Artémis Limnatis situé dans le Taygète27).
19Pour situer Andania, il paraît sage de revenir à l’itinéraire du Périégète, le seul auteur à nous fournir quelques éléments topographiques : il part de Messène et en l’occurrence de la porte d’Arcadie, au nord. Il suit alors le chemin probable qu’empruntait la procession ouvrant la célébration des Mystères et qui conduisait les participants depuis Messène jusqu’au Carneiasion ; il mentionne quelques étapes qui ont dû lui servir de repères dans sa propre excursion au sanctuaire : en l’occurrence, deux rivières, la Balyra, le Charadros28.
20En s’appuyant sur le texte de la Périégèse, N. Valmin a montré qu’il fallait plutôt chercher Andania au nord du triple pont de Mavrozouménos, qui repose encore sur des soubassements antiques (autrefois identifié par l’Expédition Scientifique de Morée, il réunit trois routes, l’une vers le sud-ouest et Messène, la deuxième vers l’est, l’actuelle Méligala et la vallée inférieure du Pamisos, la troisième, vers le nord et Andania29). N. Valmin s’oriente ensuite vers l’ouest de la plaine de Stényclaros et longe le cours de la rivière aujourd’hui appelée Amphita pour arriver au village actuel de Polichni30. C’est là en effet qu’ont été exhumées les stèles gravées, au lieu-dit Képhalovrysis (“Tête de sources”), Divari, ou encore Kamarais31. On trouve aux alentours du site beaucoup de pierres antiques ; certaines ont été remployées dans le bassin où débouche la source, comme N. Valmin l’avait noté32. D’autres inscriptions ont été trouvées à proximité de Divari, en particulier la dédicace de Tibérios Claudios Crispianos33.
21On voit que le lieu de découverte des stèles impose l’identification de la source Divari avec Hagna34. Reste la question de savoir où se trouvait Andania. Pausanias nous indique une distance de 8 stades (soit 1,5 km) entre le sanctuaire et l’établissement. Le compte rendu de l’expédition de l’Université du Minnesota en Messénie présente un schéma en relief de la plaine de Stényclaros, où subsistent au no 212 les témoignages d’un habitat identifié avec Andania ; il s’agit d’une colline qui domine Divari, avec au sommet une chapelle dédiée à Hagios Taxiarchos35. Cependant, N. Valmin y avait reconnu le site du temple des Grands Dieux36 ; cette dernière hypothèse paraît beaucoup plus vraisemblable à cause de la trop faible distance séparant Divari et la colline (quelques centaines de mètres).
22D’après le récent survey de l’Université du Minnesota, un autre site pourrait correspondre à Andania : situé plus au nord que ce dernier, dans le village de Kato Melpia (MME no 216), il abrite une source. L’argument le plus séduisant en faveur de cette hypothèse réside dans la présence d’une chapelle dédiée à Hagios Démétrios, saint orthodoxe qui favorise la fertilité du sol et, à ce titre, succède souvent à Déméter. Cependant l’isolement du site et son éloignement par rapport à la source de Divari (environ 8 km) rendent cette hypothèse peu vraisemblable.
23En somme, la découverte du diagramma permit d’écarter une localisation erronée avancée pour l’ancienne Andania. Le Carneiasion (situé dans l’actuelle commune de Polichni) était à l’époque hellénistique un sanctuaire de la chôra messénienne dont le décor champêtre devait contraster avec les constructions grandioses de la ville de Messène. L’ampleur de la fête n’était certainement pas considérable, bien que le sanctuaire se trouve sur la route de Kyparissia et de Mégalopolis ; par des chemins de montagnes, il n’est pas très éloigné de Lycosoura (par Kato Melpia) et de Phigalie (par Bassae), les deux sanctuaires du sud de l’Arcadie bien connus pour leurs cultes de Déméter, associée à d’autres divinités37.
De quelle instance le règlement des mystères émane-t-il ?
24Le règlement des Mystères n’a pas d’intitulé ; cette absence a conduit – entre autres raisons – plusieurs savants à supposer l’existence d’une troisième stèle qui n’aurait pas été retrouvée. P. Foucart, ajoute : “Le côté gauche de la pierre avait été travaillé, non pour être mis en vue, mais pour être joint à une pierre semblable. Aussi est-il probable que la première partie de l’inscription était gravée sur un autre bloc”38. La première phrase du texte conservé suppose qu’ait déjà été expliqué le mode de désignation des hiéroi39 et l’adverbe παραχρῆμα fait manifestement allusion à la procédure employée (peut-être au cours d’une séance des synèdres...) : dès leur entrée en charge, les hiéroi prêtent le serment qui prémunit la cité contre les délits ou les sacrilèges qu’ils pourraient commettre.
25Le chapitre concernant la désignation de la commission des Dix (qui ont la haute main sur l’organisation des Mystères) confirme l’hypothèse de l’existence d’un troisième bloc : “Que les archontes et tous les citoyens indifféremment participent au vote et (les) proposent en les choisissant parmi ceux au nombre desquels le règlement prescrit de tirer au sort les hiéroi” (1. 126-132). Or aucun passage du texte, tel que nous le possédons, ne mentionne les conditions exigées pour faire partie des hiéroi (en revanche, on sait que les Cinq qui ont la responsabilité financière de la cérémonie sont soumis à des conditions de cens [l. 46]) ; il est simplement indiqué que les hiéroi sont tirés au sort (l. 31-34). Il est fortement probable que les conditions de désignation des hiéroi étaient tout aussi soigneusement définies dans une partie du texte aujourd’hui perdue. De même, nous ignorons comment les hiérai étaient désignées, bien que soit mentionné, dans les clauses réglementant la procession, un tirage au sort permettant de fixer l’ordre dans lequel elles défileraient. De même, nous ignorons comment la commission de rédaction du texte était composée (l. 113-114) et, dans la mesure où son travail a été soumis à une docimasie, il paraîtrait logique que le texte conserve la trace de son mode de désignation (élection, tirage au sort) ou, à tout le moins, de sa composition (effectif, conditions pour être désigné). Si une troisième stèle a effectivement été perdue, alors notre texte était d’une longueur sans exemple dans le corpus des “lois sacrées” actuellement connues.
26L’absence d’intitulé nous laisse ignorer quelle cité organise les Mystères. La pierre a été exhumée à Polichni, c’est-à-dire sur le site du Carneiasion – ce qui ne nous fournit aucune indication. Les premiers éditeurs, tout à la joie d’un rapprochement possible avec le texte de Pausanias, l’ont appelée “règlement d’Andania” et ont parlé, à la suite du Périégète des “Mystères d’Andania”. Or, seul Pausanias fournit un argument en faveur d’Andania puisqu’il prétend que le Carneiasion se trouvait sur son territoire40 et que les Mystères étaient à l’origine célébrés à Andania, première capitale de la Messénie41. Comme ces affirmations appartiennent à la partie pseudo-historique du livre IV, il faut les considérer avec prudence. Puisque, selon le Périégète, Messène n’existait pas avant 370/369 a.C., il faut aux Messéniens et à l’exégète du culte une capitale de rechange, capable d’avoir été la première organisatrice des Mystères. Son habitat abandonné et ruiné fait d’Andania une “première Messène” plausible. Pausanias concède que la prétendue capitale de Polycaôn et de Messènè et la patrie d’Aristomène, détruite à la suite des Guerres de Messénie ou de la domination lacédémonienne42, fut, après la libération thébaine, éclipsée par Messène – les Messéniens auraient refusé de choisir Andania comme capitale du nouvel État messénien parce qu’elle était liée au souvenir de la défaite43. Elle devint à partir de ce moment une place sans grande importance, si ce n’est par sa situation géographique, près de la frontière arcadienne. Nous savons par Polybe44 qu’elle fut attaquée par le roi spartiate Lycurgue en 217 a.C. – à défaut d’une place plus significative –, mais qu’à l’époque de Pausanias (il en témoigne pour y être manifestement allé), elle était en ruines45 alors que les Mystères continuaient à être célébrés au Carneiasion46. Le texte de la Périégèse n’affirme nulle part que les Mystères sont organisés par Andania ; au contraire, la description de l’itinéraire (depuis la ville de Messène jusqu’au Carneiasion) et du sanctuaire tend plutôt à prouver que le bois sacré dépend de Messène.
27Sur Andania en 91/90 a.C., nous ne savons rien de précis et, les deux sites possibles47 n’ayant pas été fouillés, nous ne possédons pas d’autres documents épigraphiques.
28En tout cas, la candidature d’Andania à l’organisation des Mystères semble devoir être écartée. En effet, la cité de Messène regroupe à l’époque hellénistique une grande partie de la population messénienne, peut-être la moitié, comme le suppose C. A. Roebuck48 ; or, comme L. Ziehen l’avait remarqué, le règlement montre que la célébration des Mystères nécessite un bon nombre de citoyens possédant une fortune d’au moins un talent49. Andania ne saurait être au mieux qu’une petite cité, ou plutôt un village, πολίχνιον, nous dit Strabon, parvum oppidum nous dit Tite-Live50, appartenant à la chôra de Messène ; mais rien n’indique qu’elle ait pu être une polis dépendante, à la manière dont Lycosoura dépendait de Mégalopolis51. En tout cas, comme la plupart des savants admettent qu’à l’époque de la restauration des Mystères, Andania n’était pas une cité indépendante, ils s’accordent sur le fait que c’est Messène qui l’a réalisée. Seul S. Accame attribua l’organisation des Mystères à Mégalopolis, en invoquant deux règlements de frontière découverts à Olympie dans lesquels il voit la preuve qu’Andania appartenait à l’Arcadie au ier siècle a.C. Il semble qu’elle avait pu effectivement se trouver sous autorité arcadienne à la suite des règlements territoriaux imposés par les Achaiens après la révolte de Messène en 182, mais qu’elle fut rendue à Messène dans le cadre des règlements succédant à la Guerre d’Achaïe à laquelle Messène n’avait pas participé52.
29Ce qui est démonstratif, mais que ne pouvaient connaître les premiers commentateurs, c’est que l’oracle d’Apollon Pythéen à Argos à propos de la réforme cultuelle (publié en 1909) n’est rendu ni aux gens d’Andania ni à ceux de Mégalopolis, mais bel et bien à ceux de Messène53.
30Pour toutes ces raisons et malgré l’obstination de certains savants à considérer qu’il provient d’Andania, le règlement des Mystères apparaît, avec les décrets pour Aristoclès (IG, V.1, 1432), comme la source principale pour l’étude des institutions de Messène54. Les savants du xixe siècle55 parlaient des institutions d’Andania, même si H. Sauppe s’étonnait de la disproportion entre l’ampleur de la panégyrie et la petite dimension supposée du bourg d’Andania. Il semble que K. Seeliger ait été le premier à formuler l’hypothèse que Messène organisait les Mystères et avait émis le règlement56.
31A sa suite, Ad. Wilhelm affirmait que “la communauté qui organise la célébration des Mystères ne peut pas être Andania, mais seulement Messène”. En particulier, le savant autrichien allèguait, après L. Ziehen57, le fait qu’Andania ne pouvait disposer d’un nombre suffisant de citoyens possédant un τίμαμα μὴ ἔλασσον ταλάντου (“un cens supérieur à un talent”) pour constituer le collège des Cinq et des Dix, d’autant plus que les mêmes citoyens ne pouvaient être désignés deux années de suite pour exercer ces charges (l. 46-47).
32C’est donc Messène qui organisait les Mystères du Carneiasion. Quant à Andania, une liste de contributions récemment découverte et partiellement publiée semble nous confirmer qu’elle n’était plus au ier siècle avant notre ère (ou de notre ère ?) qu’une komè de Messène58.
Nature du texte
33Le règlement des Mystères commence de manière abrupte, sans intitulé et sans indication sur sa nature juridique, puisque le début a disparu. Il est clair cependant que ce texte n’émane ni d’une amphictionie ni d’une instance privée, puisque des magistrats de la cité en grand nombre sont impliqués dans l’organisation et dans la célébration des Mystères. Il s’agit d’un document civique, provenant de Messène.
34Certains savants voient en lui un décret des synèdres parce que ces derniers ont, comme nous le verrons, l’initiative des décrets à Messène59 ; d’autres, une loi60. Cependant le texte ne se nomme lui-même ni décret ni loi, mais διάγραμμα (1. 5, 95, 113, 181-182, 192), et, ailleurs, τὰ γεγραμμένα (l. 5). Mettant en avant l’autorité de la loi écrite, le rédacteur du règlement résume à plusieurs reprises ses injonctions en prescrivant d’agir “comme c’est écrit” (κατὰ τὰ διάγραμμα, 1. 5, ἐν τι διαγράμματι, l. 28, καθὼς ἐν τ[ι] διαγράμματι γέγραπται, 1. 94-95, καθὼς γέγραπται, 1. 102 et 110) et non παρὰ τὰ γεγραμμένα (1. 81-82). Cette référence au caractère écrit du droit n’est pas caractéristique des règlements cultuels, la recommandation de se conformer à la loi écrite se rencontre dans des textes législatifs s’appliquant à d’autres domaines61 ; d’ailleurs des mots dérivant de la racine de γράφειν servent à désigner la loi62. Cependant, cette mention est particulièrement insistante dans le règlement des Mystères.
35Les modernes nomment traditionnellement “lois sacrées” les règlements cultuels comme celui d’Andania ; l’expression ἱερὸς νόμος est attestée dans les textes épigraphiques, y compris en Messénie63, mais n’est pas employée dans IG, V.1, 1390. Bien que les auteurs parlent souvent de “loi sacrée d’Andania”, le mot “règlement” paraît une traduction plus précise pour διάγραμμα.
36Nous possédons de nombreux règlements de culte, dont les dates s’étendent de l’époque archaïque, pour le plus ancien, jusqu’à la fin de l’Antiquité64 ; une majorité appartient à l’époque hellénistique. Placés à l’entrée des sanctuaires, ils fixent d’anciens rituels ou mettent en forme des réformes de cultes. Ils s’adressent, comme les autres textes législatifs, aux citoyens de la cité dont dépend le sanctuaire, mais aussi aux étrangers. Ils règlent les conditions d’admission à l’intérieur de l’espace sacré, fixent la date et le contenu des sacrifices, la teneur des cérémonies, prescrivent tel ou tel comportement de la part des participants, organisent le financement des fêtes, arrêtent le casuel des prêtres.
37A. Maffia tenté de préciser ce que l’on peut entendre par l’expression “droit sacré” en Grèce ancienne en mettant l’accent sur les faits institutionnels (tels les serments des magistrats) qui montrent à quel point le politique et le religieux sont imbriqués dans la polis65. Dans les règlements cultuels, on trouve fréquemment des expressions faisant référence à deux ordres d’exigence morale, le premier en relation avec le divin, le second avec le droit ; mais les deux ordres sont toujours juxtaposés, l’un procédant de l’autre. Dans le règlement des Mystères, une série d’expressions illustre cette double nécessité :
du côté du divin | du côté du droit |
l. 3 θεοπρεπς | καὶ ἀπὸ παντὸς το δικαίου |
l. 4 ἄσχημον | καὶ ἄδικον |
l. 8 ὁσίως | καὶ δικαίως |
l. 40 (τὸν) ἀπρεπς ἀναστρεφόμενον εἰς τὸ θεον | τὸν ἀπειθοντα |
l. 42 εὐσχημόνως | καὶ εὐτάκτως |
38L’expression ὁσίως καὶ δικαίως est souvent employée pour faire référence aux “lois divines et humaines” : par exemple chez Platon δίκαιος καὶ ὅσιος βίος, “une vie qui se conforme aux lois divines (ὅσιος) et humaines (δίκαιος)”, διανέμειν τὰ δίκαια καὶ ὅσια ὀρθῶς πσιν, “appliquer à tous correctement ce qui revient à chacun selon les lois humaines et divines” ; par ailleurs, on trouve à l’époque hellénistique chez Polybe : τὰ πρὸς τοὺς θεοὺς δίκαια καὶ πρὸς ἀνθρώπους ὅσια66. A Lycosoura, le sens de ὁσίως καὶ δικαίως se trouve précisé : πρός τε θεοὺς καὶ πάντας ἀνθρώπους ὁσίως καὶ δικαίως67.
39L’ὅσιον et le δίκαιον ne doivent pas être compris comme deux domaines opposés et séparés, à la manière dont s’opposent le sacré et le profane : il n’y a pas d’un côté l’exigence de respecter des tabous (τὰ ὅσια) et de l’autre celle de se soumettre au droit édicté dans l’ordre politique (τὰ δίκαια) car le droit s’affirme conforme à ce que veulent les dieux et les δίκαια (les actes conformes au droit) sont donc conformes aux ὅσια Reste que ces deux domaines sont nettement distingués par les Grecs : ils les appellent – à notre étonnement – soit ἱερὰ καὶ ὅσια soit ὅσια καὶ δίκαια (comme dans le règlement des Mystères) ; le mot ὅσιος s’applique donc tantôt au domaine divin tantôt au domaine humain68.
40Le sens de ὁσίως καὶ δικαίως recouvre celui d’une autre expression fréquente dans les textes attiques : ἱερὰ καὶ ὅσια. Une étude de ses attestations dans les textes littéraires de l’Athènes classique montre que les deux termes ne s’opposent pas comme “sacré” et “profane”, mais s’applique aux aspects religieux et laïques du système de valeurs sur lequel repose la cité et qui est centré sur la notion de Dikè garantie par les dieux. Dans ce contexte, le respect des ἱερὰ καὶ ὅσια est la marque du bon citoyen69. Si les ἱερὰ καὶ ὅσια ne sont plus respectés, on sort du domaine de la civilisation pour entrer dans une anomie que Thucydide décrit en des termes équivalents en dépeignant les conséquences de la peste à Athènes (2.52.3-53.4)70, qui ôte aux hommes “la crainte des dieux” et “la loi des hommes”– comme celles de la guerre civile à Corcyre (3.82).
41Les lois sacrées répondent à la nécessité d’assurer la permanence des rites. “Un culte, en effet, n’est pas un ensemble de précautions rituelles que l’homme est tenu de prendre dans certaines circonstances ; c’est un système de rites, de fêtes, de cérémonies diverses qui présentent toutes ce caractère qu’elles reviennent périodiquement”71. Leurs conditions fixées par écrit et rendues publiques, ils pourront être exécutés fidèlement, conformément à la tradition (κατὰ τὰ πάτρια – dit l’oracle d’Argos consulté à propos de la réforme des Mystères d’Andania72) ; ainsi l’ordre du monde et, en l’occurrence, les rapports entre les dieux et les hommes, ne seront pas troublés.
42Dans le corpus de lois sacrées que nous possédons, recueillis commodément dans les trois volumes de Fr. Sokolowski, auquel s’ajoute désormais le volume d’E. Lupu (NGSL), rares sont celles qui connaissent une extension comparable à celle du règlement des Mystères d’Andania (194 lignes) : par son ampleur, elle ne peut guère être comparée qu’à la loi athénienne du ive s. a.C. concernant les Mystères découverte dans l’Éleusinion73.
Disposition du règlement d’Andania
43L’objet du règlement des Mystères est d’organiser non seulement tous les détails du culte lui-même – c’est la loi du genre –, mais aussi de la fête profane qui l’accompagne. Elle comporte 26 chapitres dont les titres sont sur la pierre précédés et suivis d’un vacat de la largeur d’une lettre, comme dans les inscriptions athéniennes74 :
§ 1. [Ὅρκος ἱ]ερν καὶ ἱερν.
§ 2. Παραδόσιος.
§ 3. Στεφάνων.
§ 4. Εἱματισμο.
§ 5. Ὅρκος γυναικονόμου.
§ 6. Πομπς.
§ 7. Σκανν.
§ 8. Ἃ [μ]ὴ δε ἔχειν ἐν τας σκανας.
§ 9. Ἀκοσμούντων.
§ 10. Ῥαβδοφόρων.
§ 11. Περὶ τν διαφόρων.
§ 12. Θυμάτων παροχς.
§ 13. Τεχνται εἰς τας χοριτείας.
§ 14. Ἀδικημάτων.
§ 15. Περὶ τν κοπτόντων ἐν τι ἱερι.
§ 16. Φύγιμον εἶμεν τος δούλοις.
§ 17. Περὶ τς κράνας.
§ 18. Θησαυρν κατασκευ[]ς.
§ 19. Ἱερο δείπνου.
§ 20. Ἀγορς.
§ 21. Ὕδατος.
§ 22. Ἀλείμματος καὶ λουτρο.
§ 23. Συνέσιος ἀναφορς.
§ 24. Ἀντίγραφον ἔχειν το διαγράμματος.
§ 25. [Περὶ τς κατα]στάσιος τν Δέκα.
§ 26. Ἀγράφων.
44D’autres textes offrent une disposition comparable : le règlement amphictionique des Pythia de Delphes qui date de 380/379 a. C.75, une inscription d’Érétrie à propos de technites76, la loi des astynomes de Pergame datant du iiie s. a.C.77, la loi gymnasiarchique de Béroia datant de peu avant 167 a. C.78, notamment, adoptent la même disposition79.
45Les titres des chapitres sont soit des nominatifs comme Ὅρκος γυναικονόμου au § 580, soit des génitifs régis par περί comme Περὶ τν διαφόρων au § 1181, soit des propositions à l’impératif ou à l’infinitif : Φύγιμον εἶμεν τος δούλοις au § 16 et Ἀντίγραφον ἔχειν το διαγράμματος au § 4. Tous les autres titres sont au génitif seul82 ; il s’agit du génitif de “rubrique” ou de “titre”83. Il n’y a donc aucune nécessité à restituer per¤ à la ligne 1, comme G. Daux l’a montré84. L’emploi du génitif seul est réservé à la langue juridique et les titres sans article sont aussi peu naturels au grec qu’au français ; c’est pourquoi nous proposons une traduction sans article non plus. En revanche, au § 25, il est d’usage de restituer : [Τς κατα]στάσιος τν Δέκα; la longueur de la lacune (une douzaine de lettres) et les parallèles déjà cités (§ 11 et 17) nous conduisent à préférer [Περὶ τς κατα]στάσιος τν Δέκα, qui ne change pas le sens, mais est plus cohérent.
La langue du règlement des mystères d’Andania
46La “pureté” du dialecte dorien dont usaient les Messéniens – censément encore à l’époque impériale – fait partie des traits hagiographiques prêtés aux Messéniens par Pausanias. Le Périégète leur marque son admiration pour leur piété vis-à-vis de leurs cultes ancestraux et de leur dialecte :
Les Messéniens sont restés en dehors du Péloponnèse pendant plus de trois siècles, pendant lesquels ils n’ont manifestement rien perdu de leurs coutumes locales ni désappris du dialecte dorien ; au contraire, ils gardaient encore de nos jours le plus pur dorien du Péloponnèse85.
47Thucydide témoigne de ce que, au ve s. a.C., les Messéniens de Naupacte parlaient dorien et c’est justement ce qui valut à leur contingent d’être utilisé à Idomènè d’Amphilochie par les Athéniens :
Démosthénès avait placé exprès les Messéniens tous en avant, avec la consigne d’adresser la parole aux adversaires, puisqu’ils s’exprimaient en dorien et inspiraient ainsi confiance aux sentinelles d’autant que le regard ne pouvait les distinguer dans le nuit qui régnait encore86.
48Naturellement, malgré la singularité de l’histoire de ce peuple, le messénien ne fit pas exception à la règle générale de l’influence à l’époque hellénistique de la koinè ionienne-attique sur l’ensemble des dialectes87. Cependant, Pausanias ne s’est pas laissé aller à un accès d’enthousiasme abusif : en effet, à l’époque impériale, on assiste à une réaction archaïsante, particulièrement de son temps justement.
49La langue utilisée dans le diagramma montre une persistance d’anciens traits dialectaux communs avec le laconien pour les uns, propres au messénien pour les autres. Si l’influence de la koinè étolienne y apparaît sporadiquement, il est bien clair que le dialecte, comme c’est généralement le cas à l’époque hellénistique, a reçu l’influence de la koinè attique, tout en essayant de conserver une partie de son originalité.
50En somme le règlement des Mystères est écrit dans ce que les dialectologues appellent la koinè dorienne. Il reflète le jugement général d’A. Meillet sur les dialectes à l’époque hellénistique : “A partir du ive siècle (…), l’influence de la koinè ionienne attique s’étend sur la Grèce entière ; les inscriptions du ive s., même quand elles semblent écrites dans le parler le plus local, portent les traces du fait que ceux qui les ont écrites connaissent la koinè ; on a souvent l’impression qu’il s’agit de koinè patoisée plutôt que d’une tradition locale purement conservée”88.
51On est frappé par le petit nombre de négligences d’orthographe, pourtant fréquentes, par ailleurs, dans les textes de cette époque :
1. 31 Aἰγίλα au datif n’a pas de iota adscrit
1. 84 ὠνο<ι>μασμένας
1. 109 ἐγδιδό<ι>ντο
1. 111 ἐλεύθ(ε)ρον.
52A ces quelques erreurs s’ajoutent de rares graphies phonétiques :
1. 18, 19 πλείονος alterne avec πλέονος
1. 24 σπρα (on attendrait σπερα)
1. 31 ἱέρεα sans iota (on attendrait ἱέρεια).
53L’ampleur du texte, sa prétention à l’exhaustivité, le soin avec lequel il est disposé et gravé, tout indique la solennité de la réforme, que viennent encore confirmer l’engagement de toute la cité dans l’accomplissement du rituel (magistrats divers, hommes libres et esclaves), le dispositif financier mis en œuvre, la consultation de l’oracle d’Apollon Pythéen à Argos.
Notes de bas de page
1 Str. 8.4.1-6 (358-361) ; cf. Curtius 1852, 130-154 ; Meyer 1978a, s.v. Messenien, 185-194 et la carte.
2 Philippson 1959, 382-384.
3 Philippson 1959, 351.
4 Curtius 1852, 150-151 ; cf. la carte de W. K. Pritchett (1985, fig. 1 p. 34) ; infra Pl. 2, p. 274.
5 Foucart 1876, 164 ; Valmin 1930, 92.
6 Sokolowski 1962, LSG, no°65, p. 120.
7 Sauppe 1896, 267, 276 = 1859, 225, 236 ad l. 53-56 ; H. Sauppe n’a pas vu les pierres, mais a travaillé sur un estampage de l’inscription.
8 Sauppe 1896, 267 = 1859, 224.
9 Deux formes différentes sont utilisées, même à peu d’intervalle (l. 83 par exemple τν δραπετικν) : l’une est la forme courante pour τν, l’autre est composée d’un petit cercle qui surmonte un trait horizontal (pour δραπετικν).
10 Wilhelm 1914, 85 sq. ; pour la datation du dossier de l’oktôbolos eisphora, cf. Migeotte 1997, 60-61.
11 Foucart 1876, 164 ; Prott-Ziehen 1906, LGS, II, p. 175 ; Samuel 1972, 97.
12 Ferrary 1988, 189, n. 228 ; le point de départ dépend notamment de la datation de IG, IV.12, 66, à laquelle s’ajoute SEG, XI, 397 (décret d’Épidaure en l’honneur d’Évanthès).
13 Lupu 2005, 9-114.
14 Pour la fondation d’Épictéta (IG, XII. 3, 330) gravée vers 210-195 a.C. : Wittenburg 1990 ; cf. Ph. Gauthier, Bull. 1991, 426. Pour celle des Démosthéneia : Wörrle 1988.
15 Larfeld 1914, 322-323 ; Tégée : LSG, 67 (le texte concerne Athéna Aléa et non Héra, contrairement à l’indication erronée du titre) ; Oropos : LSG, 69 (le texte définit les prérogatives du prêtre, les sacrifices requis et les conditions de l’incubation dans l’Amphiaraion).
16 l. 54-55, 56, 63 et Paus. 4.33.4. Les graphies diffèrent dans l’inscription et dans le texte de la Périégèse : dans le règlement, le sanctuaire s’appelle τὸ Καρνειάσιον (la graphie est étymologique puisqu’il s’agit d’un sanctuaire d’Apollon Carneios). Les manuscrits de Pausanias donnent deux leçons, καρμάσιον (4.2.2) ou κορνάσιον (4.33.5) – qui doivent être corrigées. Elles peuvent s’expliquer par une forme initiale qui serait Καρνάσιον et cette dernière leçon paraît préférable à Καρνάσιον. La fausse diphtongue ει se prononçait [i] depuis le début de l’époque hellénistique au moins ce qui explique la graphie en -σιον des manuscrits ; cf. Ziehen 1926, 30, note 4 ; Guarducci 1934, 177, note 1.
17 Birge 1982, 171 ; Pausanias, en revanche, utilise ce mot très fréquemment : cf. Jacob 1993, 33-35. Le mot ἄλσος est parfois précisé par l’épithète ἱερόν (34).
18 Sur cette discordance entre nos deux sources : cf. Deuxième partie, chapitre 3.
19 Curtius 1852, 135 ; Valmin 1930, 95-97 ; Roebuck 1941, 120 ; cf. la carte de la plaine, infra Pl. 2, p. 274.
20 Liv. 36.31.7 : Andaniam, parvum oppidum inter Megalopolim Messenenque positum ; cf. Paus. 4.33.3-7.
21 Pol. 5.92.6 ; Liv. 36.31.7 ; Str. 8.3.6 (339) ; 3.25 (350) ; 4.5 (360) ; 10.1.10 (448).
22 Pikoulas 1988, 220-221.
23 Curtius 1852, 132-134 ; Gell 1823, 69 ; Müller 1844, 441, note 25.
24 Roebuck 1942, 7 ; Hiller von Gaertringen-Lattermann 1911, 3-39 donnent pour tel le site d’Andania (cf. leur carte [Tafel I] et les photographies du site [Tafel VII]).
25 Le site en question est plutôt celui de Désylla (cf. la carte Tafel II [ibidem]) ; cf. Valmin 1930, 89 ; Meyer 1978b, s.v. Messenien, 171-172, no°8.
26 Sur la place de premier plan accordée par Pausanias à Andania dans la “légende nationale messénienne”, cf. infra, p. 181-185, 187-191, 196-198.
27 Paus. 4.31.3. D’où les difficultés d’identification du site ; cf. infra, p. 185 n. 95.
28 Paus. 4.33.3-7 ; le Périégète ne mentionne pas le pont de Mavrozouménos, ce qui paraît surprenant, comme l’a noté N. Valmin (1930, 86-87).
29 Blouet 1838, 3, Pl. 48 ; Le Puillon de Boblaye 1836, 108 ; Papachatzis 1979, 141-143.
30 Pritchett 1985, 46-51 ; fig. 1 p. 34 (carte de la plaine de Stényclaros, cf. Pl. 2 p. 274) ; planches 3, 17-21.
31 Valmin 1930, 89-99.
32 Valmin 1930, 92.
33 Valmin 1929, no 7, 139-140 (SEG, XI, 984). Sur ce texte, cf. infra, p. 219-220.
34 Cf. Meyer 1978b, 186.
35 McDonald-Rapp 1972, 23 et 294.
36 Valmin 1930, 89 sq.
37 Stiglitz 1967, carte hors-texte.
38 Foucart 1876, 164.
39 Les hiéroi sont des citoyens chargés d’organiser la fête et d’encadrer les participants (cf. infra, p. 77-81).
40 Paus. 4.33.6.
41 Paus. 4.1.8-9 ; 2.6 ; 3.10.
42 Paus. 4.17.1.
43 Paus. 4.26.5.
44 Pol. 5.92.6 : ἐπὶ βραχὺ προσβολὰς ποιησάμενος πρὸς τὴν Ἀνδανίαν, “après quelques courtes attaques contre Andania” (CUF, 1977, trad. P. Pédech).
45 Paus. 4.33.6.
46 Paus. 4.33.5.
47 Pour Divari (MME 607), cf. Valmin 1930, 92 ; AJA, 65, 1961, 234 ; pour Kato Melpia, cf. AJA, 65, 1961, 234-235.
48 Roebuck 1945, 162.
49 Prott-Ziehen, LGS, II, no°58, p. 176.
50 Str. 8.3.25 (350) : ἡ νν Ἀνδανία, πολίχνιον ἀρκαδικόν.
51 Pour le statut de Lycosoura cf. Paus. 8.27.6 “Malgré leur désobéissance, les Arcadiens épargnèrent les gens de Lycosoura à cause de Déméter...” ; Jost 1985, 172 : “Dans la pratique il n’est pas impossible que Mégalopolis ait contribué à [l’]entretien [du sanctuaire]” ; Jost 1999, 194.
52 I.v. Ol., 46 et 52 ; Accame 1946, 134. La source de Strabon (loc. cit.) est Démétrios de Skepsis qui écrit au début du iie s. a.C.
53 Vollgraff 1909 ; Syll.3, 735, l. 18-19 : Mnasistratos, le hiérophante, est leur représentant (cf. p. 66 sq.).
54 Meyer 1978a, s.v. Messene, 150-154.
55 Sauppe 1859, 248 = 1896, 285 ; Foucart 1876, 166.
56 Seeliger 1897, 27.
57 Prott-Ziehen, LGS, II, 58 (p. 177) ; Wilhelm 1914, 86.
58 SEG, 45, 298, l. 2-3 : Ἀνδανίαις, inv. AEM no°3541 (musée de Mavromati ; cf. Praktika, 1991 [1994], 106, no 8). P. G. Thémélis date cette inscription de la même époque que IG, V. 1, 1433 (le relevé de l’oktôbolos eisphora) ; le texte (qui d’après le fouilleur pourrait appartenir à SEG, 43, 142) est daté du ier s. p.C. (inv. AEM no 6635) – sans autre explication, mais le dossier de l’oktôbolos eisphora date en fait du ier s. a.C. (cf. Migeotte 1997, 60-61) ; P. G. Themelis cite le mot au locatif [Praktika 1994 (1997) 78]).
59 Touloumakos 1967, 20 ; pour les prérogatives des synèdres, cf. Deshours 2004b, 136-138.
60 Clinton 1980, 258 ; cf. SEG, 30, 61.
61 Par exemple dans le décret de Thouria mettant en place un fonds de grain, IG, V. 1, 1379, l. 18-19 : καθὼς γέγραπται ἐν τι διαγράμ[ματι].
62 Triantaphyllopoulos 1978, 194 (note 184).
63 Prott-Ziehen, LGS, I, 16 : Loi sacrée du temple d’Apollon à Tégée dont seule la première ligne est lisible : νόμος ἱερὸς ἰν ἅματα πάντα (“i.e. in omnes dies anni”) ; inscription de Gytheion : SEG, XI, 923, l. 37-38.
64 Il s’agit d’une inscription de Tirynthe datant des années 600-550 a.C. (Jeffery-Johnston 1990, Suppl., no 9a, 443 ; Ephèméris 1975, 150-205 et pl. 46-51).
65 Maffi 1977 (1982) ; cf. Vernant (1962) 1990, 33-64.
66 Plat., Lois, 2.663 d ; Politique, 301 d ; Pol. 23.10.8.
67 Syll.3, 800, l. 20-21 (42 p.C.).
68 Connor 1988, 168 ; cf. aussi Rudhardt 1992, 30-36.
69 Connor 1988, 176.
70 Connor 1988, 167-168.
71 Durkheim (1912) 1991, 133-134.
72 Syll.3, 735, l. 26. L’expression se trouve dans une multitude d’inscriptions réglementant des cultes ; sur la notion de πάτρια : cf. Garland 1992, 23-25. Pour expliquer cette formule, l’auteur rappelle un passage où Isocrate fait l’éloge des Athéniens d’autrefois et de leurs pratiques religieuses : Ἀλλ’ἐκενο μόνον ἐτήρουν, ὅπως μηδὲν τν πατρίων καταλύσουσιν μήτ’ ἔξω τν νομιζομένων προσθήσουσιν. Οὐ γὰρ ἐν τας πολυτελείαις ἐνόμιζον εἶναι τὴν εὐσέβειαν, ἀλλ’ἐν τῷ μηδὲν κινεν ὧν αὐτος οἱ πρόγονοι παρέδοσαν. “Ils ne veillaient qu’à une chose : c’était à ne rien supprimer des traditions ancestrales et à ne rien ajouter qui sortît des usages reçus. Ce n’est pas dans le luxe qu’ils faisaient résider la piété, mais dans le fait de ne toucher à rien de ce que leur avaient légué leurs ancêtres” (Aréopagitique, 30, trad. G. Mathieu, CUF, 1950).
73 SEG, 30, 61 ; K. Clinton (1980, 258) fait le rapprochement.
74 Triantaphyllopoulos 1978, 117 (note 113) ; on trouve notamment la même disposition dans la loi sur les hypothèques d’Éphèse de 84 a.C. (IJG, 5).
75 G. Rougemont, CID, I, no 10 ; Fr. Sokolowski, LSG, 78, p. 158-160.
76 IG, XII. 9, 207, l. 6, 12, etc. (c. 294-288 a. C.).
77 OGIS, 483.
78 Gauthier-Hatzopoulos 1993 (pour la date de la gravure : 35-41).
79 Larfeld 1914, 319.
80 Cf. aussi § 8 : Ἃ [μ]ὴ δε ἔχειν ἐν τας σκανας
81 Cf. aussi § 15 : Περὶ τν κοπτόντων ἐν τι ἱερι et § 17 Περὶ τς κράνας
82 § 2, 3, 4, 6, 7, 9, 10, 12, 13, 14, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 26. C’est le cas aussi dans la loi des astynomes de Pergame (OGIS, 483) ; J. Trintaphyllopoulos (1978 p. 117 [note 113]) donne les références d’autres textes législatifs pareillement disposés.
83 Pour l’emploi du génitif seul là où l’on attendrait une préposition, cf. Nachmanson 1909, 31-41 ; A. Debrunner, Griechische Grammatik, II, 1950, 130-131.
84 Daux 1942, 59.
85 Paus. 4.27.11.
86 Thuc. 3.112.4 (trad. R. Weil, CUF, 1967).
87 Thumb-Kieckers 1932, I2, 43 § 52.
88 Meillet 1975, 77.
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